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  • Grenoble : ce lundi 7 novembre, une conférence du Centre Lesdiguières à ne pas rater

     

    La construction européenne vient de connaître un nouvel échec avec le vote majoritaire des britanniques pour sortir de ce néo-empire inféodé aux puissances financières qu'est devenu l'Union Européenne. Quelles conséquences économiques et politiques pour l'Europe et le France peut-on attendre de ce Brexit annoncé comme une catastrophe par les tenants de la pensée unique ? Quelle place pour un nouveau projet européen ou pour une évasion massive de l'union ? La sortie de l'euro et de l'UE sont elles envisageables pour la France ? Le Brexit, offre finalement de nombreuses pistes de réflexions, bien éloignées des remarques acerbes de nos grands médias, elles méritent que nous réfléchissions à certaines d'entre elles pour l'avenir de la France.  •

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    Centre Lesdiguières -  Le Buissert  38340 Pommiers-la-Placette

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  • Culture • Loisirs • Traditions ...

  • Médias • « Au secours, Maurras revient ! » s'alarme l'Obs... Mais un misérable Maurras forgé par la haine et la bêtise

    A l'auteur du Voyage d'Athènes 

     

    C'est la jeune Action française Provence qui nous a fait découvrir, sur sa page Facebook, la merveille qui suit. Une vidéo où l'Obs prétend révéler, définir, enseigner (?) ... qui était vraiment Charles Maurras. « Oncle Obs vous raconte tout. Regardez », nous dit-on sur le site de l'Obs. Regardez et vous trouverez un portrait de Charles Maurras - dressé, comme un procès-verbal, par un journaliste assez inconnu et passablement inculte, nommé François Reynaert - un portrait qui est une pièce d'anthologie, un condensé de tous les poncifs, une exposition de tous les réductionnismes, tous les mensonges, tous les tics de langage, l'expression mécanique de tous les clichés, tous les pauvres éléments de vocabulaire dont il est d'usage obligé de se servir pour évoquer l'un des grands penseurs, écrivain, poète et journaliste français du XXe siècle. « Charles Maurras, idéologue antisémite, concepteur d'un nationalisme absolu et nauséabond, collabo, est l'idole de Patrick Buisson... et semble inspirer de plus en plus les discours à droite. » Rassurez-vous, sulfureux est utilisé plus loin - aussi obligatoire que nauséabond (supra) : « Pourquoi faut-il s’inquiéter du retour en grâce de ce sulfureux idéologue ? Oncle Obs plonge dans les eaux troubles de l’histoire de l’extrême droite pour vous expliquer ça. ». Ni les eaux troubles, ni l'extrême droite n'auront manqué. 

    Deux observations : la première s'adresse au lecteur inconnu, à qui n'a pas lu Maurras, le connaît peu, mal, ou pas du tout, pour lui conseiller de passer son chemin, d'aller chercher ailleurs qui fut l'auteur d'Anthinéa, du Voyage d'Athènes, de l'Avenir de l'Intelligence, de Kiel et Tanger, le poète de la Musique et de la Balance intérieure, du Chemin de Paradis et des Quatre nuits de Provence ... Il y a, sur lui, par delà son œuvre même, cent ouvrages sérieux, de grande qualité. Oubliez l'obscur Reynaert. A ce dernier s'adresse notre seconde remarque : si la gauche s'alarme de perdre son hégémonie idéologique, sa suprématie intellectuelle, comme s'en inquiète incessamment votre distingué confrère Raphaël Glucksmann, le fils d'André, continuez sur cette voie et il aura eu raison de vous mettre en garde. Vous perdrez tout. Ce n'est pas ainsi que l'on combat ses adversaires dans l'ordre de l'esprit et de l'intelligence. Sur l'importance de la pensée de Maurras, consultez donc Edgar Morin et, pour l'heure, l'indignité de votre portrait de Maurras vous intime l'obligation de vous taire.   Lafautearousseau         

      

     

    A titre en quelque sorte de réponse et d'explication, Action française Provence a eu la bonne idée - il faut l'en féliciter - d'accompagner cette indigne vidéo d'un beau texte de Pierre Boutang. On commémore cette année son centenaire. Il est, sans-doute, le principal disciple de Charles Maurras de la période contemporaine et fut l'ami de George Steiner, grand intellectuel européen juif. Il fut aussi le successeur d'Emmanuel Levinas à la chaire de métaphysique de la Sorbonne. Ce dernier, métaphysicien et juif, commentant le choix controversé de Pierre Boutang pour lui succéder, avait dit à ses étudiants : « vous êtes dans de bonnes mains. » Dédié au très indigent François Reynaert.  LFAR  

     

    Boutang1.jpg« La présence de Maurras étonne ; la séduction qu'il recommence d'exercer sur les jeunes esprits, ce second printemps de la génération spirituelle, plonge les puissants et les habiles dans la plus lourde, et plaisante, stupeur. De lui, de sa méthode, des belles harmonies qu'il a instituées, il recommence de naître un grand murmure, moins audible dans les lâches assemblées publiques ou les timides salles de rédaction, que dans les petites réunions, les pauvres chambres, où les étudiants se rassemblent, et se demandent : qu'en sera-t-il de nous, de la vérité et du pays ? »

    Pierre Boutang

    Les Abeilles de Delphes 

    L'Obs

    Action Française - Provence

  • Histoire • Michel De Jaeghere par Mathieu Bock-Côté : un historien méditatif vu du Québec

     

    Par Mathieu Bock-Côté           

    A quoi sert l'histoire ? s'interroge Michel De Jaeghere dans La Compagnie des ombres. Le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté a lu le dernier essai du directeur du Figaro Histoire, une méditation autour de la permanence de l'homme à travers les siècles. Et il en tire lui-même une ample méditation d'où ni le legs de l'Histoire, ni le tragique de notre condition et de notre actualité ne sont absents. Mathieu Bock-Côté, parce qu'il nous paraît être, au sens de Baudelaire ou d'Edgar Poe, un antimoderne, nous est absolument proche.  LFAR 

     

    3222752275.jpgJournaliste de profession et historien de vocation, Michel De Jaeghere est une des plus belles plumes de la presse française. Auteur de nombreux ouvrages, parmi ceux-là, Enquête sur la christianophobie, La repentance, et plus récemment, du magistral Les derniers jours, qui revenait sur la chute de l'empire romain d'Occident, le directeur du Figaro-Histoire nous propose, avec La compagnie des ombres (éd. Belles Lettres, 2016), une méditation d'une érudition exceptionnelle sur un thème qui, manifestement, l'habite : à quoi sert l'histoire ? Au-delà de la simple passion encyclopédique qui pousse l'homme à accumuler les connaissances, que cherche-t-il en se tournant vers les époques passées, qu'elles soient très éloignées ou non dans le temps ? Qu'est-ce qui le pousse, inlassablement, vers des temps révolus qu'il ne connaîtra jamais que grâce au travail de son imagination ?

    Michel De Jaeghere nous souffle la réponse dès le début de l'ouvrage mais il y reviendra sur 400 pages : l'histoire nous « fait lever des ombres venues de la profondeur des âges pour nous faire partager les leçons tirées de la pratique de notre condition » et nous permet « d'enrichir nos âmes blessées au milieu des vivants par un fructueux colloque en compagnie des ombres » (p.18). Mais cela implique de reconnaître une chose : d'un siècle à l'autre, l'homme demeure le même, même si chaque époque ne cultive pas les mêmes passions ou les mêmes facettes de l'âme humaine. Il y a une telle chose que la permanence de l'homme, quoi qu'en pensent les modernes. L'histoire est un réservoir d'exemples : elle montre à l'humanité ses grandeurs et ses misères et l'homme d'État, quoi qu'on en pense, ne maîtrisera jamais l'art de gouverner s'il ne sait pas entretenir un riche dialogue avec ceux qui se sont posé des questions semblables aux siennes. Quant au philosophe, quelle sera la valeur de son œuvre, s'il s'imagine ne rien devoir à la grande enquête qu'il reprend à son tour ?

    Dans la première partie, consacrée à « la profondeur des âges », Michel De Jaeghere revient sur le monde antique, qu'il s'agisse de l'Égypte, du peuple juif, de la Grèce ou de Rome. Ces vieilles civilisations nous fascinent encore et on sait que Michel De Jaeghere a longuement médité sur le destin de la dernière, qu'on croyait éternelle et qui finalement, ne l'était pas. C'était longtemps la grande question des historiens : comment expliquer la grandeur et le déclin des civilisations ? Les choses humaines sont appelées à périr, même les plus belles, même si elles peuvent atteindre la relative immortalité qui vient avec leur remémoration. Autrement dit, à travers des formes historiques périssables, l'homme peut toucher certaines aspirations éternelles. Si une civilisation dure, nous dit-il, c'est parce qu'elle s'ouvre à certaines vérités éternelles qu'elle sait contempler. Cela, les Anciens le savaient, nous dit Michel De Jaeghere. Il n'en demeure pas moins qu'il y a là une réalité tragique : les hommes s'attachent à des réalités passagères, qu'ils voudraient immortaliser, et pour lesquelles ils sont prêts à donner leur vie, tout en sachant que le temps réduira à rien l'objet de leur sacrifice.

    La chute de Rome obsède les hommes depuis toujours et ils ne cessent de se tourner vers ses causes pour comprendre le sort qui attend la leur. Que se passe-t-il quand un empire ne parvient plus à défendre ses frontières et tolère que des peuples s'installent chez lui sans s'assimiler à la civilisation qu'ils rejoignent ? Michel De Jaeghere, à sa manière, renouvelle notre rapport aux invasions barbares. Les barbares avaient beau s'installer dans l'empire pour des raisons humanitaires, ils n'en demeuraient pas moins des envahisseurs. D'ailleurs, c'est un des charmes de ce livre : si à plusieurs reprises, en lisant un chapitre, on est frappé par la ressemblance entre une époque et une autre, jamais Michel De Jaeghere ne pousse la comparaison jusqu'à dissoudre la singularité de chacune : la permanence de la condition humaine n'est pas simplement l'éternel retour du même. Deux situations semblables ne sont pas deux situations identiques. L'homme tel que le peint Michel De Jaeghere est libre, même s'il n'est pas tout puissant. Il peut faire dévier le cours des événements : il y a un « prix à payer pour la défaillance des volontés humaines » (p.72). Si on étudiait encore la biographie des grands hommes, on le saurait. On ne se surprendra pas que Michel De Jaeghere nous y invite.

    Les civilisations meurent, mais d'autres naissent, comme le démontre éloquemment Michel De Jaeghere, dans la partie consacrée à « l'invention de l'Occident ». Évidemment, une civilisation naît dans la douleur, et par définition, pourrait-on dire, dans des temps sombres. La chute de Rome a créé les conditions d'un retour à la barbarie mais son souvenir a permis la naissance d'un nouveau monde, qui trouvera son « unité spirituelle » (p.124) dans le christianisme, notamment grâce à l'œuvre de Charlemagne. La leçon est forte : une civilisation qui ne s'ouvre pas à sa manière à la transcendance n'en est pas une. Un monde qui arrache ses racines et se ferme au ciel n'est pas un monde, mais un néant qui broie l'âme humaine. À plusieurs reprises, Michel De Jaeghere y revient : la civilisation européenne, et plus particulièrement, la nation française, sont indissociables de la religion chrétienne.

    L'histoire a longtemps été liée à l'art du gouvernement. Machiavel avait relu Tite-Live pour en tirer une philosophie politique faite d'exemples à méditer. La compagnie des ombres s'inscrit à cette école, principalement dans la section consacrée aux « grands siècles ». On sent une tristesse chez Michel De Jaeghere : en passant d'Aristote à Machiavel, la politique moderne aurait renoncé à la quête du bien commun pour devenir une pure technique de domination (p. 176-179). La modernité marque l'avènement de la rationalité instrumentale. Mais la cité risque alors de mutiler l'homme, en renonçant à l'élever, à cultiver sa meilleure part. Disons le autrement : la cité a quelque chose à voir avec l'âme humaine et le fait de former une communauté politique traversée par l'élan du bien commun permet à un groupe humain de se civiliser en profondeur. La philosophie politique de Michel De Jaeghere croise ici celle d'un Pierre Manent, qui demeure lui aussi attaché à une forme d'aristotélisme politique.

    De quelle manière gouverner les hommes ? En acceptant qu'ils ne sont ni anges, ni démons, et que la civilisation est d'abord une œuvre de refoulement de la barbarie. On aime chanter aujourd'hui les temps révolutionnaires : l'homme s'y serait régénéré en devenant maître de sa destinée. Après Soljenitsyne, Michel De Jaeghere nous met en garde contre cette illusion en revenant notamment sur les pages les plus sombres de la Révolution française : lorsqu'on fait tomber les digues qui contenaient les passions humaines les plus brutales et que le « fond de barbarie remonte » (p.221) au cœur de la cité. L'homme décivilisé n'est pas joyeusement spontané mais terriblement brutal. En fait, délivré de la culture, il s'ensauvage. Et il arrive aussi que le mal radical surgisse dans l'histoire, broie les hommes et pulvérise les peuples. Le vingtième siècle fut un siècle diabolique, qui a dévoré l'homme, le nazisme et le communisme étant chacun monstrueux et meurtriers.

    Historien méditatif, Michel De Jaeghere, disions-nous. On pourrait aussi dire de l'histoire méditative qu'il s'agit d'une histoire philosophique, qui entend retenir quelques leçons. J'en retiens une particulièrement : une cité n'en est pas vraiment une si elle ne se présente pas comme la gardienne de quelque chose de plus grand qu'elle, si elle ne cherche pas à exprimer une culture touchant aux aspirations fondamentales de l'âme humaine. Il nous parle ainsi de « l'incroyable capacité de résistance que peut avoir la culture lorsqu'elle est enracinée dans l'âme d'un peuple, lorsqu'elle est parvenue à une maturité qui lui donne d'atteindre à l'expression de la beauté avec une efficacité singulière » (p.29). Un peuple peut mourir politiquement. Il pourra renaître s'il n'a pas renié son âme, nous dit Michel De Jaeghere, en prenant l'exemple du peuple juif, qui a survécu à sa disparition politique et à sa dispersion il y a deux mille ans en se consacrant « à l'étude de la Torah, à l'observation des commandements et au recueil de la tradition orale, afin de maintenir la pérennité de la culture juive à travers les siècles » (p.83).

    Michel De Jaeghere comprend bien que l'homme ne comprendra jamais parfaitement le monde dans lequel il vit, que celui-ci n'est pas et ne sera jamais transparent. Le rationalisme militant des modernes prétend expliquer le monde mais l'assèche. Ils ont oublié la sagesse des Grecs qui « avaient compris que le mystère de la condition humaine laissait place à des questions auxquelles la réponse ne pouvait être donnée que sous le voile du mythe » (p.35). Que serait le travail de l'historien sans l'art de la métaphore, sans l'art du récit ? Il n'y a pas de transparence absolue du social, et une société n'est pas qu'un contrat rationnel à généraliser à l'ensemble des rapports sociaux. Son origine demeure toujours un peu mystérieuse, ce qui explique peut-être qu'on puisse toujours y revenir pour chercher à la comprendre et y trouver quelque inspiration.

    Le crépuscule des ombres est un livre splendide qui invite à considérer l'homme dans sa grandeur propre, en ne cherchant plus à le réduire à ses petits travers quotidiens. C'est un grand bonheur que d'admirer ceux qui sont dignes d'admiration. En creux, on y retrouvera aussi une critique aussi sévère que nécessaire de la stupide ingratitude des modernes, qui se croient appelés à dissoudre le monde pour le recommencer à leurs conditions et le formater idéologiquement. La modernité laissée à elle-même veut abolir l'ancienne humanité pour en faire naître une autre, délivrée de ses vieilles entraves, à partir du vide. En cela, il y a une barbarie moderne qui s'alimente d'un fantasme d'autoengendrement qui pousse l'homme à détruire l'héritage. Il ne s'agit pas, dès lors, de se tourner vers le passé pour se réfugier dans un musée, mais pour découvrir les invariants, les permanences, et peut-être surtout, les questions existentielles que l'homme ne peut esquiver sans finalement se déshumaniser. 

    « De quelle manière gouverner les hommes ? En acceptant qu'ils ne sont ni anges, ni démons, et que la civilisation est d'abord une œuvre de refoulement de la barbarie. »

    Michel De Jaeghere, La Compagnie des ombres. À quoi sert l'histoire?, éd. Les Belles Lettres, 2016. 

    Mathieu Bock-Côté 

    XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.

  • Art de vivre • Le petit bistrot sur la place de l’église

     

    par Bernard Leconte 
     

    L’autre année, par un mois d’octobre caniculaire, j’étais allé me promener dans la forêt de Compiègne. J’avais très soif. Je me dis : « Ce n’est rien. Il y a un café à Ermenonville ». Ce café était fermé. Je me dis : « Ce n’est rien. Il ne manque pas de villages sur ma route ». Dans chaque village, le café était fermé, ou il n’y en avait plus du tout. Ce n’est qu’à Senlis que je pus éviter in extremis un malaise odieux dû à une déshydratation poussée.

    Cette absence de cafés dans les villages a beaucoup de bon. Cela réduit considérablement l’alcoolisme public. On y gagne en silence. Autrefois, dans des villages où on pouvait aller jusqu’à quatre ou cinq établissements de boissons, on devait à l’abord de ces établissements-là slalomer difficilement entre des gens qui en sortaient en titubant, en chutant et en vociférant des gros mots. Il arrivait que dans ces établissements on chantât et même on braillât. Quand vous vous y installiez, bientôt de nouveaux assoiffés survenaient et s’empressaient de vous serrer la pogne avec leurs mains pleines de bouse.

    C’était peu hygiénique. D’ailleurs, la patronne n’était pas toujours très propre sur elle. Les verres dans lesquels elle versait différentes sortes de liquides étaient à peine rincés, quelquefois ils ne l’étaient pas du tout. Les miroirs étaient couverts de chiures de mouche. Les chaises en bois dont le siège, en bois mince lui aussi, était orné de motifs faux Henri II aux trois quarts effacés par le frottement de postérieurs rustauds, pouvaient être bancales et grinçaient sur un plancher où les crachats se mêlaient à la sciure. Ces établissements grouillaient de monde, on y rigolait grassement, on y calomniait son voisin avec entrain, on y colportait avec naïveté les plus délirantes rumeurs.

    C’était, comme on dit maintenant, des lieux de convivialité, mais d’une convivialité grossière. Aujourd’hui, plus de tout ça. Les gens ne se voient plus, ne se parlent plus, ils sont au travail sur leur tracteur qui fait un bruit admirable, ou devant leur ordinateur pour apprécier leur déficit, ou devant leur téléviseur où ils s’instruisent grâce à des séries américaines. Ils s’enivrent chez eux tout seuls et deviennent « addicts » sans que le voisin le sache. Voilà de la pudeur. Le soir, plus aucun bruit, le village est aseptisé et comme mort.   

     
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  • Idées • Eric Zemmour : « L'homme qui n'aimait pas notre Révolution »

     

    Par Eric Zemmour

    Une réédition remarquable du classique de Burke. Depuis deux siècles, les droits de l'homme sont devenus  notre religion. Pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire, d'ailleurs, comme on le voit aujourd'hui. Deux remarques à propos de cette brillante recension d'Eric Zemmour [Figarovox - 2.11]. La première est que le terme conservateur - que revendiquent très couramment les intellectuels appelés souvent néo-réacs - n'a plus le sens péjoratif qu'il avait jadis dans les milieux royalistes ou patriotes (« c'est un mot qui commence mal ...»), il ne se rattache plus à l'idéologie libérale ou bourgeoise de la droite parlementaire, il signifie plutôt attachement à ce que nous aurions appelé en un temps, au sens profond, la Tradition.  A conserver ou à retrouver. Notre seconde remarque est une réserve lorsque Zemmour écrit que « les libertés anciennes ont été détruites en France par la monarchie elle-même ». Ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette affirmation doit, selon nous, être fortement relativisé : rien de comparable entre les libertés anciennes que la monarchie a pu détruire et l'œuvre du rouleau compresseur idéologique du jacobinisme révolutionnaire encore à l'œuvre aujourd'hui. Les plus ultras partisans de la décentralisation et des libertés se satisferaient volontiers aujourd'hui des libertés de toutes sortes dont était toujours hérissée la France à la veille de la Révolution.  Lafautearousseau    

     

    522209694.4.jpgC'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes ; dans les grands textes du passé qu'on comprend le mieux la situation politique contemporaine. La dernière réédition du classique Réflexions sur la Révolution en France d'Edmund Burke l'atteste une nouvelle fois avec éclat. Il faut dire que le travail éditorial est admirable : préface brillante de Philippe Raynaud ; appareil critique exhaustif et passionnant ; sans oublier divers discours ou lettres de Burke qui attestent que, jusqu'à sa mort en 1797, celui-ci n'a jamais cessé de ferrailler contre notre Révolution.

    On se souvient de la thèse de Burke : les « droits de l'homme » n'existent pas ; il ne connaît que les « droits des Anglais ». On songe aussitôt à Joseph de Maistre, qui, lui non plus, n'avait jamais rencontré d'« hommes », mais des Italiens, des Russes et même, grâce à Montesquieu, des Persans. Ce ne sera pas la seule fois que le libéral conservateur anglais se retrouve sur la même ligne que le réactionnaire savoyard. Pas la seule fois qu'il inspirera tous les conservateurs avec son éloge chaleureux des « préjugés ».

    Pour Burke, les libertés sont un héritage, un patrimoine hérité de ses ancêtres. De sa tradition et de son Histoire. Burke est le premier à prendre « la défense de l'Histoire contre le projet révolutionnaire de reconstruction consciente de l'ordre social », nous explique notre préfacier didactique. Cette querelle dure jusqu'à nous. Nous vivons encore sous l'emprise de ces révolutionnaires qui ne se lassent jamais de « faire table rase du passé », pour qui tout est artificiel, tout peut être construit par volonté et par contrat, même la nation, même la famille, jusqu'au choix de son sexe désormais.

    Burke comprend tout de suite les potentialités tyranniques du nouveau quadrilatère sacré des concepts à majuscule : « Philosophie, Lumières, Liberté, Droits de l'Homme » ; et les violences de la Terreur qui s'annoncent, « conséquences nécessaires de ces triomphes des Droits de l'Homme, où se perd tout sentiment naturel du bien et du mal ». Burke tire le portrait, deux siècles avant, de nos élites bien-pensantes contemporaines qui n'ont que le mot « République » à la bouche, pour mieux effacer la France : « Chez eux, le patriotisme commence et finit avec le système politique qui s'accorde avec leur opinion du moment » ; et de ces laïcards qui réservent toute leur fureur iconoclaste au catholicisme, quel qu'en soit le prix à payer : « Le service de l'État n'était qu'un prétexte pour détruire l'Église. Et si, pour arriver à détruire l'Église, il fallait passer par la destruction du pays, on n'allait pas s'en faire un scrupule. Aussi l'a-t-on bel et bien détruit. »

    Burke est le père spirituel de tous les penseurs antitotalitaires du XXe siècle, en ayant pressenti que les hommes abstraits des « droits de l'homme » désaffiliés, déracinés, arrachés à leur foi et à leur terre, hommes sans qualités chers à Musil, seraient une proie facile des machines totalitaires du XXe siècle.

    Mais Burke, avec son œil d'aigle et sa prose élégante, est aussi passionnant par ses contradictions et ses limites. Burke parle d'abord aux Anglais de son temps. Il n'est pas un conservateur comme les autres. Il a pris le parti des « Insurgents » américains contre l'Empire britannique. C'est un libéral qui croit en une société des talents et des mérites. Mais il combat ses propres amis qui soutiennent les révolutionnaires français au nom d'une démocratisation des institutions anglaises. Burke se fait le chantre des inégalités sociales et rejette la conception rousseauiste de la participation des citoyens au pouvoir. Il n'est pas républicain ; il n'admet pas que la souveraineté nationale assure la liberté des citoyens. Il donne raison à Napoléon, qui écrira dans quelques années à Talleyrand : « La Constitution anglaise n'est qu'une charte de privilèges. C'est un plafond tout en noir, mais brodé d'or. »

    Il décèle avec une rare finesse l'alliance subversive entre gens d'argent et gens de lettres, qui renversera en France l'aristocratie d'épée et l'Église. Burke a déjà deviné ce que Balzac décrira. Mais il faut, à la manière des marxistes d'antan, lui rendre la pareille : Burke est l'homme de l'aristocratie terrienne anglaise qui s'est lancée dans l'industrie au XVIIIe siècle et entend bien soumettre politiquement les classes populaires pour permettre les conditions de « l'accumulation capitaliste ». Il défend une authentique position de classe. Mais sa position de classe donnera la victoire à l'Angleterre dans la lutte pour la domination mondiale.

    Burke est un conservateur libéral ; il accepte l'arbitrage suprême du marché ; il est proche d'Adam Smith et est le maître de Hayek. Mais comme tous les conservateurs, son éloge nostalgique de « l'âge de la chevalerie », de « l'esprit de noblesse et de religion », son émotion devant les charmes de Marie-Antoinette seront emportés comme fétu de paille par la férocité du marché, ce que Marx appelait « les eaux glacées du calcul égoïste ». Il ne veut pas voir ce que Schumpeter reconnaîtra : le capitalisme détruit « non seulement les arrières qui gênaient ses progrès, mais encore les arcs-boutants qui l'empêchaient de s'effondrer ».

    Burke est anglais et sa réponse est anglaise. Mais la Révolution de 1789 est française. La monarchie anglaise n'a pas eu la même histoire que la monarchie française. Les libertés anciennes ont été détruites en France par la monarchie elle-même. D'abord pour émanciper le roi de l'Église et des féodaux, puis, pour arracher le pays aux guerres de Religion. La Glorious Revolution de 1688 s'est faite au nom de la religion protestante et de la défense des libertés aristocratiques.

    Deux histoires, deux conceptions de la liberté. Mais Burke préfigure et annonce le sempiternel regret des libéraux français et de toutes nos élites depuis deux siècles : que la France ne soit pas l'Angleterre. Ce regret n'a jamais été consolé ni pardonné: après avoir tenté pendant deux siècles de corriger le peuple de ses défauts ; après s'être efforcées de l'angliciser, de l'américaniser, de le « protestantiser », les élites hexagonales ont fini par abandonner le peuple français à son indécrottable sort « franchouillard » et le jeter par-dessus bord de l'Histoire. Au nom de l'universalisme et des droits de l'homme. Burke avait eu raison de se méfier. 

    Réflexions sur la révolution en France. Edmund Burke, Les Belles Lettres, 777 p., 17 €.

    Eric Zemmour           

  • Livres & Actualité • La leçon politique de Patrick Buisson

     

    par Hilaire de Crémiers

     

    2771589182.jpgOn a dit qu’il s’agissait d’un règlement de compte. Rien n’est plus faux. C’est le livre d’analyse politique le plus intelligent de l’année. Car Patrick Buisson prend les choses de haut et vise en profondeur.

    Cette minutieuse étude de « cas » – car il étudie à fond un « cas » – n’est pas écrite pour le politicien moyen qui , de toutes façons, n’y comprendrait rien et qui refuserait de voir ce que ce jet de lumière sur toute la série d’évènements du quinquennat Sarkozy montre à l’évidence : l’incapacité du régime à se réformer, l’impossibilité pour les hommes du régime, type Sarkozy ou n’importe quel autre, à se mettre au niveau du problème de la France d’aujourd’hui.

    L’existence même de la France comme nation historique est compromise ; or il y a dans le peuple français des réactions de vitalité ; mais l’homme politique ne les saisit que comme vecteurs pour parvenir au pouvoir. Au mieux, c’est juste un exercice de conquête : capter des voix.

    Il n’est plus aucune transcendance dans la politique. Elle n’est plus qu’un moyen de réalisation et de jouissance personnelles. L’absence de conviction de fond est la caractéristique de tout ce monde qui prétend gouverner et se partager les prébendes du pouvoir.

    Voudrait-on changer les choses, dans l’état actuel des institutions et de la vie politique, les puissances médiatiques, financières, syndicales, les groupes de pression, les réseaux plus ou moins occultes, et une part importante des pouvoirs publics sous influence se mettraient en travers.

    Conseiller en vérité un homme politique dans pareilles conditions devient un métier impossible. L’homme de pouvoir est devenu trop versatile, trop dépendant des modes du moment, trop sensible à toutes les pressions du politiquement correct pour envisager de vraies réformes de fond, pour même concevoir un redressement français. La vaste culture de Patrick Buisson lui permet de mettre en perspective ses cinq années d’expérience.

    Tout est vu avec justesse. Le commentaire s’élève jusqu’à la philosophie politique à laquelle sont malheureusement étrangers tous les protagonistes de ce mauvais drame. C’est une leçon. Au-delà de Bernanos et de Péguy, il y a du Maurras et du Bainville dans ce livre magistral. La France se meurt d’institutions malfaisantes. Nos hommes politiques sont à leur image. 

    La cause du peuple, l’histoire interdite de la présidence Sarkozy, de Patrick Buisson, Perrin, 460 pages

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  • Société • Grandeur et décadence des nouveaux enfants du siècle Dernier inventaire générationnel avant liquidation

    Zemmour et Michéa par Hannah Assouline. Abu-Bakr Al-Baghdadi; Sipa

     

    Par Théophane Le Méné

    Dans « Les nouveaux enfants du siècle », le journaliste Alexandre Devecchio ausculte les trois facettes d'une génération radicale révoltée contre la fin de l'Histoire : souverainiste, identitaire et... djihadiste. Passionnant. Ainsi, la réflexion de Théophane Le Méné [Causeur - 4.11] nous a vivement intéressés. Toutefois, s'agissant de « la réconciliation de la nation et de la République », nous dirons franchement que nous n'en voyons pas trace. Et qu'elle ne nous paraît nullement souhaitable. Nous dirions plutôt : « la réconciliation de la nation avec elle-même ». Ce qui, nous semble-t-il,  aurait une tout autre portée.  Lafautearousseau
     

     

    1903675662.2.jpg« Nous sommes les enfants de personne » assenait il y a quelques années Jacques de Guillebon dans un livre qui se faisait fort de dénoncer le refus d’une génération de transmettre à l’autre l’héritage culturel et spirituel de notre civilisation, préférant se vautrer dans le relativisme et l’adulation de la transgression. Douze ans ont passé. Et de ce reproche, il n’y malheureusement rien à redire. Mais il y a à ajouter. Car la France a vu ressurgir les faits sociaux quand ce n’était pas la barbarie ; et c’est précisément à partir de ce postulat que le brillant journaliste et désormais essayiste Alexandre Devecchio a enquêté avec une rigueur qu’il convient de saluer.

    Génération radicale

    Lorsqu’on n’a plus de repères, et a fortiori de pères, certaines figures putatives viennent naturellement combler ce vide dont nous avons horreur. Car plutôt que de se désoler d’une filiation disparue, pourquoi ne pas s’en inventer une à travers certains hérauts qui, depuis quelques années, de manière différente et plus ou moins controversée, n’ont jamais accepté l’empire du bien auquel a succédé l’empire du rien ? C’est ainsi que toute une génération, sur le même constat d’une civilisation dévastée, se retrouve désormais au carrefour tragique d’une certaine radicalité d’où partent en étoile des destins.

    Il y a la génération Dieudonné. L’humoriste fut nourri au lait de l’antiracisme en même temps qu’on le sommait – comme à tant d’autres – d’exacerber son identité. Quelques années plus tard, le voilà désormais à souhaiter le déclin de la France tout en célébrant l’antisémitisme et en mettant à l’honneur une jeunesse de banlieue, pour la plupart désœuvrée, essentiellement issue de l’immigration maghrébine. Cette jeunesse souvent ignorante, en mal d’espérance n’est ni Charlie ni Paris, ni Cabu ni Hamel ; en réalité elle ne se veut rien qui pourrait la confondre avec ce qui, paradoxalement ou non, fait la France. Ce n’est pas le social, ni une quelconque politique de la ville qui motive son combat. En quête d’un grand récit, d’une épopée, d’une mystique, d’un combat métapolitique, elle se voue à l’islamisme et à ses formes étatiques car « pour ces enfants du siècle, le djihadisme constitue la réponse rivale maximale au vide métaphysique de l’Europe, une manière de dire non à la fin de l’histoire. »

    Zemmour et Michéa

    La génération Zemmour est assurément de l’autre bord. L’auteur du « Suicide français » a su cristalliser les angoisses de ceux qu’Aymeric Patricot a osé appeler « les petits blancs » ; de ceux que Bernard Henri Lévy jugeaient odieux parce qu’ils étaient « terroirs, binious, franchouillards ou cocardiers ». De condition modeste, frappée du mal de l’identité malheureuse, ayant le sentiment d’avoir été dépossédée par l’Europe, l’immigration, le marché et la mondialisation, cette jeunesse reconnaît à Eric Zemmour de savoir mettre des mots sur les maux, sans faux-semblant, avec intelligence et une certaine aura. Elle ne supporte plus les accusations lancinantes d’une élite déconnectée qui se targue détester les siens et s’aime d’aimer les autres. Et semble appeler de ses vœux une révolution conservatrice tout en vibrant au discours d’une Marion Maréchal-Le Pen à la Sainte-Baume : « Nous sommes la contre-génération 68. Nous voulons des principes, des valeurs, nous voulons des maîtres à suivre, nous voulons aussi un Dieu ».

     

    La génération Michéa est sans aucun doute la plus complexe. Elle doit au philosophe d’avoir théorisé à travers de nombreux ouvrages l’alliance objective du libéralisme et du libertarisme et d’avoir exposé les conséquences d’un Etat libéral philosophiquement vide, qui laisse le marché remplir les pages laissées en blanc, tout en instillant sa morale aux hommes. Pour la plupart issus des rangs de la Manif pour Tous, hier enfants de bourgeois, ces jeunes sont devenus l’armée de réserve d’un combat culturel qui ne dit pas encore son nom. Ils ne veulent plus jouir sans entraves ; ils ne veulent plus de ce marketing agressif, de ce déracinement identitaire, de ce décérébrage médiatique, de ce relativisme moral, de cette misère spirituelle, de ce fantasme de l’homme autoconstruit. Face à ce système déshumanisant, l’écologie intégrale qu’ils proposent offre une alternative radicale: moins mais mieux! Indissolublement humaine et environnementale, éthique et politique, elle considère la personne non pas comme un consommateur ou une machine, mais comme un être relationnel qui ne saurait trouver son épanouissement hors-sol, c’est-à-dire sans vivre harmonieusement avec son milieu, social et naturel. Dans la conception de leur principe, l’écologie intégrale ne sacralise pas l’humain au détriment de la nature, ni la nature au détriment de l’humain, mais pense leur interaction féconde.

    Entre ces trois jeunesses rebelles, la conjonction est improbable, mais l’affrontement est-il impossible, interroge l’auteur ? « Le fait est que, aujourd’hui, ces trois jeunesses se regardent en chien de faïence. Si elles venaient à s’affronter, ce serait parce que, plus largement serait advenu la guerre de tous contre tous ». Depuis plusieurs années le tocsin sonne. Pour répondre à ce défi, le journaliste veut voir quelques prémisses : le retour d’un grand récit national, la fin du multiculturalisme en même temps que de l’uniformisation planétaire, l’assimilation, la réconciliation de la nation et de la République. « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » disait le poète Hölderlin. Alexandre Devecchio n’affirme pas autre chose lorsqu’il déclare: « Si le pire n’est pas certain, c’est aux enfants du siècle, et sans doute grâce à leur esprit insurrectionnel que viendra sublimer quelque miraculeuse inspiration, que nous devrons de l’avoir conjuré ». Dieu, s’il existe dans ce nouveau siècle, veuille qu’il ait raison.   

    Théophane Le Méné

  • BD • Hyver 1709

     

    par CS

     

    Il n’y avait pas, en janvier 1709, de bulletins ni de prévisions météorologiques.  Mais dans la mémoire collective, cet hiver-là reste marqué au fer blanc comme « Le Grand Hyver ». Des relevés de températures relevèrent néanmoins – 25°C à Paris, -20,5°C à Bordeaux et -17°C à Montpellier. On rapporta aussi que la Seine gela progressivement et que la mer elle-même commençait à geler sur plusieurs kilomètres de largeur… A cette époque, Le ravitaillement en céréales devient un enjeu majeur pour le pouvoir, qu’il s’agisse de limiter les souffrances de la population, ou de soutenir l’effort de guerre. Un aventurier nommé Loys Rohan approche alors la cour avec la possibilité d’acheter une énorme cargaison de céréales prises à l’adversaire par un pirate sans attaches. Il se fait fort de localiser le lieu de débarquement du précieux butin, s’il obtient le laisser-passer et le feu vert sonnant et trébuchant de Versailles. Il faut localiser la cargaison de blé providentielle. Mais les Anglais et d’autres ennemis sont également sur cette piste. Loys Rohan traque Valescure qui, par l’intermédiaire de son prisonnier, un nommé Ravel, détient deux sacoches. Ces dernières contiennent les repères géographiques du navire. Ravel qui travaille pour les Hollandais veut envoyer le bateau et sa cargaison par le fond. Valescure veut, lui, récupérer la marchandise et la moyenner beaucoup plus cher… Loys Rohan a fort à faire pour retrouver la piste des deux hommes, échapper aux chausse-trappes qui rythment sa quête et aussi rester en vie. Pour accomplir définitivement sa mission.

    Un scénario bien bâti, une intrigue efficace et des dessins remarquables qui retranscrivent admirablement l’atmosphère de l’époque emportent l’adhésion du lecteur et des amoureux d’histoire. Cependant, un peu de concentration est nécessaire pour bien suivre le chassé-croisé entre les poursuivants. Il n’y aura malheureusement pas de troisième tome mais les amateurs de BD attendent avec impatience les prochaines publications du couple Sergeef et Xavier. 

    Hyver 1709 – Tome 2 – de Nathalie Sergeef et Philippe Xavier – éditions Glénat – 56 pages -14,50 euros 

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  • Un Système sans sa police, une police contre le gouvernement et ses propres syndicats : avis de tempête sur le Pays légal...

     

    Mur-bleu gds.jpgComme le dit justement Frédéric Rouvillois, dans sa tribune de Figarovox du 31 octobre : « Comparaison n'est pas raison, nous dit la sagesse des peuples. Ce qui n'empêche pas certains rapprochements troublants. Au printemps 1958, l'agonie piteuse de la IVe République avait été marquée par des manifestations de policiers ulcérés par l'impuissance de l'État, par des dissensions amères au sein du gouvernement et de la classe politique, par la perte de légitimité du système et par son incapacité visible à trouver des réponses aux questions les plus urgentes... »  

    Certes, le malaise dure depuis longtemps : on se contentera de ne remonter qu'à la voiture incendiée le 18 mai à Paris, avec deux agents à l'intérieur, et au CRS brûlé par un cocktail Molotov le 15 septembre, toujours à Paris, un de ses collègues, blessé à la tête, étant évacué par hélicoptère. Des violences alarmantes qui, ajoutées à une multitude d'autres, ont suscité un immense ras-le-bol chez les policiers, mais qui n'ont d'abord attiré comme réponses officielles que le mot de « sauvageons », scandaleusement employé par Bernard Cazeneuve alors qu'il fallait évidemment parler d'assassins, parfaitement conscients, parfaitement organisés, et sachant pertinemment ce qu'ils voulaient ; puis la non moins scandaleuse insinuation de Jean-Christophe Cambadélis - patron d'un PS où les condamnés et mis en examen ne se comptent même plus... - voyant dans la colère des policier « la patte du Front national ». Deux maladresses de taille qui ont au moins autant contribué que les faits eux-mêmes à l'explosion de colère policière, n'en doutons pas. 

    Résultat : aujourd'hui, le pouvoir politique est plus qu'interpellé, contesté, par ceux-là même dont le rôle normal est de faire respecter son autorité.  

    On s'attendrait à ce que ce semble-pouvoir change d'attitude : eh bien, non ! Aux policiers qui manifestent, que dit-on ? On les convoque devant l'IGPN ! 80.000 peines décidées par la Justice ne sont pas exécutées, les trafics de drogue - entre autres - explosent, et rapportent 90.000 euros par jour, pour ne prendre que ces deux exemples, et qu'est-ce qui est le plus urgent à faire pour notre pauvre semble-gouvernement ? Traduire devant l'IGPN - sorte de moderne Inquisition anti-flic - les policiers qui dénoncent le pourrissement de la situation sans se lasser, bien au contraire, puisque leur mouvement dure, s'amplifie et s'enracine. 

    Une suggestion : pourquoi ne pas envoyer les gens de l'IGPN faire un stage d'un mois ou deux sur le terrain ? Par exemple dans une des cités de ces 1.500 zones de non-droit officiellement reconnues en France (il y en a, en fait, bien plus). Eux qui travaillent bien douillettement planqués dans d'assez confortables locaux, chauffés l'hiver, climatisés l'été, pourraient ainsi montrer aux pauvres bouseux qui, eux, se tapent le terrain du 1er janvier au 31 décembre comment on fait pour éviter les soi-disant « bavures », lorsqu'on est tombé dans un traquenard à un ou deux contre cinquante ou cent, jetant des cocktails Molotov...  

    Si l'IGPN devait n'être qu'une institution qui entrave, de fait, le travail de la police, favorisant, de fait, la délinquance, alors il faudrait envisager sa suppression, et sa refondation sur d'autres bases. Car son action, dans la situation présente (sanctionner des policiers qui n'ont rien fait de mal) ce n'est rien moins que porter un coup de poignard dans le dos à une police et des forces de l'ordre déjà en état d'infériorité sur le terrain face à la superposition de la délinquance et du terrorisme, l'une et l'autre surarmées. 

    La vérité est qu'un régime, quel qu'il soit, ne peut vivre « sans », et encore moins « contre », sa police : si l'on n'a pas confiance dans les policiers, et qu'on leur préfère les délinquants, qu'on les désarme et qu'on les révoque. Sinon, il n'y a que trois choses à faire, et d'urgence : 

    qu'on leur donne vraiment les moyens matériels d'agir, et non une aumône de 250 millions : il ne s'agit plus de maintenir l'ordre, mais de faire face à de véritables et multiples guerillas, qu'elles soient idéologiques (casseurs d'extrême-gauche, « no borders »...) ou simplement délinquantes; 
     
    qu'on reconnaisse ce qui est devenu plus qu'une exigence, une nécessité : la « présomption de légitime défense »
     
    qu'on cesse immédiatement toute poursuite contre tout policier qui n'a commis qu'un crime : alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur l'explosion inédite de la violence, partout dans le pays. 

    Sinon, dans cette pétaudière que devient notre malheureux pays, par la faute du Système, le dit Système a du souci à se faire... Il n’y a pas lieu de le plaindre, lui. 

     
    A lire aussi dans Lafautearousseau 
     

    Graffitis terroristes à la Sorbonne ? Ecrits par les enfants d'un Système né dans la Terreur...

     

  • Les fossoyeurs

     

    Par François Marcilhac

     

    500021990.3.jpgNul ne saurait se réjouir du nouvel abaissement de la fonction présidentielle dont François Hollande vient de se rendre coupable. On croyait avoir touché le fond entre 2007 et 2012 avec Sarkozy : on se trompait. Un fossoyeur a chassé l’autre : la république creuse toujours plus profond.  

    Est-il utile de revenir sur le dernier étron présidentiel, ce livre indigne d’un chef d’Etat en exercice, voire à la retraite ? Son contenu et sa publication sont peu compatibles avec les obligations de la charge présidentielle, a-t-on entendu de toutes parts. S’apprête-t-on pour autant à recourir à l’article 68 de la Constitution qui prévoit la destitution du chef de l’Etat « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ? Deux raisons principales s’y opposent. Personne ne tient à devancer l’appel, d’autant que ce sont les primaires (républicaine et socialiste) qui dictent désormais leur calendrier ; surtout, l’affaiblissement de l’Etat est conforme à l’évolution voulue par l’oligarchie mondiale : l’exécutif ayant perdu sa souveraineté, pourquoi son chef se conduirait-il en souverain ? Hollande, après Sarkozy, est le président d’une république qui ne cherche plus à faire illusion.

    Ce qui rassure ? le mépris du pays réel — Hollande devenu Monsieur 4 % — et le désaveu politicien. Désaveu hypocrite, bien sûr, car ces politiciens ne remettent pas en cause la soumission de la res publica à la double loi des marchés et de l’impérialisme financier et politique de l’étranger. Il ne faut pas confondre les rats qui quittent le navire et espèrent réaliser plus tôt que prévu leur minable ambition personnelle avec des hommes d’Etat qui souhaitent redonner à la fonction régalienne sa dignité et, pour tout dire, son autorité. Le premier ministre conteste-t-il ouvertement le président et se fait recadrer par lui ? Le spectacle donné par le sommet de l’Etat est indigne d’un pays membre du Conseil permanent des Nations unies. Et dire que les deux têtes de l’exécutif prétendaient récemment donner des leçons de grandeur politique à Vladimir Poutine ! Quant à évoquer le précédent de la querelle Giscard-Chirac de l’été 1976, qui a abouti à la démission du second, ce serait une erreur de perspective. Ces deux-là avaient le bon goût de s’opposer sur la politique à conduire pour redresser la nation confrontée, déjà, à la crise. Rien de tel, aujourd’hui, puisque l’Etat a perdu la plupart de ses prérogatives et ne s’attelle plus qu’aux affaires courantes que veut bien lui laisser gérer Bruxelles. Une fonction subalterne que ni Valls, ni Juppé, ni Sarkozy, ni Macron, ni même Montebourg ne contestent — Mélenchon, peut-être, mais au prix d’un retour préjudiciable à la IVe république.

    Une preuve supplémentaire de cet abandon : la signature avec le Canada de l’AEGC (Accord économique et commercial global, CETA en anglais), que la tragi-comédie wallonne a eu au moins le mérite de mettre sur le devant de la scène. Le pot de terre contre le pot de fer : à partir du moment où toute l’Europe légale, droite et gauche complices, comme en France, était favorable à ce traité organisant le démantèlement de nos dernières digues face au raz-de-marée mondialiste, la Wallonie ne pouvait servir longtemps de grain de sable. L’unanimité du personnel politique français à vouloir signer ce traité en dit long d’ailleurs sur la sincérité de ceux qui, dans l’opposition comme à la tête de l’Etat, affirment s’opposer au traité de libre-échange transatlantique (TAFTA en anglais) en cours de négociation avec les Etats-Unis. Ils mentent. « Le CETA, frère jumeau du TAFTA, a pour but de préparer le terrain pour sa signature », a fort justement souligné Jacques Sapir. Car les fossoyeurs de l’Etat sont aussi ceux de notre souveraineté, de notre économie et de notre mode de vie, ces traités créant pour les multinationales rien moins qu’un droit au profit, qu’une nouvelle cour de justice supranationale sera chargée de garantir contre les peuples et contre les Etats — exception faite ... du plus important signataire soi-même, les Etats-Unis qui, profitant de l’avantage exorbitant que leur donne le dollar, imposent l’extraterritorialité de leur droit. Voilà qui, là encore, devrait valoir une procédure de destitution, non seulement au chef de l’exécutif ou au pays légal en son entier, mais à tout le régime ! C’est la république elle-même qu’il faut destituer si nous voulons redresser la tête et recouvrer notre indépendance.

    Car les institutions sont bien les premières responsables de la situation déliquescente dans laquelle nous sommes plongés. Quant la royauté soumet la dynamique de l’ambition personnelle au bien commun — Richelieu, Mazarin — ou a la capacité de rectifier le tir — destitution et arrestation de Fouquet —, la république, au contraire, soumet l’action publique aux ambitions personnelles, et dissout ainsi ce qui peut demeurer de souci du bien commun chez les serviteurs de l’Etat. Ainsi de l’emploi : discréditée par une parole présidentielle qui en a fait un argument de campagne électorale, la baisse du nombre des chômeurs de catégorie A (les sans emploi), qui est un enjeu social et économique primordial, perd toute pertinence politique. Entre l’explosion du nombre des faux emplois subventionnés (dits emplois aidés), les radiations arbitraires et le basculement massif des chômeurs de catégorie A en catégorie D (celle des formations), comment juger de l’impact réel sur le nombre réel des chômeurs d’une croissance timide comme des politiques menées en faveur des entreprises — le fameux CICE, notamment ?

    La république a le don de faire perdre tout caractère concret à ce qu’elle filtre. Elle est une entreprise de déréalisation. Et si ni les media, ni même la droite n’ont dénoncé la supercherie d’une embellie bienvenue à quelques mois de la présidentielle, est-ce parce que cette embellie est réelle ou parce que, réelle ou non, elle ne peut de toute façon plus servir à la candidature d’un président sortant totalement discrédité ? Pendant ce temps, en revanche, le pays réel souffre, lui, réellement de politiques qui n’ont plus pour objectif réel de résoudre les problèmes réels de la nation mais de gagner les soirs d’élections au prix de faux semblants, dans l’espoir que la gestion sociale de la pauvreté ou un quelconque revenu universel — nouvelle idée à la mode — suffira à juguler la colère du bas peuple. Et ce que nous disons du chômage pourrait l’être de la sécurité ou de l’invasion migratoire.

    Parfois, pourtant, le pays réel se rebiffe. Ainsi les policiers, qui n’en peuvent plus de plusieurs décennies de mépris : l’état déplorable des commissariats date de bien plus loin que Hollande ou Sarkozy ; il en est de même du divorce avec une justice dont, parfois, l’angélisme encouragé en haut lieu déréalise une insécurité bien concrète, notamment celle des quartiers, ce qui se traduit par la multiplication de zones de non-droit favorisée par la politique tant pénale que migratoire des gouvernements successifs de droite et de gauche. Une politique dont le pays paie aujourd’hui les conséquences en termes de terrorisme islamiste et de société multiconflictuelle. Mais là encore, la république, pour mieux changer de peuple, transforme la réalité, par exemple en appelant réfugiés des myriades de clandestins. En jouant sur le pathos, elle espère faciliter sa politique de dissémination et les faire mieux accepter d’une population récalcitrante qui, de toute façon, se les voit imposer.

    Le meilleur pour la fin : le « comité d’éthique » [sic] de l’Union européenne vient de juger la nomination de Barroso chez Goldman Sachs « conforme au code de conduite de l’UE ». Personnellement je n’en avais jamais douté. 

    L’ACTION FRANÇAISE 2000

  • Bientôt 10 ans d'existence ... Comment allons-nous ? Quid de Lafautearousseau ?

    Google Analytics - 20 septembre 2016 - Connections en cours, instantané à 14h15

     

    Depuis sa création [28.02.2007], nos lecteurs se sont toujours intéressés à la progression de Lafautearousseau et nous les en avons toujours tenus informés. Nous continuerons de le faire, notre lectorat constituant, au moins dans sa plus grande part, une désormais assez vaste communauté d'idées, dont l'amitié d'esprit, parfois l'amitié tout court, sont le ciment.

    Disons simplement que Lafautearousseau continue de progresser régulièrement. Et nous en donnons aujourd'hui deux exemples :

    L'illustration en titre est reprise de l'un de nos deux fournisseurs d’analyse d’audience, Google Analytics, le 20 septembre à 14h15. Il s'agit d'une visualisation en temps réel des principaux lieux d'où, à l'instant « t », Lafautearousseau est regardé. Les plots orange apparaissent ou disparaissent au fur et à mesure des connexions-déconnexions. Ce service permet de suivre l'activité des utilisateurs en temps réel sur le site. Dans l'exemple ci-dessus, nous sommes regardés de diverses villes françaises et de deux villes étrangères : Barcelone et Genève. A d'autres heures apparaîtront Rome, Kiev ou Varsovie, Tunis, Casablanca ou Ankara, Luanda ou Libreville; et, souvent, la nuit, les villes américaines : Miami ou Philadelphie, Halifax, New-York ou Buenos Aires ...    

    Quant au nombre des « sessions » et des « utilisateurs », nous pouvons dire qu'avec les hauts et les bas liés au calendrier (vacances, ponts, weekends) ou à l'actualité, il est en croissance régulière. La courbe « octobre - début novembre » ci-dessous, établie, elle aussi, par Google Analytics, en donne une illustration.  

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    Le lecteur tirera des informations qui précèdent les conclusions qui lui paraîtront convenir. Quant à nous, elles nous encouragent à poursuivre notre travail, souvent très prenant - et, bien-sûr, intégralement bénévole - pour réaliser au quotidien un site qui nous semble faire œuvre vraiment utile.

    Pour la première fois depuis la dernière guerre, l'Action Française dispose à nouveau d'un quotidien politique et culturel de qualité. Il est sur le Net. Tous les royalistes et patriotes français y sont bienvenus.   Lafautearousseau  •

  • De Nicolas Sarkozy à François Hollande, la Ve République sur la sellette

     

    Par Frédéric Rouvillois           

    L'autorité de François Hollande est remise en cause. C'est une litote. Cependant, Frédéric Rouvillois entend démontrer ici [Figarovox - 31.10] qu'au-delà des personnes, ce sont les fondements de la « république gaullienne » qui vacillent (autre litote ?) ce que le livre de Patrick Buisson décrit minutieusement. Frédéric Rouvillois dégage de cette lente évolution une analyse critique originale et profonde. Mais pourquoi cette érosion s'est-elle produite, conduit-elle à l'inexorable déclin de ce régime bâti pour rendre à l'Etat puissance et légitimité ? Etait-il réellement possible de concilier les institutions républicaines à la française, leur esprit profond, et l'intention d'une rupture « avec cette volonté d'abstraction qui remonte à la révolution de 1789 », et de renouer « avec une tradition plus longue, plus ancienne et plus profondément enracinée, selon laquelle en France, pays latin de culture chrétienne, le pouvoir suprême s'exerce non par délégation, mais par incarnation » ?  Pouvait-on marier l'eau et le feu, accorder deux traditions aussi historiquement et idéologiquement opposées, marier durablement ces contraires ? N'était-ce pas tout bêtement mission impossible ? L'expérience des trente ou quarante dernières années répond par l'affirmative. Les monarchistes que nous sommes, aussi.  Lafautearousseau  

     

    778806829.jpgComparaison n'est pas raison, nous dit la sagesse des peuples. Ce qui n'empêche pas certains rapprochements troublants. Au printemps 1958, l'agonie piteuse de la IVe République avait été marquée par des manifestations de policiers ulcérés par l'impuissance de l'État, par des dissensions amères au sein du gouvernement et de la classe politique, par la perte de légitimité du système et par son incapacité visible à trouver des réponses aux questions les plus urgentes. Et même, par l'électrochoc suscité par la parution d'un livre événement, Les princes qui nous gouvernent, dans lequel un « homme de l'ombre », Michel Debré, consignait lucidement les indices de la phase terminale du régime. Soixante ans plus tard, c'est la Ve République, ou plutôt, ce qu'en ont fait les gouvernants depuis une trentaine d'années, qui se trouve sur la sellette. Et c'est un autre grand livre, La cause du peuple, de Patrick Buisson, qui se charge de dresser le constat, en confrontant le régime tel qu'il avait été conçu à l'origine, à l'ombre caricaturale et falote de ce qu'il est devenu.

    Au début de De l'Esprit des lois, Montesquieu expliquait que chaque gouvernement a son principe, qui est « ce qui le fait agir ». En historien et en politiste avisé, Patrick Buisson rappelle quel était celui de la République singulière établie par De Gaulle en 1958, et parachevée en 1962 avec l'élection du président au suffrage universel direct.

    Au sommet de ce que le Général n'hésitait pas à qualifier de « monarchie populaire », le président incarne « de façon indivisible » l'autorité de l'État, et en dispose seul lorsque la nation est confrontée à un péril grave et immédiat. C'est d'ailleurs, souligne Buisson, la grandeur de la république gaullienne, que d'avoir osé rompre « avec cette volonté d'abstraction qui remonte à la révolution de 1789 », et renouer « avec une tradition plus longue, plus ancienne et plus profondément enracinée, selon laquelle en France, pays latin de culture chrétienne, le pouvoir suprême s'exerce non par délégation, et par incarnation ». À la base, le peuple en majesté : un peuple qui n'est plus le « souverain captif » dénoncé sous la IIIe République par André Tardieu, le mentor du Colonel de Gaulle, mais le souverain tout court, qui choisit au suffrage universel celui qu'il entend faire chef de l'État. Entre les deux, enfin, entre la base et le sommet, le « principe » de cette république singulière : un « courant de confiance » sur lequel se fonde l'autorité du président, mais qui implique en retour sa responsabilité politique devant le peuple. La légitimité du président résulte à la fois de cette confiance, et de la poursuite du bien commun - ce qui suppose qu'il se comporte comme le président de tous les Français, et non comme représentant, à l'Élysée, de son parti ou des soi-disant élites qui l'environnent.

    Or, démontre impitoyablement Buisson, ce « principe » s'est évaporé depuis une trentaine d'années.

    Au lieu d'un pouvoir incarné combinant «présence et distance, proximité et verticalité», on « oscille entre ces deux pôles de la désacralisation que sont l'exhibition de la personne et la vulgarisation de la fonction». Dérive dont « le narcissisme de Nicolas Sarkozy (…) et le bonhommisme de François Hollande (…) auront été l'aboutissement », l'un comme l'autre n'hésitant pas à se réclamer d'une même « logique de l'abaissement ». Voilà pourquoi, entre l'homme à la Rolex et l'homme au scooter, entre le président du Fouquet's et le président normal, ce sont surtout les similitudes qui frappent. Le Chef de l'État renonce à sa singularité, à sa hauteur, à cette distance qui fonde l'autorité, pour se présenter comme un « hypoprésident », un citoyen ordinaire, très ordinaire même, jetant ostensiblement aux orties le frac présidentiel pour endosser son survêtement et ses charentaises. Sauf que ce président « normalisé » oublie à quel point il en devient anormal au regard du principe d'un régime où l'autorité présidentielle est conditionnée par la responsabilité et la légitimité de son titulaire. Le président ne dispose en effet des pouvoirs qui lui sont attribués, qu'aussi longtemps qu'il bénéficie de la confiance du peuple. Lorsqu'il l'a perdue, il n'y a plus aucun titre, et son pouvoir n'est plus qu'une forme de despotisme. Un despotisme mou et inefficace, certes, mais un despotisme tout de même, et dont on comprend, jusqu'au cœur de l'État, qu'il n'a plus droit au respect ni à l'obéissance.

    Mais la conséquence de cette désincarnation, c'est également l'érosion du caractère démocratique du système, la responsabilité, qui en théorie fonde l'autorité du président, étant aussi le moyen, pour le peuple, de faire entendre sa voix. De là, pointe Patrick Buisson, « un Kratos sans Démos »: un pouvoir retiré au peuple au nom de la démocratie elle-même, sans que le subterfuge suscite autre chose qu'un sentiment de malaise - et une abstention de plus en plus massive chez les jeunes et dans les catégories les moins favorisées.

    Et c'est ainsi que la Ve République, Monarchie populaire, voit ses deux piliers vaciller en même temps. Alors que le monarque l'est de moins en moins, hésitant entre le lampiste et le despote mais refusant d'un même mouvement incarnation et responsabilité, le peuple voit s'évanouir sa souveraineté, réduite en miettes puis répartie entre d'innombrables intervenants, représentants qui ne représentent pas même la moitié des électeurs, juges, experts européens, technocrates bruxellois, instances partisanes sélectionnant les candidats à la présidentielle, etc. Le tout fabriquant une manière de « postdémocratie » qui n'est jamais qu'une antidémocratie. Une démocratie dépassée, remplacée par un Kratos désincarné, lointain, inaccessible, situé dans quelque introuvable cloud politique. 

    Frédéric Rouvillois      

    Frédéric Rouvillois est écrivain et professeur agrégé de Droit public à l'Université Paris-Descartes, spécialiste du droit de l'État et d'histoire politique. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié Crime et Utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme (éd. Flammarion, 2014) ; Être (ou ne pas être) républicain (éd. Cerf, 2015) et dernièrement La Clameur de la Terre. Les leçons politiques du Pape François (éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2016).