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Social, Économie... - Page 79

  • Crise agricole : distribuer de l’argent ne sert à rien

    Un grand sujet au retentissement multiformes, multidirectionnel, à traiter à fond, sur lequel revenir ... 

     

    Face à la crise agricole, que les politiques européennes et françaises ne feront qu’aggraver, distribuer de l’argent ne sert qu’à dissimuler l’ampleur des problèmes. Entretien avec Michel Collin, ingénieur agricole. 

    L’Action Française 2000 – Les solutions gouvernementales aideront-elles à résoudre cette crise de la viande et, plus globalement, les crises de l’agriculture française ?

    Michel Collin – Les solutions, si j’ai bien suivi, sont essentiellement du report d’échéance, du report de crédit et des appels comminatoires à une bonne volonté commune entre les différents acteurs de la chaîne. Ce ne sont pas des solutions : on veut essayer de donner de la trésorerie momentanée aux éleveurs, je ne vois pas en quoi cela va régler le problème structurel du prix de la viande. On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion de fond sur le monde agricole : nous avons développé un modèle d’élevage aberrant. En amont, il nous oblige à aller chercher à l’étranger de quoi nourrir notre bétail, notamment avec du soja brésilien, qui provient de terres dont les paysans locaux auraient besoin – il y a donc un accaparement de terres, direct ou indirect. En aval, avec les concentrations anormales d’animaux dans certaines régions, les sols ne peuvent pas supporter les effluents d’élevage, les surfaces ne peuvent pas les absorber. Si on ne regarde que ces deux points, on est déjà dans l’absurde. En examinant d’autres systèmes, comme le poulet, on trouve des paysans totalement prolétarisés, qui ne sont plus agriculteurs, mais “nourrisseurs de volaille”, qui reçoivent tout de l’extérieur, poussins et aliments. Ils élèvent, si l’on peut dire, la volaille (ils portent le risque, surtout), que des machines envoyées par les entreprises de transformation viendront ramasser… Depuis plusieurs années, à chaque crise de l’élevage, les subventions réclamées ne servent qu’à masquer le problème. Des éleveurs disparaissent, la concentration s’accélère, avec comme conséquence immédiate l’augmentation de la charge de travail et de l’endettement : c’est un système artificiel, une fuite en avant perpétuelle. Le gouvernement gagne quelques mois, mais évite soigneusement de s’attaquer aux racines du problème.

    La FNSEA joue-t-elle son rôle de défense des intérêts paysans ?

    Ce qui est compliqué, c’est qu’à la tête de la FNSEA il y a Xavier Beulin, qui est aussi président d’un gros groupe agro-industriel, Avril-Sofiproteol, leader européen des oléoprotéagineux. Il est censé défendre les paysans, mais ses intérêts économiques monstrueux dans l’agro-industrie lui commandent une politique contraire. Une des sociétés de son groupe importe du poulet brésilien (émission Capital, avril 2014) ! Ses actions en tant qu’industriel vont directement à l’encontre des intérêts paysans qu’il est censé défendre. On marche sur la tête ! Rien de bon ne peut sortir de cet homme, qui a l’oreille de tous les politiques, François Hollande compris*.

    Si le gouvernement ne raisonne qu’en subventions, et si le seul syndicat représentatif n’accomplit pas son travail, existe-t-il une autre solution que de bouleverser le système de production agricole ?

    Non, il n’y a pas d’autre solution. Nous sommes sur un modèle agricole déphasé par rapport à notre époque. Ces dernières décennies, nous avons acquis un savoir certain, fiable, sur la santé, la “malbouffe”, les problèmes environnementaux, la biodiversité – et notre modèle agricole (en y incluant l’agro-industrie) génère clairement des nuisances majeures, qui mettent en danger les populations et la nature. Et il y a le problème de l’emploi : l’agriculture et la transformation des produits agricoles devraient être de formidables gisements d’emplois, mais on reste sur des problématiques d’il y a cinquante ou soixante ans… Dans ce système où l’agro-industrie et la grande distribution ont acquis un poids colossal, on ne peut pas imaginer revenir à de l’équité, donc à un vrai partage de la valeur, donc à de l’emploi. Il faut repenser totalement le modèle agricole, et cette crise est une opportunité. La transition vers le modèle qui fonctionnerait, qu’on connaît bien, l’agro-écologie, est extrêmement compliquée : les grands céréaliers, les grandes sucreries cotées en bourse, qui profitent le plus de l’argent de la Politique agricole commune (PAC), ne vont pas accepter que, du jour au lendemain, on supprime les exploitations de mille hectares dans la Brie… Mais c’est possible : il suffit d’une volonté politique. La PAC représente plusieurs milliards d’euros par an : donc, les moyens de cette transition existent. Mais le gouvernement ne fait rien, contrairement à ce que dit Stéphane Le Foll (ministre de l’Agriculture). Augmenter de 10 % les subventions aux premiers hectares ou rien, c’est la même chose ! Cela ne favorise en rien l’avènement d’une véritable agriculture paysanne, c’est une poussière. Un certain nombre de personnes, en revanche, ont des solutions, comme Jacques Caplat, qui les a exposées dans son livre Changeons d’agriculture – Réussir la transition (Actes Sud, 2014), ou Samuel Féret, qui était à la tête du collectif PAC 2013 et avait essayé de proposer une véritable modification de la PAC. Le gouvernement préfère être du côté des industriels et des puissants.

    Propos recueillis par Philippe Mesnard

    *http://www.reporterre.net/ENQUETE-5...

    Action Française 2000

     
  • Brunich ou Muxelles ? Par François Reloujac

     

    Puisque notre monde décadent aime bien forger des mots nouveaux, soit à partir de sigles ou d’anagrammes soit en contractant deux mots, je vous propose aujourd’hui, au choix, « Brunich » ou « Muxelles », tant l’accord auquel les Européens sont arrivés dans la capitale belge rappelle ceux signés dans la capitale bavaroise en 1938.

    Il ne faut pas croire que les Grecs seraient les seuls endettés [1] en Europe ni les seuls à avoir triché pour entrer dans la zone euro – cette nouvelle forme du miroir aux alouettes. Ils sont aujourd’hui chargés comme le bouc émissaire grâce auquel certains espèrent échapper aux conséquences de leurs propres mensonges ; mais ils pourraient bien n’être que les premières victimes d’une utopie fondée sur la recherche du plaisir immédiat. En France, tout particulièrement, il serait bon d’y songer.

    La dette publique grecque (350 milliards d’euros), rapportée à chaque Grec, n’est pas plus importante que la dette publique réelle française, rapportée à chaque Français. On dit que les Grecs ont dissimulé certaines dettes. Oui, mais le hors-bilan officiel de la France (3 200 milliards d’euros) – non pris en compte dans la dette officielle (2 000 milliards d’euros) et s’y ajoutant – est tel que chaque Français « doit » aux créanciers internationaux plus que chaque Grec (plus de 85 000 euro par Français contre plus de 70 000 euros par Grec, si l’on peut faire confiance aux chiffres publiés). Et que l’on ne dise pas que ce calcul résulte d’un « amalgame » douteux parce que le hors-bilan de la France est essentiellement constitué par les retraites des fonctionnaires que, contre toute loi économique, le Gouvernement français s’est autorisé à ne pas provisionner. Pense-t-on vraiment que la France ne paiera pas les retraites des fonctionnaires ?

    On nous a dit aussi que le poids de la fonction publique en Grèce était insupportable… mais il est relativement moins élevé qu’en France. 25 % des Grecs ne payent pas l’impôt sur le revenu… ce qui n’est certes pas bien, mais en France plus de 50 % des ménages sont exonérés de ce même impôt, ainsi que des impôts locaux. Faut-il en conclure : Solidarité en deçà du Péloponnèse, corruption au-delà !

    On ne peut pas non plus effacer la dette des Grecs car ce serait un fâcheux précédent, nous dit-on. Mais, a-t-on oublié le sens de l’année jubilaire dont parle la Bible ? Souvenons-nous de la dette allemande. Il est vrai que cette dette a été effacée à la demande des Américains car cela servait leurs intérêts… et qu’ils possédaient la première armée du monde. Plus tard, lorsque l’Allemagne a organisé sa réunification, les Européens n’ont pas cherché à entraver leur décision politique par des arguties économiques. L’Allemagne n’a pas toujours été, au cours des dernières décennies, le champion économique qu’elle est devenue grâce à un euro géré à son profit exclusif, au recours à une main d’œuvre peu payée en provenance de l’Europe autrefois sous le joug communiste et à une subtile utilisation des règles européennes. Cette domination économique aussi écrasante que provisoire devra demain tenir compte d’une réalité qui la plombe, sa faiblesse démographique.

    La Grèce ne peut pas faire face à ses engagements – demain il en sera de même de la France – ; il y a donc deux attitudes possibles : que ses créanciers lui fassent rendre gorge jusqu’au dernier centime, quelles qu’en soient les conséquences ; que ses créanciers – notamment ceux qui ont prêté en pensant que les autres Européens se substitueraient à l’imprudent – acceptent de constater leur propre légèreté et considèrent que l’important est de sauver le débiteur autrefois euphorique car c’est à la fois la meilleure façon d’espérer recouvrer une (petite) partie de leur créance et de continuer à faire de (juteuses) affaires.

    Les Grecs vont devoir travailler au moins jusqu’à 67 ans avant de partir à la retraite. Et les Français ? Quant à la durée effective du travail, telle qu’elle est calculée par l’OCDE, elle n’est pas en faveur des Français[2]. Je sais, certes, qu’en Europe, on mesure officiellement le temps passé sur le lieu de travail et non pas le temps de travail effectif, mais ce n’est pas une raison suffisante. La mesure du temps passé sur le lieu de travail est en fait, non pas la mesure ni de la pénibilité du travail ni de la contribution à la richesse du pays, mais celle de la privation de liberté (car le régime « normal » du travail est désormais partout en Europe le salariat et non le travail indépendant). Sur ce chapitre, force est de constater que l’Europe a aussi imposé aux Grecs de travailler le dimanche.

    Si les Grecs ne remboursent pas, il pourrait en coûter quelques dizaines de milliards aux contribuables français : moins que la charge des intérêts annuels relatifs à la dette contractée en France pour permettre à ses « élites » de vivre au-dessus de leurs moyens. Et bien moins que ce qu’il faudra payer lorsque les taux d’intérêt commenceront à remonter ce qui pourrait arriver avant la fin de l’été lorsque la FED américaine commencera à le faire, comme l’a promis Janet Yellen.

    Parmi les dernières trouvailles des égoïstes qui ne veulent pas entendre parler de la dette grecque, on nous sert le coût des Jeux Olympiques d’Athènes… au moment même où Paris pose sa candidature pour de prochains Jeux. La France pense-t-elle vraiment qu’elle va pouvoir équilibrer le coût de cette opération [3] ? Ou, imagine-t-on que ceux qui posent cette candidature se disent que c’est un autre parti qui aura à apurer la facture ?  Ou pensent-ils encore que, compte tenu de l’importance de l’épargne antérieurement accumulée par chaque Français, on pourra sans difficulté majeure la ponctionner un jour pour sauver des établissements financiers « too big to fail« , comme on l’a fait à Chypre et comme chaque pays européen doit désormais l’inscrire dans sa législation nationale ? Peut-être qu’auparavant on imaginera que la France pourrait vendre la Tour Eiffel au Qatar pour recapitaliser BPCE, Crédit Agricole, BNP ou Société Générale !

    Oui, la Grèce a maquillé ses comptes pour entrer dans l’euro (avec l’aide de Goldman Sachs dont l’un des plus brillants représentants était un certain Mario Draghi, aujourd’hui patron de la BCE) mais qu’en est-il des autres Etats, France et Allemagne en tête ? Et combien tout cela a-t-il rapporté à la banque américaine ?

    Deux questions iconoclastes pour en finir sur ce volet économico-financier de la crise – car nous n’aborderons pas ici la question sous l’angle politique[4] autrement que pour constater que l’Europe a ajouté une nouvelle manière de respecter le vote (à plus de 60 %) de tout un peuple : en le tenant pour nul, sans même se donner la peine d’exiger du pays qu’il « revote » ! Qu’est-ce que l’euro apporte véritablement aux peuples ? [5] Et, combien les Corréziens doivent-ils aux contribuables de la région parisienne depuis que ces deux « entités » appartiennent la « même zone économique » et utilisent une même « monnaie unique » [6] ? 

     


    [1] Sans tenir compte, bien entendu de la dette privée de chacun des agents économiques individuels.

    [2] En 2008, les Grecs travaillaient en moyenne 2 120 heures contre 1 760 pour la moyenne des autres Etats européens. Depuis la différence ne s’est pas améliorée au profit des Grecs.

    [3] Car si les prêts accordés par les banques « françaises » ou « allemandes » (une vingtaine de milliards d’euros) pour permettre ces Jeux ont essentiellement bénéficié à des entreprises de BTP françaises ou surtout allemandes (à l’époque, on a même dit que cela permettait de « sauver » certaines entreprises allemandes, principales bénéficiaires de l’opération), il n’en sera pas forcément de même demain.

    [4] Milton Friedman croyait, autrefois, qu’en cas de choc entre la « Souveraineté nationale » et la monnaie, la première l’emporterait toujours sur la seconde. Pourquoi s’est-il trompé ? Quelles en seront les conséquences demain ?

    [5] En dehors du dernier choix laissé aux peuples entre implosion ou explosion ?

    [6] Comme l’a écrit J. Savès sur le site www.herodote.net, « un bourgeois de Strasbourg est infiniment plus solidaire d’un habitant de Mayotte, malgré tout ce qui les sépare, que son voisin de Fribourg, malgré tout ce qui les rapproche, parce qu’il partage avec les premiers les mêmes droits civil, fiscal, social, etc., et ne partage rien avec le second ».

     

  • Chômage : l'embellie, ils peuvent toujours l'attedre ...

     

    Voici, ce que dit la presse le 27 juillet au soir :

    Triste record. Il n’y a jamais eu autant de chômeurs en France. Les chiffres qui viennent d’être publiés sont catastrophiques : la France comptait en mai dernier 3,55 millions de chômeurs sans activité. Pour le mois de juin, il y a 1.300 demandeurs d'emploi supplémentaires.

    Situation au mois de mai

    Les résultats qui ont été publiés par le gouvernement au mois de mai étaient catastrophiques. La France comptait 16.200 demandeurs d'emploi supplémentaires, soit une augmentation de +0.5% d'après les calculs du gouvernement par rapport au mois d’avril.

    Au total, le nombre de chômeurs en France s’élevait à plus de 3.55 millions (3.552.000). Soit une hausse de plus de 5% sur un an.

    Record au mois de juin

    Les résultats qui viennent d’être rendus publics s'inscrivent malheureusement dans la continuité des mois précédents. On recense pour le mois de juin 1.300 chômeurs supplémentaires. 

    Notre commentaire

    Dans un pays où les prélèvements obligatoires sont de 47%, les dépenses publiques de 57% du PIB, le service de la dette de plus de 40 milliards, le nombre de chômeurs de 3,55 millions en hausse constante, le déficit du commerce extérieur récurrent de l'ordre de 60 à 70 milliards, pour n'évoquer que les paramètres les plus généraux, il faut beaucoup  d'inconséquence pour espérer une reprise significative et durable de la croissance, la baisse du chômage, l'assainissement de nos comptes publics.

    Nous ne disons pas que ces objectifs sont, pour la France, inatteignables mais qu'il y faudrait des réformes de grande ampleur, des mesures fortes qui n'ont rien à voir avec ce que contenait la défunte boîte à outil de François Hollande. Réformes et mesures à quoi devrait se superposer une volonté politique à toute épreuve capable de mobiliser les forces vives du pays.

    Si attristant que ce puisse être, nous en sommes fort loin, nous semble-t-il.  Lafautearousseau   

     

  • André Bercoff • Hollande, Le Foll : impuissance de l'action et misère de la parole

    Stéphane Le Foll parle. Il a le verbe et la dégaine d'un marchand de cravates sur la voie publique. Mais il parle ...

     

    Quand le bon sens, le style, la verve et la truculence, le franc parler se combinent cela donne un billet d'André Bercoff et quand il décide de peindre et moquer les mœurs des hommes du Système, cela fait mouche. 

    photo.jpgFace à la déferlante des barrages et des jets de fumier, du ras-le-bol de producteurs exaspérés engraissant des intermédiaires gavés, face à la colère qui monte et à un pouvoir débordé qui multiplie les mesures d'urgence pour améliorer une situation qu'il connaissait pourtant de longue date, il convient d'adopter le point de vue de Candide. Il faut, certes, cultiver son jardin, mais que faire quand celui-ci ne permet même pas à ses propriétaires de survivre en milieu rural ? On ne peut même plus en rester à la formule: « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons de les organiser » ; parce que, même là, on ne peut plus faire semblant.

    En ce domaine comme en tant d'autres, les gouvernants, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont trop souvent pratiqué le métier qu'ils connaissent le mieux: celui du jeu de bonneteau. Ni vu ni connu je t'embrouille. La poussière sous le tapis. Refilons la patate chaude aux successeurs et après moi le déluge. Immigration ? Insécurité ? Chômage ? Dette ? Fonction publique ? Agriculture ? Tant que la rue n'a pas bougé, la question ne sera posée que pour mieux l'enterrer. Circulez, il n'y a rien à voir: nous savons mieux que vous ce qui est bon pour vous et l'allons marteler sur toutes les caisses de résonance qui nous sont aussi vassales qu'obéissantes.

    Cet enfumage généralisé, considéré longtemps comme un des beaux-arts de la gouvernance, masque la dure réalité de l'effritement du pouvoir. Tout se passe en effet comme si les politiques, cernés par l'étroitesse croissante de leur marge de de manœuvre, assiégés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par la Toile et les réseaux d'infos, sommés de s'expliquer dans l'écume de l'immédiateté, sont devenus les commentateurs bavards de leur propre inaction. Ils vont, de l'aube au crépuscule, salivant devant micros et caméras, donnant leur avis sur tout, et n'oubliant jamais de souligner que si, dans telle ou telle partie de l'Europe et du monde, une crise est résolue, c'est bien grâce à eux. S'il s'agit d'un échec, c'est bien sûr à cause des autres.

    D'où la crise de plus en plus aigüe des chansonniers et autres Guignols, remplacés avantageusement par ceux qu'ils brocardent. Quand le Roi devient bouffon, il ne reste à celui-ci qu'à s'inscrire à Pôle Emploi. Etrange et burlesque paysage où ceux qui sont censés faire le job, passent les trois-quarts de leur temps à l'expliquer plus ou moins heureusement.

    La solution ? Tout le monde la connaît : que ceux qui nous représentent travaillent en silence et ne s'expriment que quand l'action est accomplie. Que les journalistes n'oublient jamais leur esprit critique, et que passer son temps à essayer de faire prendre des vessies pour des lanternes et mettre entre parenthèses d'évidentes bombes à retardement, n'empêcheront jamais les explosions d'aujourd'hui et de demain. 

    André Bercoff 

    Dernier ouvrage paru : Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi  octobre 2014 chez First.

     

  • Face à la crise agricole, le point de vue de Jean-Philippe Chauvin

     

    Comme nous l'avons fait nous-mêmes ces jours derniers, Philippe Chauvin ne se contente pas de demander pour nos agriculteurs et éleveurs quelques mesures immédiates de sauvetage. Le monde agricole français se meurt de cette succession d'aides étatiques ou européennes dont il est comme drogué. Comme nous, Philippe Chauvin veut que l'on aille au fond des choses. Et le fond des choses, c'est la remise en cause d'un certain nombre de fondements idéologiques de l'économie contemporaine : le libre-échangisme systématique, la concurrence par le binôme infernal baisse des prix / baisse de la qualité, concurrence par le bas qui appauvrit, massifie, disqualifie, et encore le consumérisme, la financiarisation, de la filière agro-alimentaire notamment. Or la critique est particulièrement fondée en matière alimentaire et agricole qui touche à l'existence même de la France charnelle. Aussi bien, d'ailleurs, que d'autres pays, notamment européens. Refaire une agriculture française, reconstituer une population agricole nombreuse, productive - avant tout de qualité - et aisée : cela suppose que cette critique de fond soit menée.  LFAR  

     

    arton8470-7b8cd.jpgLe monde agricole est à nouveau en crise : en fait, il n'a jamais cessé de l'être depuis ces dernières décennies, et la baisse régulière, dramatique en fait mais révélatrice, du nombre d'exploitations agricoles en France (comme en Europe), en administre la preuve la plus visible tout comme la disparition de la présence paysanne dans les campagnes, de plus en plus désertifiées dans celles qui, néanmoins, gardent une vocation d'abord agricole. En même temps, le chômage qui touche les zones rurales entraîne le départ des populations les plus jeunes vers les villes ou leurs périphéries, ce qui accentue encore ce mouvement de désertification. 

    Aujourd'hui, c'est la question des prix de la viande et du lait qui jette les éleveurs dans la rue, ou plutôt sur les routes. Mais, au-delà, c'est ce sombre désespoir et cette peur de mourir qui animent la colère des éleveurs, victimes d'un système absurde et mortifère pour les plus faibles, ce système agroalimentaire mondialisé et libéralisé qui privilégie l'argent et la manipulation des cours et des prix plutôt que le labeur et la peine des hommes : est-il normal que des agriculteurs qui travaillent parfois plus de 70 heures par semaine soient réduits à mendier des subventions et ne puissent pas vivre des produits de leur ferme ? 

    Surprise par la vivacité d'un mouvement qui embrase tout l'Ouest et bien au-delà, le gouvernement de la République cherche d'abord à éteindre l'incendie mais il avoue vite son impuissance devant des règles économiques qui le dépassent et dont il ne peut pas se déprendre, prisonnier d'une Union européenne trop libérale pour être favorable aux travailleurs de la ferme et d'une société de consommation qui privilégie toujours le bas coût et le court terme à la qualité, autant des produits que de la vie des campagnes et de ses bras. La grande distribution n'a guère de sentiment quand il s'agit de faire des affaires (à quelques exceptions près, certains directeurs de magasins privilégiant des produits locaux et des producteurs proches), et elle favorise des méthodes de production indignes de notre civilisation et du nécessaire respect autant de la nature que des hommes ! 

    Quand j'entends un éditorialiste télévisuel déclarer qu'il faut « moderniser l'agriculture française », je bondis ! Car, après tout, n'est-ce pas ce que l'on a fait depuis les années 1950, pour le meilleur mais aussi (et au final, surtout...) pour le pire ? Et il faudrait continuer sur cette voie d'une agriculture qui, désormais, sacrifie les agriculteurs aux profits de quelques grandes sociétés, et qui ne voit la nature que comme une source de revenus financiers alors qu'elle est d'abord nourricière, vivante mais aussi fragile et digne d'être respectée, aimée et non violée ! 

    Alors, quelles solutions à la crise actuelle ? Certes, des mesures conjoncturelles sont nécessaires, tout d'abord, pour éviter le drame d'une faillite massive d'exploitations agricoles en France et, à terme, le déclassement de l'agriculture française : des aides financières, des hausses de prix agricoles et des remises de dettes et de charges, entre autres. Mais il faut surtout repenser rapidement et sûrement l'agriculture en France, pour éviter d'autres crises et redonner à ce secteur du souffle tout en le pérennisant : un néocolbertisme agricole est possible en France, pratiqué par un État qui doit permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier tout en produisant en quantité et de bonne qualité pour de multiples marchés et, d'abord, ceux qui concernent les consommateurs français eux-mêmes. Favoriser au maximum les circuits courts ; aider les producteurs à diversifier leurs sources de revenus en privilégiant, au-delà de leurs grandes spécialités, des formes de polycultures locales ainsi que l'agroforesterie ; mettre en place, avec les producteurs locaux, de véritables aires de production autour des villes, aires qui fournissent les commerces de bouche locaux (y compris de la grande distribution, avec obligation pour celle-ci d'acheter une part significative de la production agricole locale à de bons prix) ; pratiquer une politique de « redéploiement rural » pour accompagner un mouvement plus général de revitalisation agricole et villageoise... Voilà quelques propositions, et c'est une liste bien incomplète assurément (ce ne sont pas les idées qui manquent !), mais rien ne peut se faire de concret et de durable sans une politique d’État qui rappelle celle de Sully quand, au sortir des guerres de religion, il fallait reconstruire l'agriculture en France. Une politique sur le long terme, audacieuse et ferme face aux grands acteurs financiers de la mondialisation, aux multinationales de l'agroalimentaire et aux pressions des partisans d'un Libre marché globalisé qui n'est rien d'autre qu'un vaste champ de bataille de tous contre tous... Un État qui soit actif sans être intrusif, qui soit ferme sans être dictatorial, qui soit fédéral sans être dispersé... 

    Il ne s'agit pas de faire de l'étatisme (qui serait aussi dévastateur et vain que le libéralisme sans limites) mais de promouvoir, de soutenir, d'arbitrer, de protéger l'agriculture française et ses acteurs, tout en leur laissant « libre voie » pour s'organiser eux-mêmes pour mieux s'intégrer (et, cette fois, dans de bonnes et justes conditions) aux circuits économiques contemporains sans en être les esclaves ou les victimes. 

    La République a toujours été ambiguë avec le monde paysan : les amis de Jules Ferry employaient un terme d'origine coloniale, la « cambrousse » pour désigner la campagne, tout en faisant les yeux doux aux agriculteurs électeurs pour gagner les élections... Aujourd'hui, cette même République ne sait comment résoudre la « question agricole », par fatalisme, acceptation totale du libéralisme, ou simple impuissance politique. Là encore, la République n'est pas la mieux placée pour préserver l'agriculture française tout en la rendant à ses fonctions et ses qualités premières : une monarchie qui romprait avec les féodalités financières et l'esprit d'abandon, qui retrouverait le souffle et la pratique d'un Sully et valoriserait l'agriculture « à taille humaine » sans négliger les enjeux de l'économie, serait plus efficace que cette République aux abois qui ne sait que faire des agriculteurs...

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

     

  • Le plan Schäuble : sortir de la zone euro ?

     

    L'hypothèse est de Sylvia Bourdon, chef d'entreprise, dans Boulevard Voltaire. A vrai dire, elle ne nous surprend pas. La religion de l'Euro est française, pas nécessairement allemande. D'autre part, il nous paraît assez clair que l'Allemagne, ses dirigeants, son opinion, considèrent désormais avoir atteint la limite au delà de laquelle il n'est plus question de payer pour les autres. Notamment pour les pays du Club Med comme  on a pris le pli des les (nous) appeler, outre-Rhin. On les comprend. Enfin, est-il toujours si sûr que l'Allemagne redoute l'appréciation de sa monnaie qui suivrait sa sortie de l'Euro, au moins comme monnaie unique ? On peut en douter car une bonne part de l'industrie allemande a pour pratique de faire fabriquer à l'étranger, notamment chez ses voisins d'Europe Centrale, ex-communiste, les ensembles ou sous-ensembles servant à la construction de ses propres produits. L'Euro fort lui permettait de les acheter à bas coût. Un Mark ou Euro Mark réévalué lui permettrait des achats à encore meilleur compte et il n'est pas sûr que ses prix de revient s'en trouveraient augmentés de beaucoup. Ce qui est sûr c'est que l'Allemagne est excédée par un certain nombre de pays de l'Eurogroupe et qu'aucune autre voie plus favorable à ses intérêts ne lui paraît plus inenvisageable. Sans-doute au contraire.  LFAR   

     

    L’humiliation de la Grèce est depuis longtemps le but de Schäuble. Il estime que l’Union européenne n’est plus viable. Son ambition est une union politique qui n’est possible, selon lui, qu’avec des États germano-compatibles. Le « Grexit » est au programme.

    Schäuble s’imagine l’architecte d’une nouvelle Union européenne. Le « Grexit » est essentiel. Ce vieux cacique de parti rejette SYRIZA. Le couronnement de sa carrière serait de prouver que l’on peut y arriver, en s’appliquant avec discipline et persévérance. Il est amateur de grandes coalitions. « Son Union européenne » n’est pas composée d’associations incontrôlables, hautes en couleur, où chacun peut y trouver son bonheur.

    SYRIZA, du pain béni pour Schäuble. Il n’est plus contraint de composer avec le parti ami, Néa Dimokratía. Varoufákis livre dans une interview au New Statesman certains détails. La Troïka rejetait ses propositions, sans argumentations et sans contre-propositions. Selon Varoufákis, la Troïka a mené en bateau les Grecs. Lorsque Varoufákis lançait à Schäuble qu’il n’est plus possible de négocier selon les vieilles règles, il rétorque : « Nous avons 19 pays dans l’eurozone où se tiennent des élections. Si après chaque élection nous devons changer les règles, ça n’est plus gérable. Il y a des règles auxquelles il faut se tenir, peut importe qui gouverne. » Signification : les sauveurs de l’euro veulent éjecter la Grèce.

    Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, écrit que Schäuble, sans y mettre les formes, est le seul politicien à apporter une alternative pour la Grèce : la sortie de l’euro, une aide humanitaire, le soutien pour une nouvelle drachme par la BCE. Ceci sonne bien, alors que Tsípras fut contraint de signer.

    Cet accord ne peut tenir. 3 mois de souffrances supplémentaires. Au plus tard en octobre, une nouvelle réunion aura lieu pour un constat d’échec. Schäuble espérait que Tsípras choisirait le « Grexit ». Tsípras est naïf, n’est pas à la hauteur des « durs à cuire » de Schäuble. En « realpolitik », ce sont les intérêts qui priment. Le « Grexit » est inévitable. L’Allemagne ne suivra plus dans une eurozone en tel dysfonctionnement. Tsípras n’a pas compris le message martelé depuis des mois. La Grèce est indésirable. Si Merkel-Schäuble avaient vu une chance minime de garder la Grèce dans l’euro, ils auraient présenté un autre accord, avec de l’argent pour les investissements, d’autres fonds des États membres, l’aide de la BEI et de la BERD, ils auraient évoqué la protection des dépôts. Schäuble veut la disparition de la Grèce de l’euro. En revanche, les banques devront être directement soumises à la BCE. Personne ne parle plus de l’union bancaire célébrée il y a quelques mois.

    L’Allemagne ne sauvera pas les banques grecques, Schäuble le sait. Sa proposition à Tsípras : « Si vous sortez de l’euro, vous obtiendrez une réduction de la dette. » Avec un « Grexit », le message Schäuble aux autres pays du sud est clair : « Tout le monde sera traité comme la Grèce. Ou vous jouez selon les règles, ou vous y serez contraints. » La « généreuse » proposition de la Troïka de transformer la Grèce en euro-protectorat devra intimider. Le temps est avec Schäuble. La situation italienne est catastrophique. L’Espagne présente une situation pire qu’officiellement annoncée. Podemos est un SYRIZA en puissance. Schäuble refuse de négocier avec ces partis, adversaires de l’austérité. Il leur mettra le couteau sous la gorge.

    Il veut un Parlement de l’eurozone, en estimant que l’unité politique ne pourra voir le jour que s’il traverse une crise. Restent l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Slovaquie et, si possible, la France, laquelle deviendra problématique si Marine Le Pen arrive au pouvoir. Schäuble veut cette eurozone en tant qu’union politique, avec union de transfert, budget commun, un seul ministre des Finances qui aurait tous les pouvoirs, une sécurité des fonds communs, une assurance chômage commune et un programme d’intégration. Rien ne le fera reculer pour imposer son plan. Il sait qu’une ligne rouge s’est créée dans l’Union européenne contre sa politique. Le temps presse. La destruction de l’ancienne Union européenne est engagée. Il y aura des dommages collatéraux, lesquels, selon Schäuble, seront moins importants que si l’on continue à se coltiner les Grecs, les Italiens, etc. 

     

     - Boulevard Voltaire

     

  • Dominique Jamet : Les feux de la détresse

     

    Ces feux de la détresse - peut-être, en effet, les derniers - sur lesquels Dominique Jamet attire ici l'attention avec force et raison,  ce sont ceux de nos éleveurs, de nos paysans, de nos campagnes et de nos villages. De la France charnelle. A l'inverse des Grecs qui sont au moins coresponsables de leur sort et n'ont jamais vécu que d'endettement - la Grèce a fait six fois défaut depuis son indépendance - nos agriculteurs sont surtout victimes. Victimes d'un monde, d'une idéologie, de la domination d'une concurrence qui les broie. Il n'est pas sûr qu'ils en voient la cause profonde. Et Dominique Jamet a bien raison de la dire : il n'est plus temps de pleurer les aides de l'Etat ou de l'Europe. S'ils ont une certaine responsabilité dans leur situation, elle est là : nos agriculteurs se sont habitués à vivre des aides et des subventions auxquelles on les a drogués. Ils les veulent et les réclament. A moins qu'ils ne sollicitent les grandes surfaces pour qu'elles diminuent leurs marges. Quelle naïveté ! Nous pensons ici que tant que l'on ne touchera pas au dogme du libre-échangisme globalisé, tant qu'on ne fixera aucune règle aux importations massives, de n'importe quoi, en provenance de n'importe où, notre production sera menacée d'extinction. En particulier en matière agricole. Nous pensons même qu'en cette matière, le principe de subsidiarité devrait être rendu partout impératif et que la circulation transcontinentale ou intracontinentale intense et systématique des produits alimentaires - en particulier - devrait être l'exception. Ce serait sans-doute la sagesse si les politiques le décidaient. Ce serait le retour à la qualité des produits, la limitation de la malbouffe, ce serait sauver de la désertification la campagne française et ce pourrait être un nouvel essor du monde paysan, avec le gisement d'emplois qu'il pourrait créer si on lui en assurait les conditions. Merci à Dominique Jamet d'avoir soulevé le problème de notre agriculture et de nos éleveurs dans sa pleine dimension.  LFAR

                    

    3312863504.jpgLa prison pour dette ? On pouvait croire que cette peine archaïque, abolie chez nous depuis plus d’un siècle, appartenait à des temps définitivement révolus. On se trompait. La conséquence immédiate la plus évidente de la conférence européenne qui s’est conclue lundi dernier à l’insatisfaction générale, celle des créanciers comme celle du débiteur, n’est rien d’autre que le placement de la Grèce sous écrou, pour cause d’insolvabilité.

    La Grèce en prison, qu’est-ce à dire, et où diable se situerait cette prison? Entendons-nous. Il n’est question ici ni de la Bastille ni de la tour de Londres ni du château d’If où Edmond Dantès, futur comte de Monte-Cristo, perdit la liberté et crut bien perdre la raison. La prison dont il s’agit est une prison ultra-moderne, une prison immatérielle, une prison sans barreaux, ou plutôt dont les barreaux sont remplacés par des règlements, des interdits, des clauses obligatoires, des sanctions automatiques… Une prison, quand même, dont les onze millions de détenus, placés sous bracelet électronique, ont perdu la maîtrise de leur monnaie, de leur budget, de leurs lois, de leur destin. Indépendante depuis 1822, la Grèce a été mise sous protectorat en juillet 2015, pour une durée indéterminée, par ceux-là mêmes qui, osant se réclamer de l’idéal européen quand leur seule religion est l’euro, prétendent n’agir que pour son bien. Le feuilleton grec a-t-il pour autant trouvé son épilogue ? Qui dit prison dit geôliers, verrous, chiens policiers et surveillance permanente, mais aussi mutinerie ou évasion. À suivre…

    Pendant que nous n’avions d’yeux que sur la tragédie qui était à l’affiche du théâtre de la Monnaie de Bruxelles, un autre drame, un drame économique, un drame social, un drame humain se déroulait sur notre territoire. Aux dires du ministre de l’Agriculture français, Stéphane Le Foll, ce sont entre 20 et 25.000 éleveurs de bovins et de porcs, 10 % des effectifs de la profession, qui sont actuellement au bord de ce gouffre qu’est le dépôt de bilan. 25.000 exploitations victimes de l’embargo russe, de la concurrence allemande et polonaise, des pratiques commerciales de la grande distribution, soit au total, avec les familles et l’environnement, entre 80.000 et 100.000 personnes mortellement touchées. Un coup de couteau de plus dans le tissu de la ruralité, une étape de plus vers la mort annoncée de nos villages, de nos bourgs, de toute cette France charnelle sur laquelle se sont abattus tous les corbeaux de la mondialisation.

    Mais, dira-t-on, si ces agriculteurs sont menacés de faillite, l’État ne pourrait-il, substituant son aide à celles de la politique agricole commune, au cas par cas, au coup par coup, et le temps qu’il faudra, compenser leurs pertes par des subventions ? Eh bien non, de telles pratiques lui sont interdites par les règles qui régissent l’Union européenne.

    Fort bien, mais une solution alternative pourrait être la limitation quantitative ou la taxation des importations de viande et de lait en provenance des pays étrangers dont la concurrence nous menace ? Cette défense naturelle est incompatible avec la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’espace européen.

    Soit, mais est-il impossible au gouvernement de contraindre les colosses de la grande distribution, quitte à réduire leurs marges, à acheter les produits nationaux à des prix qui assurent leur rentabilité aux producteurs ? Ce serait une atteinte aux sacro-saints fondements d’une libre économie de marché.

    « Achetez français », implore François Hollande, de passage en Lozère. Mais ni le Président ni l’État ni le gouvernement ne sont plus maîtres chez eux. Ils sont les spectateurs lointains de nos naufrages. Quant aux malheureux qui coulent, ils sont réduits à déverser du fumier devant les préfectures et les grandes surfaces ou à allumer sur les routes des barrages de pneus. Dérisoires et pathétiques protestations. Ce sont les derniers feux de la détresse.

    L’asphyxie ou la noyade, c’est la perspective qui s’ouvre à la Grèce. La révolte, le suicide ou l’abandon, c’est le choix qui reste à nos éleveurs.

    Quant à ceux qui nous gouvernent… dans quel monde vivent-ils, et quel monde nous fabriquent-ils ? 

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    Journaliste et écrivain - Boulevard Voltaire

     

  • Chine, la puissance inquiète ... Il n’y a pas que la Grèce, dans le monde…*

     

    Cet article - de Jean-Luc Gréau, dans Causeur - nous a vivement intéressés. Il ouvre notre regard et notre réflexion non seulement à l'existant mais aussi à des possibles futurs, fussent-ils inquiétants et en contradiction avec ce que, jusqu'à présent, il a été convenu de penser. Ainsi de la Chine, comme puissance, ou même hyperpuissance de demain. De façon naturellement inélectable. Il suffit de prolonger les courbes, n'est-ce pas ?  

    Mais ici, nous n'avons jamais cru à la théorie de la fin de l'Histoire, ni au primat de l'Economie, ni que la mondialisation, réalité d'aujourd'hui, soit nécessairement le fait devant donner forme au monde de demain, ni qu'elle doive supprimer les peuples, les nations, leurs rivalités et leurs différences, ni qu'elle doive apporter à tous égale prospérité, niveaux comparables de développement et la paix universelle. Peut-être même est-ce tout le contraire.

    Le grain de sable grec a grippé pour longtemps - peut-être définitivement - la machinerie européenne. Qu'en sera-t-il si, démentant le conformisme des prévisionnistes, le géant chinois devait entrer en crise ? Economiquement, on peut l'imaginer. Mais d'autres domaines qui y sont corrélés, devraient appeler l'attention. Par exemple le surarmement dans lequel se sont lancées les puissances asiatiques (Chine, Inde et aujourd'hui Japon). Nous ignorons si Jean-Luc Gréau nous suivrait dans de telles considérations extra-économiques. Qu'il veuille bien nous en excuser. En tout cas, son analyse - qui plus est fort bien écrite - nous a amenés à y réfléchir.  LFAR  

     

    « La Chine m’inquiète » disait la duchesse de Guermantes dans Du côté de chez Swann. Le propos, dérisoire mais divertissant, a fini par devenir vrai quand la Chine a atteint récemment le statut de premier producteur mondial aux côtés et au grand dam des Etats-Unis, après avoir trente cinq années durant élargi et renforcé sa capacité économique.

    En juin cependant, tandis que l’imbroglio grec faisait perdre leur latin aux Européens, les bourses de Shanghai et de Pékin ont offert le spectacle d’un krach qui n’était attendu par aucun des économistes spécialisés. L’effondrement des cotes, de plus d’un tiers en deux semaines, a touché toutes les valeurs et la peur s’est emparée des entreprises qui étaient cotées ou voulaient se faire introduire en bourse.

    Il y avait deux façons d’aborder l’évènement. La première consistait à prendre le mouvement comme une profonde correction survenant après cinq mois de folie qui avaient vu, depuis janvier, les cotes s’élever de 55% environ. Il aurait fallu alors attendre la stabilisation spontanée du marché revenu à plus de réalisme. La seconde consistait à s’alarmer des répercussions du mouvement qui ont eu lieu dans sa foulée : report de toutes les introductions en bourse, report de toutes les augmentations de capital, à commencer par celles envisagées par les entreprises surendettées pour renforcer leur solvabilité. C’est ainsi qu’ont réagi les autorités de Pékin.

    D’abord, en injectant de la monnaie directement vers les brokers à partir des guichets de la banque centrale, ensuite en faisant intervenir un organisme public de marché, le Chinese Finance Securities Corp, ensuite encore en mettant en action les banques commerciales d’Etat, pour un montant de plus de 200 milliards de dollars, enfin en interdisant toute vente durant six mois aux détenteurs d’au moins 5% des actions. Le caractère massif de l’intervention en dit long sur l’inquiétude du pouvoir de Pékin.

    Un mois après la baisse initiale, la perplexité s’est installée. Personne ne sait si la hausse de la cote obtenue grâce aux mesures publiques de soutien du marché va déboucher sur une stabilisation durable. Nous pouvons dire cependant que cette stabilisation sera considérée comme acquise si le mouvement d’introductions et d’augmentations de capital reprend.

    A la faveur de l’épisode, la Chine a cessé de produire l’image d’une puissance orgueilleuse, dominatrice et sûre d’elle-même. Paraphrasant la duchesse de Guermantes, on dira « La Chine s’inquiète ». Elle s’enracine sans doute dans le fait central du surendettement qui touche d’innombrables entreprises liées aux secteurs du logement et des infrastructures. Entre 2008 et 2014, l’endettement global des Chinois a rejoint des niveaux « occidentaux », passant de 140% à 250% du PIB. L’endettement nouveau s’est concentré dans les entreprises et les collectivités locales.

    L’énoncé du problème économique chinois est désormais le suivant : ou bien les autorités de Pékin parviennent à réduire graduellement la croissance, sans la casser, pour contenir la dette des entreprises ; ou bien ils acceptent une fuite en avant consistant à doper sans cesse l’économie du pays, pour repousser l’échéance d’un « crash landing » dont le krach boursier de juin n’aurait été qu’un signal précurseur.

    Il n’y a pas que la Grèce dans le monde, il y a aussi la Chine. 

     

    Jean-Luc Gréau - Causeur

    *Photo : Zhengyi Xie/REX Shutter/SIPA/Rex_Stocks_Soar_China_4900402B//1507101258

  • Pour conclure sur la crise euro-grecque, qui, elle, ne fait que commencer : fin de partie remise ...

     

    La réflexion qui suit, intéressante et juste, est parue dans Causeur. Elle est signée Roland Hureaux. Elle nous semble résumer clairement et synthétiquement la crise grecque et surtout celle de l'euro. Au delà, celle de l'Europe et des nations qui la composent. Plus que la question grecque en elle-même, qui a déclenché, comme ce fut souvent le cas dans notre histoire depuis l'indépendance de la Grèce, une vague de romantisme, d'irréalisme et de passions, c'est en effet notre propre destin et celui de l'Europe qui est en jeu. Et c'est d'une tout autre importance ... LFAR  

     

    74878-hureaux-1,bWF4LTY1NXgw.jpg« Cette fois l’euro est sauvé, la crise grecque est terminée ». Un concert de satisfaction a salué, tant dans les sphères du pouvoir que dans la sphère médiatique, l’accord qui a été trouvé le 13 juillet à Bruxelles entre le gouvenrment Tsipras et les instances européennes – et à travers elles, les grands pays, Allemagne en tête.

    Etonnante illusion : comme si la diplomatie pouvait venir à bout  du réel. N’est ce pas Philippe Muray qui a dit un jour : « Le réel est reporté à une date ultérieure » ?

    Il n’y a en effet aucune chance que cet accord résolve quoi que ce soit.

    Passons sur le revirement étonnant d’Alexis Tsipras qui organise un référendum où le « non » au plan de rigueur de l’Europe est plébiscité avec plus de 62 % de voix et qui, immédiatement après, propose un plan presque aussi rigoureux.

    Aide contre sacrifices

    Ce plan a trois volets : les dettes de la Grèce doivent être étalées ; jusqu’où ? On ne sait pas encore, cela ne sera décidé qu’en octobre . La Grèce recevra de nouvelles facilités à hauteur de 53 milliards d’euros (remboursables), plus le déblocage de 25 milliards de crédits du plan Juncker (non remboursables). Elle doit en contrepartie faire voter sans délai un certain nombre de réformes : augmentation de la TVA, recul de l’âge de la retraite , lutte renforcée contre la fraude fiscale, etc.

    Le volet réforme correspond-t-il à une vraie logique économique ? Appliquées immédiatement, ces mesures plomberont un peu plus l’activité, comme toutes celles que l’on inflige à la Grèce depuis quatre ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ce pays consacre les ressources nouvelles à l’investissement et ne soit tenu de revenir à l’équilibre qu’au moment où la croissance , grâce à ces investissements, repartira. Quel  pays a jamais restauré ses grands équilibres dans la récession ?

    Moins que de considérations techniques, cette exigence de réformes ne s’inspire-t-elle pas plutôt du vieux moralisme protestant : aider les pauvres, soit mais seulement s’ils font des efforts pour s’en sortir ; quels efforts ? Peu importe pourvu qu’ils en bavent !

    Quoi qu’il en soit, pour redevenir solvable et donc rembourser un peu de ce qu’elle doit, la Grèce doit avoir des comptes extérieurs non seulement en équilibre mais excédentaires. Pour cela, elle doit exporter.

    Pourquoi n’exporte-t-elle pas aujourd’hui, et même achète-t-elle des produits comme les olives? Parce que ses coûts sont trop élevés. Pourquoi sont-ils trop élevés ? Parce qu’ils ont dérivé plus que dans les autres pays de la zone euro depuis quinze ans. Et quoi que prétendent certains experts, cela est irréversible.

    Aucun espoir sans sortie de l’euro

    La Grèce a-t-elle un espoir de devenir excédentaire en restant dans l’euro ? Aucun.

    Seule une dévaluation et donc une sortie de l’euro qui diminuerait ses prix internationaux d’environ un tiers lui permettrait de reprendre pied sur les marchés.

    C’est dire que l’accord qui a été trouvé, à supposer que tous les Etats l’approuvent, sera remis en cause dans quelques mois quand on s’apercevra que l’économie grecque (à ne pas confondre avec le budget de l’Etat grec) demeure déficitaire et qu’en conséquence, elle ne rembourse toujours rien.

    On le lui a assez dit : cette sortie-dévaluation sera dure au peuple grec, du fait de l’augmentation des produits importés, mais elle lui permettra au bout de quelques mois de  redémarrer. Sans sortie de l’euro, il y aura aussi des sacrifices mais pas d’espoir.

    Nous pouvons supposer que les experts qui se sont réunis  à Bruxelles savent tout cela. Ceux du FMI l’ont dit, presque en ces termes. Les uns et les autres ont quand même signé.

    Les Allemands qui ont déjà beaucoup prêté à la Grèce et savent qu’ils ne récupéreront rien de leurs créances, réformes ou pas, ne voulaient pas s’engager d’avantage. Ils ont signé quand même. Bien plus que l’attitude plus flexible de François Hollande, c’est une pression aussi ferme que discrète des Etats-Unis qui a contraint Angela Merkel à accepter un accord, envers et contre une opinion allemande remontée contre les Grecs.

    Quant à Tsipras, a t-il dû lui aussi céder aux mêmes pressions (de quelle manière est-il tenu ?) ou joue-il double jeu pour grappiller encore quelques avantages avant une rupture définitive – qui verrait sans doute le retour de Yannis Varoufakis. Les prochains jours nous le diront.

    Le médiateur discret

    On ne comprend rien à l’histoire de cette crise si on ne prend pas en compte, derrière la scène, le médiateur discret de Washington qui, pour des raisons géopolitiques autant qu’économiques, ne souhaite ni la rupture de la Grèce, ni l’éclatement de l’euro.

    Cette donnée relativise tous ce qu’on a pu dire  sur les tensions du  « couple franco-allemand » (ça fait cinquante ans que les Allemands nous font savoir qu’ils n’aiment pas cette expression de « couple » mais la presse continue inlassablement de l’utiliser !). Au dictionnaire des idées reçues : Merkel la dure contre Hollande le mou. Merkel, chancelière de fer, qui tient entre ses mains le destin de l’Europe et qui a imposé son diktat à la Grèce. Il est certes important de savoir que les choses sont vues de cette manière (et une fois de plus notre piteux Hollande a le mauvais rôle !). Mais la réalité est toute autre. Ce que l’Allemagne voulait imposer n’est rien d’autre qu’un principe de cohérence conforme aux traités qui ont fondé l’euro. Ce que Tsipras a concédé, c’est ce qu’il  ne tiendra de toutes les façons pas  parce qu’il ne peut pas le tenir.  Merkel a été contrainte à l’accord par Obama contre son opinion publique. La « victoire de l’Allemagne » est doublement illusoire : elle ne défendait pas d’abord ses intérêts mais la logique de l’euro ; cette logique, elle ne l’a imposée que sur le papier.

    Mais pourquoi donc tant d’obstination de la part de l’Europe de Bruxelles, de la France et de l’Allemagne (et sans doute de l’Amérique) à trouver une solution à ce qui dès le départ était la quadrature du cercle ? Pourquoi tant de hargne vis à vis des Grecs et de tous ceux qui ont plus ou moins pris leur défense, au point d’anesthésier tout débat économique sérieux ?

    Le Monde a vendu la mèche en titrant en grand : « L’Europe évite l’implosion en gardant la Grèce dans l’euro. » Nous avons bien lu : l’Europe, et pas seulement l’euro. Bien que la Grèce ne représente que 2% du PIB de la zone euro, son maintien dans cette zone conditionne la survie de l’euro. Mais par delà l’euro, c’est toute la construction européenne qui semble devoir être remise en cause si la Grèce sortait et si, du fait de la Grèce, la zone euro éclatait. Là encore le paradoxe est grand : comment de si petites causes peuvent-elles avoir de si grands effets ? Ce simple constat montre, s’il en était besoin, la fragilité de l’édifice européen. Cette fragilité réapparaitra qu’on le veuille ou non,  jusqu’à la chute de ce qui s’avère de plus en plus n’être qu’un château de cartes.

    Devant une telle perspective, les Européens, ont dit « de grâce, encore une minute, Monsieur le bourreau. » Une minute ou quelques mois mais  pas beaucoup plus. 

    Roland Hureaux - Causeur

    *Photo : Markus Schreiber/AP/SIPA/VLM133/812735085543/1506081323

  • SOCIETE • Le touriste est l'avenir de l'homme ?

     

    Intéressante chronique de Natacha Polony qui rejoint la réflexion de Camille Pascal et le grand texte sarcastique de Philippe Muray que nous avons publiés ici les 27 juin et 30 juin dernier. Sur les réalités du tourisme contemporain.  Partant, du monde moderne lui-même.

     

    929035447.jpgDans nos mythologies contemporaines, le touriste occupe une place toute particulière, parce qu'il est possible de lui assigner les rôles les plus divers suivant le point de vue que l'on décide d'adopter, suivant que l'on a décidé de rappeler à l'ordre des Français trop fiers et oublieux de leur statut désormais acquis de nation subalterne ne pouvant vivre que du tourisme ou de s'insurger contre les mauvaises manières des adeptes de la canne à selfie. Le touriste, notre nouveau miroir déformant.

    Pourtant, une image vient s'ajouter aux autres : celle, terrifiante, d'une jeune femme blonde en Bikini pleurant sur une plage de Sousse ses compatriotes massacrés. Le sable doré, le ciel bleu et, soudain, le décalage entre ce maillot de bain minuscule qui s'étale triomphalement dans les magazines et ce corps soudain fragile, trop dénudé pour dire le deuil.

    Si les islamistes tunisiens s'en prennent aux touristes, c'est d'abord pour des raisons économiques, parce qu'ils savent qu'une jeunesse privée de ressources, désespérée et frustrée, basculera plus facilement. Mais c'est aussi parce que les touristes incarnent à eux seuls cet Occident qu'ils prétendent combattre alors qu'ils en adoptent les codes et les techniques. On repense au terrible poème sarcastique de Philippe Muray Tombeau pour une touriste innocente, écrit en 2003 et qui prend aujourd'hui une résonance tragique. Cette touriste blonde, pétrie de bonnes intentions et de développement durable, militant pour les rampes d'accès handicapé sur les monuments historiques et le transhumanisme, finit décapitée par un terroriste faux rebelle qui est son double symbolique. Le texte est cruel ; glaçant parce que ce qui n'était qu'une provocation délectable est devenu réalité.

    Ce texte avait déjà provoqué l'ire de Thomas Legrand, éditorialiste sur France Inter, après la mort d'Hervé Gourdel en 2014. Feignant d'ignorer qu'Hervé Gourdel n'avait rien à voir avec le profil moqué par Philippe Muray, il qualifiait l'écrivain moraliste d'« auteur fétiche de tous les nouveaux réacs identitaires » (« identitaire », nouveau terme fourre-tout et infamant). Mais surtout, il opérait une formidable manipulation en dissertant sur l'expression revenue, elle aussi, sur le devant de la scène : « guerre de civilisation » pour expliquer que la guerre n'était pas entre chrétiens et musulmans (comme le pensent certainement les méchants réacs ; faut-il rappeler au brillant éditorialiste que le terme « civilisation » est au singulier, suggérant un combat de la civilisation en général, Orient et Occident, chrétiens et musulmans, contre la barbarie?) mais entre le camp du Bien, les tenants de « l'ouverture » et du « métissage », et le camp du Mal, partout dans le monde, de Poutine à Philippe Muray, des souverainistes aux islamistes, mis dans le même sac pour faire bonne mesure. Et moquer les touristes, c'est être dans le camp du Mal.

    Dans son éditorial du mois de juillet, le magazine Courrier international se réjouit en ces termes que les attentats, partout dans le monde, n'empêchent pas la belle croissance de ce secteur d'activité: « Cette année encore, près de 1,2 milliard de personnes franchiront une frontière. Et pour aller où ? De préférence, là où l'on se retrouve… entre touristes, de Las Vegas à la Costa del Sol, de Kuta (Bali) à Pattaya (Thaïlande). Pour s'amuser, pour la chaleur et les plages, les boîtes de nuit et les tournées des bars…» Le texte se conclut par cette question en forme d'évidence : « Comment ne pas être en faveur de cette démocratisation du tourisme ? » C'est vrai, comment ne pas être en faveur de cette transhumance de l'absurde dont les derniers avatars sont les selfies nus que prennent certains dans des sites sacrés ou grandioses, des temples d'Angkor au Machu Picchu ? Comment ne pas être en faveur de cette transformation des traces des civilisations humaines en joli décor pour une mise en scène de soi. Récemment, des articles de presse se sont émus de voir sur les réseaux sociaux des collections de selfies souriants pris au mémorial de la Shoah à Berlin. Parce que le tourisme des beuveries à Ibiza et le tourisme qui enchaîne les visites de monuments privés de contexte historique et des connaissances minimales pour les aborder se sont rejoints en une industrie incarnant l'« ouverture » et la « démocratisation », donc le Bien. « Le tourisme, écrivait Jean Mistler, écrivain, diplomate et visiblement mauvais coucheur, est une industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » Parce que la meilleure façon de lutter contre le nihilisme barbare, c'est de lui opposer, non les proclamations moralisatrices, mais le sens.   

    Natacha Polony - Figarovox            

     

  • Le péché originel, par Louis-Joseph Delanglade

     

     

    Lundi 29 juin, M. Juncker, président de la Commission européenne, semble effondré : « En une nuit, en une seule nuit, la conscience européenne en a pris un sacré coup ». Vendredi 4 juillet, M. Guetta, géopolitologue patenté de France Inter, se demande si « la pérennité même de lUnion » nest pas en cause. Quelles quen soient les suites immédiates, les événements qui, du fait de la crise grecque, agitent la zone euro, servent - enfin - de révélateur. Tout le monde sait que la Grèce a « triché » mais tout le monde admet désormais que jamais la Grèce ne pourra rembourser ses créanciers. Dans un accès de réalisme froid, M. Strauss Kahn déclare quil faut effacer la dette grecque, cest-à-dire au fond la « passer » en négatif : après tout, elle ne pèse pas grand chose dans le total des dettes cumulées des autres membres de la zone.

     

    Pourtant, « acter » lannulation de la dette grecque ne serait pas sans risque. Quelle serait alors lattitude des autres pays endettés ? Ce qui se passe en Grèce pourrait bien se reproduire ailleurs, dans des proportions autrement dévastatrices. Augmentation, à la carte, des taux dintérêt cest-à-dire, de façon mécanique, de lendettement des uns et des autres. Donc, effet domino : à qui le tour après la Grèce ? Obligation, sans doute, pour la B.C.E de soutenir certaines banques ou « institutions » par des émissions de monnaie, ce qui, en période de faible croissance, ressemble fort à de la « cavalerie »: on serait loin alors de lorthodoxie financièreCertains diront que cest ce que font les Etats-Unis quand ils le jugent bon. Mais les Etats-Unis peuvent le faire car ils détiennent la force politique et militaire qui leur permet dimposer leurs intérêts financiers au reste de la planète - ce qui nest pas le cas des Européens

     

    Le péché originel des idéologues européistes - naïveté ou incohérence, peu importe - aura été de bâtir lEurope sur la monnaie et, par voie de conséquence, sur la finance, une finance par définition mondialiste et qui ne cherche que le gain. Dailleurs, quand on prête pour se faire payer les seuls intérêts dune dette, cela est pire que lusure. Linfernale spirale de la dette menace en fait ainsi demporter lun après lautre des pays qui sessoufflent en vain pour suivre le rythme allemand. Imposer une monnaie unique à des pays dune trop grande disparité sociale et fiscale, le faire par ailleurs sans que cette monnaie  sappuie sur un Etat souverain, quelle gageure !

     

    En mésestimant, voire en niant, les fondamentaux de lEurope - la géographie, lHistoire, la culture, la religion, etc. - les apprentis sorciers de l« Union » ont fourvoyé les pays européens dans une impasse. Il fallait commencer par mettre laccent sur tout ce qui nous réunit - et, de fait, nous distingue des autres. La vraie Europe, la seule qui soit envisageable et souhaitable, réunira des peuples, des pays, des nations - tous représentés par des Etats. Il faudra tout remettre à plat et re-commencer par le commencement. 

  • Hervé Juvin : « L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples »

     

    D'après les révélations de Wikileaks, les trois derniers présidents français auraient été mis sur écoute par la NSA. Hervé Juvin voit dans ce scandale le symbole de l'hégémonie américaine et de la naïveté des Européens.

     

    HerveJuvin.jpgVotre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks ?                     

    Ne nous faites pas rire ! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous !

    Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français ! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien ! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner ! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre !

    Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique ?

    Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés ! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire « non ! ».

    Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates « Mistral », comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point ?

    Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongés. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.

    Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie ?

    La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; « il faut en finir avec les États-Nations en Europe ! » Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.

    Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique ! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush : l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas !

    Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête ?

    Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine ! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré !

    Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée !

    La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille : la diversité des formes que l'homme donne à son destin.

    Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires ?

    Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; « Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux (side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS ». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.

    Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre ! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre ! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France ?  

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    Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il poursuit un travail de réflexion sur la transformation violente de notre condition humaine qui, selon lui, caractérise ce début de XXIè siècle. Il est par ailleurs associé d'Eurogroup Consulting. Il est l'auteur de Pour une écologie des civilisations (Gallimard) et vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux Le Mur de l'ouest n'est pas tombé.

    Figarovox

     

  • Traité transatlantique : le dessous des cartes

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint 

     

    Pour Jean-Michel Quatrepoint, ce traité sert les intérêts des « empires » allemand et américain, qui veulent contenir la Chine, dans la « guerre économique mondialisée ». Et la France dans tout ça ? C'est la question qui est posée. (Retrouvez la première partie de la réflexion de Jean-Michel Quatrepoint, sur les « empires » publiée hier, ici-même). 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgLe traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain ?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine ?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant : tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu : celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé « National medium and long term program for science and technology development » dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial : non plus l'usine mais le laboratoire du monde ! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe ?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modèles qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs : uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan : passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça ? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu ?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est : comment et où allons-nous créer de l'emploi ? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle « Iconomie », c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite ! La France avait tout à fait les moyens de le faire ! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire « googeliser » !

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans : démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire ?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.  

     

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne. 

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Zone euro : ça chauffe !

     

    Par Ludovic Greiling 

     

    « Cette fois-ci, c’est du sérieux », lançait récemment un gérant. Un échec des négociations sur la dette grecque pourrait entraîner des turbulences financières importantes ainsi qu’un arrêt du projet européen et américain. Passage en revue.

    L’État grec, aujourd’hui, c’est encore une dette publique de 310 milliards d’euros, soit 180% du PIB national et neuf années de rentrées fiscales au niveau actuel. C’est une croissance qui peine à repartir après une chute du PIB de 25% en quatre ans, en raison notamment de l’austérité voulue par les créanciers occidentaux qui ont pris en main la politique grecque : la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.

    Depuis plusieurs années, les études des établissements financiers sur le « risque politique » foisonnent, les banquiers étant particulièrement inquiets du résultat des élections pour l’avenir des dettes publiques européennes.

    L’élection d’un mouvement d’extrême-gauche en Grèce en janvier dernier et son alliance avec un petit parti souverainiste pourraient mettre un terme à la progression de l’euro, monnaie « irrévocable » affirmait le président de la BCE il y a trois ans.

    L’euro bute sur la Grèce

    Les négociations sur la dette, sans cesse remise sur le plan de travail depuis six mois, pourraient échouer. Résultat : sur le marché libre, le taux d’intérêt payé par le gouvernement grec pour emprunter à dix ans est remonté à 13% alors même que l’inflation dans le pays a disparu.

    La crainte d’une sortie d’un pays de la zone euro – qui serait une grande première en seize années d’existence – pourrait provoquer une réaction en chaîne, d’autres États pouvant être tenté de reprendre une monnaie nationale.

    Logiquement, les taux d’intérêt sur la dette se sont tendus au Portugal, en Espagne mais aussi en France et en Allemagne ces dernière semaines. Ils restent néanmoins bas eu égard aux taux pratiqués lors de la crise financière de 2012.

    Marginalisation ?

    Pour la Grèce, une devise nationale permettrait de dévaluer sa monnaie vis-à-vis des créanciers, de retrouver une marge de manœuvre souveraine en matière budgétaire, et de protéger de nouveau le marché et l’industrie locale au sein de l’Europe par le biais de taux de change adaptés à sa situation.

    Elle constituerait en revanche un recul dans le « processus politico-stratégique » engagé en Europe* et ferait courir le risque d’une marginalisation commerciale et géopolitique.

    Pour abolir ce risque, le premier ministre grec Aléxis Tsípras a d’ors et déjà tenté un rapprochement avec le président russe Vladimir Poutine et les dirigeants des Brics, dont la banque en cours de constitution pourrait prêter des devises à Athènes.

    En Allemagne, les médias scrutent les rares détails qui ressortent des négociations en cours. Un renflouement d’Athènes serait très mal perçu par l’opinion publique, alors même que les créanciers ont déjà accepté l’annulation de 100 milliards d’euros de dette publique il y a deux ans et qu’une partie des prêts des pays européens – qui détiennent aujourd’hui les deux tiers de la dette grecque – avaient été accordés dans des conditions exceptionnelles (ils n’apporterons un intérêt que dans huit ans).

    Les élections jouent pour beaucoup dans la fermeté actuelle du gouvernement allemand. L’an dernier, le parti anti-euro Alternative für Deutschland avait atteint près de 10% des votants dans plusieurs régions lors d’élections partielles, grignotant des voix à la CDU d’Angela Merkel. 

    * C’est ainsi que l’ancien président de la Banque centrale européenne et actuel président pour l’Europe de la puissante organisation Trilatérale, Jean-Claude Trichet, définissait l’unification européenne en août dernier (entretien dans Le Temps de Genève, 16 août 2014)

      - Politique magazine