Ils sont tous deux face à cette étendue d’eau, cette mer qui borde la côte vendéenne, elle est parfois agitée puis soudain, d’un immense calme, à l’image d’un étang de Cheverny. Au printemps 1923, Clemenceau, le Tigre, et Monet, le géant des arts, cohabitent au crépuscule de leurs vies.
Chacun est un Janus. Le vieux père de la Victoire, socialiste forcené et ministre de l’Intérieur a été, à la fois, opposé aux syndicats, sans hésitation pour faire tirer sur les grévistes, un ennemi de la monarchie mais organisateur en 1918, d’une opération en mer Noire pour soutenir les armées blanches en lutte contre la Révolution bolchevique. Clemenceau fut, dans le même temps, soucieux de la paix sociale et duelliste forcené, courageux et proche des poilus qu’il visite de nombreuses fois dans les tranchées, seulement coiffé d’un simple chapeau et réprimant sans pitié les pacifistes, les défaitistes et les « embusqués ». Le « tigre » s’est montré, en terme de diplomatie, favorable à un rapprochement avec l’Autriche en 1908 et sourd aux appels de son empereur et du pape Benoît XV pour une paix séparée dès 1916. Enfin, cet homme réputé pour être un des grands séducteurs de son époque, (on lui attribue 800 conquêtes dont l’ancienne maîtresse du duc d’Aumale, l’actrice Suzanne Reichenberg, la comtesse d’Aunay, et, la cantatrice Rose Caron) n’hésita pas, une fois cocufié, à faire constater l’adultère de son épouse, la faire condamner à quinze jours dans la prison de Saint-Lazare avant de l’exiler aux États-Unis dans des conditions précaires avec la perte de la garde de ses enfants et de sa nationalité française.
Cet homme bourru, connu pour ses interventions cruelles et brutales, avec ses éditoriaux dans les journaux progressistes de l’époque, est aussi un amateur d’art raffiné et collectionneur d’estampes japonaises, de statuettes bouddhistes, de laques, et de nombreux objets d’art asiatiques. Il avait rencontré, en 1864, le peintre Monet lorsqu’il était étudiant au Quartier latin. Leur amitié devint indéfectible surtout depuis la parution le 20 mai 1895 d’un article dans le journal La Justice, que Clemenceau rédigea sous le titre « Révolution de cathédrales » qui était un grand hommage au peintre.
L’artiste, lui aussi, n’était pas sans contradictions. Républicain, il ne voulut pas s’engager dans la guerre de 1870, tour à tour pauvre mais dispendieux, puis riche et avare, avec parfois des élans de grande générosité. D’un caractère fort, parfois acariâtre, il était aussi doué pour l’horticulture et avait donné de nombreux conseils dans ce domaine à Clemenceau.
Clemenceau et Monet
Les voila donc réunis dans cette bâtisse et en conflit permanent au sujet de l’exposition des Nymphéas à l’Orangerie que Clemenceau s’était démené à récupérer et que, soudain, Monet avait décidé de ne pas occuper avec ses œuvres.
Leur passe d’armes a pour témoin la fidèle cuisinière Clotilde, interprétée par Marie-Christine Danède, avec beaucoup de cocasserie et non sans charme. Elle joue le rôle du coryphée. Autre personnage central, Marguerite Baldensperger, éditrice du livre que prépare Clemenceau sur Démosthène. Mariée, ayant perdu récemment sa fille aînée, une relation sentimentale se créée avec cette personne raffinée qui restera le dernier grand amour, certainement platonique du vieux Tigre qui lui adressera plus de six cent lettres. Incarnée tout en finesse par Sophie Broustal, le personnage se révèle en alternance fragile, mais aussi très volontaire dans son acharnement à convaincre Clemenceau d’achever son œuvre. Sur un texte ciselé de Philippe Madral, bénéficiant d’une mise en scène élégante de Christophe Lidon, connu pour sa riche carrière et d’un décor toute en limpidité de Catherine Bluwal, avec des éclairages de Marie-Hélène Pinon, qui offre les tonalités de l’impressionnisme, les deux acteurs principaux sont en situation pour exprimer leur art.
On se souviendra longtemps du monologue de Michel Aumont, dans le rôle de Monet, essayant de décomposer les différentes teintes et couleurs des reflets des flots de la mer. Atteint d’une cécité partielle, Clemenceau avait réussi à le convaincre de se faire opérer d’un œil. Cette intervention avait donné lieu à une vision jaunie des objets et de la nature. D’où la prépondérance de l’ocre dans ses dernières œuvres. Face à lui, Claude Brasseur surprenant de vérité, rejoignant dans son jeu et peut être le surpassant, son prestigieux père. A se demander s’il interprète Clemenceau, ou si c’est Clemenceau qui joue Claude Brasseur.
Ces deux monstres incarnent l’osmose du théâtre avec l’Histoire.
Nous ne pourrons plus aller contempler les Nymphéas sans se souvenir de leurs voix ! •
Clemenceau La Colère Du Tigre
Pièce de Philippe Madral – Mise en scène Christophe Lidon
Avec Claude Brasseur, Michel Aumont, Sophie Broustal et Marie-Christine Danède.
Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté, Paris 14ème
Courriel : resa@theatremontparnasse.com
Téléphone : 01 43 22 77 74
Du mardi au samedi à 20h30, matinée, samedi à 17h30
Horaire modifié le : Jeudi 25 décembre à 17h30
Séances supplémentaires : Dimanche 28 décembre à 15h30, Mercredi 31 décembre à 17h30 et Dimanche 4 janvier à 15h30.
Relâches exceptionnelles : Mercredi 24 décembre et Jeudi 1er janvier 2015
Places : 18 €/ 34 € / 50 et 54 €.
Tarifs Réveillon : 20 € /42 € / 65 € et carré or : 70€
Les Nymphéas
Musée de l’Orangerie • Jardin des Tuileries, Paris 1er
Tél : 01 44 77 80 07
information@musee-orangerie.fr
Horaires : 9h à 18h
Tous les jours sauf le mardi, le 1er mai, le matin du 14 juillet et le 25 décembre
Politique magazine • Bruno Stéphane-Chambon