Défaite de l’opposition parlementaire, qu’il est bien difficile d’appeler la droite et qui, réunissant l’ex-UMP et le centre, ne connaît un succès relatif que grâce à l’apport des voix de gauche, du moins dans deux grandes régions, et n’en remporte que laborieusement cinq autres. Défaite de la gauche qui, si elle limite les dégâts par rapport à ce que les media avaient annoncé, ne sera plus qu’à la tête de cinq régions, alors qu’elle en dirigeait la quasi-totalité. D’ailleurs, lucide, Valls a aussitôt commenté : « Ce soir, il n’y a aucun soulagement, aucun triomphalisme, aucun message de victoire », puisque « le danger de l’extrême droite n’est pas écarté, loin de là ». C’est donc un lâche soulagement pour le pays légal : le front panurgique a fonctionné encore une fois. Le discours de l’oligarchie, reposant sur ces deux piliers que sont la peur et la haine, a poussé un nombre important d’abstentionnistes du premier tour à se déplacer pour le second, allant aux urnes tels des moutons à l’abattoir démocratique. La Bête immonde n’était-elle pas en position, toute théorique, d’avaler quatre régions, de les « défigurer », selon l’inénarrable Kosciusko-Morizet ? Valls n’avait-il pas prévenu de manière sidérante que la France est à la veille de la « guerre civile » ?
Non pas, évidemment, parce que l’Etat islamique dispose au sein même de la population d’un grand nombre d’agents dormants, prêts à commettre des massacres sur un simple SMS, mais parce que Marine Le Pen, Florian Philippot, Louis Aliot ou Marion Maréchal-Le Pen étaient sur le point de mutiler la « République » de pans entiers de son territoire en prenant la tête de plusieurs régions. Du reste, « la République est la seule et la plus forte des réponses ». On connaît la musique : le « patriotisme » (Valls) consiste bien sûr à voter pour les candidats d’une « société cosmopolite » (Hidalgo) assumée, car il s’agit alors d’un « patriotisme d’ouverture, européen », aux antipodes du « patriotisme de fermeture » (Raffarin) des tenants d’une « France frileuse, apeurée, protectionniste, anti-europénne » (Juppé). Dimanche soir, la langue de bois a fonctionné à plein régime.
« Il y a des victoires qui font honte aux vainqueurs. [...] ils auront sabordé la démocratie », a, pour sa part, déclaré la benjamine du clan Le Pen devant ses militants. Plus exactement, il y a des victoires qui devraient faire honte aux vainqueurs si ces derniers avaient encore un minimum de décence et n’instrumentalisaient pas la morale à seule fin d’assurer leur monopole du pouvoir — on comprend pourquoi à l’Action française, « nous ne sommes pas des gens moraux » : c’est par éthique. Quant à avoir « sabordé la démocratie », on nous permettra d’en douter, à moins de croire en l’existence d’une « démocratie » toute de pureté et de désintéressement qui n’existe que dans les contes de fée qui font d’une introuvable Volonté générale le socle du Bien commun — et encore à quel prix : celui de renoncement à toutes les libertés individuelles. Non ! De même, « ceux qui disent s’opposer mais en réalité vous trompent » et « se partagent le pouvoir » n’ont révélé aucuns « liens occultes » (Marine Le Pen) — ces liens sont connus de tous, et des électeurs en premier. Ni sabordement de la démocratie ni révélation fracassante, donc : ce qui s’est passé durant la semaine écoulée, c’est le libre jeu d’une démocratie qui n’a jamais été qu’un exercice de dupes, dans lequel une opinion publique préfabriquée par les puissances d’argent monopolise la parole publique.
Sinon, comment expliquer que la quasi-totalité des électeurs de gauche, sur ordre de la rue de Solferino, acceptent de voir en Xavier Bertrand ou en Christian Estrosi, qu’ils vouaient aux gémonies quelques jours auparavant, des sauveurs de la liberté et du « pacte républicain » ? Comment expliquer que des abstentionnistes, qu’on croyait perdus pour la démocratie représentative, sur un coup de sifflet des chiens de garde de l’oligarchie, se soient rués dans les bureaux de vote pour créditer de leur confiance perdue ceux qui les avaient détournés de leur « devoir civique » ? S’il y a mystère, c’est celui de la démocratie elle-même, qui transforme l’électeur en schizophrène obtempérant à intervalles réguliers à des slogans qui le font aller voter presque comme un zombie contre la seule alternance crédible au sein du système lui-même.
Faut-il alors « s’inquiéter, comme Marine Le Pen, sur les dérives et les dangers d’un régime à l’agonie » ? Si on voit à quoi font référence « les dérives et les dangers » — cette guerre civile manifestement souhaitée par l’oligarchie en cas d’arrivée au pouvoir du FN —, en revanche de quel « régime à l’agonie » parle-t-elle ? Commencerait-elle enfin à remettre en cause ce règne de l’étranger qu’est une République à laquelle elle et Philippot vouent pourtant un culte aussi nouveau au FN qu’exclusif ? Car, après tout, ce qu’elle continue d’appeler l’UMPS ne constitue pas un régime mais seulement une de ses multiples traductions historiques.
Il est certain en tout cas que, pour l’oligarchie française et européenne — la première prenant ses ordres auprès de la seconde —, le 13 décembre ne saurait faire oublier le 6, c’est-à-dire le FN arrivant premier dans six régions, d’autant que celui-ci a encore progressé au second tour pour atteindre un record historique en voix — quelque 6,8 millions — avec, en sus, une abstention supérieure de vingt points à la présidentielle de 2012. L’oligarchie sait qu’elle n’en a pas fini avec la rébellion du peuple français, une rébellion qu’exprime aux yeux de celui-ci, faute d’une autre offre électorale, un Front national qui serait bien malvenu de ne s’en prendre qu’aux autres. Marine Le Pen a promis au soir du second tour la naissance de comités Bleu-Marine en veux-tu en-voilà partout en France. Il n’est pas certain que ce réflexe de boutique soit à la hauteur de la situation — surtout quand on connaît le degré d’autonomie du RBM par rapport à la maison-mère.
Le report, ou plutôt la totale absence de report des électeurs de Debout la France de Dupont-Aignan sur les listes FN au second tour devrait la faire réfléchir. Sans compter un électorat catholique qui se redroitise mais que le FN fait tout pour repousser, exception faite de Marion Maréchal-Le Pen qui, d’ailleurs, a réalisé le meilleur score national. Pourquoi Marine Le Pen gagnerait-elle seule là où un Mitterrand, un Chirac, un Sarkozy ou un Hollande pourtant, eux, enfants légitimes du système, ont dû composer pour accéder à l’Elysée ? Tant que le FN n’entrera pas dans une logique de rassemblement national, c’est-à-dire tant qu’il n’acceptera pas de n’être qu’une composante d’une dynamique patriotique que le système est bien content de lui voir monopoliser au plan médiatique, cette unique cible lui facilitant son travail de sape, il continuera de se heurter à ce plafond de verre qui, quoi qu’en dise Marion Maréchal-Le Pen, existe toujours et surtout, ce qui est bien plus grave, il freinera la victoire du pays réel sur l’oligarchie, des « patriotes » sur les « mondialistes ». •
L’Action Française 2000