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République ou Royauté ? - Page 54

  • Alain de Benoist a raison : Morale et politique - saints et ascètes sont rarement des machiavéliens !

    Le cardinal Mazarin par Philippe de Champaigne - Peut-être le plus corrompu et le plus grand de nos ministres 

     

    Par Alain de Benoist

    Sur morale et politique, Alain de Benoist, dans cet entretien intéressant donné à Boulevard Voltaire [18.07], opère les distinctions nécessaires. Celles-là même que nous avons rappelées nous aussi dans Lafautearousseau à maintes reprises, au fil des récentes affaires. Corruption, mensonges, tartufferie, sont des reproches d'ordre moral, secondaires au regard du politique. Les vérités qu'exprime ici Alain de Benoist ressortent d'une très ancienne sagesse du gouvernement des Etats ; elles imprègnent notamment l'Ancien Régime. La sous-morale qui infeste aujourd'hui médias, opinion et soi-disant élites constitue comme une drogue débilitante de toute action politique. Elle n'intéresse pas les esprits politiques et même leur répugne.  LFAR    

     

    3650118671.7.pngDès son élection, Emmanuel Macron a fait de la « moralisation de la vie politique » son cheval de bataille. Là-dessus, Richard Ferrand et le couple François Bayrou-Marielle de Sarnez ont été obligés de quitter le gouvernement dans les conditions que l’on sait. Vous en pensez quoi ?

    Honnêtement, rien du tout. Les histoires d’emplois fictifs, de comptes en Suisse, d’attachés parlementaires, de mutuelles bretonnes et que sais-je encore ne sont là que pour amuser la galerie. Elles ne sont là que pour distraire, au sens pascalien, une opinion publique qui n’est déjà plus depuis longtemps en état de distinguer l’historique de l’anecdotique. Leur seul effet positif est de discréditer toujours un peu plus une classe politique qui a effectivement démérité, mais pour de tout autres raisons. En dehors de cela, elles conduisent à croire que la vie politique doit se dérouler sous l’œil des juges, en même temps qu’elles généralisent l’ère du soupçon au nom d’un idéal de « transparence » proprement totalitaire. Et le mouvement s’accélère : on reprochera bientôt aux ministres de s’être fait offrir des caramels mous et d’avoir oublié de déclarer leur collection de moules à gaufres dans leur déclaration de patrimoine.

    Quant aux lois destinées à « moraliser la vie publique », elles resteront à peu près aussi efficaces que celles qui prétendent moraliser la vie financière. Depuis le scandale de Panama (1892) – pour ne pas remonter plus haut -, les « affaires » ont de tout temps émaillé la vie politique. Pour y remédier, on légifère à grand bruit mais dans le vide. En bientôt trente ans, ce ne sont pas moins de dix lois différentes qui ont été adoptées à cette fin, depuis la loi du 11 mars 1988 sur la « transparence financière de la vie politique » jusqu’à celle du 9 décembre 2016 relative à la « lutte contre la corruption », en passant par celle du 29 janvier 1993 sur la moralisation des campagnes électorales et des procédures publiques. Aucune de ces lois n’a empêché de nouvelles « affaires » de surgir. Il en ira évidemment de même de celle que prépare le gouvernement.

    Serait-il plus immoral de se faire offrir des costumes en douce (François Fillon) que d’attaquer la Libye (Nicolas Sarkozy), avec les résultats politiques que l’on sait ?

    Évidemment pas, mais avec cet exemple, vous abordez indirectement la véritable question qu’il faut se poser : celle des rapports entre la politique et la morale. Tout le monde, bien entendu, préférerait être gouverné par des dirigeants intègres plutôt que par des corrompus. Mais la politique n’est pas un concours de vertu. Mieux vaut une franche fripouille, voire une sinistre crapule qui fait une bonne politique (il n’en a pas manqué dans l’Histoire), qu’un brave homme aux qualités morales incontestables qui en fait une mauvaise (il n’en a pas manqué non plus) – et qui, du même coup, discrédite jusqu’à ses qualités. La politique a pour but d’atteindre des objectifs politiques, pas des objectifs moraux. Ce qui a manqué à Louis XVI, c’est d’être aussi Lénine et Talleyrand. Les saints ou les ascètes sont rarement des machiavéliens !

    La vérité est que les qualités politiques et les qualités morales ne sont pas de même nature. Elles n’appartiennent pas à la même catégorie. La politique n’a pas à être gouvernée par la morale, car elle a sa propre morale, qui veut que l’action publique soit ordonnée au bien commun. Elle n’est pas ordonnée à l’amour de tous les hommes, ou à l’amour de l’homme en soi, mais se préoccupe d’abord de ce que peut être le destin de la communauté à laquelle on appartient. À ceux qui pensent avoir tout dit lorsqu’ils ont proclamé que « tous les hommes sont frères », rappelons que la première histoire de frères est celle du meurtre d’Abel par Caïn. 

    La politique morale, émotionnelle et lacrymale, la politique des bons sentiments est en fait la pire politique qui soit. La politique qui consiste à multiplier les ingérences « humanitaires » au nom des droits de l’homme aboutit régulièrement à des désastres, comme on peut le voir aujourd’hui au Proche-Orient. Celle qui nous commande d’accueillir avec « générosité » tous les migrants de la planète confond tout simplement morale publique et morale privée. Celle qui consiste à gloser sur les « valeurs » pour mieux ignorer les principes est tout aussi invertébrée. Le politiquement correct relève lui aussi de l’injonction morale, pour ne rien dire de la « lutte-contre-toutes-les-discriminations ». Cette politique morale prend malheureusement toujours plus d’ampleur à une époque où le « bien » et le « mal », tels que les définit l’idéologie dominante, tendent de plus en plus à remplacer le vrai et le faux. Là comme ailleurs, le politique doit reprendre ses droits.

    Et Simone Veil au Panthéon ?

    Simone Weil n’y est pas. 

    Intellectuel, philosophe et politologue

     
    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
  • Histoire & Actualité • Aux sources du 14 Juillet

     

    Par Jérémy Loisse

    Il est des idées, des analyses, des rappels historiques, et, finalement, des constations, que nous ne sommes plus seuls à exprimer, que nous n'avons même plus la peine d'exprimer, tant elles sont aujourd'hui partagées, diffusées. Il est même bon, voire préférable, que cela soit publié sur d'autres médias que royalistes, d'autres médias que les nôtres. Ainsi de cette excellente réflexion de Jérémy Loisse, parue hier, 15 juillet, sur Boulevard Voltaire. S'étonnera-t-on que nous préférions reprendre ainsi ces vérités dites par d'autres, notamment sur ce que fut la Révolution ? Hé bien, l'on aurait tort. Que l'on y réfléchisse. Bravo à l'auteur ! LFAR    

     

    ba4cf6877969a6350a052b6bf5ac64e2.jpeg.jpgEn ce jour du 14 juillet 2017, il n’est jamais mauvais de rappeler ce que fut cette journée et à quoi elle donna naissance.

    Le 14 juillet 1789, les révolutionnaires prennent la Bastille pour libérer sept détenus qui y étaient emprisonnés :

    Jean Béchade, Bernard Laroche, Jean La Corrège et Jean-Antoine Pujade, quatre faussaires accusés d’avoir falsifié des lettres de change ;

    le comte Hubert de Solages, criminel coupable de deux tentatives d’assassinat sur son frère frère aîné, ainsi que de viol, vol et assassinat sur sa terre de Trévien ;

    Auguste Tavernier, supposé complice de Robert-François Damiens, l’auteur d’une tentative d’assassinat (régicide) sur Louis XV

    le comte de Whyte de Malleville, embastillé pour démence à la demande de sa famille.

    Ces sept détenus sont tous à l’image de cette révolution : entre la démence, la falsification, le meurtre et le régicide. Les révolutionnaires jugeaient sans preuve, condamnaient sans motif, guillotinaient sans pitié. À voir les flots d’émotions que suscitent ces cris de « liberté, égalité, fraternité » et les flots de sang versés par ces mêmes personnes, on ne saurait oublier le proverbe qui dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les meurtres des ecclésiastiques, le saccages des églises, le renversement des mœurs, les massacres de septembre 1792, massacres de la guerre de Vendée et de la Chouannerie, la Terreur, le Tribunal révolutionnaire, Louis XVI et Marie-Antoinette guillotinés après des mascarades de procès auxquels les procès staliniens n’auraient rien à envier, la profanation des tombes de la basilique Saint-Denis, les révolutionnaires jetant les cendres de plus de 170 personnes, dont des rois et reines de France, des princes, des serviteurs du royaume ainsi que des religieux, dans des fosses communes… Voilà ce qu’étaient les actes de cette révolution.

    Comment ne pas trembler à l’écoute des noms de ses sanglants prophètes tels que Robespierre, Saint-Just, Marat ou Fouquier-Tinville ? Des loups maçonniques assoiffés de sang. La Révolution fut un leurre, mais un leurre entaché de crimes, de meurtres d’hommes, de femmes et d’enfants. Voyez ces trois mots mensongers de liberté (qui enchaîna la France), d’égalité (qui mit la France en dessous de toutes les nations) et de fraternité (qui amena les Français dans la période la plus fratricide de toute son Histoire). 

    Je conclurai en citant Alexandre Soljenitsyne : 

    « La Révolution française s’est déroulée au nom d’un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. […] liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement, sont antagoniques l’une de l’autre ! La liberté détruit l’égalité sociale – c’est même là un des rôles de la liberté -, tandis que l’égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n’est pas de leur famille. Ce n’est qu’un aventureux ajout au slogan… » 

     
    Lire aussi dans Lafautearousseau ... 
     
  • La démocratie sans la Monarchie, c’est l’oligarchie

     

    Par Jean-Philippe Chauvin 

     

    1262631406.jpgNous sommes en République, et non en Monarchie… Peut-être, après tout, M. Macron aurait-il été un bon ministre du roi, voire un « régent acceptable » selon la formule d’un collègue professeur qui sait ses classiques ! Mais la République, elle, par son principe électif même et son idéologie centralisatrice, et par ses véritables maîtres que sont les féodalités de l’Argent, empêche toute bonne politique sur le long terme et décrédibilise les meilleures intentions quand elle décourage les meilleures volontés.

    Les élections qui ont bouleversé le « pays légal » avec la formation d’une « Chambre bleu Macron », démontrent à l’envi que, selon la formule tirée du « Guépard », « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Si les têtes sont nouvelles, l’esprit reste souvent le même, et la République se confirme à travers ce nouveau « pays légal » qui ne représente pas exactement le, ou plutôt « les pays réels ». Les nombreuses enquêtes sur les candidats de « La République en marche » confirment que ceux-ci appartiennent plus aux catégories aisées qu’aux classes populaires… Le problème n’est pas qu’il y ait des « privilégiés » au Palais-Bourbon (il peut même être heureux qu’il y en ait, de chef d’entreprise à haut fonctionnaire) mais qu’ils soient surreprésentés quand les catégories moins aisées en sont quasiment absentes ! Ainsi va la démocratie représentative qui n’est rien d’autre, en somme, qu’une forme d’oligarchie plus ou moins discrète, et cette démocratie-là, alibi du pouvoir des « puissances économiques d’abord », est critiquable, condamnable, parfois détestable à l’usage. 

    Soyons clairs quand les démocrates revendiqués ne le sont pas, bien prompts plutôt à tricher sur le sens des mots pour imposer leur domination sur tous, et en vanter la légitimité, « la seule acceptable » (sic !), bien sûr… Redonnons leur sens aux mots et regardons leur pratique concrète : la démocratie, si l’on en croit l’étymologie grecque, c’est le pouvoir du peuple. Mais il faut aller plus loin : c’est le pouvoir du plus grand nombre au sein de ce peuple qui, lui-même, n’est souvent qu’une partie plus ou moins importante de la population de l’espace civique considéré.

    Dans l’histoire, le mot et la chose apparaissent à Athènes, au cinquième siècle avant notre ère, et la démocratie se veut directe, les décisions les plus importantes et les plus politiques étant prises par la majorité des citoyens présents sur la colline de la Pnyx, à l’ecclesia. Cela finira mal, car l’opinion la plus nombreuse et la plus courante n’est pas forcément la raison ni l’intérêt commun. Athènes en fera l’amère et cruelle expérience, et perdra sa liberté par sa faute et son arrogance toutes démocratiques… 

    Aujourd’hui, la démocratie directe s’applique peu dans notre pays, car la République lui préfère la démocratie représentative, ce que nous pourrions appeler la démocratie d’apparence, forme à peine déguisée d’une oligarchie qui prend les traits de parlementaires, de ministres et de présidents forcément provisoires, mais aussi ceux d’une sorte de « classe discutante » destinée à « tenir l’opinion ». C’est ce qu’illustre magnifiquement le film « Le Président », dans lequel Jean Gabin, président du Conseil d’une République qui ressemble surtout, il est vrai, autant à la Quatrième qu’à la Troisième, s’en prend aux députés, même de gauche, dont les intérêts personnels se trouvent d’abord dans le domaine économique et financier, et qu’il dénonce cette sorte de « démocratie de connivence ». (voir ce passage du film ) 

    D’ailleurs, quand la République, désormais avec mauvaise grâce, se plie à l’exercice du référendum, elle n’en respecte pas forcément le résultat s’il ne lui convient pas, à elle ou à l’Union européenne, comme les électeurs français ont pu le constater avec colère et ressentiment après le vote de 2005… De plus, cette colère des électeurs, de plus en plus vive mais mêlée souvent de fatalisme, se traduit par une abstention électorale importante (cette « sécession du peuple » qui rappelle celle des plébéiens romains de l’Antiquité), qui atteint désormais plus de la moitié de l’électorat, les plus absents étant ceux des générations montantes et les classes populaires : désaveu d’une démocratie parlementaire dans laquelle une grande partie du « pays réel » ne se reconnaît plus et ne retrouve pas ses propres préoccupations et aspirations. Désaveu terrible, gros de tempêtes futures… 

    La Couronne, (8.07)

  • Europe et dénatalité

    Les conjoints des chefs d'Etat au sommet de l'OTAN, le 25 mai 2017  

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Informé par des statisticiens chrétiens des Etats-Unis, notre chroniqueur s’est penché sur le phénomène de «dénatalité» constaté récemment parmi le haut personnel politique en Europe occidentale.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgL’élection cette année à la présidence française d’Emmanuel Macron (39 ans, né en 1977), le plus jeune chef d’Etat français depuis Napoléon Bonaparte (Premier consul à 30 ans, en 1799) a suscité l’attention de chercheurs catholiques nord-américains, dont le journaliste Phil Lawler, connus pour investiguer dans les affaires intimes de leurs contemporains. Ils en ont déduit, par exemple, que si le président Macron reste marié à son épouse actuelle, Brigitte Trogneux (née en 1953, 64 ans, mère de trois enfants par son mariage précédent avec un certain M. Auzière qu’on donne pour «financier»), il n'aura pas de postérité. 

    Sur cette lancée, la curiosité démographique de nos chrétiens anglo-saxons les a conduits à dresser la liste des grands dirigeants d’Europe occidentale, mariés ou « en couple » - mais sans le moindre enfant. Cette liste est longue ; en voici « les stars » : la chancelière allemande, la Première ministre britannique ainsi que les chefs de gouvernement hollandais, suédois, écossais, italien, etc. Le Grand-Duché de  Luxembourg bat, si l’on ose dire, tous les records avec le tout-puissant président en exercice de la Commission européenne, marié sans postérité, et son compatriote le Premier ministre du minuscule Etat luxembourgeois, époux…d’un autre homme. Cette union officielle entre personnes de même sexe est légale depuis 2015 dans cette monarchie catholique créée en 1867 sur une base historique plus ancienne. 

    Lors du sommet du Pacte atlantique, ce printemps, à Bruxelles, les téléspectateurs du monde entier ont pu voir, avec stupéfaction pour pas mal d’entre eux, la photo des « premières dames » dont les époux participaient à ce sommet. A côté de la reine des Belges et de la « compagne » du Premier ministre belge, on notait la présence de Mme Trump en grand décolleté, de Mme Macron en robe courte, de Mme Erdogan, empaquetée en bleu, et enfin celle du « mari » du chef du gouvernement luxembourgeois… 

    Ce que ces chrétiens américains, férus de statistiques matrimoniales européennes, n’ont pas relevé, c’est le contraste abyssal entre la dénatalité en Europe occidentale, symbolisée par cette photo qu’on n’ose plus guère appeler de « famille » et le grand nombre d’enfants animant la plupart des cours européennes (Danemark, Norvège, Suède, Angleterre, Hollande, Belgique, Luxembourg, Liechtenstein, Monaco, Espagne) mais aussi la plupart des familles royales seulement prétendantes (Portugal, Italie, Grèce, Bulgarie, Allemagne, France, etc.). 

    Un constat s’impose : les couples politiques ne voient guère plus loin que leur propre vie ou carrière tandis que les couples princiers, ayant l’habitude héréditaire de la continuité nationale, essaient, eux, de se projeter dans l’avenir.

    Rendez-vous dans 50 ou 100 ans ! 


    Lire : Philippe d’Edimbourg - Une vie au service de Sa Majesté, par Philippe Delorme, Tallandier, Paris, 2017. 300 p. avec cahier de 24 photos

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le360 du 7.07.2017

  • Quand Boutang se fait entendre à Versailles, à la terrasse d'un café...

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

    1262631406.jpgL'après-midi durant laquelle le président de la République s'exprimait devant le Congrès, j'étais aussi à Versailles, « cerné » par les nombreux camions de forces de l'ordre qui surveillaient sans trop d'inquiétude le quartier. Les longues files de véhicules de gendarmerie semblaient former un paisible cordon de sécurité autour du parc royal, sans troubler le vol rapide des perruches et des martinets qui sillonnaient le ciel en le striant de leurs cris stridents. En somme, une belle journée de lundi, jour traditionnellement calme pour la cité des rois. 

    Le discours présidentiel était suivi d'un œil indifférent et d'une oreille distraite par quelques clients des cafés alentours, et la place du Marché parlait d'autre chose, des épreuves du baccalauréat aux préparatifs de vacances : la politique, fut-elle si proche sur le plan topographique, semblait s'être toute entière retranchée derrière les grilles du château. Et pourtant ! A la terrasse d'un estaminet réputé pour abriter quelques esprits non-conformistes, un écrivain fameux pour sa faconde et ses éclats de voix semblait incarner à lui seul la forte protestation de l'esprit français contre les facilités du moment. M'apercevant et me hélant joyeusement, il se saisit du livre que j'avais alors en main et se mit à en lire à haute voix la dernière page, suscitant la surprise des tables voisines, surprise qui n'excluait pas une part de curiosité, voire d'intérêt, tandis que ses interlocuteurs cherchaient à suivre le débit rapide et furieux du liseur improvisé. 

    maitre-philosophes-omer.jpg« L'âge des héros rebâtira un pouvoir ; il n'est pas de grand siècle du passé qui ne se soit donné cette tâche : même aux âges simplement humains, où les familles, lassées de grandeur, confiaient à quelque César leur destin, à charge de maintenir le droit commun, le pouvoir reconstruit gardait quelque saveur du monde précédent. Notre société n'a que des banques pour cathédrales ; elle n'a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs » ; il n'y a, d'elle proprement dite, rien à conserver. Aussi sommes-nous libres de rêver que le premier rebelle, et serviteur de la légitimité révolutionnaire, sera le Prince chrétien. » 

    Certains auront reconnu le style et les mots d'un grand royaliste, philosophe et militant, et qui a, en son temps, travaillé à enrichir la réflexion royaliste, en particulier sur la grande question de la légitimité politique, sans réussir, malheureusement, à se faire entendre au-delà d'un cénacle d'intellectuels et du cercle des fidèles de la Maison de France. Je me souviens ainsi d'une journée passée avec Pierre Boutang, entre l'amphithéâtre de la Sorbonne dans lequel il livrait sa lecture toute personnelle de Maurras et les jardins du Luxembourg où, avec l'ami Norbert Col, spécialiste d'Edmund Burke, et le professeur François Callais, meilleur connaisseur français de « La Jeunesse Royaliste » des années 1890, nous l'écoutions parler de la France et de ce qui lui semblait nécessaire pour qu'elle retrouve sa place éminente et historique, « grande », dans le concert des nations et face aux pressions d'une société de consommation qui prenait trop souvent les couleurs de bannières étoilées si peu françaises... 

    gar%20dites%20le%20fleurs.jpgDans cet extrait déclamé avec force par Sébastien Lapaque, il y a là les éléments forts d'un état d'esprit politique qui en appelle, non au conformisme ni à un vain légalisme, mais à une véritable refondation du pouvoir politique sur la notion de légitimité. La formule, rude, d'une société dont les banques seraient les cathédrales sonne juste, au moment même où l'argent étend son règne sur des espaces jadis gouvernés par l'entraide et la convivialité : la nouvelle initiative de La Poste consistant à discuter avec des personnes âgées à intervalles plus ou moins réguliers contre une sorte d'abonnement payant est, à cet égard, fort (et malheureusement) révélateur ! Je me souviens d'une époque (qui s'éloigne visiblement à grand pas) où, surtout au village, le facteur était, certains jours, accueilli avec une bonne tasse de café ou, en fin de tournée, par quelque liqueur sympathique, et où il était un personnage avec lequel on prenait toujours le temps d'échanger quelques mots ; son passage régulier rassurait les familles quand elles ne pouvaient, elles, se déplacer pour s'occuper des vieux parents. Tout comme les services payants de covoiturage sur la toile ont remplacé l’auto-stop traditionnel que j'ai jadis beaucoup pratiqué et qui me permettait de rallier Lille à partir de Lancieux, ou Paris à partir de Rennes, en quelques heures, et cela sans débourser le moindre sou vaillant si ce n'est celui d'un café ou d'une bière dans un bistrot routier... 

    Pierre Boutang a bien raison : à quoi bon être « conservateur » dans une société qui oublie, par ses pratiques, ses devoirs antiques et civiques, et « financiarise » tout, tout en laissant des pans entiers de notre patrimoine, autant foncier que civilisationnel, s'effacer, y compris par l'indifférence publique ? D'où cet appel, qui rejoint celui de Bernanos ou même « la révolution rédemptrice » évoquée par Maurras, à une « légitimité révolutionnaire », à ce « retournement » politique que peut incarner une nouvelle Monarchie et sa famille historique. Saint-Just qualifiait le roi de « rebelle » et le décrivait comme un danger pour la République : Boutang reprend habilement la formule, non pour seulement déconstruire la société politique du moment, mais pour fonder ce nouveau régime dont l'une des raisons d'être est de transmettre, au fil des siècles, ce qui constitue l'unité profonde de la France, dans tous ses aspects et toutes ses espérances. Une transmission qui n'exclue pas la défalcation du passif, et le renouvellement positif : ce que l'on peut nommer « la tradition critique », chère à l'exercice historique de la Monarchie en France... 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Culture & Action Française • Quand Boutang dialoguait avec François Davin et Pierre Builly...

    Pierre Boutang interrogé par François Davin et Pierre Builly...

     

    La relation de Pierre Boutang avec l'Action Française n'est plus de l'ordre du Mouvement. Du moins pour ce qui est de l'organisation et du quotidien.

    Sa réflexion nous aide à discerner, même si nous ne nous trouvons pas forcément d'accord avec ses conclusions, ce qu'il y eut de formes historiques accidentelles, dans l'Action Française, et ce qu'elle a de foncier, d'essentiel. Qui doit être transmis et prolongé.

    Boutang, d'autre part, invite notre temps à réinventer, non seulement l'idée d'un ordre qui soit légitime et profond, mais aussi une idée du Pouvoir. Reprendre le pouvoir, en un sens, c'est aujourd'hui, le réinventer, et le reconstruire.

    Deux siècles de Démocratie enseignent qu'il n'est d'autre pouvoir libre et légitime que celui du Prince chrétien.   

     

    F.D./P.B. : Pierre Boutang, il est inutile de vous demander si vous êtes royaliste, catholique et maurrassien ?

    Pierre BOUTANG : Cela ne fait de doute pour personne, en effet. Je suis royaliste et je l'ai toujours été : c’est vraiment la seule conviction politique que j'aie jamais eue. Dans l'ordre religieux, j'ai toujours été catholique et je n'ai jamais douté sérieusement de la foi catholique : je n'ai jamais été entamé par la partie de Maurras qui était, disons « non-chrétienne ».

    Le Maurras du « Mont de Saturne » ne vous a jamais gêné ?

    Jamais ! Quand vous me parlez du « Mont de Saturne », cela me parait tout proche : c'était pendant la captivité de Maurras. J'avais fait deux ou trois articles sur le livre et j'ai reçu une longue lettre de Maurras. dans laquelle il me disait : « Vous m'embarrassez beaucoup, c'était une bluette. Vous avec voulu lui donner un sens caché, cohérent et complet, mais en réalité je n'avais pas tant cherché ! » Maurras affirmait, d'autre part. qu'il n'était pas philosophe, qu'il ne pouvait y avoir des maurrassiens. Il avait raison : quand je dis que je suis maurrassien, c'est parce que le mot est commode : cela veut dire que je suis profondément fidèle à Maurras et que ma reconnaissance est grande. Je ne dirai pas, comme Bainville que hormis le jour. je lui dois tout, car il y a l'Église mais, dans l'ordre temporel, je lui dois tout ; tout ce que j'ai appris, je l'ai appris à travers lui. Je suis resté à l'intérieur de mon choix, en sachant que mes raisons ont changé en cours de route. C’est-à-dire que je me trouve aussi fidèle à Maurras que jadis, pour des raisons très différentes de celles de mes 17 ans à la réunion de Roquemartine, mais tout autant. Tout s'est concilié assez secrètement, assez mystérieusement avec ce que j'ai pu apprendre d'autre, avec tout le reste. Lorsque Plon m'a récemment demandé de faire un vrai livre sur Maurras, j'ai répondu : « Donnez-moi dix ans ». Ils étaient un peu affolés. Nous sommes finalement convenus d'un délai de deux ans : je peux faire ce livre maintenant en toute sécurité, avec la certitude d'être fidèle à la pensée de Maurras et, en même temps, de n'être nullement fidèle à la littéralité des positions prises dans un moment donné. D'ailleurs, ce sera un « Maurras » et je ne parlerai pas surtout de l'Action française. La période qui précède la dernière guerre avait ses charges, ses lourdeurs, ses pesanteurs telles que si on jugeait Maurras et le maurrassisme en fonction de cette période, on tomberait sur des bêtises et sur ce qui heurte le plus certaines des passions qui ont suivi immédiatement. D'un autre côté, en prenant le Maurras d'avant 1914, on arriverait à des résultats très différents : lorsque j'ai lu certaines choses dans l'admirable livre du Comte de Paris avec lequel je suis d'accord sur tant de thèmes, j'ai souri - par exemple lorsqu'il indique que c'est son attitude en matière sociale qui l'aurait écarté de l'Action Française. Il est vrai qu'il y avait, à l'A.F. des ganaches effroyables, comme il y en a partout, et il est vrai qu'en dehors de prototypes d'ouvriers, de paysans, nous avions dans l'ensemble une clientèle en partie bourgeoise, en partie hobereaute et aristocratique. Maurras leur avait injecté, par son génie, certaines doctrines, mais ils ne les vivaient presque jamais profondément. Le Prince sentait que ça ne collait pas, mais, pour la doctrine, l'A.F. allait encore bien plus loin que lui en matière sociale. Les « cercles Proudhon » ne sont pas un accident ou une bizarrerie de son histoire ! Il y a quelques années, j'ai travaillé avec quelqu'un sans lequel - c'est assez curieux - De Gaulle ne serait pas tombé... Marcel Loichot ...

    Le créateur de l'Union Pancapitaliste ?

    Oui. Son idée était d'abolir la condition salariale, ce qui est profondément royaliste, et maurrassien. Abolir le salariat ! De Gaulle a voulu tenter ça avec la participation.

    Brisée par la révolte de la classe politicienne ...

    Et de l'argent ! Je pense à certaines choses admirables qu'a dites le Prince sur le Roi qui ne doit jamais être l'homme d'un parti, d'un mouvement, et encore moins d'un philosophe. C'est l'idée même dc Maurras dans « L'Avenir de l’intelligence ». Il faut que l'intelligence se soumette à quelque chose, fasse allégeance et, par là, se subordonne, dans l'ordre temporel, en s'inclinant absolument. Seulement. bien sûr, il ne faut pas que le pouvoir temporel se prenne pour un pouvoir spirituel. Mais le pouvoir spirituel, au fond, il n'y en a qu'un : Catholique. Maurras ne souhaitait pas être le pouvoir spirituel, un philosophe : il n'était philosophe que de la Monarchie, et philosophe soumis à son objet.

    Donc. en s'éloignant des aspects conjoncturels de la pensée de Maurras...

    AVT_Pierre-Boutang_2022.jpegQui ont malheureusement dominé ! Peut-être parce qu'il y avait autour de lui - c'est la rançon du génie ! - des gens qui, lorsque Maurras disait : « Il pleut » pour des raisons conjoncturelles, alors qu'il faisait plein soleil, s'écriaient : « il pleut encore plus que vous ne le dites ». Cette sottise des appareils a beaucoup nui à Maurras. Il travaillait pour 1950. Quand on lui demandait un homme d'action, après 1914 (et après l'assassinat de Marius Plateau), il s'est dit : « Que vais-je faire ? Si je leur donne un homme d'action, ou ils accepteront, et tout ira très bien, puisque je travaille pour 1950 ; ou ils partiront ; dans les deux cas, ils me laisseront travailler ». Voilà pourquoi les reproches fondés du Prince, après 1934, s'en prenaient au risque réel de créer le fascisme ; Maurras, par ses insuffisances dans l'action, a empêché la création d'un fascisme français.

    L'hommage national à Maurras sortant de prison, c'est pour vous la préfiguration d'une crainte ?

    Mais oui ! J'y étais avec quelques amis : c'était magnifique et affreux. Maurras sentait que la Monarchie pleine et entière, malgré les 40.000 personnes de la réunion, n'était pas encore assez mûre et que quelque chose d'immédiat aurait été très dangereux. Le Prince, lui, voulait aboutir et Maurras lui donnait raison, disant qu'un prétendant qui ne voudrait pas régner à tout prix ne serait pas digne de régner. « Il piaffe. Il a raison de piaffer ! » disait Maurras, alors que d'autres lui reprochaient cette impatience. Pour en revenir, d'assez loin, à De Gaulle, il avait une certaine idée de la légitimité. S'il a refusé l'Algérie au Comte de Paris, je pense qu'il a eu raison. Le Prince a eu raison de n'être pas satisfait, mais De Gaulle a eu raison de refuser. Imaginez-vous le Prince homme du Rocher Noir ? Portant le chapeau de ce qu'a dû faire Christian Fouchet ?

    Passons à un autre thème... Pensez-vous qu'on puisse faire du royalisme sans Maurras ?

    Qu'est-ce que cela veut dire « du royalisme sans Maurras » ? D'abord, il ne faut pas faire du royalisme. On est royaliste, on se battra, mais la Providence fera les choses. Oui, il faut agir, oui il faut se battre : je ne regrette pas les coups donnés et reçus ; mais il y a une limite à tout : à partir du moment où on prend une barre d'acier pour se casser le crâne, où la violence règne partout, où c'est la guerre civile, alors, non ! J'ai cru longtemps que nous aurions un grand compte à régler avec les communistes, agents d'une puissance étrangère ; je me suis aperçu finalement que d'être ainsi des agents de l'étranger était heureux car, souvent habiles et puissants, ils auraient déjà pris le pouvoir si on ne leur avait pas interdit de le prendre de l'extérieur ! Pris individuellement, les communistes ne demandent qu'à se démarquer de cet état de chose. Maurras m'écrivait un jour de sa prison : « J'ai lu un numéro de l'Humanité et je l'ai dévoré jusqu'aux marges ! », et il insistait sur la façon dont ils avaient joué le jeu national, comme ils le rejouent actuellement. Vous rendez-vous compte que Marchais a dit dernièrement : « Tout ce qui est national est nôtre !".

    Nous devons exploiter absolument à fond ce consensus national, cette idée nationale qui est profonde. Elle est, c'est vrai, transformée ; mais, remarquez bien, la Monarchie n'était pas nationaliste, les monarchistes ne l'étaient pas non plus : il est désolant et attristant, disait Maurras, qu'on ait été obligé, pour défendre la Patrie et la Nation, de créer un état d'esprit nationaliste. Les humeurs et l'état d'esprit nationalistes sont, au fond, une mauvaise chose et il faut redéfinir le nationalisme. Qu'est-ce qui dispense du nationalisme conçu comme une humeur, ou comme un chauvinisme ? C'est justement le sentiment qu'il y a une naissance, quelque chose que l'homme ne choisit pas et sur laquelle, dans l'ordre temporel, butent et la force, et l'argent et même l'opinion, en tant qu'elle est divisée. Quand Maurras disait que le suffrage universel ne peut pas se tromper sur certains points - alors qu'il se trompe quand il est fragmenté - il indiquait ce qu'on commence à sentir aujourd'hui, que le suffrage universel ne peut pas se tromper sur des points essentiels lorsqu'on aborde les questions de fond : car il n'est pas possible que les mécanismes de défense ne réagissent pas, pour l'homme et les cités créées, de la même manière que les organismes réagissent aux infections. Ainsi le suffrage universel est-il une forme limite du salut, une réaction ultime du salut. Et puisqu'aujourd'hui il est entré dans les moeurs, il équivaut tout à fait à l'acclamation du Roi par les barons, jadis. Simplement. il faut en user judicieusement, le mettre à l'abri de ces formes fragmentées dans lesquelles il est manipulé par l'argent. Ceux qui le manipulent se sont rendu compte qu'il fallait de plus en plus d'argent, puisqu'on ne pouvait plus s'en servir au plan national et que les réactions des peuples pouvaient être vives.

    Qui sont-ils ?

    Les Américains, les multinationales. Puisqu'on ne peut plus avoir assez d'argent pour développer les propagandes qui endorment le peuple, on agit au plan international, qui permet de mieux dissimuler tout cela : il s'agit d'obtenir d'un peuple comme la France son propre renoncement et sa propre démission et de les obtenir spontanément ; à cet égard. l'affaire européenne est exemplaire.

    Pour lutter contre cela. il faut d'abord « reprendre le pouvoir » ; c'est le titre d'un de vos derniers ouvrages. 

    Oui, mais attention : « Reprendre le pouvoir », ne signifie pas cela. Cela veut dire réinventer l'idée de pouvoir. Le Pouvoir n'est pas à prendre et il ne doit pas y avoir de guerre civile. La seule chose est qu'il faut rectifier les idées fausses sur le Pouvoir de telle sorte que le Pouvoir légitime puisse s'imposer.

    État d'esprit qui débouche sur l'idéal du « Prince Chrétien ».

    En effet. Le Comte de Paris n'a pas caché son accord et son assentiment complet sur ce que j'ai écrit, sur tout le livre. Cette convergence ne compromet d'ailleurs personne, puisque nous y sommes arrivés chacun de notre côté, après une expérience tout à fait indépendante.

    Dans l'entretien qu'il a accordé au Figaro-Magazine, le Prince semble exclure la primogéniture, et parler plutôt d'une sorte de cooptation dans sa famille.

    C'est très important. Dans un récent article de « Paris-Match », j'explique d'abord la dimension familiale de la Monarchie. La durée véritable est, de nos jours où l'on vit plus vieux, la durée du grand-père au petit-fils. car on a le mène temps que ses fils, à peu près, et on a les mêmes problèmes, les mêmes querelles ; mais quand on arrive au petit-fils, on a la bonne durée politique. Les imbéciles disent que, pour veiller à la vie spirituelle dés enfants, il faut des parrains jeunes ; moi, mon parrain était un vieux meunier : mon arrière-grand-père. On prenait l'arrière-grand-père pour relier symboliquement le plus lointain et le plus proche, l'avant-hier et l'après-demain. Dans la famille royale, c'est la mémé chose. Le fils aîné du Comte de Paris ne souhaite, semble-t-il, pas régner, mais il y a les deux petits-fils, Jean, 13 ans, et Eudes, 12 ans. Vous savez que le Prince suit beaucoup ses petits-fils, par conjonction de la nature et de la volonté. Je crois donc qu'il n'y a pas de difficulté insoluble dans cette famille de France qui, comme le disait Bernanos, est notre famille. La réponse à la question que vous posez est, en quelque sorte, indiquée par les faits et vient tout naturellement. Pour clore ce sujet, vous devez noter que les premiers Capétiens faisaient sacrer leur fils de leur vivant et renouveler les serments des barons. Il faut refaire accepter l'hérédité, il faut qu'il y ait une première coïncidence - comme pour les barons électeurs de Hugues Capet - puis une acceptation volontaire du peuple, se rendant compte qu'il serait trop bête de retomber à nouveau dans le suffrage universel fragmenté : la naissance, qui favorise l'unité foncière et non le principe mauvais des deux partis, le bon et le mauvais, le majoritaire et le minoritaire.

    Ce que vous dites s'applique admirablement au monde actuel. On a pu dire, par exemple, en Belgique, que le seul Belge est le Roi. Mais que pensez-vous de la Monarchie espagnole ?

    Je n'en sais rien. Je croyais, comme tout le monde, que Juan Carlos était à la fois trop docile et trop snob. Je le trouvais trop bien lavé.

    Giscardisé ?

    Tout de même pas ! Il a tous ses cheveux. Mais surtout, il n'a pas l'intention, qui est la grande idée de Giscard, de communiquer au peuple les vices de la bourgeoisie et de la fausse aristocratie. Car c'est cela, son idée : une politique de la jouissance, de la destruction des êtres, d'un peuple. C'est le mal et la mort. Je ne déteste plus rien en politique, plus personne, sauf Giscard... Pour en revenir à l'Espagne, je crois que la Monarchie tiendra parce que les Espagnols ont peur de retomber dans la guerre civile. Ils ne peuvent pas se passer de la Monarchie pour reconstituer leurs forces, pour se refaire, pour avoir des relations avec l'extérieur, et pour en arriver à l'oubli de l'horreur de la guerre civile.

    Mais ce n'est pas la seule force de la Monarchie que d'être le moindre mal et je crois qu'il y a des gens qui réapprennent la fidélité.

    Mais la Monarchie espagnole n'est-elle pas trop libérale. à vos yeux ?

    Ce n'est pas très grave. Considérez le « personnalisme » - qui était, d'ailleurs, la philosophie de Jean-Paul Il quand il était évêque. Cette doctrine, avec des gens lâches et stupides, donne des horreurs. Mais quand elle est défendue et prônée comme ce qu'elle est, c'est la meilleure façon de résister au totalitarisme.

    Voyez-vous, l'Europe, pour un Espagnol, ce n'est pas terrible : les particularismes ne sont pas comme chez nous des particularismes d'abandon ou de relâchement. Chez nous, Pierre Mauroy déclare qu'il est profondément européen ; il ne dit pas qu'il se sent plus Européen que Français, mais c'est bien ce que l'on comprend en l'écoutant. En Espagne. ce n'est pas cela du tout : les régionalismes, en tension avec Madrid, sont eux-mêmes en tension avec le monde entier. En France, pour des raisons de confort matériel, on veut tout fondre dans une uniformisation de bien-être, tant il est vrai qu'on peut pourrir un peuple et le dissoudre de cette façon. Quant à l'idée libérale, la finance, l'argent, je crois que l'Espagne pourra corriger des tendances mystiques par des tendances « sanchesques », mais je crois que Sancho sera toujours converti par Don Quichotte : d'ailleurs, Sancho est encore plus Don Quichotte que Don Quichotte lui-même, à sa manière... Rassurez-vous, « ils » n'auront pas l'Espagne. Et puis, quand on a un Roi, par définition, il est là : et il s'opposera à « l'Europe ». Ne voyons pas les choses en noir : certains se lamentent, et se réfugient dans l'éloge systématique de Franco. Bien sûr, j'ai vu des ivrognes insulter le portrait de Franco, dans un café, et être laissés en paix. Mais c'est vrai aussi qu'au niveau supérieur, l'Espagne était assez jugulée. Certains s'imaginent qu'on est en train de liquider le prodigieux héritage de Franco. Je crois que c'est faux. Personnellement je ne médirai jamais de Franco car il a sauvé son pays : il était Galicien et manœuvrier, et il a empêché que l'Espagne fût prise et traversée par les Allemands. Elle n'a pas basculé et cela a été décisif pour l'issue de la guerre. Je ne dis jamais de mal de Franco, mais, du point de vue politique, c'était court de vue, quant à l'idée même de l'Espagne...

    Pour en revenir au royalisme, voulez-vous nous dire si l'on peut être royaliste sans être maurrassien ?

    Il y a eu des royalistes avant qu'on puisse lire un mot de Maurras, mais Maurras a retrouvé la tradition.

    Alors peut-on être royaliste et sérieux, sans être maurrassien ?

    Voulez-vous dire sérieux ou théoricien ? Je me méfie des théoriciens ; si on l'est, il faut l'être beaucoup, vraiment beaucoup, car à ce moment-là on arrive à passer au-dessus de la barrière et à travailler sur la réalité. C'est comme la métaphysique qu'on peut expliquer à de tout petits-enfants... On peut donc être monarchiste sans Maurras. Mais on peut difficilement être un intellectuel monarchiste sans en revenir à Maurras. Ce qu'a dit le Prince dans ses Mémoires est décisif : sans Maurras, il n'y avait rien. Si Maurras n'avait rien déclenché par sa réflexion - en des temps où l'opinion des intellectuels comptait beaucoup plus que maintenant - il n'y aurait eu peut-être quelque chose que beaucoup plus tard. Ce qui est important, c'est ce déclenchement que Maurras a donné, qui exige de tous la reconnaissance et la fidélité les plus profondes.

    Depuis l'émission télévisée consacrée aux mémoires du Prince, nous ressentons beaucoup d'espérance et d'enthousiasme...

    J'ai de tous côtés cette réaction. Sans-doute cette espérance ne m'a-t-elle jamais lâché, car je ne crois pas tellement à l'existence du temps...

    Alors, que faut-il faire ?

    Il faut maintenant vous attacher à faire passer toute une dialectique complexe sur la constitution du pouvoir, la légitimité, l'autorité et le consentement. Vous savez quand on ressent le besoin d'autorité, c'est que l'autorité manque. Mais attention ! L'autorité est une composante du pouvoir, elle n'est pas l'essentiel du pouvoir.

    On a toujours trop tendance à prendre le parti de Créon, contre Antigone.

    Oui, et pourtant, l'Ordre c'est Antigone... 

     

    Propos recueillis par François Davin et Pierre Builly (octobre 1979).

    Lire aussi ...

    Quand Jean Raspail répond aux questions de François Davin et Pierre Builly (février-mars 1978)

  • Livres • Un anarchiste conservateur

     

    Par Eugénie Bastié

    Une excellente recension* à propos d'un livre dont le sujet - Proudhon - retiendra toute l'attention des lecteurs de LAFAUTEAROUSSEAU.

     

    2863182147.2.jpgOn retient de lui la célèbre sentence provocatrice : « La propriété, c'est le vol ». Il était revendiqué par Jaurès et Maurras, il a influencé Bakounine et Péguy. Pierre-Joseph Proudhon a joué un rôle de premier plan dans l'histoire de la philosophie politique. Né vingt ans après la Révolution française, à Besançon, l'inventeur du mot « anarchisme » est inclassable. Autodidacte, rare penseur du XIX° siècle à être issu d'un milieu ouvrier, Proudhon fut journaliste, polémiste, philosophe et même député en 1848. Dans son essai Pierre-Joseph Proudhon, l'anarchie sans le désordre, Thibault Isabel nous invite avec pédagogie à découvrir les multiples facettes d'un philosophe sous-estimé, perdant de la bataille des idées.

    Proudhon tente de réconcilier dans un « anarchisme conservateur » le besoin d'autorité et celui de liberté. Dans la lignée du socialisme à la française d'un Fourier ou d'un Leroux, il plaide pour une « philosophie des producteurs » qui mette le travail au centre de la société. Contrairement à Marx qui souhaite renverser le capitalisme par le haut, quitte à employer les moyens les plus brutaux, il n'aura de cesse de dénoncer la double aliénation du capital et de l'Etat.

    Proudhon.jpgContre le centralisme jacobin et la jungle capitaliste, il propose le fédéralisme intégral sur le plan politique et le mutuellisme sur le plan économique. Il plaide pour l'établissement de frontières solides dans le commerce pour éviter l'établissement de grands monopoles transnationaux. Il appelle à encourager la petite propriété, le travail coopératif, le tissu associatif et l'organisation de solidarités locales. Anticapitaliste, Proudhon n'est pas antilibéral : bien au contraire, il considère que les libertés individuelles sont la seule chose sur laquelle doit veiller l'Etat.

    Après que le marxisme a montré son caractère funeste, l'heure de la revanche sonne pour le Bisontin. Loin du « ni Dieu ni maître » des casseurs en rouge et noir, sa pensée est une ode à l'équilibre, un « ni Wall Street ni soviet » d'une surprenante actualité. Disciple d'Héraclite et de Montaigne, Proudhon croit à l'irréductible pluralité du réel et à la mesure des choses. C'est sans doute en cela qu'il est conservateur : il n'espère ni lendemains qui chantent ni refonte d'un homme nouveau. A l'instar de Weil ou Camus qu'il influencera, il croit, comme l'écrit Isabel, que : « La révolution est dans les âmes plutôt que dans les urnes ou sur les barricades. » 

    Ci-dessus, à droite, Gustave Courbet, Portrait de P.-J. Proudhon en 1853, Petit Palais

    Pierre-Joseph Proudhon. L'anarchie sans le désordre, de Thibault Isabel, Autrement, 180 p., 18,50 

    * LE FIGARO MAGAZINE - 23 JUIN 2017

     

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    Charles Maurras : Lorsque Proudhon eut les cent ans…

  • Sagesse de Bainville pour le temps présent

     

    « L'électeur, pauvre souverain d'un jour » ...

     

    Jacques Bainville

    Journal

  • Patrick Buisson : « Emmanuel Macron ne peut pas être en même temps Jeanne d'Arc et Steve Jobs »

     

    Est-il possible d'analyser le système Macron en profondeur, sérieusement, sans a priori excessif, systématiquement pro ou anti ? Puis d'élargir l'analyse à la nouvelle situation politique de la France ? C'est ce que Patrick Buisson fait ici dans cet important entretien pour le Figaro magazine [9.06], réalisé par Alexandre Devecchio. Ce dernier ajoute le commentaire suivant : « Patrick Buisson a scruté le paysage politique avec la hauteur et la distance de l'historien. Il restitue ici l'élection de Macron et la défaite de la droite dans le temps long de l'Histoire ». De notre côté, nous avons commenté ainsi ce remarquable entretien : « tout fondé sur un soubassement d’esprit monarchique et de droite légitimiste – où (Buisson) synthétise en une formule lapidaire ce que Maurras eût peut-être appelé le dilemme d’Emmanuel Macron : " On ne peut pas être à la fois Jeanne d’Arc et Steve Jobs ". Tout est dit ! ».   Lafautearousseau

     

    3821821120.jpgDepuis son entrée en fonction, Emmanuel Macron a fait preuve d'une gravité et d'une verticalité inattendues. Vous a-t-il surpris positivement ?

    La fonction présidentielle est en crise depuis que ses derniers titulaires ont refusé d'incarner la place du sacré dans la société française. Sarkozy, au nom de la modernité, et Hollande, au nom de la « normalité », n'ont eu de cesse de vouloir dépouiller la fonction de son armature symbolique, protocolaire et rituelle. Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français. En France, pays de tradition chrétienne, le pouvoir ne s'exerce pas par délégation mais par incarnation. C'est, selon la formule de Marcel Gauchet, « un concentré de religion à visage politique ».

    L'élection constate l'émergence d'une autorité mais celle-ci ne peut s'imposer dans la durée qu'à condition de donner corps à la transcendance du pouvoir et de conférer une épaisseur charnelle à une institution immatérielle. Il faut savoir gré à Macron de l'avoir compris jusqu'à faire in vivo la démonstration que la République ne peut se survivre qu'en cherchant à reproduire la monarchie et en lui concédant au bout du compte une sorte de supériorité existentielle. Voilà qui est pour le moins paradoxal pour le leader d'un mouvement qui s'appelle La République en marche.

    De la cérémonie d'intronisation à la réception de Poutine à Versailles, les médias ne tarissent pas d'éloges au sujet de ses premières apparitions publiques…

    Oui, même quand le nouveau président leur tourne ostensiblement le dos et n'hésite pas à remettre en cause les fondements de la démocratie médiatique : la tyrannie de l'instant, la connexion permanente, l'accélération comme valeur optimale. Le soin qu'il apporte à la mise en scène de sa parole, de sa gestuelle, de ses déplacements montre à quel point il a intégré la mystique du double corps du roi, qui fait coïncider à travers la même personne un corps sacré et un corps profane, un corps politique et un corps physique. Accomplir des gestes et des rites qui ne vous appartiennent pas, qui viennent de plus loin que soi, c'est s'inscrire dans une continuité historique, affirmer une permanence qui transcende sa propre personne. À ce propos, le spectacle du nouveau président réglant son pas sur la Marche de la garde consulaire et faisant s'impatienter le petit homme rondouillard qui l'attendait au bout du tapis rouge aura offert à des millions de Français le plaisir de se revancher de l'humiliation que fut la présidence Hollande, combinaison inédite jusque-là de bassesse et de médiocrité. Quel beau congédiement !

    Mais n'est-ce pas simplement, de la part d'un homme de culture, une opération de communication bien maîtrisée ?

    Toute la question est de savoir si, avec la présidence Macron, on sera en présence, pour le dire avec les mots de son maître Paul Ricœur, d'une « identité narrative » ou d'une « identité substantielle ». Reconstituer le corps politique du chef de l'État, lui redonner la faculté d'incarner la communauté exige que s'opère à travers sa personne la symbiose entre la nation et la fonction. Emmanuel Macron récuse le postmodernisme et veut réhabiliter les « grands récits ». Fort bien. Mais de quels « grands récits » parle-t-il ? Le roman national ou les success-stories à l'américaine ? Jeanne d'Arc ou Steve Jobs ? Honoré d'Estienne d'Orves ou Bill Gates ? Les vertus communautaires et sacrificielles ou le démiurgisme technologique de la Silicon Valley ?

    C'est là où l'artifice dialectique du « en même temps » cher à Macron touche ses limites. Il y a des « valeurs » qui sont inconciliables tant elles renvoient à des visions diamétralement opposées de l'homme et du monde. Les peuples qui ont l'initiative du mouvement historique sont portés par des mythes puissants et le sentiment d'une destinée commune fondée sur un système de croyances et un patrimoine collectif. Pour recréer le lien communautaire à travers sa personne, le président Macron doit répudier le candidat Macron : mobiliser l'histoire non comme une culpabilité ou une nostalgie mais comme une ressource productrice de sens.

    Outre la verticalité, Macron assume également une certaine autorité…

    Toute la question est de savoir de quelle autorité il s'agit. Depuis Mai 68, les classes dirigeantes se sont employées à délégitimer la représentation transcendante des anciennes figures de l'autorité comme autant de formes surannées du contrôle social. Mais, si elles ont récusé l'autorité comme principe, elles n'y ont pas pour autant renoncé en tant que fonctionnalité. Autrement dit, comme technologie du pouvoir indispensable à l'induction du consentement, de l'obéissance, voire de la soumission chez les gouvernés. A l'ère de la communication, ainsi que l'avait pressenti Gramsci, la relation de domination ne repose plus sur la propriété des moyens de production. Elle dépend de l'aliénation culturelle que le pouvoir est en mesure d'imposer via la représentation des événements produite par le système politico-médiatique dont le rôle est de fabriquer de la pensée conforme et des comportements appropriés. On en a encore eu une éclatante démonstration avec la campagne présidentielle qui vient de s'achever.

    Si Macron est le produit de ce système-là, est-il pour autant condamné à en rester indéfiniment captif ?

    L'intention qui est la sienne de réintroduire de l'autorité dans le processus de décision politique est louable. Ce qui légitime l'autorité c'est, disait saint Thomas d'Aquin, le service rendu au bien commun. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas chercher à restaurer l'autorité-principe là où sa disparition a été la plus dommageable ? A l'école, par exemple, où notre appareil éducatif s'est acharné à disqualifier la transmission et à la dénoncer dans le sillage de Bourdieu comme volonté de répétition et de reproduction du même. La transmission est par excellence l'acte vertical intergénérationnel qui consiste à choisir ce qui mérite d'être transporté à travers le temps quand la communication obéit à une logique horizontale et démocratique de diffusion non critique et non sélective dans l'espace. De ce point de vue, le profil du nouveau ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, est sans doute le seul vrai signe encourageant.

    Régis Debray dit que Macron est un « Gallo-ricain », le produit d'un écosystème mental américanisé où l'instance économique commande à toutes les autres. N'est ce pas excessif ?

    Je crains qu'il n'ait raison. Emmanuel Macron apparaît comme la figure emblématique de cette nouvelle classe dominante qui aspire à substituer à tous ceux qui proposent un salut hors de l'économie - religion ou politique - la seule vérité de l'économie. Tout ce qui n'est pas de l'ordre de l'avoir, toutes les visions non utilitaristes de la vie en société relèvent pour elle de l'angle mort. Le parti de l'économisme, c'est celui de l'interchangeabilité qui cherche à réduire en l'homme tous les particularismes et toutes les appartenances (nation, famille, religion) susceptibles de faire obstacle à son exploitation en tant que producteur ou comme consommateur. C'est le parti des « citoyens du monde », des « forces du flux d'information, de l'échange et de l'immigration » célébrés par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook lors de son discours aux diplômés d'Harvard le 25 mai dernier.

    Le cycle dominé par l'économie, que l'on croyait sur le point de s'achever, a connu un spectaculaire regain à l'occasion de la campagne présidentielle. Le retour des nations, de l'histoire et de l'organisation de sociétés autour des thèmes de l'identité et de la souveraineté n'aura-t-il été qu'une fugitive illusion ?

    Je n'en crois rien. Un système où l'économie commande l'organisation de la société est incapable de produire du sens. Sous couvert d'émancipation des individus, l'économisme a surtout œuvré à leur soumission croissante au règne de la marchandise et de l'ego consacrant, selon la formule d'Emmanuel Mounier, la « dissolution de la personne dans la matière ». La crise morale que nous traversons montre que l'homme réduit à l'économie ne souffre pas simplement d'un mal-être mais d'un manque à être. Elle est le fruit amer d'une malsociété, excroissance maligne de l'incomplétude d'une société exclusivement consumériste et marchande. « On ne tombe pas amoureux d'une courbe de croissance », proclamait l'un des rares slogans pertinents de 68. N'en déplaise aux médiagogues, il y a de moins en moins de monde pour croire que l'identité d'un pays se ramène à son PIB et que la croissance peut opérer le réenchantement du monde.

    L'élection présidentielle que nous venons de vivre a-t-elle été un coup pour rien ?

    Au contraire, elle aura été l'occasion d'une magistrale, et peut-être décisive, leçon de choses. La droite républicaine et le Front national ont fait la démonstration chacun à leur tour - François Fillon au premier et Marine Le Pen au second - qu'ils étaient l'un et l'autre, sur la base de leurs seules forces électorales, dans l'incapacité de reconquérir ou de conquérir le pouvoir. L'élimination de Fillon dès le premier tour fut tout sauf un accident, indépendamment des affaires dont on l'a accablé. Elle s'inscrit dans un lent et inexorable processus de déclin qui a vu la droite de gouvernement passer de 49 % au premier tour de la présidentielle de 1981 à 27 % en 2012 et à 20 % le 23 avril dernier. Faute d'avoir su opérer, comme ce fut le cas en 2007, une nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l'alternance. Elle a perdu l'élection imperdable. On ne voit pas pourquoi ni comment elle pourrait ne pas perdre les élections qui viennent. Faute d'avoir su construire une offre politique crédible, le FN est, lui aussi, dans l'impasse. Il reste ce qu'il a toujours été : un épouvantail, le meilleur allié du système qu'il prétend combattre, son assurance-vie. C'est à partir de ce double constat partagé qu'une refondation est possible.

    Qu'attendez-vous de la décomposition-recomposition qui s'amorce ?

    Je crois, comme Marcel Gauchet, qu'un grand mouvement conservateur est naturellement désigné pour être, selon sa formule, « l'alternative au moment libéral économiste » que nous vivons. Emmanuel Macron a choisi de se faire le champion du camp des progressistes au moment où la promesse fondatrice du progrès-croyance - à savoir l'assurance absolue d'une amélioration inéluctable, générale et universelle - a échoué sur la question du bonheur. L'indicateur de cet échec, on le trouve dans l'explosion de la production, du trafic et de la consommation de drogue comme dans la croissance exponentielle de la consommation de psychotropes qui représente en France, selon une récente étude de la Cnam, 13% des soins remboursés par l'Assurance-maladie. Ces chiffres expriment le décalage entre le bonheur promis et le bonheur réel dans notre société. Le seul vrai progrès est aujourd'hui de pouvoir douter du progrès. Le conservatisme est l'outil intellectuel qui permet d'échapper à ce processus de décivilisation. Je n'en connais pas de meilleure définition que celle qu'en a donné Ernst-Erich Noth : « Nous avons à concilier la tâche temporaire de la politique qui passe et la mission éternelle de l'intelligence ; mais cela n'est possible que par une subordination de la matière à l'esprit, de l'actualité à la continuité.»

    La situation présente aurait donc, selon vous, le mérite de dissiper un long malentendu historique…

    En effet. S'il était encore possible au milieu du siècle dernier d'accoler les deux vocables de libéral et de conservateur, leur accouplement relève aujourd'hui de l'oxymore, tant la fracturation intervenue depuis est d'ordre à la fois métaphysique et anthropologique. La Manif pour tous a fait apparaître, en 2013, une césure radicale entre une droite conservatrice - ce que j'ai appelé un populisme chrétien -, qui proclamait le primat du sacré sur le marché, et une droite libérale-progressiste, acquise au principe d'illimitation et à l'abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique. Cette droite-là est en marche vers Emmanuel Macron, qui est en train de réussir à la fois la reconstitution de l'unité philosophique du libéralisme en illustrant à la perfection la complémentarité dialectique du libéralisme économique et du libéralisme culturel, mais aussi la réunification des libéraux des deux rives, comme le fit au XIXe siècle l'orléanisme, déjà soucieux de constituer un bloc central en coupant, selon la recette réactualisée par Alain Juppé, « les deux bouts de l'omelette ».

    Soyons reconnaissants à Macron de son concours bénévole, même s'il n'est pas franchement désintéressé. De grâce, que personne ne retienne les Républicains « constructifs » qui se bousculent déjà pour le rejoindre. Rien ne sera possible sans cette rupture fondatrice. Il y a des décantations qui sont des clarifications. Il est des divorces qui sont des délivrances pour ceux qui restent.  

    « Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français » 

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    La Cause du peuple de Patrick Buisson, Perrin, 21,90€. 

    Alexandre Devecchio

  • La fin pure et simple du cycle démocratique ?

     

    1164797400.2.jpgCe qui est frappant au terme des législatives, c'est de voir à quel point la démocratie française est devenue un problème pour elle-même. Pour ses propres croyants ou pratiquants : politiciens, journalistes et intellectuels du conformisme. 

    Entre 1870 et 1914, la France a vécu sous le règne de la reine Revanche ; entre 1914 et 1918, ce fut la monarchie de la Guerre. Les législatives conclues hier se sont déroulées sous le signe de la reine Abstention qui ronge la démocratie française au cœur. 

    La lassitude démocratique gagne du terrain chez les Français depuis plusieurs décennies. Peut-être, en fait, est-elle un sentiment de toujours. Mais plus encore depuis que, à cause du quinquennat, les législatives se font dans la foulée de la présidentielle ; et plus encore depuis que l'on a eu la bonne idée des primaires, à cause desquelles la France vient de vivre au moins une pleine année d'élections. 

    Des abstentions qui se sont montées hier à 58% mettent le Système en question dans son principe même. Les sondeurs nous disent que seul un tiers des jeunes de 18 à 34 ans a voté ; et que, par contre, les deux tiers des Français âgés, eux, votent. De sorte que, avec le temps, l’abstention ne peut que croître et embellir, transformant la démocratie française en gérontocratie minoritaire. Faut-il rendre le vote obligatoire ? La question vient d’être posée. De droit, le vote deviendrait ainsi contrainte et obligation…      

    Bainville qualifiait l’électeur de « pauvre souverain d’un jour ». Peut-être ledit électeur a-t-il pris aujourd’hui conscience des illusions de cette souveraineté. Peut-être sommes-nous à la fin pure et simple du cycle démocratique. Du moins tel que la France, née royaume, l’a vécu - plutôt mal - depuis la funeste année 1789. 

  • Du dégagisme macronien à la Monarchie royale ?

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

    1345578492.5.jpgA la fin des années 1980, lors d'une campagne cantonale à laquelle la Fédération Royaliste de Bretagne participait par la présentation de trois candidats (dont moi-même en Ille-et-Vilaine), nous placardions une affiche sur laquelle était dit, en lettres capitales : « Pourquoi élisez-vous toujours les mêmes ? ».

    Trente ans après, il semble que les électeurs nous aient soudain pris au mot en exécutant, électoralement parlant, nombre de notables des anciens grands partis : les Républicains, donnés faciles vainqueurs durant les années précédant 2017 et jusqu'aux premiers jours du printemps, sont déroutés tandis que les Socialistes, qui avaient une très large majorité dans la Chambre issue de 2012, semblent condamnés à disparaître, au moins pour un temps, à la ressemblance du PASOK grec dans les années 2010... 

    Ainsi, le mouvement de « dégagisme », annoncé en ses discours par M. Mélenchon, bat son plein mais pas forcément au profit de ceux qui l'espéraient ou l'avaient théorisé : le Front National et la France Insoumise eux aussi souffrent de ce grand courant d'air qui ressemble désormais à une véritable tempête et Éole a pris le visage de M. Macron, nouveau « maître des horloges », au moins pour un temps... Bien sûr, l'abstention est forte et dépasse le nombre d'électeurs déplacés, mais que pèse-t-elle ? Cela fait des années qu'elle prospère, en particulier aux élections européennes, et cela n'a jamais rien changé, ni même influé sur les décisions prises au Parlement européen : dans un système de démocratie représentative, elle « n'existe pas », politiquement parlant, puisqu'elle est la « non-participation », ou le « retrait » (volontaire ou distrait) de la scène politique. Il n'est pas dit que, dans une Monarchie active, elle ne soit pas, d'une manière ou d'une autre, prise en compte, par exemple par un certain nombre de sièges vides dans l'assemblée concernée par le vote du moment ou par une tribune offerte, dans le cadre des débats parlementaires, à des acteurs minoritaires ou marginaux de la vie politique : il n'est pas interdit de faire preuve d'imagination en politique, et la Monarchie pourrait ouvrir de nouvelles voies de réflexion et d'action en ce domaine comme en bien d'autres. Aujourd'hui, en République, l'abstention nourrit le discours de l'opposition sans pour autant la rejoindre ou la légitimer...En somme, c'est un avertissement sans exigence ! 

    La vague macroniste, dont il faudra mesurer l'ampleur véritable au soir du second tour, est surtout révélatrice d'un besoin de renouvellement et de l'élan présidentiel qui ressemble bien à un état de grâce comme, dans le même temps, à une exigence de réussite : c'est aussi le vote pluriel de toutes les espérances, au-delà du grand système partisan qui, jusqu'aux derniers temps, dominait le monde politique et, d'une certaine manière, encageait le « pays réel ». La fin d'un ancien « pays légal » n'est pas pour autant la fin du « pays légal » lui-même, mais sa mutation, et une nouvelle identité de celui-ci, peut-être plus enraciné dans un « pays réel », ici principalement identifié à des classes moyennes et supérieures, mondialisées et connectées, qui ne sont pas forcément tout le « pays réel », mais sa pointe urbaine et progressiste, avec tous les risques que cela comporte pour les autres catégories d'icelui. Pierre Debray, le théoricien royaliste des années 1960-80, y verrait sans doute le triomphe d'une forme avancée de la bureau-technocratie (qu'il dénonçait) alliée au monde de la libre-entreprise, voire du Travail (qu'il comprenait et, pour la dernière catégorie, soutenait). 

    Il y a aussi un autre facteur qui a sans doute contribué au succès de M. Macron et de ses candidats : c'est le besoin de « passer à autre chose », de se rassurer et de retrouver une certaine quiétude (mais n'est-elle pas, aussi, une manière de fuir un réel inquiétant plutôt que de l'affronter et de le surmonter ?) après le temps des attentats et devant les craintes suscitées par une mondialisation dont beaucoup rêvent qu'elle redevienne ce qu'elle apparaissait hier, cette domination de « notre monde » sur ceux des autres ? En somme, la volonté de croire que la croissance reviendrait conforter un mode de vie auquel nos sociétés contemporaines occidentales se sont accoutumées, au risque, d'ailleurs, de perdre toute mesure environnementale et tout esprit de tradition, fut-il « critique » : la « croyssance » (selon la belle perle d'un élève peut-être plus révélatrice que beaucoup de vérités orthographiques) est une sorte d'espérance matérialiste qui trouve, qu'on le regrette ou pas, un vaste écho dans les générations contemporaines et M. Macron l'a bien compris, qui en est issu et s'adresse à elles avec des mots qu'elles comprennent, au moins pour les plus jeunes et les plus aisées. 

    La donne a changé en quelques semaines, et, pour ceux qui pensent la politique concrète, il faut bien en tenir compte, ce qui ne signifie pas se contenter de quelques constats mais réfléchir à partir de ses nouvelles réalités à leurs conséquences et aux moyens de préserver ce qui doit l'être, de critiquer « ce qui nous tue » et de préparer « l'avenir que tout esprit bien-né souhaite à sa patrie » : si les royalistes oublient cette règle simple que Maurras avait qualifié d'empirisme organisateur, ils ne seront rien d'autres que les témoins effarés d'une cathédrale effondrée. Or, la Monarchie, dont M. Macron connaît les avantages et qu'il mime au lieu de la rétablir en ses formes traditionnelles et dynastiques, est plus que jamais nécessaire même si elle apparaît malheureusement trop lointaine au regard de nos contemporains. Nécessaire parce qu'elle enracine profondément la magistrature suprême au lieu de la laisser soumise sans défense aux vents violents des temps et aux aléas de la mondialisation et de l’Économie sauvage, et parce qu'elle permet que la verticalité du Pouvoir d’État n'empêche pas l'existence de pouvoirs horizontaux, du moment comme des communautés naturelles et professionnelles : « Sub rege, rei publicae* » , disait-on au Moyen âge, et la Monarchie réalise ce que la République, par essence centralisatrice, n'autorise pas. 

    Oublier que la Monarchie n'est pas qu’un simple moment de « verticalité » et d'arbitrage mais qu'elle est, d'abord et toujours, « le temps long » de la continuité sans la rigidité, celui de la « verticalité incarnée en une suite familiale », c'est commettre une erreur qui, à terme, pourrait être mortelle pour notre pays et sa pérennité : c'est une erreur qu'il faut dénoncer, et corriger... 

    * Une formule que l'on peut traduire par « Sous le patronage du roi, les libertés publiques, ou les républiques communales, sociales, professionnelles »...

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Naïveté des adultes ...

     

    « La naïveté grotesque des enfants fait peine à voir, surtout si l’on veut bien la comparer à la maturité sereine qui caractérise les adultes. Par exemple, l’enfant croit au Père Noël. L’adulte non. L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote. »

     

    Pierre Desproges

  • Suivez mon regard ...

     

    Par Pierre Builly

    Commentaire du lundi 12 juin

     

    937767891.jpgDût la chose m'agacer énormément, je trouve les derniers épisodes électoraux assez intéressants et, d'une certaine façon, encourageants.

    D'abord, aux Présidentielles, le choix du seul candidat qui, (avec Mélenchon, peut-être) avait une vraie stature d'homme d'État. Si sympathique que me soit Marine, je crains qu'elle ait montré une absence de niveau qui s'est cruellement montrée.

    Puis l'abstention au 1er tour, qui désole tant les commentateurs ; du fait de la suppression du cumul des mandats et du dégagisme, les électeurs ont subliminalement compris que le Parlement ne sert à rien ; les 400 ou 450 députés macronistes seront priés de voter comme un seul homme et d'obéir à l'Élysée. Ce qui, à mes yeux, est absolument parfait. Sans doute beaucoup, au bout d'un certain temps, rueront dans les brancards et se rendront compte qu'ils ne servent à rien, d'autant moins qu'étant trop nombreux, leur poids relatif sera infime (c'est une grande supériorité sur la proportionnelle qui confie à des micro-partis charnières des armes redoutables).

    À quoi vont servir, pour leurs électeurs, des députés lambda qui ne seront ni maires, ni présidents de conseils départemental ou régional ? À rien de rien...

    Les électeurs perçoivent - c'est bon signe ! - que notre excellente Constitution a confié le pouvoir à un homme... Suivez mon regard. 

    A lire dans Lafautearousseau   ...

    « En même temps » …

  • Bien commun : les sept piliers capétiens

     

    Le bien commun est le bien du tout qui permet la réalisation du bien des parties, parce que le bien est ce que toute chose désire et qui permet sa perfection et son perfectionnement.

    Les Capétiens l’avaient compris et ont d’ailleurs été les premiers à mettre en pratique un « développement durable politique » : de leur vivant, ils ont sacré leurs fils pour que l’œuvre puisse être continuée. C’est le pilier de la continuité, le premier des sept piliers capétiens. Des Capétiens qui avaient pour règle de servir, et non de se servir ; qui se sont aussi appuyés sur un système d’hommes dans lesquels ils avaient confiance (ce qu’ils appelaient loyauté). Ils se sont appuyés sur la liberté : ils ont gardé une autonomie et ont autorisé cette autonomie pour des personnes, des communautés, comme les villes franches. Ils ont adopté un système de règles simples et compréhensibles par tous, les règles fondamentales du royaume. Ils avaient le sens de la mesure, qui évite les aventures abracadabrantes. Et enfin, ils voulaient la justice (qui n’est pas l’égalité), c’est-à-dire rendre à chacun ce qui lui était dû. Service, continuité, confiance, liberté, simplicité, mesure, justice : voilà les conditions du bien commun mises en place par les Capétiens, qui leur ont permis de rester huit cents ans au pouvoir. 

    Quelques extraits de l’intervention du prince Jean lors du colloque organisé le 13 mai 2017 par le Cercle de Flore :
     
    La notion centrale est le temps long. Le temps long est une condition nécessaire pour servir le bien commun, surtout dans l’état actuel de notre pays. Et donc la nécessité de mettre en place un système qui permet le temps long.L’État est la cause qui met en place les conditions de réalisation : en premier, des lois simples, connues de tous et compréhensibles par tous, dans le cadre du bien commun. 
     
    Nous avons autour de nous une nature et des personnes qui ne sont pas de notre fait : c’est un patrimoine dont nous sommes dépositaires, que nous devons développer et transmettre. 
     
    Le développement durable est une condition structurelle du bien commun car il entraîne la responsabilité, celle de chacun à son niveau. 
     
    Il n’y a pas de France d’en haut et de France d’en bas, il y a un France, verticale, qui se projette sur un axe horizontal.
     
    « La légitimité, c’est l’histoire et l’implication dans la réalité d’aujourd’hui, à travers les actions qui sont menées, qui participent à la compréhension de ce qu’est la France. »
     
    Je ne sais pas si nous allons instaurer ou restaurer la monarchie. Je serais favorable à une instauration. Nous sommes encore loin de ça. Une restauration ne fait pas très neuf… mais parfois, pour être moderne, il faut être archaïque, au vrai sens du terme : avoir connaissance de ce qui s’est passé.
     
  • Pierre-André Taguieff : « La France n'est pas en marche, elle se soumet à la marche du monde »

     

    Par Pierre-André Taguieff

    C'est un tableau d'une extrême lucidité et sans aucune complaisance pour notre système politico-intellectuel au grand complet, que brosse ici Pierre-André Taguieff [Figarovox, 12.05]. Une analyse qui intéresse les royalistes, partie prenante au débat d'idées et au souci politique. Et notamment les maurrassiens qui gardent à l'esprit les analyses et la visée éminemment stratégique de L'avenir de l'intelligence, publié par Maurras il y a plus d'un siècle [1905]. Un long article qui suscite la réflexion et le débat.  LFAR 

     

    On affirme hâtivement, depuis quelques années, que « la droite a gagné la bataille des idées », ce qui, bien entendu, satisfait ceux qui se disent de droite, même s'ils sont convaincus, n'étant pas des gramsciens orthodoxes, qu'il ne suffit pas de prendre le pouvoir culturel pour parvenir au pouvoir politique. Les résultats de la dernière élection présidentielle en témoignent avec éloquence. Mais le cliché circule aussi à gauche, du moins dans certains milieux de la gauche intellectuelle résiduelle qui ont professionnalisé l'observation des droites, dites extrêmes, réactionnaires ou conservatrices. Cette gauche intellectuelle et culturelle, habituée depuis l'ère mitterrandienne à fréquenter les lieux du pouvoir, s'est sentie menacée durant les pitoyables dernières années du hollandisme. Poursuivant sa lente et inexorable sortie de l'Histoire, cette gauche a été saisie par la conscience malheureuse. Elle s'est découverte sans doctrine ni chef. Elle qui se célébrait en tant que gardienne de l'intelligence et de la pensée critique, porte-parole des vertus morales et civiques, porteuse d'un avenir radieux, elle qui se glorifiait d'attirer tant de scientifiques, de philosophes, d'artistes et d'écrivains, a dû reconnaître qu'elle ne rayonnait plus.

    La grande inquiétude de la gauche intellectuelle

    Depuis quelques années, ne croyant plus en elle-même, la gauche voit son adversaire officiel en vainqueur du « combat culturel », ce qui signifie pour elle une descente aux enfers. Littéralement elle n'en revient pas, et craint pour sa survie. Au moins croit-elle avoir identifié la cause de son malheur. Le vieil antifascisme, qui fédérait les gauches, s'est ossifié, perdant toute efficacité symbolique, et l'antiracisme, qui jouait un rôle d'adjuvant ou de substitut, a éclaté en sectes idéologiques mutuellement hostiles. Pour ceux qui se veulent « de gauche », le « bon vieux temps » du confort intellectuel et moral n'est plus.

    Ralliée plus ou moins honteusement au libéralisme économique, la gauche de gouvernement, suivie par ses chantres médiatiquement visibles, a abandonné de fait aux nationalistes antimondialistes et aux multiples héritiers du communisme la critique du capitalisme, poursuivie sous d'autres drapeaux (lutte contre le « néolibéralisme », la « mondialisation sauvage », etc.). Avec sa substance, elle a perdu son identité. Cette gauche sans visage tente cependant de s'en donner un en se reconnaissant bruyamment dans celui du nouveau président de la République, incarnation affichée de la compétence économique et de l'« ouverture » au monde : Emmanuel Macron. Un visage sympathique de dynamique « réconciliateur » de bonne volonté, qui appelle comme tous ses prédécesseurs au « changement », au « rassemblement » et à la « modernisation ». Avec ce supplément d'horizon : l'annonce d'une marche triomphale vers le postnational, l'ultime utopie mobilisatrice des élites déterritorialisées. Mais ce dernier rejeton du progressisme, qui joue du « ni droite ni gauche » tout en se disant « et de droite et de gauche », pourrait bien n'être que l'image floue enveloppant et recouvrant la disparition en cours d'une gauche à la dérive.

    Macron ? Le pouvoir des jeunes, par les jeunes, pour les jeunes

    La diabolisation du nationalisme ne permet pas non plus de constituer un front idéologique dont la gauche politico-intellectuelle serait l'avant-garde : tout le monde, sauf l'extrême gauche marginale, s'affirme désormais « patriote » et attaché à la nation, ce qui revient à dire que le nationalisme, au moins à l'état dilué ou sous une forme euphémisée, est partagé par « la droite » et « la gauche », ainsi que par les partisans de la synthèse vague (« et droite et gauche »), nouvelle formule du centrisme et/ou de l'opportunisme promondialisation, repeint aux couleurs du jeunisme. On a en effet le sentiment que la démocratie, incarnée par « le plus jeune président » d'un pays européen, « optimiste » comme il convient à tout jeune de l'être, tend à se redéfinir en France comme « le pouvoir des jeunes, par les jeunes et pour les jeunes ». Et le surgissement de jeunes prédicateurs médiatiques au langage fleuri et vertueux, s'indignant à tout propos et le regard fixé sur l'avenir meilleur (une bonne Europe, une bonne mondialisation, une bonne immigration, etc.), semble confirmer l'hypothèse.

    L'anti-nationalisme diabolisant, rejeton de l'antifascisme et de l'antiracisme, a largement perdu en force de mobilisation. Si Marine Le Pen a pu faire peur, et être rejetée même par une partie de ceux qui la suivaient dans ses propositions programmatiques sur la restriction de l'immigration et la lutte contre l'islamisme, c'est avant tout en raison de son incompétence en matière économique, promesse de chaos - dont la sortie de l'euro reste le symbole -, et de ses positions démagogiques sur les questions régaliennes.

    Il reste à la gauche, dans toutes ses figures, de recycler pitoyablement, sans être crédible, les vieux slogans communistes centrés sur la dénonciation du « grand capital » ou de la « finance internationale », et de diaboliser le « néolibéralisme », au risque de rejoindre la nouvelle rhétorique du Front national. L'adhésion de la gauche dite « socialiste » aux principes de l'économie de marché lui interdit en principe de donner dans la démagogie néogauchiste. Mais sans la religion populaire de l'anticapitalisme, la gauche s'effacerait totalement du paysage. Elle est donc condamnée à s'accrocher à cette superstition, qui reste l'opium du « peuple de gauche ». La raison en est éclairée par cette analyse de Joseph de Maistre, défenseur avisé de la religion chrétienne, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821) : « La superstition est le bastion avancé de la religion. On n'a pas le droit d'oser le raser. Sans lui, l'ennemi pourrait s'approcher trop près de la véritable fortification.» Le cœur de l'édifice, pour la gauche, n'est autre que son identité de gauche, condition de son existence. Sa survie tient au talent de ses démagogues attitrés, gardiens de ses masques.

    Le triomphe du manichéisme

    De son côté, l'extrême centre, disons l'axe libéral-social-opportuniste, tente de réinventer une « extrême droite », une « droite extrême » ou une « droite dure » incarnant ses cauchemars, en la dénonçant comme « populiste », terme attrape-tout qui fonctionne aujourd'hui, polémique oblige, comme synonyme de « fascisme ». D'où les récentes tentatives de refasciser le nouveau Front national, ce qui est la manière la plus paresseuse de le combattre. Heureusement pour ses ennemis, le parti néo-lepéniste s'est enchaîné à un programme qui l'entraîne vers le fond, largement emprunté, la crédibilité en moins, aux utopies anticapitalistes d'extrême gauche. La tendance, partagée par les naufragés « socialistes », est également à une extrémisation polémique de la droite libérale, à travers l'argument de la « casse sociale ». Le manichéisme le plus sommaire est de retour, sous diverses formes. Il structure notamment les visions du monde respectives des mouvements qui ont survécu à la déroute des deux grands partis de droite et de gauche : le Front national « mariniste » et En marche !, dont le point commun est de se définir par le « ni droite ni gauche ». À l'opposition lepéniste entre les « mondialistes » et les « patriotes » répond la vision manichéenne des macronistes, résumée par leur guide spirituel évoquant le 5 mai 2017 « cette polarité réelle entre un parti d'extrême droite, réactionnaire, nationaliste, anti-européen, antirépublicain, et un parti progressiste, patriote, pro-européen, qui réconcilie la gauche de gouvernement, une partie de la droite sociale, pro-européenne, une partie d'ailleurs du gaullisme, et le centre ». Rappel du principe qu'on ne peut réconcilier qu'en excluant ceux qu'on juge irréconciliables par nature, à jamais perdus pour l'union nationale promise. La nouvelle fête de la Fédération, en version communicationnelle, n'est pas pour tout le monde. Dans le camp du Bien, les rediabolisateurs à pas feutrés ou à front de taureau sont au travail, s'efforçant de mobiliser les indignations morales et de monopoliser la posture morale. Le propre du néo-antifascisme, c'est qu'il est un aliment de propagande susceptible d'être indéfiniment réchauffé pour accommoder les plats les plus divers.

    Cette gauche intellectuelle qui ne comprend pas l'indépendance

    La défaite intellectuelle de la gauche de gouvernement est un fait. La victoire déplorée de « la droite » un fantasme. Les idées ne la préoccupent guère. Elle les abandonne volontiers à ses adversaires ainsi qu'à quelques essayistes ou polémistes talentueux situés hors de ses murs. Il est abusif de présenter ces écrivains ou ces journalistes, pour les louanger ou les blâmer, comme des intellectuels organiques de la droite pour la seule raison qu'ils s'attaquent de préférence à la pensée-slogan dite de gauche. Ils poursuivent leurs chemins respectifs sans savoir où ces derniers les mèneront. Certains d'entre eux continuent bizarrement de se dire « de gauche », d'autres affirment leur hostilité envers le « progressisme » revendiqué par les gauches, quelques-uns s'avouent « conservateurs ». Rares sont ceux qui se reconnaissent dans un parti de droite. C'est pourquoi la défaite reconnue de la gauche n'est nullement le résultat d'une quelconque stratégie culturelle conduite par ses adversaires politiques désignés ou déclarés. Elle n'est que la conséquence d'un vaste processus de dissipation, de sclérose et de décomposition conflictuelle qui ne saurait être attribué à cet acteur étranger et inquiétant : « la droite ». Celle-ci, installée depuis longtemps dans l'opportunisme, le clientélisme et les combinaisons électorales, ne saurait être tenue pour responsable de sa victoire supposée dans les esprits.

    À l'instar de la gauche, la droite n'a rien d'un sujet pensant et agissant dans l'espace des débats et des controverses où il est question des choses sérieuses - science, philosophie, littérature et arts. Cet espace immatériel où s'est réfugiée la pensée n'a rien à voir avec les insignifiantes tables rondes où s'affrontent de pâles et fades créatures du monde médiatique, de frétillants conseillers en communication, des « experts » péremptoires (sondologues lénifiants ou démographes en folie), des courtisans métastables et des militants politiques à l'esprit rigide, baptisés « intellectuels », parlant le jargon de bois de leur parti, de leur mouvement ou de leur « assoss ». Ceux qui pensent sont désormais des non encartés, des esprits libres, sans appartenances partisanes, des engagés désengagés. Ils ne sont pas partie prenante du spectacle politique. Ils ont cessé d'adhérer. Une pensée militante est une piètre pensée.

    La surprise d'avoir désormais des contradicteurs

    Si l'on transforme la proposition en question, « La droite a-t-elle gagné la bataille des idées ? », il reste encore à préciser quelle est la droite susceptible d'être victorieuse dans cette bataille. Car il y a plusieurs droites, si du moins l'on peut s'entendre sur le sens à donner à cette catégorisation confuse, « la droite ». On ne sait pas de quoi l'on parle lorsqu'on fait simplement référence à « la droite »..

    Parle-t-on d'une droite libérale et réformiste, voire progressiste, d'une droite conservatrice, d'une droite nationaliste, d'une droite autoritaire, d'une droite traditionaliste ou réactionnaire ? Sans oublier la figure oxymorique qu'est la droite « ni droite ni gauche » : le néogaullisme. Supposons cependant qu'on ait réglé le problème de la catégorisation, ce qui est fort peu probable. On découvre alors le pot aux roses : il n'y a pas de batailles d'idées, à défaut de combattants, parce que les médias restent largement acquis à la gauche culturelle et intellectuelle, et sont enclins à inviter ou à privilégier les intervenants qui leur ressemblent. Précisons : à n'importe quelle gauche, « modérée » ou « extrême », à la gauche tamisée ou à la gauche frénétique. Les installés de gauche sont les dominants, qui se sentent néanmoins assiégés. Ce seul sentiment leur donne de l'énergie, celle de rester en place malgré tout et à tout prix. La relative macronisation des esprits leur permet de reprendre espoir.

    La puissance de séduction d'un acteur politique a notamment pour effet de paralyser la faculté de distinguer l'important du secondaire et l'essentiel de l'accidentel. On doit à la lucidité de l'écrivain algérien Boualem Sansal, par un article paru le 8 mai 2017 dans le New York Times, de nous avoir rappelé à la dure réalité au milieu des effusions lyriques, de l'indifférence cynique et des soupirs de soulagement : « La France ne se gouverne plus elle-même ; l'Europe a toujours son mot à dire. La mondialisation fait que la terre ne tourne plus que dans un sens (…). Voilà pourquoi il importait que soient débattus durant la campagne présidentielle tous ces thèmes mondialisés : l'islamisation, le terrorisme, le réchauffement climatique, la migration, l'affaiblissement des institutions multilatérales. Mais ceux-ci ont à peine été évoqués. Peut-être était-ce à cause d'un sentiment d'impuissance face à ces problèmes. Mais le fait de ne pouvoir rien y changer n'est pas une raison de ne pas y regarder.»

    En Marche vers le moralisme

    Face à ceux qu'elle perçoit ou désigne comme ses ennemis, la gauche aux idées mortes mais au pouvoir culturel inentamé recourt à deux stratégies. Si la stratégie du silence assassin ne fonctionne pas, elle s'engage dans une guerre verbale qui, menée à sens unique, consiste à lancer des rumeurs malveillantes, des campagnes de diffamation, des anathèmes, à procéder à des dénonciations publiques, à des excommunications visant « la droite » (« dure », « extrême », « éternelle », etc.) et ses représentants supposés. On s'indigne, on dénonce et on condamne sur la place publique. La mise à mort symbolique de François Fillon, dont le programme n'a jamais été discuté, en fournit un terrible exemple. Le moralisme triomphe, le discours édifiant s'étend et se banalise. Rien là qui ressemble, de près ou de loin, à une « bataille d'idées ». L'impératif du « faire barrage » relève d'une déontologie de douanier, et la métaphore de la « ligne jaune » (ou « rouge ») de la vision policière du monde.

    Une fois de plus, le terrorisme émotionnel s'exerce, et ses champs d'exercice sont multiples. La prestation ratée de Marine Le Pen, le 4 mai 2017, en a fourni une illustration plutôt grossière. En s'enfermant dans la langue de bois europhobe et antimondialiste de son parti tout en s'abandonnant à sa violence verbale, elle a été contre-productive, se désignant elle-même comme une démagogue d'extrême droite. Mais ce terrorisme peut aussi s'exercer d'une manière subtile, en se masquant derrière les appels à la « raison » et au « progrès ». Le contradicteur ne peut être qu'un ennemi, et l'ennemi ne peut qu'être l'incarnation de l'irrationnel, de l'archaïsme ou du passéisme, du mensonge, de la « postvérité ». Le propre des démagogues de gauche, c'est qu'ils dénoncent avec véhémence, sans vergogne, la démagogie du camp d'en face, quitte à l'inventer quand elle est inexistante. Le paradoxe est triste, hélas : la gauche a perdu la bataille des idées, mais la droite ne l'a pas gagnée. Les nationalistes identitaires et souverainistes non plus.

    Le 9 mai 2017, le site « Sauvons l'Europe  », affichant son « engagement pro-européen et progressiste », ne cachait pas son enthousiasme : « Voici Emmanuel Macron élu! Face au parti de la division, du repli et de la haine, il a porté haut la République, l'héritage des Lumières et le drapeau européen. Tous ceux qui s'engagent pour une société de progrès ne peuvent que se féliciter de cette victoire. » L'Europe, les Lumières, la République, le Progrès: toutes les bonnes idoles modernes sont, aux yeux des enthousiastes de l'époque, au rendez-vous de l'Histoire. Ajoutons-y le pragmatisme et l'optimisme revendiqués en tant que fondements de la nouvelle sagesse historique, et l'invocation de quatre grands mots scintillants : changement, renouvellement, rassemblement, réconciliation. Et gardons-nous d'oublier la « bienveillance » opposée à la division et à la discorde : qui oserait être contre? Quant à la référence à « l'amour », on admire l'audacieux orateur. C'est avec ces ingrédients qu'on fabrique le nouveau grand récit annonçant le désormais fameux « futur désirable », ersatz du trop stalinien « avenir radieux ». Applaudissant l'heureux élu, la ministre socialiste de l'Environnement, animatrice de l'association « Désirs d'avenir » lancée en décembre 2005, ne s'y est pas trompée. Un chef d'État armé d'autant de bons sentiments et de bonnes intentions ne peut qu'être aimé comme il déclare aimer. « Je vous servirai avec amour », a-t-il déclaré le 7 mai peu après l'annonce de sa victoire. Il paraît même que le « message d'amour » du jeune président français donne de l'espoir à ceux qui, en Inde, rejettent « le darwinisme électoral écœurant » du parti nationaliste au pouvoir à Delhi. Notons au passage que, délivré par un chef d'État, ce message christique est pour le moins hétérodoxe, eu égard au principe d'une séparation de l'autorité temporelle et de l'autorité spirituelle : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 22: 21). Mais peut-être devons-nous reconnaître ici l'accomplissement d'une vision nietzschéenne : « Le César romain avec l'âme du Christ » (été-automne 1884).

    Il ne s'agit donc pas seulement de « changer d'air » par une injection de jeunisme dans le vieux système politique vermoulu: il s'agit moins modestement de « changer d'ère », comme on l'a entendu çà et là dans les rangs macroniens. C'est l'occasion de rappeler qu'à propos de l'élection présidentielle au suffrage universel direct, le machiavélien François Mitterrand avait dit à ses proches : « Les Français élisent celui qui leur raconte l'histoire qu'ils ont envie d'entendre, à condition qu'il soit fondé à le faire.» La compétence économico-financière reconnue suffit aujourd'hui à conférer l'autorité et la légitimité requises, et le grand récit rassurant est servi avec grâce, chiffrage et courtoisie. Les masses votantes ne peuvent qu'être reconnaissantes au grand chef : en témoigne son « élection triomphale », comme on lit dans les gazettes. Après sa victoire, le chef du mouvement macroniste ne peut qu'avancer vers la gloire. Voilà qui semble prouver qu'un bon usage du narcissisme est possible, lorsque le sujet a suffisamment d'audace, de sang-froid et d'intelligence tactico-stratégique.

    Les fanfarons de tous bords appellent bruyamment à la révolte, à l'insoumission, à la résistance. Vu de haut, le paysage politique français semble en ébullition, peuplé de rebelles, de contestataires, voire de révolutionnaires, de gens en colère, refusant d'accepter un monde injuste. Les observateurs étrangers parlent avec admiration ou apitoiement de cette « France rebelle », supposée peuplée de « réactionnaires » et d'« insoumis ». La réalité est tout autre. La véritable idéologie dominante, celle qui a fait gagner l'élection présidentielle au candidat d'En marche !, c'est l'adaptationnisme. L'adaptation au changement qui se fait sans nous et se fera malgré nous, tel est le contenu de l'impératif gagnant. La soumission joyeuse à la marche fatale du monde, tel est l'horizon indépassable de l'ère Macron qui s'ouvre. C'est la revanche des masses, qui suivent ceux qui paraissent nager dans le sens du courant, comme les poissons morts, ces maîtres de sagesse méconnus. Quand on descend un fleuve tumultueux, le combat des idées fait place à une idée fixe : ne pas sombrer. Jouer de la flûte est recommandé. 

    Pierre-André Taguieff