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guerre

  • 18 au 20 août 1914 ... Angoisse. On se bat depuis Bâle jusqu'aux portes de Bruxelles...

    photographie-couleur-paris-1914.jpgAngoisse. On se bat depuis Bâle jusqu'aux portes de Bruxelles... Paris est grave, sans fanfaronnades. La légère griserie des débuts, lorsqu'on a appris nos succès d'Alsace, n'a pas duré et c'est heureux. On se rend compte du caractère formidable de la lutte qu'il faudra soutenir contre un empire de 65 millions d'habitants qui est devenu, sous la direction de la Prusse, une immense machine de guerre.

    On devine qu'entre Namur et Liège, l'Allemagne se prépare à un immense effort pour envahir la France, l'inonder de deux millions d'hommes. Paris retient son souffle en attendant l'issue de cette lutte gigantesque. C'est un moment historique pareil à celui qu'a connu Athènes menacée par les armées de Xerxès. L'œil en caresse avec plus d'amour le paysage, les monuments parisiens qui, dans la solitude et le silence de la ville, revêtent une grandeur nouvelle.  

     

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  • 17 août 1914 ... "Vive la sociale !" et "A bas la guerre !"

    I-Moyenne-2495-dom-besse--un-benedictin-monarchiste_net copie.jpgDom Besse revient de Poitiers. Il a été témoin de quelques incidents : des hommes qui criaient : "Vive la sociale !" et : "A bas la guerre !". Mais c'étaient toujours des isolés. Une fois dans le rang, plus un mot... Est-ce que Liebknecht, qu'on disait fusillé pour avoir refusé d'obéir à son ordre de mobilisation, n'a pas, aux dernières nouvelles, pris le sac et le fusil comme le recommandait Bebel, le vieux compagnon de luttes de son père ?...

    La grande émotion de la guerre a déterminé aussi un mouvement de piété. Les hommes demandent des prêtres et leurs officiers vont en réclamer à l'archevêché. Un capitaine se désolait parce que, dans sa compagnie, il n'avait qu'un diacre, et un diacre ne peut pas donner l'absolution. Dom Besse a vu des soldats qui se confessaient en pleine rue. Personne ne songeait à s'en étonner, encore moins à rire...

    Rencontré André Bonnier sur le Pont Royal. Il a été mobilisé par erreur et renvoyé "dans ses foyers". Il ne garde aucune amertume d'un impair des bureaux qui l'a fait voyager durement et par trente degré de chaleur de Paris à Argentan et retour, - pour rien.

    - N'ébruitez pas la chose, me dit-il. Nous étions cinquante réservistes de la territoriale dans mon cas sur vingt mille hommes appelés à Argentan. L'autorité militaire peut se tromper de cela !

    C'est le plus délicat des lettrés, des Parisiens et des sédentaires qui parle ainsi.

    Nous nous sommes quittés sur un "Qui l'eût cru ? Qui l'eût dit ?", en nous félicitant des nouvelles de la guerre qui nous sont toujours favorables. Il semble qu'en quelques jours la rive gauche du Rhin doive tomber en notre pouvoir... L'air s'est subitement rafraîchi et chacun pense à nos soldats qui n'auront pas à se battre aujourd'hui sous un ciel de feu.

    La rareté ou l'absence des nouvelles est une dure école et enseigne au public que la guerre est une chose sérieuse. Beaucoup de lettres de combattants n'arrivent qu'avec le timbre de Paris. Les officiers ont donné leur parole d'honneur de ne pas révéler même à leurs parents les plus chers, à leur ami le plus intime, le nom de l'endroit où ils se trouvent. On a supprimé de l'esprit du "monsieur qui passe" et qui achète tous les journaux que l'on crie sans y trouver autre chose que le communiqué officiel, l'idée qu'il a le droit d'être renseigné, comme le monsieur qui a payé son fauteuil d'orchestre a droit au spectacle. Le non-combattant n'est plus rien. Il le sent et se tait.  

    Un régiment de chasseurs à cheval a pris part au beau succès par lequel deux divisions allemandes ont été bousculées à Dinant. Georges L... en était-il ? Sa mère elle-même l'ignore. Il faut vivre dans ces perplexités et se plier à cette discipline.   

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  • 15 août 1914 ... Impressions des premiers jours de la mobilisation dans le Nord

    L'ASSA~1.JPGLongue lettre de G..., parti avec sa batterie pour la grande bataille de Belgique. Je transcris ces impressions des premiers jours de la mobilisation dans le Nord.

    "Mardi, troisième jour de la mobilisation. Reçu réservistes. Habillement. Bien des choses manquent : résultat des économies idiotes faites il y a quatre ans. Mais tout le monde a l'indispensable, un caleçon au lieu de deux, pas de bretelles. Il est vrai qu'ils s'en passent dans la vie civile. Au total, très bon esprit. Quant à la tenue, elle va se perfectionner.

    Mercredi. - Réunion des capitaines par chefs d'escadrons. Tout le monde se plaint sauf moi.

    Jeudi. - Je m'impatiente. Chevaux, harnachement, matériel à percevoir. Mes hommes aussi sentent que cela ne va pas vite...

    Vendredi. - J'espère embarquer dimanche. Si j'ai encore huit jours avant la bataille, je suis sûr de faire de bon ouvrage. Je ne craindrai aucune batterie et mon chef d'escadron le sait. Pourvu seulement qu'on nous laisse saigner l'Allemagne !... 

    Mes hommes hier n'étaient pas contents. Le bruit court que 4.000 Allemands ont été tués, 5.000 faits prisonniers. Ils ont peur qu'il n'en reste plus. Ils promettent tous des chapelets d'oreilles de Prussiens : j'ai quelques Marocains qui sont pour quelque chose dans cet état d'esprit.

    Jusqu'ici la mobilisation semble s'opérer très régulièrement. Encore quatre ou cinq jours et nous sommes sauvés..."

    Brave ami ! Il laisse une femme et une petite fille de douze jours qu'il n'a fait qu'entrevoir et embrasser entre deux trains !...

    Si les appelés sont bien partis et si l'état d'esprit général est très bon, c'est qu'en peu de jours on a remonté un dur courant. Le jeune X... me dit que, dans le village de Seine-et-Marne où il passe ses vacances, le premier mouvement, à l'annonce de la guerre, a été d'accuser le président Poincaré de tout le mal. Un journal de province, le Briard, je crois, menait depuis deux ans et plus grossièrement que les journaux radicaux et socialistes de Paris une campagne contre la Présidence. Le Briard ayant cessé de paraître, tout s'est calmé.

    C'est en spéculant sur notre anarchie que l'Allemagne nous a déclaré la guerre. "Quelle désillusion !" se serait écrié ces jours-ci un officier allemand prisonnier qui s'attendait à trouver la France à feu et à sang. Comme Capus l'observe dans Le Figaro, c'est la fable de notre La Fontaine : "Biaux chires loups, n'écoutez mie..." Les Allemands ont trop écouté nos discordes civiles et n'ont pas assez médité le mot de l'archiduc François-Ferdinand, celui dont l'assassinat a été le principe ou le prétexte de cette guerre : "Avec les Français, on ne comprend jamais tout à fait." 

     

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  • 13 août 1914 ... Paris n'est plus qu'une cité de femmes

    2439981939.jpgParis n'est plus qu'une cité de femmes, mais où Lysistrata, loin de le retenir, exhorte "son homme" à se bien battre et à vaincre. Le seul péril, c'est que cet héroïsme féminin ne revête quelque jour une autre apparence et que Lysistrata ne s'arme d'un bidon de pétrole. On me dit que le maire d'une grosse agglomération suburbaine de 50.000 habitants voit croître le danger tous les jours et s'attend à être fusillé, ou plutôt écharpé, si les femmes et les enfants, d'ici peu, ne reçoivent pas de nourriture.  

    Fait un tour à Montmartre, le matin. Aspect sinistre des bastringues. La bohême galante a pris un aspect sordide. Dans les cafés, des filles hâves qui semblent n'avoir plus d'autre domicile pour être déjà là à l'heure où elles se couchent. La guerre a surtout désorganisé le plaisir et mortellement blessé le vice. On n'entend dire nulle part que les appelés aient passé en orgies leurs derniers jours...

    Sur une boutique d' "ameublements" du boulevard de Clichy, on lit en grosses lettre à la craie : "Je part pour la guerre. Vive la France. X..." Si je part est fautif, je part pour est louable. Ce mépris de l'orthographe, et cet instinct de la syntaxe, c'est tout le Français. Le marchand de meubles du boulevard de Clichy se battra comme il écrit : pas tout à fait dans les règles, mais avec quel sentiment du combat !

    Illustration, Auguste Chabaud

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  • 12 août 1914 ... C'est avec les tripes des pauvres b... qu'on fait la guerre !

    cp_001.jpgQuel silence ! Les journaux sont pour ainsi dire sans nouvelles. Les renseignements oraux sont invérifiables. Om me dit que le général Joffre a transporté son quartier général à Mézières. Tout fait pressentir que la poussée allemande se fera par le Nord, non par l'Est, qu'une formidable bataille va se livrer dans ces Flandres où le sort de la France s'est si souvent décidé... Bouvines, Azincourt, Rocroy, Denain, Fontenoy, Fleurus, Waterloo... Comment s'appellera la rencontre de demain ?...

    Je suis poursuivi par ce mot d'un jeune officier qu'on me répétait ces jours-ci :

    "La guerre moderne obéit à des lois telles que la préparation et l'organisation  y rendent inutile le génie lui-même."

    Le 1er août, à la gare Saint-Lazare, comme je causais avec des mobilisés, je leur disais que le commandement était plein de confiance. L'un d'eux, un mécanicien, je pense, un ouvrier de première classe, en tout cas, me répondit brutalement :

    -"Oh ! les chefs !... les chefs !... C'est avec les tripes des pauvres b... qu'on fait la guerre !

    Ce mot du jeune officier intellectuel et celui de l'ouvrier parisien se rejoignent. Est-ce qu'ils ne se rejoindraient pas dans la philosophie de Bergson, celle qui subordonne l'intervention de la raison et le rôle de l'intelligence ? 

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  • 11 août 1914 ... Vous avez souvent été bien clairvoyant, me dit le sénateur des Antilles

    reveil_question_orient copie.jpgAu ministère de la Guerre, me dit Georges Deherme, qui a fait appuyer ma demande, on retient ma proposition et l'on promet de m'employer dès que nous aurons occupé le territoire allemand. On a bon espoir au ministère ! Aujourd'hui, pourtant, les nouvelles sont un peu moins sûres... Les vestibules de la rue Saint-Dominique sont pleins : les uniformes anglais presqu'aussi nombreux que les nôtres. Je rencontre Henry Bérenger.

    - Vous avez souvent été bien clairvoyant, me dit le sénateur des Antilles.

    De parti à parti on ne sait quelle politesse se faire : on présente les adversaires de la veille les uns aux autres et on se serre la main. Ma clairvoyance a consisté à calculer que l'alliance russe, par les affaires d'Orient, nous entraînerait dans une grande guerre européenne et que l'anarchie républicaine appelait, provoquait l'intervention des Allemands.

    Ils ont été tellement sûrs que l'insurrection et la grève générale rendraient la mobilisation impossible en France qu'ils l'ont annoncé. Toute l'Europe centrale a cru pendant quatre jours, sur les nouvelles transmises par Berlin, que le président Poincaré avait été assassiné, que la Commune était proclamée, Paris à feu et à sang, etc. Montesquiou, qui revient d'Orient, avait appris toutes ces gentillesses en Roumanie, où, d'ailleurs, le ministre de France, l'adroit Blondel, était si mal renseigné par son gouvernement que, le 1er août, il annonçait encore que les choses s'arrangeraient. Montesquiou est rentré par Constantinople, où il a rencontré  Georges Rémond, mobilisé aussi et cherchant à rentrer en France. Montesquiou, pariant pour la neutralité de l'Italie, est monté à bord d'un navire italien. Rémond, craignant d'être fait prisonnier par les Italiens qui lui en veulent depuis son voyage en Tripolitaine et les impressions qu'il a rapportées du camp turc où il s'était lié avec Enver et Djemal, a préféré les Messageries. Résultat : Montesquiou a débarqué tranquillement à Brindisi et, vingt-quatre heures plus tard, il était en France.

    A bord de son bateau, où tous les peuples d'Europe étaient représentés, on en venait aux mains entre tripliciens et triple-ententistes. Images de l'ancien monde tout entier...

     

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  • 10 août 1914 ... L'Allemagne escomptait une révolution à Paris

    Reichstag copie.jpgBracke, - de son vrai nom l'helléniste Desrousseaux, - député socialiste de Paris et membre du comité exécutif du parti, se fait l'écho d'une rumeur d'après laquelle l'assassin de Jaurès, un cerveau fragile, aurait été poussé par des agents provocateurs allemands. L'Allemagne escomptait une révolution à Paris qui ne s'est pas produite, mais qu'elle a annoncée tant elle s'en croyait sûre. De son côté, elle aurait fusillé Liebknecht et Scheidemann, les deux chefs socialistes au Reichstag. Cette rumeur contredit l'information du Daily Mail d'après laquelle les cent dix socialistes du Reichstag auraient voté les crédits militaires comme un seul homme, et pris le sac et le fusil, comme l'avait toujours recommandé le vieux Bebel, "kaiser de la social-démocratie". En réalité, nous vivons dans l'ignorance complète de ce qui se passe en Allemagne.

     

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  • 9 août 1914 ... Premiers succès ... La prophétie de Bismarck

    Premier succès : nos troupes sont à Altkirch et à Mulhouse. Emotion grave. Aucun transport. Aucune manifestation : une joyeuse surprise. Les visages, un peu crispés depuis dix jours, se détendent. La proclamation du général Joffre aux Alsaciens parle de la revanche : ce mot naguère honni, presque ridiculisé, abandonné à Déroulède, et devenu soudain officiel, surprend, déroute. Il semble qu'on ose à peine le redire de peur que l'enchantement soit rompu.

    En somme, en nous penchant bien sur nous-mêmes, nous découvrons que le souvenir de 1870 pèse d'un poids écrasant sur l'esprit français. C'est l'accablement de la défaite qui empêche de faire confiance à la victoire. Chose remarquable : les militaires, les chefs, sont seuls à avoir la certitude absolue que nous vaincrons. Dans le reste de la population subsiste un doute. C'est ce doute qui tempère l'enthousiasme, qui empêche de goûter la beauté de l'heure. Je n'aurais jamais cru que le jour où les Français rentreraient en Alsace serait un jour aussi calme, et même (comment ne pas le dire ?) un jour aussi ordinaire...

    Paul Souday me dit qu'il a rencontré Anatole France le lendemain de la déclaration de guerre. Anatole France était triste et croyait à la défaite. Comme Marcel Sembat et comme Renan, il est convaincu que la démocratie ne peut pas faire une guerre heureuse. "Au fond, comme il est réactionnaire", ai-je dit à Souday.  

    Les évènements présents changeront bien des points de vue. Et il va se faire, comme à toutes les grandes dates historiques, une étrange chimie dans le creuset humain.

    Guillaume II vient de lancer une proclamation où il expose les raisons qui l'ont poussé à entreprendre la lutte "contre un monde d'ennemis". Il y explique très clairement qu'il a pensé que le gouvernement impérial devait jusqu'au bout rester fidèle à son allié autrichien, "qui défend sa situation de grande puissance et dont l'humiliation serait la perte de notre puissance et de notre honneur".

    Autrement dit, l'Allemagne s'est exposée à un immense danger pour tirer l'Autriche des embarras où la question d'Orient l'a plongée.  

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    Or cela, c'est exactement la faute que l'Allemagne ne devait pas commettre, c'est la faute capitale contre laquelle elle aurait dû être en garde, car le fondateur de l'Empire, Bismarck lui-même, l'avait prévue, annoncée, décrite sous tous ses aspects. Si le chancelier de fer pouvait voir ce que l'on fait aujourd'hui de son œuvre, de sa politique et de ses conseils, il serait désespéré.

    Dans ses Pensées et Souvenirs, il a consacré tout un chapitre, celui des relations du nouvel Empire allemand avec la Russie, à signaler l'écueil sur lequel ses successeurs viennent de donner.

    La politique de l'Allemagne depuis la fondation de l'unité, disait Bismarck, doit consister "à diriger le vaisseau de l'Etat allemand à travers les courants des coalitions auxquels nous sommes exposés par notre position géographique et nos origines historiques". Bismarck mettait formellement en garde contre "les périls qui reposent dans le sein de l'avenir". Ces périls, c'était de faire intervenir prématurément l'Allemagne dans les affaires d'Orient; c'était encore de rendre ses alliés trop exigeants et de les habituer à compter sur l'Empire allemand : il est impossible de désigner l'Autriche plus clairement.

    Pourquoi l'intérêt de l'Allemagne lui conseillait-il de faire le contraire de ce que Guillaume II et M. de Bethmann-Hollweg ont fait depuis un mois ? Bismarck l'expliquait par un raisonnement d'une limpidité parfaite : 

    "L'Allemagne est peut-être la seule grande puissance européenne qui ne soit tentée par aucune de ces fins que seules peuvent procurer des guerres victorieuses. Notre intérêt est de conserver la paix, tandis que nos voisins continentaux sans exception forment des voeux secrets ou publics que seule la guerre peut remplir. C'est sur ces données que doit se régler notre politique. C'est-à-dire que nous devons, dans le jeu européen, être les derniers à jeter notre carte. Par aucune impatience, par aucune complaisance dont le pays paierait les frais, par aucune vanité, par aucune provocation partie d'une puissance amie, nous ne devons nous laisser entraîner à passer de la phase d'attente dans la phase de l'action. Sinon, plectuntur Achivi."

    Ainsi Bismarck prophétisait la défaite à ses successeurs s'ils faisaient ce qu'ils viennent de faire ces temps-ci. Acceptons l'augure de celui dont le génie avait fondé l'unité allemande et qui devait savoir mieux qu'un autre ce qui la mettrait en danger.

     

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  • 7 août 1914 ... Nous qui aurons prévu, annoncé tout ce qui arrive, que serons-nous pour le monde nouveau qui sortira de la guerre européenne ?

    juleslemaitre.jpgJules Lemaître est mort avant-hier dans sa petite maison. La fidèle Pauline, la femme et la fille de son ami Moureau ont été seuls à suivre le convoi. Nul de nous n'a pu assister à l'enterrement... Nous n'entendrons plus la belle voix, les fines pensées du cher "parrain". Première tristesse de cette guerre... Où sont les charmants dîners intimes de la rue d'Artois ? 1914 fera-t-il coupure entre deux époques comme 1870 ? Nous qui aurons prévu, annoncé tout ce qui arrive, que serons-nous pour la nouvelle génération, pour le monde nouveau qui sortira de la guerre européenne ? 

    Quelle qu'en soit l'issue, les idées, les sentiments, tout ce qui fait l'esprit public ne peut manquer d'être renouvelé. La grande surprise que nous ménage sans doute l'avenir, c'est la métamorphose des radicaux français et des radicaux anglais contraints de faire la guerre et qui finiront par s'adapter, peut-être, à leurs nouvelles fonctions, s'ils ont gardé quelque chose de la vigueur d'âme des conventionnels.

    J'ai des nouvelles de mon cousin C..., radical à la plus vieille mode qui, à la Chambre, avait voté contre les trois ans. La guerre lui a porté un coup terrible. En effet, c'est pour lui dans sa petite ville, comme ç'aurait été pour Jaurès en face de toute la France si Jaurès n'avait été assassiné, la preuve brutalement administrée qu'il s'était trompé, qu'il avait compris tout de travers l'évolution du monde en fondant la politique sur l'idée que la guerre était impossible au XXème siècle...   

    J'aime mieux ce candidat radical-socialiste aux dernières élections législatives dont le concurrent faisait une campagne patriotique sur la question du service de trois ans. Cela se passait aux bords de la Garonne. Lorsque les électeurs, troublés par les arguments du modéré, objectaient au radical : "Tout de même, s'il y avait la guerre ?" l'autre, nullement embarrassé, répondait : "S'il y avait la guerre, les Prussiens ne viendraient jamais jusqu'ici. Alors, pourquoi vous tourmenter ?"    

    Mais cet argument ne pouvait valoir que pour le Sud-Ouest. Et la petite ville de mon cousin est sur la route des invasions.

     

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