Encore une journée de flottement. On m'assure que, de nouveau, pendant ces dernières vingt-quatre heures, le gouvernement a été démoralisé, le président Poincaré lui-même donnant de mauvaises nouvelles à ses visiteurs. Le général Joffre a de l'estomac et de l'autorité pour conserver son sang-froid et sa méthode, et ne pas se laisser influencer par les alarmes d'en haut - à moins qu'à ses yeux le gouvernement ne compte plus.
La vérité sur la situation est, dit-on, que les Allemands avaient préparé des retranchements très sérieux derrière eux et qu'ils ont pu se mettre à l'abri des lignes puissamment fortifiées après avoir dû battre en retraite. En ce moment, ils prépareraient dans les mêmes conditions d'autres défenses (ils y feraient travailler de force nos populations), en sorte qu'il faudra livrer plusieurs batailles pour les chasser de France. L'insuffisance de notre grosse artillerie rendrait cette suite d'opérations plus lente et plus pénible.
En somme, nous nous trouvons toujours en présence d'un ennemi que sa longue et minutieuse préparation à la guerre et s préparation rendent redoutable et qui par là réussit à tenir en échec une armée d'une qualité infiniment supérieure. La preuve est faite et refaite désormais.
Il est évident aussi que nous n'avons échappé à la catastrophe complète que grâce à la résistance de la Belgique. Le plan de l'Allemagne en a reçu un coup dont il ne s'est pas relevé, parce que l'Allemand ne sait pas improviser, parce qu'il n'a pas de génie. Il supplée à ces lacunes par l'ordre, l'autorité, la régularité, l'action de l'autorité. Mais, que les projets préparés de longue main soient dérangés, personne n'y est plus. Jusqu'ici cette guerre de 1914 aura consisté, de leur part, dans une irruption en France, accompagnée de la dévastation de dix ou douze départements; dans une marche sur Paris subitement détournée vers le sud-est; dans une retraite sur l'Aisne et la Meuse; enfin ils en sont à l'heure qu'il est à faire une guerre défensive - dans l'Argonne : une "promenade militaire" qui a coûté à l'Allemagne des milliers et des milliers d'hommes et son prestige de peuple invincible.
Ce soir, dans un groupe, le sénateur Lintilhac, dont le visage rasé, puissant et expressif d'Auvergnat fait songer au masque de Guitry, citait ce mot d'un commandant qui à un combat de ces derniers jours, voyant son bataillon hésiter, avait prononcé, le révolver au poing, ces paroles dignes de Tacite : "Ici, la gloire; là, la honte. Ici et là, la mort si vous reculez."
Parmi beaucoup d'autres choses, le sénateur Lintilhac expliquait encore que notre aile droite et notre aile gauche faisaient al manœuvre dite du volet, en se refermant sur el centre allemand, qui allait être obligé de reculer. Il affirmait que, aujourd'hui 17 septembre, le nombre des blessés français soignés en France était de 85.000 et que nos pertes avaient été si importantes à la bataille de la Marne qu'il avait fallu ensevelir à la hâte une grande quantité de nos morts sans retirer leur médaille d'identité. Enfin il ajoutait que le gouvernement de la République était résolu à ne pas faire la paix que la bête allemande ne fût abattue.
Lintilhac confirme les nombreuses défaillances des municipalités et des autorités civiles dans les régions envahies. C'est autour de leurs évêques et de leurs curés que se sont groupées les populations, à Meaux notamment où Mgr Marbot, resté seul, a été admirable. A Soissons, c'est une femme, Mme Macherez, qui a pris les fonctions de maire. Maurras a fait à ce propos un article très fortement intitulé : "Récit des temps mérovingiens". En effet nous avons fait un bond de plus de mille ans en arrière dans l'histoire. Et une dépêche des Catalans espagnols félicite le général Joffre d'avoir vaincu les barbares aux champs catalauniques. u