UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

“La France, ce n’est pas la république et la république, ce n’est pas la France” : les dernières vérités de Jean Raspail, Par Anne-Laure Debaecker et Arnaud Folch.

Source : https://www.valeursactuelles.com/

Immense écrivain, monarchiste, ex-président du Comité national pour la commémoration de la mort de Louis XVI, Jean Raspail, décédé samedi à l'âge de 94 ans, nous avait reçus chez lui début 2019 pour un long entretien. La Révolution, la République, la foi, les rois et les livres : les vérités sans tabou d’un visionnaire enraciné.

« Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus parce que la vie s’en est allée ailleurs ». Cette citation du Roi au-delà de la mer, qui sera prochainement réédité, illustre bien son auteur, Jean Raspail, homme libre, explorateur et marin, écrivain d’une foi, la foi royaliste, et consul général d’un royaume mythique et oublié, la Patagonie. Les multiples prix littéraires, dont le Grand prix littéraire de l’Académie française pour l’ensemble de son oeuvre en 2003, saluent ainsi une voix qui a su faire mémoire de peuples oubliés, conter des rivages lointains entre imaginaire et réalité mais aussi défendre une cause ancrée dans notre histoire française, celle du roi. C’est un homme fidèle à lui-même, fort de ses convictions, d’une courtoisie rare et, hélas, disparue, qui nous a reçus dans son salon aux multiples hommages marins, pour évoquer cette notion sacrée du pouvoir qui réunissait les coeurs et les ferveurs. Une discussion entre volutes de cigarettes et dégustation de whisky empreinte d’audace et d’idéal.

Valeurs actuelles. La France est une république depuis de nombreuses années. Pourtant, les royalistes n’ont pas disparu et continuent à prôner le retour du roi. Vous en faites vous-même partie : qu’est-ce qui vous a conduit à cette identité politique ?

Jean Raspail. C’est une décision que j’ai prise car elle m’a semblé très logique. Mon père, qui n’était pas du tout royaliste à l’origine, l’est devenu de la même façon : en réalisant qu’avoir le roi était la manière la plus simple de gouverner un pays. Car le roi n’est pas seul, il est issu d’ancêtres présents en France depuis des milliers d’années et est façonné par cette histoire familiale intiment liée à son pays.

Le dernier ouvrage de Philippe de Villiers, consacré au premier roi de France, Clovis, est intéressant à ce titre car il montre que la royauté a créé la France. Bien entendu, cette construction s’est faite avec l’appui de la religion chrétienne, naissante dans notre pays à cette époque-là. Toute cette succession de rois a, par leurs lois, leurs combats, leur foi, façonné la France. C’est la fameuse phrase qu’adressaient les royalistes au comte de Paris il y a une quarantaine d’années : “héritier des quarante rois qui en mille ans ont fait la France”. Mais il y a eu beaucoup plus que quarante rois et bien plus que mille ans…

En outre, le roi est l’incarnation de la nation, ce que n’arrive pas à faire un président de la République, élu pour un court terme, à la courte vision et aux intérêts égoïstes. Le roi, lui, n’est pas élu : la fonction lui incombe par son sang et par son sacre. Il y a d’ailleurs un lien mystérieux entre le divin et le roi. Le roi est roi car il est aidé par la grâce divine reçue par l’onction de l’huile sainte. Il y a une grâce de Dieu dans ce sacre, ce qui n’existe pas avec la république. La légitimité se trouve alors du côté du sacré. Vous constaterez d’ailleurs que les monarchies qui fonctionnent encore en Europe sont celles où le roi a été sacré.

Le roi est l’incarnation de la nation, ce que n’arrive pas à faire un président de la République, élu pour un court terme, à la courte vision et aux intérêts égoïstes.

On constate justement une certaine perte du sacré dans nos sociétés. Si un roi revenait mais refusait de se faire sacrer, serait-il tout de même légitime à vos yeux ?


J’ai écrit trois livres à ce sujet, tout est dedans… Le pouvoir royal est héréditaire et est tout aussi naturel que le rythme des marées. Il devient en revanche sacré par les neuf onctions à Reims. Il acquiert alors toute sa grandeur et sa plénitude. C’est pourquoi un roi qui se refuse au sacre, s’il est et reste le roi, est un roi “tronqué”, rapetissé. De toute façon, en France, un roi ne reviendra que si l’un des deux prétendants actuels accepte de faire hommage à l’autre. De même, comme je le dis dans Le Roi au-delà de la mer, qui sera prochainement réédité, pour qu’un roi prenne le pouvoir en France il faudrait qu’il ose prendre possession, pour commencer, d’une petite partie du territoire.

Mais même si notre époque perd le sens du sacré, je crois qu’au fond de l’homme occidental persiste une conscience, parfois étouffée, qu’il existe un univers du sacré. C’est cette conscience qui l’a conduit à dresser églises et cathédrales dans l’Europe entière. Un exemple actuel est la résurrection de la Russie, favorisée par son retour à l’orthodoxie. Les pays qui aujourd’hui renouent avec le christianisme retrouvent ainsi une certaine grandeur.

Comment expliquez-vous que le pouvoir royal paraisse à beaucoup de Français une chose peu naturelle ?


J’ai été élevé dans des écoles catholiques où on nous apprenait le sens de l’honneur, l’histoire de notre pays avec ses grandeurs tout comme ses déshonneurs, où on transmettait une certaine éducation, notamment religieuse. Tout cela permettait d’appréhender la royauté comme un phénomène naturel découlant de notre histoire. Or cette éducation ne se fait plus, sauf dans certains isolats soudés comme le scoutisme. C’est d’ailleurs là une source d’espoir : après la guerre le mouvement était en déclin total et fut récupéré par la gauche. Tout esprit religieux fut supprimé du scoutisme. Or les choses changent : sans publicité, les mouvements scouts recrutent par centaines et retrouvent le sens du sacré qu’on leur avait ôté.

Mais je pense que, comme ce fut le cas au temps des Barbares, ce sont les moines qui nous sauveront. Lorsque l’on sort de chez eux, on est transfiguré intérieurement. Ils forment une chaîne de prière avec la divinité. D’ailleurs certains monastères, comme le Barroux, transforment par leur rayonnement la région dans laquelle ils s’implantent. Je me dis souvent que si la France ne redevient pas chrétienne, le roi ne reviendra jamais !

Les pays qui aujourd’hui renouent avec le christianisme retrouvent ainsi une certaine grandeur.

Comment expliquer la déchristianisation française ?


Beaucoup de choses sont en cause. Par exemple, je suis persuadé que le changement de liturgie y est pour quelque chose. Même si avec le motu proprio du pape benoît XVI les choses évoluent, les évêques refusent toujours de redonner des paroisses aux catholiques traditionalistes, c’est regrettable.

Quels sont ces isolats auxquels vous faites allusion ?


En termes ethnologiques, il s’agit d’une tribu en train de se rétrécir à cause de diverses raisons, qui s’isole dans un lieu bien spécifique. Ce sont de petites parties du territoire qui se coupent du reste du pays pour se protéger d’une société dont elles ne reconnaissent plus les valeurs et la violence. Ainsi, un nombre croissant d’isolats chrétiens se développe. D’une autre manière, le Puy du Fou est un extraordinaire isolat, qui offre une culture et du lien attirant des volontaires toujours plus nombreux. De même, la Patagonie est un immense isolat qui regroupe des milliers de personnes à travers notre Hexagone. Je reçois de très nombreuses demandes de naturalisation chaque semaine. Au final, ces isolats finiront par se rejoindre et permettront, je l’espère, une certaine relève française.

Pourquoi avoir lancé et pris la présidence, en 1993, du Comité national pour la commémoration de la mort de Louis XVI ?


J’ai trouvé que c’était une honte que l’on n’honore pas le bicentenaire de l’assassinat de Louis XVI. Pour donner du poids à cette commémoration, nous avons fondé un comité d’honneur, composé de gens formidables, parmi lesquels trente ducs, dont le duc de Rohan. Y figurait également la baronne Élie de Rothschild, et l’ambassadeur des États-Unis… C’était magnifique !

Certes, nous avons également essuyé des refus, notamment de la part de membres de l’Académie française que je connaissais à peu près tous — je m’y étais d’ailleurs moi-même présenté, mais ils n’ont jamais voulu de moi. Je suis ainsi allé voir Jean d’Ormesson, qui m’a répondu : « Non, Jean, ce n’est pas possible, parce que je suis républicain. » J’ai également “démarché” en vain Maurice Schumann, qui était aussi sénateur. Il m’a reçu très gentiment, mais m’a rétorqué : « C’est une très bonne idée ce comité, mais je ne crois pas que ce soit le moment de diviser de nouveau la France. » Je pense, en réalité, qu’il avait, comme d’autres, un peu la trouille… Mais cela est sans importance. Je veux d’abord me souvenir de l’engagement, puis du formidable enthousiasme de tous ceux qui ont osé nous rejoindre. Je pense notamment à Maurice Rheims, que je connaissais et pour lequel j’avais une grande d’admiration. Avec lui, les choses sont allées très vite. À peine avais-je commencé qu’il m’a interrompu : « Écoute-moi, Jean, pour Louis XVI, tout de suite ! Les Juifs n’oublieront jamais ce qu’il a fait pour eux. » La même réponse m’a été faite par la baronne Élie de Rothschild, qui a, de plus, participé financièrement, ce qui nous a été fort utile car nous ne disposions d’aucuns moyens, ou presque. Contrairement à l’immense majorité des Français, ignorant ce fait, les Juifs continuent d’éprouver une vraie reconnaissance envers Louis XVI, qui leur a accordé — ce qui était tout à fait exceptionnel pour l’époque — la plupart des droits dont bénéficiaient les Français.

Quand on me demande à qui je dois mon grade d'officier de la légion d'honneur, je réponds : « À Louis XVI ! »

Votre engagement royaliste ne vous a pas empêché d’être promu au grade d’officier de la Légion d’honneur…


Là aussi, l’histoire est étonnante. Huit ans après la commémoration en l’honneur de Louis XVI, et alors que j’étais déjà chevalier de la Légion d’honneur, je reçois une lettre m’informant de cette promotion — que j’avais d’autant moins demandée que, par tradition, elle ne se réclame pas. Jacques Chirac était alors président de la République et Jean-Pierre Raffarin, signataire du courrier, Premier ministre. Surpris, je regarde l’adresse et lis : « Monsieur Jean Raspail, Président du comité national pour la célébration solennelle de la commémoration de la mort de Louis XVI ». Bref, c’est cette initiative qui a failli être interdite par la République qui me valait, huit ans plus tard, d’être décoré ! Quand on me demande à qui je dois cette nomination, je réponds : « À Louis XVI ! »

Pour en revenir aux rois, justement, quels sont, selon vous, les plus grands rois de notre histoire ?


C’est une question difficile, car chacun des règnes doit être replacé dans son époque. Une certitude cependant : la très grande majorité de nos rois ont été de grands rois. C’est, par exemple, incontestablement le cas d’Henri IV, qui a sauvegardé la monarchie d’une situation généalogique inextricable. Il a rétabli un royaume qui était en train de se disloquer et a rétabli la France. Son action incarne la puissance de la royauté. Pour d’autres raisons, j’apprécie beaucoup François Ier, le roi de la Renaissance. D’une manière générale, outre nos rois, il y a eu aussi de grandes personnalités qu’on oublie, tels les Bourbons-Parme. Mais attention, je reconnais aussi qu’il y a eu à certains moments de notre histoire, par exemple sous Marie de Médicis, des périodes extrêmement déplaisantes. Le massacre de la Saint-Barthélemy est ainsi un épisode impardonnable.

Considérez-vous Louis-Philippe, notre dernier monarque, comme un “vrai roi” ?


Non. Il n’a pas été sacré. Ce qu’il a lui-même décidé. Il se voulait le roi du peuple. Mais pas le roi tout court…

Quel regard portez-vous sur Saint Louis ?

Je suis un de ses admirateurs, même si l’on peut s’interroger sur sa participation personnelle aux croisades. Certes, la fin des royaumes du Proche-Orient nécessitait son intervention, mais était-il nécessaire qu’il y aille lui-même ? Il a considéré que parce qu’il était le roi de droit divin, il était de son devoir de se rendre aux croisades. Si vous me permettez une digression, on peut considérer son attitude comme le contraire de celle, aujourd’hui, du pape François. Il est le pape mais ne veut pas qu’on le prenne pour le pape. Le premier geste qu’il a eu quand il a été nommé sur le trône de Pierre fut, par exemple, de prendre sa propre voiture et d’aller payer l’hôtel où il avait passé la nuit à Rome. D’autres exemples ont suivi depuis. Cette attitude se veut empreinte de modestie ; mais on ne demande pas au pape d’être modeste. On attend de lui une certaine allure. Pour les catholiques, et dans la mesure où Dieu existe — ce qu’à l’instar de mon ami Jean d’Ormesson je ne sais toujours pas, même si je l’admets —, le pape en est le représentant sur Terre. Or si Dieu a créé la Terre et ses merveilles, le pape doit avoir une certaine représentation.

L'esprit “de gauche”de Vatican II a entraîné une décrue dommageable du sacré et de sa représentation.

Cette rupture avec “l’allure” dont vous parlez, à qui ou quoi l’attribuez-vous ?


En grande partie à Vatican II, évoqué ci-dessus pour le changement de liturgie, bien sûr, dont l’esprit “de gauche”, si l’on peut utiliser de terme, a entraîné une décrue dommageable du sacré et de sa représentation.

Vous avez écrit un livre inachevé, La Miséricorde. À la fin, vous expliquez avoir décidé de ne pas finir ce livre. Pourquoi ce choix ?


Ce livre était un inédit que j’ai proposé à mon éditeur qui me sollicitait. Et puis le public s’y est intéressé, au point qu’il a été traduit dans plusieurs pays, notamment en Pologne, où il fait un tabac. Ils sont catholiques, les Polonais ! Ils sont nationaux, ils aiment leurs frontières ! Le livre va donc ressortir en français. En revanche, je le laisserai inachevé. Et je ne vous dirai pas pourquoi j’ai décidé qu’il en soit ainsi : c’est trop personnel.

Mais on sent qu’il a cheminé en vous depuis le début…


C’est vrai. Je pense que c’est un livre qui me représente très bien. Je n’irai pas au-delà pour les confessions. Je n’apprécie pas beaucoup les écrivains confessionnels, ceux qui parlent d’eux, qui racontent leur vie… Je le fais très rarement. Là, c’est une exception. Et encore n’est-ce pas moi le narrateur… Mais, je vous l’ai dit, il restera inachevé.

Lors de leurs allocutions et discours, les présidents de la République concluent par le traditionnel “Vive la République, et vive la France !”, comme si les deux étaient indissociables. Qu’en pensez-vous ?


Il faudrait évidemment se contenter de “Vive la France !” La France, ce n’est pas la république. Et la république, ce n’est pas la France. C’est un système de gouvernement. Rien de plus. Moi je souhaiterais le retour à la féodalité. C’était formidable, la féodalité ! On avait quelqu’un au-dessus et au-dessous de soi. Et l’on se protégeait les uns les autres.

Avez-vous déjà voté ?

Voté ? Jamais. Imaginez-vous un royaliste voter pour le président de la République ? En revanche, je vote à Paris pour les municipales. En espérant, la prochaine fois, que soit mis un terme au mandat d’Anne Hidalgo…

Imaginez-vous un royaliste voter pour le président de la République ?

Un mot sur les Bourbons, dont vous parliez tout à l’heure. Quel regard portez-vous sur leurs actuels descendants ?


Je les connais très peu. Mais j’avais rencontré, et été très impressionné par Alphonse de Bourbon, décédé en 1989, et père de l’actuel prétendant Louis. Lorsqu’il est venu se présenter au “mouvement royaliste”, on a vu arriver un personnage réunissant toutes les qualités. Il était d’une éducation, d’une allure, d’une distinction et d’une courtoisie telles que l’on s’est dit aussitôt : c’est lui ! Moi qui croyais la partie perdue, j’ai rejoint le royalisme grâce à lui. Il est malheureusement mort dans un accident de ski. Et son fils n’a pas du tout sa prestance.

Vous connaissez mieux Jean d’Orléans…


Oui, mais cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Le concernant, je regrette qu’il n’ait pas participé à La Manif pour tous, ce que n’aurait pas manqué de faire Baudoin, l’ancien roi des Belges, qui a, je vous le rappelle, abdiqué pour ne pas cautionner l’avortement — et dont la mémoire en Belgique, à sa mort, a plongé le pays dans une immense émotion. Si Jean avait été un chef, il se serait levé et aurait dit : “Je suis le roi, et je ne peux pas admettre dans mon pays des choses comme ça !” Imaginez les conséquences d’un tel communiqué ! Il aurait certes été critiqué, mais il se serait imposé. Que l’on ne se méprenne pas : je ne cherche pas à être le conseiller du roi, surtout pas — mon père a conseillé le père de feu le comte de Paris et l’a beaucoup regretté ! — mais c’est cela qu’il fallait faire ! La Manif pour tous ne se serait pas mise à crier “Vive le roi !”, mais il fallait qu’il prenne date. Je regrette que le courant monarchiste n’ait pas, ou plus, d’idées.

Vous refusez d’être conseiller du roi, pourtant nombre de personnes le souhaiteraient. Recevez-vous toujours beaucoup de lettres ?


Effectivement, j’en reçois une vingtaine chaque jour. Quand elles sont intelligentes, j’y réponds toujours, ce qui m’apparaît la moindre des choses. Mais je ne reçois pas, je suis un peu fatigué et je ne suis pas un gourou. Ce qui compte c’est ce que je réponds. Et tout ce qui est susceptible d’intéresser les gens est dans mes livres.

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel