L’attelage que forment à Bercy MM. Sapin et Montebourg est révélateur de la schizophrénie des européistes, de droite comme de gauche, qui gouvernent la France depuis des lustres : c’est toujours le même grand écart entre des engagements auxquels on souscrit mais que l’on essaie de respecter le moins possible. Cependant, la foi jamais démentie en une « Europe » rêvée reste solide, au point d’occulter certaines réalités d’ordre financier, économique et géopolitique qui pourraient bien remettre en cause purement et simplement l’existence en l’état de ce que l’on nomme « Europe ».
Sur le plan économique et financier, le problème, on le sait, vient de l’euro – conçu dès l’origine comme un avatar du mark allemand. Que fait la B.C.E. (dont le siège est à Francfort, ce qui n’est pas anodin) ? Rien, ou presque, confortant ainsi une stratégie monétaire favorable à l’Allemagne. La plupart des économistes soulignent en effet que, pour des raisons structurelles et démographiques évidentes, celle-ci a intérêt à un euro fort (certains disent qu’elle pourrait supporter un euro à 1,4 $) - à comparer avec le taux « idéal » pour les pays latins qui se situerait autour de 1,1 $ ! Mais, ajoutent-ils, comme les exportations allemandes hors U.E. ne cessent d’augmenter, c’est bien elle, l’Allemagne, qui finira un jour par avoir intérêt à une remise en cause de l’actuelle zone euro.
Sur le plan géopolitique, le coup de boutoir de M. Poutine en Crimée pourrait bien être à l’origine d’une onde de choc, aux répercussions frontalières considérables. En contestant ouvertement les frontières nées de l’effondrement de l’empire soviétique, M. Poutine a prouvé, si besoin en était, qu’on est loin de la prétendue « fin de l’Histoire ». Le risque est grand de réveiller chez d’autres (Allemands, Polonais, Hongrois, etc.) de vieilles velléités plus ou moins irrédentistes à l’égard des frontières de 1945. On n’en est pas là, certes, ou pas encore… Mais le récent dépècement de l’ex-Yougoslavie montre que les équilibres que l’on pense durablement établis restent toujours plus ou moins instables.
Admettre que l’« Europe » actuelle, c’est-à-dire l’U.E., n’est pas gravée dans le marbre relève en fait du bon sens le plus élémentaire. Loin des attitudes extrêmes – l’euro-religion officielle qui nous coûte déjà cher et qui pourrait nous coûter encore plus cher ou la posture radicale de Mme Le Pen dont la sortie organisée de l’Europe serait pour le moins hasardeuse – on peut, tout au moins dans un premier temps, envisager une politique raisonnable et pragmatique. Celle-ci devrait d’abord viser à remettre en cause l’ensemble des traités « européens » jugés contestables, voire inacceptables, au regard de l’intérêt national français – et cela au nom même de ce que la France représente pour l’Europe. Mais cette exigence de renégociation devrait s’accompagner de la réaffirmation que notre intérêt passe par de solides alliances sur le Vieux Continent, sans exclusive y compris à l’égard de la Russie.