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Actualité France - Page 294

  • Rétrospective : 2018 année Maurras [4]

    1914, l'Union Sacrée

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Concernant la pensée de Charles Maurras il sʼagirait plutôt de la qualifier de « judéocritique », ou si lʼon veut être « winockien » dʼanti-judaïque, cʼest-à-dire que sa pensée sʼefforce de réfuter rationnellement un système de valeurs ; quʼelle repose sur des considérations dʼordre théologico-politique au lieu dʼêtre fondée sur le racial ; quʼelle réfute non lʼessence des Juifs mais la conscience juive, bien quʼil existât des nuances à lʼintérieur de celle-ci, il suffit de se rappeler les confrontations violentes qui opposèrent, dans lʼEurope centrale et orientale des XVIe et XVIIe siècles, les sabbato-franckistes (qui donnèrent par la suite naissance aux Haskalah) au rabbinat régissant les shttetel du Yiddishland et les kehalim de lʼEmpire russe. 

    On retrouve ce primat accordé au prisme racial chez lʼhistorien libéral Augustin Thierry, qui voyait dans la Révolution française une revanche de la race gallo-romaine sur la race franque qui lʼaurait asservie à partir du baptême de Clovis. 

    Indéniablement, en réduisant la personne de Maurras en un chantre coupable de lʼantisémitisme dʼÉtat que connut lʼEurope à partir du deuxième tiers du XXe siècle, Michel Winock fait état de ses obsessions. Ça crève les yeux : il éprouve une passion pour la Seconde Guerre mondiale. Il le fait ressentir pratiquement à chaque ligne. Il se sert de cette période pour tenter de convaincre son lecteur quʼil est un devoir sacré dʼêtre anti-Maurras. Car le vrai anti-Maurras, ce nʼest pas de Gaulle, cʼest Winock. 

    Lʼhistorien cherche à le pousser dans ses retranchements. Pourquoi pas ? Cʼest de bonne guerre. Cʼest même ce quʼil y a de plus sain. Rien nʼest plus légitime que dʼessayer de mettre Maurras devant ses contradictions. Même dans les rangs de lʼAction Française il nʼest point lʼobjet dʼidolâtrie. Critiquer Maurras ne relève en rien du blasphème, du crime de lèse-majesté. 

    Le plus affligeant cʼest que Winock, aveuglé par ses passions, nʼest pas en mesure de disposer de suffisamment de facultés cognitives pour élaborer une critique pertinente de Maurras, une critique « interne », dans le sens où seule une critique interne est performative car elle sʼappuie non pas sur un jugement de valeurs mais sur la mise en évidence dʼun dysfonctionnement de la logique interne dʼun raisonnement. La critique, « externe », développée par Winock contre Maurras reste par conséquent inefficace, superficielle, et finalement vaine. 

    CCQn2bRWAAE78_w.jpgCar il est évidemment possible de dire que chez Maurras il y eut des erreurs qui ont été commises, par exemple en sʼattachant à évaluer lʼadéquation entre ses intentions et ses actes. Lui lʼanti-républicain rabique nʼa-t-il pas rallié la République ? Ne lʼa-t-il pas rejointe durant lʼété 1914 ? Nʼa-t-il pas fait partie de lʼUnion Sacrée, cette vaste coalition de partis politiques majoritairement républicains, qui en appela à la mobilisation générale pour le salut de la Patrie républicaine, face à une Allemagne ambitieuse et conquérante ? Au nom du « compromis nationaliste » nʼa-t-il pas trahi ses convictions les plus profondes ? Nʼa-t-il pas pactisé avec lʼennemi républicain, nʼa-t-il pas légitimé que fussent envoyés au casse-pipe ces paysans, ces ouvriers, ces artisans, ces commerçants, cette force vive de la Nation France ? Ce sont des questions qui méritent étude et réponses. 

    Mais comme Winock estime que seule la Deuxième Guerre mondiale est digne dʼintérêt, il se cantonne à celle-ci, au détriment de la « Grande Guerre », qui pourtant fut dʼune importance déterminante. Quand on substitue à la raison la morale, lʼon risque dʼaccroître lʼindigence de son propos[1]. 

    640_louis-ferdinand_celinegettyimages-109885482.jpgLe raisonnement de Winock ressemble plus à celui dʼun « prêtre rouge » quʼà un clerc guidé par les seules lumières de la science. Un prêtre qui, contrairement au curé exhortant ses fidèles à pratiquer lʼamour plutôt que la guerre, tend à justifier le bellicisme. Il reproche ainsi à Maurras dʼavoir voulu éviter à tout prix la guerre lorsquʼil écrit que « Maurras et les siens sʼemploient à expliquer quʼil faut éviter la guerre, parce que ce sont les Juifs et les communistes qui la veulent, pour prendre le pouvoir ». Cʼest peu ou prou une thèse partagée par Louis-Ferdinand Céline dans sa satire, publiée dans les années 1930, Bagatelles pour un massacre. Thèse condamnable sʼil en est pour les beaux esprits de la « rien-pensance ». 

    ob_9f4941_donald-trump-and-jerusalem-888658.jpgUn dynamisme dialectique caractérise les effets des deux Guerres mondiales : triomphe du cosmopolitisme, dʼune part, avec la création de la Société des Nations après la 1ère, puis lʼOrganisation des Nations unies après la 2ème et cristallisation politique du sionisme dʼautre part, avec la déclaration Balfour (1917) et la naissance de lʼÉtat dʼIsraël (1948). Cosmopolitisme et sionisme vont de pair : ils signifient, en bout de course, lʼavènement de Jérusalem comme capitale dʼun monde réuni autour dʼun gouvernement unique. Jérusalem, Sion, comme « cosmo-polis », « ville-monde ». (A suivre)  

    [1]  Comme le souligne le marxiste « orthodoxe » Karl Kautsky, dans Éthique et conception matérialiste de lʼhistoire (1906), « dans la science, lʼidéal moral devient une source dʼerreurs, sʼil se permet de lui prescrire ses fins », cité par Lucien Goldmann, Recherches dialectiques, Paris, Gallimard, 1959, p. 286.
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • LA VÉRITÉ DES GILETS JAUNES • UN PEUPLE EXSANGUE

    Par Yves Morel

    Il n'est pas besoin de supputer des calculs politiques ni de chercher des complots ni de faire des rapprochements avec les années 30 pour expliquer le mouvement des Gilets jaunes. 

    Les Gilets jaunes sont ce qui reste des Français après qu'ils ont perdu toute foi en leur pays, la société, leurs institutions, leurs gouvernants, leurs syndicats, en les autres, en eux-mêmes, en l'avenir. C'est ce qui reste des Français quand ils ne parviennent même pas à vivre à peu près décemment, et qu'ils n'ont plus que la colère et la révolte pures. En présence de ce mouvement, toutes les logiques idéologiques, politiques et morales se cassent le nez.

    Une réalité disparate, insaisissable, déconcertante.

    Le seul point commun des Gilets jaunes, qui cimente leur union, est leurs difficultés matérielles, la baisse continue de leur pouvoir d'achat, et leur situation de laissés-pour-compte du « nouveau monde » macronien, d'une politique qui les relègue au rang de rebuts, et d'une société qui sourit exclusivement aux nantis, aux forts, aux malins et aux chanceux. Aussi trouve-t-on de tout, parmi eux ; et, suivant leur personnalité, leurs préoccupations particulières, leurs intérêts catégoriels et leur sensibilité, ils sont susceptibles des réactions les plus contradictoires. Dans l'adversité, ils peuvent se révéler xénophobes, sexistes, racistes, sans que l'on puisse distinguer ce qui relève du « propos qui dépasse la pensée » de ce qui exprime au contraire une mentalité profonde, ordinairement bridée par les exigences de la bienséance ou du politiquement correct.

    Certains vivent véritablement « la galère » : retraités à pension mensuelle inférieure à mille euros nets, travailleurs enchaînant les petits emplois ingrats et alternant les périodes de travail et de chômage, les uns et les autres habitant des HLM insalubres, décrépites ou minées par les nuisances, les incivilités et l'insécurité.

    D'autres connaissent un sort un peu plus enviable : ouvriers qualifiés et employés, commerciaux, VRP, infirmiers et infirmières libéraux, les uns et les autres à peu près sûrs de conserver leur emploi, certains ayant pu accéder (non sans peine) à la propriété, mais contraints de se contenter du strict nécessaire pour vivre, et toujours au bord du découvert bancaire. Seule l'exaspération les a fait agir. Tous étaient dénués de passé militant et de sympathies politiques précises, et aucun (ou presque) ne se signalait par quelque conviction idéologique ou éthique affirmée. Leur vote tenait à leurs intérêts et à leur état d'esprit vis-à-vis de la politique menée par les divers gouvernements.

    Naturellement portés sur la gauche, mais déçus par celle-ci, ils ont pu être tentés, pour nombre d'entre eux, par les promesses d'un Sarkozy, avant d'être définitivement dégoûtés de tous les partis et de s'inclure dans les 57% d'électeurs inscrits qui se sont abstenus lors de la dernière présidentielle. Mais certains ont pu compter parmi les électeurs de Marine Le Pen, cependant que d'autres ont pu succomber aux sirènes macroniennes, dans l'espoir de voir enfin la réalisation d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, ils éprouvent le sentiment de ne devoir compter que sur eux-mêmes, et se méfient de tous les partis, y compris les partis protestataires comme La France insoumise ou le Rassemblement national. Et les centrales syndicales ne sont pas logées à meilleure enseigne. Ce sont des Français seuls et tout nus qui se rassemblent et se révoltent.

    De faux ascendants

    Ce phénomène, l'a-t-on assez dit, est sans précédent. Or, ce qui est sans précédent, ce qui bouscule les codes et les classements reconnus, irrite. On ne le supporte pas, et on essaie de le ranger dans les catégories et les rubriques habituelles. Ainsi, expliquent certains, les Gilets jaunes relèvent d'une manière de néo-poujadisme ; et d'aucuns, comme le récurrent Bernard-Henri Lévy, voient en eux une résurgence des ligues qui, le 6 février 1934, marchèrent sur le Palais-Bourbon.

    La comparaison ne vaut pas. Les poujadistes des années 1950 appartenaient à seulement deux catégories professionnelles, celles des commerçants et des artisans, le plus souvent assez aisées, nonobstant leurs problèmes fiscaux et les risques que laissaient planer sur elles la modernisation de l'économie et l'évolution de la société. Pas de pauvres, de chômeurs ou de travailleurs précaires parmi elles. Quant aux manifestants du 6 Février, ils relevaient le plus souvent des classes moyennes, et dénonçaient la corruption de la caste politique et l'incurie des institutions plus que leur situation sociale. Les Gilets jaunes, eux, recrutent dans les classes moyennes comme dans les plus modestes, voire les pauvres, et dans toutes les professions ; ils se battent pour la défense de leur niveau de vie ; et s'ils dénoncent une politique qui les sacrifie et « clive » la société en winners et loosers, et se défient de la classe politique, ils ne taxent pas cette dernière de corruption et ne vouent pas les institutions aux gémonies. Et, contrairement aux précurseurs qu'on veut leur donner, ils ne subissent nullement l'influence de quelque idéologie fascisante ou socialisante, n'aspirent ni à un sauveur de type bonapartiste, ni à la conquête du pouvoir par le peuple insurgé. Un phénomène inédit, donc, et qui ne ressortit pas aux explications habituelles.

    Le rôle ambigu et l'influence incertaine des médias

    On a beaucoup insisté sur le rôle des moyens informatiques de communication, qui ont permis aux Gilets jaunes de se concerter et de décider de leur action en court-circuitant les syndicats et en se passant de chefs et de structures de coordination. On a également mis en relief le rôle de la presse télévisuelle (BFMTV, les JT des grandes chaînes) dans la promotion de l'événement, et leur influence sur la destinée encore incertaine du mouvement : celui-ci, selon divers observateurs, commencera à piquer du nez le jour où, pour des raisons d'audimat, les journalistes cesseront d'en parler ou de lui accorder la primauté, et pointeront les dérives inhérentes à des démonstrations protestataires non étayées sur des revendications précises et une assise politique ou morale tant soit peu cohérente. Et il s'affaissera d'autant plus vite qu'il est inorganisé. Il s'évanouira comme un ectoplasme et sombrera dans la déconsidération puis l'oubli. D'aucuns vont jusqu'à affirmer que la médiatisation de sa récusation des organisations syndicales aura, en définitive, servi la politique de Macron, fort désireux de mettre sur la touche ces organisations et tous les corps intermédiaires susceptibles de contrer son action. Peut-être, mais ce n'est pas certain. Et nul ne peut anticiper sur des résurgences que les conditions sociales du moment rendent non seulement possibles mais plus que probables.

    Un peuple réduit à sa plus simple expression

    IMG.jpgEn définitive, les Gilets jaunes ne sont ni un mode de lutte nouveau, ni une résurgence du poujadisme, du boulangisme, des ligues des années 1930, ni une manifestation quelque peu spectaculaire du populisme. Ils sont l'image d'un peuple qui souffre, se sent sacrifié et méprisé, et ne parle que pour exprimer son désarroi, sans même formuler de revendications claires et sans souscrire en rien à quelque projet de société. Un peuple au pied du mur, au bout du rouleau, réduit à sa plus simple expression.

    Notre sémillant président pouvait-il le comprendre ? Son discours du 27 novembre montrait qu'il l'a fort mal discerné. Il s'est, en effet, efforcé de raccrocher à son écologisme militant la résolution des problèmes de nos compatriotes en montrant la solidarité des questions environnementales et des difficultés sociales, et les méfaits d'une société productiviste insoucieuse de la préservation de la nature et du cadre de vie des hommes. De là, il a conclu à la nécessité de lier étroitement le social et l'écologique et de s'engager sur la voie de l'édification d'un nouveau modèle économique respectueux de l'environnement et des conditions de vie, justifiant sa politique de taxation des carburants et de renoncement graduel aux énergies fossiles, et annonçant la création d'un Haut-conseil pour le climat. Sa seule concession est la subordination de l'augmentation des taxes sur les carburants aux fluctuations du cours de ces derniers.

    Les réactions des Gilets jaunes à ce long discours, toutes négatives, montrent qu'il ne les a pas convaincus. D'aucuns affirment que les Français auront toutes les peines du monde à se convertir au nécessaire modèle socio-économique à dominante écologique, défendu par Macron, et voient là l'origine de la révolte des Gilets jaunes. Et, sans doute, convient-il de beaucoup critiquer la société productiviste, rentabiliste, massificatrice et consommatrice de la seconde moitié du XXe siècle, source de détresse matérielle et morale. Mais ce que voient nos compatriotes, c'est qu'après les avoir sacrifiés à la société du profit, on les sacrifie à la reconversion écologique de cette dernière, et, qui plus est, au moment où ils n'ont plus rien pour vivre, pas même l'espérance. Et le tout pour un discours convenu de politiques qui refusent de les comprendre.

    Que Macron prenne garde : de cette nouvelle exigence risque de sortir quelque chose de terrible. Le peuple de France ne peut disparaître dans un trou noir.    

    Yves Morel
    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • NI EXTRÊME GAUCHE, NI EXTRÊME DROITE ...

    Par Michel Maffesoli

    Une remarquable analyse parue sur Atlantico, le 24 décembre. A lire absolument.  LFAR 

    logo.pngLe sociologue Michel Maffesoli livre un texte consacré à la sécession du peuple à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes, et au désarroi des élites. En cette période troublée, conséquence inéluctable des profondes mutations à l’œuvre dans nos sociétés, peut-être n’est-il pas inutile de se souvenir de la distinction proposée par Nicolas Machiavel entre « la pensée du Palais » et « la pensée de la place publique ! »

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    Gilets jaunes en sécession : élites désemparées face à l’extrême-peuple

    Distinction, désaccord, écart, lorqu’on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, il est fréquent que le peuple fasse sécession. Secessio plebis d’antique mémoire, au cours de laquelle les plébeiens se « retirent sur l’Aventin ». De nos jours, plus prosaïquement, ils occupent les ronds-points de la France périphérique. Mais quels sont les patriciens pouvant ramener la concorde et le calme des esprits ?

    Voilà qui n’est pas évident, tant est grand le désarroi des élites. Les experts ne font plus recette, les politiques sont déconsidérés, les journalistes suscitent la méfiance. Ce qui fait que les belles âmes, pétries de bons sentiments, occupant les plateaux des étranges lucarnes et trustant les colonnes des principaux journaux ont peur. Il faudrait être Cervantès pour décrire ces « chevaliers à la triste figure » luttant contre des moulins à vent . En la matière, la condamnation, sans appel, de l’extrême gauche ou plus encore et d’une manière obsessive de l’extrême droite, automatiquement synonyme de danger fasciste. Rien de moins !

    Au-delà de ces supposés extrémismes, c’est de « l’extrême peuple » dont il s’agit. Il est amusant d’entendre tel bien-pensant, voir se profiler l’ombre de Hitler ou de Mussolini derrière l’anodine demande d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Amusant ? et quand on vient d’en rire, il faudrait en pleurer !

    Restons sur notre Aventin. Le conflit fut réglé, on s’en souvient, quand outre la remise des dettes, c’est la constitution d’une magistrature de la plèbe qui fut obtenue.

    Voilà un symbole instructif. Il y a dans toute lutte un côté que l’on peut nommer spirituel, que le matérialisme natif de nos élites marxisantes déphasées a du mal à comprendre. C’est cet aspect symbolique qui est le cœur battant de ces régulières révoltes des peuples, dont le phénomène des gilets jaunes est l’expression contemporaine. Cet aspect est la ressource indomptable de la force morale.

    La sécession du peuple, c‘est l’action de se séparer, de s’éloigner d’un État s’étant lui-même éloigné d’un peuple qu’il est censé représenter. Se retirer d’un état de fait où « le service public » a mis le public à son service.

    Dès lors, les révoltes expriment l’irrésistible besoin de revenir à la « place publique ». C’est-à-dire au lieu que l’on partage avec d’autres. L’on a par trop oublié que le « lieu fait lien ». Trop obnunilées par des projets politiques orientés vers le lointain et pensées pour le futur, les élites ont oublié l’importance du localisme et l’urgence d’une vie quotidienne vécue au présent.

    C’est bien cela qui s’exprime dans les révoltes en cours. Ces « Aventins » que sont les ronds-points contemporains redisent, tout simplement, le plaisir d’être ensemble pour être ensemble. Ce qui est une efficace manière de lutter contre une techocratie de plus en plus abstraite, considérant avec mépris un peuple débile, incapable de comprendre, comme le signalait il y a peu un dirigeant de la majorité politique « l’intelligence et la subtilité de l’action gouvernementale ».

    Or la sagesse populaire « sait » d’un savoir incorporé sur la longue durée qu’il faut se méfier des pratiques dilatoires du pouvoir surplombant. Qu’il convient de ruser vis-à-vis des tentatives de diversion d’une administration capable, toute honte bue, d’annuler sans coup férir les mesures prises en réponse à la fièvre populaire. Annulation, annulation des annulations, la violence propre au totalitarisme « doux » d’un État jacobin a plus d’une corde à son arc. Mais à certains moments ces ruses technocratiques se parant de justification ou de rationalisation plus ou moins sophistiquées ne font plus illusion. Pour le dire trivialement : la coupe est pleine ! Et aux sincérités successives, qui dès lors sont ressenties comme de réelles faussetés les peuples répondent : « cause toujours, tu m’intéresses ».

    A ces discours dissertant avec « intelligence », sur un ordre des choses dont ils ignorent l’alpha et l’oméga, les insurrections populaires rappellent que l’authentique socialité est celle d’une communauté de destin se vivant au plus proche. Ces insurrections en appellent à une décentralisation radicale acceptant, reconnaissant l’existence concrète, c’est-à-dire vécue au jour le jour, des fondamentales appartenances « tribales ».

    Car ce sont bien ces appartenances qui s’expriment au grand jour dans le phénomène des « gilets jaunes ». Au-delà ou en–deçà des classes sociales de la théorie marxiste ou des catégories socio-professionnelles (CSP) des habituels et lassants sondages fonctionnalistes, c’est une socialité de base, rassemblant ce qui est épars que l’on retrouve autour des feux ponctuant les ronds-points. Ces feux sont comme autant de foyers où l’on se tient chaud et où se concocte le renouveau des solidarités organiques, cause et effet de toute société.

    Il ne s’agit pas là, comme l’analysent les sociologues qui sont en retard d’un siècle d’une  « lutte de classe » ou de ces inconsistants « mouvements sociaux », tartes à la crème d’observateurs ou d’experts déphasés. Non, c’est tout autre chose dont il est question.

    Volens, nolens, et même si on ne veut pas le voir, ce que l’on nomme solidarité organique en gestation est cela même qui s’élabore autour des foyers de ces ronds-points. En la matière, au travers des problèmes soulevés par les retraités, c’est le respect des Anciens, la reconnaissance de leur autorité venue de l’expérience de la vie qui est en jeu.

    C’est aussi la solidarité dont il est question quand ces Anciens échangent avec ces jeunes, chômeurs ou entrepreneurs, ayant du mal à joindre les deux bouts ou à développer leur nouvelle entreprise. Il y est question de générosité, d’entraide, d’échange et autres valeurs essentielles. Ce qui reste incompréhensible, parce que quelque peu archaïque, à des élites purement rationalistes, ayant quelque mal à comprendre l’importance de l’immatériel.

    Du coup, il leur est aisé de stigmatiser cette réémergence d’une solidarité proxémique au moyen de ces grands mots quelque peu incantatoires, donc vides, dont la bien-pensance a le monopole. L’on est ainsi abreuvé jusqu’à plus soif de termes tels que : populisme, communautarisme, complotisme, racisme, antisémitisme, poujadisme, « boffitude » et autres noms d’oiseaux du même acabit.

    On a même pu entendre un soixante-huitard célèbre, devenu notaire à la place des notaires qu’il conspuait en 68, signaler avec componction que de par ses origines et en référence à « l’étoile jaune » de triste mémoire, il était allergique à cette couleur ! tout un programme ! En fait tout cela témoigne d’une profonde incompréhension. Des commentateurs patentés hantant les sempiternelles talk-shows télévisés ou radiophoniques dont la caractéristique est un « entre-soi » fondamental. N’aidant en rien la compréhension d’une révolte radicale, mettant en cause la rigidité d’un pouvoir dont la verticalité n’est plus acceptée.

    Voilà bien le paradoxe de la tempête soufflant avec la violence que l’on sait. Ces échanges entre ancienne et jeune générations, ce souci du partage et de la solidarité, en bref ce plaisir d’être ensemble trouve l’aide du développement technologique. Le sentiment d’appartenance « tribale » est conforté par la cyberculture. Les réseaux sociaux, les forums et autres blogs, voilà ce qui rend caduques les formes habituelles de la représentation syndicale ou partisane. Le refus d’une organisation verticale et hiérarchisée a pour corrélat l’irréfragable désir d’une horizontalisation des rapports sociaux.

    Fondamentalement, ce « Netactivisme » en cours traduit bien la mutation, tout à fait postmoderne, du vertical à l’horizontal. Il se trouve que c’est sur les réseaux sociaux que s’expriment au mieux ces incoercibles révoltes qui sont, certainement, loin de s’achever. Caricatures, photomontages et collages divers singent, parodiquement, les divers protagonistes des pouvoirs politiques, journalistes ou divers sachants. Ayant pris conscience de ce que Platon nommait la « théâtrocratie » d’une démocratie en déshérence, le peuple, à son tour, tourne en ridicule les faits et méfaits des élites décadentes.

    En réponse aux turlupinades ayant eu lieu, lors de la fête de la musique en juin dernier sur les marches de l’Elysée ou encore ayant à l’esprit les indécentes exhibitions lors d’un voyage présidentiel à St Martin, l’ironie, l’humour et la franche rigolade se répandent comme une traînée de poudre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur ce charivari nex look qu’est le phénomène des gilets jaunes. Car dans la foulée des réseaux sociaux, la parodie contre la théâtrocratie du pouvoir a sa place dans la théâtralisation des manifestations en cours. Cela rejoint les « fêtes des fous » médiévales et autres moments d’inversion où le peuple prenait sa revanche vis-à-vis des pouvoirs établis.

    On l’a dit, non pas extrême gauche et non plus extrême droite, mais « extrême peuple » qui, à l’image du « brave soldat » Chveïk popularisé par J. Hasek, manie la satyre, pratique l’humour et la dérision et, ainsi, met à mal le burlesque état des choses dominant. C’est bien quelque chose de cet ordre qui est en jeu dans la révolte du peuple qu’expriment les gilets jaunes : de la candeur et du courage. Courage, c’est, ne l’oublions pas, du cœur et de la rage. Mixte fécond, répondant au discours technocratique délayant d’une manière insipide toute une série de banalités. Ces discours n’accrochent plus, l’arrogance n’est plus de mise.  

    Michel Maffesoli
  • Rétrospective : 2018 année Maurras [3]

    Dédicace de Charles de Gaulle à Charles Marras pour son livre La discorde chez l'ennemi

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    De la subtilité, Winock en manque cruellement lorsquʼil va jusquʼà défendre la position selon laquelle de Gaulle était lʼ « anti-Maurras », quʼil était « aux antipodes de Maurras ». Il est indiscutable que lʼidiosyncrasie gaullienne était imprégnée de lʼesprit de Maurras. Il faudrait que Winock réécoute sa conférence de presse du 27 novembre 1967, largement consacrée à lʼactualité internationale, aux États-Unis et à Israël notamment. Certes, de Gaulle était un maurrassien critique, de raison, pas un maurrassien béat. 

    En vérité lʼ « intelloʼ de Martigues » avait imprimé sa marque dans lʼâme jeune du natif de Lille. La socialisation politique primaire de De Gaulle sʼétait faite sous le signe de Maurras : son père, « Henri, lisait LʼAction française […]. Il était royaliste de cœur, et le jeune Charles a été éduqué dans un milieu habité par la nostalgie de la royauté. » 

    hqdefault.jpgEt pour preuve : de Gaulle a parfaitement retenu la leçon de son maître à penser à propos des quatre états confédérés quand il dit à Alain Peyrfefitte que la franc-maçonnerie fait office de quatrième colonne, un parti de lʼétranger, inféodé à la perfide Albion : « Sénat, Club Jean-Moulin, francs-maçons, tout se tient. Ces gens-là cherchent à me mettre des sabots aux pieds. On mʼassure que la moitié des sénateurs, de la gauche à la droite, sont franc-maçons. On mʼen dit autant des magistrats, quʼils soient du siège ou du parquet. Ça expliquerait bien des choses. Ces gens-là nʼaiment pas la France, ils préfèrent les Anglo-Saxons. »[1] On dirait du Maurras dans le texte. 

    Négateur du réel, Winock préfère voir en de Gaulle un épigone de Charles Péguy, un grand littérateur nʼayant en revanche jamais développé une doctrine politique cohérente sʼarticulant autour de concepts originaux, structurants et fondamentaux, à la différence de la pensée de Maurras, dont la dichotomie pays légal / pays réel, par exemple, est encore utilisée aujourdʼhui, notamment par les publicistes de la presse écrite ou même de la radio et de la télévision. Est-il quelquʼun qui a retenu une quelconque doctrine politique de Péguy, lui qui commença socialiste avant de se tourner vers le catholicisme ? Péguy ne s’est jamais voulu et nʼa jamais été à la tête dʼune organisation politique. 

    2784291594.jpgLʼanalyse de Winock révèle ici ses limites : il montre quʼil nʼa guère compris que le politique est dʼabord une somme dʼinteractions sociales, de relations humaines (quʼelles soient dʼamitié ou dʼinimitié[2]), soit quelque chose de bassement concret, avant dʼêtre des idées abstraites empilées dans des livres. Faire de De Gaulle lʼépigone de Péguy (photo) pour l’opposer à Maurras, quelle ineptie ! Plus énorme encore est celle dʼériger de Gaulle en anti-Maurras ; par ce truchement Winock réhabilite la formule maurrassienne très controversée dʼ « anti-France ». Sʼil est valide du point de vue épistémologique de se servir du préfixe « anti » pour exprimer une opposition radicale, pourquoi le serait-il pour Maurras et ne le serait-il pas pour la France ? 

    Ce manque de rigueur sémantique est le trait marquant de lʼarticle de Winock. Il utilise, si lʼon peut dire, des mots sans en mesurer le poids. Jetant aux orties Aristote qui signale que si « on ne posait de limite et quʼon prétendît quʼil y eût une infinité de significations, il est manifeste quʼil ne pourrait y avoir aucun logos. En effet, ne pas signifier une chose unique, cʼest ne rien signifier du tout », il sʼaffranchit du respect du sens strict des mots. 

    Prenons celui dʼantisémitisme. Maurras est victime de la présomption de culpabilité dʼen être un. Pour Winock, cʼest un fait avéré. On est dans lʼordre du préjugé : nul besoin de chercher à le démontrer. Lʼhistoire a tranché : Maurras est à bannir car il a rejoint le rang des antisémites notoires. 

    17639964-22082748.jpgOr cʼest mal connaître la généalogie de la question juive. Lʼantisémitisme présuppose lʼexistence de races distinctes, ce qui dans la modernité, comme le souligne Hannah Arendt (photo) dans le passage qui suit, a été introduit par des Juifs. 

    « Cʼest alors que, sans aucune intervention extérieure, les Juifs commencèrent à penser que ʽʽce qui séparait les Juifs des nations nʼétait pas fondamentalement une divergence en matière de croyance et de foi, mais une différence de nature profondeʼʼ, et que lʼancienne dichotomie entre Juifs et non-Juifs était ʽʽplus probablement dʼorigine raciale que doctrinaleʼʼ. Ce changement dʼoptique, cette vision nouvelle du caractère étranger du peuple juif, qui devait se généraliser chez les non-Juifs que beaucoup plus tard, à lʼépoque des Lumières, apparaît clairement comme la condition sine qua non de lʼapparition de lʼantisémitisme. Il est important de noter que cette notion sʼest formée dʼabord dans la réflexion des Juifs sur eux-mêmes, et à peu près au moment où la Chrétienté européenne éclata en groupes ethniques qui accéderont plus tard à lʼexistence politique dans le système des États-nations modernes. »[3] 

    Augustine_Confessiones.jpgSe situant à extrême distance de ces Juifs qui théorisèrent la diversité raciale du genre humain, du racialisme en somme qui, dʼaprès Hannah Arendt est une invention juive, Maurras, ce fidèle de lʼÉglise de Rome en vertu non de la foi mais de la raison, entendait rester fidèle à lʼesprit de lʼépître aux Galates de saint Paul qui continuait la parabole christique du Bon Samaritain. 

    Maurras n’entend pas remettre en cause lʼuniversalité, lʼunité radicale de lʼhumanité, telle quʼexprimée par saint Augustin de la manière suivante : « Quel que soit lʼendroit où naît un homme, cʼest-à-dire un être raisonnable et mortel, sʼil possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter quʼil tire son origine du seul premier homme[4] ». (A suivre)  

    [1]  Alain Peyrefitte, Cʼétait de Gaulle, II, Éditions de Fallois / Fayard, 1997, p. 111.
    [2]  Carl Schmitt, dans La notion de politique, avance que la syzygie, autrement dit lʼappariement du couple dʼopposés ami / ennemi est au politique ce que les dichotomies vrai / faux, bien / mal, beau / laid et utile / nuisible sont respectivement à la science, à la morale, à lʼart, et à lʼéconomie.
    [3]  Hannah Arendt, Sur lʼantisémitisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 8-9.
    [4]  Saint Augustin, La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661. 
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [2]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Dans le milieu des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, Michel Winock est une figure dʼautorité[1]. Fort de son statut de conseiller auprès de la rédaction du mensuel LʼHistoire, il sʼest donné la peine dans le numéro de juin 2018 dʼexprimer son point de vue expert à la piétaille qui nʼy comprend rien – nous les gueux sans doctorat ni agrégation – sur le cas Charles Maurras, qui depuis quelque temps a reçu un nouveau sobriquet : « M le Maudit ». 

    41qLB-P4F4L._AC_US218_.jpgIl est vrai que Michel Winock (photo) sʼest spécialisé dans lʼétude des figures « réactionnaires » (pour reprendre le vocable du libéral Benjamin Constant[2], vocable si cher aux socialo-communistes) de lʼhistoire littéraire de notre pays, comme Léon Bloy. Visiblement, Winock est attiré par les plumes talentueuses ! Confondant analyse historique et jugement moral, il se plaît dans le rôle de parangon de vertu républicaine, livrant les bons et les mauvais points. Untel a bien agi en 1789, un autre sʼest très mal comporté pendant la Commune, lʼattitude de celui-là fut indigne dans les années 1930 et 1940, heures les plus sombres de la doxa médiatique. 

    Il se garde bien en revanche dʼinsister sur le génocide de 1793-1794 commis par les révolutionnaires en Vendée, contribuant à lʼindigne « mémoricide » perpétré par lʼÉcole républicaine. Quelle horreur ce serait de salir lʼimage de Marianne : le professeur Winock profite des prébendes depuis tant dʼannées ! Quoi de plus ignoble que de blâmer la République !       

    En synthétisant la bien-pensance contemporaine relative à la représentation des faits historiques, Winock joue le rôle de guide des âmes en peine qui pourraient être troublées par les sirènes du populisme, du chauvinisme ou du passéisme, les pires maux de ce siècle à en croire la caste « ripoublicaine » qui nous gouverne. 

    Degradation_alfred_dreyfus.jpgComme le suggèrent le titre de lʼarticle puis son contenu, ce qui obnubile Winock chez Maurras cʼest son rapport à la question juive et à Adolf Hitler. En choisissant « La revanche de Dreyfus ? » comme titre, il fait un clin d’œil à la saillie que prononça Maurras en apprenant sa condamnation à l’indignité nationale et à la détention à vie pour intelligence avec lʼennemi en 1945 : « cʼest la revanche de Dreyfus ! » 

    Winock se fourvoie dans le réflexe pavlovien, en vogue chez les penseurs stipendiés, de la reductio ad hitlerum. Une autre historien, lʼAméricain dʼorigine russe Yuri Slezkine, commente cet état de fait en ces termes : à partir des années 1970 « lʼHolocauste devint tout à la fois lʼépisode central de lʼhistoire juive et de celle de lʼhumanité et un concept religieux transcendant concernant un événement réputé incomparable, incompréhensible et irreprésentable. »[3] Et Adolf Hitler de représenter le Mal pris comme un principe transcendant. « La conséquence la plus profonde de la Seconde Guerre mondiale a été la naissance dʼun nouvel absolu moral, celui du nazisme comme mal universel. »[4] 

    Du haut de sa science Winock édicte une fatwa, dʼoù Maurras sort plutôt sacrilège quʼen odeur de sainteté. Cʼest le moins que lʼon puisse dire. Mais à délaisser la raison au profit de la morale, lʼon risque de se commettre en imprécisions, inexactitudes, inepties. 

    Commençons par ce qui est dʼordre factuel. Winock écrit que Maurras aurait « défrayé la chronique au mois dʼavril 2018 ». Or cʼest quelques mois plus tôt, en janvier, que la polémique a éclaté lorsque le ministère de la Culture de Madame Nyssen a publié le cahier des commémorations officielles de lʼannée 2018, où le nom de « M le maudit » apparaissait, avant de le retirer, sous la pression des Valls et consorts. Mis à part les intimidations de la gauche contre les organisateurs dʼun colloque qui sʼest tenu à Marseille le 21 avril[5] – affaire relayée par quelques titres de presse comme La Provence ou La Croix –, rien dʼautre de retentissant ne sʼest passé au sujet de Maurras en avril. 

    Outre sʼemmêler les pinceaux dans les dates – un comble pour un historien –, Winock sʼembrouille quant aux notions « nationalisme », « nationalisme intégral » et « conservatisme ». Il se montre incapable de définir rigoureusement ces termes. Pour lui ils sont équivalents. Alors que le nationalisme, concept originellement de gauche, peut être aussi bien progressiste que traditionaliste, renvoyer tant au jacobinisme des Robespierre, Thorez, Chevènement ou Mélenchon (ce dernier a axé sa campagne présidentielle de 2017 autour de la défense de la souveraineté française contre les diktats de lʼUnion européenne) quʼau catholicisme des Barruel, Barrès, de Villiers ou Jean-Marie Le Pen. Cʼest pourquoi Maurras insistait pour que le nationalisme soit intégral, c’est-à-dire monarchique : un nationalisme conséquent ne pouvant à ses yeux que vouloir perpétuer lʼhéritage glorieux de la France, dʼessence catholique et royale, eu égard à sa fondation par un roi converti au christianisme et à son attribut, dont elle sʼenorgueillit jusquʼen 1789, de « fille aînée de lʼÉglise ». 

    Mariage-gay-Taubira-enflamme-l-Assemblee.jpgEn outre, cʼest une erreur dʼidentifier le nationalisme intégral de Maurras à un conservatisme, idéologie qui vient dʼAngleterre (des Tories) et qui est donc étrangère à notre culture politique. Même si, aujourd’hui, un certain courant intellectuel plutôt traditionaliste et largement  antimoderne,  lui donne un sens nouveau, en France et ailleurs. Comment est-il possible de sʼattacher à vouloir conserver des mœurs et un droit positif qui, du fait du changement social, évoluent constamment ? En 2010 si je suis conservateur je suis contre le mariage pour les homosexuels. En 2018 en tant que conservateur je suis favorable au maintien de lʼexistant, au statut quo, donc à la loi Taubira qui accorde aux homosexuels le droit de sa marier. 

    Pour Winock toutes ces idéologies sont anathèmes, il nʼy a donc pas lieu dʼen saisir les subtilités. (A suivre)  

     
     [1]  Michel Winock a écrit notamment La Belle Époque et 1789, Lʼannée sans pareille, publiés chez Perrin. Il a également contribué à la rédaction, sous la direction de Serge Berstein, de lʼouvrage collectif Les cultures politiques en France, paru au Seuil. En 2008, son livre La fièvre hexagonale était au programme du concours dʼentrée à lʼInstitut dʼétudes politiques de Grenoble. Régulièrement invité sur les plateaux de télévision et dans les studios des stations de radio, il est incontestablement membre de cet aréopage dʼexperts du régime quʼil est de coutume dʼappeler fonctionnaires de la technocratie. 
    [2]  En 1797 Benjamin Constant publie le volume Des réactions politiques, où pour la première fois est utilisé cet adjectif de « réactionnaire » promis à un bel avenir. Le plus surprenant cʼest quʼaujourdʼhui il est tout particulièrement prisé par les « antilibéraux », trotskystes, P.C.F. et France insoumise.
    [3]  Le siècle juif, Paris, La Découverte, 2009, p. 388.
    [4]  Ibid., p. 389.
    [5]  Organisé par le blog « Lafautearousseau », son lieu initial, occupé par un ordre monastique, dut être changé à la dernière minute sous la pression dʼune poignée dʼhurluberlus allant du parti socialiste à un fantasque « front unitaire antifasciste ». Ces derniers ayant menacé de mettre à sac le couvent, la police prit les choses très au sérieux, avertissant les religieux quʼil serait plus sage de tout annuler. Une salle de conférence sise dans un hôtel fut trouvée en hâte pour que le colloque, célébrant le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Charles Maurras et visant à présenter sa pensée à une jeune génération attirée par le nationalisme mais connaissant de façon imprécise la doctrine du « nationalisme intégral », puisse bien avoir lieu. 
     
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Société • Bock-Côté : « La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien »

    Par Mathieu Bock-Côté 

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLe « conservatisme » ainsi défini, nous l'acceptons. Il est nôtre, même si nous n'avons jamais beaucoup aimé le mot s'il signifie « conservation molle de l'existant ». C'est à dire de la modernité y compris en ce qu'elle a de plus détestable. Si on lit cet article, qui est important, on verra que ce n'est pas du tout le sens que Mathieu Bock-Côté donne à conservatisme et encore moins le fond de sa riche pensée. Lafautearousseau reprend ces réflexions parce qu'elles comptent et qu'elles doivent être connues des royalistes. Notamment de nos lecteurs. [Le Figaro, 29.12]LFAR

     

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    On a beaucoup glosé ces dernières années sur le conservatisme, dont la renaissance intellectuelle est indéniable.

    Si tous les intellectuels qu'on y associe ne revendiquent pas nécessairement cette étiquette, ils s'inscrivent néanmoins dans la perspective d'une modernité sceptique, que ce soit en critiquant l'immigration massive, le féminisme pudibond, le bougisme qui arrache l'homme à sa demeure ou le manichéisme historique qui réduit l'aventure des nations à un affrontement bête et stérile entre les gentils et les méchants.

    Ces dernières années, le système médiatique en est même venu à parler, devant ce mouvement, d'un renversement d'hégémonie, en s'alarmant de la montée en puissance des « réacs » qu'il ne serait plus possible de ne pas entendre, ce qui serait apparemment embêtant. La formule était pourtant exagérée et reposait sur une double illusion. La gauche a été si longtemps dominante qu'il lui suffit d'être critiquée pour se croire assiégée. Inversement, la droite a été si longtemps silencieuse, et même humiliée, qu'il lui suffit d'être entendue pour se croire dominante. Dans la réalité, la mouvance conservatrice demeure médiatiquement et intellectuellement très minoritaire, et chacune de ses audaces se paie normalement du prix d'un scandale.

    Qu'est-ce que les conservateurs veulent conserver ? Ce n'est pas d'hier qu'on se le demande, souvent avec un brin de moquerie. Ne sont-ils pas que les héritiers mélancoliques d'un monde déjà perdu, qu'ils enchantent rétrospectivement par la magie du souvenir ? Ce procès est injuste, d'autant qu'il y a une grandeur certaine dans le fait de défendre après la défaite le souvenir de ce qui n'aurait pas dû tomber. Dans Rue Corneille, un beau livre de 2009, Denis Tillinac présentait avec tendresse Régis Debray comme un « gardien des ruines de la civilisation occidentale », un titre qu'il pourrait revendiquer aussi et qui n'a rien de déshonorant.

    Le sentiment de la fin d'un monde hante notre temps et il inspire souvent une posture résignée ou apocalyptique. Les adeptes de la première pleurent un monde perdu mais se font une raison en méditant sur l'œuvre du temps qui use toutes les civilisations, et contre lequel il serait vain de combattre. Les adeptes de la seconde maudissent cette décomposition qui les transforme en exilés de l'intérieur. Mais s'ils ne s'interdisent pas de rompre des lances contre l'époque qui vient, c'est généralement sur le mode du baroud d'honneur, à la manière de la dernière charge héroïque des vaincus.

    Ce sont là les deux pièges psychologiques qui guettent les conservateurs qui ont intériorisé trop intimement le mythe du progrès et qui poussent les hommes à la démission mentale. La modernité tend à dissoudre les sociétés dans le culte du mouvement perpétuel : elle fait déchoir tous les héritages en arrangements temporaires qu'il devient nécessaire de dépasser. Tout ce qui semblait devoir durer sera un jour périmé. Dès lors, quiconque refuse de suivre le rythme de la modernité sera un jour décrété conservateur, puis réactionnaire. Pour éviter la mauvaise réputation, plusieurs préfèrent alors la soumission. Car la modernité ne veut pas seulement qu'on l'accepte mais qu'on l'encense.

    Une nouvelle tentation totalitaire traverse l'Occident: celle d'un monde absolument transparent délivré de ses contradictions, purement malléable et soumis à toutes les formes d'ingénierie sociale, culturelle ou biotechnologique. Elle se réclame de l'émancipation totale du genre humain. C'est en son nom qu'on décrète que les peuples sont des constructions artificielles à dissoudre dans une diversité rédemptrice ou qu'on veut conjuguer la pédagogie avec l'esprit de table rase, pour immuniser l'enfant contre l'héritage au nom de sa supposée pureté virginale. C'est en son nom aussi qu'on décrète que la filiation est une fiction archaïque qu'on doit liquider pour redéfinir la famille dans une perspective exclusivement contractualiste. On pourrait multiplier les exemples.

    Mais l'âme humaine n'est pas d'une plasticité infinie. L'homme nouveau des progressistes ne sera jamais rien d'autre qu'une version mutilée de l'homme éternel. C'est une chose d'accepter la modernité, c'en est une autre de se définir intégralement à l'aune de ses catégories. À travers le conservatisme, l'homme moderne redécouvre les permanences anthropologiques qui structurent intimement la nature humaine et dans lesquelles il peut toujours puiser pour revitaliser ses libertés. De là la nécessité de les reconstruire politiquement. La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien. Ce que l'on nomme conservatisme n'est peut-être rien d'autre que la traduction intellectuelle de l'instinct de survie d'une civilisation qui ne voit pas pourquoi elle s'enthousiasmerait à l'idée de sa disparition.   

    Mathieu Bock-Côté 

    Le-nouveau-regime.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politiqueaux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017). 
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [1]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras ». Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    Avant-propos ...

    Alors que la nuit de la saint-Sylvestre approche, où une fois de plus nos forces de l'ordre vont probablement être mises a rude épreuve, c'est le moment de jeter un oeil sur le rétroviseur. De quoi l'année 2018 a-t-elle été le nom ?

    Elle a commencé par une polémique déclenchée par le ministère de la Culture qui a décidé de mettre Charles Maurras dans la liste des commémorations officielles des personnalités ayant marqué l'histoire de France avant de se raviser.

    2018-world-cup-final-french-4635-diaporama.jpgA son mitan, s'est produite une vague nationaliste de grande ampleur, rappelant quelque peu l'euphorie qui gagna la France un autre été, celui de la mobilisation de 1914. Visages grimés aux couleurs de la patrie, Marseillaises entonnées a tout va et nombre pléthorique de drapeaux déployés, aux fenêtres des voitures en marche ou des logements... tel est ce que l'on a pu observer après la victoire de la France lors de la coupe du monde de football en Russie.

    325225350.jpgCe sentiment d'unité nationale a muté au moment de l'automne en une fièvre saine de contestation radicale du Pouvoir. Après les célébrations du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, dont l'issue favorable pour notre pays doit en grande partie à l'énergie, au courage et à la probité de Maurras et des siens, le Pays Réel a initié un mouvement extraordinaire de révolte contre le Pays Légal, cette bancocratie cosmopolite que Macron représente avec une morgue typique des golden boys de la City et de Wall Street.

    Indéniablement ce Mai 1968 inversé, où cette fois c'est la périphérie (les provinces) qui donne le LA au centre (Paris), est pour tout défenseur du Pays Réel une divine surprise.

    2018, soit 150 années après la naissance du Maître de Martigues, a été l'année Maurras.  (A suivre)  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Quand France Inter ose la science-fiction politique iconoclaste

    C'est Salvini qui rit, maintenant ...

    2019 : la politique française à l'heure italienne ?

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpg« Le vent tourne ». Les éditorialistes sentent-ils venu le moment d'envisager les hypothèses incorrectes ? Préparer le terrain aux bouleversements qui, peut-être se préparent, en France et ailleurs ? En Europe, en tout cas ! Songent-ils à leur avenir professionnel ? Aux mouvements de l'opinion, qui les juge ... Ecoutez, c'est instructif ! Pour qui préfère lire, le texte est au-dessous.  LFAR

     

     

    L'édito politique
    par Yaël Goosz
    jeudi 27 décembre 2018

    416x277_legrand_thomas.jpgEt si on regardait de l'autre côté des Alpes pour comprendre ce qui nous arrive : un scénario à l'italienne en France, ça n'est peut-être plus une fiction.

    Bonjour Yael Goosz, la politique en 2019, votre édito du jour : et si la France s'était mise à l'heure italienne ?

    Nous sommes le 20 mai 2018... L'Italie a un nouveau gouvernement, attelage baroque entre deux extrêmes, aussitôt dénoncé par Bruno Le Maire. Le ministre redoute que l'alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles ne provoque un dérapage budgétaire dans la zone euro. Mi-juin, c'est sur la gestion du dossier Aquarius, que le torchon brûle... Emmanuel Macron dénonce le cynisme de Rome sur la question migratoire. 

    L'Italie comme anti-modèle du progressisme dont se revendique La République en Marche : la référence aux années 30, le chaos populiste... Cette rhétorique a fonctionné à plein régime, à l'automne, dans les discours d'Emmanuel Macron. 

    Jusqu'à la crise des Gilets Jaunes... Jusqu'à ce qu'il lâche plusieurs milliards d'euros pour tenter de stopper ce mai-68 des ronds-points. A partir de là, comment faire la leçon ? Comment montrer du doigt les Italiens, quand on s'autorise un excès de déficit et que l'on dit, devant sa majorité, que "le chiffrage budgétaire est secondaire". 

    Emmanuel Macron a non seulement perdu son punching-ball , Yael, mais il pourrait lui-même se retrouver victime d'un scénario à l'italienne ? 

    L'analogie est frappante. En 2014, le jeune démocrate Matteo Renzi prend la présidence du Conseil, c'est la nouvelle star, il a dégagé la vieille classe politique et va réformer l'Italie. Deux ans plus tard, il s'effondre, après un référendum raté, léché puis lynché par une opposition multiforme coalisée contre lui. Une chute à la vitesse des réseaux sociaux et des raccourcis populistes... Cela ne vous rappelle rien ?

    L'anti-macronnisme ou l'anti-renzisme comme seul dénominateur commun ? 

    Quelle autre motivation y avait-il, en Italie, entre un Luigi Di Maio prônant le revenu universel et un Matteo Salvini allergique à l'impôt ? Plus de services publics avec moins d'Etat ? Rationnellement, ça ne tenait pas la route, et pourtant, la Ligue et les 5 étoiles ont réussi à s'entendre pour prendre le pouvoir.

    Est-ce que cela peut arriver en France ? Le scrutin majoritaire ne favorise pas les coalitions, c'est un frein... Mais dans le discours, 2018 aura été une année de trajectoires parallèles, parfois convergentes, entre RN et Insoumis : avec l'incursion, chez Mélenchon d'une thématique nouvelle - l'immigration qui pèse sur les salaires -, un François Ruffin qui rend hommage à Etienne Chouard, et puis cette bienveillance réciproque, quand l'Insoumis Mélenchon subit les foudres de la presse, de la justice, pour ses comptes de campagne, l'autre, Marine Le Pen vole immédiatement à son secours, et réciproquement... Enfin le même entrisme chez les gilets jaunes, qui présente beaucoup de similitudes avec les débuts du Mouvement 5 étoiles. 

    Quant à l'Italie, elle est clairement le modèle à suivre pour le Rassemblement national. Proximité entre Marine Le Pen et le petit frère Salvini qui a dépassé son maître, et l'histoire d'amour entre Marion Maréchal et l'un des cadres de La Lega...

    Politique-fiction, me direz-vous ? Dans le paysage décomposé où la poutre travaille encore, toute ressemblance avec une situation politique déjà connue n'est plus fortuite.   

    Lire dans Lafautearousseau le dernier Lundi de Louis-Joseph Delanglade ...

    Le vent tourne

  • Réflexions sur Noël • La crèche familiale ... « Noël est notre bien commun inaliénable »

     
    Noël à Strasbourg

    par Gérard Leclerc 

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    Il n’y a pas de règle absolue en la matière. Pour ma part, j’installe toujours la crèche à quelques heures de la célébration de la Nativité, pour que tout soit prêt pour recevoir le nouveau né, sitôt revenus de la messe dite de minuit.

    C’est un rite familial, auquel je tiens de toute mon âme, avec l’approbation entière de la famille. Je l’ai reçu de mes parents, ainsi que la prière le soir, tous réunis devant cette scène de santons si suggestifs et si familiers, qui associent aux personnages de l’Évangile quelques autres de la tradition provençale. Cette prière, le plus souvent, consiste dans la reprise des nombreux noëls chers à notre mémoire. Et cela se poursuit en se transmettant. Les enfants mariés ont leur propre crèche et les petits enfants sont ravis de communier aux mêmes rites.

    Avec les petits-enfants, il peut y avoir préalablement le moment de la construction de la crèche, avec la découverte de l’identité des santons entourés dans leur papier protecteur depuis l’année précédente. Parfois même, il y a de l’impatience. Papi, quand feras-tu la crèche ? Pourquoi attends-tu Noël ? Il est vrai que dans beaucoup de paroisses on commence à installer la crèche de l’Église, dès le début de l’Avent, ce qui concourt à la pédagogie de l’attente. J’avoue, pour ma part, une certaine résistance à m’associer aux façons mondaines de célébrer les fêtes de fin d’année trop de temps à l’avance. Il s’agit d’être bien centré sur l’événement de la nuit du 24 au 25 décembre. Bien sûr, on sait que cette date a été choisie postérieurement, pour accueillir la nativité. Mais l’essentiel, c’est ce que la liturgie nous donne à contempler et qui se rapporte aux Évangiles de l’enfance : « Elle mit au monde son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. »

    J’ai eu l’occasion d’évoquer à diverses reprises ce qu’il convient d’appeler la querelle contemporaine des crèches, avec la possibilité de leur exposition dans l’espace public. L’espace privé familial n’est pas l’unique possible. La révélation de Noël n’est pas réservée à l’espace privé. Qu’on le veuille ou non, il peuple notre imaginaire commun. Et quand on veut l’en évincer, ce n’est pas sans violence et sans dommage. Noël est notre bien commun inaliénable. ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 décembre 2018
  • Réflexions sur Noël • Noël, l'espérance au-delà des désespérances...

    Crèche de Noël en Provence

    Par Jean-Philippe Chauvin 

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    La fête de Noël n’est pas un moment ordinaire et le croyant y trouve aussi des raisons d’espérer quand l’incroyant la vit surtout comme le retour des joies et des plaisirs simples de la table et de la famille, mais c’est toujours, pour l’un comme pour l’autre, la joie de Noël qui s’exprime.

    Les enfants attendent la récompense de leur premier trimestre studieux, chantant parfois le soir autour de la crèche qui, elle, attend son principal personnage, déposé délicatement sur son lit de paille dans la nuit de la Nativité. Tant de souvenirs me remontent à la mémoire, en ce jour particulier qui s’annonce : autour de la grande crèche familiale, nous nous retrouvions le soir, à l’orée du coucher, et nous allumions les petites bougies colorées avant d’entonner quelques chants, invariablement clos par un vibrant et harmonieux « In excelsis Deo ». Ce rituel ne cessait pas lorsque j’étais chez mes grands-parents Lechaptois, mais la crèche était alors toute petite et en plastique, ce qui n’enlevait rien à ma ferveur enfantine et à celle de Mamé. Jours heureux… 

    Aujourd’hui, si je suis plus près de l’hiver que de l’enfance, je n’ai pas perdu mes espérances de Noël, même si les années passées ont effacé tant de visages familiers, les réduisant au souvenir parfois attristé, à cette nostalgie qui m’envahit parfois plus que de raison, celle d’un monde ancien qui était le mien avant que de devenir celui, incertain, des temps contemporains. Les événements récents n’incitent pas forcément à l’optimisme mais doivent susciter, dans le même temps, une espérance « raisonnable » mais aussi, sans être contradictoire, « passionnée ». 

    ob_68b531_xvm1bfc5444-f948-11e8-9082-221fe1d1342.jpgL’agitation automnale du pays, qui s’est couverte de jaune fluo, a étonné, effrayé parfois, suscité tant d’espoirs quand elle exprimait tant de colères, et ses éclats se sont fichés dans le mur des certitudes gouvernementales, au point d’en briller jusqu’aux palais lointains des puissants de ce monde-ci. Les ronds-points, lieux incontournables et pourtant négligés de notre société, ont été les espaces d’où les « personnes des recoins » ont crié leurs désespérances, leurs peurs,  leurs émotions, leurs sentiments, mais aussi leurs résistances à l’air du temps, aux oukases venus « d’en haut », de Paris ou de Bruxelles… Les « perdants de la mondialisation » ont ensuite gagné la rue, et cela s’est vu et entendu, au point de réduire la République à s’enfermer dans le palais de Madame de Pompadour derrière des murailles de fer et d’acier gardées par des troupes nombreuses et casquées… « Quand l’ordre n’est plus dans l’ordre, il est dans la révolution », affirmait Robert Aron (et non son homonyme Raymond), et le samedi 1er décembre a semblé lui donner raison, au moins quelques heures, avant ce « retour à l’ordre » qui, derrière lui, a laissé gravats et ressentiments, mais aussi l’impression d’un nouveau rapport de forces, moins favorable au « Pays légal » et à sa République cinquième… 

    Ces événements, inattendus et largement inédits, ne peuvent laisser indifférent : s’il y a eu cette « grande peur des bien-pensants » qu’évoquait déjà le royaliste Bernanos en son temps et qui a parcouru les élites mondialisées et une part des bourgeoisies urbaines bousculées en leurs centres-villes par des foules de jaune vêtues, il y aussi eu des « moments d’espérance », parfois cachés par des violences (émeutières comme répressives) dont certaines étaient tout aussi inacceptables que le mépris des dominants à l’égard des Gilets jaunes et de leurs revendications, voire de leur être même. La convivialité observée sur les fameux ronds-points, le retour de solidarités anciennes que l’on croyait disparues, la joie de se retrouver comme communauté de destin malgré des situations fort différentes… Tout cela ne peut être négligé, et constitue déjà des milliers de souvenirs et d’histoires particulières qui s’entremêlent et s’embellissent parfois, sources d’une nouvelle mémoire populaire et, pour demain, d’une histoire qui ne sera pas la seule propriété des historiens. 

    1929471531.jpgDe cela, surgit aussi une espérance passionnée, celle d’un changement, d’une rupture avec ce monde, cette mondialisation sans entraves ni racines, cette bétonisation des vies et des imaginaires, et d’une nouvelle prospérité, qui n’est pas forcément celle d’une croissance démesurée ou simplement économique. Est-elle réductible à l’espérance raisonnable, celle d’une amélioration du pouvoir d’achat compatible avec les règles économiques qui régentent notre pays et le monde contemporain ? Non, évidemment non, car « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », comme le clamait un slogan royaliste de la fin des années 1980 évoqué dans la publication d’alors des lycéens d’Action Française, Insurrection, titre provocateur pour une revue aux plumes alors prometteuses que l’on retrouve désormais dans quelques grands journaux d’aujourd’hui… Toute espérance dépasse la simple raison, autant raisonnement que sagesse : elle constitue une sorte d’au-delà des possibilités mais elle motive l’action et la réflexion, pour « rendre possible ce qui est nécessaire (ou ce qui est souhaitable »), et doit éviter l’hubris (la démesure), toujours dangereuse et perturbatrice. Ce sera sans doute l’enjeu des prochains mois, de la prochaine « saison » des Gilets jaunes ou de leurs successeurs. Il s’est levé, en ces temps incertains, une espérance qui, d’inquiète, est devenue vive, active, réactive… Il faut souhaiter qu’elle ne devienne pas cyclone destructeur mais qu’elle soit porteuse du meilleur possible pour notre pays et nos compatriotes, mais aussi pour ceux qui regardent la France avec amour ou simple curiosité. Bien évidemment, rien n’est sûr, mais le pire encore moins si les royalistes et les hommes de bonne volonté savent donner à l’espérance des formes heureuses et vigoureuses tout à la fois. 

    En tournant mes regards vers la crèche de cette veille de Noël, je discerne les visages des santons comme ceux des spectateurs du moment : tous semblent attendre, dans une sorte de patience tranquille… Croyants et incroyants, réunis dans l’espérance. L’espérance universelle de Noël, et particulière d’un Noël pour la France… ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Résurgence du Pays Réel, effondrement du Pays Légal ...

     

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    On l'a dit - en reprenant la vieille dialectique maurrassienne : les événements que nous venons de vivre et sans-doute encore ceux qui vont suivre, peuvent s'analyser comme une résurgence du Pays Réel que l'on croyait anéanti à tort, et, sous ses coups de boutoirs, comme un effondrement parallèle du Pays Légal, élargi à toutes les composantes du Système, aujourd'hui décréditées dans leur globalité à un point, semble-il, irréversible. 

    Certes, la cible principale de la révolte c'est Emmanuel Macron et, bizarrement, comme si nous étions encore en monarchie, c'est aussi son épouse Brigitte, objet de railleries et d’insultes de tous types. Il faut, pour s'en rendre compte, avoir entendu sur le vif les cris de la rue. D’aucuns se sont rappelé que, comme les Anglais et les Russes, les Français sont au propre ou au figuré un peuple régicide... Mais les sondages montrent aussi la déconfiture généralisée des partis - hormis, il est vrai, celui de Marine Le Pen. Les grands partis traditionnels sont tous autour de 10%, voire très au-dessous. Et les syndicats, donc ! Chaque fois qu'ils ont voulu entrer dans le jeu, ils ont été récusés, toute représentativité leur étant à juste titre déniée. Ils ne font plus illusion. Il n'y a plus vraiment d'organisations ouvrières. Il en est de même des parlementaires. Les nostalgiques doivent s'y faire : le  parlementarisme classique, façon XIXe ou XXe siècle, n'est plus du tout au goût du jour. C'est un archaïsme. Les journalistes, universellement décriés, n'ont pas meilleure presse... Méfiance générale à leur endroit. Finalement, ce n'est qu'avec les forces de l'ordre que, paradoxalement, les manifestants de ces derniers samedis ont eu des moments de fraternisation ... 

    Que peut donner une révolte populaire de type spontanéiste, sans commune substance, sauf ce qu'il lui reste d'enracinement, sans organisation, sans hiérarchie, sans conscience claire des conditions et des limites du raisonnable et du possible ? C'est une autre question. Elle est principale. 

    Qu'il existe toujours un peuple français enraciné, capable de « faire société »,  au moins sous forme embryonnaire, et doué d'une faculté de réaction non-négligeable, au point de faire reculer, tanguer, capituler un État puissant mais sans légitimité vraie, est une bonne nouvelle. 

    2432677-la-gauche-francaise-pionniere-de-la-deregulation-financiere.jpgSera-ce au point d'avoir réellement contraint - persuasion ou simple rapport de force - le président de la République à un renversement durable et complet de politique – assimilé à celui opéré par Mitterrand en 1983 -  comme le croit Éric Zemmour ? A ce dernier l'on ne peut dénier expérience, culture et flair politiques. On doute toutefois un peu lorsqu'il écrit : « Macron ne jurait que par l'Europe et le libéralisme. Depuis lundi, il s'est rabattu toute honte bue sur le national et le social.  C'est la grande victoire des gilets jaunes et de cette France périphérique qui avait été jusque-là sacrifiée à la mondialisation. C'est la grande défaite des élites qui avaient hissé Emmanuel Macron sur le pavois » Et encore : « il a été obligé de baiser la babouche de ces Gaulois réfractaires qu'il méprisait et de jeter ses armes au pied de son vainqueur. Son quinquennat est fini. En tout cas celui qu'il avait débuté triomphalement en mai 2017. » Les semaines qui viennent confirmeront-elles ou non cette analyse ? En tout cas, il est clair que ces derniers jours, le pouvoir s'en est constamment tenu aux reculades, à la repentance, aux excuses, aux concessions, aux regrets assortis d'une distribution d'espèces sonnantes et trébuchantes. En réponse aux contestataires et aux émeutiers, « Vous avez raison » a été le maître-mot du Chef de l'État et de ses ministres. En ont-ils eu réellement peur ? C'est bien possible.  

    Le mouvement contestataire vient de très loin et de très profond même s'il est fait d'un peu n'importe quoi et s'il ne repose sur aucune intelligence politique structurée. Est-il fait pour durer, s'amplifier, se métamorphoser ? Nous le verrons. Dans une chronique alarmiste sur Europe 1, Jean-Michel Apathie, pour une fois lucide, a montré en tremblant comment l'État ne tient plus qu'à un fil. "Et ce fil, c'est la police". Elle-même en colère et susceptible de retournement. Dans un entretien de haute volée avec Mathieu Bock-Côté, Alain Finkielkraut signale de son côté que le gouvernement français craint un embrasement des banlieues ! 

    XVM5b1b42c6-fcc1-11e8-b5a2-b44637c34deb - Copie.jpgEmmanuel Todd, enfin, avance une analyse fine, subtile et profonde, à l'encontre d'Emmanuel Macron : son image hier charismatique et forte, s'est transmuée en celle d'un enfant. C’est désormais sous les traits d’un enfant que les Français l’envisagent. L'autorité ayant toujours plus ou moins la figure du père, Emmanuel Macron en a perdu l'apparence et sans doute la réalité. Irrémédiable déchéance ! Décidément, la coupe est pleine. De quoi demain sera-t-il fait ? Mais, en tout temps, les « remises en cause » sont suivies d’une remise en ordre. 

    Vers quel type de remise en ordre, au bout du compte, cela peut-il conduire ? C'est, pour l'instant, la grande inconnue. Les nécessités françaises oscillent entre ces deux impératifs. Un peuple et un Etat. 

    Il n'y aurait plus de nation française sans un Pays Réel minimum. Mais pas de France non plus sans ordre politique et social, sans autorité reconnue, sans un État rétabli, sans une action politique volontariste et nationale,  en bref, sans une incarnation agissante du Bien Commun. 

    Sans-doute, dans cet esprit, comme de nombreux Français le pensent, une période « autoritaire » transitoire de reconstruction du pays serait-elle nécessaire pour affronter la situation présente. A terme, le recours au Prince, le retour au principe dynastique,  demeure la  solution optimale.  ■ 

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    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Y a-t-il quelqu’un ?

    Par Hilaire de Crémiers 

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    Le désarroi est tel que le principe d’obéissance civique n’est plus ressenti comme tel. 

    Analyse. Le mouvement des Gilets jaunes est révélateur d’une crise profonde, telle que, si elle n’est pas résolue, l’abîme qui s’est ouvert entre le peuple français et ses dirigeants engloutira non seulement la Ve République mais la nation elle-même. 

    Les discours, les interventions de quelque ordre qu’elles soient, d’Emmanuel Macron – et de ses ministres – n’y feront plus rien.

    Il a trop tardé sans rien comprendre de ce qui se passait. La situation irrémédiablement dégradée, ne fera qu’empirer. Il ne s’agit plus au sommet de l’État que de parer au plus pressé, au mieux de colmater des brèches ; les décisions, prises dans l’urgence et à plus ou moins court terme, ne peuvent changer fondamentalement l’état des choses. Il y a désormais quelque chose de ridicule et d’inadapté dans la parole officielle. Les quelques mesures effectives pour aujourd’hui – en particulier la suppression déclarée comme définitive des taxes dites écologiques sur les produits pétroliers – en ont pris, en raison même de la tournure des évènements, l’allure de reculades simplement tactiques. C’est trop tard ! Pour compenser, il faudra grappiller des milliards, mais comment ? Les finances de la France sont maintenant déséquilibrées au risque du pire. Bruxelles ne manque pas de rappeler à l’ordre Macron !

    Plus rien n’y fait

    x1080-HR2.jpgL’affichage de promesses pour demain, présentées comme de nouvelles orientations stratégiques en vue d’une solution globale, telles que Macron les a énoncées dans son discours du 10 décembre, n’a plus aucun effet sur une opinion publique lassée autant qu’irritée d’une parole politicienne qui n’est plus en lien avec l’intérêt national ni la vie populaire. 100 euros d’augmentation sur le smic, exonération des heures sup, appel à la générosité des employeurs pour des primes de fin d’année, annulation des hausses de CSG pour les petits retraités, voilà à quoi se résume le plan d’urgence sociale décrété par le chef de l’État. Soit 10 milliards à trouver, et où ? Pour des satisfactions que la plupart des gens jugeront insuffisantes. Le problème n’est pas là. Le président de la République l’a senti lui-même puisqu’il s’est cru obligé à une déclaration d’amour envers la France et les Français et qu’il s’est confessé d’y avoir manqué : ce qui est une évidence. Quand donc le chef de l’État parlera-t-il de la France aux Français ? De la France d’abord, qu’il doit rendre libre et prospère ! Les sous devraient venir après et ce n’est pas à lui à débiter d’un ton contrit et apitoyé ses listes de mesurettes.

    L’engagement de l’autorité politique, alors même qu’elle s’arroge un magistère universel, aussi bien technique que moral, en charge tant du savoir social que du bien collectif, appuyé de tout un appareil d’explications à prétention pédagogique, apparaît de plus en plus comme une usurpation de commandement dont la légitimité est radicalement contestée ; et cette violente protestation qui frappe en premier la figure même du chef de l’État, atteint à travers sa personne l’État lui-même, ses services et tout ce qui relève, de près ou de loin, de la puissance publique. Le peuple en a assez d’être sous-payé et de devoir payer les inepties des politiques d’une classe dirigeante qui ne sait pas diriger. C’est très simple à dire et à comprendre. Les grandes consultations annoncées ne seront une fois encore que du verbiage !

    Les appels réitérés et pathétiques à une sincère et compréhensive écoute réciproque ne sont plus guère entendus et compris que comme des appâts pour mieux prendre au piège la bonne volonté des Français. Ce qui n’a été, de fait, que trop souvent le cas. Telles sont les raisons de la colère – les Raisins de la colère, comme titrait Steinbeck – et, malgré la panique qu’on cherche à créer, cette colère est populairement partagée.

    Les récupérations politiques ne sont pas significatives. Ça va au-delà ! Au tréfonds, il y a une réalité nationale qui exprime avec une force désespérée sa volonté de vivre. Et c’est ça qui fait peur aux tenants du cosmopolitisme qui tiennent les rênes du pays.

    Une récusation générale

    Les retournements, les aménagements envisagés de dispositifs politiques, économiques, fiscaux, légaux, administratifs, policiers, voire judiciaires, au prétexte de rebâtir une maison commune et dans le souci d’atténuer la révolte populaire, mais en réalité pour mieux la brider, vont fournir dorénavant, en raison des circonstances et à chaque occasion, la matière à d’autres exaspérations ; elles entraîneront, par conséquent, d’autres débordements, imprévisibles, d’un corps électoral exacerbé, divisé, tiraillé, méprisé et, en outre, gangrené depuis trop longtemps par des ennemis intérieurs que la République complice a laissé envahir tous les pourtours de la vie sociale. Quelque idée, quelque action proposée que ce soit servira, de tous les côtés, à des argumentaires de récusation générale ; on supplie le chef de l’État de parler et, dès qu’il parle, ses propos enflamment la rébellion. Des logiques contradictoires aboutissent au même résultat de dislocation de ce qui reste de l’union nationale ; elles alimentent de griefs supplémentaires les réquisitoires de chacun et de tous contre un régime accusé de mensonge, de spoliation, de prévarication, d’iniquité et d’abus de pouvoir : redoutable convergence des luttes, absurde en elle-même, mais fatale au bout du compte, faute pour le pouvoir en place d’avoir su incarner l’intérêt éminent de la nation souveraine, d’avoir manifesté son souci primordial de la France et des Français, ses compatriotes. D’abord ! Ainsi signer à Marrakech sous le couvert de l’ONU le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » qui n’est que l’approbation et l’organisation juridiques de l’immigration de masse, relève du crime contre la patrie, surtout dans les circonstances actuelles. Il n’y a rien à faire : Macron a beau dire, il ignore la France ; malgré ses dernières protestations, il n’aime pas la France historique et souveraine. Il l’a dit et cent fois répété : il ne croit que dans l’Europe, celle de ses plans et de ses rêves, et dans la solution globale d’un monde unifié et multilatéral. Alors, ce qu’il raconte aux Français n’est que pour les jouer. À force, lesdits Français s’en rendent compte.

    Cependant le procès ainsi intenté est sans issue, chacun ayant son point de vue, et l’État étant lui-même la principale partie en cause, sans qu’aucun acte de justice supérieure n’en émane expressément : il est l’accusé ; comment pourrait-il être juge dans cette affaire ? C’est une très grave question où se sont engloutis bien des régimes. C’est le problème de Macron aujourd’hui. Ce fut jadis celui d’un Louis XVI ou d’un Nicolas II. Le mécanisme est infernal. La nécessité vitale de l’ordre public, rappelée par lui, risque d’en perdre son caractère obligatoire ; son injonction, jusqu’ici impérative, ne pourra se contenter d’un rappel péremptoire : préfets, maires, responsables publics en savent déjà quelque chose. Comme en 1789 la Grande Peur ! Entretenue, d’ailleurs. Peut-être de même aujourd’hui ? Que faire ? La question peut devenir de plus en plus dramatique.

    Le désarroi est tel que le principe d’obéissance civique n’est plus ressenti comme tel. Au mieux, il est admis comme une résignation impuissante devant la brutalité de la vie ; au pire, il est subi comme l’injuste tribut dû à un contrat social dénaturé. Les professions, du camionneur à l’agriculteur, les familles, tous les pauvres gens, les retraités se sentent trahis et délaissés.

    La situation est telle qu’il n’est plus loisible à la puissance publique d’exercer ses prérogatives, sans être aussitôt taxée d’un vouloir pervers d’appropriation et de récupération du pouvoir. Entraîné dans un tel processus d’autodestruction, il n’est plus possible à l’État ni aux dépositaires des plus hautes fonctions publiques d’élaborer et d’assumer une bonne décision. Toutes les décisions, quelles qu’elles soient, du simple fait que ce sont des décisions, deviennent comme nécessairement mauvaises, soit en elles-mêmes, soit en raison de leurs conséquences ; et, comme l’absence de décision est encore pire, l’homme politique est mis au rouet. Un Taine, un Gaxotte, un Furet, un Soljénitsyne ont admirablement démonté la terrible machinerie politique qui jadis a broyé nos sociétés civilisées. Macron en sait-il quelque chose, bien qu’il prétende avoir lu Ricœur ?

    macron-tchad-f8c647-0@1x.jpgComment restaurer la paix civile, comment calmer les esprits ? N’y suffiront pas les mots de démagogie facile, les homélies sur le retour au bon sens, les apparences de fermeté mais toujours à sens unique où une ultra-droite, plus ou moins fantasmée, est censée équivaloir une ultra-gauche et des bandes de voyous organisées et fort bien repérées. Les annonces d’ouverture pour les gentils parmi les Gilets jaunes – autrement dit, ceux qui sont considérés comme pas très malins dans leur bonne foi – et qui doivent en contrepartie, bien sûr, s’assagir, supposeraient de toute façon de pouvoir disposer d’une souveraineté, politique et budgétaire, telle que l’a revendiquée l’Angleterre ou comme la réclame précisément l’Italie tellement vilipendée. De Gaulle et Pompidou en 1968 savaient qu’après les accords de Grenelle ils pourraient disposer de la monnaie nationale et jouer d’un budget à leur convenance. Macron n’est maître ni de l’euro ni des directions de Bruxelles. Le regrette-t-il ? Trump, Poutine, Erdogan, Salvini et tutti quanti rient de ses mésaventures plus ou moins méchamment. Comprend-il la leçon ?

    En réalité, la France est malade d’un mal trop profond qui atteint jusqu’à la racine de l’être français dans sa permanence que Macron nie, ce qu’on appelle justement son identité. L’exhortation à la vigilance républicaine, au motif que la République est notre bien à tous, n’a plus que la valeur momentanée d’un cri de détresse d’une classe politique déconsidérée. Une sorte d’appel de la Veuve ! Et, d’ailleurs, comme les lycéens et les étudiants, formés à l’idéal démocratique révolutionnaire si à la mode chez nous et qui est la doxa de l’Éducation, se mettent à entrer dans la danse, la caution de gauche qui couvre l’appareil d’État, peut être rapidement remise en cause. Il est des logiques imparables.

    Souverain d’abord

    Tout dans la tragédie actuelle se ramène à une question de souveraineté. Quand Louis XVI a donné le simple sentiment qu’il abandonnait une partie de sa souveraineté aux états généraux, il avait perdu la partie. Les factions l’ont emporté, les partis, les clubs, les rhéteurs, les ambitions forcenées ; et la France s’est entredéchirée pour son plus grand malheur. L’ordre est revenu avec une autorité souveraine nationale qui fit en partie les réformes que la monarchie avait préparées : le code Napoléon, pour tout juriste qui a tant soit peu étudié, devrait techniquement s’appeler le code Louis XV, sauf évidemment pour sa philosophie révolutionnaire. Mais le despotisme n’est pas la monarchie : sa propre logique de recherche permanente de légitimité l’entraîne toujours à sa perte. Qui l’a mieux expliqué que Bainville ?

    À défaut d’avoir un vrai roi, il faudrait à la France une autorité nationale forte qui saurait écouter le besoin d’ordre et de justice qui soulève la nation. C’est le fond de la question qu’on essaye de cacher. Le problème de Macron n’est pas qu’il joue au roi, c’est qu’il est un faux roi. Et qui se prive lui-même par idéologie de sa souveraineté ; il n’est plus qu’un autocrate dont la légitimité s’effondre. Au mieux, un petit despote qui a cru tout changer par la seule vertu de sa personne. Il est tout à fait vrai que les événements révèlent une crise gouvernementale gravissime en même temps qu’une incapacité institutionnelle, en dépit des prétentions du parti macronien, de la démocratie dite représentative, de justement représenter les Français dans leur intérêts et leurs territoires. Ce n’est pas la première fois qu’un tel constat est établi dans ces colonnes. Les meilleurs esprits le partagent parfaitement. La France n’est ni gouvernée ni représentée en tant que telle, c’est-à-dire en tant que France. La Ve République se heurte à cette difficulté majeure.

    Le chef de l’État, qui sait bien ce que c’est que l’absence de roi – il l’a avoué –, comme tous ses prédécesseurs, d’ailleurs, a tout reporté et remis, dans la ligne de sa formation et de sa pensée, à une utopie de souveraineté européenne et mondialisée qui l’empêche de considérer la question d’aujourd’hui dans sa réalité concrète, très proprement française. Il semble dire le contraire maintenant, mais comment pourrait-il revenir sur ses discours délirants de la Sorbonne et de Davos, effarants de crédulité narcissique ? Et de stupidité morale ! À quoi sert de plaire toujours aux mêmes, qu’ils s’appellent Attali, Moscovici, Minc ou Niel ou Soros ou Juncker… ?

    Oui ou non, est-il le chef de l’État français ? Et pendant qu’il cherche vainement une issue dans les nuage de sa gnose, son Castaner, à l’imitation de son Benalla, se met à jouer les durs en poursuivant non pas les casseurs et les voyous, mais les Français qu’il tente d’assimiler à la pègre qui, elle, prospère et détruit en toute impunité, par une exploitation éhontée de la chienlit. On a les Fouché, les Morny, les Persigny, les Foccart que l’on peut. Castaner, à la Maison du Roi, à Beauvau, au milieu des fleurs de lys, il fallait le faire ! Heureusement la France a encore des forces de l’ordre, des fonctionnaires, des préfets, des militaires de haute qualité. Elle en a toujours eu et c’est ainsi qu’elle a tenu sous tous les régimes. Mais comment travailler dans de telles conditions ? La crise est d’abord politique.

    Y a-t-il quelqu’un ?  ■ 

    PS. Et quoi que disent à court terme les sondages, rendez-vous pour commencer aux Européennes…  

    Hilaire de Crémiers

  • Société & Institutions • RIC : l’opinion d’Eric Zemmour

     

    Sur RTL, Éric Zemmour évoque pour la première fois le référendum d’initiative citoyenne. Et comme toujours, il va à l'essentiel. Sans craindre de se livrer à une contestation radicale du Système. Une remise en cause des lois emblématiques que ce dernier a imposées aux Français. Passionnant !  LFAR

     

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  • Apathie : Aujourd'hui, la police est le dernier rempart de la République ! l'État tient à un fil : ce fil, c'est la police !

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgEXCEPTIONNEL - La chose est fort rare mais, ici, Jean-Michel Aphatie parle d'or. Il faut regarder, écouter, cette vidéo alarmiste qui a sans-doute un grand fond de vérité. Vérité terrible, dit Apathie, pour une République dont l'État vacille comme dans les temps de grande crise. Sommes-nous assez conscients de la gravité de la situation ? A regarder absolument. LFAR

     

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  • Du rond-point au vaste monde

    par Gérard Leclerc 

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    Il paraît, selon l’historien Pierre Vermeren, que la France compte plus de 30 000 ronds-points, soit la moitié des giratoires du monde.

    Il y a donc quelque logique dans le fait que l’attention se soit portée, plus d’un mois durant, sur ces lieux qui quadrillent notre territoire national et sont souvent d’une remarquable laideur. Que les gilets jaunes en aient fait des exemples de convivialité constitue un paradoxe bien intéressant. La France des territoires n’est pas seulement révoltée, elle a besoin de reconstituer un véritable tissu de solidarité pour contrer un processus de dissociation et de désintégration qui va de pair avec la disparition des activités locales et la grande misère de notre agriculture.

    Une question se pose à partir de ce constat. Ce qui relève du local, du territorial, est-il en relation avec le mondial et ce qu’on appelle la mondialisation ? C’est le constat de Christophe Guilluy, dont nous avons souvent cité les travaux. La France périphérique, comme d’ailleurs l’Angleterre périphérique et même les États-Unis périphériques, est la grande perdante de la mondialisation, dont certains chantaient pourtant inconditionnellement les louanges à la fin du XXe siècle. Une concentration des richesses s’est produite dans les métropoles, au détriment des régions de plus en plus déshéritées. Un seul chiffre significatif : une douzaine de métropoles françaises rassemblent près de 46 % des emplois, dont 22 % pour la seule aire urbaine de Paris.

    Est-ce une tendance inéluctable, juste propre à susciter des révoltes désespérées qui risquent de très mal tourner ? Ou est-il possible de remettre en question le fonctionnement de la mondialisation avec ses postulats incontournables : l’ouverture inconditionnelle des frontières, la circulation des capitaux et la spéculation qui s’en suit ? Interrogé par La Croix, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, n’hésite pas à déclarer : « Nous avons à remettre en cause un certain nombre de dogmes du capitalisme mondial. » La liberté totale du commerce international serait à revoir, même si elle bénéficie à certains consommateurs, eu égard à son lourd coût social. Très bien ! Mais l’avis d’un expert sage et lucide peut-il quelque chose contre le train du monde de la mondialisation ?  ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 décembre 2018