JÉSUS, SON IDENTITÉ ET SA MISSION
L’une des illustrations les plus éloquentes du nestorianisme, et plus largement des hérésies christologiques, apparaît dans l’appellation choisie par le Coran pour désigner le Christ : « Issa, fils de Marie ». Il s’agit d’une déformation de son nom biblique, « Yasouh », qui signifie en araméen « Dieu sauve », tandis que le nom arabe ‘Isâ ou Issa (cité 25 fois dans les 93 versets qui le concernent) est dépourvu de toute signification et il n’existait pas avant le Coran. On comprend pourquoi les chrétiens arabophones disent Yasouh, et non pas Issa, lorsqu’ils prient Jésus ou parlent de lui.
Plusieurs chercheurs évoquent diverses formes de détournement du nom, celles-ci pouvant émaner de milieux messianistes ou gnostiques où l’on aurait inversé la première et la dernière lettre pour le crypter, Yasouh donnant ainsi Esaü (Édouard-Marie Gallez, Le messie et son prophète, Éditions de Paris, 2005, t. 1, p. 171-178).
Dans une étude sur l’origine de ‘Isâ, Michel Hayek, prêtre et savant libanais maronite (1928-2005), émet l’hypothèse selon laquelle Issa proviendrait de ‘Isâ, forme en vigueur chez les nestoriens ou les jacobites (sur ceux-ci, cf. infra). C’est pourquoi cet auteur ne souscrit pas à l’opinion d’après laquelle le terme ‘Isâ aurait été inventé par Mahomet. « Même si les documents préislamiques ne révèlent aucun témoignage absolument probant à ce sujet, il est hautement vraisemblable qu’il y a eu un chrétien ou plutôt des chrétiens à la base de cette déformation » (« L’origine des termes Isâ Al-Masîh dans le Coran », L’Orient syrien, t. VII, p. 248-252).
Quant au qualificatif « Messie » (Al-Masîh en arabe), attribué onze fois à Jésus dans le Coran, le P. Hayek note qu’il y est apparu « tardivement » : on le trouve seulement dans les passages correspondant à la deuxième partie de la vie publique de Mahomet, donc datés de Médine (622-632), mais précisément avant sa rupture avec les tribus juives et en plein débat avec des Arabes chrétiens. En se référant aux commentaires de divers chercheurs, l’auteur estime qu’en reconnaissant « en Jésus l’Envoyé d’Allah auprès des Israélites, pour lui [Mahomet] Al-Masîh semble avoir plus le sens de “Christ” que de “Messie” ». Et puis, « ce qu’il entendait par Masîh n’est explicité nulle part dans le Coran et demeure inexpliqué dans la tradition exégétique de l’islam après lui » (op. cit., p. 365-382).
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le père Michel Hayek
D’ailleurs, remarque Hicham Abdel Gawad, doctorant en Sciences des Religions, dans un article sur ce sujet, « lorsque le Coran fait parler Jésus, ce dernier ne se présente jamais autrement que comme Rasûlullah (envoyé de Dieu) ou encore comme Nabî(prophète) ». Le premier titre (Rassoul) est réservé à trois prophètes (Moïse, Jésus et Mahomet) auxquels Dieu aurait donné la mission spéciale de transmettre aux hommes le Livre unique ayant prévalu depuis toujours auprès de Lui (Torah, Évangile puis Coran). Ceux-là sont aussi des Nabîs, car il s’agit de l’appellation générale concernant tous les personnages que le Coran considère comme des prophètes.
L’auteur cite deux versets :
- Jésus, fils de Marie, dit : “Ô fils d’Israël ! Je suis, en vérité, le Prophète de Dieu envoyé vers vous (61, 6).
- Celui-ci [Jésus] dit : “Je suis, en vérité, le serviteur de Dieu” (19, 30).
À noter que la deuxième parole figure dans un récit où le Jésus nouveau-né s’adresse à la parenté de sa mère Marie (cf. 19, 27-33).
« À aucun moment le Coran ne fait dire à Jésus : “Je suis le Messie” », souligne aussi H. Abel Gawad (« Déconstruction synthétique du messianisme en islam », Les cahiers de l’Islam, 27 février 2023, p. 1 à 10).
Jésus se présente d’ailleurs comme étant l’annonciateur et le précurseur de Mahomet, « un Prophète qui viendra après moi et dont le nom sera Ahmad (le Loué) » (61, 6). Selon le Coran, Mahomet, en sa qualité de « Prophète de Dieu », est aussi « le sceau des prophètes » (33, 40), donc celui qui doit achever l’histoire religieuse. D’après le philosophe Rémi Brague, il s’agirait d’une formule empruntée à un texte de Mani, le fondateur du manichéisme (Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, Flammarion, 2008, p. 145). Sur le manichéisme, cf. PFV n° 95.
Notons également que l’absence du nom « Christ » dans le Coran (même signification que Messie, mais à partir du grec) permet de comprendre pourquoi les disciples de Jésus y sont appelés naçârâs, mot arabe dérivé du syriaque nasrâyâ, qui se traduit en français par « nazaréniens » et non par « chrétiens » comme le font certains traducteurs.
- Les Nasâras ont dit : “Le Messie est fils de Dieu”. Telle est la parole qui sort de leurs bouches ; ils répètent ce que les incrédules disaient avant eux. Que Dieu les anéantisse ! Ils sont tellement stupides ! Ils ont pris leurs docteurs et leurs moines ainsi que le Messie, fils de Marie, comme seigneurs, au lieu de Dieu. Mais ils n’ont reçu l’ordre que d’adorer un Dieu unique : il n’y a de Dieu que Lui ! (9, 30-31).
À propos de l’appellation Al-Masîh, on comprend alors pourquoi, du côté musulman, elle est comprise comme un simple surnom ou titre d’honneur. Telle est l’option de commentateurs célèbres du Coran, des anciens comme Fakhr al-dîn-al-Razî (1148-1209), ou des modernes comme Rachid Rida (1865-1935), mais aussi des musulmans en général.
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l’islamologue Maurice Borrmans
Vu ainsi, « l’islam n’assume nullement l’attente messianique d’Israël ou l’affirmation chrétienne de sa réalisation en sus ». Autrement dit, il s’agit d’un « Messie sans messianisme », souligne l’islamologue Maurice Borrmans (1925-2017), prêtre des Missionnaires d’Afrique, qui relève cependant des particularités dans le chiisme, lequel voit le descendant d’Ali comme un Messie (le Mahdi) à l’image de Jésus (« Messie, messianisme et islam », Communio, n° XIX, 3 – mai-juin 1994, p. 137-157). Sur le chiisme, cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi, « Le chiisme et le Coran », Histoire du Coran, Cerf, 2022, p. 1027-1065.
Au fond, le messianisme en islam ne serait-il pas tout simplement cette religion dans sa dimension politique ?
À propos de la maternité divine de Marie
Pour étayer sa condamnation du nestorianisme, le concile œcuménique d’Éphèse (431) – cf. PFV n° 97 – avait aussi et surtout proclamé le dogme de la maternité divine de la Vierge Marie, véritable garantie de la foi au Christ vrai Dieu et vrai homme. Marie fut alors reconnue Theotokos (en grec « qui enfante Dieu »), doctrine que saint Athanase enseignait à Alexandrie. Présent à Éphèse, Nestorius y aurait dit : « Jamais je n’accepterai d’appeler Dieu un bébé vagissant dans une crèche » (cité par Yves Semen, La sexualité selon Jean-Paul II, Presses de la Renaissance, 2004, p. 15). Pour lui, Marie devait être appelée « Mère du Christ » et non « Mère de Dieu ».
Mais saint Cyrille, deuxième successeur d’Athanase à la tête du diocèse d’Alexandrie, affirmait que « refuser l’expression “Mère de Dieu” revenait soit à nier la divinité de Jésus soit à nier qu’il était l’incarnation de Dieu » (Yves Chiron, Histoire des conciles, Perrin, 2011, p. 30-31).
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Yves Chiron
Nestorius, tout comme les controverses monophysite et monothélite, semblent ainsi avoir inspiré, au moins en partie, le regard que l’islam porte sur la Vierge Marie, qui est étroitement associée à Jésus dans le Livre sacré des musulmans.
Le Coran accuse les chrétiens d’avoir divinisé Marie ou de l’avoir associée au Dieu Un. Cela revient à nier l’Incarnation, qui reste impensable en islam parce que, à strictement parler, diviniser Marie ou l’associer au Dieu Un revient d’abord à nier la Trinité et ensuite seulement la vérité de l’Incarnation. Et inversement, ne réussissant pas à penser l’Incarnation en vérité, le court-circuit concernant le Christ se reporte sur sa Mère.
- Ô gens du Livre ! Ne dépassez pas la mesure dans votre religion ; ne dites sur Dieu que la vérité. Oui, le Messie, Jésus, fils de Marie, est le Prophète de Dieu, sa Parole qu’il a jetée en Marie, un Esprit émanant de lui. Ne dites pas “Trois” ; cessez de le faire ; ce sera mieux pour vous. Dieu est unique ! Gloire à lui ! Comment aurait-il un fils ? » (4, 171).
- Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un prophète ; les prophètes sont passés avant lui. Sa mère était parfaitement juste. Tous deux se nourrissaient de mets. Vois comment nous leur expliquons les Signes. Vois, ensuite, comment ils s’en détournent. Dis : “Adorerez-vous, en dehors de Dieu, ce qui ne peut ni vous nuire ni vous être utile ?” (5, 75-76).
- Dieu dit : « Ô Jésus, fils de Marie ! Est-ce toi qui as dit aux hommes : “Prenez, moi et ma mère, pour deux divinités, en dessous de Dieu” ? ». Jésus dit : « Gloire à toi ! Il ne m’appartient pas de déclarer ce que je n’ai pas le droit de dire ». Tu l’aurais su, si je l’avais dit. Tu sais ce qui est en moi. Toi, en vérité, tu connais parfaitement les mystères incommunicables » (5, 116).
Plusieurs passages concernant Marie sont empruntés aux évangiles apocryphes (notamment le Protévangile de Jacques, du IIème siècle, et le Pseudo-Matthieu, du IVème siècle), comme le sont aussi certains épisodes coraniques relatifs à la naissance et à l’enfance de Jésus.
- Dès le berceau, il [Jésus] parlera aux hommes comme un vieillard ; il sera au nombre des justes (3, 46).
- Elle [Marie] devint enceinte de l’enfant puis elle se retira avec lui dans un lieu éloigné. Les douleurs la surprirent auprès du tronc du palmier. […] Elle se rendit auprès des siens en portant l’enfant […]. Elle fit signe au nouveau-né et ils dirent alors : “Comment parlerions-nous à un petit enfant au berceau ?”. Celui-ci dit : “Je suis, en vérité, le serviteur de Dieu. Il m’a donné le Livre ; il a fait de moi un Prophète ; il m’a béni, où que je sois” (19, 22-31).
Selon l’universitaire belge Jan M. F. Van Reeth, « des études modernes ont démontré que cette scène est calquée sur l’Évangile apocryphe de l’Enfance attribué à Matthieu, où nous lisons (chap. 20) : “Quand Marie fut assise, elle regarda vers la cime du palmier et la vie chargée de fruits (…). Alors le petit enfant Jésus (…) dit au palmier : “Penche-toi, arbre, et nourris ma mère de tes fruits !” (…) Le palmier se redressa et d’entre ses racines se mirent à jaillir des sources d’eaux très limpides » (« La christologie du Coran », Communio, n° XXXII, 5-6, sept.-déc. 2007, p. 3-4).
![Joachim Gnilka: Bücher und mehr | Herder.de](https://media.herder.de/urheber/400/joachim-gnilka-508.jpg)
Pour sa part, son confrère allemand Joachim Gnilka (ci dessus, ndlr), spécialiste en exégèse et herméneutique bibliques, présente un ensemble plus vaste d’épisodes coraniques qui empruntent à des textes émanant du judéo-christianisme. Au Protévangile de Jacques, il ajoute l’Évangile de l’Enfance de Thomas, sans doute le plus ancien et le plus populaire récit de l’enfance de Jésus. « Rédigé à l’origine en grec, il a été traduit en
Un monumental Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc vient de paraître : travail de fourmi, enquête passionnée, il livre aux curieux une masse impressionnante de documents qui sans cela auraient risqué de tomber dans l’oubli. Entretien avec Pascal-Raphaël Ambrogi.
Propos recueillis par Philippe Mesnard
Votre ouvrage est à la fois une œuvre scientifique et un « dictionnaire amoureux de Jeanne d’Arc ».
Il offre au lecteur ce que l’on sait de Jeanne, ce que l’on a dit d’elle et ce qu’elle a inspiré et inspire encore. Mis à la portée du plus grand nombre ces documents, ces analyses, ces synthèses, ces catalogues, cette anthologie, ce livre qui est tout à la fois, organisé en dictionnaire, sert à chacun ce qu’il savait sans doute déjà et tout ce qu’il n’avait jamais imaginé trouver. Jeanne d’Arc ! Plus on l’étudie, plus l’émerveillement croît.
Quelle a été votre plus belle découverte en vous lançant dans cette entreprise ?
Jeanne est une découverte perpétuelle tout comme une source d’inspiration inépuisable. Un personnage historique parmi les plus documentés de l’Histoire, un enjeu, un symbole, un héros. Je n’imaginais pas un tel potentiel d’admiration, de foi et d’énergie créatrice. L’actualité permanente de la « libératrice de la France » ne se traduit pas uniquement par la parution d’ouvrages littéraires ou historiques. C’est dans pratiquement tous les domaines d’expression qu’elle est présente et qu’elle bat aussi souvent des records. Il faut évoquer ici quatorze mille livres, de vint à trente millestatues rien qu’en France, quatre cents pièces de théâtre déjà répertoriées en 1922, cen trente-neuf films ! Des mangas, des morceaux de rock et de hard metal… Ces derniers dans le monde entier au cours des années récentes. Une pièce de théâtre est annoncée pour 2017, une autre pour 2018. Un film sortira à l’automne, consacré à l’enfance de Jeanne. Une statue sculptée par le russe Boris Lejeune pour la ville de Saint-Pétersbourg sera bientôt élevée. Une sienne statue a déjà été placée, en 2013, à Bermont, près du village natal de Jeanne. Une Pietà de Jeanne d’Arc a été placée, en 2006, à l’entrée d’une caserne près de New York : Jeanne porte un soldat mort sur ses genoux. Ce qui est poignant et unique.
Cet intérêt pour Jeanne n’est pas nouveau. Il remonte en réalité aux heures mêmes de son épopée. C’est là ma plus grande découverte. Nous avons évoqué les nombreux documents contemporains, significatifs à cet égard. Et s’il faut attendre le XIXe siècle pour assister à ce que l’on pourrait qualifier de « frénésie johannique » ou d’« engouement johannique » – entre 1870 et 1900, par exemple, paraissent cent une biographies consacrées à Jeanne d’Arc, destinées au grand public et à la jeunesse – il n’en reste pas moins que le « messie de la France » (a dit Henri Martin) est loin d’être absent de la scène. Il suffit de consulter les articles « Musique », « Poésie » ou « Théâtre » du Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc pour s’en rendre compte. La Ballade contre les Anglais, de 1428, y fait déjà allusion. Évoquons la Ballade des dames du temps jadis, de François Villon. L’article « Musique » mentionne une œuvre pour les XVe et XVIe siècles, trois pour le XVIIe siècle et douze au XVIIIe siècle. L’article « Poésie » recense huit œuvres au XVe siècle, treize au XVIe siècle, vingt au XVIIe siècle, quatorze au XVIIIe siècle. Quant à l’article « Théâtre », il répertorie une pièce du XVe siècle, le Mystère du siège d’Orléans, daté de 1439, deux pour le XVIe siècle, une bonne douzaine pour le XVIIe siècle, et dix-sept pour le XVIIIe siècle. Cette production est donc loin d’être négligeable.
C’est un Anglais, William Shakespeare, qui relance Jeanne, avec son Roi Henry VI, de 1592. Il en donne une vision scabreuse et va contribuer à répandre le mythe de Jeanne la sorcière. Voltaire, avec La Pucelle d’Orléans, érotise Jeanne, dans les multiples versions de son œuvre, qui connaît un succès fou (cent vingt-cinq éditions entre 1755 et 1835) et est apprise par cœur par certains, y compris à l’étranger. Schiller porte Jeanne à la scène avec la Jungfrau von Orleans, de 1801. Il brode en inventant une idylle amoureuse entre Jeanne et un beau soldat anglais. Schiller s’assurait ainsi un succès durable. Sa pièce est imitée par de nombreux auteurs, tels que Charles-Joseph Loeillard d’Avrigny et Alexandre Soumet en France ; Roberto de Simone, Nicolas Vaccai et Salvatore Vigano en Italie, Destouches en Allemagne ; elle est mise en musique par Max Bruch, Joseph Klein, Leopold Damrosch, Johann Schulz, Carl Wagner, Bernhard Weber en Allemagne ; Manuel Tamayo y Baus en Espagne, Mario Bossi, Giuseppe Verdi en Italie ; Tchaïkovski en Russie ; Ignaz Moscheles, auteur tchèque. Elle est portée au cinéma en RDA, en 1976, se retrouve au Japon dans des manga de Wakuni Akisato et de S. Muchi.
Nous avons dit que le phénomène se poursuit. Comment l’expliquer ? Jeanne d’Arc est la figure emblématique par excellence de l’héroïne qui défend son pays de l’envahisseur, en même temps qu’il émane d’elle une aura particulière du fait de sa jeunesse (elle entame sa carrière politique et militaire à dix-sept ans !), de sa fraîcheur, de la « trahison » du roi Charles VII aussi et de sa mort atroce, brûlée vive sur un bûcher à Rouen, le 30 mai 1431.
Jeanne d’Arc bénéficie ainsi d’un capital de sympathie qui perdure et continue d’enflammer les cœurs. Son personnage est aussi entouré d’un certain mystère, du fait que Jeanne est avant tout une mystique. Elle ne prend pas ses ordres auprès des hommes.
« J’ignore la conduite de la guerre », déclare-t-elle. Or, selon l’auteur de la Geste des nobles français, du 6 juillet 1429, dès son arrivée à Chinon, Jeanne décrit à Charles et à son conseil, « les manières de guerroyer des Anglais » avec une telle précision qu’ils en sont fort ébaudis. Elle déclare : « Par l’aide du ciel, je sais chevaucher et conduire une armée. » Comment l’expliquer, si ce n’est qu’elle jouit de l’assistance continuelle de son conseil divin, dont elle parle avec tant d’assurance, qui « lui avait mis dans l’esprit des clartés de tout ce qui regardait la guerre, et lui fournissait, au moment voulu, les suggestions utiles » ? Ce que nul chef chevronné n’a vu ni compris, elle s’en rend ainsi compte et le saisit sur-le-champ.
Comment expliquer, devant la masse des faits, que d’aucuns cherchent encore à mythifier Jeanne d’Arc en imaginant qu’elle n’est pas morte sur le bûcher ou qu’elle était d’ascendance royale ?
Jeanne d’Arc, un mythe ? Comment l’expliquer ? Jeanne est un mystère qui balance entre une incarnation – la jeune fille de Domremy, ce « Bethléem de la patrie » – et un mythe désormais universel qu’elle a bien involontairement suggéré et qui la dépasse sans la détruire. Or, contrairement à la plupart des héros dont la mythification n’intervient que tardivement après leur mort, Jeanne fut un mythe vivant, rappelle Colette Beaune. Dès son apparition, le mythe fut consubstantiel à son histoire. La France et les Français attendaient une intervention divine. Jeanne revêtit les habits du Sauveur tant espéré. Sa capture imprima au mythe d’autres formes. Au messianisme triomphal des années 1429 succéda dans son camp l’image de la souffrante puis de la martyre.
L’épopée de la Pucelle d’Orléans est certes légendaire, en ce sens qu’elle est inscrite de façon indélébile dans l’histoire de l’humanité et qu’elle est devenue une référence universelle. C’est ainsi que nous avons recensé cinquante-quatre femmes qualifiées de Jeanne d’Arc dans trente-trois pays, dont plus d’une au cours des années récentes. Ce sont les Jeanne d’Arc des États-Unis, de Colombie, de Russie, du Japon, de Côte d’Ivoire, de Chine, du Brésil, etc.
Mais l’épopée de notre héroïne nationale n’est pas une légende au sens d’une construction artificielle bâtie après coup quelques faits épars. Avec Jeanne d’Arc, nous sommes en présence du personnage de l’humanité, après notre Seigneur et la très Sainte Vierge, le plus documenté de tous les temps. Jugeons-en. Enquête théologique à Poitiers, en mars 1429, qui décide le dauphin Charles à faire crédit à la Pucelle, avec un examen de virginité et une enquête à Domremy et à Vaucouleurs. Procès de condamnation de janvier à mai 1431, avec enquête à Domremy et deuxième examen de virginité ; procès de relapse fin mai 1431, condamnant Jeanne à être brûlée vive. Enquête officieuse de 1450, à la demande du roi Charles VII. Enquête officielle à Rouen en 1452. Ouverture en 1455 du procès de nullité de la condamnation, avec enquêtes à Domremy, Vaucouleurs, Orléans, Tours, Paris, Poitiers, Compiègne, Saint-Denis, Sully-sur-Loire, Lyon, soit cent quarante-quatre auditions, le tout aboutissant à casser, en 1456, la première sentence. Puis procès de béatification, avec examen de l’héroïcité des vertus de Jeanne, examen de trois miracles, procès des raisons pouvant s’opposer à la béatification. Engagé en 1869, à la demande Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, il débouche sur la béatification, le 18 août 1909. Procès de canonisation enfin, avec la reconnaissance de trois nouveaux miracles. La cérémonie officielle a lieu en la basilique Saint-Pierre de Rome, le 16 mai 1920. Nous disposons ainsi d’une documentation de première main vraiment unique.
Documentation d’autant plus exceptionnelle que, vu l’importance politique de la condamnation et de l’exécution de Jeanne d’Arc pour l’Angleterre, le roi Henry VI a pris grand soin de faire rédiger cinq copies authentiques des actes du procès qu’il a envoyées à divers destinataires.
Nous avons recensé en outre, délaissant les délibérations et les comptes de plusieurs villes, cent cinquante-six documents contemporains parlant des exploits de la Pucelle. Par contemporains, j’entends ceux allant du début de l’épopée, le 22 février 1429, à la sentence de nullité de la condamnation, le 7 juillet 1456. Ils émanent aussi bien du camp Armagnac que des adversaires de Jeanne, ou de simples observateurs, comme les marchands italiens installés en France. « Nous devons d’autant plus prêter foi à tous ces faits, écrira l’Allemand Guido Görres, qu’ils ont été consignés par ses ennemis mortels [certains d’entre eux du moins], qui ont tout fait pour les falsifier et les déformer au détriment de Jeanne : car c’est une preuve irréfutable de son innocence, que, selon les vœux de la Providence, ses persécuteurs devaient donner au monde futur ».
Citons-en quelques-uns. Le plus ancien document semble être une lettre du 22 avril 1429 d’un ambassadeur de Philippe de Brabant. Notons que Jeanne n’entrera dans Orléans que sept jours plus tard. Nous trouvons des annotations du 9 mai, deux jours après la levée du siège d’Orléans. Le 14 mai, Jean Gerson, chancelier de l’université de Paris, écrit un Traité sur la Pucelle. Vers le 15 mai, le duc de Bedford, régent d’Angleterre, prend des mesures contre les désertions qui se multiplient dans son camp. Le Ditié, un poème de Christine de Pisan, date du 31 juillet. Dès qu’il apprend la prise d’Orléans, l’empereur Sigismond de Luxembourg commande un tableau représentant Comment la Pucelle a combattu en France.
Tout cela est donc très sérieux et historiquement très sûr. Et absolument unique. Ce qui est de nature à ôter tout doute sur le caractère historique des quatre cent vingt-sept jours de l’épopée de Jeanne, quatre cent vingt-sept jours seulement qui suffisent à rétablir la situation, à faire échec aux Anglais, à libérer Orléans et le royaume de leur présence indésirable, à faire sacrer le roi et lui restituer sa légitimité, et à modifier de fond en comble l’art de conduire la guerre.
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Pascal-Raphaël Ambrogi et Dominique Le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de de Jeanne d’Arc, éditions Desclée de Brouwer, juillet 2017, 2 012 pages, 49 euros.
Philippe Mesnard
![](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/00/02/3614831847.jpg)
L’ouvrage est considérable, et le spécialiste y trouvera son compte, mais on sent que vous l’avez conçu pour qu’on s’y plonge, et même s’y perde, au hasard des articles savants et inattendus : « Chesterton », « Mythes », « Entrevue du signe », « Charles Maurras », « Féminisme et Jeanne d’Arc », « Front national », « Mission de Jeanne d’Arc », « Symbole de la Résistance »…
Le Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc ne se borne pas à relater l’histoire d’une femme tout à fait unique dans l’histoire. Il retrace une histoire qui est celle de la France et qui la déborde même. Il faut bien saisir, en effet, la portée réelle de la mission de l’« Ange de la patrie » (card. Amette).
En effet, en apparence, entre Charles de Valois et Henri de Lancastre, la querelle est purement dynastique. En réalité l’enjeu est tout autre. En attribuant au sacre une valeur constitutive, Jeanne conteste le principe même du honteux traité de Troyes par lequel, à l’instigation de la reine Isabeau de Bavière, le roi Charles VI avait conclu, en 1420, qu’à sa mort le royaume de France passerait au roi d’Angleterre.
Ce traité établissait la renaissance du droit païen dans l’ordre de la succession au trône. Il ignorait la consécration religieuse si caractéristique du monarque français : le pouvoir, la direction de l’État devait se transmettre alors comme un bien réel, le monarque adoptant l’héritier de son choix. « Ainsi, ce qui est en jeu, écrira Jean de Pange, c’est le caractère même de la royauté française. Dans l’ancienne tradition dont Jeanne est l’héritière, il n’y a d’autre souverain que le Christ, dont le lieutenant est le Roi Très Chrétien. » Or, poursuit-il, « Jeanne d’Arc s’efforce de réaliser l’idéal de l’Église […]. Sa mission doit donc avoir un caractère universel et dépasse les intérêts du pays auquel elle appartient. Elle ne vient pas pour faire la guerre, mais pour apprendre aux Français à s’aimer. À ses yeux, le rôle du roi est celui d’un médiateur. Comme lieutenant de Dieu, il est beaucoup plus que le souverain d’un pays. Son autorité n’est pas limitée à un territoire. Il représente “la nation très chrétienne”, et par-dessus les frontières de la France, il s’adresse à tous les serviteurs de la foi catholique ».
D’où l’importance d’un épisode peu connu, appelé la triple donation. Nous sommes à Saint-Benoît-sur-Loire, le 21 avril 1429, vers 16 heures. Jehanne s’adresse à Charles : « Sire, me promettez-vous de me donner ce que je vous demanderai ? » Le dauphin hésite, puis consent. « Sire, donnez-moi votre royaume. » Stupéfait, il hésite de nouveau ; mais, tenu par sa promesse et subjugué par l’ascendant surnaturel de la jeune fille, il répond : « Jehanne, je vous donne mon royaume » (première donation). La Pucelle exige qu’un acte notarié en soit solennellement dressé et signé par les quatre secrétaires du Roi ; après quoi, voyant celui-ci tout interdit et embarrassé, elle dit : « Voici le plus pauvre chevalier de France : il n’a plus rien. » Puis aussitôt, très grave et s’adressant aux secrétaires : « Écrivez : Jehanne donne le royaume à Jésus-Christ » (deuxième donation). Et immédiatement après : « Jésus rend le royaume à Charles » (troisième donation). À partir de ce moment, Charles se décide à entreprendre la campagne du sacre. « Si Charles VII et ses successeurs avaient compris, dira l’historien jésuite Jean-Baptiste Ayroles, ils auraient fait enchâsser le merveilleux parchemin dans l’or et dans la soie ; ils l’auraient entouré de pierres précieuses, car ils n’avaient pas dans leur trésor de diamants comparables. Ils l’auraient relu et médité tous les jours. Non seulement ils seraient aujourd’hui sur le trône, mais l’univers serait dans les bras de Jésus-Christ et ce serait la France qui l’y aurait placé. »
En outre, l’historien Jules Michelet assurait qu’au cours de l’histoire, la vérité, la foi et la patrie ont eu leurs martyrs. Mais ici, dans le cas de l’« Épée de la France », expression de Mgr Touchet, évêque d’Orléans, une enfant forgea en son cœur l’idée d’exécuter la chose que les hommes ne pouvaient plus faire : sauver son pays.
Ce constat, celui de l’immense popularité de Jeanne, s’impose aussi à l’étranger. Le monde entier loue avec ferveur la sainte et salue l’héroïne. Elle a inspiré les êtres engagés et les poètes qui voient en elle « le personnage le plus merveilleux, le plus exquis, le plus complet de toute l’histoire du monde », selon l’anglais John Sterling. C’est bien le cœur de Jeanne que l’on sent battre « dans le souvenir reconnaissant du peuple français et de tous les peuples, car, écrit l’allemand Joseph Görres, il appartient à celui-là par le sang et à tous les autres par ses nobles actions ».
Jeanne relève donc du patrimoine universel de l’humanité. En témoigne le fait que, aujourd’hui encore, elle est la référence reconnue pour les femmes qui luttent pour libérer leur patrie d’un envahisseur ou d’un dictateur, le symbole de la résistance, comme je le rapportais voici un instant. Certes, elles ne sont appelées la Jeanne d’Arc de leur pays que de façon purement analogique. Certaines d’entre elles ont fait le coup de feu et, surtout, aucune n’a reçu une mission divine, ni réuni les conditions à la fois humaines et spirituelles qui font de Jeanne d’Arc un être vraiment d’exception. Mais le fait est que Jeanne se présente aux yeux de tous comme l’archétype de l’ange providentiel.
Il s’agit d’un dictionnaire à vocation encyclopédique. Le principe qui a présidé à sa rédaction est donc celui de l’universalité au sens de description de tous les domaines dans lesquels Jeanne est présente sous quelque angle que ce soit. C’est pourquoi l’on peut trouver dans le Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc des entrées telles que « Communes » au nom de Jeanne, « Manuels scolaires », « Philatélie », mais aussi d’abondantes citations des discours et panégyriques prononcés lors des fêtes johanniques, à Orléans depuis 1429, à Rouen et à Reims, et un peu partout dans le monde.
L’on verra également comment l’« Envoyée de Dieu » a été louée et encensée par tous les partis politiques, chacun la revendiquant. Maurice Barrès déclarait déjà, en 1920, l’année de la canonisation de Jeanne et par l’Église catholique et par la République laïque : « Il n’y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d’Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholique ? C’est une martyre et une sainte, que l’Église vient de mettre sur les autels. Êtes-vous royaliste ? C’est l’héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique ; elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de toutes nos épopées… Pour les républicains, c’est l’enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies. […] Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu’elle disait : “J’ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux.” Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne d’Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer ».
Pourquoi accordez-vous une place importante à la spiritualité de Jeanne, dont peu d’historiens parlent ?
La question de la spiritualité de Jeanne me paraît essentielle, car elle porte sur le point capital de la mission de la « Bonne Lorraine ». La patronne secondaire de la France est avant tout une mystique. C’est parce qu’elle est mystique qu’elle est combattante. C’est parce qu’elle est mystique qu’elle est patriote. Mgr Touchet, évêque d’Orléans, d’exhorter en ces termes : « N’approchez pas de l’incomparable enfant comme on approche d’un être commun ; même comme vous approcheriez de Duguesclin, même comme vous approcheriez de Saint Louis, quoique ceux-ci, à des degrés si différents, s’élèvent si haut au-dessus du vulgaire. Duguesclin est bien Duguesclin, Saint Louis est bien saint Louis, Jeanne est à peine Jeanne. C’est à peine elle qui délivre Orléans, qui triomphe à Patay, qui couronne le roi à Reims. Pour ces œuvres, elle n’est que l’instrument : l’ouvrier, c’est Dieu. Dieu est l’auteur principal de l’épopée qui s’ouvre à Domremy et se clôture à Rouen. Jamais à ma connaissance il ne s’est montré plus clairement dans l’histoire. »
Jeanne d’Arc n’est, en effet, qu’un exécutant des ordres venus d’En-haut. Au moment d’entreprendre son épopée et de traverser, de Vaucouleurs à Chinon, une région aux mains des Bourguignons, ennemis du dauphin Charles, elle peut déclarer : « Si les ennemis se présentent, moi, j’ai mon Seigneur qui saura m’ouvrir la voie pour arriver au Dauphin, car je suis née pour le sauver. N’ayez peur, mes Frères du Paradis et mon Seigneur m’ont déjà dit depuis quatre ou cinq ans qu’il me fallait guerroyer pour reconquérir le royaume de France. J’agis par commandement. Vous verrez à Chinon comme le Dauphin nous fera bon visage. »
Et une fois qu’elle a identifié le dauphin caché dans la foule de ses courtisans, elle lui dit avec assurance : « Gentil Dauphin, je suis venue pour donner secours au royaume de France et à vous. Et vous mande le roi du ciel par moi, que vous seres lieutenant à Luy qui est vray roi de France. Employez-moi. La partie sera bientôt allègre. Orléans sera pris… »
Elle n’agit que « par commandement ». Les visions dont elle est gratifiée, depuis le 13 mai 1424, à l’âge de treize ans, vont se multiplier au point de devenir rapidement quotidiennes. C’est dire que si Jeanne est une paysanne vigoureuse, ayant les pieds bien sur terre, possédant un gros bon sens non dépourvu d’un humour qui éclate en des formules étonnantes, son cœur, sa tête sont déjà au ciel. Elle entretient un commerce habituel avec ses « voix », comme elle les appelle. Elle n’entreprend rien sans leur avis. La seule fois où elle agit de son propre chef et tente de s’évader du château de Beaurevoir, en sautant de la tour dans laquelle elle est enfermée, elle faillit se tuer. Mais le reste du temps, Jeanne s’en remet à ses voix et les consulte en cas de doute.
Mystique, Jeanne est une âme de prière. Certes, elle ne connaît que le Pater, l’Ave et le Credo. Mais elle peut nous en remontrer par sa foi ardente. Ses concitoyens de Domremy nous livrent des témoignages concordants. Ils déclarent au procès de nullité qu’elle fréquentait souvent l’église, communiait presque tous les mois après s’être confessée, pratiquait dévotions, jeûnes et prières pour les besoins du peuple. Haumette, une amie d’enfance, témoigne : « Que de fois j’ai été chez son père, et couché avec elle, de bonne amitié. […] C’était une bien bonne fille, simple et douce. Elle allait volontiers à l’église et aux lieux saints. […] Elle se confessait souvent. Elle rougissait quand on lui disait qu’elle était trop dévote, qu’elle allait trop à l’église. »
Elle priait en entendant sonner l’Angélus. Le Fumeux, servant d’autel à Vaucouleurs, devenu prêtre, témoignera qu’il voyait Jeanne le visage levé vers la Sainte Vierge ou prosternée devant le crucifix, comme transfigurée dans son oraison : « J’étais alors jeune clerc, à la chapelle de la Bienheureuse Marie de Vaucouleurs, et j’ai vu souvent Jeanne elle-même, dite la Pucelle, qui venait à ladite église moult dévotement. Dans cette même église, elle entendait les messes matinales, et s’y tenait beaucoup en prière. Je l’ai vue aussi dans la crypte des Voûtes sous ladite église, se tenant à genoux devant la Bienheureuse Marie, tantôt le visage baissé, tantôt le visage droit. » Lorsque les cloches sonnaient le soir, Jeanne se mettait à genoux, et, quand elle était aux champs, elle revenait pour entendre la messe. « Le besoin de prier sans cesse, à toute heure, en tout lieu et en toute circonstance, apparaît comme le trait le plus caractéristique de la vie de la Pucelle dans son pays natal. »
À Poitiers, l’épouse de Jean Rabuteau, qui l’hébergeait, déclara « qu’elle la voyait tous les jours à genoux pendant longtemps, l’après dinée ; qu’elle la voyait aussi à genoux la nuit ; que le jour, elle se retirait très souvent dans un petit oratoire qui était dans la maison, où elle restait très longtemps en prière ». Marguerite Touroulde, son hôtesse à Bourges, témoigne, elle aussi, que Jeanne se confessait très souvent, aimait la messe, et lui demanda plusieurs fois de l’accompagner à matines, qu’elle pratiquait largement l’aumône et donnait aux indigents, car elle avait été envoyée pour leur consolation.
La « Patronne du laïcat » (Jacques Maritain) avait demandé au frère Pasquerel, son confesseur, de faire, « pour rassembler les prêtres, une bannière sur laquelle serait peinte l’image de Notre Seigneur crucifié. Une fois faite, Jeanne elle-même chaque jour deux fois, le matin et le soir, lui faisait rassembler les prêtres qui chantaient des hymnes à la Vierge Marie. Avec eux était Jeanne interdisant de se joindre à eux les hommes d’armes s’ils ne s’étaient confessés ce jour, les avertissant qu’à cette condition ils pouvaient assister au rassemblement. » Se rendant de Blois à Orléans, « Jeanne fit rassembler les prêtres derrière leur bannière et précédant l’armée. Ainsi rassemblés, ils passèrent par la Sologne chantant le Veni Creator Spiritus et diverses antiennes. » Essayez d’imaginer la scène. C’est absolument grandiose. « Ainsi avancèrent-ils tout le jour dans les champs et le jour suivant et arrivèrent auprès d’Orléans ». Le convoi passe sans encombre devant les positions ennemies, les Anglais étant comme pétrifiés. C’était le 29 avril 1429.
À l’heure des vêpres ou au crépuscule, la Pucelle avait pour habitude de se retirer dans une église et d’y faire sonner les cloches pendant une demi-heure, rassemblait les religieux mendiants, se mettait en prière et faisait chanter une antienne à la Vierge Marie. Les jours de fête, elle entendait la grand-messe et participait aux autres offices, se contentant de la messe basse les autres jours, si possible tous les jours. Elle cherchait à amener les gens d’armes à fréquenter eux aussi les sacrements, au moins avant de partir au combat. Partout elle agissait ainsi, aussi bien à Chinon au milieu d’une cour guère portée à ce genre d’exercices, qu’à Poitiers pendant ses interrogatoires, qu’en campagne.
« La pureté de son idéal, la charité de ses motifs, sa piété parfaitement à la portée de tous, conviennent tout à fait à l’instruction spirituelle de notre époque », dira le cardinal américain Wright. D’où l’article « Sainte laïque », au sens où Jeanne d’Arc peut être donnée comme modèle de sainteté dans la vie ordinaire et dans l’exercice du travail professionnel.
Benoît XVI devait déclarer que « cette sainte avait compris que l’Amour embrasse toute la réalité de Dieu et de l’homme, du ciel et de la terre, de l’Église et du monde. Jésus est toujours à la première place dans sa vie, selon sa belle expression : “Notre Seigneur premier servi” ».
C’est sans nul doute ce qui explique la justesse, la finesse et l’exactitude des réponses fournies à ses juges. D’ailleurs, elle s’était confectionné une prière à cet effet : « Très doux Dieu, en l’honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m’aimez, que