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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1502

  • Pour conclure sur la crise euro-grecque, qui, elle, ne fait que commencer : fin de partie remise ...

     

    La réflexion qui suit, intéressante et juste, est parue dans Causeur. Elle est signée Roland Hureaux. Elle nous semble résumer clairement et synthétiquement la crise grecque et surtout celle de l'euro. Au delà, celle de l'Europe et des nations qui la composent. Plus que la question grecque en elle-même, qui a déclenché, comme ce fut souvent le cas dans notre histoire depuis l'indépendance de la Grèce, une vague de romantisme, d'irréalisme et de passions, c'est en effet notre propre destin et celui de l'Europe qui est en jeu. Et c'est d'une tout autre importance ... LFAR  

     

    74878-hureaux-1,bWF4LTY1NXgw.jpg« Cette fois l’euro est sauvé, la crise grecque est terminée ». Un concert de satisfaction a salué, tant dans les sphères du pouvoir que dans la sphère médiatique, l’accord qui a été trouvé le 13 juillet à Bruxelles entre le gouvenrment Tsipras et les instances européennes – et à travers elles, les grands pays, Allemagne en tête.

    Etonnante illusion : comme si la diplomatie pouvait venir à bout  du réel. N’est ce pas Philippe Muray qui a dit un jour : « Le réel est reporté à une date ultérieure » ?

    Il n’y a en effet aucune chance que cet accord résolve quoi que ce soit.

    Passons sur le revirement étonnant d’Alexis Tsipras qui organise un référendum où le « non » au plan de rigueur de l’Europe est plébiscité avec plus de 62 % de voix et qui, immédiatement après, propose un plan presque aussi rigoureux.

    Aide contre sacrifices

    Ce plan a trois volets : les dettes de la Grèce doivent être étalées ; jusqu’où ? On ne sait pas encore, cela ne sera décidé qu’en octobre . La Grèce recevra de nouvelles facilités à hauteur de 53 milliards d’euros (remboursables), plus le déblocage de 25 milliards de crédits du plan Juncker (non remboursables). Elle doit en contrepartie faire voter sans délai un certain nombre de réformes : augmentation de la TVA, recul de l’âge de la retraite , lutte renforcée contre la fraude fiscale, etc.

    Le volet réforme correspond-t-il à une vraie logique économique ? Appliquées immédiatement, ces mesures plomberont un peu plus l’activité, comme toutes celles que l’on inflige à la Grèce depuis quatre ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ce pays consacre les ressources nouvelles à l’investissement et ne soit tenu de revenir à l’équilibre qu’au moment où la croissance , grâce à ces investissements, repartira. Quel  pays a jamais restauré ses grands équilibres dans la récession ?

    Moins que de considérations techniques, cette exigence de réformes ne s’inspire-t-elle pas plutôt du vieux moralisme protestant : aider les pauvres, soit mais seulement s’ils font des efforts pour s’en sortir ; quels efforts ? Peu importe pourvu qu’ils en bavent !

    Quoi qu’il en soit, pour redevenir solvable et donc rembourser un peu de ce qu’elle doit, la Grèce doit avoir des comptes extérieurs non seulement en équilibre mais excédentaires. Pour cela, elle doit exporter.

    Pourquoi n’exporte-t-elle pas aujourd’hui, et même achète-t-elle des produits comme les olives? Parce que ses coûts sont trop élevés. Pourquoi sont-ils trop élevés ? Parce qu’ils ont dérivé plus que dans les autres pays de la zone euro depuis quinze ans. Et quoi que prétendent certains experts, cela est irréversible.

    Aucun espoir sans sortie de l’euro

    La Grèce a-t-elle un espoir de devenir excédentaire en restant dans l’euro ? Aucun.

    Seule une dévaluation et donc une sortie de l’euro qui diminuerait ses prix internationaux d’environ un tiers lui permettrait de reprendre pied sur les marchés.

    C’est dire que l’accord qui a été trouvé, à supposer que tous les Etats l’approuvent, sera remis en cause dans quelques mois quand on s’apercevra que l’économie grecque (à ne pas confondre avec le budget de l’Etat grec) demeure déficitaire et qu’en conséquence, elle ne rembourse toujours rien.

    On le lui a assez dit : cette sortie-dévaluation sera dure au peuple grec, du fait de l’augmentation des produits importés, mais elle lui permettra au bout de quelques mois de  redémarrer. Sans sortie de l’euro, il y aura aussi des sacrifices mais pas d’espoir.

    Nous pouvons supposer que les experts qui se sont réunis  à Bruxelles savent tout cela. Ceux du FMI l’ont dit, presque en ces termes. Les uns et les autres ont quand même signé.

    Les Allemands qui ont déjà beaucoup prêté à la Grèce et savent qu’ils ne récupéreront rien de leurs créances, réformes ou pas, ne voulaient pas s’engager d’avantage. Ils ont signé quand même. Bien plus que l’attitude plus flexible de François Hollande, c’est une pression aussi ferme que discrète des Etats-Unis qui a contraint Angela Merkel à accepter un accord, envers et contre une opinion allemande remontée contre les Grecs.

    Quant à Tsipras, a t-il dû lui aussi céder aux mêmes pressions (de quelle manière est-il tenu ?) ou joue-il double jeu pour grappiller encore quelques avantages avant une rupture définitive – qui verrait sans doute le retour de Yannis Varoufakis. Les prochains jours nous le diront.

    Le médiateur discret

    On ne comprend rien à l’histoire de cette crise si on ne prend pas en compte, derrière la scène, le médiateur discret de Washington qui, pour des raisons géopolitiques autant qu’économiques, ne souhaite ni la rupture de la Grèce, ni l’éclatement de l’euro.

    Cette donnée relativise tous ce qu’on a pu dire  sur les tensions du  « couple franco-allemand » (ça fait cinquante ans que les Allemands nous font savoir qu’ils n’aiment pas cette expression de « couple » mais la presse continue inlassablement de l’utiliser !). Au dictionnaire des idées reçues : Merkel la dure contre Hollande le mou. Merkel, chancelière de fer, qui tient entre ses mains le destin de l’Europe et qui a imposé son diktat à la Grèce. Il est certes important de savoir que les choses sont vues de cette manière (et une fois de plus notre piteux Hollande a le mauvais rôle !). Mais la réalité est toute autre. Ce que l’Allemagne voulait imposer n’est rien d’autre qu’un principe de cohérence conforme aux traités qui ont fondé l’euro. Ce que Tsipras a concédé, c’est ce qu’il  ne tiendra de toutes les façons pas  parce qu’il ne peut pas le tenir.  Merkel a été contrainte à l’accord par Obama contre son opinion publique. La « victoire de l’Allemagne » est doublement illusoire : elle ne défendait pas d’abord ses intérêts mais la logique de l’euro ; cette logique, elle ne l’a imposée que sur le papier.

    Mais pourquoi donc tant d’obstination de la part de l’Europe de Bruxelles, de la France et de l’Allemagne (et sans doute de l’Amérique) à trouver une solution à ce qui dès le départ était la quadrature du cercle ? Pourquoi tant de hargne vis à vis des Grecs et de tous ceux qui ont plus ou moins pris leur défense, au point d’anesthésier tout débat économique sérieux ?

    Le Monde a vendu la mèche en titrant en grand : « L’Europe évite l’implosion en gardant la Grèce dans l’euro. » Nous avons bien lu : l’Europe, et pas seulement l’euro. Bien que la Grèce ne représente que 2% du PIB de la zone euro, son maintien dans cette zone conditionne la survie de l’euro. Mais par delà l’euro, c’est toute la construction européenne qui semble devoir être remise en cause si la Grèce sortait et si, du fait de la Grèce, la zone euro éclatait. Là encore le paradoxe est grand : comment de si petites causes peuvent-elles avoir de si grands effets ? Ce simple constat montre, s’il en était besoin, la fragilité de l’édifice européen. Cette fragilité réapparaitra qu’on le veuille ou non,  jusqu’à la chute de ce qui s’avère de plus en plus n’être qu’un château de cartes.

    Devant une telle perspective, les Européens, ont dit « de grâce, encore une minute, Monsieur le bourreau. » Une minute ou quelques mois mais  pas beaucoup plus. 

    Roland Hureaux - Causeur

    *Photo : Markus Schreiber/AP/SIPA/VLM133/812735085543/1506081323

  • « La monarchie royale confère à la politique les avantages de la personnalité humaine »

     

    Ces considérations - qui datent d'il y a plus de trois-quarts de siècle - sont largement en concordance - non pas du tout en opposition - avec les récentes déclarations d'Emmanuel Macron (cf. nos notes des 9, 10 et 16 juillet).

    Elles valent d'abord par elles-mêmes et n'ont rien perdu de leur actualité.

    Elles infirment aussi l'opposition - en soi, selon nous, parfaitement infondée - que François Huguenin a cru devoir marquer entre la réflexion d'Emmanuel Macron et le royalisme de Charles Maurras. Ceci dans un article pour Figarovox, par ailleurs fort intéressant *.

    Sur l'absence de roi, figure humaine, sur la capacité d'incarnation d'une monarchie royale, on verra qu'Emmanuel Macron et Charles Maurras disent, tout simplement, la même chose.

    On se reportera donc aux textes et cela suffira. A éveiller notre intérêt, à susciter notre réflexion.  LFAR 

    Le texte de Charles Maurras, ci-dessus, a été opportunément repris  par François Marcilhac, directeur éditorial de L’Action Française 2000, en réponse à François Huguenin. Sur le fond, nous sommes d'accord avec l'argumentation de François Marcilhac   

    * François Huguenin y écrit notamment : « L’appel à la mémoire du roi d’Emmanuel Macron, n’a rien à voir avec la redoutable dialectique royaliste d’un Maurras. [...] Il y a chez Maurras l’illusion d’une perfection de l’institution monarchique qui se suffit à elle-même, alors que le politique a besoin d’incarnation, et donc d’abord d’hommes, au-delà des systèmes. De ce point de vue-là Maurras est plus moderne (au sens de désincarné) que Macron, et Macron plus près du réalisme d’Aristote que Maurras. » 

    On verra en lisant Maurras que ces affirmations - non dénuées d'aspects querelleurs  -n'ont pas grande apparence de justification.

  • L'ÉCHEC DES GOUVERNANTS par HILAIRE DE CRÉMIERS

    Les tours de passe-passe ne prennent plus.

     

    H D C - Copie.jpgLe feuilleton grec risque de s'achever en drame et chacun sait qu'une tragédie grecque est d'allure cosmique et de sens universel. Encore faut-il en comprendre la portée ! 

    L'affaire grecque est le caillou dans la chaussure de l'Europe. Il lui blesse le pied depuis des années. C'était un petit caillou, croyait-on; de peu d'importance, ajoutait-on. La blessure ulcérée est devenue énorme et, maintenant, le caillou sorti ou pas sorti - il sortira évidemment et il faudra même qu'il sorte -, la plaie envenimée risque de gangrener toutes les parties basses et faibles de l'organisme européen. L'affaire est très mal partie parce que, dès le début, elle était très mal engagée. Les conséquences sont imprévisibles dans leur totalité. C'était, pourtant, cette possibilité de détérioration et cette imprévisibilité même des suites qu'il fallait précisément prévoir.

    Les dirigeants français comme les dirigeants européens n'ont rien su voir ni prévoir. Les discours tenus, il n'y a pas encore un mois, étaient d'une affligeante nullité. Personne ne reviendra dessus, ce qui serait pourtant le plus sûr, le plus juste et le plus terrible des jugements. Ni Sapin, ni Moscovici, ni Hollande, ni Juncker ne supporterait un tel examen critique. Tout ce monde-là s'est trompé et lourdement trompé. Leurs prédécesseurs pareillement.

    Parce qu'ils se sont toujours sortis des échéances précédentes, mais en aggravant à chaque fois les échéances suivantes, ils s'imaginaient et s'imaginent encore - même aujourd'hui - qu'il y aura des solutions et la crédulité publique se satisfait de cette facile persuasion.

    Comme il est écrit dans ces colonnes régulièrement et depuis presque huit ans, l'astuce maléfique de part et d'autre des partenaires européens a été d'entretenir une subtile et constante confusion entre liquidité et solvabilité. Chacun y avait avantage. Il était si facile de dire et de se dire qu'il suffisait d'approvisionner en liquidités pour que les problèmes soient résolus, ce qui permettait, en outre et en compensation, aux bailleurs de liquidités d'exiger des réformes structurelles de toutes sortes dans le cadre d'un technocratisme libéral qui est le fin mot de la doctrine bruxelloise et, de plus, surtout dans les débuts, d'obtenir des retours fort avantageux sur investissernents ou sur prêts, en tout cas pour les malins.

    Un tel système ne pouvait fonctionner qu'un temps. C'est que la réalité grecque se ramenait, en fait, à une question de solvabilité et, comme toujours en pareil cas, l'insolvabilité, quand elle est niée. ne cesse de s'accroître et, même en supprimant une partie considérable des dettes, l'échéance fatale survient inéluctablement et brusquement avec des chiffres démesurément grossis. Qu'on veuille bien se souvenir des chiffres d'il y a seulement quatre ans ! La machinerie européenne, à en croire les financiers de l'époque, n'aurait dû en faire qu'une bouchée !

    CONSÉQUENCES INCALCULABLES 

    Aujourd'hui les créances sur la dette grecque sont tout simplement irrécouvrables. Les Grecs le savent et ils veulent se donner les moyens de l'annuler - ou équivalemment de la reporter indéfiniment -, politiquement par un référendum, économiquement par un chantage sur l'économie européenne, financièrement par une pression sur la zone euro qui pourrait aller jusqu'à l'explosion. Les mois qui suivent seront décisifs, que la Grèce sorte de la zone euro ou même qu'elle prétende y rester d'une manière ou d'une autre. Dans le premier cas elle provoque un choc sur le système des dettes dont nul ne peut appréhender les séismes consécutifs, dans le second cas, elle continue de plomber le même système et sans fin. Tout cela est évidemment absurde. Et signale amplement l'échec d'une politique insensée et de toute une doctrine qui sert de justification à l'élite dirigeante européiste depuis trente ans. La catastrophe sera à l'échelle de l'illusion qui a été savamment entretenue.

    Il ne sert à rien de stigmatiser Tsipras : ses prédécesseurs, socialistes ou conservateurs, ont créé avec la complicité des eurocrates, la situation qu'il tente éperdument de dénouer comme un politicien qu'il est. Dire que la Grèce remontait la pente au prétexte que les circuits financiers avaient été allégés, relève de la supercherie. Car les chiffres sont implacables. L'euro n'était tout simplement pas une monnaie faite pour la Grèce. Et, d'ailleurs, la situation sera identique bientôt dans le reste de l'Europe, malgré les efforts demandés aux peuples. 

    Se gargariser avec des déficits primaires dont on dit qu'ils sont réduits ou supprimés, ne transforme pas le poids réel de la dette, ni n'évite l'écrasement des économies. Les comptables de Bruxelles en sont au trafic de bilans. Ou, comme nos politiques et nos financiers, aux assurances verbales. C'est toujours du genre bien connu : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Ni l'Italie ni la France ne sont en état de supporter un choc sur leur dette souveraine. Surtout si la spéculation s'y met. La vérité est que leur dette, comme celle de la Grèce, n'a plus de prise sur la réalité. Les astuces de Mario Draghi ne changent pas les données fondamentales : les liquidités déversées par milliards ne servent pas concrètement à l'économie, malgré tout ce qui se dit, et n'améliorent pas la solvabilité d'un pays quand il est devenu en fait totalement insolvable. La dette française, comme celle de beaucoup d'autres pays, mais elle plus que les autres, est insoutenable : c'est du simple bon sens. Elle ne se réduit pas, elle se prolonge, s'installe dans la durée, s'alourdit et se refinance... jusqu'à quand. 

    PÉRILS POUR LA FRANCE 

    Il n'y a que François Hollande et son creux de Sapin pour croire et faire croire que l'économie française redémarre et, en plus, dit-il ingénument, grâce à lui ! Les chiffres d'activité passagère ne signifient rien. Ce qui est certain, c'est l'effondrement de pans entiers de l'économie nationale et la disparition incessante de postes d'emplois dans la vie des entreprises. Les gens avertis savent, en outre, que les sanctions stupidement prises par l'Europe contre la Russie pour complaire aux Américains, vont coûter plus cher aux Européens qu'aux Russes. Les exportations en sont frappées. Malgré le mépris évident des États-Unis pour l'Europe - l'affaire des écoutes n'en est qu'un détail mais qui l'illustre parfaitement -, le traité transatlantique, qui les avantage de toutes les façons, sera accepté comme tous les précédents par nos dirigeants sans culture et sans honneur. 

    Alors que le malaise français se ressent à tous les niveaux, dans les villes, chez les commerçants et les artisans, dans le fond des campagnes, dans toutes les entreprises petites, moyennes et grandes dont quelques-unes sont littéralement bradées, alors que les familles sont atteintes jusque dans leurs enfants livrés aux diktats imbéciles d'un gouvernement sans âme, ni foi, ni loi et que l'Académie française se voit dans l'obligation - rarissime - de rappeler à l'ordre, alors surtout que les risques intérieurs se conjuguent aux risques extérieurs que plus personne ne peut raisonnablement évaluer et que, pendant ce temps, pourtant, l'intérêt du chef de l'État comme de toute la classe politique se porte essentiellement sur les futures élections dont, évidemment, la présidentielle, la guerre civile commence chez nous. La première décapitation a eu lieu, sous les yeux effarés des Français. L'islamisme profite de la dislocation sociale de notre pays. Qui en est responsable ? Quelle politique intérieure, quelle politique extérieure ont abouti à ce résultat ? Le pape François a raison de souligner la responsabilité écrasante des dirigeants occidentaux qui, ne travaillant jamais que pour leurs intérêts et leurs ambitions, ont tout simplement oublié le bien commun. À quand de vrais chefs ? • 

    Politique magazine

     

  • Quelle extraordinaire déclaration d'Emmanuel Macron, chers lecteurs de Lafautearousseau ! Elle mérite qu'on y revienne ...

     

    Cette déclaration est extraordinaire. Extraordinaire à plus d'un titre. Et c'est pourquoi nous la redonnons à lire, in extenso, ce matin.

    Tout d'abord, elle est profonde. Elle sourd d'une réflexion véritable. Et originale. Rarissime phénomène de la part d'un homme politique contemporain - qui plus est appartenant à la génération Macron.

    Elle est extraordinaire venant d'une personnalité issue des milieux, très formatés au politiquement correct, que Macron est censé fréquenter  - qu'ils soient de droite ou de gauche, d'ailleurs. 

    Elle est extraordinaire aussi parce qu'elle émane d'un ministre en exercice, titulaire d'un portefeuille de premier rang. Et qui relève un vice fondamental de nos Institutions.

    Elle est extraordinaire, enfin, parce qu'elle n'a pas été sanctionnée. Bien que sa remarque finale concerne non pas exclusivement mais tout de même personnellement le Chef de l'Etat... Ni Valls ni Hollande ne l'ont relevée. Comme si leur pouvoir était évanescent. Comme s'ils ne songeaient même plus à en défendre le principe. Cela aussi est extraordinaire. 

    Dans le domaine de l'extraordinaire, le pire est souvent à venir. Mais heureusement, pas toujours ! 

  • La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe ?

    (Crédits : REUTERS/Stringer/Pool)

    Notre analyse de la crise grecque, nous l'avons donnée mardi dernier 7 juillet. L'on peut s'y reporter. Sur ce sujet brûlant, nous ne voulons pas d'une réflexion qui se fonderait sur un sentiment d'antipathie ou au contraire d'empathie à l'égard du peuple grec. Nous traitons des intérêts de la France, de sa politique étrangère, de sa position au sein de l'Europe et des menaces que fait peser sur son existence même, non pas une concertation européenne réaliste des Etats et des nations, mais une certaine idéologie européiste, en réalité libéralo-mondialiste, aujourd'hui dominante. Un commentaire pertinent et raisonnablement mais très profondément critique de l'accord du 13 juillet a été donné par la Tribune. Il s'agit d'une analyse qui va beaucoup plus loin que le seul terrain économique. Pour, le cas échéant, en débattre, nous versons cet article au dossier déjà fort volumineux de l'affaire grecque. Il s'agit en réalité de la remise en cause de l'idéologie libéralo-européiste.  LFAR

     

    Les dirigeants de la zone euro ont imposé un accord aux conditions encore plus dures, presque punitif, aux Grecs. Mais la défaite d'Alexis Tsipras résonne comme une défaite pour toute la zone euro.

    Jamais, dans le jargon européen, le terme de « compromis » n'aura semblé si peu adapté. « L'accord » atteint au petit matin du 13 juillet entre la Grèce et le reste de la zone euro a désormais des allures de déroute pour le gouvernement grec. Une déroute qui a un sens pour le reste de l'avenir de la zone euro.

    Erreur stratégique

    Avant d'en venir aux conséquences, il faut expliquer cette défaite d'Athènes. Le gouvernement grec avait accepté jeudi soir le plan des créanciers présenté le 26 juin. Un plan déjà extrêmement difficile à accepter pour la majorité parlementaire grecque. Cette dernière s'était d'ailleurs fissurée vendredi soir dans le vote à la Vouli, le parlement grec. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pouvait cependant alors prétendre pouvoir arracher un accord sur la dette comme « compensation. » Malheureusement pour lui, les créanciers ont alors immédiatement compris le message : l'exécutif grec craignait davantage la sortie du pays de la zone euro que l'abandon de son propre programme. On aurait pu s'en douter dès le 22 juin lorsqu'Athènes avait déjà présenté un plan d'austérité. Mais le « non » au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au premier ministre pour réaliser le Grexit. Il n'en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu'il a commis l'erreur de ne pas le préparer.

    La curée

    Dès lors, la position grecque était extrêmement fragile. En effet, pour un petit pays aussi affaibli et endetté que la Grèce, la seule force dans les négociations était la menace de la sortie de la zone euro. Menace que, sans doute, il fallait éviter de mettre en oeuvre si c'était possible, mais qu'il fallait brandir assez sérieusement pour faire douter le camp d'en face. Dès lors que cette menace était levée, Athènes n'avait aucun moyen de pression. La position grecque s'était alors entièrement découverte. Et les créanciers ont pu, sans crainte d'une rupture, augmenter leurs exigences. Pour cela, le moyen était fort simple : il suffisait de menacer la Grèce d'une sortie de la zone euro. Comme cette dernière n'en voulait à aucun prix, il était simple de lui faire accepter d'autres conditions et d'annuler ainsi une partie des succès obtenus durant six mois de négociations, notamment le retour des « revues » de la troïka, l'instauration du travail du dimanche et la mise en place d'un fonds de 50 milliards d'euros issus des privatisations pour recapitaliser les banques, rembourser la dette et faire des investissements productifs. Et pour bien faire comprendre à la Grèce qu'elle devait filer droit cette semaine et voter les « réformes » souhaitées, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a prévenu que le « Grexit n'était pas encore exclu. »

    Quelques succès ?

    Les créanciers ont donc tellement tourmenté Alexis Tsipras que ce dernier a pu présenter quelques concessions sur les exigences nouvelles de ce week-end comme des succès : l'absence de Grexit, le maintien du Fonds en Grèce (et non son transfert au Luxembourg comme l'Eurogroupe l'avait demandé) ainsi que le report d'un quart de son montant sur des investissements productifs (autant que la part réservée aux créanciers et moitié moins que celle réservée pour les banques). Mais son seul vrai succès est d'avoir obtenu l'ouverture d'une discussion sur un « reprofilage » de la dette, autrement dit sur un nouvel échéancier. Mais il faut se souvenir que ce plan va encore augmenter la dette et qu'un rééchelonnement risque simplement de « lisser » les effets de cette augmentation. Et, comme on a pu le constater, Athènes est tout sauf en position de force pour bien négocier ce rééchelonnement. Encore une fois, les créanciers - et Angela Merkel l'a confirmé explicitement - restent attachés au mythe de la viabilité de la dette publique grecque. Un mythe qui va continuer de coûter cher à la Grèce qui va ployer pendant des décennies sous le poids absurde de cette dette, la condamnant à une austérité sans fin et à la méfiance des investisseurs.

    Prélude à la chute d'Alexis Tsipras ?

    Alexis Tsipras va devoir désormais faire accepter ce plan à son parlement. Or, ce plan n'est rien d'autre qu'une négation explicite des deux votes grecs du 25 janvier et du 5 juillet. Les créanciers avaient pour but, d'emblée, d'obtenir l'annulation de fait de ces votes. Ils sont en passe de l'obtenir. Les parlementaires de Syriza ont désormais le choix entre provoquer une crise politique en désavouant Alexis Tsipras et adoptant un programme basé sur la sortie de la zone euro ou devenir un nouveau Pasok, un parti qui tente de « réduire l'impact » des mesures des créanciers sans avoir aucune certitude d'y parvenir. Face à un tel choix, Syriza pourrait se scinder, comblant les vœux des créanciers et de Jean-Claude Juncker qui souhaitait, en janvier, « revoir des têtes connues. » Car, avec de nouvelles élections, qui semblent désormais inévitables, les perdants des 25 janvier et 5 juillet pourraient profiter de cette division pour remporter le scrutin. Quoi qu'il en soit, si le Syriza « modéré » d'Alexis Tsipras l'emporte, sa capacité de résistance est désormais très faible. Le « danger politique » est écarté, comme le voulaient les dirigeants de la zone euro.

    La victoire de Tsipras : un révélateur de la nature de la zone euro

    Il est cependant un point sur lequel Alexis Tsipras a clairement gagné : il a mis à jour par ses six mois de résistance et ce déchaînement de « vengeance » comme le note ce lundi matin le quotidien britannique The Guardian en une, la nature de la zone euro. Ce lundi 13 juillet, on y voit plus clair sur ce qu'est la zone euro. A l'évidence, les gouvernants européens ont agi comme aucun Eurosceptique n'aurait pu l'espérer.

    L'imposition de la logique allemande

    D'abord, on a appris que l'euro n'était pas qu'une monnaie, mais aussi une politique économique particulière, fondée sur l'austérité. Le premier ministre grec avait fait le pari que l'on pouvait modifier la zone euro de l'intérieur et réaliser en son sein une autre politique économique. Preuve est désormais faite de l'impossibilité d'une telle ambition. Les créanciers ont clairement refusé une réorientation de la politique d'austérité budgétaire qui, pour un pays comme la Grèce, n'a réellement plus aucun sens aujourd'hui et l'empêche de se redresser. On a continué à imposer cette logique qui fonde la pensée économique conservatrice allemande : la réduction de la dette et la consolidation budgétaire ont la priorité sur une croissance économique qui ne peut être le fruit que « d'efforts douloureux » appelés « réformes. » Même dans un pays économiquement en ruine  comme la Grèce qui a démontré empiriquement l'échec de cette logique. Si Alexis Tsipras a perdu son pari, il n'est pas le seul fautif. Les Etats européens comme la France et l'Italie le sont aussi, qui en validant les réformes engagées depuis 2011 dans la zone euro (Two-Pack, Six-Pack, MES, semestre européen, pacte budgétaire) ont assuré la prééminence de cette logique.

    Français et Italiens ne peuvent donc pas s'étonner de la radicalisation de l'Allemagne et de ses alliés. Ils l'ont préparée par leur stratégie de concessions à Berlin, se trompant eux-mêmes sur leur capacité future de pouvoir ainsi « infléchir » la position allemande dans le futur.

    Gouvernance économique aveugle

    La gouvernance économique de la zone euro - jadis tant souhaitée par les gouvernements français - existe donc bel et bien, et ne souffre aucune exception, fût-elle la plus modérée. Aussi, qui veut la remettre en cause devient un adversaire de l'euro. La diabolisation de Syriza pendant six mois l'a prouvé. Ce parti n'a jamais voulu renverser l'ordre européen, le gouvernement grec a rapidement fait de larges concessions (que l'on songe à l'accord du 20 février). Mais sa demande d'une approche plus pragmatique dans le traitement du cas grec conduisait à une remise en cause de la vérité absolue de la logique "austéritaire" décrite plus haut. Il fallait donc frapper fort pour faire cesser à l'avenir toute velléité de remise en cause de l'ordre européen établi. Il y a dans cette Europe un air de « Sainte Alliance » de 1815, révélé désormais au grand jour. Comment autrement expliquer cet acharnement face à Athènes ce week-end, cette volonté de « vengeance » ? Alexis Tsipras avait cédé sur presque tout, mais ce n'était pas assez, il fallait frapper les esprits par une humiliation supplémentaire.

    Identification entre euro et austérité

    Le problème, c'est que, désormais, l'identification entre l'euro et l'austérité est totale. Le comportement des dirigeants de la zone euro avant et après le référendum pour faire du « non » aux mesures proposées un « non » à l'euro le prouvent aisément. La volonté explicite de durcir les conditions imposées à la Grèce pour rester dans la zone euro ce week-end enfonce le clou. Aujourd'hui, c'est bien la question de la « réforme de la zone euro » et de sa gouvernance qui est posée. C'est un cadeau magnifique fait en réalité aux Eurosceptiques qui auront beau jeu désormais de fustiger la faiblesse d'Alexis Tsipras et de faire de la sortie de la zone euro la condition sine qua non d'un changement, même modéré, de politique économique. Cette fin de semaine, une certaine idée, optimiste et positive, de la zone euro a perdu beaucoup de crédibilité.

    Grexit ou pas, le précédent existe désormais

    Du reste, ceux qui se réjouissent d'avoir sauvé l'intégrité de la zone euro se mentent à eux-mêmes. Pour la première fois, l'impensable a été pensé. L'irréversibilité de l'euro est morte au cours des deux dernières semaines. Grexit ou pas, la possibilité d'une sortie de la zone euro est désormais établie. La BCE l'a reconnue par la voix de deux membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio, et l'Eurogroupe en a explicitement menacé la Grèce. Dès lors, la zone euro n'est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous ses Etats membres par des compromis équilibrés. Elle est un lieu de domination des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien. Et ceux qui ne se soumettent pas à la doctrine officielle sont sommés de rendre les armes ou de sortir. On accuse Alexis Tsipras d'avoir « menti » à son peuple en prétendant vouloir rééquilibrer la zone euro. C'est faux, car il ne connaissait pas alors la nature de la zone euro. Maintenant il sait, et les Européens aussi.

    C'est la réalisation du projet « fédéral » de Wolfgang Schäuble : créer une zone euro plus centralisée autour d'un projet économique accepté par tous, ce qui suppose l'exclusion de ceux qui le remettent en cause. Angela Merkel s'est ralliée à ce projet parce qu'elle a compris qu'Alexis Tsipras ne sortirait pas de lui-même. Elle a donc pensé pouvoir obtenir la discipline et l'intégrité de la zone euro. Mais elle se trompe, elle a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l'avenir au projet européen. De ce point de vue, peu importe que le Grexit n'ait pas eu lieu  : sa menace suffit à modifier la nature de la zone euro.

    La nature de l'euro

    L'euro devait être une monnaie qui rapprochait les peuples. Ce devait être la monnaie de tous les Européens. Or, cette crise a prouvé qu'il n'en est rien. On sait que, désormais, on peut priver certains habitants de la zone euro de l'accès à leur propre monnaie. Et que cette privation est un moyen de pression sur eux. Il sera donc bien difficile de dire encore « l'euro, notre monnaie » : l'euro est la monnaie de la BCE qui la distribue sur des critères qui ne prennent pas en compte le bien-être des populations, mais sur des critères financiers dissimulant mal des objectifs politiques. L'euro est, ce matin, tout sauf un instrument d 'intégration en Europe. En réalité, on le savait depuis la gestion de la crise de Chypre en 2013, qui, on le comprend maintenant, n'était pas un « accident. »

    Le choc des démocraties réglé par le protectorat

    La résistance d'Alexis Tsipras et l'accord obtenu mettent également à jour le déséquilibre des légitimités démocratiques. Longtemps, l'argument a été que les Grecs ne pouvaient pas imposer leurs choix démocratiques aux autres démocraties. Ceci était juste, à condition que ce soit réciproque.

    Or, ce lundi 13 juillet, la démocratie grecque a été fragilisée et niée par ses « partenaires » européens. On a ouvertement rejeté le choix des Grecs et imposé à la place celui des autres gouvernements démocratiques. Le débat ne se tenait pas entre démocraties mais entre créanciers et débiteurs. Jamais la zone euro n'a voulu prendre au sérieux les choix grecs. Et toujours on a cherché à se débarrasser de ceux qui étaient issus de ces choix. Il est donc possible de faire d'un pays de la zone euro une forme moderne de protectorat financier. C'est là encore un dangereux cadeau fait aux Eurosceptiques qui auront beau jeu de venir se présenter en défenseurs de la souveraineté populaire et de la démocratie.

    Plus d'intégration ?

    François Hollande a promis « plus d'intégration » dans la zone euro les mois prochains. Ceci ressemble dangereusement à une fuite en avant. Angela Merkel a prouvé qu'elle avait choisi le camp de Wolfgang Schäuble, de concert avec la SPD. On ne peut donc que s'inquiéter de cette promesse de l'hôte de l'Elysée qui ne peut aller que dans le sens des erreurs commises. Enivrée par leurs victoires sur un peuple déjà à genoux, les dirigeants de la zone euro doivent prendre garde de ne pas aggraver encore un bilan qui, au final, est aussi négatif pour les vainqueurs que pour les vaincus. 

    Romaric Godin - La Tribune 13.07.2015

     

  • Guy Mettan - « Russie : l’attitude des intellectuels français ? Une énorme déception »

     

    Entretien réalisé par Grégoire Arnould

    Homme politique et journaliste suisse – détenteur également de la nationalité russe-, Guy Mettan vient de publier aux éditions des Syrtes Russie-Occident, une guerre de mille ans. Une enquête sur la russophobie occidentale qui trouve sa source, selon l’auteur, dans l’action de Charlemagne et le schisme qui a suivi, deux siècles plus tard. Depuis, rien n’a changé et la Russie est toujours regardée par les Occidentaux d’un œil méfiant et suspectée des pires crimes, même lorsqu’elle est innocente.

    Dans quel contexte avez-vous écrit ce livre ?

     Je dispose de la double nationalité suisse et russe depuis quelques années, ce qui m’a rendu plus attentif à la manière dont la presse occidentale parlait de ce pays. Et comme mon domaine d’activité est précisément le journalisme, j’ai voulu écrire sur ce sujet. A savoir que mes confrères tordent la réalité russe ou la présentent systématiquement de manière biaisée. Cette façon de procéder n’est pas conforme aux standards journalistiques. Mon livre a vocation à rétablir certaines vérités.

    Cette manière de traiter la Russie est-elle équivalente en Suisse et en France ?

     En France, c’est pire ! La presse française ne remplit pas sa mission d’information. Elle cite toujours les mêmes sources, ne confronte jamais les opinions et, dans le cas de la Russie, ne donne jamais la parole à ceux qui défendent la position russe. Cela m’avait particulièrement marqué lors des JO de Sotchi. C’était un russian-bashing terrible alors que la Russie, qui avait payé de sa poche tous les investissements nécessaire à l’organisation de ces JO, n’avait rien à se reprocher ! Cela n’a pas empêché les Occidentaux de l’accuser de tous les maux de la terre : soi-disant déplacements de populations, soi-disant répression de militants LGBT. Puis la couverture médiatique occidentale et particulièrement française des récents événements en Ukraine m’ont tellement agacé que cela a fini par me convaincre de la nécessité d’écrire ce livre.

    L’objet de votre livre est de dénoncer cette russophobie ?

     Je suis parti de la situation actuelle et j’ai pris quatre exemples contemporains où, bien que la Russie ne soit absolument pas en cause, elle a été jugée coupable. D’abord, l’affaire du crash d’Uberlingen en 2002 où un avion russe Tupolev) et un Boeing de la compagnie DHL sont entrés en collision. On a accusé tout de suite le pilote russe d’être responsable de l’accident, arguant qu’il avait trop bu ou qu’il ne parlait pas anglais etc. Des accusations sans aucune analyse ! 48 heures après, l’enquête a démontré qu’il s’agissait d’une erreur des aiguilleurs du ciel suisse de Zurich. Même chose, en 2004, avec la tragédie de Beslan. 1 000 enfants sont alors pris en otage par des Tchétchènes. Qui est accusé ? Les Russes ! Imaginez si l’on avait accusé les Américains d’être responsables du 11 septembre… Autre illustration : la Géorgie en 2008. Toutes les enquêtes, même celles du Conseil de l’Europe, pourtant pas pro-russe, ont montré que ce sont les Géorgiens qui ont attaqué les premiers. Ce qui n’empêche pas les grands journaux nationaux, aujourd’hui encore, sous la plume de journalistes en principe qualifiés, d’expliquer que c’est un coup des Russes ! Un mensonge éhonté, une nouvelle fois.

    Comment expliquer cette mise en accusation permanente des Russes ?

     Une grande partie du livre est, justement, une enquête historique. Mon objectif était de chercher les causes de la russophobie dans l’histoire. Je suis remonté jusqu’à Charlemagne. C’est la première rivalité géopolitique entre l’Occident et le monde greco-oriental. Ensuite, la rupture s’est poursuivie sur le plan religieux avec le schisme de 1054 et la naissance du Saint Empire Romain Germanique. Après la chute de Constantinople, quand la Russie a repris à son compte l’héritage byzantin, les préjugés anti-grecs se sont transférés sur la Russie. Il faut attendre le XVIIIe siècle, sous Pierre Le Grand, pour entrevoir des moments de russophilie, avec notamment Voltaire ou Diderot… Mais dès la fin du siècle, une nouvelle forme de russophobie se développe en France avec Montesquieu… Elle s’est caractérisée par la rédaction d’un faux testament de Pierre Le Grand, que Napoléon a refait imprimer juste avant la campagne de Russie pour légitimer son intervention militaire. Il y était écrit que les Russes projetaient une invasion et une annexion de l’Europe.

    La Russie n’est-elle donc qu’un bouc-émissaire ?

     On reproche à la Russie son manque de démocratie… Pourtant, aujourd’hui comme hier, les Anglais ou les Américains ne se sont jamais interdits de s’allier avec les pires despotes de la planète ! Que l’on pense aux sultans de l’empire ottoman ou aux émirs d’Arabie Saoudite de nos jours. Faut-il rappeler qu’il y a eu cent décapitations chez les Saoudites au premier semestre 2015 ? Combien en Russie ? A-t-on entendu Obama s’indigner ? On a ainsi affaire à un double langage des Occidentaux, qui utilisent la démocratie comme un prétexte.

    Derrière ce double langage, faut-il y voir une peur du réveil russe ?

    Du point de vue géopolitique, les Russes sont les concurrents directs des Anglo-saxons pour la maîtrise du monde. D’où l’interventionnisme des Américains au sein de l’Union européenne pour déstabiliser la Russie. C’est écrit noir sur blanc chez Zbigniew Brzeziński, l’un des plus influents géopoliticiens américain : la Russie est un obstacle pour les ambitions américaines. Dès lors, les événements d’Ukraine apparaissent sous un jour différent ! Les stratèges américains n’ont pas beaucoup de scrupules.

    Et en France, pourquoi ce sentiment anti-russe ?

    C’est une énorme déception que de voir l’attitude des intellectuels français. De Gaulle avait compris que la force de la France reposait sur le maintien des équilibres entre l’Europe et les États-Unis en s’appuyant, si nécessaire, sur la Russie. En entrant dans l’Otan, elle a abdiqué toute autonomie et indépendance de pensée. Je suis frappé de voir à quel point ce pays, qui est le seul en Europe à pouvoir faire contrepoids à l’Allemagne, n’existe presque plus sur la scène internationale. Elle pourrait pourtant retrouver son influence en tendant intelligemment la main à la Russie. 

    Russie-Occident, une guerre de mille ans, de Guy Mettan, éditions des Syrtes, 472p., 20 euros. 

  • Avec Jacques Bainville, déconstruire le premier et le plus sordide des pseudo "mythes fondateurs" de la Révolution et du Système

     

    2464260466.jpg"Les ridicules légendes de la Bastille", les "canailles... et les plus sinistres gredins... de mauvaises gens, des criminels capables de tout ", disait Bainville... Ridicules et tragiques légendes, oui, mais annonciatrices et créatrices de la Terreur.

    Il n'y a a jamais eu de "prise" de la Bastille, mais la perfidie d'une poignée d'émeutiers sanguinaires, brutes avinées, assassins et terroristes dans l'âme, lesquels, après avoir promis liberté et vie sauve aux quelques dizaines d'hommes présents dans le lieu n'eurent rien de plus pressé que de les massacrer, de couper leurs têtes et de les promener dans les rues au bout de piques ! Toutes proportions gardées, c'est un peu ce qu'a fait Yassin Salhi avec son patron, à Saint Quentin Fallavier : le décapiter et planter sa tête sur les grilles de l'usine !

    Pourquoi ce rapprochement avec Daech ? Tout simplement parce que, même s'il peut surprendre de prime abord, il n'est nullement hors de propos : comme Daech, qui fait commencer l'Histoire avec Mahomet et détruit tout ce qui précède, la Révolution, et notre actuel Système qui en est l'héritier et la "pratique" au quotidien, fait commencer la France en 1789; et la Révolution a  allègrement détruit entre le quart et le tiers du patrimoine français, crime contre la France mais aussi contre l'Art et l'Humanité, dont on sait qu'ils sont imprescriptibles...

    Et tout cela a commencé avec, et par, la pseudo "prise" de la Bastille, vocabulaire bidon employé pour masquer une horreur et une monstruosité, matrice de la Terreur, comme l'a fort bien montré François Furet, historien véritable et honnête, qui avait pourtant commencé sa trop courte carrière... à l'extrême extrême-gauche ! : Furet écrit que, dès cet épisode du 14 juillet 89, la Terreur est en gestation, "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires"...

    Certes, officiellement, c'est la Fête de la Fédération que l'on célèbre, le 14 juillet, mais l'ambigüité persiste : ce matin, à 7h15 (rubrique "Expliquez-nous", sur France info) Elise Delève l'a bien dit : c'est "la prise de la Bastille" que l'on célèbre. En voilà une, le jour où l'on créera la Légion des Ignares, qui devra être, directement, "Grand-Croix" ! Une ambigüité, donc, malsaine et savamment entretenue par le Système, qui persiste à parler des "valeurs républicaines", alors que Les valeurs républicaines, ça n'existe pas ! : ce court passage, c'est Denis Tillinac qui l'a écrit, mais Chantal Delsol, Eric Zemmour et bien d'autres - et de plus en plus d'autres... - le disent...

    Liberté ? Mais la France est étouffée dans un carcan de plus de 420.000 Lois et règlements, qui font que la fertilité du peuple est étouffée par la stérilité des "gouvernants" (?)...

    Egalité ? Mais l'augmentation des inégalités s'accroit à une vitesse vertigineuse, l'écart des salaires a atteint des records difficilement imaginables il y a seulement quelques décennies, et  - par la démolition de l'Ecole - le Savoir est maintenant réservé à une "élite" du fric, qui peut payer de vraies études à ses enfants, alors que la masse ne reçoit plus qu'un très léger vernis, très largement dévalorisé...

    Fraternité ? Mais comment parler de Fraternité dans un Système héritier de la Révolution qui a perpétré le premier Génocide des Temps modernes - le Génocide vendéen - et qui se dilue aujourd'hui dans le communautarisme ?...

    Les seules "valeurs républicaines" que nous rapporte ce monstrueux "14 juillet 1789", c'est la Terreur, le Totalitarisme, le Génocide...

    Voici le texte de Jacques Bainville (Journal, Tome III, note du 15 juillet 1929) :

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  • Les mérites du rapport de Malek Boutih sur la « génération radicale »

     

    Nous avons déjà évoqué (vendredi 10 juillet) les analyses de la radicalisation islamiste de Malek Bouth, en publiant le fort pertinent article que Pascal Bories leur a consacré dans Causeur. Un autre commentaire s'y ajoute aujourd'hui : celui de Chantal Delsol.

     

    Le point de vue de Chantal Delsol

     

    Chantal_Delsol.jpgL'ancien président de SOS-Racisme ne craint pas d'arriver aux mêmes conclusions que des observateurs classés à droite, d'où la hargne qu'il suscite dans sa famille politique, explique Chantal Delsol*.

    Le rapport Malek Boutih pose le problème des causes émotionnelles et sociales des phénomènes extrémistes : les fanatiques du djihadisme (on pourrait dire aussi bien: du nazisme et du communisme) sont-ils de véritables croyants, ou plutôt des gens mal à l'aise dans leur propre vie ? Nous savons bien que les sentiments et les émotions jouent un rôle dans les engagements. Pourtant, la frustration sociale, l'échec personnel peuvent-ils suffire à expliquer le succès de Daech dans les pays occidentaux ? Et peut-on nier qu'il s'agisse là d'un courant de pensée, même s'il nous apparaît incroyablement fruste et barbare ? Au début, quand Daech s'appelait al-Qaida, nos observateurs avaient tendance à voir dans ses adeptes des gens analphabètes frustrés de n'avoir pas fait d'études - tant est grand chez nous le préjugé selon lequel seul l'ignorant est intolérant. Mais on s'est aperçu que les poseurs de bombes et autres kamikazes étaient souvent des gens tout à fait évolués intellectuellement - ce que corrobore la grande maîtrise de la communication et de l'informatique dont ils font preuve. Et puis quelques-unes de nos certitudes sont encore tombées quand nous avons vu que les candidats au djihad peuvent partir avec bien peu de connaissances de l'islam, comme s'il ne s'agissait là que d'une occasion.

    Malek Boutih met en valeur autre chose encore que la rancœur personnelle d'un élève en échec, autre chose encore que le fanatisme religieux : la rupture avec la culture ambiante, le désaveu de la société républicaine à laquelle la foi ne s'attache plus. « Monsieur, j'ai écouté votre cours et l'ai appris soigneusement pour obtenir une bonne note, mais tout ce que vous avez dit était faux » : voici ce qu'entend, effaré, cet enseignant du secondaire dans un lycée difficile. Signe qu'une partie de la jeunesse a littéralement mis les voiles. Et, dès lors, tout est possible.

    De notre côté, la stupéfaction est totale : comment peut-on ne pas aimer d'amour pur la république et la démocratie, parangons de l'égalité et de la liberté, désirables sur toute la terre ? C'est que le jeune lycéen voit la réalité là où nous vivons sur la fiction. Il voit que le discours officiel - l'épanouissement et le bien-être pour tous - ne s'applique à aucun moment, et qu'il lui faut non seulement subir les portes fermées et la galère, mais en plus entendre toute la journée des discours flamboyants sur les bienfaits du système. En lieu et place de cette utopie inappliquée et tributaire du mensonge, on lui propose un bon vieux rêve qui ne risque pas l'affrontement au réel, et dans lequel il jouera au moins un vrai rôle, fût-il barbare. C'est l'occasion d'exister.

    Le rapport Boutih indique que les deux tiers des personnes impliquées dans les filières jihadistes ont moins de 25 ans. Naturellement, un chœur bien-pensant s'écrie : en disant cela, on discrimine la jeunesse ! (Sous-entendu : dissimulez cette vérité insupportable.) Pourtant, cela peut servir pour mieux comprendre, d'autant que ce ne serait pas la première fois. L'histoire montre que les terroristes révolutionnaires, ceux qui détruisaient le vieux monde avec allégresse et qui tuaient le mieux, étaient souvent des hommes jeunes. L'instauration de la première terreur d'État, dans la France de 1793, s'organise par la main de fanatiques qui ont à peine plus de 30 ans, voire moins. Au XIXe siècle en Russie, ces jeunes hommes en rupture de ban étaient les « hommes de trop » qui jetaient des bombes noires sur les calèches des ministres. Pour le XXe siècle, Stéphane Courtois dressait dans un de ses ouvrages une liste impressionnante, qui commence ainsi : Heydrich avait 35 ans au début de la guerre et Himmler, 39 ; le fondateur et premier chef du goulag, Matveï Berman, avait 28 ans ; le maître d'œuvre de la Grande Terreur, Nicolas Ejov, était âgé de 35 ans, etc. Le désespoir et l'utopie font bon ménage avec la barbarie, qui n'est autre qu'une abolition des limites, et réclame pour ses basses œuvres des êtres incomplets encore, qui n'ont pas dressé la carte du réel. Il faut être jeune et fou pour marcher sur une plage avec sous le bras la tête de son ennemi. Et nous savons que les vieux idéologues sont en réalité de vieux bébés.

    Comment manifester sa colère contre Malek Boutih et son enquête si peu conforme aux exigences républicaines ? En récusant sa méthode. Une partie de la presse s'indigne aussitôt de voir figurer parmi la trentaine de personnes interrogées l'éducateur Jean-Paul Ney (trop à droite pour pouvoir réclamer une quelconque légitimité à parler) ou encore Frigide Barjot, organisatrice il y a deux ans de la Manif pour tous (trop catholique pour avoir droit de cité). Boutih est-il assez naïf pour croire qu'il faut interroger tous ceux qui ont réfléchi au sujet ? N'a-t-il pas compris que certaines personnes sont satanisées et donc personae non gratae ? On a plutôt envie de croire qu'il a l'esprit libre à l'égard de son propre camp, ce qui le rend bien sympathique: on comprend qu'il cherche la vérité.

    Boutih, qui est à la fois socialiste et d'origine algérienne (double légitimité pour parler de ce sujet), dérange les préjugés et tabous de la gauche, et surtout déstabilise cette volonté permanente de la gauche de taire les vérités élémentaires. Si l'on veut qu'un rapport de ce genre soit à la solde d'un courant politique, au fond le rapport Boutih est fait pour un courant de droite, puisqu'il ose annoncer que la menace est réelle et importante, ce qui est peu prisé par son camp - d'où le mécontentement de ceux auxquels il s'adresse.

    Alors on l'accuse de généraliser. Tous les jeunes de banlieues « issus de la diversité », comme on a le droit de dire pudiquement, ne sont pas destinés au djihad ! Tous les jeunes interdits de boîtes de nuit ne finiront pas jihadistes ! Et ce n'est en aucun cas ce qu'il a dit. Il met en garde contre la montée importante, et préoccupante, du nouvel extrémisme dont nos gouvernants prétendent qu'il ne touche qu'une petite poignée. Il écrit que la barbarie est une offre intéressante quand on est jeune et qu'on déteste la société dans laquelle on vit - les jeunes ancêtres de Kouachi, qui il y a si peu de temps portaient tantôt un brassard à croix gammée et tantôt la casquette étoilée des komsomols, avaient compris cela. 

    * Membre de l'Institut.

    Chantal Delsol  - Le Figaro

  • Puisque l'inculture règne aux plus hauts niveaux de l'Etat, apprenons à notre président de l'Assemblée nationale - qui l'ignore ! - qui était Olympe de Gouges

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    Il est bien triste pour la France de Montaigne et de Guillaume Budé, de Voltaire et de Verlaine, de Molière, Racine, Pascal et tant et tant d'autres... de constater l'inculture proprement effrayante de celles et ceux qui nous gouvernent.

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  • Loisirs • Culture • Traditions ...

  • LITTERATURE & ACTUALITE • Vauvenargues, notre contemporain vu par Eric Zemmour *

     

    Les Éditions des Mille et Une Nuits ont eu la bonne idée de rééditer ce bijou d'un jeune homme âgé alors de 22 ans, qui tranche une question éternelle de la philosophie : la liberté.  

     

    ZemmourOK - Copie.jpgIl est né quelques jours après la mort de Louis XIV. Il a 22 ans, et s'ennuie dans le fort de Besançon. Il attend non l'ennemi qui le fera héros, mais le livre qui le rendra célèbre. Il rédige, entre deux corvées militaires, un bref et incisif Traité sur la liberté comme illusion ; mais cet ouvrage ne sera publié qu'en 1806, l'année de la victoire d'Iéna. Trop iconoclaste, trop dangereux. Vauvenargues ne renonce pas. Il deviendra l'ami de Voltaire, qui l'encourage à achever ses Réflexions et Maximes, qui feront de lui l'un des trois plus grands moralistes français, avec La Rochefoucauld et Chamfort ; mais la postérité injuste le traitera toujours comme le cadet des deux autres. Il meurt à 37 ans. Descartes, Pascal, Vauvenargues : les génies mouraient jeunes à l'époque: mais ils avaient quand même le temps de laisser une empreinte profonde. Les Éditions Mille et Une Nuits ont eu la bonne idée de rééditer ce petit bijou. Avec un travail éditorial impeccable pour mieux sertir cette langue magnifique, vive et sans graisse, qui virevolte, caracole à bride abattue, comme un mousquetaire du roi, toujours élégant, même lorsqu'il use de sa rapière pour fendre l'adversaire. Vauvenargues reprend l'éternelle question du libre arbitre, et la règle d'un coup sec: tout n'est qu'illusion. « Nul n'est libre, et la liberté est un mot que les hommes n'entendent point.»

    L'homme, pressé d'agir, veut se croire libre de faire, et préfère ignorer qu'il est le lieu confus de pensées et d'envies contradictoires, de passions, de sentiments et de raisons multiples qui « le déterminent », le « font agir » alors qu'il se croit autonome et libre. Deux siècles avant Freud, Vauvenargues avait deviné la notion d'inconscient. Mais il le dit avec simplicité et élégance, sans jargon scientifique ni prétention prophétique. « La volonté n'est qu'un désir qui n'est point combattu… Point de volonté qui ne soit un effet de quelque passion ou de quelque réflexion. » Bref, il est un homme du XVIIIe et non du XIXe siècle.

    C'est aussi son drame. Il est déjà trop de son temps, pour reprendre la conception du « libre arbitre » de l'Église. Il essaie pourtant de « courber notre esprit sous la foi ». Il a lu Pascal : « la grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable ». Mais son ironie déjà voltairienne est la plus forte : « Si vous faites la volonté tout à fait indépendante, elle n'est plus soumise à Dieu ; si elle est toujours soumise à Dieu, elle est toujours dépendante… Nous suivons les lois éternelles en suivant nos propres désirs ; mais nous les suivons sans contrainte, et voilà notre liberté… C'est toujours Dieu qui agit dans toutes ces circonstances ; mais quand il nous meut malgré nous, cela s'appelle contrainte ; et quand il nous conduit par nos propres désirs, cela se nomme liberté… Mais comme Il ne veut pas nous rendre tous heureux, Il ne veut pas non plus que tous suivent sa loi. »

    Vauvenargues est entre Spinoza et Pascal, entre Voltaire et Nietzsche. Il est trop pessimiste pour les philosophes de son temps, et trop indépendant pour l'Église. Vauvenargues n'arrivant pas à exonérer Dieu du mal sur la terre, il risque d'être accusé d'athéisme et d'immoralisme comme Spinoza, même s'il évite de blasphémer ouvertement. On comprend mieux sa prudence éditoriale, mais aussi son statut marginal au sein du mouvement des Lumières. Vauvenargues est un Romain qui privilégie l'intérêt général et annonce certains accents révolutionnaires: « La préférence de l'intérêt général au personnel est la seule définition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l'idée. Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l'intérêt propre est le sceau éternel du vice. » Mais son siècle est obsédé par la découverte de l'individu et de sa liberté, sa liberté de croire ou de ne pas croire (Voltaire, Diderot), et la liberté romantique et le fantasme d'indépendance absolue (Rousseau et la « table rase » de 1789).

    Vauvenargues ne serait pas trop décontenancé par nos débats contemporains. Mises à part notre prose obèse et prétentieuse, notre langue abîmée et avariée, nos querelles tournent toujours autour de cette sacrée liberté. Vauvenargues aurait le plaisir de constater que son intuition avait été amplement creusée et démontrée : notre volonté soi-disant autonome est le lieu d'innombrables conditionnements et déterminismes, que ceux-ci soient économiques, sociaux, culturels, ou psychiques et génétiques. Mais le paradoxe est que nos sociétés ont fait de cette illusion de liberté le fondement de notre bonheur individuel (les chimères de « développement personnel » sont l'objet d'un marché lucratif) et de l'organisation de nos sociétés, liberté de choisir ses gouvernants, ses amis, ses femmes et ses maris, ses vêtements et ses distractions, jusqu'à ses enfants, sur catalogue, et même son sexe, selon ses désirs de l'instant. Jamais nous n'avons eu une connaissance aussi approfondie des limites de notre autonomie ; et jamais nous ne nous sommes prétendus aussi libres, jusqu'au caprice.

    Comme à l'époque de Vauvenargues, une Église sourcilleuse et vindicative contrôle et sanctionne le moindre manquement au dogme religieux de l'époque ; mais la foi catholique a été remplacée par une doxa antiraciste, féministe, xénophile et homophile, où l'amour de l'Autre a remplacé l'amour du fils de Dieu, mais où les Tribunaux continuent de traquer et punir les blasphémateurs. Les prêtres de la nouvelle Église sont encore plus hypocrites et vindicatifs que ne le furent leurs modèles catholiques. Comme au temps de Vauvenargues, nous avons les héritiers des philosophes, en plus petits et médiocres, qui continuent d'exalter la liberté d'expression pour mieux l'interdire à leurs adversaires, et glorifier le « peuple » pour mieux mépriser « la canaille» , qui s'appelle désormais « populiste ». Vauvenargues ne serait vraiment pas décontenancé parmi nous : la liberté est toujours une illusion.

     

    La liberté comme illusion, Vauvenargues. Mille et Une Nuits. 75 p., 3 €

     Eric Zemmour  - Le Figaro

  • THEÄTRE & FESTIVALS • Festival d’Avignon : De mal en Py Son Roi Lear sonne faux

     

    Excellente critique de Paulina Dalmayer dans Causeur. 

     

    Il y a peu, Elisabeth Lévy citait Jésus pour demander à Emmanuel Todd « Qu’as-tu fait de tes talents ? ». Peut-être faudrait-il initier dans Causeur un cycle de portraits de personnalités à qui on poserait la même question ? En effet, la dernière production d’Olivier Py, présentée en ouverture du 69e Festival d’Avignon, nous inflige une complète déception. Son Roi Lear sonne faux et même archi-faux. Le paradoxe fondamental du théâtre exige pourtant de rendre crédibles les créations de l’esprit les plus abstraites, de faire croire aux rationalistes que nous sommes à l’improbable apparition du fantôme d’un père assassiné et à l’intervention des elfes dans les affaires de ce bas monde. Ce n’est pas par hasard  que le grand maître Grotowski jugeait le jeu de ses acteurs selon un critère de prime abord insensé : « je crois » ou, « je ne crois pas ». Olivier Py ne nous donne pas à croire à la tragédie de Lear. Pis, il nous fait éprouver en presque trois heures que dure le spectacle un sentiment de gêne- inévitable quand on assiste à un échec aussi spectaculaire.

    Longtemps, l’ex-directeur du Théâtre de l’Odéon a été libre de raconter n’importe quoi sur des sujets qui n’entrent pas dans le champ de ses compétences. Ses talents de dramaturge et de metteur en scène l’excusaient. Quiconque a vu Les Vainqueurs, cette merveilleuse épopée qui permettait de s’abandonner avec confiance à la jubilation du style d’un Py à la fois farceur et mystique, ne saurait lui reprocher sa bien-pensance en politique. Certes, on tombait en arrêt devant ses déclarations sur l’« intolérable intolérance de l’Eglise » face au mariage gay. Mais Py nous a offert une épatante intégrale du Soulier de satin et cela suffisait pour oublier le reste. D’autant que l’auteur des Illusions comiques bénéficiait d’un sens de l’humour et de l’autodérision tout à fait exceptionnel chez un conservateur de gauche. À la limite, on rigolait quand il voulait transférer le festival d’Avignon, alors menacé par la peste brune, vers une cité qui ferait montre d’un refus catégorique à l’assaut de la pensée réactionnaire. On ignore où exactement, vers Alger peut-être? La programmation de la présente livraison du festival, dont Olivier Py assure la direction depuis deux ans, a suscité quelques interrogations : l’immense cour d’honneur du palais des papes s’adapte-elle réellement à la lecture de Sade qui y sera donnée par Isabelle Huppert ? Fallait-il à tout prix inclure au programme le spectacle 81 avenue Victor Hugo lequel, grâce à la participation d’acteurs sans-papiers, a suscité le « buzz », sans avoir réussi à créer un événement artistique ? Passons. On attendait Le Roi Lear dans la mise en scène et dans la nouvelle traduction de Py, à qui il a fallu « trente ans pour oser cette traduction » et de « longues années de méditation sur Shakespeare » pour aboutir à ce spectacle.

    Audacieuse, ramassée, énergique, bien que parfois complaisante à l’oreille contemporaine, la traduction d’Olivier Py met en valeur la diversité des registres de la langue shakespearienne et épargne ses métaphores sexuées, ses accès de violence ou de trivialité. Hélas, incités à gueuler leurs répliques sans relâche et sans nuance, les acteurs consentent à anéantir le beau travail d’Olivier Py sur le texte, par le désastreux travail d’Olivier Py metteur en scène. Philippe Gerard peine ainsi à convaincre dans le costume sobre qu’a conçu Pierre-André Weitz, à la mesure d’un Lear unidimensionnel à qui on a ôté le nécessaire pathos d’un grand mégalomane, et la noblesse d’un homme déchu ayant pris conscience de ses propres erreurs. D’ailleurs, l’acteur ne s’en sort pas mieux entièrement dénudé, feignant la folie jusqu’au persiflage. Car, évidemment, la nudité masculine n’a pas été épargnée aux spectateurs. Mathieu Dessertine dans le rôle d’Edgar, fils légitime du comte Gloucester, semble prendre un plaisir jouissif à exhiber son sexe pendant un bon quart d’heure au moins. Seulement, on cherche le pourquoi de ce naturisme scénique. La canicule est-elle en cause ou s’agit-il d’épater le bourgeois? Peu importe, l’idée fait un flop. Ce qui étonnerait encore en 2015, ce serait plutôt un spectacle sans strip-tease, allusion sado-maso, ni obsessions scatologiques. En déféquant devant le public, Amira Casar en Goneril, une des filles de Lear, aurait-elle tenté d’incarner le climat de l’époque élisabéthaine, « noir, radical, fulgurant » comme nous l’explique Olivier Py? En la regardant -mécanique dans ses gestes, agaçante par sa déclamation monocorde du texte- on songe surtout à cette phrase de la pièce : « Oh le monde ! Sans ces désastres qui nous font le haïr/On n’accepterait pas la mort, c’est sûr!».  Si dans Le Roi Lear, Shakespeare fulminait une terrible prophétie « de ce que deviendra le monde moderne, de ce que deviendra le monde de la raison », Olivier Py y met du sien en déshumanisant les personnages du dramaturge.

    Tout peut se justifier dans une mise en scène, y compris le recours aux moyens d’expression scénique les plus choquants. Le désastre de la proposition d’Olivier Py ne vient pas du fait que les hommes y courent à poil tandis que les femmes sont réduites à l’image de harpies déchainées (Goneril, Régane) ou d’oie nigaude (Cordélia). La débâcle est due à l’impossibilité du metteur en scène de justifier ses choix et de les rendre compréhensibles au public. André Engel optait, il y a quelques années, pour un « Lear » situé dans les années 30 en Amérique, avec Michel Piccoli dans le rôle principal ressemblant à un parrain mafieux. Sa vision pouvait faire adhérer ou pas, mais elle se défendait de manière objective par sa cohérence. Dans le programme, Olivier Py nous explique que « la pièce parle très précisément de ce qui s’est passé entre 1914 et 1989, c’est-à-dire au cours du XXème siècle ». Très bien. Reste que sa réalisation ne le montre pas, pas plus qu’elle ne sert à soutenir cette lecture. Sous prétexte de raconter le chaos d’un monde où « le langage ne sert plus à rien », Olivier Py se satisfait d’une mise en scène chaotique et illisible.

    Il serait malheureux de conclure que cette année nous pourrions nous éviter un déplacement sous les tropiques avignonnais pour voir du bon théâtre. Ceci n’est vrai qu’en ce qui concerne les représentations programmées dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. Fort heureusement, le Festival a aussi ouvert avec un bouleversant Thomas Bernhard dans la mise en scène du Polonais Krystian Lupa. Des arbres à abattre, la pièce dont il est question, constitue une charge féroce contre l’establishment culturel et son autosatisfaction. Olivier Py n’aurait pas perdu son temps en la méditant. 

    * Photo : DELALANDE/SIPA. 00679735_000001.

    L'auteur Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition
     
  • MEDIAS & LITTERATURE • Marcel Pagnol : 120 ans, et pas une ride

     

    Pour commémorer les 120 ans de la naissance de l'écrivain, le Figaro Hors-Série publie un numéro exceptionnel, entre album souvenir, portrait ensoleillé, profil d'une œuvre généreuse, au charme éternel.

    Il a enchanté nos lectures d'enfance, nous a fait vivre la chasse buissonnière dans La Gloire de mon père, courir dans les collines embaumées de sarriette et de lavande, trembler devant le gardien du Château de ma mère, rêver d'aventures et de haute mer avec Marius, pleurer l'amour qui part avec Fanny.

    Marcel Pagnol aurait eu 120 ans cette année. Il n'a pas pris une ride. Pour célébrer cet anniversaire, le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel à l'homme, le cinéaste, l'écrivain. Celui qui, des chemins d'Aubagne au Vieux- port de Marseille, touche à l'universel: «En nous parlant de lui», écrit Michel De Jaegehere dans son éditorial, «jamais il n'avait mieux paru s'adresser, tête à tête, à chacun d'entre nous, pour lui dire les merveilles et la brièveté de la vie.»

    Au fil des 106 pages de ce Figaro Hors-Série, magnifiquement illustrées des dessins du Marseillais Albert Dubout, des photos d'archives de sa vie et de ses films, on découvre l'enfant des collines, dont les récits ont la chaleur de l'été, au son des cigales et des parties de pétanque que l'on joue sous la treille. Le dramaturge, dont les personnages nous ressemblent comme des frères, dont on ne serait pas toujours très fiers: Topaze, l'instituteur ingénu qui finit en maître de la corruption et troque son infructueuse honnêteté pour le culte de l'argent ; Ugolin Soubeyrran, le paysan cupide qui laisse mourir à la tâche Jean de Florette, le «pauvre bossu», plutôt que de lui révéler l'emplacement de la source qu'il a bouchée ; la femme du boulanger, qui quitte son ballot de mari pour vivre une passion aussi dévorante qu'éphémère avec un berger de passage.

    On entre aussi dans « la bande à Pagnol » : Raimu, Charpin, Fresnay, qui plus qu'une équipe de tournage forment autour de lui une famille, avec ses bonheurs et ses chamailleries, et qui immortalisent à l'écran un monde révolu, partagé entre l'instituteur et le curé, où la Comédie humaine se joue au village et aux champs.

    Récit de sa vie en douze journées, exploration de sa «Provence intérieure», présentation des adaptations de ses œuvres au cinéma, dictionnaire de ses personnages, agenda des commémorations de l'année Pagnol: ce numéro du Figaro Hors-série est à savourer tout l'été, sans modération. 

    Pagnol, Le Figaro Hors-Série, 8,90€, en kiosque et sur www.figarostore

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