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Social, Économie... - Page 64

  • LA VÉRITÉ DES GILETS JAUNES • UN PEUPLE EXSANGUE

    Par Yves Morel

    Il n'est pas besoin de supputer des calculs politiques ni de chercher des complots ni de faire des rapprochements avec les années 30 pour expliquer le mouvement des Gilets jaunes. 

    Les Gilets jaunes sont ce qui reste des Français après qu'ils ont perdu toute foi en leur pays, la société, leurs institutions, leurs gouvernants, leurs syndicats, en les autres, en eux-mêmes, en l'avenir. C'est ce qui reste des Français quand ils ne parviennent même pas à vivre à peu près décemment, et qu'ils n'ont plus que la colère et la révolte pures. En présence de ce mouvement, toutes les logiques idéologiques, politiques et morales se cassent le nez.

    Une réalité disparate, insaisissable, déconcertante.

    Le seul point commun des Gilets jaunes, qui cimente leur union, est leurs difficultés matérielles, la baisse continue de leur pouvoir d'achat, et leur situation de laissés-pour-compte du « nouveau monde » macronien, d'une politique qui les relègue au rang de rebuts, et d'une société qui sourit exclusivement aux nantis, aux forts, aux malins et aux chanceux. Aussi trouve-t-on de tout, parmi eux ; et, suivant leur personnalité, leurs préoccupations particulières, leurs intérêts catégoriels et leur sensibilité, ils sont susceptibles des réactions les plus contradictoires. Dans l'adversité, ils peuvent se révéler xénophobes, sexistes, racistes, sans que l'on puisse distinguer ce qui relève du « propos qui dépasse la pensée » de ce qui exprime au contraire une mentalité profonde, ordinairement bridée par les exigences de la bienséance ou du politiquement correct.

    Certains vivent véritablement « la galère » : retraités à pension mensuelle inférieure à mille euros nets, travailleurs enchaînant les petits emplois ingrats et alternant les périodes de travail et de chômage, les uns et les autres habitant des HLM insalubres, décrépites ou minées par les nuisances, les incivilités et l'insécurité.

    D'autres connaissent un sort un peu plus enviable : ouvriers qualifiés et employés, commerciaux, VRP, infirmiers et infirmières libéraux, les uns et les autres à peu près sûrs de conserver leur emploi, certains ayant pu accéder (non sans peine) à la propriété, mais contraints de se contenter du strict nécessaire pour vivre, et toujours au bord du découvert bancaire. Seule l'exaspération les a fait agir. Tous étaient dénués de passé militant et de sympathies politiques précises, et aucun (ou presque) ne se signalait par quelque conviction idéologique ou éthique affirmée. Leur vote tenait à leurs intérêts et à leur état d'esprit vis-à-vis de la politique menée par les divers gouvernements.

    Naturellement portés sur la gauche, mais déçus par celle-ci, ils ont pu être tentés, pour nombre d'entre eux, par les promesses d'un Sarkozy, avant d'être définitivement dégoûtés de tous les partis et de s'inclure dans les 57% d'électeurs inscrits qui se sont abstenus lors de la dernière présidentielle. Mais certains ont pu compter parmi les électeurs de Marine Le Pen, cependant que d'autres ont pu succomber aux sirènes macroniennes, dans l'espoir de voir enfin la réalisation d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, ils éprouvent le sentiment de ne devoir compter que sur eux-mêmes, et se méfient de tous les partis, y compris les partis protestataires comme La France insoumise ou le Rassemblement national. Et les centrales syndicales ne sont pas logées à meilleure enseigne. Ce sont des Français seuls et tout nus qui se rassemblent et se révoltent.

    De faux ascendants

    Ce phénomène, l'a-t-on assez dit, est sans précédent. Or, ce qui est sans précédent, ce qui bouscule les codes et les classements reconnus, irrite. On ne le supporte pas, et on essaie de le ranger dans les catégories et les rubriques habituelles. Ainsi, expliquent certains, les Gilets jaunes relèvent d'une manière de néo-poujadisme ; et d'aucuns, comme le récurrent Bernard-Henri Lévy, voient en eux une résurgence des ligues qui, le 6 février 1934, marchèrent sur le Palais-Bourbon.

    La comparaison ne vaut pas. Les poujadistes des années 1950 appartenaient à seulement deux catégories professionnelles, celles des commerçants et des artisans, le plus souvent assez aisées, nonobstant leurs problèmes fiscaux et les risques que laissaient planer sur elles la modernisation de l'économie et l'évolution de la société. Pas de pauvres, de chômeurs ou de travailleurs précaires parmi elles. Quant aux manifestants du 6 Février, ils relevaient le plus souvent des classes moyennes, et dénonçaient la corruption de la caste politique et l'incurie des institutions plus que leur situation sociale. Les Gilets jaunes, eux, recrutent dans les classes moyennes comme dans les plus modestes, voire les pauvres, et dans toutes les professions ; ils se battent pour la défense de leur niveau de vie ; et s'ils dénoncent une politique qui les sacrifie et « clive » la société en winners et loosers, et se défient de la classe politique, ils ne taxent pas cette dernière de corruption et ne vouent pas les institutions aux gémonies. Et, contrairement aux précurseurs qu'on veut leur donner, ils ne subissent nullement l'influence de quelque idéologie fascisante ou socialisante, n'aspirent ni à un sauveur de type bonapartiste, ni à la conquête du pouvoir par le peuple insurgé. Un phénomène inédit, donc, et qui ne ressortit pas aux explications habituelles.

    Le rôle ambigu et l'influence incertaine des médias

    On a beaucoup insisté sur le rôle des moyens informatiques de communication, qui ont permis aux Gilets jaunes de se concerter et de décider de leur action en court-circuitant les syndicats et en se passant de chefs et de structures de coordination. On a également mis en relief le rôle de la presse télévisuelle (BFMTV, les JT des grandes chaînes) dans la promotion de l'événement, et leur influence sur la destinée encore incertaine du mouvement : celui-ci, selon divers observateurs, commencera à piquer du nez le jour où, pour des raisons d'audimat, les journalistes cesseront d'en parler ou de lui accorder la primauté, et pointeront les dérives inhérentes à des démonstrations protestataires non étayées sur des revendications précises et une assise politique ou morale tant soit peu cohérente. Et il s'affaissera d'autant plus vite qu'il est inorganisé. Il s'évanouira comme un ectoplasme et sombrera dans la déconsidération puis l'oubli. D'aucuns vont jusqu'à affirmer que la médiatisation de sa récusation des organisations syndicales aura, en définitive, servi la politique de Macron, fort désireux de mettre sur la touche ces organisations et tous les corps intermédiaires susceptibles de contrer son action. Peut-être, mais ce n'est pas certain. Et nul ne peut anticiper sur des résurgences que les conditions sociales du moment rendent non seulement possibles mais plus que probables.

    Un peuple réduit à sa plus simple expression

    IMG.jpgEn définitive, les Gilets jaunes ne sont ni un mode de lutte nouveau, ni une résurgence du poujadisme, du boulangisme, des ligues des années 1930, ni une manifestation quelque peu spectaculaire du populisme. Ils sont l'image d'un peuple qui souffre, se sent sacrifié et méprisé, et ne parle que pour exprimer son désarroi, sans même formuler de revendications claires et sans souscrire en rien à quelque projet de société. Un peuple au pied du mur, au bout du rouleau, réduit à sa plus simple expression.

    Notre sémillant président pouvait-il le comprendre ? Son discours du 27 novembre montrait qu'il l'a fort mal discerné. Il s'est, en effet, efforcé de raccrocher à son écologisme militant la résolution des problèmes de nos compatriotes en montrant la solidarité des questions environnementales et des difficultés sociales, et les méfaits d'une société productiviste insoucieuse de la préservation de la nature et du cadre de vie des hommes. De là, il a conclu à la nécessité de lier étroitement le social et l'écologique et de s'engager sur la voie de l'édification d'un nouveau modèle économique respectueux de l'environnement et des conditions de vie, justifiant sa politique de taxation des carburants et de renoncement graduel aux énergies fossiles, et annonçant la création d'un Haut-conseil pour le climat. Sa seule concession est la subordination de l'augmentation des taxes sur les carburants aux fluctuations du cours de ces derniers.

    Les réactions des Gilets jaunes à ce long discours, toutes négatives, montrent qu'il ne les a pas convaincus. D'aucuns affirment que les Français auront toutes les peines du monde à se convertir au nécessaire modèle socio-économique à dominante écologique, défendu par Macron, et voient là l'origine de la révolte des Gilets jaunes. Et, sans doute, convient-il de beaucoup critiquer la société productiviste, rentabiliste, massificatrice et consommatrice de la seconde moitié du XXe siècle, source de détresse matérielle et morale. Mais ce que voient nos compatriotes, c'est qu'après les avoir sacrifiés à la société du profit, on les sacrifie à la reconversion écologique de cette dernière, et, qui plus est, au moment où ils n'ont plus rien pour vivre, pas même l'espérance. Et le tout pour un discours convenu de politiques qui refusent de les comprendre.

    Que Macron prenne garde : de cette nouvelle exigence risque de sortir quelque chose de terrible. Le peuple de France ne peut disparaître dans un trou noir.    

    Yves Morel
    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • NI EXTRÊME GAUCHE, NI EXTRÊME DROITE ...

    Par Michel Maffesoli

    Une remarquable analyse parue sur Atlantico, le 24 décembre. A lire absolument.  LFAR 

    logo.pngLe sociologue Michel Maffesoli livre un texte consacré à la sécession du peuple à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes, et au désarroi des élites. En cette période troublée, conséquence inéluctable des profondes mutations à l’œuvre dans nos sociétés, peut-être n’est-il pas inutile de se souvenir de la distinction proposée par Nicolas Machiavel entre « la pensée du Palais » et « la pensée de la place publique ! »

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    Gilets jaunes en sécession : élites désemparées face à l’extrême-peuple

    Distinction, désaccord, écart, lorqu’on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, il est fréquent que le peuple fasse sécession. Secessio plebis d’antique mémoire, au cours de laquelle les plébeiens se « retirent sur l’Aventin ». De nos jours, plus prosaïquement, ils occupent les ronds-points de la France périphérique. Mais quels sont les patriciens pouvant ramener la concorde et le calme des esprits ?

    Voilà qui n’est pas évident, tant est grand le désarroi des élites. Les experts ne font plus recette, les politiques sont déconsidérés, les journalistes suscitent la méfiance. Ce qui fait que les belles âmes, pétries de bons sentiments, occupant les plateaux des étranges lucarnes et trustant les colonnes des principaux journaux ont peur. Il faudrait être Cervantès pour décrire ces « chevaliers à la triste figure » luttant contre des moulins à vent . En la matière, la condamnation, sans appel, de l’extrême gauche ou plus encore et d’une manière obsessive de l’extrême droite, automatiquement synonyme de danger fasciste. Rien de moins !

    Au-delà de ces supposés extrémismes, c’est de « l’extrême peuple » dont il s’agit. Il est amusant d’entendre tel bien-pensant, voir se profiler l’ombre de Hitler ou de Mussolini derrière l’anodine demande d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Amusant ? et quand on vient d’en rire, il faudrait en pleurer !

    Restons sur notre Aventin. Le conflit fut réglé, on s’en souvient, quand outre la remise des dettes, c’est la constitution d’une magistrature de la plèbe qui fut obtenue.

    Voilà un symbole instructif. Il y a dans toute lutte un côté que l’on peut nommer spirituel, que le matérialisme natif de nos élites marxisantes déphasées a du mal à comprendre. C’est cet aspect symbolique qui est le cœur battant de ces régulières révoltes des peuples, dont le phénomène des gilets jaunes est l’expression contemporaine. Cet aspect est la ressource indomptable de la force morale.

    La sécession du peuple, c‘est l’action de se séparer, de s’éloigner d’un État s’étant lui-même éloigné d’un peuple qu’il est censé représenter. Se retirer d’un état de fait où « le service public » a mis le public à son service.

    Dès lors, les révoltes expriment l’irrésistible besoin de revenir à la « place publique ». C’est-à-dire au lieu que l’on partage avec d’autres. L’on a par trop oublié que le « lieu fait lien ». Trop obnunilées par des projets politiques orientés vers le lointain et pensées pour le futur, les élites ont oublié l’importance du localisme et l’urgence d’une vie quotidienne vécue au présent.

    C’est bien cela qui s’exprime dans les révoltes en cours. Ces « Aventins » que sont les ronds-points contemporains redisent, tout simplement, le plaisir d’être ensemble pour être ensemble. Ce qui est une efficace manière de lutter contre une techocratie de plus en plus abstraite, considérant avec mépris un peuple débile, incapable de comprendre, comme le signalait il y a peu un dirigeant de la majorité politique « l’intelligence et la subtilité de l’action gouvernementale ».

    Or la sagesse populaire « sait » d’un savoir incorporé sur la longue durée qu’il faut se méfier des pratiques dilatoires du pouvoir surplombant. Qu’il convient de ruser vis-à-vis des tentatives de diversion d’une administration capable, toute honte bue, d’annuler sans coup férir les mesures prises en réponse à la fièvre populaire. Annulation, annulation des annulations, la violence propre au totalitarisme « doux » d’un État jacobin a plus d’une corde à son arc. Mais à certains moments ces ruses technocratiques se parant de justification ou de rationalisation plus ou moins sophistiquées ne font plus illusion. Pour le dire trivialement : la coupe est pleine ! Et aux sincérités successives, qui dès lors sont ressenties comme de réelles faussetés les peuples répondent : « cause toujours, tu m’intéresses ».

    A ces discours dissertant avec « intelligence », sur un ordre des choses dont ils ignorent l’alpha et l’oméga, les insurrections populaires rappellent que l’authentique socialité est celle d’une communauté de destin se vivant au plus proche. Ces insurrections en appellent à une décentralisation radicale acceptant, reconnaissant l’existence concrète, c’est-à-dire vécue au jour le jour, des fondamentales appartenances « tribales ».

    Car ce sont bien ces appartenances qui s’expriment au grand jour dans le phénomène des « gilets jaunes ». Au-delà ou en–deçà des classes sociales de la théorie marxiste ou des catégories socio-professionnelles (CSP) des habituels et lassants sondages fonctionnalistes, c’est une socialité de base, rassemblant ce qui est épars que l’on retrouve autour des feux ponctuant les ronds-points. Ces feux sont comme autant de foyers où l’on se tient chaud et où se concocte le renouveau des solidarités organiques, cause et effet de toute société.

    Il ne s’agit pas là, comme l’analysent les sociologues qui sont en retard d’un siècle d’une  « lutte de classe » ou de ces inconsistants « mouvements sociaux », tartes à la crème d’observateurs ou d’experts déphasés. Non, c’est tout autre chose dont il est question.

    Volens, nolens, et même si on ne veut pas le voir, ce que l’on nomme solidarité organique en gestation est cela même qui s’élabore autour des foyers de ces ronds-points. En la matière, au travers des problèmes soulevés par les retraités, c’est le respect des Anciens, la reconnaissance de leur autorité venue de l’expérience de la vie qui est en jeu.

    C’est aussi la solidarité dont il est question quand ces Anciens échangent avec ces jeunes, chômeurs ou entrepreneurs, ayant du mal à joindre les deux bouts ou à développer leur nouvelle entreprise. Il y est question de générosité, d’entraide, d’échange et autres valeurs essentielles. Ce qui reste incompréhensible, parce que quelque peu archaïque, à des élites purement rationalistes, ayant quelque mal à comprendre l’importance de l’immatériel.

    Du coup, il leur est aisé de stigmatiser cette réémergence d’une solidarité proxémique au moyen de ces grands mots quelque peu incantatoires, donc vides, dont la bien-pensance a le monopole. L’on est ainsi abreuvé jusqu’à plus soif de termes tels que : populisme, communautarisme, complotisme, racisme, antisémitisme, poujadisme, « boffitude » et autres noms d’oiseaux du même acabit.

    On a même pu entendre un soixante-huitard célèbre, devenu notaire à la place des notaires qu’il conspuait en 68, signaler avec componction que de par ses origines et en référence à « l’étoile jaune » de triste mémoire, il était allergique à cette couleur ! tout un programme ! En fait tout cela témoigne d’une profonde incompréhension. Des commentateurs patentés hantant les sempiternelles talk-shows télévisés ou radiophoniques dont la caractéristique est un « entre-soi » fondamental. N’aidant en rien la compréhension d’une révolte radicale, mettant en cause la rigidité d’un pouvoir dont la verticalité n’est plus acceptée.

    Voilà bien le paradoxe de la tempête soufflant avec la violence que l’on sait. Ces échanges entre ancienne et jeune générations, ce souci du partage et de la solidarité, en bref ce plaisir d’être ensemble trouve l’aide du développement technologique. Le sentiment d’appartenance « tribale » est conforté par la cyberculture. Les réseaux sociaux, les forums et autres blogs, voilà ce qui rend caduques les formes habituelles de la représentation syndicale ou partisane. Le refus d’une organisation verticale et hiérarchisée a pour corrélat l’irréfragable désir d’une horizontalisation des rapports sociaux.

    Fondamentalement, ce « Netactivisme » en cours traduit bien la mutation, tout à fait postmoderne, du vertical à l’horizontal. Il se trouve que c’est sur les réseaux sociaux que s’expriment au mieux ces incoercibles révoltes qui sont, certainement, loin de s’achever. Caricatures, photomontages et collages divers singent, parodiquement, les divers protagonistes des pouvoirs politiques, journalistes ou divers sachants. Ayant pris conscience de ce que Platon nommait la « théâtrocratie » d’une démocratie en déshérence, le peuple, à son tour, tourne en ridicule les faits et méfaits des élites décadentes.

    En réponse aux turlupinades ayant eu lieu, lors de la fête de la musique en juin dernier sur les marches de l’Elysée ou encore ayant à l’esprit les indécentes exhibitions lors d’un voyage présidentiel à St Martin, l’ironie, l’humour et la franche rigolade se répandent comme une traînée de poudre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur ce charivari nex look qu’est le phénomène des gilets jaunes. Car dans la foulée des réseaux sociaux, la parodie contre la théâtrocratie du pouvoir a sa place dans la théâtralisation des manifestations en cours. Cela rejoint les « fêtes des fous » médiévales et autres moments d’inversion où le peuple prenait sa revanche vis-à-vis des pouvoirs établis.

    On l’a dit, non pas extrême gauche et non plus extrême droite, mais « extrême peuple » qui, à l’image du « brave soldat » Chveïk popularisé par J. Hasek, manie la satyre, pratique l’humour et la dérision et, ainsi, met à mal le burlesque état des choses dominant. C’est bien quelque chose de cet ordre qui est en jeu dans la révolte du peuple qu’expriment les gilets jaunes : de la candeur et du courage. Courage, c’est, ne l’oublions pas, du cœur et de la rage. Mixte fécond, répondant au discours technocratique délayant d’une manière insipide toute une série de banalités. Ces discours n’accrochent plus, l’arrogance n’est plus de mise.  

    Michel Maffesoli
  • Du rond-point au vaste monde

    par Gérard Leclerc 

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    Il paraît, selon l’historien Pierre Vermeren, que la France compte plus de 30 000 ronds-points, soit la moitié des giratoires du monde.

    Il y a donc quelque logique dans le fait que l’attention se soit portée, plus d’un mois durant, sur ces lieux qui quadrillent notre territoire national et sont souvent d’une remarquable laideur. Que les gilets jaunes en aient fait des exemples de convivialité constitue un paradoxe bien intéressant. La France des territoires n’est pas seulement révoltée, elle a besoin de reconstituer un véritable tissu de solidarité pour contrer un processus de dissociation et de désintégration qui va de pair avec la disparition des activités locales et la grande misère de notre agriculture.

    Une question se pose à partir de ce constat. Ce qui relève du local, du territorial, est-il en relation avec le mondial et ce qu’on appelle la mondialisation ? C’est le constat de Christophe Guilluy, dont nous avons souvent cité les travaux. La France périphérique, comme d’ailleurs l’Angleterre périphérique et même les États-Unis périphériques, est la grande perdante de la mondialisation, dont certains chantaient pourtant inconditionnellement les louanges à la fin du XXe siècle. Une concentration des richesses s’est produite dans les métropoles, au détriment des régions de plus en plus déshéritées. Un seul chiffre significatif : une douzaine de métropoles françaises rassemblent près de 46 % des emplois, dont 22 % pour la seule aire urbaine de Paris.

    Est-ce une tendance inéluctable, juste propre à susciter des révoltes désespérées qui risquent de très mal tourner ? Ou est-il possible de remettre en question le fonctionnement de la mondialisation avec ses postulats incontournables : l’ouverture inconditionnelle des frontières, la circulation des capitaux et la spéculation qui s’en suit ? Interrogé par La Croix, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, n’hésite pas à déclarer : « Nous avons à remettre en cause un certain nombre de dogmes du capitalisme mondial. » La liberté totale du commerce international serait à revoir, même si elle bénéficie à certains consommateurs, eu égard à son lourd coût social. Très bien ! Mais l’avis d’un expert sage et lucide peut-il quelque chose contre le train du monde de la mondialisation ?  ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 décembre 2018
  • Le monde est toujours assis sur une bombe économique à retardement…

    Par Marc Rousset    

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    Les investisseurs broient à nouveau du noir et anticipent un scénario très négatif de ralentissement de la croissance mondiale.

    Le CAC 40 perd environ 10 % depuis le début de l’année, tandis que le DAX allemand affiche une chute de l’ordre de 20 %. Les valeurs plus petites et moyennes à la Bourse de Paris ont chuté, elles aussi, d’environ 20 %, avec des baisses spectaculaires de plus de 50 % pour Vallourec, Pierre et Vacances, Derichebourg, Marie-Brizard. Quant à l’indice PMI manufacturier de la zone euro, il est au plus bas depuis août 2016, Allemagne incluse.

    Un indicateur suggère que l’activité américaine et mondiale est davantage susceptible de ralentir que d’accélérer : l’inversion de la courbe des taux conduit généralement à la récession. Tout récemment, le taux d’intérêt à cinq ans sur la dette des États-Unis est passé en dessous de celui à trois ans. L’écart entre le taux d’intérêt de la dette à dix ans (2,952 %) et à deux ans évolue à son plus bas niveau depuis 2007. Les taux à trente ans ne s’élèvent qu’à 3,22 %. James Powell, le président de la Fed, a déclaré que les taux d’intérêt actuels se trouvaient juste en dessous de leur position neutre, ce qui laisse penser qu’il va encore augmenter les taux à court terme en décembre 2018, mais sans doute arrêter de les relever ou moins les relever en 2019, contrairement aux annonces précédentes.

    Donald Trump, malgré ses taxes punitives sur les marchandises importées, fait face à un déficit commercial record depuis dix ans, en octobre 2018, de 55,5 milliards de dollars, dont 38,18 avec la Chine et 15,05 avec l’Union européenne. Trump juge ridicules les nouvelles hausses de taux de la FED et s’inquiète des banques américaines en difficulté. L’action Goldman Sachs a baissé de 35 % depuis son plus haut historique de février 2018. Le cours de Bourse moyen des 24 plus grandes banques américaines a baissé de 22,5 % depuis le 26 janvier 2018, tandis que celui des petites banques régionales a plongé de 22,3 % depuis le 8 juin 2018.

    La Commission européenne a adopté une recommandation visant à promouvoir une utilisation plus large de l’euro dans les transactions internationales et les secteurs stratégiques clés tels que l’énergie, mais tout cela semble relever de vœux pieux, avec un manque de détermination géopolitique. Les ambitions de Macron semblent contrariées puisque le MES (mécanisme européen de stabilité) pourra porter secours à une banque européenne menacée de faillite ou à un État en crise en 2024 au plus tard, avec faculté d’agir en moins de 24 heures, sans attendre un feu vert du Bundestag ; mais les krachs bancaires, boursiers et immobiliers auront lieu bien avant…

    Quant à un autre outil européen « anti-crise », le système européen de garantie des dépôts bancaires, il a été reporté, faute d’unité des pays membres. Enfin, de nombreux États restent hostiles au projet de mini-budget de « stabilisation » sur la zone euro, cher à Macron. Trois schémas semblent prévaloir, après les élections européennes de mai 2019 : soit l’Italie met de l’eau dans son vin et se « grecquise », la France la suivant dans la roue, soit l’Italie sort de l’union monétaire, soit l’Allemagne sort de l’union monétaire.

    La zone euro est l’objet d’inquiétudes suite à la situation des banques et de l’Italie. Qui achète de la dette italienne depuis 2015 ? Essentiellement la BCE, qui détient aujourd’hui environ 280 milliards d’obligations, tandis que les investisseurs italiens désinvestissaient. 3.000 chefs d’entreprise de la Confindustria viennent de faire savoir à Turin qu’entre la réforme des retraites et le revenu de citoyenneté, le budget coûtait 18 milliards d’euros et « ne faisait rien pour la croissance ». « Ça suffit, la campagne électorale permanente et les politiques qui pénalisent notre capacité à investir ! Basta ! » Un défaut de l’Italie serait dix fois plus grave que la faillite de Lehman et de la Grèce.

    Autrefois la France et l’Italie, sans l’euro, auraient fait fonctionner encore davantage la planche à billets et tout serait déjà terminé depuis longtemps par une gigantesque dévaluation qui aurait ruiné tous les épargnants. Macron aurait mieux fait de dire qu’avec l’euro, à défaut de baisser la dépense publique et d’arrêter net l’immigration, l’enjeu de la fiscalité écologique était en fait un faux alibi pour éviter la faillite de la France.. ■  

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    Économiste
    Ancien haut dirigeant d'entreprise
  • La France, championne du monde des prélèvements fiscaux, doit se réformer !

    Par Marc Rousset    

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    La France, selon l’OCDE, est le champion du monde des prélèvements fiscaux et parafiscaux, soit 47 % de notre PIB.

    À titre de comparaison, l’Italie se situe à environ 44 %, l’Allemagne à 37 %, le Royaume-Uni à 34 %, le Japon à 32 %, les États-Unis à 27 % et la moyenne générale de tous les pays de l’OCDE à 35 % ! Si l’on ramenait donc le prélèvement fiscal en France à la moyenne de l’OCDE, cela représenterait une minoration fiscale et parafiscale de 12 % du PIB, soit environ 270 milliards d’euros.

    Un graphique établi par l’ACDEFI (sources : INSEE ; calculs ACDEFI) de 1960 (avec une pression fiscale de 30 %) à nos jours (avec une pression fiscale de 47 %) montre d’une façon indiscutable que plus la pression fiscale a augmenté en France, plus la croissance économique a évolué d’une façon inversement proportionnelle, puisqu’elle est passée, en cinquante ans, de 5 % par an à 1 %. Tandis que tous les autres pays de l’OCDE ont réduit drastiquement leur taux de chômage entre 2009 et 2019, de 8 % à 6 % pour le Canada, 7,5 % à 4 % pour le Royaume-Uni, 9 % à 4 % pour les États-Unis, 7,5 % à 3 % pour l’Allemagne et 5 % à 2 % pour le Japon, seule la France, avec ses taxations démoniaques, a gardé un taux de chômage inchangé inacceptable de 8,5 % !

    Taxer stupidement aboutit immanquablement à appauvrir les nations. La justice fiscale consiste à taxer seulement relativement les riches plus que les pauvres, mais pas à voler tous les citoyens riches ou pauvres, à gaspiller, à faire rêver les citoyens en les incitant à prendre dans la poche des autres. Il importe donc de procéder, en France, à une révolution conservatrice conduisant à une baisse globale des impôts pour tous, qu’ils soient pauvres ou riches, d’autant plus que ces derniers trouvent la parade en quittant de plus en plus, à l’instar de Johnny et Depardieu, purement et simplement le pays.

    Si les agents de conduite de la SNCF partaient à la retraite à 62 ans au lieu de 50 ou 52 ans, on pourrait abaisser leur effectif de 25 %. Si les aiguilleurs du ciel travaillaient autant que les Allemands, on pourrait réduire leur effectif de 50 %. Les fonctionnaires s’absentent deux fois plus que les salariés du privé. La France a un million de fonctionnaires en trop, toutes choses égales par ailleurs, par rapport à l’Allemagne. Ce sont toutes ces personnes et non les riches qui volent les Français.

    Croire résoudre les problèmes français en rétablissant l’ISF est donc digne d’une stupidité gauchiste, socialiste, d’une démagogie déconcertante. L’ISF rapporte entre 5 et 7 milliards d’euros, mais entraîne un manque à gagner fiscal par la fuite des riches de 30 milliards d’euros. Rétablir l’ISF aurait donc pour effet inverse d’entraîner une ponction fiscale supplémentaire par l’État dans les poches des pauvres et des riches de 24 milliards d’euros !

    L’immigration, le thème dont doivent s’emparer de plus en officiellement les gilets jaunes, pas encore libérés complètement de la pression bien-pensante, coûte à la France, selon les calculs sophistiqués de Polémia et de son président Jean-Yves Le Gallou, environ quatre-vingts milliards d’euros par an.

    Le racket fiscal supplémentaire de l’État français par rapport à la moyenne des États de l’OCDE s’élève donc à 270 milliards d’euros, dont 24 milliards d’euros correspondent à la surtaxation engendrée par l’imbécile ISF et 80 milliards d’euros (soit environ 4 % du PIB) à l’immigration. Ce chiffre monstrueux devrait ouvrir les yeux des gilets jaunes face la tentative de récupération gauchiste « Demain on rasera gratis » à la Luigi Di Maio. Les gilets jaunes patriotes doivent, au contraire, combattre le racket fiscal de l’État obèse, l’arnaque du réchauffement climatique et la ruineuse invasion migratoire conduisant à la perte de notre identité française et européenne. ■  

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    Économiste
    Ancien haut dirigeant d'entreprise
  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [4]

    Lʼinfluent conseiller des présidents

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    À la suite dʼun Emmanuel Lévinas[1] et parallèlement d’ un Benny Lévy[2], Attali élève sa communauté au rang de peuple messianique, « élu », « responsable », même si son approbation de la politique dʼAngela Merkel dʼaccueil sans réserve des migrants venus des pays du Sud, par lʼUnion européenne, prouve quʼil lui reste encore des bribes de marxisme. Un marxisme frelaté, édulcoré par son rival le freudisme, celui de lʼÉcole de Francfort, des Marcuse, Habermas, Horkheimer et consorts.

    Au tournant des années 1970, sous lʼimpulsion des trotskystes, la gauche a progressivement remplacé dans son discours la figure de lʼouvrier par celle de lʼimmigré (car marginal, au même titre que la femme[3], le pédé, le travloʼ, le drogué, etc.) en tant que sauveur collectif de lʼhumanité. Adepte des provocations discrètement lancées, Attali est allé jusquʼà inciter (et même obliger ?)  que les migrants investissent ces villages de France situés à lʼintérieur de la « diagonale du vide », devenus quasiment des « déserts ».

    Lʼun de ses arguments est une chutzpah de haute volée : en repeuplant ces villages les migrants créeraient de lʼemploi pour eux-mêmes ainsi que pour les autres, les rares habitants demeurant dans ces communes rurales en voie de désertification humaine. Après le grand remplacement urbain (que personne ne peut nier sʼil sʼest déjà rendu à Paris ou Marseille), Attali propose que vienne le grand remplacement rural, qui pourrait tout à fait se réaliser si dans les années futures les idées de lʼinfluent conseiller des présidents continuent à triompher. 

    attli-lezero-2.jpgQuant aux adversaires de ses idées dirigées contre la France – idées émanant de lʼun des quatre états confédérés auquel appartient Attali –, ceux qui sont hostiles au mondialisme, doivent élever leur niveau intellectuel au-delà de celui de Jacques Attali, ce qui nʼest pas forcément aisé puisquʼil est indéniablement un grand esprit, un génie, mais de lʼanti-France.

    Le plan suivi par Attali nʼest pas infaillible. Son intelligence est loin dʼêtre insurmontable, hors norme : en atteste sa compréhension biaisée du capitalisme. De même quʼil est faux de voir dans la propriété privée la condition de possibilité du système capitaliste, il est inexact aussi de considérer le marché comme une réalité sociale inhérente au capitalisme. Les marchés, lieux physiques (puis abstraits) où offre et demande dʼun bien ou dʼun service se rencontrent – se confrontent même sʼil y a, comme au souk, négociations – sont antérieurs à lʼépopée capitaliste.

    Qui pourrait nier quʼil existait des marchés dans lʼAntiquité et durant la période médiévale ? Si le marché nʼest pas nécessairement une instance propre à la vie de lʼhumanité, son existence supposant la rareté, alors quʼil a existé lʼétat dʼabondance (lʼÉden originel), il nʼest pas pour autant lʼélément fondamentalement constitutif du capitalisme. 

    Rompre avec la logique de lʼusure 

    En 1784 dans son texte Idée dʼune histoire universelle dʼun point de vue cosmopolitique Kant faisait la remarque que la généralisation de lʼusure était une nouveauté typique de son temps. La pratique du prêt assorti dʼun taux dʼintérêt est en réalité au fondement du système capitaliste. Cʼen est le critère distinctif. Attali, a créé une société spécialisée dans le micro-crédit (dont le nom, PlaNet Finance, indique ses inclinations cosmopolitiques) et à lʼinstar dʼIsaac Crémieux est lʼun des fidéicommis des champions du méga-crédit, les banquiers Rothschild, créanciers des États désignés par Émile Zola dans LʼArgent comme des « marchands dʼargent »[4].

    Macron Attali SIPA.jpgJacques Attali, dont les ancêtres sont devenus français en vertu du décret Crémieux, est « très lié à David de Rothschild »[5]. (Photo avec Emmanuel Macron, aussi très lié à David de Rotschild) Il a fondé PlaNet Finance en 1999 : « le nom lui a été soufflé par Jean-Claude Trichet, alors gouverneur de la Banque de France –, avec le soutien financier du banquier Michel-David Weill, de Benjamin de Rothschild, fils du banquier Edmond de Rothschild, de la banque Dexia, de Capgemini et dʼOrange. »[6] 

    Lʼinterdiction de ce quʼAristote appelait la chrématistique – lʼusure publique et privée, art non-naturel et donc condamnable de produire des richesses – serait le meilleur moyen de couper lʼherbe sous le pied à ces gens-là. De leur ôter le levier décisif de leur puissance. Ce serait tuer leur poule aux œufs dʼor, à eux qui aiment « traire la vache, mais pas jusquʼà la faire crier ».  (FIN)  ■

    [1]  Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Albin Michel, 1976.
    [2]  Le logos et la lettre. Philon dʼAlexandrie en regard des pharisiens, Paris, Verdier, 1988.
    [3]  Rien nʼest plus faux : les femmes ne sont ni une minorité ni « en marge » de la société. Mais à la suite de Simone de Beauvoir, les féministes ont diffusé un discours qui fait du « sexe faible » une victime, un être dominé. Cʼest dans ce sens que la gente féminine peut être vue comme une marge. Il nʼy a rien en revanche de plus absurde que de dire que les femmes sont une minorité, car, du fait des inégalités de genre en termes dʼespérance de vie, défavorables aux individus de sexe masculin, elles sont généralement plus nombreuses que les hommes au sein des sociétés, à lʼexception notable de la Chine où la politique de lʼenfant unique imposée durant des années par le régime communiste a modifié le cours naturel des choses, provoquant des déséquilibres très dommageables pour le pays.
    [4]  Le baron James de Rothschild y est rebaptisé Gundermann par Zola, qui a lu attentivement le livre Mémoires dʼun coulissier dʼErnest Feydeau (1873) pour connaître en détail les journées du grand banquier.
    [5]  Benoît Collombat, ibid., p. 343.
    [6]  Ibid., p. 344.

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • « La décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. »

     

    Rencontre avec un élu local qui cherche à animer son territoire en défendant une véritable proximité entre les décideurs, les relais et les habitants. 

    Vincent You, quels sont vos mandats locaux ?

    Je suis directeur d’hôpital dans le nord de la Charente, à Confolens, c’est-à-dire un hôpital de proximité avec un Ehpad. C’est important parce que beaucoup de mes convictions opérationnelles, je me les forge dans cet exercice. C’est un hôpital de 300 personnes. Je suis adjoint au maire d’Angoulême depuis 2014, en charge des finances et depuis peu du civisme et de l’engagement citoyen, et je suis vice-président du Grand Angoulême en charge de l’urbanisme et de la stratégie agricole. J’ai des journées très différentes et c’est ça qui est passionnant.

    Vous êtes l’inventeur de la clause Molière, qui vise à empêcher la venue des travailleurs détachés dans le secteur du BTP et qui a fait couler beaucoup d’encre.

    C’est en tant que directeur d’hôpital que j’y ai été amené. J’étais missionné pour reconstruire un hôpital dans la ruralité charentaise et je voulais que cet appel d’offres, qui engageait une dépense publique, avec quinze millions d’euros à la clé, bénéficie à l’emploi local. Je construis l’appel d’offres en zigzaguant au milieu du code des marchés pour que cela profite aux entreprises locales, ce que j’ai fait, et j’ai eu une surprise : entre le marché, son attribution, le choix des entreprises et le chantier, je me suis rendu compte que bon nombre d’entreprises allaient chercher des travailleurs détachés et que cela ne profitait que marginalement aux habitants, aux jeunes du coin. Quand ensuite j’ai dû rénover un Ehpad, avec un autre appel d’offres, j’ai voulu éviter le recours massif aux travailleurs détachés. Il faut bien se rendre compte que je gère l’argent de la Sécurité sociale et qu’avec les travailleurs détachés, cet argent va bénéficier aux entreprises qui payent ailleurs cette sécurité sociale, ce qui est délirant ! Je me suis rappelé qu’à Angoulême j’avais passé un marché “alimentation + pédagogie” : j’achetais des légumes à des agriculteurs qui acceptaient de recevoir sur leurs fermes les classes d’Angoulême. Avec ça, l’Espagnol était un peu trop cher, avec un trajet prohibitif ! et nous avons pu acheter local. Les professionnels du BTP, avec qui j’ai travaillé pour chercher une solution adaptée à leur secteur, m’ont dit que les conditions de travail était le problème majeur : on ne sait pas si les Polonais ou les Roumains comprennent les normes imposées. Nous avons donc mis en forme, avec des amis juristes, ce qui est devenu la clause Molière et qui a été au départ extrêmement bien accueillie : tous les élus locaux, quelle que soit leur couleur politique, espèrent des retombées locales. Elle s’est étendue tranquillement de ville en ville et de régions en régions (la Normandie, par exemple, l’a votée à l’unanimité moins une voix).

    Cette clause n’est pas une clause de préférence nationale mais une clause de préférence locale, en fait.

    De préférence francophone, plutôt. Si l’entreprise angoumoisine va chercher des gens qui parlent très bien français et qui veulent s’installer en France, la clause Molière n’empêche rien. Elle permet d’éviter l’absurde. Les opposants faisaient valoir qu’il y aurait bientôt une clause Shakespeare ou une clause Vaclav Havel, etc. : mais à y bien réfléchir, c’est normal qu’il y ait des clauses protectrices. Benoit Hamon a dit que c’était une clause Tartuffe parce que nos pères ont accueilli des Italiens, des Espagnols, des Marocains, etc., qui se sont installés en France : mais ça n’a rien à voir ! Bien sûr des travailleurs étrangers sont venus en masse et ont fini par apprendre la langue. Mais aujourd’hui le fonctionnement est totalement différent : les travailleurs détachés viennent trois semaines ou trois mois, et ils repartent chez eux avec un petit pactole. Il n’y a aucune démarche d’intégration ou d’assimilation à la société française – et je ne leur en veux pas : pour eux, c’est une occasion magnifique. C’est donc une clause de préférence francophone et aussi de respect des ouvriers : on a perdu énormément d’emplois industriels, comment accepter que dans un secteur non délocalisable les marchés se gagnent avec un low cost fondé sur la délocalisation administrative des emplois, au détriment du tissu local ?

    Mais alors, pourquoi la polémique ?

    La première étape de la clause Molière, c’est d’abord la « révolte » d’un petit élu local qui, dans son cadre professionnel, tente une expérience bien accueillie par les autres élus. C’est ensuite devenu une polémique quand Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez ont voulu se l’approprier : avec des grands leaders visibles, la gauche n’a pas voulu suivre et la presse a expliqué que c’était de la discrimination. Alors que la gauche locale, jusqu’alors, se contentait de s’abstenir au moment des votes : c’était compliqué, pour elle, de voter contre une mesure qui améliorait le sort des ouvriers… Au final, la clause Molière version Wauquiez, qui l’avait durcie, a été annulée mais la clause Molière version Retailleau a été validée par le Conseil d’État. La mienne était plus proche de celle de Retailleau, qui l’a un peu améliorée. Donc, aujourd’hui, tout élu local qui veut éviter la prolifération du travail détaché peut utiliser une clause parfaitement licite. Si les élus n’en veulent pas, c’est un choix politique, qu’ils doivent assumer.

    Cette absurdité d’une action locale bénéfique qui rencontre, en devenant un sujet national, des oppositions purement idéologiques, l’avez-vous rencontrée par ailleurs ?

    Pas de manière aussi palpable : on ne crée pas tous les jours une solution d’envergure nationale ! Ce qui me marque, plutôt, c’est que les élus locaux sont très dépendants de l’approche juridique de leurs services, qui leur conseillent toujours d’être très prudents. Cette angoisse de la prise de risque juridique paralyse beaucoup d’initiatives. Tout le monde, ici et là, a de bonnes idées, aimerait les tester et les raconter, mais les analyses amont ont tendance à étouffer dans l’œuf les expériences. Mais le plus gros problème, et c’est mon expérience d’élu et de directeur de petit hôpital, c’est la foi qu’on met dans le gigantisme administratif : en changeant d’échelle, en mutualisant, on arriverait comme par miracle à résoudre tous les problèmes locaux. Mais c’est plutôt l’inverse. Je vois des marchés qui regroupent de nombreux acteurs hospitaliers et qui, en définitive, ne sont pas plus bénéfiques et même, avec l’échelle territoriale très vaste qu’ils supposent, arrivent à tuer les petites entreprises qui ne peuvent pas répondre localement, faute de taille critique. Il n’y a donc pas toujours des gains et il y a une casse économique importante. C’est d’autant plus problématique que les entreprises locales ont intérêt à bien travailler pour avoir d’autres marchés plus tard. Les grandes entreprises de passage se moquent assez souvent de savoir comment va vivre le bâtiment qu’elles livrent, elles ne seront plus là s’il y a un problème. À l’échelle du Grand Angoulême, nous sommes passés de seize à trente-huit communes (ce qui n’est pas énorme, certaines communautés en regroupent cent). On délégitime les maires ruraux. Si la moitié d’entre eux veut arrêter, c’est à cause de ça plus que des difficultés de gestion ou du manque d’argent public. Le maire est encore celui qui gère les problèmes quotidiens des habitants mais il n’a plus les clés… On ne sait plus quels sont les contours, quelles sont les responsabilités. Les politiques successives nous imposent de passer du modèle communes – départements – nation au modèle agglomérations – régions – Europe mais ce n’est pas rentré dans la réalité des citoyens français. Le maire, dernier élu respecté des Français, est délégitimé – sans qu’il y ait, là non plus, de gains économiques : on tue la commune et son petit périmètre, avec ses élus qui sont quasiment bénévoles et qui gèrent tout en direct, à l’économie, pour créer des services avec des périmètres élargis qui obligent à embaucher des techniciens. En transférant les compétences communales aux services, on améliore sans doute l’ingénierie en renonçant à la proximité de gestion. Et avec treize départements, la Région est un échelon désormais très éloigné…

    Votre côté expérimentateur, c’est aussi d’avoir développé la méthode Montessori dans votre Ehpad – autre test local ?

    Nous ne sommes pas les seuls. Mais justement, Montessori, c’est « aide-moi à faire seul. » Tout le système des maisons de retraite est construit sur la mesure de la dépendance des gens accueillis. On oublie que les personnes âgées, si elles ont des fragilités, gardent des capacités. Montessori consiste à maintenir ces capacités pour les faire vivre. Participer à la vie sociale nous constitue en tant qu’être humain. Maintenant, les résidents ont un rôle social, participent à la vie commune et voient leurs capacités reconnues et utilisées. Avec Montessori, en ritualisant certains gestes, la mémoire procédurale du résident, même très atteint par Alzheimer, peut reproduire ces gestes et continuer à participer à la vie collective. Montessori, au-delà de la marque, c’est du bon sens : respecter la personne humaine dans sa vieillesse, lui donner une place qui corresponde à ses passions, à son histoire et à ce qu’elle peut encore faire. Les premiers résultats de l’expérience sont très positifs : les consommations de psychotropes ont diminué d’un tiers, sans que cela ait été un objectif, et les équipes sont mobilisées parce que le projet a du sens. Et les personnes âgées retrouvent de l’initiative à un point inimaginable. Chez nous, elles ont organisé, toutes seules, au mois de septembre, un rallye auto ! Pour retourner sur les lieux où elles avaient grandi. Ce n’est pas nous qui pouvions l’imaginer, ni imaginer l’aide qui leur a été apportée, et ça n’a été possible que parce que nous leur avons donné les clés de la maison.

    Une vraie parabole par rapport à ce que vous racontiez de ces échelons toujours plus vastes et plus lointains…

    La centralisation va tuer la créativité locale. Les bonnes recettes parisiennes ne sont pas généralisables. Et avec la disparition de la taxe d’habitation, le maire n’a plus la main sur les recettes locales, l’habitant ne contribue plus aux services mis en place dans sa commune, il n’y a plus de lien entre le citoyen et le décideur. C’est aujourd’hui compensé financièrement mais, sur le fond, la décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. 

    Propos recueillis par Philippe Mesnard
    le 21 novembre
  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [3]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Plutôt quʼen un Créateur, en Dieu, Jacques Attali semble croire en un esprit du monde, une anima mundi, dont la substance pourrait être affectée par une modification totale, radicale, une transsubstantiation en quelque sorte, au fil dʼune évolution qui ne serait pas moins que révolutionnaire. 

    Il fait sienne la loi de lʼHistoire déterminée par Marx où à la fin le bonheur est promis à lʼhumanité ; une humanité unie car disparaîtraient classes et nations. On nʼoserait pas dire races et sexes, mais cʼest bien le dessein de ceux qui entendent, à gauche, prolonger par dʼautres moyens le projet marxiste, soutenus par des chrétiens (certains se disant « de droite ») qui détachent lʼesprit de lʼépître aux Galates de Paul (désormais il nʼy a ni Juifs ni Grecs, ni maîtres ni esclaves, ni homme ni femmes, nous sommes tous un en Jésus-Christ) de la nécessité de faire subsister un ordre naturel, ordre voulu par Dieu. 

    Dʼoù les mutations sociétales récentes, promues par New York et la Californie, putains babyloniennes de notre temps, qui vont du mariage homosexuel à la théorie du genre en passant par lʼapologie du multiculturalisme et du métissage. Toutes ces ruptures civilisationnelles, Attali les défend bec et ongle. 

    maxresdefault.jpgCe dernier montre ainsi quʼil espère lʼirruption dʼune révolution mondiale, dans la continuité du communiste Trotsky auquel Staline opposa la voie du socialisme dans un seul pays. Attente dʼune disparition à terme des États-nations quʼil partage avec Marx et Trotsky et qui tire sa source moderne de lʼilluminisme dʼun Emmanuel Kant (photo). Lʼauteur de la Critique de la raison pure développa lʼidée selon laquelle lʼhumanité, au niveau interétatique, est restée au stade de lʼétat de nature, ce qui explique le déclenchement régulier de guerres. Mais celles-ci auront in fine un effet vertueux sur lʼhomme : le forcer à construire une Société des Nations, un état social géopolitique. 

    Dans Idée dʼune histoire universelle dʼun point de vue cosmpolitique (1784), Kant détaille cette thèse, où il remplace Dieu par le concept spinoziste de « nature », et annonce que lʼeffacement des États produira un jour une ère de paix universelle caractérisée par lʼavènement de lʼhomme moral, sorte de surhomme kantien. Le progrès touche, en somme, autant lʼhomme dans son individualité que dans sa « collectivité ». 

    La fin de lʼhistoire dessinée par Kant est une réponse, comme il le signale explicitement, au problème du millénarisme, vecteur de tant de tumultes et de violences durant les XVIème et XVIIème siècles. Il tente de résoudre séculairement, rationnellement, sans appui aucun de la foi, une question éminemment religieuse, qui fut très importante, déterminante même, au sein du protestantisme naissant[1]. Car sʼappuyant en particulier sur les écrits de saint Augustin, lʼÉglise de Rome rejette le millénarisme depuis le Moyen Âge. 

    Le millénarisme protestant ne se distingue du messianisme juif que sur un point : le Messie gouvernant le monde avec ses saints à la fin des temps, à la tête du Cinquième royaume promis par le prophète Daniel, est Jésus-Christ. Pour le reste le millénarisme protestant est identique à la vision dʼIsaïe dʼun monde où coexisteront pacifiquement loups et agneaux, et où les armes seront transformées en instrument de labourage, à laquelle croient aussi les Juifs. 

    minutenews.fr-donald-trump-reconnait-jerusalem-comme-la-capitale-disrael-2017-12-06_19-07-04_441501-1728x800_c.jpgCe Cinquième royaume, sur le plan politique, est caractérisé par la paix, lʼharmonie entre les hommes, et, au niveau économique, par la prospérité, lʼabondance. Voilà lʼhorizon que regardent avec tant dʼémerveillement Kant, Marx, Trotsky et Attali. 

    Le Messie des Juifs, Attali en est persuadé, a vocation à diriger un gouvernement planétaire depuis Jérusalem, comme il lʼa déclaré sur la chaîne de télévision Public Sénat le 6 mars 2010. 

    Ainsi il nʼest pas seulement le tenant du socialisme de Marx et de Trotsky qui est censé réaliser à terme lʼannihilation des édifices politiques dʼéchelle stato-nationale (dʼoù les guerres successives contre la Yougoslavie, lʼIrak, la Libye, la Syrie, etc., et plus près de nous la politique de privatisation du post-trotskiste Lionel Jospin entre 1997 et 2002, que lʼex-Premier ministre exprima par ses mots : « LʼÉtat ne peut pas tout », ce qui lui coûta sans doute sa qualification au 2ème tour du scrutin présidentiel de 2002, certains de ses électeurs préférant voter pour un trotskyste pur et dur comme Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, qui à eux deux obtinrent près de 10 ¨% des suffrages exprimés). 

    Un amoureux du judaïsme 

    Mais Attali est aussi lʼépigone de lʼilluminisme de Kant, lʼilluminisme puisant dans le Zohar (le « livre des Splendeurs », ou « des Illuminations »), ce qui signifie quʼil est un amoureux du judaïsme, quʼil comprend à la lumière (cʼest le terme idoine !) du Zohar et plus largement de la kabbale, dont le maître incontesté fut Isaac de Louria. Ce nʼest pas tant, en fait, le « talmudisme » que la kabbale lourianique qui inspire Jacques Attali. 

    613rQer8ihL.jpgDans son Dictionnaire amoureux du judaïsme, il reprend en utilisant un langage cryptique, ésotérique, la conception propre à Louria de la messianité : elle ne correspond pas à un homme supérieur, à un « Sauveur », mais à lʼensemble de la communauté juive. 

    Cette « version collectivisée » du Messie, on la retrouve chez ce Karl Marx si cher à Attali, à une différence près : à lʼethnique est substitué le social, à un peuple est substituée une classe, aux Juifs est substitué le prolétariat. « Karl Marx, loyal à ses ancêtres sans le savoir ou du moins sans le reconnaître, […] désigne la classe ouvrière comme le Messie et parle, lui aussi, […] de ʽʽpériode de transitionʼʼ, de monde parfait, de gouvernement mondial, […] reprenant ce qui était et reste aujourd’hui la plus belle posture humaine, la seule capable de rendre compatible l’utopie avec l’action politique : peut-être viendra-t-Il, mais je ne dois pas y compter, et agir plutôt comme si j’étais lui…[2] »  (A suivre)  ■

    [1]  Et le demeure dʼailleurs dans une large mesure sous le vocable dʼadventisme.
    [2]  Jacques Attali, Dictionnaire amoureux du judaïsme, Paris, Plon / Fayard, 2009, p. 324.

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

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  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [2]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Dans les cénacles néolibéraux dont le credo est le gel des salaires, on considérait que la gauche pouvait faire en mieux ce que la droite nʼavait jamais été capable dʼaccomplir. On se souvient de la hausse importante des salaires accordée par Georges Pompidou, alors Premier ministre, lors des accords de Grenelle en 1968. Attali était le maître dʼœuvre de cette gigantesque tromperie.

    En dépit de cela, il sʼest toujours considéré comme un homme de gauche. Être néolibéral et de gauche, ce nʼest en réalité pas contradictoire. Car le néolibéralisme vient du gauchisme, de lʼextrême-gauche, des anarsʼ, trotskos et maos...[1] Dʼautant plus que, comme lʼécrivit Dostoïevski dans Les frères Karamazov, « le socialisme nʼest pas seulement la question ouvrière, ou celle de ce quʼon appelle le ʽʽquatrième étatʼʼ, non, cʼest essentiellement la question de lʼathéisme, la question de la tour de Babel qui se construit, justement sans Dieu, non pour atteindre les cieux depuis la terre, mais pour faire descendre les cieux sur terre. »[2]

    91NpDl4STfL.jpgAttali ne renie pas en effet lʼétiquette de socialiste, lui qui a consacré un livre au père du « socialisme scientifique », Karl Marx, car pour lui cette idéologie nʼest pas tant le soin apporté aux exploités et la volonté du partage équitable des richesses, cʼest-à-dire la prise en compte de la « question sociale », problème crucial à partir de la Révolution industrielle au XIXème siècle, que lʼédification de la Cité juste, dʼun Éden terrestre où le bonheur devient la règle, par le truchement dʼune réparation du monde – ou tiqoun olam –, concept kabbalistique sʼil en est, où toute idée dʼintervention de Dieu dans la vie des hommes, appelée Providence, est totalement écarté, car il sʼest retiré du monde, dʼaprès un autre concept kabbalistique, le tsimtsoum.

    Ce qui intéresse Attali chez Marx, cʼest son cosmopolitisme athée, sa croyance dans le dépassement des nations au profit de lʼavènement dʼune humanité-monde sans foi, si ce nʼest en elle-même. La vision attalienne du monde se situe dans la continuité du socialisme « éthique », néo-kantien, des marxistes allemands Cohen, Natorp et Vörlander. Ce dernier organisa en 1904 une conférence en Allemagne intitulée « Kant et Marx ». Sur ce thème, le passage suivant qui clôture la biographie de Marx « écrite » par lʼancien conseiller de Mitterrand est fort éclairante. 

    La synthèse des pensées de Kant et de Marx 

    104771054_o.jpg« Demain – si la mondialisation nʼest pas une nouvelle fois remise en cause – le maintien de la rentabilité du capital ne pourra pas passer par une socialisation mondiale des pertes, faute dʼun État mondial ; […] Lorsquʼil aura ainsi épuisé la marchandisation des rapports sociaux et utilisé toutes ses ressources, le capitalisme, sʼil nʼa pas détruit lʼhumanité, pourrait aussi ouvrir à un socialisme mondial. Pour le dire autrement, le marché pourrait laisser place à la fraternité. […] Comme il nʼy a pas dʼÉtat mondial à prendre, cela ne saurait passer par lʼexercice dʼun pouvoir à lʼéchelle planétaire, mais par une transition dans lʼesprit du monde – cette ʽʽévolution révolutionnaireʼʼ si chère à Marx. […] Tout homme deviendrait citoyen du monde et le monde serait enfin fait pour lʼhomme. »[3] 

    Jacques Attali suggère quʼune fois la décomposition du capitalisme achevée, à sa place pourrait apparaître une nouvelle ère quʼil nomme socialisme mondial. Convaincu que le système capitaliste dégrade tant lʼenvironnement que les relations humaines, ce qui pourrait lʼamener, dans le cas le plus extrême, à anéantir le monde, Attali ne considère pas que ce système soit indépassable. Il avance que la solution idéale serait la naissance dʼun État socialiste mondial quʼil feint dʼenvisager comme autre chose quʼun ordre global, quʼun pouvoir à lʼéchelle planétaire, afin de rassurer son lecteur.

    À lʼimperium du marché succéderait le règne de la fraternité. Tout un programme... qui fleure lʼesprit maçonnique. Ce sentiment de fraternité se manifesterait par lʼexistence dʼune citoyenneté mondiale. Ce qui présuppose la constitution préalable dʼun État mondial. Attali se plaît à user de formules creuses dans le but dʼembrouiller son lecteur. Comme quand, notamment, il dit quʼà lʼère socialiste le monde serait enfin fait pour lʼhomme 

    2159544436.jpgEn vérité, pour les sociétés chrétiennes, dont la nôtre, le monde, entendu comme la création, a été fait pour lʼhomme par le Créateur. Grégoire de Nysse, philosophe du christianisme primitif (IVème siècle), souligne quʼau regard de la création, « dans sa richesse, sur terre et sur mer »[4], lʼhomme, cette « grande et précieuse chose »[5], est « celui dont elle est le partage »[6]. Contrairement à ce quʼaffirme Attali, depuis toujours le monde est fait pour lʼhomme. Mais sous lʼeffet de lʼantique ennemi il est devenu espace de labeur et de souffrances, suite au péché originel.

    Lʼhomme doit être le miroir de Dieu, celui sur lequel se reflète Son infinie bonté et Son incomparable magnificence. « Alors Dieu fait paraître lʼhomme en ce monde, pour être des merveilles de lʼunivers et le contemplateur et le maître : il veut que leur jouissance lui donne lʼintelligence de celui qui les lui fournit, tandis que la grandiose beauté de ce quʼil voit le met sur les traces de la puissance ineffable et inexprimable du Créateur. »[7]   (A suivre)  ■

    [1]  Gérard Mauger, « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme : pour une histoire de la ʽʽgénération de Mai 68ʼʼ, dans Jacques Chevallier (dir.), Lʼidentité politique, Paris, PUF, 1994.
    [2]  Paris, Gallimard, 61-62.
    [3]  Jacques Attali, Karl Marx ou lʼesprit du monde, Paris, Fayard, 2005, p. 502-3.
    [4]  Grégoire de Nysse, La création de lʼhomme, Paris, Cerf, 1943, p. 88.
    [5]  Ibid., p. 90.
    [6]  Ibid., p. 89.
    [7]  Ibid., p. 90-91.  

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  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [1]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles dont celui-ci est le premier, tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Si Jacques Attali, qui a fêté le 1er novembre ses 75 ans, appliquait à lui-même les idées quʼil prescrit pour la société, il aurait demandé il y a quinze ans de se faire euthanasier. Car Jacques Attali souhaite de tout son cœur que lʼeuthanasie devienne une pratique de masse destinée aux personnes du « troisième âge », comme dans lʼunivers dystopique mis en images par Richard Fleischer, le réalisateur de Soleil vert (1973). Il nʼy a donc rien de moins naturel que de procéder à lʼautopsie de celui qui est le mentor dʼEmmanuel Macron, et plus largement, qui est conseiller du Prince en titre depuis 1981 et lʼélection de François Mitterrand. Et même, diraient certains, depuis Vercingétorix[1]. 

    Ayant dépassé en âge le seuil quʼil a lui-même fixé, Jacques Attali est donc prêt à être autopsié. Cette autopsie nʼest pas physique mais intellectuelle, vous lʼaurez évidemment compris.

    Juillet-1967.-Vive-le-Quebec-libre-!.jpgNé le 1er novembre 1943 à Alger, il est passé par Sciences-Po, Polytechnique et lʼE.N.A. Étudiant brillant, plus enclin à aimer la ratiocination que les travaux physiques, Attali ambitionne de devenir, une fois diplômé, une figure intellectuelle du socialisme français. Sa référence est lʼauteur de LʼOpium des intellectuels, un pamphlet de 1955 qui vise lʼintelligentsia française accusée dʼêtre illusionnée par la religion marxiste, Raymond Aron, un atlantiste anti-communiste développant une pensée libérale-conservatrice largement inspirée dʼAlexis de Tocqueville. Il soutint le gaullisme avant de sʼen détacher en 1967, suite aux prises de position clairement anti-nord-américaines de De Gaulle. (« Vive le Québec libre ! », et surtout dénonciation de lʼhégémonie du dollar) et anti-israéliennes (« un peuple dʼélite, sur de lui-même et dominateur »).

    ARON-Raymond_NB.jpgJuif comme lui, Attali entend être le Raymond Aron de la gauche. Il rejoint le Parti socialiste (P.S.) de François Mitterrand dans les années 1970. Ce dernier lui confie, au tout début de sa campagne victorieuse de 1981, la mission de rencontrer Coluche, lʼhumoriste qui sʼest engagé dans la course en entonnant le refrain populiste du « tous pourris », pour mieux connaître ses intentions. Car une candidature effective de Michel Colucci, craint le camp socialiste, pourrait faire perdre de précieuses voix à son champion.

    Mais, menacé de mort, le clown se retire. Mitterrand lʼemporte finalement et, avec son sherpa, entre à lʼÉlysée. Les débuts au cœur du pouvoir sont difficiles pour Attali. Le journaliste « FOG », sur un ton moqueur, met en lumière la nouvelle vie du jeune conseiller du président. Lʼadaptation nʼest pas évidente. « Chaque fois que François Mitterrand ouvre une porte, Jacques Attali est là, empressé et inquiet. Ce nʼest pas un hasard si le conseiller spécial sʼest installé dans un bureau contigu à celui de président. Moitié salle dʼattente, moitié hall de gare, ce nʼest évidemment pas le meilleur endroit pour travailler. Mais quʼimporte puisque, pour Attali, lʼessentiel est de pouvoir surveiller les entrées et les sorties...

    Il est si fébrile quʼil ne peut se servir son café sans tacher son costume. Il est si émotif quʼil somatise pour un rien : un mauvais regard du président et, aussitôt, la grippe le ravage. Cʼest son caractère qui gâche son intelligence, qui, à lʼévidence, est immense. […] Tel est Attali : possessif, exclusif et pathétique. […] Pour se trouver quelques secondes de plus avec François Mitterrand, Jacques Attali est prêt à changer de masque comme de rôle. Il fait donc tour à tour office de concierge, de gourou, de dame de compagnie ou bien de professeur dʼéconomie. Il sʼest même mis au golf pour pouvoir jouer, tous les lundis matin, avec le président et André Rousselet. »[2]      

    ob_fbb0e2_attali-et-tonton.jpgProtégé par des soutiens puissants, par des réseaux de pouvoir très influents, Jacques Attali joue un rôle majeur, malgré ses déboires. Les dossiers qui lui sont confiés traitent des questions économiques et des relations avec le monde anglo-saxon. Sa tâche principale est de préparer le tournant de la rigueur, qui nʼa pas été décidé par la nécessité du moment vers 1983, mais était dans les cartons avant même lʼélection de François Mitterrand. La politique réellement socialiste, consistant notamment à nationaliser un certain nombre de grandes entreprises françaises, nʼétait quʼun leurre censé attirer une part substantielle du vote communiste. Embrasser le Parti communiste français (P.C.F.) pour mieux lʼétouffer : la stratégie fonctionna à merveille.

    Ceci nous est révélé par Benoît Collombat : à partir de « mars 1983, cʼest une politique économique de « rigueur » qui sʼimpose, après lʼavis « déterminant du conseiller élyséen Jacques Attali, selon les mots du président lui-même : maintien dans le serpent monétaire européen, blocage des salaires, etc. »[3] Or « la rigueur socialiste est bien la conséquence dʼun choix idéologique, non dʼun impératif économique. Une histoire secrète dans laquelle Jacques Attali a joué un rôle décisif. »[4] Au même moment que la signature du Programme commun de gouvernement par le P.S. et le P.C.F, lui « qui ambitionne de devenir le ʽʽRaymond Aron de la gaucheʼʼ, met en place à lʼuniversité Paris-Dauphine un groupe dʼéconomistes et de polytechniciens rassemblés au sein de lʼInstitut de recherche et dʼinformation socio-économique (IRIS). »[5] Un membre de cette coterie dʼexperts a déclaré que « les nationalisations devaient servir à renflouer des entreprises... avant de les rendre au secteur privé »[6], comme Rhône-Poulenc ou Pechiney. Un autre ancien de lʼI.R.I.S., qui le quitta en 1979, explique que « lʼarrière-plan idéologique de lʼIRIS était évident : il sʼagissait de ʽʽréussir ce que la droite était en train de rater. Casser les salaires pour créer un capitalisme modèleʼʼ. Il fallait que la gauche devienne néolibéraleʼʼ, résume Léo Scheer, autre membre de lʼIRIS embauché en 1981 dans le groupe Havas. Une conversion silencieuse, qui ne devait pas entraîner de rupture avec les communistes... »[7]

    75b6abdf216a17b9172daefe89d.jpegCʼest pourquoi un rapport sur les effets de la politique de relance par la consommation initiée par le pouvoir socialiste est passé sous silence... car il montre que celle-ci est une réussite : « Le ministre du Plan, Michel Rocard, demande à Dominique Strauss-Kahn, alors au Commissariat au Plan, de commander un rapport à lʼéconomiste américain Robert Eisner, afin de justifier ce tournant. Problème : Eisner aboutit à la conclusion inverse ! Le président de la très respectée Association américaine dʼéconomie estime que la politique de relance produit ses premiers effets, et que le pouvoir socialiste doit continuer sur sa lancée de 1981. Son rapport restera dans un tiroir. »[8] 

    En dépit de ce qui nous est habituellement dit, la relance de type keynésien – ou « choc de demande » – amorcée par le gouvernement Mauroy ne fut pas un échec économique. Ni une entrave à la construction européenne : les partenaires de la France au sein de la Communauté économique européenne (C.E.E.), République fédérale dʼAllemagne (R.F.A.) et Italie en tête, voyaient dʼun bon œil cette politique économique qui dynamisait leur industrie. Les gains de pouvoir dʼachat dus à la politique de relance incitaient les Français à consommer plus, à acheter plus de berlines allemandes et de canapés italiens !   (A suivre)  ■  

    [1]  Pour reprendre une saillie drolatique du spectacle La guerre de Dieudonné (2017).
    [2]  Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, Paris, Seuil, 2011, p. 384.
    [3]  Benoît Collombat, « Jacques Attali : dans les affaires du Prince, prince des ʽʽaffairesʼʼ » in Benoît Collombat, David Servenay (dir.), Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 340.
    [4]  Ibid., p. 341.
    [5]  Ibid., p. 342.
    [6]  Ibid., p. 343.
    [7]  Idem.
    [8]  Ibid., p. 340. 

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Société • Gilets jaunes : « À contresens »

      

    Par  

    De cet excellent éditorial, nous distinguerons les deux réflexions qui suivent : « Le tournant que demande la classe moyenne avec ou sans jaune fluo est social, mais il n'est pas comptable » et encore : « Ballottée par les vents violents de la mondialisation et du multiculturalisme, elle crie pour ses fins de mois, mais l'angoisse qui l'étreint est celle de la fin d'un monde : le sien. » [Le Figaro, 6.12] LFAR

     

    XVMe57eea5a-f8cd-11e8-b708-809203d3fe49.jpgEn France, tout s'achève par des impôts. À entendre certaines voix de la majorité, même une révolte fiscale peut déboucher sur un nouveau prélèvement. Depuis que le gouvernement a annoncé qu'il était prêt à annuler la fameuse taxe, le concours Lépine des idées folles bat son plein. Rétablissons l'ISF, lance Marlène Schiappa (sans doute parce que sa disparition participe de l'inégalité femmes-hommes qu'elle est chargée de combattre)! Ajoutons une tranche supplémentaire à l'impôt sur le revenu, propose ingénument un député LaREM ! Encore un peu et le revenu universel reviendra sur la table…

    Même si elle s'affuble désormais du masque hideux de la fièvre robespierriste, il faut, pour comprendre cette révolte fiscale, remonter aux sources profondes qui l'ont fait jaillir. Confuse, contradictoire, indiscernable parfois, elle a toutefois pour premier slogan une phrase limpide : « Laissez-nous vivre de notre travail.» Rien dans une telle supplique ne contient la revendication d'un statut, d'une subvention, d'un impôt. La contradiction même soulignée par Emmanuel Macron entre la double exigence de service public et de baisse des impôts n'est qu'apparente. Elle dit plutôt que le contribuable ne s'y retrouve pas entre ce qu'il donne à la collectivité et ce qu'elle lui procure.

    Le tournant que demande la classe moyenne avec ou sans jaune fluo est social, mais il n'est pas comptable. Il a pour cause, c'est évident, l'inquiétude économique, mais, plus profondément, il exprime, et jusque dans son nihilisme destructeur, la nécessité d'un projet de civilisation. Si la « France moche », celle qu'on traverse dans les romans de Houellebecq, celle des quartiers périurbains, se réfugie, du pavillon au centre commercial, dans la consommation, elle cherche désespérément l'amitié du monde qui humanise la vie quotidienne : la sécurité, la sociabilité, la communauté d'expérience, les fêtes collectives, le foyer, la beauté. Ballottée par les vents violents de la mondialisation et du multiculturalisme, elle crie pour ses fins de mois, mais l'angoisse qui l'étreint est celle de la fin d'un monde: le sien.  

    Vincent Tremolet de Villers
    Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du FigaroVox 
     
    A lire dans la rubrique En deux mots de Lafautearousseau ...
    Gilets jaunes : Les hommes et les idées de demain seront sans-doute à rechercher hors du Système
  • Gilets jaunes : d'accord avec Patrice de Plunkett

    Un billet de Patrice de Plunkett

    Il y a certains sujets importants sur lesquels nous sommes aujourd'hui en parfait désaccord avec Patrice de Plunkett. Nous partageons pourtant tout à fait son analyse de la situation du pays dans l'affaire des Gilets jaunes, ses causes, ses conséquences qui ont tout l'air d'un effondrement du Système sur lui-même. LFAR  

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    Toute violence est déplorable. Mais déplorables aussi sont les causes de la violence !

    L’intervention de casseurs de tout poil, et la « radicalisation » de gilets-jaunes, sont inévitables puisque la vague de manifestations perdure. Et elle perdure parce que la rage des manifestants vient de loin ; que leurs griefs sont multiples ; et que la Macronie leur répète qu’il n’y a rien à négocier. Ce qui équivaut à dire qu’il n’y a pas d’issue… Ce matin à la radio un LRM prend des airs offusqués :  « Les gilets-jaunes sont incapables de négocier ! » Quoi : ces losers refusent de venir à une non-négociation, ils disent qu’on ne les écoute pas ? ils restent fâchés au point de se donner ENCORE rendez-vous à Paris, pour des manifestations donnant fatalement lieu à plus de violences ? Tout ça paraît méprisable aux supporters éclairés de M. Macron : « produits finis » de la « théologie du management » et du dogme « néolibéral »  [*], ces gens considèrent que l’humain digne de ce nom commence au diplômé d’HEC ou de l’Essec ; un peu comme le chancelier Metternich considérait que « homme commence au baron ».

    Mais Metternich avait plus de lucidité que les jeunes arrogants de la Macronie. Il disait :  « Le plus grand don de n'importe quel homme d'État n'est pas de savoir quelles concessions faire, mais de reconnaître quand les faire. »  L’Elysée avait entre les mains le moyen d’une concession apaisante, puisque M. Macron – le 27 novembre – avait évoqué un délai de “trois mois” pour élaborer des méthodes d’accompagnement : il aurait suffi de dire que cela impliquait un moratoire du prix des carburants... Cette manœuvre retardatrice aurait donné aux gilets-jaunes le temps de désigner de vrais délégués et de mettre au point des doléances concrètes... Mais non !  La Macronie ne discute pas ! Mue par la Main Invisible, elle a été placée là pour libérer les winners du vieux boulet de la solidarité avec les losers.  Elle le fait sentir.  Et les Français qui le sentent, se sentent par là méprisés. Et ça a donné le jour de fureur du 1er décembre.

    Pendant que le chaos se déployait dans Paris à la barbe de M. Castaner, je quittais Dijon après des heures passionnantes aux 7èmes « Universités de la famille » (thème de ce colloque 2018 : Famille et écologie). A la gare il y avait les gilets-jaunes, très combatifs. Ils me disent : « Macron fait la politique de ceux qui vont bien en se foutant de ceux qui vont mal ! ».  Au guichet, une dame énervée déblatère contre « ces imbéciles de gilets-jaunes ». Je lui demande :  «pourquoi ‘imbéciles’ ? » – « Parce qu’ils ne comprennent rien à l’économie ! »  – « En êtes-vous sûre ? » –  « Monsieur, je suis dans une société financière et je sais ce que je dis. » Cette dame a dû prendre un plaisir vengeur, ce matin, en lisant la diatribe élyséenne du Journal du dimanche.

    Entre le micro-milieu de ceux qui vont bien et la masse de ceux qui vont mal, ou (pour reprendre la formule de David Goodhart) entre « les individus de n’importe où », mobiles et bankables, et « le peuple de quelque part » lié à un territoire et un mode de vie, il n’y a plus de langage commun. De l’executive woman de la gare de Dijon à M. Castaner annonçant qu’il n’y a rien à négocier, 25 % des Français tournent le dos à tous les autres : voilà l’effet du néolibéralisme sur la personne humaine... Je laisse ce point de méditation à la bourgeoisie catholique de l’Hexagone.  

    Patrice de Plunkett : le blog

  • Les libertés ne s’octroient pas !

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    Sauf le pouvoir et les médias, personne ne confond les Gilets jaunes avec les casseurs, la racaille et les pillards dont chacun sait qui ils sont ...!

    Logo_site_transp.pngLa mobilisation des Gilets Jaunes est un succès impressionnant que le gouvernement refuse de voir en s’abritant, comme d’habitude, derrière des querelles de chiffres et en tentant d’assimiler ce mouvement populaire à une nébuleuse d’extrême-droite dont la seule évocation suffirait à faire fuir les gens de goût et rire les gens intelligents.

    Dans les faits, c’est-à-dire dans le réel et non pas dans l’espace médiatique où Castaner et Macron caracolent à la tête de leurs troupes réduites, les Gilets Jaunes ont réussi, depuis plus d’une semaine, à mobiliser des dizaines et même des centaines de milliers de Français, à organiser des blocages de routes, d’autoroutes, de centres administratifs et des mises hors d’usage de radars.

    Ils l’ont réussi au prix de leurs vies et de leur santé, les anti-bloqueurs, soigneusement avertis par la propagande officielle, ayant bien compris que toute violence exercée à l’encontre des Gilets Jaunes serait considérée comme légitime. Car les Gilets Jaunes n’étant ni un parti ni un syndicat ni, donc, un « partenaire social”, les Gilets Jaunes n’étant en fait que le peuple… n’ont, en démocratie représentative et partisane, aucune valeur et aucune légitimité, quelles que soient leurs revendications, leurs régions, leur niveaux de revenus, leurs professions et leurs difficultés.

    Alors que la pression fiscale a atteint des niveaux inédits en même temps que les services publics (hôpitaux, gendarmerie, tribunaux, maternités, administrations diverses, transports…) se sont dégradés à un point tout aussi inédit, l’État jacobin continue à imposer des lois, des règlements, des taxes qui empoisonnent la vie des Français sans pour autant permettre au pays de réduire son endettement, de diminuer le chômage, de préserver sa souveraineté. Macron poursuit un rêve européen auquel il est seul à croire, et il le fait en insultant régulièrement depuis l’étranger les Français, ces Gaulois réfractaires, ces nationalistes lépreux, ces conservateurs haineux qui ne comprennent rien au rêve mirifique que le Premier des Premiers de Cordée et ses fidèles et vertueux lieutenants (Ferrand et Castaner en tête) font miroiter : une France enfin fondue dans l’Europe, des Français aussi pauvres que les Allemands et aussi asservis au Capital que les Grecs.

    Si Macron a honte de ces Français qui ne sont pas à ses ordres, nous avons honte de ces partis qui n’ont jamais su, tous autant qu’ils sont, mesurer et prendre en compte la misère et la détresse des Français. Nous avons honte de cet État centralisateur qui spolie les citoyens et détruit les corps intermédiaires. Nous admirons en revanche les Gilets Jaunes, dont la spontanéité et le courage témoignent d’une résistance des consciences face au rouleau compresseur étatique. Qu’ils continuent leur lutte, par tous les moyens : les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent !  

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  • Société • Gérard Leclerc : Les gilets jaunes, c’est la France profonde

     

    par Gérard Leclerc
     

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    Décidément, impossible de lâcher notre actualité nationale et le conflit des gilets jaunes. Car il s’agit d’une crise extrêmement profonde, qui n’est pas près de s’éteindre.

    La scène symbolique des Champs-Élysées a pu déchaîner les passions, mais il faut bien prendre conscience que ce qui compte, ce n’est pas la violence qui s’y est exercée mais le caractère hautement représentatif de ce qui s’y est joué et va sans doute encore se jouer samedi prochain. Car c’est l’ensemble du territoire national qui est en quelque sorte représenté par les quelques milliers de gilets jaunes qui ont pris possession du cœur civique de la France, là où le 11 novembre dernier étaient réunis les chefs d’État du monde entier. Un ami me téléphone depuis le Limousin et m’informe d’un phénomène nouveau. La solidarité avec les gilets jaunes s’affirme de plus en plus ouvertement avec une majorité de voitures qui exhibent ledit gilet sur leur pare-brise.

    Par ailleurs, la sécheresse met dans une situation extrêmement critique les paysans qui ne parviennent pas à acheter de la paille pour faire la soudure et dont les troupeaux s’achètent à vil prix. Bien sûr, Emmanuel Macron n’est pour rien dans ce phénomène qui se rattache d’ailleurs au réchauffement climatique, par lequel il justifie sa politique fiscale. Mais le monde agricole avec la France périphérique n’est pas prêt à accepter cette politique, qui ne fait qu’ajouter à son tracas. En janvier prochain, la fronde risque de s’enflammer dans des proportions nouvelles, notamment avec les entreprises de travaux public dont les coûts vont exploser. Leur colère peut s’exprimer cette fois par la paralysie de la circulation, bien au-delà des barrages filtrants des dernières semaines.

    Emmanuel Macron, pourtant, semble conscient du formidable défi qu’il affronte. N’a-t-il pas déclaré mardi : «  Le Brexit, c’est le même sujet. Ce sont des citoyens britanniques qui disent juste “le monde que vous nous proposez, il n’est plus pour nous. On ne s’y retrouve pas”. Toutes les sociétés démocratiques contemporaines ont ce défi que nous avons devant nous. » Face à ce défi, l’affirmation d’un progressisme triomphant aggravera le mal plutôt que le conjurer. Comment réparer la fracture sociale ? Comment rétablir les conditions du dialogue ? Comment élaborer une stratégie d’ensemble qui réconciliera les classes à nouveau en guerre ? Convaincre et non contraindre, disait déjà François Mitterrand. ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 29 novembre 2018
  • Économie : rien ne va plus dans le monde

    Par Marc Rousset    

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    « Les actions sont en plein bitcoin », a pu déclarer un gestionnaire d’actifs, comparant les marchés boursiers surévalués aux bulles des crypto-monnaies en train d’éclater.

    Le CAC 40 a déjà perdu 7 % depuis le début de l’année, Vallourec 65 % et Valeo 58 %, tandis que les banques françaises, balayées par les tensions en Italie, affichent des baisses comprises entre 20 % et 30 %. Le CAC 40, soutenu par les groupes de luxe, a perdu cependant moins que Francfort (13,5 %), Milan (14,5 %), Londres (10 %).

    Le déclin du prix du pétrole est inquiétant car il signifie que l’économie mondiale s’affaiblit. Le simple fait que de plus en plus de banquiers centraux achètent de l’or dans le monde doit aussi être considéré comme un signal d’alerte.

    Jusqu’à ce jour, l’échéance inéluctable de la faillite des finances publiques dans le monde a été repoussée par le soutien abusif des banques centrales. Le déficit de la France de 83 milliards d’euros ne doit pas être comparé seulement aux fameux 3 % du PIB qui rassurent, mais aux recettes fiscales de 245 milliards d’euros de notre pays, soit 30 % de ces dernières. La France doit être comparée à une entreprise qui, depuis quarante ans, connaîtrait une perte abyssale de 30 % de son chiffre d’affaires ! Au bout d’une seule année, tout chef d’entreprise – n’importe où dans le monde – qui présenterait un compte d’exploitation semblable serait immédiatement démis de ses fonctions par les administrateurs de la société.

    La BCE, face à la catastrophe qui s’annonce, mettra fin effectivement, en décembre 2018, à son programme de rachat d’actifs (« QE ») de 2.600 milliards d’euros, mais elle songerait à reporter à l’automne 2019 ou à fin 2019 le relèvement de taux annoncé pour l’été 2019. Il est probable que les trois tours de vis de 0,25 % de la Fed pour l’année 2019 seront, eux aussi, soumis aux aléas de la conjoncture. Mais les banques centrales sont cependant obligées, un jour ou l’autre, de remonter les taux pour briser le cercle vicieux : baisse des taux et augmentation de l’endettement. Sinon, la partie se terminera par la perte de confiance, la fuite devant la monnaie et l’écroulement du système financier hyper-endetté.

    Aux États-Unis, l’euphorie du consumériste « Black Friday », repris en anglais dans le texte par les petits singes copieurs européens à court d’idées nouvelles pour vendre encore davantage, masque les déceptions des classes aisées, suite à l’effondrement de 9 % de Wall Street depuis début octobre. L’immobilier et les ventes de véhicules fléchissent, suite à la hausse des taux. Toys“R”Us a fermé ses 800 magasins. Sears est au bord de la liquidation. J.C. Penney, avec ses 865 magasins, est aux abois, tandis que les géants de la distribution Home Depot, Target et Walmart souffrent en se faisant massacrer à Wall Street. À noter qu’en France, Casino, Auchan et Carrefour luttent aussi à contre-courant, suite à la gloire éphémère perdue des hypermarchés.

    La dette des ménages américains (marché hypothécaire, crédit revolving, crédit automobile, cartes de crédit et prêts étudiants) a atteint le niveau record de 13.500 milliards de dollars. Pour diminuer leur déficit, les Américains seront, un jour, obligés de dévaluer le dollar alors que la hausse des taux le réévalue, d’où les problèmes insurmontables à résoudre aux États-Unis, du style quadrature du cercle.

    En Grèce se fait entendre le chant du cygne Aléxis Tsípras, qui prétend, avec son projet de budget miracle 2019, « avoir fait mentir les Cassandre qui prédisaient le désastre de l’économie du pays ». Le désastre est pourtant là avec, malgré l’émigration, un taux de chômage de 19,9 %, un parti d’opposition conservateur avec 16,5 points d’avance sur SYRIZA et des taux d’emprunt prohibitifs à dix ans à 4,5 %, contre seulement 3,4 % pour l’Italie et 0,7 % pour la France. « Ce budget est un trompe-l’œil démagogique à visée électorale, qui ne change rien et empêche la Grèce de redémarrer », dénonce Olivier Delorme, historien spécialiste de la Grèce.

    En fait, le danger sévit partout dans le monde : à elle seule, la dette privée en dollars d’environ 230 % du PIB chinois pourrait provoquer une crise mondiale d’envergure, selon l’économiste japonais Kevin Lai, de Daiwa Capital Markets. La chute de la monnaie chinoise provoquerait, en effet, une crise de la dette en Chine, susceptible de dégénérer en désastre mondial. ■  

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    Économiste
    Ancien haut dirigeant d'entreprise