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Idées, débats... - Page 455

  • Merveilleux Maurras ! Que disait-il de la Grande Mosquée de Paris lorsqu'elle fut construite ?

     

    3578948983.jpgOn sait que la décision de construire la Mosquée de Paris, première mosquée construite en France métropolitaine, fut prise après la Première Guerre mondiale pour rendre hommage aux dizaines de milliers de morts de confession musulmane ayant combattu pour la France. Et manifester aux survivants la reconnaissance de leur sacrifice par le pays.

    Qu'en a dit Charles Maurras le 13 juillet 1926, lors de son inauguration ? Pas un mot contre l'idée même de rendre un hommage mérité, aux combattants musulmans de la Grande Guerre. A leur propos il parle des « nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ». Il n'y a pas chez Maurras de haine raciale. Ni de haine religieuse : il ne juge pas de l'Islam en soi. Mais il sait l'antagonisme des religions et des civilisations. Et sa culture historique autant que son jugement et son intuition politique l'amènent à pressentir et signaler un danger pour la France. Presque nul, alors. Présent et menaçant aujourd'hui sur notre sol même. Maurras ne dénonce pas l'hommage rendu aux combattants, ne critique même pas le fait de construire une mosquée à Paris. Avec mesure il écrit : « Nous venons de commettre le crime d’excès ». Son texte explicite en quoi consiste cet excès. Suit le pressentiment d'une menace : la crainte que nous ayons à payer un jour notre imprudence, en ce sens criminelle ; le souhait (Fasse le Ciel !) que les musulmans bénéficiaires de notre générosité « ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse. » Et nous y sommes.  LFAR         

     

    capture-d_c3a9cran-2015-08-11-c3a0-21-12-31.png« Mais s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on puisse en douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où tous les plus grands docteurs de la chrétienté enseignèrent contre l’Islam représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir... Nous venons de commettre le crime d’excès. Fasse le ciel que nous n’ayons pas à le payer avant peu et que les nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse. »

    Charles Maurras le 13 juillet 1926

  • Sur les chemins de chez nous

     

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    Peu importe qui il est. Désireux d’accomplir la promesse qu’il s’était faite sur son lit d’hôpital (« si je m’en sors, je traverse la France à pied »), un jour, il s’est mis en marche. Pas façon Macron, façon chemineau, comme un personnage de Giono. A pied donc, de Tende à La Hague, une belle diagonale du Mercantour au Cotentin, du 24 août au 8 novembre 2015, en empruntant au maximum les chemins les plus improbables, les plus délaissés, les plus retirés de la vraie France profonde. En est résulté un petit livre qui, en contrepoint du récit de cette pérégrination, propose une véritable réflexion sur la France d’aujourd’hui.

     

    Fuyant le « clignotement des villes » et méprisant les « sommations de l’époque » (en anglais, comme il se doit à l’ère de la globalisation : « Enjoy ! Take care ! Be safe ! Be connected ! »), le voyageur met en pratique une stratégie de « l’évitement ». Eviter quoi ? Ce qu’il appelle « le dispositif ». D’abord visible à l’œil nu : c’est la France des agglomérations telle que l’ont voulue les « équarrisseurs du vieil espace français », ZAC et ZUP des années soixante ayant enfanté les interminables zones pavillonnaires et les hideuses zones commerciales. Laideur partout.

     

    XVM344ffd0c-80af-11e6-8335-81b4993a1518-805x453.jpgCe réquisitoire implacable contre le saccage du territoire rejoint la dénonciation de la mondialisation, cette « foire mondiale » qui ruine un terroir « cultivé pendant deux mille ans ». Aux « temps immobiles » a succédé un « âge du flux » dont le « catéchisme » (« diversité », « échange », « communication ») est véhiculé par l’arrivée d’internet et la connexion généralisée. Temps immobiles : une nuit passée au monastère de Ganagobie (« Les hommes en noir […] tenaient bon dans le cours du fleuve. En bas, dans la vallée, les modernes trépidaient ») ; ou la vision du Mont-Saint-Michel (« C’était le mont des quatre éléments. A l’eau, à l’air et à la terre s’ajoutait le feu de ceux qui avaient la foi »).

     

    Faisant sienne la vision de Braudel selon laquelle la France procède d’un « extravagant morcellement » humain et paysager, l’auteur dénonce ensuite le « droit d’inventaire » que s’arrogent  « les gouvernants contemporains », notamment « les admirateurs de Robespierre » qui,  favorables à « une extension radicale de la laïcité », veulent « la disparition des crèches de Noël dans les espaces publics » (et pourquoi pas des milliers de calvaires ?) pour les remplacer par … rien du tout, le néant, la mort.

     

    Ce n’est certes pas un livre de propagande, ni un bréviaire idéologique mais bien l’œuvre d’un loup solitaire. Un livre qui peut sembler défaitiste, voire nihiliste (« je me fous de l’avenir »), au mieux nostalgique. Voir dans l’auteur un énième avatar du « bon sauvage » serait pourtant bien réducteur. On l’imagine mieux prêt à « chouanner » (selon le mot de Barbey qu’il rapporte lui-même). C’est sans doute là sa véritable portée : « Sur les Chemins noirs » de Sylvain Tesson est l’œuvre d’un antimoderne de bonne race qui nous aide à retrouver le chemin de chez nous. 

     

    Sur les chemins noirs. Sylvain Tesson, Gallimard, 144 p., 15 €

     

  • Traditions • Ranimer l’esprit de Noël

     

    par Anne Bernet

     

    938307326.pngNoël se prépare et pas uniquement en décorant le sapin ou en dressant des listes de cadeaux. L’Église le sait qui donne quatre semaines à ses fidèles pour se disposer à la venue parmi nous de l’Enfant divin. Voici des ouvrages susceptibles d’aider les petits à entrer dans le mystère de la Nativité.

    Trouver en librairie un véritable calendrier de l’Avent catholique s’avère de plus en plus difficile. En voici un qui, même s’il n’est pas tout à fait conforme aux traditions, car les enfants n’auront pas la joie d’ouvrir chaque matin la mystérieuse petite fenêtre, a cependant de nombreuses qualités.

    Et d’abord celle d’être interactif : les petits devront, chaque jour, en colorier une partie afin que l’affiche soit entièrement enluminée au matin de Noël. Ils devront aussi l’enrichir des sacrifices quotidiens qu’ils déposeront au pied de la crèche, sacrifices suggérés avec intelligence : mettre la table, se priver de jeux vidéos, penser aux autres, prier, ne pas se mettre en colère, etc.

    Le Père Constantieux, chaque semaine, propose une « nourriture spirituelle » qui éclaire les mystères de la Nativité, invitant petits, et grands, à s’en pénétrer. Catherine de Lasa complète cet ensemble réussi par un très joli conte de Noël, racontant comment le sapin, vilain arbre qui pique, fut préféré à tous les végétaux par les anges pour honorer l’Enfant Dieu. À recommander à toutes les familles.

    Très recommandable aussi le joli album d’Arnaud de Cacqueray qui s’est fait une spécialité du thème de Noël, La femme au berceau.
    Voilà plus de deux mille ans, à Bethléem, un menuisier fabriqua à l’intention de sa jeune épouse le beau berceau en forme de nacelle où il comptait bientôt voir dormir leurs nombreux enfants.

    Mais le temps passa et le couple demeura stérile. À la longue, il admit qu’il n’engendrerait jamais. Aussi, lorsqu’une nuit de décembre, un Enfant naquit dans une étable de leur village, la femme inféconde décida d’offrir au Nouveau Né le beau berceau qui ne servait à rien. En échange de ce présent, la Mère lui promit qu’elle aussi, bientôt, enfanterait un fils promis à un très grand destin.

    On ne demande pas aux jolis contes d’être historiquement fiables. L’on sait bien que les parents de saint Pierre n’étaient pas de Bethléem et qu’ils avaient une nombreuse progéniture mais qu’importe ! Telle quelle, l’histoire, bien illustrée par les Dominicaines enseignantes de Fanjeaux, est charmante et, comme souvent avec les albums pour enfants d’Arnaud de Cacqueray, elle initie les petits à des questions graves resituées dans une optique chrétienne.

    Il faut bien le dire, en dépit de ses réelles qualités, Le renard de Bethléem de Nick Butterworth et Mick Inkpen ne possède pas la même portée spirituelle.

    Alors qu’il allait enlever un agneau dans les pâtures proches de Bethléem par une douce nuit d’hiver, un jeune renard affamé est le témoin effaré de l’apparition « d’hommes de lumière » venus annoncer aux bergers la naissance d’un roi. Curieux, l’animal décide d’aller voir, lui aussi.

    Il verra un Enfant nouveau-né, percevra la grâce de cette heure, avant de retourner traquer ses proies, car la faim est toujours là …
    Qui est cet Enfant ? En quoi sa venue va-t-elle changer la face du monde ? Les auteurs américains ne le disent pas, mais il est vrai que ces choses dépassent l’entendement d’un renard …

    Comme souvent, si les animaux sont représentés avec délicatesse, les humains, la Sainte Famille, les anges, sont, avec leurs traits vulgaires et leur gros nez, d’une affligeante laideur.

    Il n’est pas interdit de faire participer les petits à la fabrication des décorations. S’inspirant des traditions scandinaves, Hélène Leroux-Hugon et Juliette Vicart vous proposent un Noël en rouge.

    Si vous en avez assez de payer trop cher des pacotilles importées de Chine et si vous possédez un minimum de talent pour le bricolage ou la couture, vous apprendrez à réaliser sapin de lumière, photophores, lumignons, « triptyque des rois mages », cœurs décoratifs, guirlandes, coussinets, couronne de sapin, suspension ou boules de Noël. C’est de bon goût, relativement facile à exécuter. Y manque seulement, hélas, la dimension religieuse occultée par notre société consumériste pour qui Noël semble devenue l’occasion de s’autocélébrer …  

    [1] Catherine de Lasa, Père Marc Constantieux, illustration dAnne-Charlotte Larroque : Mon calendrier de lAvent à colorier . Téqui ; 5,90 €.

    [2] Via romana ; 28 p ; 12 €.

    [3 Salvator, 26 p, 12 €.

    [4] Pour un Noël en rouge ; Ouest-France, 46 p, 4,90 €.

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  • Histoire & Civilisation • Le « peuple-roi » est nu, les Français déshabillés ?

    Exécution de Louis XVI : Gravure allemande de 1793

     

    par Dominique Struyve*

    Causerie faite le 30 novembre 2016 au Café Histoire de Toulon. Une réflexion originale - du moins pour la plupart d'entre nous - remarquable et profonde et qui rejoint in fine notre actualité la plus immédiate et la plus angoissante.   LFAR

     

    Cafe Histoire de Toulon 9 Dominique  Struyve 2.jpgLe « peuple-roi » [1] est nu, les Français déshabillés

    Pour vous donner l’illusion de causer avec vous, je vous ferai entendre la voix de la « France, mère des arts, des armes et des lois » [2] , la voix des poètes, juristes et théologiens qui ont animé son corps tout entier. Leur voix éveillera en vous de nombreuses images contemporaines, votre réponse !

    Madame, je serois ou du plomb ou du bois,
    Si moy que la nature a fait naistre François
    Aux siecles advenir je ne contois la peine,
    Et l ’extreme malheur dont nostre Fran ce est pleine.
    Je veux maugré les ans au monde publier,
    D’une plume de fer sur un papier d’acier,
    Que ses propres enfans l ’ont prise & devestue,
    Et jusques à la mort vilainement batue.
    Elle semble au marchant helas! qui par malheur
    En faisant son chemin rencontre le volleur,
    Qui contre l ’estomacq luy tend la main armee
    D’avarice cruelle & de sang affamee:
    Il n’est pas seulement content de luy piller
    La bource & le cheval, il le fait despouiller,
    Le bat & le tourmente, & d’une dague essaye
    De luy chasser du corps l ’ame par une playe:
    Puis en le voyant mort il se rit de ses coups,
    Et le laisse manger aux matins & aux loups.
    Si est-ce qu’à la fin la divine puissance
    Court apres le meurtrier, & en prend la vengeance,
    Et dessus une rouë (apres mille travaux)
    Sert aux hommes d’exemple, & de proye aux corbeaux.
    Mais ces nouveaux Tyrans qui la France ont pillee,
    Vollee, assassinee, à force despouillee,
    Et de cent mille coups le corps luy ont batu, 
    (Comme si brigandage estoit une vertu)
    Vivent sans chastiment, & à les ouir dire,
    C’est Dieu qui les conduit, & ne s’en font que rire

    Bien qu’il s’adresse à Catherine de Médicis, en 1562, Ronsard nous émeut profondément dans la Continuation du discours des misères de ce temps. La polémique qui l’oppose aux protestants lui inspire une allégorie tragique, celle de la France « dévêtue », « à force dépouillée », extrêmement proche des images qui nous hantent tous. Aujourd’hui, en effet, le « peuple-roi » est nu, les Français déshabillés.

    Comment rendre aux Français leur habit politique ? Comment faire en sorte qu’ils recouvrent leur force ? 

    J’expliquerai, d’abord, la métaphore de l’habit et vous ferai entendre la voix d’un théologien. Nous étudierons, ensuite, comment remédier aux déchirements de l’habit politique, grâce au droit, et nous écouterons la voix d’un juriste nîmois. Nous découvrirons, enfin, comment remédier à l’arrachement de notre habit politique, par la pratique d’une méthode, et nous laisserons résonner la voix d’un poète provençal.

    Les origines morales de l’habit politique

    Quand il conseille Charles IX, âgé de douze ans, le prince des poètes reprend la métaphore de l’habit dans une maxime qui achève sa conception de « l’âme royale » : L’habillement des rois est la seule vertu [3].

    Dans le miroir du prince, Ronsard transmet au souverain l’éthique de Saint Thomas d’Aquin dont la vision de l’homme est essentiellement dynamique, comme le prouve l’emploi constant de potestas, vis, virtus, dynamis. Vertu, en particulier, signifie force. Comment revêtir son âme de force ? Par un habit ! L’habit, « c’est l’ajustement intermédiaire entre celui qui a un vêtement et le vêtement qu’il a » [4] . Saint Thomas reprend la définition d’Aristote que l’on peut expliquer ainsi : de même qu’à chaque sport correspond un sous-vêtement technique parfaitement adapté au corps, de même, à chaque mouvement de l’âme, correspond un habit.

    J’ai cherché à faire voir le rayonnement d’une « âme royale » dans un calligramme, La buse de chalumeau. Vous voyez ainsi que l’homme a le pouvoir de vouloir, de connaître, de se souvenir, d’imaginer, d’attaquer ou de tempérer. Toutes ces forces sont disposées par l’intermédiaire de qualités distinctes, les habits. L’homme entre en pleine possession de toutes ses puissances, la volonté, l’intelligence, la mémoire, l’imagination, les passions, par les habits qui les déterminent à l’action de façon stable. L’homme qui jouit ainsi de l’empire de lui-même agit rapidement et communique aisément.

    Cafe Histoire de Toulon 9 Dominique  Struyve.jpg

    Cliquer pour agrandir

    La buse de chalumeau nous a permis de contempler la vision dynamique de l’âme que nous a transmise Saint Thomas et que Ronsard a conservée. La force lumineuse du roi vient de la vertu. La faiblesse du royaume provient d’une déchirure de l’habit politique. Comment y remédier ?

    La riposte de Jean de Terrevermeille [5] aux rebelles

    Jean de Terrevermeille [6] est le contemporain exact d’une crise d’une exceptionnelle gravité pour la royauté, le témoin direct de l’anarchie qui se développe sous le règne de Charles VI, si bien que la trilogie des Tractatus qui débute en 1419 répond à un casus historique : « le Dauphin a-t-il un titre irréfutable à administrer le royaume durant l’incapacité de son père, Charles VI ?» 

    Bien que Jean de Terrevermeille écrive une œuvre polémique contre les rebelles, dont le Duc de Bourgogne est le chef, il recherche avant tout la paix qui peut seule rendre au corps du royaume son unité. Il en étudie les conditions juridiques conçues comme veritas vitae. On touche, là, la manière dont la Bible modèle les esprits à la fin du Moyen Âge. Il s’agit, pour le juriste nîmois, d’appréhender une vérité concrète, à la fois vivante et vitale, de telle sorte que la métaphore du corps s’impose à son esprit comme une évidence englobant toute la réalité politique.

    La métaphore du corps, et de la tête, appartenait déjà à la pensée médiévale toute imprégnée des Lettres de Saint Paul. Dans le Tractatius Tertius, Jean de Terrevermeille reprend une expression du XIIe siècle qui permet aux juristes de désigner le corps ecclésial, l’Eglise visible, corpus mysticum. Même si tous les groupes sociaux sont nommés, par extension, corpora mystica, il définit le royaume, pour la première fois de son histoire, comme corpus mysticum regni.

    Si le Roi est la tête et le royaume le corps, chaque Français est un membre mystique du corpus regni. L’unité vitale du corps dépend de la tête qui veut [7] mais aussi de chaque membre qui aime [8] . Le jus fidelitatis marque la suprématie du caput mais chaque membre mystique revêt l’habit de la fidélité et agit dans l’élan que donne l’influx vivifiant de la tête.

    L’habit politique est une qualité, une disposition dont le siège est dans la volonté et l’intelligence [9] . Il confère à l’homme, au membre mystique, une facilité à agir.

    L’unité du corps mystique dépend, par conséquent, de la vivacité de l’habit de la fidélité qui porte chaque membre à une activité précise et réglée dans la société, en fonction de sa place.

    Jean de Terrevermeille a posé les fondements de la monarchie moderne, telle qu’elle s’est épanouie au XVIIe siècle. C’est ainsi que la voix de Bossuet retentit au Louvre, le Vendredi 10 mars 1662 : « Mais il nous importe peu, Chrétiens, de connaître par quelle sagesse nous sommes régis, si nous n’apprenons aussi à nous conformer à l’ordre de ses conseils. S’il y a de l’art à gouverner, il y en a aussi à bien obéir. Dieu donne son esprit de sagesse aux princes pour savoir conduire les peuples, et il donne aux peuples l’intelligence pour être capables d’être dirigés par ordre ; c’est-à-dire qu’outre la science [10] maîtresse par laquelle le prince commande, il y a une autre science subalterne qui enseigne aussi aux sujets à se rendre dignes instruments de la conduite supérieure ; et c’est le rapport de ces deux sciences [11] qui entretient le corps d’un État par la correspondance du chef et des membres. » [12]

    La guillotine a mis fin à cette merveilleuse « correspondance du chef et des membres ». Après le 21 janvier 1793, les Français sont « à force dépouillé(s) », privés des libertés locales qui leur permettaient d’agir. Le « peuple-roi », selon l’oxymore suggestif du poète guillotiné André Chénier, est mis à nu.

    Il faut attendre plus d’un siècle pour qu’un poète provençal, Charles Maurras, propose une « science subalterne » qui rende aux Français un habit politique.

    L’empirisme organisateur

    Quand Charles Maurras entre en politique, la mémoire des Tractatus est perdue, comme en témoigne la Préface du Dilemme de Marc Sangnier (1906), puisque l’image du « chef de chœur » supplante celle de la tête pour louer l’« Église de l’ordre ». La décomposition de la France incite le poète de Martigues à concevoir une méthode originale, l’empirisme organisateur, qu’il définit dans L’Action française, le 10 avril 1916 : « C’est en rétablissant la vérité sur le passé que l’on atteint à un clair jugement du présent et que l’on peut former des inductions raisonnables sur l’avenir. On ne sait bien ce qu’il faut faire que lorsqu’on sait comment s’y sont pris ceux qui ont su y faire avant nous. Telle est la méthode d’empirisme organisateur. »

    Vous remarquerez, d’abord, que le titre même du journal, Action française, s’inscrit dans le besoin urgent des membres de renouer avec l’action dont ils sont privés par la centralisation jacobine. Vous noterez, ensuite, que la « vérité sur le passé », qui est au cœur de la méthode maurrassienne, renoue, malgré une amnésie involontaire, avec la veritas vitae oubliée. Enfin, vous aurez compris que Maurras tente de rendre aux Français leur habit politique en s’appuyant sur la puissance de la mémoire [13] et tire parti de la « vertu du bon conseil », telle que l’a définie Saint Thomas. La vertu de prudence est d’ailleurs « nécessaire pour bien vivre ».[14]

    C’est la tolérance imprudente de la « femme sans tête » [15]  qui prouve l’excellence de l’empirisme organisateur, puisqu’elle conduit Maurras à prophétiser, le 13 juillet 1926, lors de l’inauguration de la mosquée de Paris : « Mais s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on puisse en douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où tous les plus grands docteurs de la chrétienté enseignèrent contre l’Islam représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir... Nous venons de commettre le crime d’excès. Fasse le ciel que nous n’ayons pas à le payer avant peu et que les nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse. »

    C’est le silence qui conviendrait après qu’une telle voix s’est élevée. Je vais cependant clore cette causerie par quelques mots.

    Nous avons écouté le dialogue fructueux des poètes, des théologiens, des juristes.

    Nous avons ainsi découvert la force de l’habit politique dont les Français ont été revêtus pendant plus de mille ans.

    La fidélité aux leçons du passé nous assure, certes, de toujours bénéficier d’une clarté prévoyante. Mais je crois profondément que, seule, la fidélité au Roi, à la tête du corps, aujourd’hui dépecé plus que jamais par les rebelles, peut nous enter dans une veritas vitae qui fait de nous les vainqueurs de la putréfaction ambiante.   

    1 André Chénier, Iambes (1794).

    2 Du Bellay, Regrets, IX (1558)

    3 Institution pour lʼadolescence du Roi (1562).

    4 Somme théologique, 1-2 Q XLIX, De habitibus in generali.

    5 Joannes de Terra Rubra (né en 1370, mort le 25 juin 1430).

    6 Jean Barbey, La fonction royale, essence et légitimité, NEL, Paris 1983.

    7 Regarder la volonté dans le calligramme.

    8 Regarder la volonté dans le calligramme.

    9 Regarder lʼintelligence dans le calligramme.

    10 Regarder lʼintelligence dans le calligramme.

    11 Lire Bossuet, Politique tirée des propres paroles de lʼÉcriture sainte, Éd Dalloz, Paris, 2003.

    12 Sermon sur la Providence, OEuvres oratoires, T4 (1661-1665), Desclée de Brower, Paris, 1921.

    13 Regarder la mémoire dans le calligramme.

    14 Q. LVII, De intellectualibus vertutibus.

    15 La République française

     

    * Professeur de Lettres Modernes

  • Langue française • Les expressions à bannir au bureau : « C'est juste pas possible ! »

     

    Par Quentin Périnel

    Chaque lundi, Quentin Périnel, journaliste au Figaro, décrypte un mot ou une expression grotesque que nous prononçons au bureau - ou ailleurs - et qu'il faut éradiquer de notre vocabulaire. Lafautearousseau est d'autant plus d'accord avec cette juste chronique [du 12.12] que l'emploi vicieux qu'elle dénonce avait déjà été signalé ici et copieusement moqué dans un grain de sel de Scipion, il y a belle lurette ! Nos lecteurs doués de mémoire s'en souviendront, les agiles le retrouveront dans nos colonnes. Où les anglicismes sont prohibés. Même s'il peut s'en glisser quelques uns malgré tout, tant leur nombre est grand et les habitudes anglo-serviles sont tenaces.  Lafautearousseau

     

    picture-1606281-61449egn.jpgC'est « juste la fin du monde », pour citer le titre du dernier film de Xavier Dolan. Une très jolie mise en abîme. Cette expression, c'est précisément la fin du monde. Parce que sérieusement, c'est « juste » exaspérant. C'est « juste » insoutenable. C'est « juste » éreintant. J'arrête ici le massacre, sinon cela risque de vous hérisser le poil - le mien l'est déjà - dès potron-minet. Il est effarant de voir à quel point la société a été contaminée par la tentation d'ajouter ce petit adverbe dans n'importe quelle phrase que l'on veut accentuer ! C'est juste terrifiant. Et contrairement à ce que l'illustration peut laisser penser, les femmes ne sont pas les seules à s'être amourachées de cette tournure de phrase très laide. Tant s'en faut.

    « Juste » a remplacé le « trop » qui était à la mode juste avant son arrivée. Désormais, on ne dit plus « c'est trop hallucinant » mais « c'est juste hallucinant ». Voire pire : « c'est juste trop hallucinant », le comble du comble. À titre personnel, j'ai déjà entendu dans un couloir un collaborateur - manifestement très enthousiaste - s'exclamer: « non mais attends, c'est juste hyper intéressant » ! Je vais préserver ici son anonymat afin de ne pas le froisser. C'est un fait : au bureau aussi, cet écart de langage jouit d'une belle popularité. La preuve : vous avez été nombreux, depuis la rentrée, à me suggérer une chronique à ce sujet, agacés par vos collègues qui l'emploient de manière intempestive en réunion. Il était juste très urgent de réagir avant que vous ne vous impatientiez !

    D'où vient cette manie ? Son origine est la même que pour beaucoup d'abus de langage de cette espèce : des États-Unis. Et plus particulièrement du jargon des stars d'Hollywood... Notre « juste » est un anglicisme de la pire espèce. « I just called to say I love you », une chanson de Stevie Wonder, en est un exemple. Mais à l'oral, la tournure de phrase est encore plus choquante. On la trouve dans n'importe quel film ou série américaine que l'on regarderait en VO. Or, des films ou des séries US, nous autres Français en sommes fans ! C'est donc là que le bât blesse. C'est la raison pour laquelle en réunion - après nous être nourris de VO tout le week-end - nous parlons comme le héros ou l'héroïne d'une série Netflix. Mon conseil : rappelez à vos collègues qu'ils ne sont ni Jack Bauer, ni Blair Waldorf. 

    Pour le bien de cette chronique, vous pouvez évidemment revenir vers moi et me soumettre les horreurs que vous entendez autour de vous. Je vous répondrai à @quentinperinel sur Twitter et qperinel@lefigaro.fr par mail.

    Quentin Périnel           

  • BD • Une BD sur Saint-Ex

     

    par CS

     

    Dans un premier album, Pierre-Roland Saint-Dizier et Cédric Fernandez nous avaient fait découvrir les premières années de la vie d’Antoine de Saint-Exupéry, en particulier son amour irrépressible pour l’aviation et ses pas de pionnier, avec Jean-Mermoz et Henri Guillaumet, dans l’aéropostale. Le second tome s’ouvre sur la découverte, le 7 septembre 1988 au large de Marseille, de la gourmette de l’aviateur.

    Une pêche aussi improbable que miraculeuse qui, à la faveur d’un flashback, permet de retrouver l’écrivain aviateur aux Etats-Unis. Il est à New York à l’invitation du cinéaste Jean Renoir pour une adaptation…

    Il essaie également de faire entrer les Etats-Unis dans la guerre. Mais considéré comme pétainiste, les milieux gaullistes sont réticents à faire de lui une voix de la France libre. Il publie Pilote de guerre en février 1942 et se lance dans l’écriture du Petit prince. Mais sa France lui manque et il ne veut qu’une chose : servir son pays…

    Bien que romancée, cette bande-dessinée permet de comprendre les relations compliquées avec les femmes en particulier Consuelo. Elle décrit les tourments de l’écrivain souvent tiraillé entre plusieurs passions et dont le nom restera à jamais associé à son chef d’œuvre : le Petit prince.

    Ce héros de guerre (titulaire de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre) a marqué de son empreinte la littérature. En effet, pas moins de 140 millions d’exemplaires du Petit Prince dans près de 250 traductions ont été publiées et vendues.

    Saint-Exupéry, Tome 2, Le royaume des étoiles, P-R Saint-Dizier et C. Fernandez, Editions Glénat, 56 pages, 14,50 euros.

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  • Société • Frédéric Rouvillois : « La maîtrise des codes est  un moyen d'intégration »

     

    Par Stéphane Kovacs 

     

    INTERVIEW - Professeur de droit public, Frédéric Rouvillois - que les lecteurs de Lafautearousseau connaissent bien - est l'auteur du Dictionnaire nostalgique de la politesse (Éditions Flammarion, 2016). Pour lui, le savoir-vivre est la condition du vivre ensemble [Figaro, 8.12].

     

    Pourquoi est-ce important  de maîtriser les bonnes manières aujourd'hui ?

    À vrai dire, c'est important pour de très nombreuses raisons, certaines purement pragmatiques, d'autres beaucoup moins. Parce que le savoir-vivre est la condition du vivre ensemble, parce que la politesse s'avère particulièrement vitale lorsque les conditions d'existence sont plus difficiles et parce que la maîtrise des codes est un moyen d'intégration et, le cas échéant, au sein de l'entreprise par exemple, un argument supplémentaire permettant de départager deux candidats de même valeur. D'où le développement contemporain des manuels de savoir-vivre dans l'entreprise. À quoi s'ajoute le fait que la politesse est un moyen de réenchanter un peu un monde terne et prosaïque, de lui rendre des couleurs, de la poésie. La politesse n'est jamais loin de la nostalgie.

    À l'heure des nouvelles technologies, a-t-on encore le temps d'être poli ?

    Les nouvelles technologies ne font, sur ce point, que confirmer une tendance déjà ancienne, puisqu'elle remonte au lendemain de la Première Guerre mondiale. Dans un monde où tout va vite, dans cette civilisation de l'homme pressé, on a de moins en moins de temps: or, par définition, la politesse implique de donner un peu de son temps aux autres, gratuitement. Autant dire qu'elle va à rebours de l'évolution contemporaine. Ce qui me paraît du reste une raison supplémentaire pour essayer de la respecter…

    François Fillon veut que l'on enseigne la politesse à l'école. N'est-ce pas plutôt aux parents  de le faire ?

    François Fillon a sans doute raison d'insister là-dessus, même si c'est d'abord à la famille d'inculquer aux enfants, dès leur plus jeune âge, les règles de la politesse, c'est-à-dire, du respect de l'autre. L'école, sur ce plan, ne peut être qu'un lieu de confirmation et de mise en œuvre des acquis. En somme, si l'on attend qu'elle apprenne la politesse aux plus jeunes, ont fait sans doute fausse route. Cela ne saurait être son rôle, et elle n'en a pas les moyens. 

    Stéphane Kovacs 

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    Frédéric Rouvillois : « La politesse est une vertu nécessaire dans notre monde nombriliste »          

  • BD • Une BD non consensuelle sur Mao Zedong

     

    par CS

    Mao Zedong, surnommé le Grand Timonier est mort le 9 septembre 1976, il y a donc 40 ans. Il avait 82 ans. Son portrait trône toujours, de manière au moins anachronique (sinon insultante) sur les portes du palais impérial de Pékin.

    C’est Deng Yingchao, veuve du Premier ministre Zhou Enlaï, qui narre l’histoire personnelle et politique du plus grand dictateur et criminel de tous les temps, puisque son idéologie a tué pas moins de cent millions de personnes en quarante ans de pouvoir quasi absolu.

    Son récit entre flashback et anecdotes retrace la vie trépidante de ce fils de paysans qui n’a pas hésité à laisser mourir sa première femme et son premier fils, faisant passer l’idéologie communiste qui l’animait avant la protection et l’amour de sa famille.

    En fait, le récit parfois glaçant de « Grande sœur Deng », comme la surnomment ses auditeurs et admirateurs rappelle que l’ambition du chef communiste n’avait de limite que l’assouvissement de son bien-être personnel.

    C’est une biographie concise et sans concession, un vrai travail d’historien qu’ont réalisée ici JD Morvan, Voulizé, (à qui l’on doit Louis XIV) et Raphaël Ortiz avec le concours très éclairé du sinologue Jean-Luc Domenach.

    Ils retranscrivent à merveille l’histoire mouvementée de cette vaste Chine composée de multiples peuples que seule une autorité forte pouvait soumettre.

    L’ensemble est dense mais aucun des moments forts (Longue Marche, création de la République populaire, Révolution culturelle) n’est oublié. Une BD qui parfois met à mal l’histoire officielle, pour le plus grand bonheur des lecteurs. 

    Mao Zedong, J-D Morvan, F. Voulyzé, R. Ortiz et J-L Domenach, Editions Glénat, 56 pages, 14,50 euros

  • Histoire • Pascalis - victime méconnue de la Révolution - qui mérite la reconnaissance des royalistes et des Provençaux

     

    Par Pierre de Meuse

     

    Image1.pngEn ce début décembre, il ne semble pas inopportun d’évoquer un personnage méconnu mais attachant, qui mérite la reconnaissance à la fois des royalistes et des Provençaux : Jean Joseph Pierre Pascalis qui naquit à Eyguières, dans les Alpilles le 6 février 1732 et mourut assassiné à Aix-en-Provence le 14 décembre 1790, victime de sa fidélité au roi et à la Provence, pour les libertés de laquelle il avait passionnément combattu. Il était né dans une famille d’origine « gavotte », qui s’était haussée à force de vertus dans la moyenne bourgeoisie si typique de l’Ancien régime. Comme son oncle et son grand-père, il avait embrassé la profession d’avocat, où il était renommé plutôt pour ses qualités de juriste que pour son talent oratoire. C’est ainsi qu’il rédige avec quatre autres jurisconsultes un Mémoire pour Mme de Mirabeau née Émilie de Marignane, contre son mari, le célèbre Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de Mirabeau, qui lui en gardera une sévère rancune.

    Sa grande faculté d’analyse juridique lui fait obtenir des postes de premier plan : il est assesseur d’Aix (c'est-à-dire représentant des Etats auprès des Consuls de la ville) et Procureur de Provence (porte-parole de ces mêmes Etats au parlement et devant le gouvernement), et il défend avec courage la modernisation et la revitalisation des institutions provençales. Il s’oppose ainsi au maintien des privilèges fiscaux de la noblesse, dans un « Mémoire sur la contribution des trois ordres aux charges publiques », s’appuyant sur l’observation de la situation présente, mais aussi sur la « Constitution provençale » antérieure à l’annexion de 1406. Cependant, ses convictions favorables aux réformes ne l’empêchent pas de lutter contre le centralisme ; en témoigne son « Mémoire pour dénoncer la commission contre la contrebande » (1773) et surtout son « Mémoire sur le projet de rétablir les Etats de Provence » (1787). Il n’est pas un révolutionnaire, n’exige pas l’abolition des ordres, mais seulement l’aménagement de leur représentation. En 1788 il est élu aux Etats généraux en remplacement de Joseph Servan, mais décline cet honneur : il veut rester en Provence car il sent bien que les orages s’approchent pour sa petite patrie avec la révolution. Sa position en vue lui a valu beaucoup d’ennemis, au premier rang desquels se trouve évidemment Mirabeau, et son âme damnée, un prêtre, l’abbé Jean-Joseph Rive, ancien curé de Molegès, ancien bibliothécaire du duc de La Vallière, un homme qui cherche à se venger par tous moyens y compris le meurtre de l’insuffisante rémunération que la vie aurait donnée à son immense talent. La révolution connaît beaucoup de personnages de cet acabit. Cet ecclésiastique multiplie les appels au meurtre contre Pascalis, qu’il appelle un scélérat et un « mortel exécrable », ainsi qu’un énergumène dans des libelles largement diffusés. Dans un pamphlet de 1789, il appelle carrément au meurtre de l'avocat. Il a d’ailleurs recruté une troupe d’hommes de main, composée de gens prêts à tous les crimes. Au moindre signal, ils savent qui doit mourir de leurs mains.

    Or le 20 juillet 1790 l'Assemblée départementale des Bouches-du-Rhône s’établit à Aix-en Provence. Ses premières décisions réalisent la destruction des toutes les anciennes institutions provençales. Les Etats, le Parlement, la protection de la langue provençale, l’existence même de la Provence, tout est promis à la démolition. Dès que Pascalis constate qu’il est impossible d’arrêter ce mouvement, il décide de quitter le barreau. C’est ainsi que le 27 septembre, il se rend en grande tenue au Parlement pour prendre congé. Dans son discours d’adieu, il constate ne plus être en état d’accomplir ses mandats, et tient à alerter les Provençaux sur les dangers du mouvement en cours, car selon lui, il contient le « renversement de la Monarchie », « l’anéantissement de notre Constitution, la destruction de toutes nos institutions politiques », le déni du désir majoritaire des Provençaux. Enfin il termine en formulant l’espoir d’un retour à la raison où nos citoyens rendus à leurs sentiments naturels de fidélité, de franchise et de loyauté, béniront la sagesse de notre Constitution, permettant « l'exécution de nos traités avec la France, le rétablissement de la Monarchie, et avec le retour de nos Magistrats celui de la tranquillité publique. » Ses derniers mots marquent qu’il « veut vivre et mourir citoyen provençal, bon et fidèle sujet du Comte de Provence, Roi de France. » Ce discours nous rappelle celui de Calvo Sotelo, prononcé avant son assassinat. En période révolutionnaire, en effet, tout désaccord avec le flux torrentiel doit être puni de mort. Et c’est ce que décident Mirabeau et l’Abbé Rive. Pendant près de trois mois, par une série d’actions judiciaires et administratives ils accusent Pascalis et ses soutiens d'avoir prêché la guerre civile, ce que précisément les deux compères s’occupent activement à faire. Un procès verbal est envoyé à la Constituante pour l’inculper. La Commune est sommée de le décréter d’arrestation, menaces à l’appui. Et le prêtre indigne de conclure son courrier par cette conclusion : « Il ne faut pas tergiverser, Monsieur le Président, il n'y a à conserver dans le nouvel empire français que de vrais citoyens et d'excellents patriotes. Tout homme quel qu'il soit, par quelques travaux qu'il puisse s'être distingué, s'il devient un jour l'ennemi de la patrie, il doit lui faire sacrifice de sa tête sous une lanterne. » 

    Pendant tout ce temps, que font les royalistes ? Pascalis continue sa vie tranquille, dans l’hôtel particulier qu'il loue sur le Cours, dit aujourd’hui « Mirabeau », au no 34. (Hôtel Barlatier de Saint Julien). Dans la ville, des cercles se constituent au grand jour, comme la « société des amis de l'ordre et de la paix », pour réclamer le soutien au roi et le rétablissement des libertés de la Provence. Ils ne font pas grand’ chose, mais se font remarquer en se réunissant au cercle Guion (actuellement le café « Les deux garçons »).

    Le 12 décembre au crépuscule, le cercle Guion est attaqué, il y a plusieurs blessés par balle. Les « antipolitiques » de l’abbé Rive envahissent le cercle au cri de « fơu toutei leis esgourgea » (1). Le Cercle est saccagé. Ledit abbé donne l’ordre d’arrêter Pascalis afin de l’assassiner. Celui-ci se trouve à ce moment dans le petit château de La Mignarde, construit aux Pinchinats par un pâtissier enrichi, une maison que les aixois connaissent bien encore aujourd’hui. Ses amis lui conseillent tous de s’enfuir car chacun sait quel sort lui réservent Mirabeau et Rive. Pourtant, l’avocat se refuse à fuir. Il n’imagine pas qu’on puisse commettre une telle monstruosité. Il se contente donc de répondre « ils n’oseraient ! » aux amis venus le prévenir. Il est de toutes façons trop tard, car quelques heures plus tard, une petite centaine de voyous attaquent La Mignarde, enlèvent Pascalis et le mettent au cachot à l’hôtel de ville, ainsi que le vieux marquis de la Roquette. Pendant deux jours Rive et Mirabeau attendent. Que se passe-t-il ? Sans doute Mirabeau et Rive s’efforcent-ils d’obtenir des autorités un procès et une exécution immédiate, mais celles-ci restent silencieuses. Alors le mardi 14 décembre, la Garde nationale, qui retourne à Marseille en colonne est stoppée au bas du Cours (Mirabeau) par des activistes de Rive qui exhortent les soldats à se rendre aux prisons des casernes afin de « tuer le monstre ». Malgré les ordres de leurs officiers, une grande partie des troupes en armes se sépare des rangs afin de suivre les mots d’ordre des factieux. Un exemple de plus de ce qui est le quotidien de la révolution depuis 1788 : une armée intérieure en perpétuelle révolte contre ses cadres, et dans laquelle toute velléité de reprise en main est systématiquement sanctionnée, découragée, discréditée.

    A ce moment se produit un des aspects les plus lamentables de cette affaire : les casernes où se trouvent les prisons sont gardées par un demi-régiment suisse : le régiment d’Ernest, anciennement d’Erlach. Le détachement de 400 hommes est commandé par le Maréchal de camp Rodolphe de Diesbach. Les soldats mutinés et la foule des badauds encerclent les casernes où se trouvent les prisons (2) et commencent à démolir les murs, à casser les portes. Le procureur général syndic demande à l’officier suisse de ranger ses troupes en bataille pour leur résister, ce qu’il fait séance tenante. Les magistrats présents sont alors brutalisés, menacés de mort. On envoie trois officiers municipaux pour parlementer avec la populace, qui les maltraite et les oblige à signer une décharge pour « donner Pascalis ». Ils prennent soin d’ajouter à leur signature la mention dérisoire « contraint et forcé ». Puis le cortège sinistre se rend au Cours, et Pascalis, La Rochette et l’écuyer de Guiramand sont pendus aux réverbères, devant la maison de Pascalis, afin que sa femme soit témoin du crime. Leurs têtes seront promenées deux jours durant à Aix et Marseille, au milieu des pillages et des scènes d’ivrognerie. Mirabeau et Rive ont triomphé mais ils ne survivront pas longtemps à leur victime (3). Mirabeau aura même le temps d’être mis en accusation pour « activités contre-révolutionnaires » par Lameth. Les révolutions dévorent toujours leurs enfants, disait Bainville.  

    Quelles réflexions nous propose ce sinistre épisode ? La première est que la Terreur ne date pas de 1793. Elle est consubstantielle à la révolution. A la terreur de la rue qui commence dès 1788 se rajoute en 1792 celle des comités. Il n’y a pas une révolution pacifique des Sieyès, Mirabeau, La Fayette, et une révolution sanglante, celle des Marat, Carrier, Robespierre. La seconde est une question : comment un homme de la qualité de Pascalis peut-il avoir gardé confiance en la légalité de son temps, au point d’attendre ses assassins ? On est forcé d’y voir l’effet d’une illusion sur la nature humaine. Le légalisme est partout, y compris dans l’obstination ridicule des geôliers à obtenir une décharge écrite. Car enfin dans cette affaire, la lâcheté est le principal encouragement au crime. Tout le monde tremble devant l’émeute. Pascalis est devenu un homme seul. Et comment le baron Rodolphe de Diesbach, homme couvert des lauriers de quatre guerres, peut-il laisser son nom souillé par un meurtre aussi infâme ? En répondant à cette question, ne lève-t-on pas un voile significatif sur la période révolutionnaire. Si Diesbach ne prend pas la décision de tirer sur la troupe révoltée, c’est qu’il sait d’expérience que sa décision ne sera pas approuvée par l’autorité, et qu’il sera lourdement puni par le pouvoir même qui l’a nommé. La monarchie traditionnelle ne s’est pas défendue, par horreur de la guerre civile, alors qu’elle lui était imposée sans possibilité de refus. Ce faisant, elle a condamné ses fidèles et s’est livrée à ses ennemis. Quant à ceux qui s’opposaient à la révolution, ils ne pouvaient défendre le pouvoir qu’ils soutenaient qu’en s’opposant à lui. Leçons tragiques et paradoxales, mais qui peuvent nous éclairer aujourd’hui dans des circonstances qui peuvent devenir semblables.

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    Plaque commémorative de l'assassinat de Pascalis - en Provençal - avec un commentaire de Frédéric Mistral  

    (1)  Il faut tous les égorger !

    (2)  Les casernes se trouvaient à quelques centaines de mètres du Cours (Mirabeau), près de la gare routière actuelle.

    (3)   Mirabeau mourra en avril 1791, dans le mépris général, peut-être assassiné par les jacobins.  Rive lui survivra six mois et mourra d’une attaque d’apoplexie en octobre de la même année

  • Livres & Société • Le danger de l’islam selon Chesterton

     

    par Lars Klawonn

     

    Pour les imbéciles, tout changement est une chance. Et surtout, tout changement vis-à-vis de « l’ancien monde ». La diversité est donc une chance. Le métissage en est une autre, comme l’abolition des frontières, l’égalité des religions ou l’islam. Tout cela est, selon les imbéciles, une chance formidable pour nos sociétés. Ceux qui parlent des dangers et mettent en garde contre les changements permanents, ceux qui entendent défendre l’homme enraciné contre l’universalisme bébête de l’homme connecté se font traiter de suppôts de l’’extrême-droite et de fascistes.

    Dire que tout changement implique un danger, et qu’il doit être mûrement réfléchi pour s’assurer qu’il apporte plus d’avantages que d’inconvénients, c’est fatiguer trop les cerveaux momifiés des imbéciles. Au lieu de réfléchir, de penser, c’est-à-dire de distinguer les choses, ils préfèrent décréter, moraliser et s’indigner ; au lieu d’analyser les dangers et de les anticiper, les imbéciles adorent minimiser, naviguer à vue et agir en situation car, pour eux, il y a toujours une solution. Mais si un jour il sera trop tard pour réagir, que feront-ils ? Si un jour le péril est entré en la demeure, quelles seront les réponses des imbéciles ?

    G.K. Chesterton (1847- 1936) n’a pas écrit d’ouvrages sur l’islam, mais il a bien réfléchi à la question. Dans son livre Chesterton face à l’islam, Philippe Maxence, l’un des meilleurs connaisseurs de son œuvre, résume de façon à la fois détaillée et synthétique l’approche de l’écrivain anglais. S’appuyant sur de nombreuses citations, il montre en quoi consiste selon l’auteur de l’Auberge volante le danger d’une immigration musulmane incontrôlée. Chacun pourra vérifier par soi-même la vision prophétique qu’il en donne, comme de l’ère moderne et de ses maux, et constater l’actualité brûlante de ses analyses.

    Maxence nous montre bien que pour Chesterton, s’il fallait opposer quelque chose à la progression de l’islam en Europe, c’est bel et bien le christianisme et ses valeurs. Il savait qu’une civilisation sans Dieu est destinée à s’effondrer. Aujourd’hui la menace de l’islam est triple. Elle nous arrive par l’immigration, par le terrorisme et par l’économie (l’achat des entreprises occidentales). Or le vrai danger vient de l’intérieur de l’Europe, de son désengagement de soi-même, de sa soumission à la loi du marché, de son défaitisme, de sa lâcheté, de sa laïcité, de ses pleurnicheries et de ses dogmes de l’égalité et du pacifisme.

    Le visionnaire catholique a compris avant tous les autres que l’homme moderne, remplacera la pensée par les idées, le monde concret par l’abstraction, la distinction des choses par la généralisation et l’indifférenciation, la connaissance par la publicité et le mal par le traitement thérapeutique et la victimisation des criminels ; il a compris que le monde moderne veut le dépassement des nations par une nouvelle superpuissance supranationaliste et impérialiste, la destruction des peuples et leur soumission absolue au culte de l’argent et du commerce.

    Que l’on ne s’y méprenne, notre écrivain n’est pas un pessimiste, en tous cas pas plus que Lord Byron qu’il admire. Cet homme de bon sens se battait pour une société fondée sur la famille et la propriété privée qu’il défendait contre le capitalisme libéral et le communisme marxiste. Pour lui, les vieux principes issus du corpus chrétien permettent de répondre aux défis contemporains. « Le salut pour notre civilisation est dans un retour en arrière », dit-il. Mais prenez garde ! On n’a pas affaire à un passéiste, loin s’en faut. Au contraire, c’est un homme terriblement remuant, un anticonformiste, un polémiste redoutable. Faire revivre le passé ne l’intéressait nullement. En s’insurgeant contre l’homme sans racine, il a trouvé mieux, beaucoup mieux. A savoir que c’est en puisant à la source de notre civilisation, dans ce qu’elle a de vivante, d’organique et d’incarné qu’elle reçoit la force nécessaire pour bondir sur ses ennemis, l’épée à la main, comme Saint-Georges le patron des Anglais. 

    Chesterton face à l’islam de Philippe Maxence, Viva Romana 2014.

    Journaliste culturel, collaborateur au journal La Nation (Lausanne), à la revue Choisir (Genève) et à la Nouvelle Revue Universelle

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  • « Conservateur et libéral, la grande tension » : une analyse d'Éric Zemmour

     

    3578948983.jpgZemmour commente ici « une histoire didactique et passionnante du conservatisme, qui s'achèverait en supplément d'âme du libéralisme ». Une occasion pour lui de faire ressortir avec clarté et pertinence les « tensions » - c'est à dire, au fond, les contradictions - existant entre ces concepts, qui se voudraient alliés. Et les réalités politiques et sociales qu'elles engendrent. Encore faudrait-il s'entendre sur les mots. «  Conservateur », pour commencer. Un mot qui n'a de sens ou de valeur que par son objet. Il avait un sens lorsque Comte lançait son « Appel aux conservateurs» [1855 !], un sens tout autre - ridicule et négatif - pour les nationalistes et monarchistes autour des années 1900. Vers 1980, Boutang pensait qu'il n'y avait déjà plus rien à conserver de notre société proprement dite - « qui n'a que des banques pour cathédrales ». Que voulons-nous conserver ? La modernité et ses avatars postmodernes ou la France profonde, la France historique, sa civilisation ? A travers son analyse des tensions entre capitalisme et libéralisme sous leurs traits d'aujourd'hui, Zemmour - comme Buisson - n'hésite pas à remonter au vrai clivage - sous quelque vocable qu'on les désigne - entre la France historique multiséculaire et celle opposée qui naît des Lumières et de la Révolution. Dans quel camp se situera de fait le courant qui se réclame aujourd'hui du conservatisme ? C'est bien là, à notre avis, la question de fond.  Lafautearousseau    

          

    522209694.4.jpgSi la victoire de François Fillon en a étonné plus d'un, ce n'est pas seulement parce que peu de gens pouvaient imaginer que « Mister Nobody » s'immiscerait dans le combat de coqs entre Sarkozy et Juppé, mais aussi, et surtout, parce que son programme était à la fois le plus libéral (en économie) et le plus conservateur (sur les mœurs), ce qui paraissait doublement incompatible avec la France. L'affaire semblait entendue depuis belle lurette : notre pays aimait trop l'État pour être libéral, aimait trop l'égalité pour tolérer la liberté, aimait trop la Révolution pour avoir le respect des traditions, et tenait le travail, la famille et la patrie pour des valeurs maudites depuis Vichy. Les augures ont eu tort. Un conservatisme libéral semble renaître en France dans le sillon de Fillon, qui paraissait embaumé sous le masque poussiéreux et oublié de Guizot ou de Renan.

    Dans ce nouveau contexte politique, le livre de Jean-Philippe Vincent tombe à pic. Qu'est-ce que le conservatisme ? s'interroge notre auteur. Sa réponse est à la fois philosophique et historique. L'auteur nous plonge avec délectation dans une évocation des grands anciens, Burke, Maistre, Chateaubriand, Balzac, Tocqueville, Renan, Taine, revenant même jusqu'à la République romaine de Cicéron, pour dégager les grands axes d'une pensée conservatrice qui s'oppose en tous points à un progressisme, « pot-pourri d'existentialisme et de marxisme », qui a pignon sur rue en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    « Le rapport au temps est totalement opposé chez les conservateurs et les progressistes. Ces derniers utilisent le futur (un futur utopique ou rêvé) pour interpréter le présent ; les conservateurs utilisent le passé pour interpréter le présent et agir dans l'instant… La nostalgie du passé est quand même plus raisonnable que la nostalgie du futur. »

    C'est de la belle ouvrage, didactique en diable, parfois même un brin scolaire, écrit d'une plume qui ne cherche pas l'effet, un peu comme ces vieilles vestes en tweed qu'affecte le jeune homme très British choisi en couverture du livre. Notre auteur nous permet de combler notre ignorance des penseurs les plus récents du conservatisme qui, à part Soljenitsyne et peut-être Bertrand de Jouvenel, sont largement méconnus en France.

    Jean-Philippe Vincent veut y voir la preuve que le conservatisme est une pensée encore vivante. Il annonce pour notre époque l'émergence d'un conservatisme libéral en Europe, et la victoire de François Fillon a dû le réjouir. Il cherche à tout prix à marier libéralisme et conservatisme, celui-ci comme « le supplément d’âme » de celui-là. Pourtant, il n'ignore nullement que conservatisme et libéralisme se livrent une guerre sourde depuis des décennies : que le principe d'autorité et le respect des traditions, des enracinements et des nations, qui définit le conservatisme, est miné par le libéralisme qui fait de l'individu et du marché les seuls maîtres de notre destin. Notre auteur est lucide : « C’est que le libéralisme, pour fonctionner de façon appropriée, a un besoin vital de racines conservatrices, des racines que pourtant il s'évertue à saper. » Mais fait profession d’optimisme : « C’est un fait que l'éthique du capitalisme est un conservatisme. Et c'est également un fait que lorsque cette éthique est subvertie par le jeu débridé du marché, le risque est grand non seulement pour le capitalisme, mais pour plus globalement pour le système libéral-démocratique. De ce simple point de vue, capitalisme et conservatisme apparaissent comme complémentaires et même étroitement complémentaires : il ne peut guère y avoir de capitalisme durable sans une éthique conservatrice. »

    C'est pourtant une « complémentarité » qui tourne le plus souvent au conflit ouvert où c'est toujours le même qui perd. Les destins des deux incarnations modernes de ce conservatisme libéral cher à notre auteur en sont des preuves cruelles. En France, le quinquennat de Georges Pompidou a été miné par le travail de taupe culturel d'une extrême gauche libertaire issue de Mai 68, qui imposa ses codes à visage découvert sous Giscard et prit le pouvoir sous Mitterrand. Et la plus grande réussite du libéral Pompidou est une industrialisation du pays conduite grâce à un colbertisme remarquablement efficace. En Angleterre, notre auteur rappelle pertinemment que le thatchérisme fut avant tout une philosophie morale et religieuse. La « Dame de fer » avait pour haute ambition de restaurer l'éthique victorienne de l'effort, du travail, de l'épargne, de la religion et de la patrie. Elle était sincère et déterminée. Mais le marché n'avait que faire de ses ambitions morales et l'Angleterre devint le pays du culte de l'argent, du cosmopolitisme de la ville-monde Londres, des mafias russes et des paradis fiscaux, de l'alcoolisme de masse des jeunes et des grossesses précoces des adolescentes, et d'une immigration venue du monde entier, charriant en particulier un islam qui y prit ses quartiers, imposant ses mœurs et jusqu'à sa loi, prônant à visage découvert le djihad et la charia. Dans ces deux exemples, on voit bien où est le capitalisme, on voit bien où est le marché, on voit même où est le libéralisme, mais on ne voit pas où est le conservatisme. On ne voit pas où est son « éthique judéo-chrétienne issue de l'Europe du XVIIe siècle » où le libéralisme est né. On voit mal la doctrine sociale de l'Église. On voit mal l'amour des préjugés et des coutumes et des traditions cher au grand Burke. C'est ce qu'ont rappelé avec force les classes populaires anglaises, marginalisées économiquement, géographiquement et culturellement par trente ans de thatchérisme, avec le référendum sur le Brexit !

    Notre auteur fait mine d'ignorer que le capitalisme du XIXe siècle a muté, à partir du milieu du XXe siècle, qu'il a abandonné le culte de l'épargne pour celui de la consommation, l'économie de l'accumulation pour l'économie du désir, la morale austère du stoïcisme (même un brin hypocrite) pour l'immoralité joyeuse de l'hédonisme, la stricte hiérarchie du patriarcat pour l'égalitarisme indifférencié du féminisme. Le libéralisme est passé de Guizot à Cohn-Bendit ; l'héritier du conservatisme est devenu son pire ennemi. Le fils ingrat a tué le père. Au moins, François Fillon et ses soutiens sont-ils prévenus. 

    Qu'est-ce que le conservatisme ? Jean-Philippe Vincent, Les Belles lettres, 245 p., 24,90 €.

    Eric Zemmour

    Le Figaro 30.11

  • Religion Société • Réédition de deux textes essentiels de Jean Paul II sur la famille

     

    par Jean-Baptiste DONNIER

     

    3374229269.jpgC’est une initiative particulièrement heureuse et bienvenue que viennent de prendre les éditions Téqui en publiant deux textes essentiels du Cardinal Wojtyla sur la famille en tant que communio personarum.

    Ces deux articles, écrits en 1974, constituent le fondement sur lequel l’auteur, devenu le Pape Jean Paul II, élaborera son magistère sur le mariage et la famille. C’est dire leur importance pour saisir la portée de ce magistère. On y trouve déjà les principes qui seront déployés dans les grands textes magistériels qui, de Redemptor hominis à Evangelium vitae et à Familiaris consortio, sans oublier les grandes catéchèses, feront de la famille l’un des axes majeurs du pontificat. Mais on y trouve surtout le soubassement conceptuel sur lequel se fonde ce magistère.

    Deux points suscitent une attention particulière. Le premier est « l’anthropologie théologique », qui renvoie au Commencement (p. 29) afin d’y retrouver la vérité du mariage et de la famille. C’est là un point capital. La vérité d’une chose se manifeste à son origine et non dans un « présent » qui hypertrophie les apparences au détriment de l’essence.

    Tout le positivisme sociologique contemporain se trouve ainsi radicalement contesté dans sa prétention à adapter la norme à la réalité, car cette réalité lui échappe ; il n’en saisit que des apparences perverties et non la vérité ontologique. L’anthropologie wojtylienne de la famille, métaphysique avant d’être théologique, porte en cela un coup décisif à une certaine « modernité » dont elle fait apparaître l’insigne faiblesse conceptuelle.

    Le second point capital est le réalisme profond dans lequel s’ancre la notion de communio personarum. Comme il le fera pour les droits de l’homme dans sa première encyclique, Wojtyla ramène le personnalisme, toujours menacé de verser dans le subjectivisme, à la réalité première que constitue l’aptitude ontologique de la personne à la communion. Il en résulte une conception profondément réaliste du lien conjugal qui actualise la communio personarum dans le mariage, expressément soulignée à plusieurs reprises (p. 43 et 47 notamment).

    Ces deux contributions majeures du Cardinal Wojtyla sont introduites par une préface de Mgr Livio Melina, éminent théologien moraliste, qui met très bien en perspective les fondements mais aussi les prolongements de la théologie wojtylienne du corps dans une fidélité à la pensée de saint pape polonais qui lui a valu récemment d’être mis à l’écart de la direction de l’Institut Jean Paul II pour les études sur le mariage et la famille de l’Université pontificale du Latran…

    L’ouvrage est complété, enfin, par le texte d’une conférence prononcée par l’un des plus remarquables interprètes du magistère de saint Jean Paul II, le Cardinal Carlo Caffarra, qui vient opportunément remettre de l’ordre et de la substance dans des questions qui, hélas, s’enlisent à nouveau dans une pseudo « pastorale » étriquée, aussi ridicule que désuète.

    Il est à espérer que la publication de ce texte magistral annonce l’édition en français des œuvres majeures de ce grand théologien, témoin admirable du renouveau de la pensée catholique sous les pontificats de saint Jean Paul II et de Benoit XVI.  

    Cardinal Karol Wojtyla, Famille et communion des personnes, préface de Mgr Livio Melina, annexe du Cardinal Carlo Caffarra, Téqui, 2016. 

  • Histoire & Actualité • Mort de Fidel Castro : l'anticommunisme est un humanisme, sauf en France !


    Par Gilles-William Goldnadel 

    Le « lider Maximo » est mort ce 25 novembre. Gilles-William Goldnadel constate [Figarovox, 28.11] qu'au pays de Georges Marchais, le procès du communisme reste à instruire, comme en témoignent les éloges funèbres prononcés en hommage au boucher de La Havane. Gilles-William Goldnadel a raison. Serait-il d'accord pour que l'on instruise concomitamment les procès des tueries et crimes révolutionnaires français ? Ceux-ci sont l'origine et la matrice de ceux-là. LFAR  

     

    495725162.jpgCe n'est pas la première fois qu'ils nous font cette mauvaise farce. C'est toujours la même chose, on la croit morte. On se dit que cette fois ils ont compris. Qu'ils ne recommenceront pas. La sotte grandiloquence. Les hommages obscènes. Le déni de la réalité. Eh bien, non, ils ont recommencé.

    Ils ont pleuré Castro. Même la sœur, Juanita, n'ira pas à l'enterrement de son frère : «il a transformé l'île en une énorme prison entourée d’eau ». Mais certains, en France sont plus fraternels envers Fidel que la sœur du geôlier.

    Avant que de tenter d'expliquer l'inexplicable, un bref rappel de la réalité minimisée. Castro n'était pas seulement qu'un dictateur sud-américain. C'était un boucher et un équarisseur. Il ne s'est pas contenté de torturer et d'exécuter ses opposants, il a vendu leur sang, comme le rappelait le Wall Street Journal dans un article du 30 décembre 2005 : le 27 mai 1966, 3,5 litres de sang par personne furent médicalement ponctionnés sur 166 détenus par décision de Fidel Castro et vendus au Vietnam communiste au prix de 100 $ le litre. Après la prise de sang, 866 condamnés, en état d'anémie cérébrale, paralysés et inconscients, furent emmenés sur des brancards et assassinés.

    Miguel A. Faria dans Cuba, une révolution écrit à la page 415 de son livre : « Depuis que Fidel Castro a pris le contrôle de l'île en 1959, les estimations les plus crédibles précisent que de 30 000 à 40 000 personnes ont été exécutées par le peloton d'exécution ou dans les geôles cubaines. »

    Dès les premiers jours de la révolution, Castro ordonna des exécutions sommaires dans le but d'établir une culture de la peur qui annihila rapidement toute résistance. Les révolutionnaires d'opérette qui le soutiennent en France lui pardonnent avec indulgence ses exactions en même temps qu'ils maudissent ordinairement la peine de mort appliquée aux assassins de droit commun. Ils passent volontiers sous silence que dans les décennies suivantes, Castro s'assura de la soumission de son peuple en prolongeant l'État de terreur.

    Profitons du deuil cruel qui frappe la galaxie communiste et ses compagnons pour régler aussi son compte à celui dont l'icône christique ornait les thurnes estudiantines des seventies et encore de nos jours les T-shirts de quelques attardés. Che Guevara avant que de faire le guérillero en Bolivie, dirigeait dès 1959 la sinistre prison de la Cabana, où il avait acquis le tendre sobriquet de « carnicerito » (le petit boucher). Selon Stéphane Courtois, auteur du Livre noir du communisme, ladite prison était un lieu où la torture et les mutilations étaient quotidiennes. Selon Archiva Cuba, une association basée dans le New Jersey, et qui s'est donné comme mission de documenter les crimes de Castro, en 1959, à la Cabana, au moins 151 personnes innocentes furent assassinées.

    Parmi les 94 enfants dont on a pu établir la mort, 22 ont été exécutés par les escadrons de l'idole de l'extrême gauchisme.

    Quant à la situation actuelle, et sans même évoquer la faillite économique, Christophe Deloire, président de Reporters Sans Frontières, rappelait samedi que Cuba demeurait au 171e rang (sur 180) au classement mondial de la liberté de la presse.

    Ils ont pleuré Castro. Je ne parle pas des communistes. De Pierre Laurent, fils de Paul : « l’artisan de l'une des plus importantes révolutions initiées au XXe siècle… La démonstration de la possibilité de bâtir une société juste et souveraine pour tous les peuples ».

    Je ne parle pas de notre Président de la République actuel, tout content d'avoir imaginé effleurer l'Histoire en touchant un vieillard et dont les euphémismes dégoutants dans son hommage funeste : « manquements aux droits de l'homme… désillusions » montrent à quel point les socialistes évaporés n'ont pas totalement coupé le cordon ombilical ensanglanté.

    Je parle des compagnons de déroute, je parle des camarades de carnaval : Christiane Taubira, jamais économe d'une hyperbole : « le dernier géant du XXe siècle… ». Je parle de Clémentine Autain, invitée gentiment sur France Inter dimanche matin pour admonester ceux qui fêtent Kissinger mais cognent sur Castro et qui mériterait d'être engagée comme humoriste de la radio active de service public pour ce tweet mémorable et émouvant : « à Fidel Castro, pour la révolution cubaine, la résistance à l'impérialisme U.S, l'expérience « socialiste » d'un autre siècle. Hasta siempre !»

    Je parle enfin de Jean-Luc Mélenchon, dont Onfray disait samedi au Point qu'il avait « fumé la moquette », en tous les cas un havane hallucinogène, en écrivant ce twitt halluciné : « Fidel ! Fidel ! Mais qu'est-ce qui s'est passé avec Fidel ? Demain était une promesse. Fidèle ! Fidel ! L'épée de Bolivar marche dans le ciel. »

    Je conseille encore à tous ceux qui ne l'aurait pas regardé, de visionner l'hommage du futur candidat fraîchement adoubé par les communistes à la rapière envolée dans les cieux : Samedi matin, à l'ambassade de Cuba. Une homélie larmoyante. C'est sans doute lors d'un même petit matin blafard de 1953, que des staliniens aux yeux rougis rendirent hommage au petit père des peuples qui attend aujourd'hui son fidèle suivant.

    J'imagine déjà certains scandalisés par cette dernière ligne.

    Le scandale habite ailleurs. Il demeure dans le fait que, précisément, il n'y ait pas scandale quand ces hommages publics au boucher de La Havane sont rendus par des personnes publiques qui ont pignon sur rue.

    Et l'explication vient. D'abord l'anti-occidentalisme pathologique, dans sa version antiaméricaine. Tout fut pardonné à Fidel au nom de la lutte sacrée contre l'impérialisme yankee. Tout, y compris le massacre et la mise au pas de son peuple. Mais cette anti occidentalisme radical n'est pas seulement politique, il est aussi racial.

    Qu'on me permette de me citer dans mes Réflexions sur la question blanche (2011) : « Il faut se faire à la déraison : un sombre salaud cubain, vénézuélien, bolivien ou mexicain basané, qui sait ? mâtiné d'indien, ne sera jamais aussi honni qu'un bon vieux salaud chilien tel que Pinochet, poursuivi jusqu'au bord du tombeau, et que Sartre charriait pour « sa gueule de salaud latin » classique, à la Franco. ».

    Ensuite et surtout en raison du fait que le procès du communisme reste à instruire en France. Il s'agit d'une triste spécificité française.

    Il n'y a qu'en France que les archives du KGB n'aient pas été exploitées, après l'effondrement de l'URSS ce dont se désolait ma chère Annie Kriegel. Même dans l'Italie si communisante du compromis historique, les archives ont parlé, et l'on sait quel compagnon de route ou quel journaliste émargeait au budget soviétique. Il n'y a qu'en France où des syndicats politisés peuvent reconnaître leurs liens avec le PC sans être pour autant démonétisés. Il n'y a qu'en France où le parti communiste peut encore oser s'appeler par son nom et s'affubler d'un marteau et d'une faucille. Il n'y a qu'en France où des artistes sentencieux peuvent se produire à la fête du journal de l'organe central du parti communiste sans risquer la sentence. Il n'y a qu'en France où le parti de la gauche morale peut s'allier électoralement avec un parti communiste sans rougir ni être déconsidéré.

    Car c'est en France encore que ceux qui ont combattu extrêmement le communisme et ses épigones d'extrême-gauche ont été médiatiquement rangés dans le ghetto de l'extrême droite.

    Ce fut notamment le sort de Stéphane Courtois, qui faillit connaître la mort civile pour avoir écrit Le livre noir du communisme.

    Pour avoir eu le courage suicidaire d'estimer à 100 millions le nombre d'êtres humains assassinés pour imposer le communisme. Paul Kangor dans The Communist estime que le livre de Courtois est largement en dessous de la réalité. Courtois évaluait à 20 millions les crimes de Staline, mais Alexandre Yakovlev , adjoint de Gorbatchev, cité par Kangor, estime le carnage entre 60 et 70 millions d'humains.

    L'anticommunisme est un humanisme. 

    Post-scriptum citoyen : dimanche à 13h sur TF1, on pouvait voir les cubains réfugiés en Floride, ces anciens boat-people, fêter la mort du dictateur. Pas sur la chaîne de service public France 2 à la même heure. Seulement des cubains éplorés. Pour ceux qui, comme moi, n'arrivent pas à accepter comme un fléau naturel, la mainmise de l'idéologie sur le bien indivis des citoyens payant la redevance, je signale la naissance du « Collectif des usagers du service public audiovisuel » (contact@collectif-uspa.fr).

    Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain.

  • BD • Louis XIV en BD

     

    par CS

     

    L’histoire de ce tome 2 débute en mai 1682 à Versailles. Le Roi-Soleil âgé alors de 44 ans devise tout en marchant avec son fidèle Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances, qui mourra l’année suivante. Les deux hommes passent en revue les travaux d’avancement de Versailles, résidence des rois de France et haut lieu de la Cour.

    Dans quelques heures, chacune des 5.000 personnes qui vont y loger (1.000 personnes de haut rang et 4.000 intendants et serviteurs) aura pris ses appartements. Mais le bon roi est tourmenté par ses affaires intérieures et extérieures : L’affaire des Poisons qui a vu disparaître l’une de ses maîtresses dans d’atroces souffrances (Mlle de Fontanges) est sur le point d’être close et le monarque absolu se rend compte que des proches, dont Mme de Montespan, sont impliqués. Au plan international, le roi de Hongrie et de Bohème, Léopold 1er, a adhéré à l’alliance antifrançaise déjà formée par la Suède et les Provinces-Unies (Pays-Bas).

    Louis XIV est aussi en conflit avec le pape Innocent XI. Ce dernier refuse de donner l’institution canonique aux prêtres qui ont souscrit à la déclaration des Quatre articles imposée par le souverain français. Puis arrivent la succession au trône d’Espagne, les guerres avec les pays voisins et de nouveau les intrigues du palais…

    Le lecteur sent, derrière le travail impeccable des deux scénaristes, Jean-David Morvan et Frédérique Voulyzé, les conseils avisés du conseiller historique Hervé Drévillon, professeur d’histoire moderne à la Sorbonne mais également professeur à Saint-Cyr Coëtquidan. Ils ont réussi le tour de force de résumer, sans dénaturer, en deux seulement deux tomes, les 77 ans (dont 72 ans de règne) de la vie du Grand roi.

    Les remarquables dessins de Renato Guedes, coloriés par Walter retranscrivent à merveille l’ambiance de l’époque. Un ouvrage à mettre en toutes les mains. 

    Louis XIV, Tome 2, JD Morvan, F. Voulyzé, H. Drévillon, R. Guedes et Walter,  ditions Glénat , 56 pages , 14,50 euros

    Politique magazine