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Social, Économie... - Page 80

  • Hervé Juvin : « L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples »

     

    D'après les révélations de Wikileaks, les trois derniers présidents français auraient été mis sur écoute par la NSA. Hervé Juvin voit dans ce scandale le symbole de l'hégémonie américaine et de la naïveté des Européens.

     

    HerveJuvin.jpgVotre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks ?                     

    Ne nous faites pas rire ! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous !

    Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français ! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien ! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner ! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre !

    Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique ?

    Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés ! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire « non ! ».

    Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates « Mistral », comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point ?

    Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongés. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.

    Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie ?

    La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; « il faut en finir avec les États-Nations en Europe ! » Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.

    Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique ! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush : l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas !

    Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête ?

    Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine ! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré !

    Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée !

    La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille : la diversité des formes que l'homme donne à son destin.

    Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires ?

    Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; « Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux (side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS ». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.

    Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre ! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre ! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France ?  

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    Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il poursuit un travail de réflexion sur la transformation violente de notre condition humaine qui, selon lui, caractérise ce début de XXIè siècle. Il est par ailleurs associé d'Eurogroup Consulting. Il est l'auteur de Pour une écologie des civilisations (Gallimard) et vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux Le Mur de l'ouest n'est pas tombé.

    Figarovox

     

  • Traité transatlantique : le dessous des cartes

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint 

     

    Pour Jean-Michel Quatrepoint, ce traité sert les intérêts des « empires » allemand et américain, qui veulent contenir la Chine, dans la « guerre économique mondialisée ». Et la France dans tout ça ? C'est la question qui est posée. (Retrouvez la première partie de la réflexion de Jean-Michel Quatrepoint, sur les « empires » publiée hier, ici-même). 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgLe traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain ?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine ?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant : tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu : celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé « National medium and long term program for science and technology development » dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial : non plus l'usine mais le laboratoire du monde ! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe ?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modèles qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs : uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan : passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça ? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu ?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est : comment et où allons-nous créer de l'emploi ? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle « Iconomie », c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite ! La France avait tout à fait les moyens de le faire ! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire « googeliser » !

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans : démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire ?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.  

     

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne. 

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Zone euro : ça chauffe !

     

    Par Ludovic Greiling 

     

    « Cette fois-ci, c’est du sérieux », lançait récemment un gérant. Un échec des négociations sur la dette grecque pourrait entraîner des turbulences financières importantes ainsi qu’un arrêt du projet européen et américain. Passage en revue.

    L’État grec, aujourd’hui, c’est encore une dette publique de 310 milliards d’euros, soit 180% du PIB national et neuf années de rentrées fiscales au niveau actuel. C’est une croissance qui peine à repartir après une chute du PIB de 25% en quatre ans, en raison notamment de l’austérité voulue par les créanciers occidentaux qui ont pris en main la politique grecque : la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.

    Depuis plusieurs années, les études des établissements financiers sur le « risque politique » foisonnent, les banquiers étant particulièrement inquiets du résultat des élections pour l’avenir des dettes publiques européennes.

    L’élection d’un mouvement d’extrême-gauche en Grèce en janvier dernier et son alliance avec un petit parti souverainiste pourraient mettre un terme à la progression de l’euro, monnaie « irrévocable » affirmait le président de la BCE il y a trois ans.

    L’euro bute sur la Grèce

    Les négociations sur la dette, sans cesse remise sur le plan de travail depuis six mois, pourraient échouer. Résultat : sur le marché libre, le taux d’intérêt payé par le gouvernement grec pour emprunter à dix ans est remonté à 13% alors même que l’inflation dans le pays a disparu.

    La crainte d’une sortie d’un pays de la zone euro – qui serait une grande première en seize années d’existence – pourrait provoquer une réaction en chaîne, d’autres États pouvant être tenté de reprendre une monnaie nationale.

    Logiquement, les taux d’intérêt sur la dette se sont tendus au Portugal, en Espagne mais aussi en France et en Allemagne ces dernière semaines. Ils restent néanmoins bas eu égard aux taux pratiqués lors de la crise financière de 2012.

    Marginalisation ?

    Pour la Grèce, une devise nationale permettrait de dévaluer sa monnaie vis-à-vis des créanciers, de retrouver une marge de manœuvre souveraine en matière budgétaire, et de protéger de nouveau le marché et l’industrie locale au sein de l’Europe par le biais de taux de change adaptés à sa situation.

    Elle constituerait en revanche un recul dans le « processus politico-stratégique » engagé en Europe* et ferait courir le risque d’une marginalisation commerciale et géopolitique.

    Pour abolir ce risque, le premier ministre grec Aléxis Tsípras a d’ors et déjà tenté un rapprochement avec le président russe Vladimir Poutine et les dirigeants des Brics, dont la banque en cours de constitution pourrait prêter des devises à Athènes.

    En Allemagne, les médias scrutent les rares détails qui ressortent des négociations en cours. Un renflouement d’Athènes serait très mal perçu par l’opinion publique, alors même que les créanciers ont déjà accepté l’annulation de 100 milliards d’euros de dette publique il y a deux ans et qu’une partie des prêts des pays européens – qui détiennent aujourd’hui les deux tiers de la dette grecque – avaient été accordés dans des conditions exceptionnelles (ils n’apporterons un intérêt que dans huit ans).

    Les élections jouent pour beaucoup dans la fermeté actuelle du gouvernement allemand. L’an dernier, le parti anti-euro Alternative für Deutschland avait atteint près de 10% des votants dans plusieurs régions lors d’élections partielles, grignotant des voix à la CDU d’Angela Merkel. 

    * C’est ainsi que l’ancien président de la Banque centrale européenne et actuel président pour l’Europe de la puissante organisation Trilatérale, Jean-Claude Trichet, définissait l’unification européenne en août dernier (entretien dans Le Temps de Genève, 16 août 2014)

      - Politique magazine

     

  • Tout va très bien… Par François Reloujac

     Si Mario Draghi dit que tout va bien ...

     « Tout va très bien… », chantait Ray Ventura en 1935. Ainsi, la croissance française a été plus importante que prévue au cours du premier trimestre 2015 alors même que la Bourse gagnait près de 20 % ; le 12 mai, la Grèce a honoré l’échéance du crédit accordé par le FMI et Mario Draghi a pu se vanter de l’efficacité de son plan. Bref, tout va très bien, « mais, cependant, il faut que l’on vous dise… »

    D’après les chiffres publiés par l’Insee, la croissance du PIB de la France a été de 0,6 % au premier trimestre 2015. Plus importante que celle de l’Allemagne, elle aurait ainsi tiré vers le haut la croissance européenne. Mais que cachent ces statistiques ? Un poste a augmenté plus que les autres : celui des dépenses d’énergie. Cela, malgré un hiver relativement doux et un prix du pétrole en baisse. Comme si les Français en avaient profité pour remplir leurs cuves. Dans l’industrie, ce sont les voitures qui ont bénéficié de l’embellie, mais pas les voitures fabriquées en France. La croissance a aussi été tirée par l’augmentation du niveau des stocks – invendus – des entreprises. Les autres secteurs économiques sont restés atones quand ils n’ont pas régressé. La construction a continué à reculer malgré des taux d’intérêt nominaux très faibles. Les investissements sont demeurés en panne, malgré des aides gouvernementales sous forme d’amortissements accélérés. Le commerce extérieur s’est encore détérioré malgré un euro faible qui aurait dû décourager les importations et doper les exportations. Il en résulte ce que les économistes appellent une « croissance sans emploi », autrement dit une augmentation de la dépense mais pas de l’activité. Où est la fameuse croissance censée inverser la courbe du chômage ?

    L’embellie de la Bourse

    Depuis le début de l’année, le CAC 40 se promène de sommets en sommets, entrecoupés, il est vrai, de mouvements que l’on aurait autrefois qualifiés d’« erratiques ». Or cette hausse est totalement déconnectée d’un quelconque accroissement de l’activité des entreprises, d’une amélioration de leurs perspectives annoncées et, même, de leurs demandes de financement à long terme. Alors, ne faut-il pas chercher une explication de cette évolution dans la faiblesse de l’euro qui rend l’acquisition des entreprises françaises peu onéreuse ? D’autant que certains « investisseurs » étrangers bénéficient de liquidités abondantes. On les trouve notamment dans les pays exportateurs de pétrole, chez les fabricants de produits de grande consommation vendus à bas prix dans les grandes surfaces, et aussi parmi les bénéficiaires de la création en grande quantité de liquidités dans une monnaie, le dollar,  qui sert d’étalon au monde entier. Remarquons que ces « investisseurs » préfèrent rechercher des plus-values sur les actions que les improbables revenus des emprunts obligataires.

    Le succès du plan « non conventionnel » de la BCE

    C’est Mario Draghi lui-même qui l’a expliqué au FMI à la mi-mai. Ce plan, a-t-il dit, a fait preuve d’une plus grande efficacité que « bien des observateurs ne l’avaient anticipé ». La BCE a donc racheté aux banques commerciales les titres émis par les états pour financer leurs déficits publics. Elle s’est donc substituée aux dites banques pour alimenter la cavalerie financière des états. Dans le Figaro du 12 mai, Bertille Bayard remarquait que cette politique conduit « la planète financière » à se confronter « à l’incongru (des taux d’intérêt négatifs) et à l’incertain ». Selon elle, « l’absurdité des taux négatifs, l’euphorie des marchés d’actions, l’abondance de liquidités dessinent un drôle de paysage financier dont les acteurs semblent évoluer toujours plus vite sur une glace dangereusement mince ». Ce qu’elle n’ose pas écrire, c’est que personne ne sait ni comment ralentir le mouvement ni comment consolider la mince couche de glace.

    Les négociations entre la Grèce et ses créanciers avancent

    Que ce soit le ministre grec des Finances ou les négociateurs européens, tout le monde l’affirme : les positions se rapprochent. La Grèce a même réussi à honorer, le 12 mai dernier, l’échéance de 756 millions d’euros qu’elle devait au FMI. Oui, mais au premier trimestre 2015, le PIB de la Grèce a encore perdu 0,2 %, confirmant que le pays était bien entré dans une récession durable. La BCE, qui craint de ne pas être remboursée en juillet des 6,7 milliards d’euros qui lui sont dus, a décidé de se montrer intransigeante. Tous les créanciers exigent désormais une capitulation sans condition de ce gouvernement qui n’entre pas dans les standards européens. S’il veut continuer à être aidé, il va notamment devoir faire de nouvelles coupes dans le montant des retraites versées et faire voler en éclats les dernières barrières qui s’opposent aux plans de licenciements collectifs. Ce qui met Manuel Valls en colère lorsqu’il s’agit d’entreprises installées en France devient donc incontournable quand cela concerne le marché grec du travail.

    « La situation est grave, mais pas désespérée ! »

    Comme la France est quand même tenue de faire un effort pour maîtriser ses dépenses publiques et respecter les accords européens qu’elle a soutenus, le gouvernement a décidé de faire des économies sur les dotations aux budgets des collectivités locales. Malheureusement, ces dernières sont terriblement endettées et les augmentations des impôts locaux projetées ne suffiront pas à combler leur déficit. Or, il se trouve que la plupart des emprunts contractés par ces collectivités locales auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations sont indexés sur le taux du Livret A. Un bon moyen de faire diminuer la charge de ces emprunts est donc de faire baisser le taux de rémunération dudit Livret A. Pour dédouaner les hommes politiques de toute responsabilité, on a fait monter au créneau des banquiers – y compris le gouverneur de la Banque de France – qui sont désormais à quelques semaines de la retraite ! Reste un point plus difficile à traiter et qui aura des conséquences plus longuement durables : le vieillissement de la population européenne qui est tel que les besoins de l’activité économique risquent de ne plus être satisfaits d’ici une dizaine d’années. La Commission européenne a trouvé la parade : il suffit d’ouvrir grand les portes de l’immigration. à taux de chômage inchangé, les besoins ont été estimés par la Commission à plus de… 40 millions de personnes !

  • Predator, par Philippe Delelis * Faut-il choisir entre étatisme et pouvoir de l'Argent ?

    On reproche quelquefois aux hedge funds leur opportunisme, leur âpreté au gain et une utilisation astucieuse de toutes les règles des marchés financiers. Il n’est pas de jour où syndicats et politiques ne se plaignent de leur activisme, leur reprochant notamment d’obliger les entreprises dont ils sont actionnaires à distribuer l’essentiel du bénéfice annuel plutôt qu’à le réinvestir dans de nouvelles capacités de production. On leur reproche de privilégier l’économie financière par rapport à l’économie réelle et d’accroître le patrimoine de leurs souscripteurs plutôt que veiller à l’emploi et aux rémunérations des salariés de leurs entreprises. On les accuse enfin de créer des majorités artificielles et de circonstance lors des assemblées générales stratégiques en recourant à des prêts de titres leur permettant seulement de bénéficier de droits de vote suffisants à l’instant « T ». A entendre les critiques, ce sont les bad guys du capitalisme.

    Dans l’économie française, un actionnaire se distingue tout particulièrement par sa dureté envers les entreprises au capital duquel il est présent, exigeant d’elles en 2014 le versement d’un milliard de dividendes supplémentaires par rapport à ce qu’il avait prévu (4,2 Mds contre 3,1). Il a même forcé certaines sociétés déficitaires à procéder à des distributions (Air France, SNCF, Engie…) : après tout, les dépréciations d’actifs n’ont pas d’impact sur la liquidité… Sa soif inextinguible de cash l’a conduit à exiger davantage que la plupart des actionnaires du CAC 40 : dans la plupart des cas, le taux de distribution qu’il a imposé était supérieur au taux médian de 48%. Ce taux de distribution a même été porté dans certains cas à des sommets : 66% pour EDF, 113% pour Orange, 87% pour ADP…

    Soucieux d’avoir les mains libres, il a changé les statuts d’une holding, la Sogepa, pour lui permettre d’agir indirectement et massivement (500 M€ d’achat de titres PSA en 2014), loin des contraintes l’obligeant en principe à une gestion patrimoniale prudente au sein d’un compte d’affectation spéciale sous le contrôle du parlement.

    Enfin, cet actionnaire intransigeant, a eu recours à des prêts de titres pour faire plier des majorités aux AG. Officiellement, c’était pour faire prévaloir l’actionnariat de long terme mais compte tenu de ce que l’on sait de sa passion court-termiste pour les dividendes, cet argument n’est guère crédible : c’était plutôt pour garder des droits de vote gratuits malgré des cessions opportunistes sur le marché (Renault, Air France).

    Drapé avec dignité dans le manteau troué de l’intérêt général, il toise les autres acteurs économiques et leur donne des leçons qui peuvent se résumer à : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! »

    Faut-il nommer ce grand prédateur ?

    Please to meet you
    Hope you guess my name
    But what’s puzzling you
    Is the nature of my game
    (M. Jagger / K. Richards)

     - Politique magazine

  • Question : Jusqu'où peut-on aller comme ça, sans explosion tout court ?

     

    Cela amène tout de même à 640 000 chômeurs supplémentaires depuis le début du quinquennat de François Hollande ... Songe-t-il sérieusement à se représenter ? 

  • Où va l’Europe ? • Par François Reloujac *

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    L’actualité européenne de ce mois de novembre a été riche en rebondissements. Petit tour d’horizon des psychodrames qui ont secoué l’Europe économique et des révélations de la presse sur les pratiques fiscales du Luxembourg. 

    Dans le courant du mois de novembre, avant que le pape François ne vienne rendre visite au Parlement de Strasbourg, plusieurs psychodrames ont secoué l’Europe économique. Ce fut d’abord des divergences entre les membres du Conseil des gouverneurs des banques centrales européennes et des difficultés à constituer la nouvelle Commission européenne. Ce fut ensuite un scandale fiscal atteignant le président de ladite Commission et la mise en accusation de l’économie européenne par le G20 ! 

     

    Revenons d’abord sur les divergences qui ont éclaté au grand jour entre les représentants des états du Sud et ceux de l’Europe du Nord. Les uns ont absolument besoin de souplesse monétaire pour relancer leur économie ; les autres sont irréductiblement attachés à un « euro fort » qui leur permet d’engranger des bénéfices importants dans la conjoncture actuelle. Dans sa dernière intervention publique du mois de novembre, Mario Draghi a insisté sur le fait que le Conseil des gouverneurs des banques centrales européennes avait décidé, à l’unanimité, d’autoriser la BCE à augmenter le total de son bilan en « monétisant » les dettes publiques. Mais il a oublié de préciser que, malgré cet accord de principe, il devrait solliciter une nouvelle autorisation chaque fois qu’il voudrait passer à l’acte. 

     

     

    Démantèlement des règles ?

     

    Que doit-on en penser de cette façon d’agir ? Qu’elle permet à chacun de sauver la face dans un monde hyper-médiatisé ? Peut-être, mais on peut aussi considérer que la BCE anticipe la fin de la politique de « quantitative easing » (« assouplissement quantitatif »), actuellement pratiquée par la Banque fédérale américaine. Dès lors, pour soutenir les marchés financiers internationaux – dont chacun sait maintenant qu’ils sont devenus plus importants que tout le reste du fonctionnement de l’économie, car ils conditionnent tout à la fois le montant des intérêts payés par les états surendettés et les profits des multinationales –, elle devrait se lancer dans une « politique non conventionnelle »… ainsi appelée parce qu’aucun économiste n’en a jamais imaginé les conséquences pratiques, surtout à moyen terme !

     

    Lorsque, dans le cadre du G20, on répète ad nauseam la nécessité – notamment pour la France – d’engager un programme ambitieux de « réformes structurelles », cela signifie en réalité que l’on cherche à imposer le démantèlement des règles qui encadrent le marché du travail et à abandonner une politique sociale jugée « trop généreuse ». Ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas véritablement d’autoriser les états à desserrer le « carcan » social et fiscal souvent si contraignante pour la vie économique. Il s’agit d’abord de faire sauter les barrières qui empêchent les entreprises multinationales opérant en Europe – et surtout en France – de délocaliser leurs productions, devenues « localement » trop onéreuses. Ou de vendre les derniers joyaux qu’elles détiennent encore et qui ont une valeur sur les marchés internationaux.

     

     

    Une Commission européenne décrédibilisée

     

    A peine le président de la BCE avait-il obtenu l’unanimité du Conseil des gouverneurs des banques centrales en faveur de sa « politique non conventionnelle » que l’on « découvrait » que le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait triché pendant plusieurs années. Du temps où il était ministre du Budget et Premier ministre du Luxembourg ainsi que Président de l’« Eurogroupe », Juncker a en effet utilisé une faculté des textes qu’il connaît bien – la « tax ruling » – pour détourner au profit de son petit état, et au détriment de ses partenaires, la manne venant des entreprises multinationales. 

     

    Sous prétexte de garantir à celles qui s’implantent dans le pays le montant des impôts qu’elles y paient, l’on négocie avec elles les avantages qu’on leur octroie. Une pratique qui permet aux multinationales de savoir à l’avance où « localiser » leur production afin de payer moins d’impôt. Pour cela, elles déplacent comptablement – et parfois uniquement virtuellement – une partie de leur production dans le pays qui « siphonne » ainsi des recettes qui normalement devraient revenir à un voisin. Ce dumping fiscal a deux avantages pour le pays qui le pratique : il augmente artificiellement le montant de son PIB – et donc la croissance affichée – et il lui permet d’obtenir de bonnes notes de la part des agences de notation dont chacun sait que les trois principales sont américaines. Partant, de faire baisser les taux d’intérêt sur les emprunts auxquels il peut être amené à recourir. Dans un régime de « monnaie unique », la seule façon pour les partenaires lésés de se défendre contre ce type d’agression est de pratiquer à leur tour un dumping fiscal ou social. Au total, cette guerre économique ne profite qu’aux multinationales qui peuvent déplacer sans difficulté leur production apparente d’un état à un autre. à l’inverse, pesant sur le budget des états, elle les pousse à recourir à l’emprunt, emprunt auquel l’entreprise multinationale qui a économisé sur le montant de ses impôts, peut souscrire. Tout avantage fiscal accordé par un état dont le budget est équilibré impose donc à tout pays endetté, s’il veut rester compétitif, de démanteler son propre système de protection sociale.

     

    En imposant Jean-Claude Juncker à la tête de l’Union européenne, Angela Merkel a-t-elle promu un nouveau Vidocq ministre de la police – économique ! – ou a-t-elle confié les clés de la cave à un alcoolique notoire ? L’avenir le dira. Quoi qu’il en soit, l’on remarque que les principaux bénéficiaires de ce que l’on appelle désormais le « Luxleaks » sont des sociétés qui ont pour nom Google, Amazon, Microsoft ou encore Apple. 

     

    En mettant en avant les avantages obtenus par quelques banques françaises, les médias ne sont-ils pas en train de montrer des arbres soigneusement choisis pour cacher la forêt ? On peut d’autant plus se poser la question que l’enquête sur les paradis fiscaux qui a abouti à la dénonciation du Luxembourg – mais aussi dans une moindre mesure, de l’Irlande – a été établie par le réseau intitulé « Tax Justice Network »… qui ne fait figurer dans sa liste aucun état américain !  

     

     

    * Politique magazine

  • Un mathématicien égaré en économie, par François Reloujac *

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    Le 13 octobre dernier, l’académie Nobel a attribué le prix d’économie au chercheur français Jean Tirole. Une manifestation de « la France qui gagne » aussitôt saluée par le président de la République et par le Premier ministre. Mais personne ne s’est véritablement interrogé sur la raison qui permet d’affirmer que les travaux de Jean Tirole illustrent la pensée économique française, même si, officiellement, celui-ci a été récompensé pour ses travaux sur « le pouvoir de marché et la régulation ».

    Jean Tirole est un ancien élève de l’école polytechnique. Il est allé mettre en œuvre ses acquis théoriques d’exploitation des statistiques économiques au Massachusetts Institute of Technology, le fameux MIT. C’est là qu’il s’est familiarisé avec la théorie des jeux, un ensemble d’outils qui analyse les situations dans lesquelles l’action optimale pour un agent dépend des anticipations qu’il forme sur la décision d’un autre agent. étant entendu que cet agent peut être aussi bien une personne physique qu’une entreprise.

    S’il n’a pas pris la nationalité américaine – contrairement à un autre prix Nobel d’économie « français », Gérard Debreu – c’est qu’il est revenu en France pour y créer, sur le modèle des universités américaines, la « Toulouse School of Economics » (TSE). Cette dernière est uniquement financée par des grandes entreprises. Les cours y sont dispensés en anglais à des étudiants qui, pour 60 % d’entre eux sont étrangers, par des professeurs dont bien peu sont de nationalité française.

    Rien d’étonnant, donc, dans le fait que cette école soit soutenue par des grandes entreprises ouvertes à l’international et ayant sur leurs marchés respectifs une position de monopole ou de quasi-monopole. La théorie des jeux et les études statistiques pointues qui sont développées à l’école toulousaine leur sont très utiles : elles leur permettent d’améliorer continuellement leur capacité à analyser toutes les combinaisons possibles des réactions de leurs « partenaires » (administration, fournisseurs, consommateurs). Le jeu est d’autant plus « payant » qu’un joueur principal – une entreprise en position de force sur un marché – est mieux « informé » que les autres. C’est pourquoi cette école cherche à tempérer cet avantage que possède le plus fort par un mécanisme dit de « régulation » dont le but avoué est de maintenir une apparence de libre concurrence.

     

    Que récompense le prix Nobel d’économie ?

    Jean Tirole est un grand mathématicien, un excellent professeur et un chercheur consciencieux. Mais sa distinction révèle les limites du prix Nobel qui ne couronne plus des économistes dont les travaux  cherchent à améliorer le système ou le bien commun économique, mais qui distingue désormais uniquement des spécialistes travaillant sur des secteurs particuliers, fussent-ils utiles à tous ou simplement à un petit nombre.

    De fait, pour Jean Tirole comme pour nombre de ses prédécesseurs, l’économie, relevant de la « science », doit toujours l’emporter sur le politique. Il se rattache donc, comme l’a dit le professeur Christian Stoffaes, « à la gauche utopique pré-marxiste et au positivisme » et, comme la plupart des « ingénieurs-économistes », adhère « à l’idéologie du progrès par la science ». C’est pourquoi Jean Tirole a toujours considéré que le « régulateur » économique – en France, l’Autorité de la concurrence – devait être mis à l’abri de toute influence politique. Il a d’ailleurs tiré les conclusions de cette logique pour justifier la création d’une Union bancaire européenne qui ne dépendrait pas des états : « Il ne faut pas, a-t-il dit, que les gouvernements puissent intervenir dans la réglementation prudentielle car les gouvernants ont leurs propres objectifs qui peuvent après entraîner des difficultés importantes pour les banques ».

    Ainsi, depuis plus de vingt ans, le prix Nobel d’économie ne couronne que des spécialistes de micro-économie. D’une part, parce que l’analyse des statistiques individuelles permet de donner une tournure plus scientifique à la recherche que l’étude des statistiques nationales. D’autre part, parce que de telles études ont une apparence plus « démocratique » que les analyses macro-économiques : pour les « démocrates », en effet, l’intérêt général n’est que la somme des intérêts individuels. Si l’on « maximise » le profit de chacun, on « maximisera » le bien-être de tous. Pour le plus grand bonheur des (grandes) entreprises. 

    C’est l’avis de Manuel Valls qui a remis au goût du jour un projet déjà porté par Nicolas Sarkozy mais qui est maintenant revêtu de l’autorité du prix Nobel : la fusion des contrats à durée indéterminée et des contrats à durée déterminée dans un contrat de travail « unique » !

     

    Que penser du contrat de travail unique ? 

    Derrière cette « réforme » se cache en fait la suppression des CDI, accusés de rigidifier le marché du travail en « surprotégeant » ceux qui en bénéficient, et la généralisation du CDD. Elle est bien vue des grandes entreprises multinationales qui y voient le moyen de délocaliser plus facilement leur production vers des pays où les charges sociales sont moins élevées ou de remplacer les travailleurs autochtones par des immigrés moins exigeants, mais elle se heurte, naturellement, à l’hostilité des syndicats de salariés. Avec une telle réforme, on se rapprocherait du système américain. Mais, si le marché du travail américain est plus fluide et moins contraint que le nôtre, cela ne signifie pas obligatoirement que sa fluidité est « la » cause du plein emploi. à l’inverse, les études statistiques relatives à l’activité des multinationales montrent effectivement qu’elles se portent mieux si elles peuvent « presser le citron et jeter la peau ». Autrement dit, remplacer leurs salariés dès qu’ils sont jugés moins performants. On a beau dire que le marché du travail, en France, protège trop l’emploi et pas assez le salarié, ce n’est pas cette mesure qui, à elle seule, changerait la donne en profondeur. Le chômage ne diminuerait pas uniquement du fait d’une telle « réforme ». Il ne diminuera que si les produits fabriqués en France trouvent preneur au prix auquel ils sont obtenus et s’ils correspondent à un besoin réel des consommateurs. Agir uniquement sur la nature juridique des contrats du travail, c’est s’intéresser à un symptôme dans le but de n’avoir pas à affronter les causes du mal. Qu’un mathématicien, égaré dans le monde économique de la grande entreprise se laisse tenter, soit ; qu’un homme politique, responsable du bien commun, lui emboîte le pas, non !   

    Le prix Nobel d’économie 2014 vient donc couronner un Français qui a fait le choix, à un moment crucial de sa carrière, de revenir en France… Mais dont on peut se demander si, même inconsciemment, il n’est pas plus au service des intérêts américains qu’un Français ayant assimilé les acquis intellectuels américains pour les faire servir au rayonnement de la France dans le monde. ♦

     

    Source : Politique magazine

  • Fiscalité : vive l'Ancien Régime ! Par PIERRE BEYLAU (Le Point)

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    La monarchie avait inventé une multitude d'impôts, mais c'était une plaisanterie à côté de l'arsenal fiscal actuel.

    Dernière trouvaille de nos chasseurs de primes de Bercy : un impôt supplémentaire de 20 % sur les résidences secondaires "en zone de tension" (les grandes agglomérations). Personne ne sait si cette géniale initiative ira à son terme, une précédente tentative, en 2012, s'étant piteusement ensablée face à une levée de boucliers des élus. Mais ce ballon d'essai est emblématique d'une démarche désespérée pour trouver de l'argent par n'importe quel moyen afin de boucher le trou abyssal de nos finances publiques. Nullement en cherchant à réaliser des économies sur le fonctionnement de l'État ou des collectivités territoriales mais en aggravant encore une pression fiscale qui, en deux ans et demi, s'est déjà alourdie de 70 milliards d'euros.

    Jadis, sur les bancs de nos écoles publiques, laïques et républicaines, des instituteurs à blouses grises apprenaient à des enfants uniformément vêtus de tabliers noirs que la Révolution française avait, notamment, été provoquée par l'excès d'impôts. Ils égrenaient la capitation, la gabelle, le centième, la taille, le vingtième. Ils décrivaient - avec quelques exagérations - la condition pitoyable des paysans exsangues et expliquaient doctement que la charge était devenue insupportable. D'où la révolution. CQFD.

    Le jour de la "libération fiscale"

    Des historiens tout à fait sérieux, dont le remarquable Pierre Goubert, ont démontré que la somme de ces impôts de l'Ancien Régime était, somme toute, proportionnellement beaucoup plus légère que la fiscalité moderne. Tout le monde n'était pas logé à la même enseigne : les "pays d'états" (Bretagne, Bourgogne, Provence, Languedoc) possédaient des assemblées qui négociaient âprement le montant de la taille avec les intendants du roi. Ce que ne pouvaient pas faire les "pays d'élection", déjà soumis à la centralisation monarchique. Aujourd'hui, personne ne peut échapper à la broyeuse.

    Un paysan consacrait entre vingt et trente jours de travail au paiement de l'impôt. De nos jours, certains instituts d'inspiration libérale (Institut Molinari, Contribuables associés) fêtent chaque année, en juillet, le jour de la "libération fiscale", c'est-à-dire la journée à partir de laquelle le citoyen-contribuable pourra enfin travailler pour son propre compte, ayant rempli, les six mois précédents, ses obligations fiscales et sociales diverses.

    Comparaison n'est pas tout à fait raison : les impôts de l'Ancien Régime pouvaient affecter les besoins vitaux des populations, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Les Français bénéficient de surcroît de nos jours d'un filet de protection sociale qui explique en partie la pression fiscale. Mais en partie seulement. Et avant de puiser de nouveau dans la boîte à idées maléfiques de l'impôt et de lâcher sa meute affamée de collecteurs de fonds, le gouvernement serait bien inspiré de changer de logiciel. ♦

     

    Pierre Beylau

     

     

  • La France ne sait que faire de son Nobel d’économie. Par François Thalloy*

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    L’attribution, le 13 octobre, du prix Nobel d’économie à un Français est une plaisante ironie du sort. Non que le choix de la Banque royale de Suède soit le moins du monde contestable : Jean Tirole figurait depuis une dizaine d’années sur la liste des possibles récipiendaires. Son influence dans le monde universitaire s’explique par l’intérêt qu’il a toujours porté à l’économie industrielle, alors même qu’une majorité de chercheurs se consacrait à la théorie des marchés financiers. En cela, il incarne une tradition typiquement française de la pensée économique, liée au développement des grands opérateurs de réseaux (énergie, transports, communication). Fidèle à cette tradition, Jean Tirole a consacré l’essentiel de ses travaux à la compréhension des oligopoles : comment, dans un secteur nécessitant des investissements colossaux, éviter que quelques mastodontes dominant le marché ne rançonnent le consommateur ? Comment, à l’inverse, s’assurer que les règles qui leur sont imposées ne les empêchent pas de se développer et d’investir ?

    Mais cela va plus loin : par son parcours même, Jean Tirole résume un pan de notre histoire intellectuelle récente. Polytechnicien et ingénieur des Ponts, il a très tôt quitté la France pour les États-Unis. C’est au Massachusets Institute of Technology qu’il soutint sa thèse et mena la première partie de sa carrière d’enseignant. Tout comme lui, nombre de Français ayant reçu une formation mathématique poussée se sont expatriés aux États-Unis pour devenir économistes. Contrairement à Gérard Debreu (prix Nobel 1983) qui ne quitta jamais sa chaire de Berkeley, Jean Tirole a fini par revenir en France pour diriger l’école d’économie de Toulouse (Toulouse School of Economics, en bon français), qui est aujourd'hui reconnue comme un des meilleurs centres de recherche au monde. Avant ce retour, il avait largement contribué à attirer dans les universités américaines toute une génération de jeunes économistes particulièrement prometteurs (Thomas Piketty, avant sa métamorphose en prophète auteur de best-sellers, était du nombre). C’est là que se révèle toute l’ironie de l’histoire : si notre récent Prix Nobel n’a jamais affirmé de préférences politiques, la quasi-totalité de ces brillants cerveaux sont catalogués comme étant « de gauche ».

    Pour un esprit formaté par les faux débats que notre presse produit en série, il y a là un mystère inexplicable. Un économiste – à plus forte raison s’il enseigne et publie avec succès aux États-Unis – ne peut être qu’un infâme libéral. Avec un chauvinisme que l’on croyait réservé aux commentaires sportifs, les médias français se sont d’abord félicités de voir nos immenses mérites enfin reconnus, mais le réflexe pavlovien ne s’est guère fait attendre. Bien forcés de lui laisser un peu la parole, ils ont été forcés de constater que Jean Tirole professait des opinions peu conformes à la doxa. Rappelant, avec la candeur du savant véritable, que la situation du marché de l’emploi dans notre pays est « assez catastrophique » (on appréciera la nuance), notre prix Nobel a ainsi réitéré sa proposition de fusionner CDI et CDD en un contrat de travail unique. Sa conclusion : « à force de trop protéger les salariés, on ne les protège plus du tout ». On se réjouit de voir les chaînes d’équations justifier les conclusions du gros bon sens.

    Si le jury du prix Nobel d’économie avait été composé de Français, Jean Tirole aurait dû attendre sa récompense encore longtemps. ♦

     

    Source : Politique magazine 
  • Et si nous étions en guerre économique ? par François Reloujac

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    Un Gouvernement qui renonce à la politique de la demande pour une politique de l’offre, une banque centrale qui troque un euro fort contre des « mesures non conventionnelles », un patronat déboussolé, une majorité politique qui se délite, des travailleurs en grève : le pays est en danger. Mais ne serait-ce pas la conséquence d’une véritable guerre économique ? 

    Malgré son attitude volontariste et son air martial, le Premier ministre ne l’avoue pas. Le seul slogan qu’il répète à son tour, comme tous ses prédécesseurs avant lui depuis plus de quarante ans, est : « il faut réformer ! » Mais de changements en réformes, d’alternance en volte-face politiques, le pays continue à s’enfoncer dans la crise sans que personne n’ose vraiment regarder la vérité en face. Faute de désigner clairement la cause des difficultés et faute d’adopter une stratégie cohérente et clairement définie pour y remédier, la situation se dégrade chaque jour un peu plus et l’unité nationale se trouve mise à mal tandis que le moral des populations flanche. Le président Mitterrand disait, il y a quelques années, qu’en matière de chômage « on avait tout essayé ». Depuis, de nouvelles mesures ont encore été imaginées et, pourtant, aucune amélioration sérieuse n’a jamais été enregistrée. Le point commun aux divers gouvernements, de droite ou de gauche, qui se sont succédé, est de n’avoir jamais conduit la politique économique du pays comme si la France était en guerre. Tous ont célébré à l’envi une paix universelle et éternelle, mettant en avant une harmonie de façade sans chercher à réduire les misères qu’elle cachait.

     

    Quel est le terrain ? 

    Quels sont les combattants ?

     

    Dans une guerre économique, le terrain sur lequel se livrent les combats est constitué par « les marchés ». C’est là que certains s’enrichissent alors que d’autres se ruinent ; c’est là que s’exercent désormais les pouvoirs. Sur ce terrain, les combattants sont les agents économiques. L’offensive est menée par les entreprises qui produisent les biens et services qui permettent de gagner des parts de marché tandis que la défense est assurée par les consommateurs, qui peuvent orienter leurs achats. S’ils achètent d’abord des produits nationaux, ils soutiennent leurs entreprises, et, par là-même, le niveau national de l’emploi. S’ils achètent d’abord des biens et services venant de « l’ennemi », ils affaiblissent les entreprises nationales, la richesse du pays et le niveau national de l’emploi. Ils renforcent les producteurs étrangers. Sur ce terrain – les marchés –, les entreprises multinationales apparaissent comme des mercenaires qui peuvent aussi bien prêter leur concours au pays dans lesquels elles opèrent que jouer le rôle de cinquième colonne au profit d’une autre puissance. Elles peuvent aussi se conduire en véritables « routiers » quand elles n’ont d’autre objectif que de se servir elles-mêmes sur le pays pour leur propre profit.   

     

    Quelles sont les armes ?

     

    Les armes utilisées sont les biens et services produits et la monnaie qui sert à les acquérir ainsi que les normes techniques qui permettent de privilégier telle production ou telle consommation plutôt que telle autre. Dans la mesure où la monnaie est surévaluée par rapport à celle des pays concurrents, elle permet d’acquérir le capital des entreprises de ces pays et, donc, de payer des « mercenaires ». Mais elle risque aussi de rendre particulièrement onéreuses les matières premières dont on a besoin pour forger des « armes » nouvelles. à l’inverse, une monnaie faible incite les consommateurs à acquérir des biens et services provenant de l’étranger et, donc, à favoriser le développement sur le terrain des troupes ennemies. Les pouvoirs publics pourraient lutter contre ces débordements par l’instauration de barrières douanières, mais ces remparts ne sont pas plus en honneur aujourd’hui que la ligne Maginot hier, par l’imposition de normes – sanitaires ou techniques – particulières comme le font si bien les Américains, par une fiscalité indirecte appropriée (augmentation de la TVA) ou par un dumping social, apanage des pays les moins développés. En effet, toutes ces mesures favorisent les exportations, c’est-à-dire la conquête de marchés étrangers et dissuadent les importations, c’est-à-dire protègent le marché intérieur. Dans le cadre d’une telle guerre économique, la croissance permet plus de mesurer l’augmentation de la production des munitions que l’accroissement du bien-être des populations.   

     

    Quelle stratégie développer ?

     

    Lorsque l’on privilégie une « politique de la demande » dans le cadre d’une guerre économique, on se place délibérément dans le cadre d’une stratégie défensive. Mais, dans ce cas, il ne faut pas, sur le plan monétaire, conduire une politique du « franc fort », ou aujourd’hui de l’« euro fort », car on incite alors les consommateurs à acheter des produits provenant de l’étranger et l’on ruine automatiquement les avantages que l’on serait en droit d’attendre d’un accroissement de la demande intérieure. Si, pour soutenir cette demande, on a de plus recours au crédit, on ne fait que s’affaiblir un peu plus sur un autre front, car on est obligé de soutenir la valeur de la monnaie par un endettement public plus important. Cela correspond en fait à une perte d’indépendance – une défaite – sur les marchés financiers. Lorsque, à l’inverse, on pratique une « politique de l’offre », c’est parce que l’on attend des entreprises nationales qu’elles gagnent des parts de marché au-delà des frontières : on applique alors une stratégie offensive. Pour qu’une « politique de l’offre » ne soit pas agressive, il faudrait qu’elle ait pour but de favoriser essentiellement la recherche et le développement, ce qui permettrait de créer de nouveaux marchés et non pas simplement de rapatrier sur le sol national la production de biens et services consommés dans le pays. Mais une politique non agressive en la matière suppose beaucoup de courage et de patience ; elle ne peut porter de fruits qu’à long terme.

     

    Dans le cadre d’une telle analyse, il reste une question primordiale : qui est l’ennemi ? Personne ne peut se battre en permanence contre tout le monde. Il faut savoir trouver des alliés et désigner clairement l’adversaire. Lorsque l’on met en commun des structures ou des politiques, encore faut-il être sûrs que les intérêts des uns et des autres sont bien liés. Si les intérêts des uns ne coïncident pas avec ceux des autres, la structure commune pourra être utilisée par l’un des protagonistes pour dominer ses partenaires. Enfin, un pays ne peut-il pas être tenté par la stratégie d’Horace pour défaire les Curiace ? Il commence par envahir le marché voisin qui semble le moins bien défendu afin d’accroître sa puissance économique. Puis, fort de son succès, il s’attaque à un adversaire plus véloce ou plus agile. En l’occurrence un marché plus important.

     

    Bien entendu, une telle analyse n’est que pure fiction.  u

     

    Source : Politique magazine

     

  • Demain, tous mécontents, par François Reloujac

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    Situation sociale nationale, règles financières européennes ou négociations commerciales internationales, la rentrée économique du gouvernement promet d’être difficile. Mais sans une reprise en main de son indépendance politique, laquelle ne passe d’ailleurs pas nécessairement par des promesses inconsidérées, a-t-il les moyens d’influer sur cette évolution ?

     

    Une situation sociale explosive

    Le 6 août 2014, le Conseil constitutionnel a censuré la mesure phare du pacte de responsabilité qui prévoyait la diminution des cotisations sociales sur les bas salaires. Une telle décision ne peut qu’engendrer – outre une réelle circonspection vis-à-vis des mesures de remplacement – une grande frustration et une grande incompréhension de la part de ceux qui espéraient tirer avantage de cette mesure qu’on leur avait présentée comme nécessaire à la justice sociale. Elle ne peut donc qu’accroître un peu plus le malaise social. Or celui-ci n’avait pas besoin d’une telle décision pour se développer. Outre le niveau déjà très élevé du nombre des chômeurs et le gel des retraites, l’ancien ministre de l’économie avait décidé de déclarer la guerre aux professions réglementées. Que certaines règles soient absurdes et doivent être abrogées au plus vite, tout le monde en convient. Que le numerus clausus imposé à certaines professions particulièrement indispensables pour le bien commun soit une aberration, il n’y a aucun doute. Mais le moment et la forme sont mal choisis. Considérer que certains membres de professions libérales (pédicures, podologues) sont « trop » riches parce qu’en moyenne ils gagnent 1,8 fois le Smic, ou que d’autres (opticiens, huissiers…) font des profits abusifs parce que leur activité aurait une rentabilité supérieure à la moyenne, ne risque pas de favoriser l’emploi.

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  • Emmanuel Macron, philosophe, musicien, banquier, énarque ... le Jacques Attali nouvelle génération ?

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    Au cœur de la campagne présidentielle, en apprenant que François Hollande proposait une taxe à 75% sur les très hauts revenus, il aurait manqué de s'étouffer :

    « C'est Cuba sans le soleil ! »

    avait-il lâché en petit comité.

  • CRISE ÉCONOMIQUE : Trois propositions pour en sortir, par François Reloujac *

    libreechangebccc-635e1.jpgDans un monde globalisé où règne le libre-échange et où les textes qui régissent le fonctionnement de l'économie s'écrivent essentiellement au niveau européen, c'est une vraie gageure que d'imaginer trois mesures nationales qui pourraient améliorer la situation. Il est cependant possible d'amorcer un redressement avec des décisions dont la portée symbolique dépasse la simple conséquence immédiate.

     

    1. Donner une nouvelle mission à l'Académie française 

    La plupart des textes européens sont d’abord écrits et discutés en anglais, puis plus ou moins bien transposés dans les diverses langues des pays de l'Union européenne. C'est sur ces traductions approximatives que l’on demande aux Parlements nationaux de se prononcer. C'est, ensuite, sous l'unique contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne que ces textes sont interprétés et ils le sont dans une optique téléologique. Autant dire que les parlementaires nationaux se prononcent sur des textes dont ils ne mesurent pas les conséquences. Ainsi, à partir du dernier trimestre 2014 le nouveau calcul du PIB intègrera obligatoirement chiffres de « l’économie non observée », même si, en France, pour ne pas effrayer la population, l'lnsee continuera à « communiquer » uniquement sur un PIB n’incluant pas ces chiffres. Cette « économie non observée » recouvre en fait les « transactions » occultes, c'est à dire, entre autres, la prostitution, le trafic de drogue, le travail au noir, la vente clandestine des produits volés… C’est le résultat d'un texte européen écrit il y a plus dix ans, traduit par l’administration bruxelloise en 2010 et imposé par le Parlement européen en 20l2 pour mise en application fin 2014. 

    L'exemple est frappant : lorsque le Parlement national a été amené à se prononcer sur le texte d’origine, il n’a pas eu conscience de ce qu'impliquait cette notion de « transaction » pour le calcul du PIB. Or, en vertu de la liberté du commerce, et puisque le marché est le lieu où s'effectuent des transactions, il ne sera pas possible demain de s’opposer à la vente directe de marijuana en France par les dealers néerlandais, puisque, dans ce pays, cette drogue est en vente libre. Comment ne pas se trouver ainsi lié par des conséquences que l'on n'a pas voulues ? En demandant à l’Académie française de présenter au Parlement, avant que celui-ci ne se prononce sur un texte européen, un rapport dans lequel le sens des mots est explicité et en faisant obligatoirement annexer les conclusions de ce rapport au texte européen de façon à encadrer ultérieurement les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne.

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