12 août 1914 ... C'est avec les tripes des pauvres b... qu'on fait la guerre !
Quel silence ! Les journaux sont pour ainsi dire sans nouvelles. Les renseignements oraux sont invérifiables. Om me dit que le général Joffre a transporté son quartier général à Mézières. Tout fait pressentir que la poussée allemande se fera par le Nord, non par l'Est, qu'une formidable bataille va se livrer dans ces Flandres où le sort de la France s'est si souvent décidé... Bouvines, Azincourt, Rocroy, Denain, Fontenoy, Fleurus, Waterloo... Comment s'appellera la rencontre de demain ?...
Je suis poursuivi par ce mot d'un jeune officier qu'on me répétait ces jours-ci :
"La guerre moderne obéit à des lois telles que la préparation et l'organisation y rendent inutile le génie lui-même."
Le 1er août, à la gare Saint-Lazare, comme je causais avec des mobilisés, je leur disais que le commandement était plein de confiance. L'un d'eux, un mécanicien, je pense, un ouvrier de première classe, en tout cas, me répondit brutalement :
-"Oh ! les chefs !... les chefs !... C'est avec les tripes des pauvres b... qu'on fait la guerre !
Ce mot du jeune officier intellectuel et celui de l'ouvrier parisien se rejoignent. Est-ce qu'ils ne se rejoindraient pas dans la philosophie de Bergson, celle qui subordonne l'intervention de la raison et le rôle de l'intelligence ?