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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • ”Les Grecs, l'Europe et l'Islam” : Sylvain Gouguenheim répond à Jean Sévillia.

                Sous le titre Les Grecs, l'Europe et l'Islam, Jean Sevillia nous offre un très intéressant entretien avec Sylvain Gouguenheim, dans Le Figaro Magazinedu 12 septembre.

                On y trouve, entre autre, une nouvelle dénonciation de la supercherie des Tartuffe qui cherchent à imposer le soi-disant anti-racisme (l'arnaque du siècle...), et sa variante, l'islamophobie, tout aussi hypocrite : à la question "Que vaut l'accusation d'islamophobie ?",Gouguenheim répond "Le terme n'est pas scientifique. Il a été forgé pour discréditer celui à qui on colle cette étiquette: l'islamophobe, saisi d'une peur irrationnelle devant tout ce qui est musulman, n'aurait pas toute sa raison, et serait habité par des arrières-pensées racistes. Comme si l'Islam était une race, et non une religion... Dès lors que l'accusation est lancée, il n'y a plus de débat possible. L'expression est donc une arme d'intimidation massive....".

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                La sortie de cet entretien est peut-être l'occasion de re-présenter une partie de la note consacrée au 1300ème anniversaire du Mont, dans laquelle, après avoir évoqué le monument lui-même, nous proposions une sorte de résumé de ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Gouguenheim: voici donc la deuxième partie de la note Tout ce qui est Racines est bon : Le Mont Saint Michel fête ses 1.300 ans….. (dans la Catégorie Racines).       

                Le point de départ de la polémique est cette question: Quelle est la part de l'apport musulman dans la constitution de la Culture européenne au Haut Moyen-Âge ?

               En mars 2008, Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'ENSde Lyon, publie Aristote au Mont Saint Michel. Les racines grecques de l'Europe. Sa thèse: "L'héllénisation de l'Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des européens eux-mêmes, elle ne doit rien au monde arabo-islamique".

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    Le scriptorium du Mont

    1)         Gouguenheim ouvre son livre sur les thèses qu'il entend contredire: celle des "Âges sombres",concept hérité de Pétrarque et repris au XIXème par l'historiographie anglo-saxonne pour désigner la période comprise entre la chute de l'Empire romain  et l'arrivée en Angleterre de Guillaume le Conquérant, faisant du Haut Moyen-Âge un temps d'obscurantisme et de déclin culturel; celle d'un "Islam des lumières"venant réveiller (culturellement et scientifiquement) les Européens grâce à la transmission d'un savoir grec depuis longtemps oublié, et contribuant à donner à l'Europe des "racines musulmanes". Des thèses qui, selon l'auteur, relèvent "plus du parti idéologique que de l'analyse scientifique",et sont essentiellement celles d'Alain de Libera, présentées dans un ouvrage de référence en 1991, Penser au Moyen-Âge.

                 "L'argument de la dette"des Européens à l'égard du monde arabo-musulman serait cimenté par l'énorme travail de traduction des oeuvres grecques opéré par les intellectuels arabes, qui auraient permis leur diffusion en Europe. C'est "l'intermédiaire arabe"qui expliquerait donc la redynamisation de l'Europe consécutive à la redécouverte du savoir grec. La matrice islamique aurait littéralement donné naissance à la civilisation européenne qui s'épanouit à partir du XIIème siècle. Bien plus, il y aurait "prééminence du monde musulman sur la chrétienté médiévale".....

                  Mais  Gouguenheim fait remarquer que l’on confond souvent arabité et islamisme, attribuant tout le mérite de l’hellénisation du monde européen à l’Islam, alors que "les arabes chrétiens et les chrétiens arabisés" constituaient près de la moitié des habitants des pays d’Islam vers l’an mille. Quant aux savants musulmans du monde abbasside, ils ne s’aventuraient jamais dans l’univers des sciences, se contentant de prospections dans celui de la religion. L’historien récuse le poncif d’une Europe inculte et barbare, tortionnaire d’un monde arabo-musulman exempt de tout reproche....


    2)        Vient ensuite l’exposé de sa thèse : celle des "racines grecques de l’Europe", ou comment "le monde occidental chrétien du Moyen Âge fit de son mieux pour retrouver le savoir grec", tout seul.

              L’ouvrage s’organise ensuite en cinq grandes parties, chacune constituant un pan particulier de la démonstration. Non seulement l’Occident ne perdit vraiment jamais de vue la culture grecque (chap. I), mais la diffusion du savoir grec, de toute façon, a surtout été le fait de Byzance et des chrétiens d’Orient (chap. II). Même en plein Occident, plus particulièrement au Mont-Saint-Michel (ci dessus et ci dessous, le scriptorium), des moines ont joué le rôle de pionniers dans les processus de traduction des textes d’Aristote (chap. III) et de récupération de l’héritage grec avec lequel, de toute façon, l’Islam a toujours entretenu des rapports difficiles, lui qui ne connut qu’une "hellénisation limitée"(chap. IV). Enfin, Gouguenheim évoque les "problèmes de civilisation"permettant de comprendre pourquoi les échanges culturels Islam/Chrétienté furent minimes (chap. V)…

     
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               Le premier chapitre évoque des pans méconnus de l’histoire culturelle occidentale des VIIe-XIIe siècles. Sylvain Gouguenheim décrit les élites intellectuelles carolingiennes avides de savoir grec et soucieuses d’étudier ses dépositaires. De Pépin le Bref, réclamant autour de 760 des livres en grec au pape, à Charles le Chauve, dont les Monumenta Germaniae Historica dirent, en 876, que "méprisant toute l’habitude des rois Francs, il estimait que la gloire des Grecs était la meilleure", on constate qu’effectivement, comme le dit l’auteur, "la brèche [était] ouverte".
     
                Et c’est dans cette brèche que vinrent s’engouffrer, à partir du IXe siècle, les multiples "renaissances" intellectuelles prouvant, s’il en était besoin, que la science antique ne déserta jamais totalement les terres occidentales.

                Le monde byzantin manifesta le même engouement dès le VIIIe siècle, et Gouguenheim nous rappelle, que déjà un siècle auparavant un mouvement de traduction du grec en syriaque – langue sémitique issue de l’araméen –, puis du syriaque en arabe, avait été lancé par les chrétiens d’Orient.
               Le chapitre III  est consacré aux travaux de traduction menés au Mont-Saint-Michel, dans lesquels s’illustra le "chaînon  manquant",Jacques de Venise, clerc vénitien qui y aurait, avant tout le monde, traduit les œuvres d’Aristote.

    3)        Une fois menée ce plaidoyer en faveur de l’Europe pas si sombredes VIIe-XIIe siècle, l’auteur conclut :
               "En tout état de cause, le processus de progrès culturel et scientifique qui anime l’Europe médiévale des VIIIe-XIIe siècles paraît de nature endogène. … L’Europe aurait suivi un chemin identique même en l’absence de tout lien avec le monde islamique. L’intermédiaire arabe, sans être inexistant, n’eut sans doute pas la portée décisive qu’on lui attribue….. »

  • La première « force » (et la seule ?...) en France et dans le monde…

              A Michel Onfray, qui déclarait récemment avec dédain que tirer sur le christianisme ce serait tirer sur une ambulance, nous répondions que des deux forces en présence, christianisme et marxisme, c’était plutôt à notre très humble avis le marxisme qui était le plus mal en point ; tellement mal en point, d’ailleurs, qu’il était carrément mort...

             Le voyage de Benoit XVI en France ne vient-il pas, bien mieux que nos démonstrations, d’ apporter une preuve supplémentaire qu’en face, le christianisme ne se porte pas aussi mal que Michel Onfray et ses lunettes déformantes voudraient nous le faire croire ? Car ce voyage,  tout le montre,  a tourné au triomphe. Bien plus que les chiffres –déjà intéressants, et qu’il faut prendre en considération- c’est le message transmis et l’accueil réservé à ce message qui font le succès de cette visite.20080912PHOWWW00150.jpg

     

              « Discours d’une densité phénoménale », « un excellent professeur », « autorité morale et intellectuelle »… : on n’en finirait presque pas de recenser dans la presse -écrite ou parlée- les commentaires élogieux émis par des personnes qui n’étaient  pas toutes (et pour certaines même, loin delà…) des personnes acquises au Pape au départ !

              Il est donc bien là le grand, le vrai succès, plus que dans les 50.000 jeunes réunis sur le parvis de Notre-Dame, ou les 260.000 participants à la messe des Invalides, ou les presque 200.000 de Lourdes. Il est dans le fait que, soit qu’il ait assisté physiquement aux déplacements du Pape soit qu’il l’ait suivi à la radio, à la télé ou dans les journaux (1) , le public a massivement accompagné le Souverain pontife ; a manifesté un intérêt qui non seulement ne s’est pas démenti mais est allé crescendo ; l’a écouté avec un intérêt manifeste et soutenu.

              Pourquoi ? Parce qu’il était évident que l’on avait affaire à un guide, à un meneur, à quelqu’un capable de délivrer des paroles de vie. Pater et Magister, l’avons-nous appelé plusieurs fois dans ces colonnes. Le Pape a parlé avec autorité, calmement, posément, fermement. Il n’a rien éludé, rien évité ; il n’a pas choisi la facilité, bien au contraire ; et pourtant, ça a passé ; son message a même enthousiasmé les jeunes, et les moins jeunes : bien qu’il s’agisse d’un message difficile et fort, ou justement parce que il s’agit d’un message difficile et fort ? Et que le public sent bien, que dans la période fort troublée et fort incertaine que nous traversons, ce ne sont pas de paroles creuses, mièvres ou adoucies que nous avons besoin, mais bien de paroles qui nous ramènent à l’essentiel, qui nous indiquent les sommets et nous gardent des précipices (« Fuyez les Idoles !.... »)

              Dans le vide planétaire sidéral laissé par l’effondrement cataclysmique du marxisme et des idées révolutionnaires, qui parle encore au monde comme l’a fait le pape ? Qui propose encore quelque chose, du moins quelque chose  qui tienne la route ? Qui essaie de répondre aux faims et aux soifs des hommes et des femmes de notre temps, dont une bonne part, abusés par les faux prophètes, sont précisemment des victimes des illusions du matérialisme et de l’immense déception qu’il laisse après lui ?.....

              Il y a vingt ans, à la chute du Mur de Berlin, il y avait deux super puissances,  engagées dans une lutte à mort : c’était pendant cette époque, lointaine maintenant, et qui appartient à l’Histoire, que l’on appelait la guerre froide. Et l’on a dit, avec raison, qu’après l’effondrement du bloc de l’Est, seule restait comme super puissance celle des Etats-Unis. Mais n’est-ce pas exactement la même chose – mutatis mutandis- dans le domaine intellectuel et spirituel ? Dans cette lutte titanesque et séculaire entre les deux religions, la chrétienne et la révolutionnaire, il nous a été donné de vivre en direct, en quelque sorte, la désintégration de la religion révolutionnaire ; exactement comme des spectateurs ont pu voir se désintégrer la navette Columbia ou la première fusée Ariane V…..

              C’est fini : la religion révolutionnaire ne parlera plus jamais aux hommes ; du moins pour longtemps, elle ne les fera plus rêver, elle qui les a conduit au pire cauchemar que l’humanité ait jamais connu ! Jacques Julliard l’a exprimé mieux que nous n’aurions su le faire : « … Il n'est pas besoin de relever la tête bien haut pour savoir que l'horizon est bouché, que l'orient rouge est délavé, que le soleil levant s'est drapé de deuil. Or le fait est que jamais les socialistes ne nous ont donné une analyse convaincante de ce qui s'était passé, qui engageait pourtant la vision qu'ils se faisaient de l'avenir..."; "...rien qui nous explique pourquoi l'un des plus beaux rêves de l'humanité s'est transformé en un immense cauchemar...;...s'agit-il d'un vice intrinsèque?...." (2).

             On nous pardonnera, nous l’espérons, de nous citer nous même : « A bien y regarder – écrivions-nous récemment - et nous aurons à y revenir, il n'y a plus guère que le Pape, que l'Eglise Catholique, à tenir tête, héroïquement, au "bazar" qu'est le monde moderne, et à tracer, pour l'humanité toute entière, une autre voie que celles, avilissantes, du matérialisme sanglant des révolutions, ou du libéralisme doux de ce que nous nommons encore, par une singulière inconscience, le "monde occidental".  

              Voilà donc comment s’ouvre ce nouveau siècle. Une grand voix s’est tue, et pour longtemps : celle de la foi révolutionnaire. On comprend bien que, pour nous, c’est tant mieux ! Foi pour foi, Religion pour religion, nous préférons l’originale, celle qui se trouve aux racines de notre Histoire, qui est constitutive et partie intégrante de notre Etre profond, c'est-à-dire le christianisme qui nous est, d’une certaine façon, consubstantiel ; et qui est inséparable de ce que nous sommes, tout simplement, lui que la révolution a voulu extirper de notre sol et de nos consciences.     

     

    (1) : Il faut signaler à ce propos que, pour ce voyage, l’ensemble de la profession journalistique s’est signalé, en faisant bien son travail, souvent même très bien, et parfois même encore d’une façon remarquable. On ne compte plus les très pertinentes interventions d’un très grand nombre de journalistes et d’observateurs : on se plaint souvent –à juste titre, hélas…- d’une certaine médiocrité des médias. Elles viennent de nous montrer qu’il peut leur arriver de savoir faire, avec compétence, leur métier. Il nous a semblé que cela devait être noté….. 

    (2) : Le Nouvel Observateur, numéro 2230 du 2 août 2007. 

     

  • Jean-François Mattei parle de l'Europe...

              Sous le titre Quelle identité pour l'Europe ?, Le Figaro du 1°juillet publie ce très intéressant texte de Jean-François Mattei, que nous reproduisons in extenso vu sa qualité. On pardonnera au site internet du journal la bourde qui a consisté à confondre les deux Mattei, et à illustrer l’article par la photo de l’autre JF Mattei, l’ancien ministre…..

              L’essentiel est, bien sûr, dans le texte. Afin de rendre malgré tout

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    à César ce qui est à César, nous publions la photo de notre excellent ami Jean-François Mattei, qui nous fait régulièrement l’honneur et l’amitié de venir parmi nous. On se souvient, par exemple, qu’il répondit avec brio aux questions fort pertinentes de Fabrice Hadjadj lors d’une conférence-débat portant sur son livre « Le regard vide ». Et que, peu après,  le 21 janvier 2008, toujours à Marseille, il fit une intervention mémorable aux côtés d’Hilaire de Crémiers et du professeur Christian Attias (1). D’autres rencontres avec lui, s'il le veut bien, sont d’ores et déjà envisagées…..

    (1)        Voir la note « Les trois vidéos du 21 Janvier 2008 » dans la catégorie « Audio / Vidéo ».

    Quelle identité pour l'Europe ? 

          Le philosophe Jean-François Mattei explique la crise de l'Europe par sa difficulté à accepter son histoire et son identité.

              «Où en serait le monde sans Spinoza, sans Freud, sans Einstein ?» demandait récemment Nicolas Sarkozy à Jérusalem. Parallèlement à ces trois grandes figures européennes, on pourrait aussi demander : «Où en serait l'Europe sans Descartes, sans Goethe, sans Beethoven ?» Et, pour filer jusqu'au bout les interrogations précédentes, où en serait l'homme sans la philosophie, la science, la technique, la médecine, le droit, la politique, l'économie que le génie de l'Europe a tracés dans ses frontières spirituelles ?

              Le président de la République reconnaissait devant la Knesset la permanence de la promesse qui anime l'«identité juive» depuis son alliance avec Yahvé. On souhaite que les dirigeants européens reconnaissent devant Bruxelles la continuité d'une autre promesse qui anime l'identité européenne depuis son alliance avec la Raison. C'est la promesse d'une culture ouverte sur l'humanité entière. Or il ne va pas de soi que l'Europe présente ce souci de la tradition dont elle a hérité. En exaltant l'Europe des artistes, des philosophes et des écrivains, Mme Albanel a annoncé la création d'un réseau de valorisation du patrimoine européen. On s'en réjouira.

              Mais quelle identité un tel patrimoine offrira-t-il à une Europe oublieuse et parfois honteuse, de son héritage ? Les plus grands esprits du siècle passé, de Paul Valéry à Simone Weil, ont dénoncé l'amnésie d'une civilisation vouée à la guerre et au commerce, mais indifférente à sa culture. Quand Camus écrivait que «le secret de l'Europe, c'est qu'elle n'aime plus la vie», il pressentait qu'elle ne s'aime pas elle-même car son identité lui est aussi révolue que son histoire en dépit des appels réitérés, et univoques, à son devoir de mémoire.

              Si l'Europe est étrangère à son passé parce que ceux qui étaient chargés de le transmettre s'en sont détournés, elle n'est plus une civilisation, soulignait Fernand Braudel mais une étiquette qui n'évoque pour ses habitants qu'une administration bruxelloise ou un Parlement strasbourgeois. Il convient donc d'aller au-delà des mots pour réactiver un patrimoine qui demeure présent dans ces lieux de mémoire que sont les universités, les musées, les bibliothèques, mais aussi les œuvres, les villes et les aires culturelles dont le même Braudel disait qu'elles étaient les «cadres intelligibles» du monde actuel. Ce sont précisément ces cadres qui ont pour but de donner aux Européens, en ces temps de mondialisation, l'intelligence de leur propre destin.

              On s'étonne en haut lieu que les peuples, et pas seulement les Français ou les Irlandais, se montrent méfiants à l'égard de l'Europe. Ces mauvais esprits la mettent en panne, au moment où ses dirigeants parlent d'intégrer de nouveaux pays aux vingt-sept États membres, comme un navire privé de vent réduit sa voilure. L'Europe souffre, certes, de bien des maux, politiques, sociaux ou économiques ; mais elle est surtout en panne d'identité parce qu'elle n'a plus aucun souffle créateur. Que recouvre en effet ce mot usé d'«Europe» si on la dispense de frontières géographiques comme de limites historiques, bref, si on ne sait plus situer sa voix dans le concert des civilisations ? Lorsque François Mitterand remettait à Aix-la-Chapelle le prix Charlemagne à Vaclav Havel, en mai 1991, il assimilait l'idée européenne à une «âme» qui assurait, sur des terres différentes, «notre commune identité». C'est cette âme qui aujourd'hui fait défaut, le déficit d'âme étant ce qui reste de l'Europe quand son identité s'est retirée.

              L'Union européenne, en dépit de son souci de commémoration politique et de son obsession de flagellation morale, tourne le dos à sa culture pour ne s'intéresser qu'à son économie. On comprend que l'Europe hésite à se réclamer de ce qu'elle a engendré ; le traumatisme des guerres et des camps qu'elle a nourris avant d'exporter sa violence à la planète explique cette mauvaise conscience. S'ensuit-il qu'elle doive mettre en cause une identité qui s'exprime plus par sa culture que par son administration, sa technique ou son économie ?

              Doit-on pour cela non seulement refuser les racines chrétiennes, parce que l'Europe, selon les beaux esprits, n'est pas un club chrétien, mais aussi ses racines grecques, car, ont insisté les mêmes, la Grèce était esclavagiste, et bientôt ses racines rationnelles, puisque les Lumières n'ont éclairé qu'un esclavage qui répugne aux Indigènes de la République ? Faut-il enfin abolir tout passé, et donc toute identité à force de le juger à défaut de l'assumer ?

              Contre ce refus qui oscille entre la mauvaise foi et la bonne repentance, Karel Kosik, le philosophe marxiste tchèque, affirmait que «l'Europe, c'est la Grèce antique, le christianisme, les Lumières c'est Diderot, Mozart, Kant». Mais c'était pour déplorer, dans Un troisième Munich ?, que ce monde n'existe plus quand l'Europe postcommuniste se trouve vouée au «rien» ou au «trop-plein de vide». Que pourrait-elle alors promettre à ses habitants ? L'Europe sera promise à elle-même quand elle fera vivre la culture commune qui a forgé son âme. Elle saura alors qui elle est et quels pays peuvent s'en réclamer, car une promesse n'a de sens que si elle tient à elle-même, c'est-à-dire à son identité.

    * Auteur de «Le Regard vide. Essai sur l'épuisement de la culture européenne», Flammarion, 2007. 224 pages, 18 euros.

  • SPORT & SOCIETE • Rugby : Contes et légendes de la Coupe du monde

     

    « Le jeu est moins important que ce qu’il y a autour »

    Le point de vue de Régis de Castelnau

    Nous ne sommes pas certains d'être toujours - ni même souvent - d'accord avec Régis de Castelnau, mais nous avons aimé cet article qui parle de sport - sujet convenable, paraît-il, pour un dimanche - du rugby et de ses traditions et de ce qu'il y a autour dont Régis de Castelnau donne une évocation si vivante et si sympathique que l'on se prend de l'envie d'y participer. On y retrouve les princes anglais, Land of my father, la faible considération du rugby pour le football, Cardiff et l'Angel Hotel... De la victoire de la Nouvelle Zélande lors de la Coupe du monde de Rugby, Régis de Castelnau tire même une leçon politique : « La seule solution que je peux proposer pour rendre compte de la place de ce jeu est de dire que la Nouvelle-Zélande est une équipe de rugby qui a un État. » Leçon majeure. Ce n'est pas nous qui lui donnerons tort.  Lafautearousseau

      

    castelnau.jpgLa Coupe du monde de rugby s’est donc achevée sur la victoire prévisible de la Nouvelle-Zélande.

    Même s’il a fallu supporter les commentateurs ineptes de TF1, ce fut un joyeux tournoi où il y eut de jolies choses. J’en ai retenu deux. D’abord un des plus beaux twits de l’histoire, celui qui accompagnait la photo des deux petits-fils d’Élisabeth II assistant à Twickenham à la victoire du Pays de Galles sur l’Angleterre. William l’héritier du trône, Prince de Galles, portant le maillot rouge au poireau accompagné de sa princesse, et reprenant avec elle à pleins poumons le « Land of my father ». Harry le rouquin portant le maillot blanc à la rose. La photo les montre à la fin du match perdu par l’Angleterre, William hilare tenant par l’épaule son épouse radieuse, et son frère renfrogné faisant manifestement la gueule. Adressé à Harry, le twit disait : « ce moment où tu vois que c’est ton frère qui a chopé la fille, que c’est lui qui sera roi, qu’il n’est pas roux, et qu’en plus il est gallois ».

    Autre manifestation de l’exaspérante supériorité britannique, ce match joué sur un stade aimablement et temporairement prêté par un club de football. Un joueur irlandais à terre vaguement secoué par un plaquage irrégulier, simule et se tortille un peu trop. L’arbitre gallois Nigel Owens lui demande de s’approcher et lui dit : « si vous voulez jouer au football, il faut venir la semaine prochaine. Aujourd’hui on joue au rugby. » Les arbitres étant désormais équipés d’un micro, des millions de téléspectateurs l’ont clairement entendu. Notre jeune irlandais risque de la traîner longtemps, celle-là. Et j’imagine les ricanements saluant cette saillie dans les bars de Bayonne ou de Mont-de-Marsan.

    Et le jeu, me dira-t-on ? Le rugby a ceci de particulier que le jeu, y est moins important que ce qu’il y a autour. C’est ce rapport à la culture qui en fait la spécificité. Par exemple, on aime les grands joueurs quand ils jouent, et on les vénère quand ils ne jouent plus. Plusieurs d’entre eux ayant annoncé leur retraite à la fin du tournoi, chacun va pouvoir étoffer son panthéon personnel. Pour moi ce sera Victor Matfield, magnifique deuxième ligne sud-africain qui a promené son allure de seigneur sur tous les terrains de la planète. Pierre Berbizier m’a dit qu’il était assez filou, et Boudjellal qu’il avait plus transpiré dans les boîtes de nuit que sur le terrain lors de son bref passage à Toulon. Voilà de vrais compliments Monsieur Matfield. Dans mon panthéon, il y a aussi un fantôme, Keith Murdoch, le pilier disparu. Dont il faut rappeler l’histoire.

    Ceux qui ont eu la chance de parcourir la Nouvelle-Zélande, immense pâturage habité de loin en loin par des paysans rougeauds, savent que ce n’est pas un pays. Il y pleut tout le temps, donnant parfois à cette contrée de faux airs de Bretagne. Mais sans le granit et les calvaires, ce qui change tout. Ce n’est pas non plus vraiment une nation. C’est plus compliqué que cela. L’alliance des Blancs et des Maoris pour faire un peuple, c’est une légende. Les danses guerrières qu’on met à toutes les sauces, du folklore. Il n’y a qu’un seul Haka : celui de l’armée noire avant ses matchs internationaux. Alors le rugby ? La référence à la religion est une facilité. La seule solution que je peux proposer pour rendre compte de la place de ce jeu est de dire que la Nouvelle-Zélande est une équipe de rugby qui a un État.

    En 1972 la sélection néo-zélandaise fut envoyée en Europe pour une interminable tournée. Elle arriva au pays de Galles. En ce temps-là, les Gallois dominaient le rugby de l’hémisphère nord. Le pays des mines fournissait à son équipe de terribles piliers tout droit sortis des puits pour l’occasion. Pour le match de Cardiff, les Blacks alignèrent Keith Murdoch en première ligne. Non seulement il tint la dragée haute aux mineurs à maillot rouge, mais c’est lui qui marqua l’essai qui permit à la Nouvelle-Zélande de l’emporter.

    Les joueurs Blacks résidaient dans l’Angel Hotel juste à côté du stade. La soirée y fut longue et probablement très arrosée. Murdoch souhaitant la prolonger voulut aller chercher du ravitaillement aux cuisines. Un vigile eut l’idée saugrenue d’essayer de l’en empêcher, pour se retrouver instantanément par terre et à l’horizontale, l’œil affublé d’un joli coquard. On parvint à envoyer Murdoch au lit et tout le monde pensait que malgré l’incident, en rien original, on en resterait là. Les Gallois sont gens rudes, la chose n’était pas de nature à les contrarier. Mais c’était compter sans la presse londonienne. Les Anglais ayant inventé le fair-play considèrent en être dispensés, mais sont en revanche très exigeants avec les autres. L’équipe de la Rose devait jouer les All blacks quelques jours plus tard, alors pourquoi ne pas essayer de les déstabiliser ? Devant la bronca médiatique, les dirigeants de la tournée, durent la mort dans l’âme, exclure Keith Murdoch, et le renvoyer séance tenante au pays. Ce qui ne s’était jamais produit en 100 ans et ne s’est jamais reproduit depuis. L’accompagnant à l’aéroport, ils le virent monter dans l’avion qui devait le ramener à Auckland.

    Où il n’arriva jamais. Personne n’a revu le natif de Dunedin, 686e néo-zélandais à avoir porté la tunique noire, disparu à jamais. Que s’est-il passé dans son esprit pendant ces longues heures de vol ? Quels ont été ses sentiments, la honte, le chagrin ou l’orgueil ? Peut-être les trois qui l’ont poussé à s’arrêter quelque part, nul ne sait où. Et à se retirer pour toujours. Pour ne pas affronter le regard des autres, quitter un monde où une bagarre d’après boire, vaut au héros la pire des proscriptions ? Essayer d’oublier la souffrance de savoir que l’on entendra plus le bruit des crampons sur le ciment du couloir qui mène à la pelouse, que l’on ne sentira plus cette odeur, mélange d’herbe mouillée et d’embrocation. Et qu’on ne vivra plus ce moment silencieux dans le vestiaire, où l’on vous remet le maillot à la fougère d’argent, quelques instants avant la minute prescrite pour l’assaut. Et peut-être surtout, pour ne rien garder qui puisse rappeler qu’un jour on a été humilié.

    La légende s’est emparée du fantôme, beaucoup l’ont cherché, prétendu l’avoir trouvé. Ou l’avoir vu, en Australie du côté de Darwin, sur une plate-forme pétrolière de la mer de Tasmanie, ou au sud de l’île du Sud. Dans beaucoup d’autres endroits encore. Autant de mensonges, d’inventions et de rêves. Certains amis d’Hugo Pratt allèrent jusqu’à dire qu’il avait rejoint Corto Maltese à la lagune des beaux songes.

    À chaque fois qu’une équipe néo-zélandaise vient à Cardiff, quelques joueurs se rendent à l’Angel Hotel pour y boire un coup. Ils n’y ont pas manqué cette fois encore. Les ignorants prétendent que c’est pour s’excuser du « manquement » de Keith Murdoch. Peut-on mieux ne rien comprendre ? Ils viennent boire à la santé et à la mémoire du fantôme, leur frère. Pour lui dire qu’ils ne l’oublieront jamais.

    Il m’a été donné d’aller voir quelques matchs à Cardiff. À chaque fois, j’ai sacrifié au rite et fait le pèlerinage. Évidemment, car ce sont les Anglais qui ont raison et c’est pour cela qu’on les déteste. Happiness is Rugby. 

    Régis de Castelnau (Causeur)
    avocat

  • Littérature & Cinéma • Stefan Zweig ou la tragédie d'être un citoyen du monde

    Affiche du film « Stefan Zweig. Adieu l'Europe » de Maria Schrader

     

    Par Mathieu Slama

    Alors qu'un film sort sur la vie de Stefan Zweig, Mathieu Slama décrit la tragédie de cet écrivain. Par amour de l'humanisme européen, il a fini par voir son rêve sombrer quand le cosmopolite qu'il était s'est vu couper de ses racines. La tragédie de ce grand esprit européen détaché de son cosmopolitisme, amoureux de l'empire d'Autriche-Hongrie, comme le fut aussi Joseph Roth, son compatriote, figure en quelque sorte le destin contrarié de l'Europe moderne, indûment invitée, voire contrainte, au reniement de ses racines, notamment nationales. Mathieu Slama écrit là, à propos de Zweig, un bel article [Figarovox - 12.08] qu'un patriote français n'a aucune raison de récuser. Tout au contraire.  LFAR 

     

    Mathieu-Slama.jpgL'Europe traverse depuis des décennies une crise qui, hélas, n'est pas seulement politique, économique ou institutionnelle.

    La plus grande des crises est d'ordre spirituel et métaphysique, d'abord. Elle tient dans l'immense dilemme qui traverse les peuples européens, auxquels on demande d'adhérer à un projet de nature universelle et de renoncer à leurs communautés particulières, leurs nations. L'Union européenne, gigantesque machine à produire du droit et des normes, ne se soucie guère de l'âme européenne et des nations. Elle ne s'intéresse qu'aux individus et aux entreprises privées. Elle est une négation de l'humanité telle qu'elle s'est construite depuis des millénaires, c'est-à-dire dans le cadre de communautés particulières. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la remise en cause générale de l' «esprit de Bruxelles» dans toute l'Europe, à droite comme à gauche.

    La question que nous pose l'Europe est difficile. Peut-on transcender sa communauté particulière pour adhérer à une idée générale telle que l'idée européenne? Peut-on appartenir politiquement à une idée?

    Ce n'est pas un hasard si nous assistons aujourd'hui à un regain d'intérêt pour le grand écrivain autrichien Stefan Zweig (1881-1942), auquel un film vient d'être consacré. Zweig incarne, peut-être plus que quiconque, l'esprit bourgeois tel qu'il a émergé lors du XIXème siècle humaniste et libéral. Confronté aux deux guerres mondiales, Zweig a eu toute sa vie en horreur le nationalisme, «cette pestilence des pestilences qui a empoisonné la fleur de notre culture européenne». Zweig quitte l'Autriche en 1934, persuadé que son pays et le monde courent vers la guerre à cause du nazisme. L'histoire lui donnera raison. Il sera naturalisé britannique avant de finir ses jours au Brésil, exilé. En 1942, alors qu'il assiste impuissant à la guerre qu'il avait prédit, Zweig se donne la mort, avec sa compagne, dans un ultime élan de désespoir. Avant son suicide, il laisse un livre-testament, Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen. C'est dans ce livre, marqué par la nostalgie d'un âge d'or de l'Europe qu'il voyait dans la monarchie austro-hongroise, qu'on aperçoit le plus clairement la profession de foi humaniste et européenne de Zweig, en même temps que l'aporie de celle-là. Car Zweig, involontairement, a mis en évidence dans ce texte l'immense difficulté posée par le déracinement et le cosmopolitisme. Et c'est en cela que ce livre est capital car il éclaire l'enjeu le plus décisif auquel nous autres Européens sommes aujourd'hui confrontés: la disparition de nos patries.

    En cosmopolite assumé, Zweig regrette le monde d'avant 1914, quand «la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu'il lui plaisait. On montait dans le train, on en descendait sans rien demander, sans qu'on vous demandât rien, on n'avait pas à remplir une seule de ces mille formules et déclarations qui sont aujourd'hui exigées. Il n'y avait pas de permis, pas de visas, pas de mesures tracassières, ces mêmes frontières qui, avec leurs douaniers, leur police, leurs postes de gendarmerie, sont transformées en un système d'obstacles ne représentaient rien que des lignes symboliques qu'on traversait avec autant d'insouciance que le méridien de Greenwich».

    Ce que Zweig ne supporte pas dans l'idée nationale, au-delà de l'esprit guerrier qu'elle peut engendrer, ce sont les «tracasseries administratives», ces «petites choses» dans lesquelles il voit le symbole du déclin spirituel de l'Europe: «Constamment, nous étions interrogés, enregistrés, numérotés, examinés, estampillés, et pour moi, incorrigible survivant d'une époque plus libre et citoyen d'une république mondiale rêvée, chacun de ces timbres imprimés sur mon passeport reste aujourd'hui encore comme une flétrissure, chacune de ces questions et de ces fouilles comme une humiliation ». Face à cela, Zweig « mesure tout ce qui s'est perdu de dignité humaine dans ce siècle que, dans les rêves de notre jeunesse pleine de foi, nous voyions comme celui de la liberté, comme l'ère prochaine du cosmopolitisme ».

    Comment ne pas voir dans ces lignes un condensé de l'esprit européen aujourd'hui? La perception de la nation comme un un carcan liberticide, la foi dans le progrès et l'universalisme, l'éloge de l'expatriation et des échanges culturels entre pays…: Zweig, sans le savoir, a remporté la bataille. Les expériences totalitaires ont décrédibilisé l'idée de patrie et ont marqué la victoire contemporaine des idées libérales et universalistes de 1789, dont l'Union européenne porte l'héritage. Mais Zweig, qui haïssait la décadence spirituelle des totalitarismes, se serait-il reconnu dans l'Union européenne sans âme, cette institution antipolitique qui fait de l'espace européen un territoire neutre où la nature humaine est réduite au statut d'individu et de consommateur ? C'est là l'immense tragédie de Stefan Zweig: son combat a été gagné au-delà de toutes ses espérances, et il a abouti à la négation même de ses idéaux humanistes.

    L'attachement à une patrie ne se réduit évidemment pas à de simples contraintes administratives. Il ne se réduit pas non plus à « la haine ou la crainte de l'autre », comme l'écrit Zweig à propos du nationalisme. Il est au contraire la reconnaissance de la pluralité des modes d'être-au-monde, la reconnaissance de «ces vieux particularismes auxquels revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie » (Lévi-Strauss). Villon, Rabelais, Châteaubriand, Proust et Céline auraient-ils existé s'ils n'avaient pas été pétris par l'histoire, la culture et l'esprit français ? « Tout ce qui est essentiel et grand n'a pu émerger que lorsque les hommes ont eu une maison et ont été enracinés dans une patrie », a un jour rappelé Martin Heidegger.

    Mais Zweig lui-même a entrevu le caractère essentiel de cet attachement, et voici selon nous le passage le plus étonnant et le plus marquant de son ouvrage, qui tranche radicalement avec le reste de son propos: «Quand on n'a pas sa propre terre sous ses pieds — cela aussi, il faut l'avoir éprouvé pour le comprendre — on perd quelque chose de sa verticalité, on perd de sa sûreté, on devient plus méfiant à l'égard de soi-même. Et je n'hésite pas à avouer que depuis le jour où j'ai dû vivre avec des papiers ou des passeports véritablement étrangers, il m'a toujours semblé que je ne m'appartenais plus tout à fait. Quelque chose de l'identité naturelle entre ce que j'étais et mon moi primitif et essentiel demeura à jamais détruit. Il ne m'a servi à rien d'avoir exercé près d'un demi-siècle mon cœur à battre comme celui d'un ‘citoyen du monde'. Non, le jour où mon passeport m'a été retiré, j'ai découvert, à cinquante-huit ans, qu'en perdant sa patrie on perd plus qu'un coin de terre délimité par des frontières ».

    C'est la leçon, magnifique et tragique à la fois, que nous souhaiterions, pour notre part, retenir de Stefan Zweig. C'est la leçon que l'Union européenne, qui a trahi l'Europe, devrait également retenir. 

    Né en 1986, Mathieu Slama intervient régulièrement dans les médias, notamment au FigaroVox, sur les questions de politique internationale. L'un des premiers en France à avoir décrypté la propagande de l'Etat islamique, il a publié plusieurs articles sur la stratégie de Poutine vis-à-vis de l'Europe et de l'Occident. Son premier livre, La guerre des mondes, réflexion sur la croisade de Poutine contre l'Occident, est paru aux éditions de Fallois.

    Mathieu Slama           

  • Chantal Delsol : Le génie européen et le destin (aujourd’hui malheureux) de la culture européenne

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    Intervention de Chantal Delsol, professeur des Universités, écrivain et membre de l’Institut, à l'occasion de la Table Ronde d'hommage à Jean-François Mattéi, le 20 Mars dernier, à Marseille.

    Ici je voudrais insister sur un point qui me paraît important dans l’œuvre de Jean-François : le génie européen et le destin (aujourd’hui malheureux) de la culture européenne.
    J’ai choisi cette question parce qu’elle est le seul point sur lequel nous étions en désaccord (amical !) : la question de la supériorité de la culture européenne, la question du destin du nihilisme européen.
    On se souvient du fameux Avant-Propos de Max Weber pour L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, dans laquelle il s’interroge sur les raisons du développement de l’Europe, au détriment notamment de la Chine qui se trouvait pourtant tellement en avance. Needham, et Whitehead, ont abordé cette question avec talent. Et aussi Husserl et Patocka. Jean-François en était hanté. Il voyait dans l’auto-destruction actuelle de cette culture la démonstration même de sa supériorité. Comment cela ?

    Tout commence avec le soin de l’âme : depuis Platon et jusqu’à Patocka. Les autres humains, non-européens, n’ont-ils donc pas d’âme ? Certainement si ! Seulement ils n’inventent pas le logos, ou si l’on préfère, ils ne développent pas l’esprit critique. Les sociétés européennes inventent les sciences modernes et la démocratie parce que cette culture a « un mode d’expression spéculaire », autrement dit, une capacité à prendre distance par rapport à soi, et donc à se critiquer soi-même.
    Tout vient de là. Une idée de la conscience personnelle qui juge l’extérieur et ne s’y noie pas. J’ai appelé cela l’irrévérence. La critique.
    Jean-François va plus loin. Il pense que la culture se caractérise précisément par cette capacité à prendre distance. Il en ressort que seuls les Européens ont une culture au sens précis du terme : les autres sociétés ont des mythes, des religions, des pratiques.
    La capacité critique de l’Europe a été bien décrite comme une supériorité par des auteurs aussi différents que Leszek Kolakowski ou Cornelius Castoriadis. Savoir se remettre en cause est un signe de hauteur et de développement plus grand. J’ai développé cela en disant que si toutes les civilisations colonisent en période de puissance et décolonisent en période d’impuissance, l’Occident est la seule civilisation capable de décoloniser par mauvaise conscience…
    Ce qui permet de comprendre la vocation initiatrice de l’Europe, mais aussi pose d’autres questions.
    La capacité critique enclenche une culture de questionnement, de doute, de sortie de l’enfermement et de la particularité : une culture d’ouverture. Elle engendre le prométhéisme, et jusqu’à cette volonté d’échapper à la condition humaine, à sa finitude, volonté qui peut aller jusqu’aux pires excès. Déjà la devise de Charles Quint était : Plus Ultra.
    C’est cela qui engage l’Europe dans l’histoire, fait de ses sociétés des sociétés ouvertes.
    Cependant il se produit quelque chose d’étrange : quand la société européenne d’ouverture et de critique rencontre les autres sociétés, elle exerce sur elles une fascination. Toutes les sociétés mondiales se posent la question de savoir si elles doivent ou non s’occidentaliser – nous sommes les seuls à pouvoir nous contenter d’être nous-mêmes…
    Ainsi, grâce à l’Occident chrétien, les autres cultures commencent à prendre distance par rapport au particularisme, et entrent dans l’histoire universelle. Le mouvement d’émancipation qui répond à l’esprit critique dans le temps fléché, se répand partout. Si aujourd’hui en Chine ou ailleurs, l’esclavage est aboli, si les femmes peuvent faire des études supérieures, c’est uniquement à l’influence de l’Occident que cela est du.
    Comment expliquer ce pouvoir de fascination exercé par la culture européenne ? Il faut croire que le désir d’universel représente un appel tout humain, réveillé d’abord chez nous, mais promis à toutes les sociétés mondiales.
    Il serait d’ailleurs lucide de préciser que ce pouvoir de fascination s’estompe depuis la fin du XX° siècle, au moment où nous voyons se développer pas moins de trois centres civilisateurs fermement anti-européens : les zones de l’islam fondamentaliste, la Russie de Poutine et la Chine. Il importerait, à ce stade, de se demander si la culture critique et émancipatrice ne va pas trop loin dans ses desseins universalistes;
    Mais surtout, il est clair que l’esprit critique européen se retourne contre soi tel un apprenti sorcier, et Jean-François a beaucoup travaillé là-dessus. La haine de soi, depuis la décolonisation et les deux guerres mondiales, entraine l’Occident par le fond. Une société qui ne veut plus se défendre elle-même ne se condamne-t-elle pas à mort, comme lorsque par exemple l’Union européenne refuse d’inscrire les racines chrétiennes dans sa constitution ? Quand elle dénigre constamment la conscience personnelle, dont le développement a permis à la critique d’exister (institutionnalisation d’Antigone dans la justice internationale) ? Quand elle récuse ce que justement Platon et Patocka appellent l’âme (Zamiatine) ?
    D’autant qu’il se produit quelque chose de nouveau et d’inquiétant : pour critiquer, ou pour se mettre soi-même en cause, il faut un point d’appui : à partir de quoi juge-t-on ? Jusque là quand les Occidentaux se mettaient en cause c’était au nom des principes de l’Evangile, qu’ils estimaient avoir trahis (par exemple Marsile de Padoue ou Bartholomé de Las Casas). Mais aujourd’hui, n’étant plus en chrétienté, au nom de quoi les Occidentaux se jugent-ils ? Au nom d’une utopie abstraite, une perfection non-humaine et inhumaine – ou du point de vue de Sirius. Les conséquences sont incalculables. Le désespoir et le nihilisme résultent facilement de cette quête sans point fixe.
    Il est probable que la critique se pouvait grâce à la transcendance, qui établissait un point fixe archimédien d’où l’on pouvait juger. Une fois la transcendance abolie (« Dieu est mort »), la critique se poursuit comme forme de la pensée, mais privée de point archimédien elle tourne dans le vide.
    Jean-François était très marqué par le nihilisme contemporain, dont son dernier livre, L’homme dévasté, est l’expression. Il pensait qu’emportée par le torrent de l’auto-critique, la culture européenne était en passe de se détruire elle-même. Pour ma part je suis persuadée que ce nihilisme, bien réel, représente un épiphénomène, le délire de quelques élites germano-pratines aussi fêlées et aussi minoritaires qu’autrefois Diogène dans son tonneau. Je crois plutôt que nous sommes en train de renier notre culture pour rejoindre des pensées plus archaïques et plus simples : Husserl à mon avis avait tort quand il disait que les autres peuples s’occidentalisent mais que nous ne nous indianiserons jamais (dans La crise de l’humanité européenne et la philosophie) – je crois que nous sommes en train de nous indianiser sur beaucoup de plans.
    Comme vous tous je sais, hélas, que dans la discussion entre les vivants et les morts, les premiers ont forcément le dernier mot, et c’est pourquoi je lui donne le dernier mot :

    « L’attitude critique de l’Europe envers ses propres échecs témoigne précisément de ses succès.(…) Ce n’est pas parce que la culture de l’Europe a failli, en transgressant ses principes, qu’elle doit être condamnée ; c’est au contraire parce qu’elle a failli, mais en prenant conscience de ses fautes, qu’elle doit être reconnue comme supérieure. Aucune autre culture n’a jamais effectué cette rédemption ».  

    Les Amis de Jean-François Mattéi

  • Dans Figarovox, Frédéric Rouvillois revient sur l'avenir des régimes monarchiques dans le monde

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    Albert II et Charlène de Monaco, le 2 juillet 2011. Crédits photo : Jean Paul Pelissier/AP

     

    Frédéric Rouvillois est professeur de droit public et écrivain. Il a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire des idées, notamment L'Invention du progrès, aux origines de la pensée totalitaire (CNRS Éditions, 2010), ainsi que des essais sur la politesse, le snobisme et les institutions, et plus récemment Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011). Son dernier livre Crime et utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme, a été publié chez Flammarion.

     

    FigaroVox: Après le mariage de Kate et William, en Angleterre, la naissance des jumeaux du couple royal de Monaco a suscité l'émotion. Toutefois, ces moments intimes sont les seuls mettant en avant les têtes couronnées, qui restent effacées sur la scène politique. La monarchie est-elle désormais un régime d'opérette ?

    Frédéric ROUVILLOIS: En aucun cas ! Ce n'est le cas ni en Angleterre, où le Premier ministre dirige pourtant dans les faits le pays, ni à Monaco, où le roi demeure très présent, et où toutes les décisions sont prises en son nom. Même si le système anglais est une monarchie parlementaire, le roi demeure la colonne du temple britannique. Sans lui, l'édifice entier s'écroulerait. A Monaco, le monarque intervient activement dans la vie politique de l'Etat. Il s'agit d'une monarchie constitutionnelle, non d'un régime parlementaire ; autrement dit, le prince détient la majorité des pouvoirs, et l'exerce à la satisfaction générale. Parler de régime d'opérette me semble donc erroné.

    Le monarque n'est, dans tous les cas, jamais réduit à un élément décoratif. Il demeure significatif et indispensable. En Belgique, l‘émotion qui a entouré la mort de la reine Fabiola l'a montré. En Espagne, tous les commentateurs admettent que l'avènement du roi Felipe VI a eu un impact significatif pour le pays. En Angleterre, enfin, la reine demeure un élément essentiel à la persistance de la communauté politique. Les citoyens sont à la fois attachés à la personne royale, ainsi qu'au principe de la couronne.

    On peut cependant rappeler que ce type de régime est entouré d'une part de mystère, de rêve. Les monarchies font de plus en plus rêver les citoyens, dans un monde terne, morne et ennuyeux à bien des égards. La beauté des couples royaux, comme Charlène et Albert, à Monaco, ou Kate et William en Angleterre, confère au régime qu'ils représentent une dimension faste, brillante, élégante, essentielle dans notre civilisation de l'image.

    Nos démocraties peuvent-elles tirer des enseignements de ces monarchies ?

    Sans identité, sans cohésion, sans unité nationale, une démocratie ne peut exister. Elle suppose que les citoyens aient la conviction de former un groupe clair, cohérent, dont les éléments vont s'entraider. De ce point de vue, les valeurs qui entourent les monarques me semblent intéressantes: le roi représente l'identité, le consensus, la continuité, la stabilité. Ces mots, fondamentaux dans tout Etat, républicain comme monarchique, prennent une dimension toute particulière dans le second type de régime, dans la mesure où ils sont incarnés par le monarque lui-même. Le roi rassemble, transcende les débats politiques, et indique clairement la direction dans laquelle le pays va évoluer.

    En outre, j'ajoute qu'on ne peut dissocier clairement la monarchie et la démocratie. Monaco ou l'Angleterre incluent des éléments démocratiques dans leur système respectif. De plus, tous nos régimes contemporains sont, à mon sens, des monarchies: on parle ainsi de monarchie républicaine, en France, et un système similaire existe avec la chancelière, en Allemagne. Ces systèmes, où un individu, en définitive, incarne l'Etat et prend des décisions sont des monarchies appelées autrement, et qui intègrent des éléments de démocraties. En France, par exemple, la monarchie républicaine reste bien ancrée: le président de la République dirige le pays, bénéficie d'une légitimité démocratique incontestable, et décide seul de l'orientation de sa politique.

    La monarchie en tant que gouvernement d'une personne, en somme, est le régime politique le plus banal au monde. Le régime parlementaire classique n'existe plus, au grand regret de quelques politiciens français dépassés, qui rêvent de remettre le Parlement au sommet de l'Etat. Or, un tel régime n'est pas adapté à la situation actuelle du monde, traversé par des crises et des tensions importantes. Nous avons besoin d'un dirigeant qui sache trancher, prendre des décisions rapides. Dans ce contexte, la monarchie est inévitable.

    Les monarchies n'ont-elles pas vocation à disparaître ? Ont-elles un rôle politique particulier dans le monde ?

    Au contraire: elles ne se sont, à mon sens, jamais aussi bien portées. La disparition des royautés, au moment même où la monarchie devient habituelle dans le monde, ne serait pas une bonne chose.

    Leur forme politique, toutefois, ne leur confère pas de rôle particulier dans le jeu des Etats. La royauté n'influe pas sur la politique ni sur les choix diplomatiques. Les décisions d'un Etat sont, en cela, plus importantes que le type de régime.

    Quelles sont les lois de succession à Monaco ? Sont-elles immuables ?

    D'abord, seuls les enfants légitimes du prince, issus d'un mariage religieux, peuvent lui succéder. Ensuite, le premier né devient le prince héritier. Enfin, les garçons sont privilégiés par rapport aux filles: si un garçon naît après une fille, il deviendra tout de même prince héritier à sa place.

    Ces règles ne sont pas appelées à évoluer. Les monégasques sont attachés au bon sens, à la stabilité. Malgré les pressions extérieures, parfois inadmissibles, l'ordre constitutionnel suscite un certain consensus au sein de la population, et ne devrait pas changer. 

     

    FIGARO VOX Vox Politique Par Wladimir Garcin

  • Pour conclure sur la crise euro-grecque, qui, elle, ne fait que commencer : fin de partie remise ...

     

    La réflexion qui suit, intéressante et juste, est parue dans Causeur. Elle est signée Roland Hureaux. Elle nous semble résumer clairement et synthétiquement la crise grecque et surtout celle de l'euro. Au delà, celle de l'Europe et des nations qui la composent. Plus que la question grecque en elle-même, qui a déclenché, comme ce fut souvent le cas dans notre histoire depuis l'indépendance de la Grèce, une vague de romantisme, d'irréalisme et de passions, c'est en effet notre propre destin et celui de l'Europe qui est en jeu. Et c'est d'une tout autre importance ... LFAR  

     

    74878-hureaux-1,bWF4LTY1NXgw.jpg« Cette fois l’euro est sauvé, la crise grecque est terminée ». Un concert de satisfaction a salué, tant dans les sphères du pouvoir que dans la sphère médiatique, l’accord qui a été trouvé le 13 juillet à Bruxelles entre le gouvenrment Tsipras et les instances européennes – et à travers elles, les grands pays, Allemagne en tête.

    Etonnante illusion : comme si la diplomatie pouvait venir à bout  du réel. N’est ce pas Philippe Muray qui a dit un jour : « Le réel est reporté à une date ultérieure » ?

    Il n’y a en effet aucune chance que cet accord résolve quoi que ce soit.

    Passons sur le revirement étonnant d’Alexis Tsipras qui organise un référendum où le « non » au plan de rigueur de l’Europe est plébiscité avec plus de 62 % de voix et qui, immédiatement après, propose un plan presque aussi rigoureux.

    Aide contre sacrifices

    Ce plan a trois volets : les dettes de la Grèce doivent être étalées ; jusqu’où ? On ne sait pas encore, cela ne sera décidé qu’en octobre . La Grèce recevra de nouvelles facilités à hauteur de 53 milliards d’euros (remboursables), plus le déblocage de 25 milliards de crédits du plan Juncker (non remboursables). Elle doit en contrepartie faire voter sans délai un certain nombre de réformes : augmentation de la TVA, recul de l’âge de la retraite , lutte renforcée contre la fraude fiscale, etc.

    Le volet réforme correspond-t-il à une vraie logique économique ? Appliquées immédiatement, ces mesures plomberont un peu plus l’activité, comme toutes celles que l’on inflige à la Grèce depuis quatre ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ce pays consacre les ressources nouvelles à l’investissement et ne soit tenu de revenir à l’équilibre qu’au moment où la croissance , grâce à ces investissements, repartira. Quel  pays a jamais restauré ses grands équilibres dans la récession ?

    Moins que de considérations techniques, cette exigence de réformes ne s’inspire-t-elle pas plutôt du vieux moralisme protestant : aider les pauvres, soit mais seulement s’ils font des efforts pour s’en sortir ; quels efforts ? Peu importe pourvu qu’ils en bavent !

    Quoi qu’il en soit, pour redevenir solvable et donc rembourser un peu de ce qu’elle doit, la Grèce doit avoir des comptes extérieurs non seulement en équilibre mais excédentaires. Pour cela, elle doit exporter.

    Pourquoi n’exporte-t-elle pas aujourd’hui, et même achète-t-elle des produits comme les olives? Parce que ses coûts sont trop élevés. Pourquoi sont-ils trop élevés ? Parce qu’ils ont dérivé plus que dans les autres pays de la zone euro depuis quinze ans. Et quoi que prétendent certains experts, cela est irréversible.

    Aucun espoir sans sortie de l’euro

    La Grèce a-t-elle un espoir de devenir excédentaire en restant dans l’euro ? Aucun.

    Seule une dévaluation et donc une sortie de l’euro qui diminuerait ses prix internationaux d’environ un tiers lui permettrait de reprendre pied sur les marchés.

    C’est dire que l’accord qui a été trouvé, à supposer que tous les Etats l’approuvent, sera remis en cause dans quelques mois quand on s’apercevra que l’économie grecque (à ne pas confondre avec le budget de l’Etat grec) demeure déficitaire et qu’en conséquence, elle ne rembourse toujours rien.

    On le lui a assez dit : cette sortie-dévaluation sera dure au peuple grec, du fait de l’augmentation des produits importés, mais elle lui permettra au bout de quelques mois de  redémarrer. Sans sortie de l’euro, il y aura aussi des sacrifices mais pas d’espoir.

    Nous pouvons supposer que les experts qui se sont réunis  à Bruxelles savent tout cela. Ceux du FMI l’ont dit, presque en ces termes. Les uns et les autres ont quand même signé.

    Les Allemands qui ont déjà beaucoup prêté à la Grèce et savent qu’ils ne récupéreront rien de leurs créances, réformes ou pas, ne voulaient pas s’engager d’avantage. Ils ont signé quand même. Bien plus que l’attitude plus flexible de François Hollande, c’est une pression aussi ferme que discrète des Etats-Unis qui a contraint Angela Merkel à accepter un accord, envers et contre une opinion allemande remontée contre les Grecs.

    Quant à Tsipras, a t-il dû lui aussi céder aux mêmes pressions (de quelle manière est-il tenu ?) ou joue-il double jeu pour grappiller encore quelques avantages avant une rupture définitive – qui verrait sans doute le retour de Yannis Varoufakis. Les prochains jours nous le diront.

    Le médiateur discret

    On ne comprend rien à l’histoire de cette crise si on ne prend pas en compte, derrière la scène, le médiateur discret de Washington qui, pour des raisons géopolitiques autant qu’économiques, ne souhaite ni la rupture de la Grèce, ni l’éclatement de l’euro.

    Cette donnée relativise tous ce qu’on a pu dire  sur les tensions du  « couple franco-allemand » (ça fait cinquante ans que les Allemands nous font savoir qu’ils n’aiment pas cette expression de « couple » mais la presse continue inlassablement de l’utiliser !). Au dictionnaire des idées reçues : Merkel la dure contre Hollande le mou. Merkel, chancelière de fer, qui tient entre ses mains le destin de l’Europe et qui a imposé son diktat à la Grèce. Il est certes important de savoir que les choses sont vues de cette manière (et une fois de plus notre piteux Hollande a le mauvais rôle !). Mais la réalité est toute autre. Ce que l’Allemagne voulait imposer n’est rien d’autre qu’un principe de cohérence conforme aux traités qui ont fondé l’euro. Ce que Tsipras a concédé, c’est ce qu’il  ne tiendra de toutes les façons pas  parce qu’il ne peut pas le tenir.  Merkel a été contrainte à l’accord par Obama contre son opinion publique. La « victoire de l’Allemagne » est doublement illusoire : elle ne défendait pas d’abord ses intérêts mais la logique de l’euro ; cette logique, elle ne l’a imposée que sur le papier.

    Mais pourquoi donc tant d’obstination de la part de l’Europe de Bruxelles, de la France et de l’Allemagne (et sans doute de l’Amérique) à trouver une solution à ce qui dès le départ était la quadrature du cercle ? Pourquoi tant de hargne vis à vis des Grecs et de tous ceux qui ont plus ou moins pris leur défense, au point d’anesthésier tout débat économique sérieux ?

    Le Monde a vendu la mèche en titrant en grand : « L’Europe évite l’implosion en gardant la Grèce dans l’euro. » Nous avons bien lu : l’Europe, et pas seulement l’euro. Bien que la Grèce ne représente que 2% du PIB de la zone euro, son maintien dans cette zone conditionne la survie de l’euro. Mais par delà l’euro, c’est toute la construction européenne qui semble devoir être remise en cause si la Grèce sortait et si, du fait de la Grèce, la zone euro éclatait. Là encore le paradoxe est grand : comment de si petites causes peuvent-elles avoir de si grands effets ? Ce simple constat montre, s’il en était besoin, la fragilité de l’édifice européen. Cette fragilité réapparaitra qu’on le veuille ou non,  jusqu’à la chute de ce qui s’avère de plus en plus n’être qu’un château de cartes.

    Devant une telle perspective, les Européens, ont dit « de grâce, encore une minute, Monsieur le bourreau. » Une minute ou quelques mois mais  pas beaucoup plus. 

    Roland Hureaux - Causeur

    *Photo : Markus Schreiber/AP/SIPA/VLM133/812735085543/1506081323

  • L’Amour Courtois, par Frederic Poretti-Winkler.

    Hoyr tù reysti olivar jall, siga skalt tù moer. Hvat vilt tù à hesum landi, til roysni kjosa toer ?
    Eg skal ganga i moynnasal, gera tao alvoel bratt. Fremja min vilja vio keisarans dottur, hundrao reisir à nàtt (poème traduit en gaëlique et en norrois, cour de Hàkon Hàkonarson du XIIIe siècle. Celui-ci existe en suédois, danois et islandais. Il est ici en féroïens…
    Ecoute courageux duc Olivier, il faut que tu me dises. Dans ce pays, quel exploit veux-tu choisir ?
    J’irai dans le gynécée, je ferai très vite. Je ferai à ma volonté avec la fille de l’empereur, cent fois en une nuit.

    frédéric winkler.jpgL’amour courtois fut dans le monde médiéval, le couronnement, comme la forme élevée du respect envers la gente féminine, portée à l’autel des vertus d’approches et de sensibilité.
    On pourrait le considérer comme imaginaire, platonique mais ce serait oublier sa forme extrêmement sensuelle. Loin d’être une forme pudique puritaine, chère à certains esprits sectaires, la sexualité au sein du monde médiéval, était plutôt d’aspiration naturelle, consciente des réalités de la vie, de la nature humaine, comme de ses travers et vertus. L’amour courtois est un art érotique se détournant d’une certaine convenance, une porte ouverte, bordée d’approches et de précautions dans un monde « interdit ». Cet amour se détourne de la chasteté conseillée par l’Eglise comme de la prudence enseignée par la Cour. Ces « entraves » ne sont pas à négliger, ni à renier car elles furent les « garde-fous », fruits des expériences vécues comme des conflits humains (héritages, économies, pouvoirs, familles), des rivalités, violences, jalousies et conflits sociaux. Le mariage était garant d’une certaine paix civile. Rappelons que nous vivons une époque où la religion a dicté des règles de respect sur la protection des paysans, des humbles, femmes et enfants et jours restrictifs pour la guerre. C’est aussi la chrétienté qui a supprimé l’esclavage. L’amour courtois, né au milieu du XIIe siècle, représenta une révolution dans les mœurs. Il reste dans notre monde, cette survivance délicate de l’esprit chevaleresque. Il est le mélange de la geste des chevaliers, du plaisir érotique sorti des musiques et chansons des troubadours et de la chasteté religieuse. Il est né des mariages nobles, pour qui les seconds nés attendaient quelquefois leurs tours. Ces jeunes chevaliers voyaient alors dans le « fine amor », le coté extra-marital, dans l’idéal féodal, celui du service comme de la soumission à la Dame. En dehors de ce que l’on pourrait imaginer, le monde médiéval était loin des idées que l’on pourrait se faire. La nudité comme les plaisirs de la chair n’était pas des sujets tabous, bien au contraire, on était assez libre sur ces chapitres. La dame était loin d’être passive et elle pouvait même être entreprenante…
    Et si faiblesse il y a…
    Le chevalier qui faiblit, n’est-il plus un chevalier ? Ce serait aller vite dans un jugement et puis qui est-on pour juger ? Qui oserait lancer la première pierre disant que Lancelot du Lac, des romans de la « Table Ronde », perdrait tout droit à la chevalerie ?
    Si tous ceux qui commirent des fautes à l’époque, n’étais plus des chevaliers, que resterait-il ?
    Les exemples abondent dans les romans courtois de « fol amor », mais cela reste des romans, l’homme qui courtise, se doit, d’être au service de la belle, et cela va très loin… Les passions sont vécues intensément, humainement, avec des codes, c’est là toute la différence avec aujourd’hui. Ces codes d’honneur resteront longtemps, jusqu’à même aujourd’hui et hantent les rapports humains comme la soif de valeurs disparues mais toujours présentes. Ils étaient l’apanage d’une époque. L’homme responsable assume avec honneur ses « déviances », l’on voit au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les mariages « aménagés » avec des familles dont les hommes et femmes, vivent séparément leurs idylles amoureuses, tout en préservant l’intégrité familiale. Cette liberté sentimentale était très large et les couples s’en accommodaient fort bien, l’exemple des favorites le montre parfaitement.
    Chrétien de Troyes était un clerc qui écrivit des chansons courtoises et fut innovant en matière de romans médiévaux notamment de chevalerie : Éreci, Cligès, Yvain ou le Chevalier au Lion, le conte de La Charrette (Lancelot), et surtout Perceval ou le conte du Graal. La recherche dans l’élévation, du dépassement de soi, cette « révolution » intérieure que l’on nomme si joliment la « Quête ». L’histoire est souvent similaire, des ombres arrivent sur le bonheur, par trop éphémère qui déclenche le départ du héros vers l’aventure où l’affrontement, bref l’épreuve. Là se développe sagas et légendes, combats épiques comme héroïques, sacrifices et destins. Les histoires ne sont pas toujours tragiques fort heureusement car le bien triomphe souvent par la consécration du Chevalier et sa Dame, dans une vie et un environnement apaisé, au service des autres.
    « S’en est Amours mout abaissie. Car chil qui soloient amer. Se faisoient courtois clamer.
    Que preu et largue et honnorable » : Ce dont Amour est très découragé. Car ceux qui aimaient, normalement. Se faisaient appeler courtois. Preux, larges d’esprit et honorables. (Chrétien de Troyes, Yvain le chevalier au lion)
    La dame n’est pas en reste car elle peut aimer aussi de son côté en dehors du mariage et qu’importe l’âge de l’être approché, comme la condition. Cet amour dans le mariage ou en dehors, pouvait être pure et charnel, chaste et sensuel. Bref la société était ainsi, on était loin des hypocrisies d’aujourd’hui. L’amour courtois est une éthique, un idéal dans les manières d’agir et se comporter. C’est un raffinement qui prend toute sa valeur dans la virilité chevaleresque, cette passerelle entre la rugosité masculine et le raffinement dans l’approche des femmes, comme des arts de la musique, du chant, de la danse. L’homme dans son approche, voue un culte sacré à la gente féminine. La dame est libre d’octroyer ce qu’elle désir à l’aimé, de la voir nue, comme de donner un baiser. Tout est jeu de l’amour, dans l’approche infinie de l’autre. On manie facilement l’ambiguïté dans les formes de renoncement au plaisir tout en le souhaitant et le recherchant. L’asag en est la définition, il permet cette réciprocité, cet échange amical, complémentarité des êtres. Cette manière de courtiser est une école du savoir vivre, liée au profond respect de l’autre avant le désir de se satisfaire soi-même, cher à notre époque. S’oublier totalement par le soin envers l’autre qui souvent entraîne la joie dans la satisfaction de l’être aimé qui par retour vous enrichie de ses attentions. La démarche est conquérante, avec les épreuves, les tests, les défis, afin de voir l’attachement et la volonté d’une passion. Le preux, l’être aimé peut se retrouver dans le lit de la dame par la permission de celle-ci, forme de récompense, en prenant garde de ne faire que selon ses désirs et pas au-delà. L’art d’aimer revêt donc de multiples facettes et l’amour courtois est le désir de séduire, tempéré par un code médiéval fait de respect, d’attention et de service. On pourrait en citer de nombreux, au XIIe siècle : le roman d’Alexandre, de Thèbes, d’Enéas, de Troie, le roi Arthur, Thomas, Béroul, Lancelot ou le chevalier de la charrette, Perceval ou Le conte du Graal (fin XIIe), Tristan et Iseult :
    Sire, j’am Yseut a mervelle. Si que n’en dor ne ne somelle
    Sire, j’aime Iseut à merveille. Si bien que je ne peux ni dormir ni retrouver le sommeil…
    Pur vostre amur m’estuet murrir
    Je dois mourir par amour de vous…
    L’amour courtois reste fort et ancré dans l’approche de l’homme vers la femme, tel Adam de la Halle dans « Chanson » : « Dame gentille, aimée de tous pour votre bonté qui ne peut s’amoindrir, douce, amoureuse image désirée, daignez me retenir en votre service. Je ne dema nde d’autre récompense. Je n’oserais pas y penser, d’autant encore qu’il me semble être trop insuffisant pour y être, si amour n’est pour moi. Et votre gentil corps où la franchise est visible à votre visage riant et ouvert (séant en une face de teint colorée) dont je ne peux détourner les yeux et le cœur ; mais je vous vois avec un tel désir, que même si j’y emploie mon entendement, il me semble que je ne voie ni ciel ni terre, tellement je me sens ravi. » Ou le poème « Douce Dame jolie » de Guillaume de Machaut : « Douce dame jolie, Pour dieu ne pensés mie. Que nulle ait signorie. Seur moy fors vous seulement…
    Douce dame jolie, Pour (l’amour de) Dieu, ne pensez pas. Que nulle (autre) a pouvoir. Sur moi, que vous seulement… » Nous finirons en laissant la grâce s’exprimer dans les poèmes de Christine de Pisan (ballade) : « Si vous retienne et vous domme m’amour, Mon fin cuer doulz, et vous pri que faintise (dissimulation). Ne soit en vous, ne nul autre faulx tour ; Car toute m’a entierement acquise. Vo doulz maintien, vo manière rassise (digne), Et vos très doulx amoureux et beaumz yaux. Si aroye grant tort en toute guise (manière). De refuser ami si gracieux… »

    F. PORETTI-Winkler (L'Ethique de la Reconquete, à suivre...)

  • « Race », un mot qu’il faut chasser de l’expression orale ou écrite

     

    Par Pierre de Meuse

     

    4172691570.jpg

    Jeudi 12 juillet, la Chambre des députés a voté la proposition d’une nouvelle révision constitutionnelle, concernant l’article 1 de la Constitution qui est pour l’instant encore rédigé ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »

    Le but de cette révision est de supprimer le mot « race » et de le remplacer par le mot « sexe ». Cette révision était demandée depuis des décennies par des députés antillais, notamment par Victorin Lurel. Elle recevra force constitutionnelle si la procédure aboutit. Il est à noter que ce texte a été approuvé à l’unanimité des votants présents. Sans vouloir être taxé de libéralisme, qu’il nous soit permis de nous inquiéter de l’unanimité qui est souvent le signe d’une forte pression, quelquefois même d’une violence cachée. Rappelons le serment du jeu de paume, en 1789, lors duquel le seul opposant assez courageux pour voter contre, a dû être exfiltré en vitesse car nombre de députés brandissaient un couteau pour jean-christophe-lagarde-reelu-a-la-presidence-de-l-udi.jpgl’assassiner.(1) D’ailleurs lors du vote du 12 juillet, un démocrate-chrétien, le président du groupe UDI-Agir, Jean-Christophe Lagarde (Photo), a mis en exergue qu’« aucun représentant de l’extrême droite n’était présent pour ce vote qui honore notre nation ». Les députés Rassemblement national (RN),  étaient en effet, selon lui « absents par volonté ». Gageons que s’ils avaient voté pour au lieu de s’abstenir, Lagarde n’aurait pas manqué de mettre en doute leur sincérité.

    Mais quel est l’intérêt d’une telle loi constitutionnelle ? Doit-on conclure que la discrimination raciale, jusque-là interdite par le Droit républicain, devient permise ? Evidemment non. L’idée sous-jacente est que le calendrier de l’émancipation par l’égalité débute une étape nouvelle ; celle de la race étant dépassée, on se tourne vers un autre chantier, celui de la différenciation sexuelle. Conséquence logique, il faut terminer le travail en jetant l’interdit sur le mot de race, un mot que les rapporteurs estiment dénué de sens, un mot qu’il faut chasser de l’expression orale ou écrite car il légitime selon le rapporteur « l’opinion selon laquelle il existerait des « races distinctes ». Cette opinion – qui est un délit dans notre droit positif – a toujours servi de support »,poursuit-il, aux discours qui préludent à l’extermination des peuples.» (2)

    Cela dit, cette décision de l’assemblée nous paraît remettre en vigueur une conception philosophique bien oubliée : celle du nominalisme, la rendant encore plus absurde en la renversant.

    Pour les lecteurs de LFAR non passionnés de philosophie, rappelons que le nominalisme est une doctrine qui considère que les concepts ne sont que des conventions humaines. Les choses et les êtres n’existent donc qu’à partir du moment où ils ont reçu un nom. Le nominalisme est issu de la scolastique médiévale dans ses marges ou dans ses développements tardifs.(3) Il s'oppose à l’idéalisme platonicien, comme au réalisme aristotélicien et thomiste.

    En l’occurrence, les rapporteurs de la loi constitutionnelle procèdent à un renversement logique des principes du nominalisme : puisqu’une chose n’existe que si elle est nommée, il suffit de supprimer le nom pour faire disparaître son objet. C’est donc à cette tâche que s’attellent les députés. Mais comment faire disparaître le nom de ce qui est innommable et qui possède plusieurs sens ? En le rayant des dictionnaires ? En caviardant les textes littéraires et les livres d’histoire ? 1316009-Couronnement_de_Philippe_Auguste.jpgFaut-il interdire la tirade d’Andromaque dans la pièce du même nom : « Fais connaître à mon fils les héros de sa race »? Ou brûler le serment du sacre des rois de France : « Règne noble race des Francs » ? (Photo) .Ou frapper d’anathème le jugement de Mauriac : « L'individu le plus singulier n'est que le moment d'une race. » ? Cela risque d’être difficile. Alors, ils décident de le rayer du vocabulaire constitutionnel, en espérant que cet effacement rituel aura pour effet de faire disparaître la notion des mentalités. En somme les députés participent inconsciemment à un retour de la pensée magique. Poursuivant les méthodes de la doctrine kantienne, ils formulent une imprécation : « la diversité humaine n’est pas car elle ne doit pas être ». Il faut remarquer que la Droite officielle et l’extrême Gauche mélenchoniste sont tombées d’accord pour approuver cette démarche, craignant d’une seule voix, celles de Philippe Gosselin et d’Éric Coquerel, que cet effacement sémantique ne « conduise à baisser la garde pour lutter contre le racisme ». Et presque personne ne met en lumière la régression de la pensée qui tire un trait sur cinq siècles d‘épistémologie européenne. Paradoxalement, c’est un député LREM,  le mathématicien Cédric Villani qui a émis, sans se rendre compte du sacrilège qu’il perpétrait, des réserves iconoclastes : « Cette suppression du mot race ne doit pas être décidée au nom de la science, « qui peut toujours évoluer », mais au nom de« l’empathie et du sens du destin commun par lesquels nous reconnaissons toute l’humanité comme nos frères et sœurs ». Ce qui revient à dire que la science n’a rien à faire dans cette loi, mais seulement les bons sentiments. Quel aveu !

    Il y a tout de même une remarque à faire à ceux d’entre nos lecteurs qui jugeraient que ce sujet est trop dangereux, que d’ailleurs le corpus législatif de l’antiracisme ne nous concerne pas, puisqu’il est destiné aux disciples du germanisme insoutenable de Houston Chamberlain ou Vacher de Lapouge, et que par conséquent il est inutile d’en parler. Nous pensons au contraire que nous sommes concernés au premier chef. Il suffit en effet de lire l’exposé des motifs de cette loi pour y trouver la preuve que l’abolition du terme de race va bien plus loin que la simple condamnation de la théorie biologique de la race : « l’utilisation du terme de race est contraire à notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise depuis 1789 à nier le concept même de différence naturelle. » Ce terme de différence naturelle doit être compris dans toute son acception, c’est-à-dire innée, mais aussi collective et reçue, soit traditionnelle. C’est la totalité des différences humaines qui sont ainsi condamnées comme illégitimes. Il nous faut en être conscient.

    C’est ainsi que l’antiracisme développe sur tous les tons l’idée que « Le sexe n’a pas plus une réalité biologique que la race. Sexe et race sont des constructions sociales qui consistent à hiérarchiser, classer les individus selon des dispositions, des compétences et aptitudes supposées appartenir à leur nature. Enfin, la "race" permet de décrire de manière plus exhaustive l’imaginaire qui alimente - en même temps qu’il s’en nourrit – les différentes fixations du racisme : en effet, la race renvoie à la production d’une différence irréductible et hiérarchisée entre les hommes à partir de la perception fantasmée de la couleur de peau, des origines, de la confession, de la culture. En ce sens, ni l’origine ni la couleur de peau en tant que telles ne décrivent adéquatement l’ensemble des configurations racistes : il suffit de penser au racisme qui touche les Roms ou encore à l’antisémitisme. Dans ces deux cas, ce n’est pas l’origine, ni la couleur de peau ni même la confession stricto-sensu qui opère dans ces racismes spécifiques.(4) » Dans ces conditions, toutes les acceptions de la race, des plus figurées aux plus anthropologiques (5), comme toutes les expressions ou caractères de la virilité et de la féminité, sont considérées comme devant être détruites. Il faut bien comprendre que la démocratie idéologique a juré de démolir pierre par pierre tous les héritages humains pour ériger son Homme nouveau quel qu’en soit le coût. Ce serait du pur aveuglement que de détourner le regard de cette réalité.     

     

    1. Il s’agissait du député de Castelnaudary Martin Dauch - Honneur à sa mémoire.

    2. Victorin Lurel, dans l’énoncé des motifs du projet de 2004, non validé. On peut s’interroger cependant sur la fidélité de cet honorable membre du Parlement au Congressional Black Caucus de Washington, la réunion des parlementaires noirs américains. En effet, ce groupe se fonde clairement sur des bases racistes négro-africaines.

    3. Citons à ses débuts Pierre Abélard, puis Guillaume d’Occam, ou, pour les XVII° et XVIII° siècles, Gassendi, Berkeley et Condillac.

    4. Hourya Bentouhami maitresse de conférences à l’Université de Toulouse 2 auteur de « Race, cultures, identités une approche féministe et postcoloniale » (éd. Puf),

    5. C’est-à-dire : « Ensemble des personnes appartenant à une même lignée, à une même famille ». « Ensemble de personnes qui présentent des caractères communs dus à l'histoire, à une communauté, actuelle ou passée, de langue, de civilisation sans référence biologique dûment fondée ». « Population autochtone d'une région, d'une ville. », « Groupement naturel d'êtres humains, actuels ou fossiles, qui présentent un ensemble de caractères physiques communs héréditaires, indépendamment de leurs langues et nationalités ». « Subdivision de l'espèce fondée sur des caractères physiques héréditaires représentée par une population. » et bien d’autres encore. 

    Pierre de Meuse

    Docteur en droit, conférencier, sociologue et historien.

  • Courage et bas les masques…, par Oli­vier Per­ce­val.

    Les hasards du calen­drier nous offrent par­fois des actua­li­tés qui se bous­culent et dont la proxi­mi­té est riche d’enseignements.

    En cette période de trouille géné­ra­li­sée à cause de la Covid, s’ajoutent l’accusation de racisme de l’Occident, le retour du dji­had sur fond de pro­cès des atten­tats san­glants et une crise éco­no­mique sans pré­cé­dent. Reste à mesu­rer la réac­tion des auto­ri­tés et aus­si celle du peuple fran­çais devant l’accumulation de ces épreuves.

    olivier perceval.jpgDeux atti­tudes pos­sibles : La pre­mière consiste à se cou­cher, s’aplatir, s’agenouiller en signe de sou­mis­sion et de repen­tir en bat­tant notre coulpe sur la poi­trine de nos ancêtres et ne jamais se livrer, selon l’expression consa­crée, au péché d’amalgame.

    Notons que la peur de la vio­lence se tra­dui­sant par une volon­té « paci­fiste » de tout accep­ter venant de l’Islam, y com­pris la vio­lence envers les femmes, et la peur d’être atteint par la pan­dé­mie semblent aller de pair.

    L’autre atti­tude consiste à ouvrir les yeux et oser la luci­di­té. Faire le constat que si tous les musul­mans ne sont pas des ter­ro­ristes, tous les ter­ro­ristes sont musul­mans. Prendre un peu de recul et faire le constat que l’esclavage n’est pas l’apanage des occi­den­taux, mais qu’il était pra­ti­qué d’abord, notam­ment, en Afrique et au moyen Orient, alors qu’il n’avait plus cours depuis long­temps en Europe. Il ne s’agit pas de se dis­cul­per, mais de contes­ter la concen­tra­tion des accu­sa­tions média­tiques et « racia­listes » uni­que­ment à charge contre l’Occident.

    Dès lors que l’on avance ce type d’argumentation on est cata­lo­gué, éti­que­té, rha­billé pour l’hiver, et cou­vert de tous les qua­li­fi­ca­tifs infa­mants, dont la gauche a le secret et qu’une cer­taine droite (dite de gou­ver­ne­ment) approuve pour essayer de res­ter dans la par­tie, La fameuse droite dite répu­bli­caine.

    Peut-être fau­drait-il arrê­ter d’argumenter en jus­ti­fiant de notre bonne foi et en res­tant sur la défen­sive.

    Peut-être, vau­drait-il mieux rap­pe­ler que la France s’est consti­tuée à coup d’épée, que tant qu’elle gran­dis­sait et s’épanouissait, elle s’imposait par son génie, la foi qui l’animait et aus­si, quand c’était néces­saire, par la force des armes. La construc­tion de la France, en par­ti­cu­lier par les capé­tiens, est à la fois patiente et épique. Ce seul sou­ve­nir devrait être un motif d’exaltation et de confiance dans l’avenir. Les péto­chards (mas­qués) don­neurs de leçon, les par­ti­sans de l’abandon de notre his­toire et de nos tra­di­tions, les êtres trem­blants devant la vio­lence et n’envisageant pas une seconde de pro­duire de la vio­lence légi­time en réponse, ceux-là même qui demandent encore plus de mesures res­tric­tives contre le virus, et sur­tout contre les impru­dents irres­pon­sables qui n’observeraient pas scru­pu­leu­se­ment les gestes bar­rières, mais qui acceptent avec bien­veillance l’invasion exo­gène de leur pays, ne méritent pas que l’on s’attarde auprès d’eux en de vaines dis­cus­sions dont nous sommes conti­nuel­le­ment les pré­ve­nus.

    Il est confon­dant d’observer les experts sur les pla­teaux télés, s’interrogeant sur la manière la mieux fon­dée de gérer les « mineurs iso­lés », concept lou­foque inven­té par notre admi­nis­tra­tion pétrie d’idéologie, pour faci­li­ter l’entrée sup­plé­men­taire sur notre sol de clan­des­tins en toute léga­li­té (Au pas­sage, on peut se deman­der pour­quoi un pakis­ta­nais musul­man s’est retrou­vé chez nous comme réfu­gié, car à notre connais­sance, dans ce beau pays du Pakis­tan, se sont plu­tôt les chré­tiens qui sont per­sé­cu­tés.)

    Pour qu’il y ait une volon­té poli­tique réelle dans notre pays de lut­ter contre l’importation de la bar­ba­rie isla­miste, il fau­drait que le peuple fran­çais en grande majo­ri­té, et nous incluons dans « peuple fran­çais », l’ensemble des Fran­çais de souche ou par assi­mi­la­tion, se lève pour mettre un terme défi­ni­tif à la poli­tique d’immigration irres­pon­sable menée par les pou­voirs suc­ces­sifs depuis plus de trente ans.

    Mais une telle réac­tion sup­pose, en plus d’une révi­sion de fond en comble de notre sys­tème poli­tique et d’un affran­chis­se­ment radi­cal de toutes orga­ni­sa­tions supra­na­tio­nales, du cou­rage, et l’épreuve affli­geante du CORONAVIRUS montre que pour l’instant, une impor­tante par­tie de nos com­pa­triotes en manque sin­gu­liè­re­ment. Cela n’est cepen­dant pas irré­mé­diable, Il appar­tient à tout un cha­cun de deve­nir cou­ra­geux. Il faut seule­ment avoir quelque chose de grand à défendre…Quelque chose qui dépasse son petit ego, sa petite indi­vi­dua­li­té, qui est un « nous » et qui est plus grand que soi…

    Mais après tout, si l’on regarde l’Histoire, a‑t-on besoin d’une majo­ri­té pour chan­ger les choses ?

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Dictature des minorités ou soumission de la majorité ?, par Hil­de­garde.

    Des voix s’élèvent de plus en plus pour dénon­cer la Can­cel culture venue des Etats-Unis en boo­me­rang de la décons­truc­tion prô­née par des phi­lo­sophes et socio­logues bien fran­çais au XXe siècle (French théo­rie).

    Ces mêmes voix dénoncent, à juste titre, une dic­ta­ture des mino­ri­tés : racia­lisme, LGBTXYZ, isla­mo-gau­chisme, fémi­nisme à géo­mé­trie variable… Les stig­ma­ti­sa­tions offrent un panel infi­ni de vic­times dès lors que l’individu est roi.

    Mais pour­quoi les élites poli­tiques, média­tiques, cultu­relles sont elles les cour­roies de trans­mis­sion de ces minorités ?

    Le bien de l’individu contre le bien de la Cité ! Tout au long de l’Histoire ce débat ani­ma les phi­lo­sophes. Aris­tote s’en sai­sit quatre siècles avant notre ère jusqu’à

    St Tho­mas d’Aquin pour faire accep­ter de sacri­fier un peu de sa liber­té au ser­vice du Bien com­mun. Puis les modernes s’en sai­sirent à rebours pour redon­ner valeur aux droits de l’Homme. L’interprétation des Droits de l’Homme fluc­tue lar­ge­ment au XXe siècle : les Etats pro­tec­teurs de la Cité deviennent poten­tiel­le­ment les empê­cheurs de tour­ner en rond de citoyens oppri­més* En France, les lois sont modi­fiées sans cesse au pro­fit des dési­rs par­ti­cu­liers sans limites selon l’avancée des décou­vertes scientifiques.

    Mais para­doxa­le­ment, la reven­di­ca­tion de pou­voir exer­cer sa liber­té indi­vi­duelle sans contraintes, devient l’occasion pour tous les frus­trés de l’Histoire, en se vic­ti­mi­sant, d’agresser ceux qui se tiennent ingé­nu­ment dans une norme admise par la civi­li­sa­tion mil­lé­naire, en exer­çant sur eux un har­cè­le­ment et une répres­sion culpa­bi­li­sante sans précédents.

    Il res­sort de cette appli­ca­tion de la pen­sée « fran­çaise » décons­truc­ti­viste (Fou­cault, Bour­dieu, Déri­da), ayant retra­ver­sé l’Atlantique pour fondre sur une Europe en pleine crise d’anomie et de perte de sens, l’instauration  vio­lente et sau­vage de nou­velles normes s’appuyant sur l’absence de réflexes cri­tiques jugés sacri­lèges par le nou­veau cler­gé de « la cage aux phobes » (cf. Phi­lippe Muray)

    Ces élites tou­jours à l’affût de la meilleure bien-pen­sance du moment sont prêtes à lais­ser dépe­cer le peuple, déci­dé­ment trop rustre, par les groupes com­mu­nau­taires les plus extra­va­gants, les plus incultes aus­si à la mesure de l’inculture domi­nante en Occi­dent et à mettre le genou à terre à la moindre occasion.

    Il s’agit de consta­ter les frac­tures pro­fondes qu’occasionnent ces sin­gu­lières inno­va­tions dans notre socié­té et l’abîme qui se creuse entre les « élites » et la majo­ri­té des Fran­çais. Gilets jaunes, son­dages, désaf­fec­tion des urnes,  ouvrages d’essayistes ou de socio­logues, expriment suf­fi­sam­ment ce constat pour qu’il soit rece­vable… Jusqu’à il y a peu, nous pou­vions consi­dé­rer que la Can­cel culture était le fait de modes, de bobos, d’intellos per­chés, bref d’un pari­sia­nisme regar­dé avec com­mi­sé­ra­tion et indul­gence rési­gnée, ceci géné­rant peu de réactions.

    Désor­mais, l’affaire est plus grave car ces théo­ries ont infil­tré tous les étages de la socié­té : d’abord l’école (mal­gré les dénis offus­qués de ministres tels Madame Najat Val­laud-Bel­ka­cem) avec le tra­vail sur les pro­grammes sco­laires ou l’intervention d’associations mili­tantes ; ensuite le monde cultu­rel à tra­vers notam­ment  les dis­tri­bu­teurs de sub­ven­tions ou d’avances sur recettes (votre film ne sera jamais choi­si si vous ne cochez pas les bonnes cases) ; puis le monde poli­ti­co-média­tique qui, lui, suit ceux qui hurlent le plus fort notam­ment dans la rue. Il est frap­pant de voir, par exemple, com­bien quelques hur­lu­ber­lus assis par terre ou quelques femmes les seins nus, voire quelques trans en bas résille, attirent l’ensemble des camé­ras mains­tream alors que trente mille pèle­rins sur les routes de Chartres ne font pas une ligne dans cette même presse…

    Mais accu­ser autrui ne suf­fit pas à expli­quer l’emprise des mino­ri­tés. Déjà, dans « la grande peur des bien-pen­sants » en 1931, Ber­na­nos dénon­çait l’apathie des catho­liques…  Il est savou­reux de voir aujourd’hui des essayistes, sou­vent non catho­liques comme Zem­mour ou Onfray, remar­quer que la dic­ta­ture des mino­ri­tés fait son lit sur la chute du chris­tia­nisme pour le déplo­rer, tan­dis que bien des  élites catho­liques conti­nuent à vou­loir à tout prix suivre le vent  n’ayant en cela qu’une ambi­tion de feuille morte pour reprendre la for­mule du grand  Gus­tave Thi­bon. Le réveil de la France ne se fera que lorsque les Fran­çais se sou­vien­dront d’où ils viennent et qu’ils retrou­ve­ront leur cou­rage. Il est plus dif­fi­cile de ne pas être dans le vent pour reprendre la métaphore.

    Dans une réunion quelle qu’elle soit, le mon­dain ou le mili­tant exprime ce que tout le monde doit pen­ser. Vous avez alors ceux qui approuvent béats se sachant dans le camp du bien, ceux qui approuvent du bout des lèvres n’osant sor­tir de ce camp , autant en emporte le vent, et par­fois, pas tou­jours, vous avez un enfant  qui crie « le roi est nu » ! On attend que l’adulte ait la luci­di­té de l’enfant mais donc aus­si du cou­rage.  Oh, il ne s’agit pas de ris­quer sa vie ou même l’opprobre car sou­vent (que celui qui n’a pas vécu cette expé­rience lève la main) vous n’êtes plus tout seul : Vous avez en quelque sorte fait souf­fler un autre vent, celui de la liber­té et quelques-uns, par­fois une majo­ri­té, se ral­lie à votre position.

    La chape de plomb est en train de fondre ; Espé­rons que la majo­ri­té des Fran­çais riche de l’héritage de notre civi­li­sa­tion et en par­ti­cu­lier de l’héritage de la fille ainée de l’Eglise se sou­vien­dra enfin des pro­messes de son baptême …

    * Voir à ce sujet le livre de Gre­gor Pup­pinck, les Droits de l’Homme dénaturé

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Affaire Sud Radio : ”Rokhaya Diallo piégée par la violence du nouveau discours racial”, par Guylain Chevrier.

    Rokhaya Diallo
    © PHILIPPE HUGUEN / AFP 

    Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur, enseignant, consultant et ancien membre de la mission laïcité du Haut conseil à l'intégration, revient sur les propos racistes dont a été victime Rokhaya Diallo et sur sa responsabilité concernant la racialisation du débat public.

    3.jpgLa journaliste Rokhaya Diallo a annoncé, ce lundi 21 décembre 2020, sur Sud Radio avoir porté plainte contre une auditrice de la station Sud Radio qui avait livré à son encontre un propos injurieux à caractère racial lors d’une des émissions d’octobre dans la série Les Vraies Voix. Les chroniqueurs Philippe Rossi, Philippe Bilger, Jean Doridot et Céline Pina débattaient autour du sujet : « Diallo, Bruckner, les indigénistes ont-ils une part de responsabilité dans les attentats ? » Intervenait alors une auditrice : « Madame Diallo se plaint de la France, elle se plaint des blancs, mais si aujourd’hui elle est journaliste […] elle le doit à l’ouverture d’esprit de notre éducation et de notre pays (…) Parce que Mme Diallo, elle n’aurait pas bénéficié de tout ce que donne la France, je crois qu’il y a de fortes chances qu’elle serait en Afrique, avec 30 kg de plus, 15 gosses en train de piler le mil par terre et d’attendre que son mari lui donne son tour entre les 4 autres épouses. »

    Le poison du retour de la race dans le débat public

    Par-delà la tournure du propos moralement condamnable, et condamné de toutes parts, quelles qu’en soient les suites juridiques, on relèvera particulièrement l’aspect racial de celui-ci. L’auditrice dit réagir au fait que Mme Diallo se plaigne « des blancs ». Aussi, cet aspect racial d’une violence symboliquement certaine, viendrait-il de la seule imagination de l’auditrice, voire d’un racisme français, ou d’un climat sur ce sujet qui met le feu aux poudres ?

    Madame Rokhaya Diallo est l’une des chefs de file d’un retour de la « race » dans le débat public, que l’on croyait rayé de l’histoire depuis la victoire sur le nazisme. Elle participe d’un courant qui entend rabattre sur la question des discriminations toute analyse, traitant comme des races les couleurs de la peau, la différence des sexes, l’orientation sexuelle, l’origine géographique, telle ou telle filiation culturelle… C’est le propre d’un discours indigéniste, racialiste ou décolonial, qui s’est imposé à la faveur de médias complaisants et mêmes d’institutions officielles, mettant en accusation la France comme raciste. On justifie cette accusation par le fait qu’être « blanc » serait être l’héritier d’une domination coloniale qui perdurerait dans les rapports sociaux par des privilèges, ayant pour pendant la discrimination des autres. Les blancs seraient ainsi consciemment ou inconsciemment des racistes. Certains opposent ainsi aujourd’hui à la « lutte des classes » ce qui serait le seul vrai combat, celui de la lutte des « races ».

    L’affirmation d’un privilège blanc est sans fondement et dangereux

    Tout d’abord, s’il y a des discriminations qu’il faut combattre sans concession, cette généralisation d’un « privilège blanc » n’a aucun fondement, à moins de tirer un trait sur l’existence de classes sociales qui reste la réalité structurante des inégalités dans les sociétés développées, dont la France. Rappelons ici que selon l’Observatoire des inégalités, à classe sociale égale les enfants d’immigrés et de non-immigrés réussissent aussi bien. Ceci indiquant combien ce sont les classes sociales qui demeurent le critère essentiel en matière d’inégalités.

    On peut être discriminé pour sa condition sociale, son sexe, le fait d’être en surpoids, d’être handicapé, d’être âgé, d’être syndicaliste, et qu’on soit « blanc » ou pas, il n’y a là à attendre aucun privilège. Les personnes blanches, qui constituent une large partie des personnes sous le seuil de pauvreté, il suffit d’observer celles qui s’inscrivent et se rendent aux restaurants du cœur pour s’en apercevoir, de quel héritage colonial relèvent-elles, et de quels privilèges ? Bien des migrants venus d’Europe de l’est, qui sont en situation précaire, ont la peau blanche, cela en fait-il des privilégiés ? Et ces ouvriers désignés avant tout ainsi comme « blancs », qui subissent les licenciements régulièrement pour raison économique, comme les autres, en chômage de longue durée, des centaines de milliers vivant dans des régions industriellement sinistrées, des privilégiés ? On voit déjà combien cette assignation de chacun à une « race » est un fantasme, un tour de passe-passe pour alimenter un fonds de commerce idéologique, une hystérie identitaire, l’ambition d’un pouvoir politique qui a son projet : En montant les uns contre les autres, on cherche à instaurer des fractures poussant au renoncement à l’égalité républicaine, pour justifier le passage au multiculturalisme et à la discrimination positive !

    L’essentialisation du blanc, un renversement de l’antiracisme en son contraire

    Cette assignation des « blancs » à un statut de privilège est une essentialisation raciale, jetant à la vindicte des autres un groupe humain en raison de sa couleur de peau. Et donc, susceptible de l’exposer à une hostilité violente. N’est-ce pas là le renversement de l’accusation de racisme au regard de ce l’on prétend combattre ?

    Pour l’ONU, l’expression « discrimination raciale » « vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance, ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel, ou dans tout autre domaine de la vie publique… » Autrement dit, en essentialisant les blancs comme privilégiés, on exclut ceux qui dans la réalité ne le sont pas d’une prise en compte des inégalités qui les frappent, on les y livre ainsi par un traitement racial de la question sociale.

    Cette mise en procès générale pour racisme des « blancs » tend d’ailleurs à devenir un véritable terrorisme intellectuel, car l’accusation de racisme est sans doute moralement l’une des plus dégradantes. C’est aussi un instrument d’intimidation puissant, régulièrement brandi pour faire taire des voix contraires.

    Le racialisme, une voie sans issue, incendiaire et fratricide

    N’est-ce pas là ce qui enflamme aujourd’hui les esprits, cette outrance sur l’argument de « la race » qui pousse à ne se voir que chacun dans un camp, son présumé ghetto selon telle ou telle différence, au lieu de se penser en citoyens, travaillant à faire évoluer une société qui nous est commune vers plus d’égalité pour tous ? De plus, cette vision raciale tous azimuts divise les forces sociales dont l’unité est pourtant la seule à pouvoir, comme elle l’a fait par le passé, créer un rapport de force permettant de combattre les inégalités. Elle n’a rien de la gauche dont elle se réclame cette idéologie, elle est au contraire réactionnaire, en faisant resurgir du passé innommable le concept de « race » et le culte des tribus.

    La communauté scientifique s’accorde sur le fait qu’il n’y a qu’une race humaine, tous les êtres humains appartenant à une seule et même espèce, tous naissant égaux car avec les mêmes propriétés. Les sociétés ensuite leurs donnent des destins différents susceptibles d’évolutions. On voit ce que représente de recul le racialisme, au regard de cette vision universelle de l’Homme, au sens de ses droits naturels, affirmés par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, repris dans les principes et valeurs fondamentaux de la République. C’est une voie sans issue, incendiaire et fratricide.

    Source : https://www.marianne.net/

  • Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    La Chabotterie, le logis rustique témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette 

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris hier dimanche la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

     

    Le récit

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    UN ITINÉRAIRE VENDÉEN EN QUATRE ÉTAPES

    Des liens profonds unissent la Vendée et la Russie. Elles ont partagé une épreuve et un élan de même nature : une épreuve et un élan existentiels.

    C'est la force de ces liens qu'ont voulu mettre en évidence les quatre étapes de l'itinéraire suivi par Alexandre Soljenitsyne en Vendée : le Puy du Fou ; le logis de la Chabotterie ; Les Lucs-sur-Boulogne ; et la côte océanique à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

    Au Puy du Fou, le spectacle de nuit, la Cinéscénie, sera exception­nellement représenté pour lui, hors saison, par les bénévoles. Le produit de la soirée sera remis à Natalia Soljenitsyne, pour la Fondation d'aide aux victimes du Goulag et à leurs familles qu'elle préside. Le lendemain, le couple Soljenitsyne s'attardera longuement et passion­nément auprès de tous les artisans du Grand Parc, exprimant un amour profond pour la ruralité dans lequel Vendéens et Russes reconnaissent un de leurs traits majeurs communs. Au « village XVIIIe », il empoigne le marteau du forgeron pour forger lui-même un clou. Dans ses Mémoires publiés sous le titre Esquisses d'exil, Soljenitsyne revient longuement sur son passage au Puy du Fou, qui l'a littéralement fasciné : « De Villiers nous offrit d'assister à un extraor­dinaire spectacle populaire traditionnel (mais bénéficiant de la technique la plus avancée), avec ses effets de foule, représentant en plein air, dans une immense arène, de nuit mais avec quantité d'effets de lumière, l'histoire du soulèvement vendéen. Adia [Natalia, son épouse] et moi nous n'avions jamais rien vu de semblable et n'aurions même pu l'imaginer... Ce fut une impression poignante, qui ne s'effacera jamais. Quelqu'un pourra-t-il jamais, en Russie, reconstituer des scènes équivalentes de la résistance populaire au bolchevisme, depuis les junkers et les petits étudiants de l'armée des Volon­taires jusqu'aux moujiks barbus fous de désespoir, leurs fourches à la main ? » Le projet de création d'un « Puy du Fou » en Russie, c'est donc Soljenitsyne qui en fut l'initiateur véritable, avant Vladimir Poutine...

    35199086_521290081651640_5873474442792796160_n.jpgÀ La Chabotterie, le logis rustique le séduira par son charme propre sans doute, mais surtout parce qu'il est le témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette. Un nom qui sonne familièrement aux oreilles de Soljenitsyne, un nom que l'illustre maréchal Alexandre Souvorov a rendu familier aux oreilles russes : dans une lettre qu'il lui adressa six mois avant sa capture dans les bois de La Chabotterie, il qualifiait Charette de « héros de la Vendée et illustre défenseur de la foi et du trône, éminent représentant des immortels Vendéens, fidèles conservateurs de l'honneur des Français. »

    Quant aux Lucs-sur-Boulogne, ils sont évidemment le cœur de l'itinéraire vendéen de Soljenitsyne, le lieu du grand discours qu'il va prononcer en guise d'adieu à l'Europe, après avoir inauguré, en compagnie de Philippe de Villiers, avec une émotion qu'il peine à contenir, le nouveau Mémorial érigé sur la rive sud de la Boulogne.

    Un discours qu'il porte et qu'il a préparé depuis longtemps. Un discours, inutile de le préciser, exclusivement de sa main. Un discours qu'il a soigneusement répété, dès son arrivée à Paris, sur le balcon de son hôtel, avec son ami et interprète Nikita Struve. Il y attache une telle importance qu'il revêt, ce soir-là, le costume qu'il portait le jour de la remise du prix Nobel, en 1974, à Stockholm.

    680816130.jpgLorsqu'il parvient au pied de la tribune, la clameur qui l'accueille est inouïe : elle paraît ne jamais devoir finir. C'était comme si cette foule immense ne parvenait pas à croire à la réalité de ce qu'elle voyait et était soudain prise de vertige devant la force symbolique de l'événement auquel elle participait : Alexandre Soljenitsyne, l'homme des brèches, était en train, par sa seule présence ici, au cœur de la Vendée suppliciée, d'abattre le mur de déni obstiné qui sub­sistait depuis deux cents ans. Même si la quête de reconnaissance devrait se poursuivre après son passage, quelque chose de décisif, cependant, était en train de se jouer. Un effet cliquet, sans retour possible. Et la houle des applaudissements se mettait à exprimer une reconnaissance infinie. Alexandre Issaievitch en était comme éberlué. Il murmurait : jamais, jamais, même lors de mon arrivée à Zurich en 1974, je n'ai vu une chose pareille... Les Vendéens l'accueillaient comme une grâce.

    Добровольцы_в_Киеве._Софийская_площадь.pngDernière étape, enfin, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Soljenitsyne est venu marcher sur les pas de l'une des plus grandes poétesses russes, Marina Tsvetaieva. Elle avait séjourné sur la côte vendéenne en 1926, attirée elle aussi par le souvenir du soulèvement de 1793. Au lendemain de la révolution d'Octobre, alors que son mari servait dans l'Armée blanche, elle avait publié un recueil de poèmes, Le camp des cygnes, qui s'achevait par une admirable poésie réunissant la Vendée et le Don :

    Du monde d'avant, l'ultime vision :

    Jeunesse. Héroïsme. Vendée. Don.

    Sur la dune de la Garenne, où Marina aimait venir contempler l'océan, on inaugura une stèle portant ces deux vers, gravés en russe et en français. Puis on relut et on commenta les poèmes et les lettres exprimant l'amour que Marina portait à « sa » Vendée. Soljenitsyne — qu'elle inspira — dit à quel point il admirait l'étonnante musicalité et l'exceptionnelle densité de la langue de cette poétesse russe.

    De tout ce voyage, Nikita Struve tirera ce profond commentaire « Au pied de la chapelle des Lucs et sur les dunes vendéennes, se retrouvait dans une même vérité la France et la Russie, deux époques, deux pays, mais en profondeur un seul et même destin, authentifié par les souffrances des uns et des autres et porteur d'un message universel de courage et de liberté »

    Le voyage en Vendée d'Alexandre Soljenitsyne n'eut en effet rien d'une excursion touristique. « Ce projet était cher à mon cœur » écrira-t-il dans ses Mémoires. C'est une mission pleine de gravité qu'il vient accomplir. Comme la Vendée était venue se loger dans son œuvre, lui-même va venir faire irruption dans l'histoire France, sans mesurer sans doute alors la force de l'onde de choc que va produire sa venue en Vendée. Le quotidien Le Monde titre même en première page : Vendée et Goulag : Un moment d'égarement

    Mais quel rapport Alexandre Soljenitsyne lui-même entretenait-il avec la Vendée ? Il n'y était jamais venu. Comment se fait-il qu'elle lui fût apparemment si familière ? C'est ce qu'il a fait apparaître manière solaire dans le discours des Lucs, un discours d'une exceptionnelle densité qu'il faut lire, relire et méditer. ■  

    A suivre, demain mardi.

    Lire l'article précédent ... 

    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

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  • Des ravages de la domination gauchiste en salle des profs, par Aurélien Marq.

    Le professeur de philosophie Robert Redeker, 2007 © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00541117_000004

    En 2006 déjà, le professeur de philo Robert Redeker recevait des menaces de mort suite à une tribune parue dans "Le Figaro"

    De Robert Redeker à Samuel Paty, la longue trahison de l’Education Nationale confrontée à l’islamo-gauchisme

    On parle trop peu de Robert Redeker, à tous points de vue. Parce que son travail de philosophe est remarquable : son dernier opus, « Les Sentinelles d’humanité », est un chef-d’œuvre d’intelligence et de profondeur. Le lire, c’est semer en nous des graines pour « quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés » – il y a du Soljenitsyne chez Redeker. Mais aussi parce qu’il a été un lanceur d’alerte d’un grand courage, en a payé le prix fort, et que nous n’avons tiré aucune leçon de son histoire. Si nous l’avions fait, Samuel Paty serait encore en vie et Mila n’aurait pas dû être déscolarisée, prisonnière dans son propre pays.

    Je croyais savoir ce qui s’était passé, mais je ne le mesurais pas. Le 19 septembre 2006, Robert Redeker a publié un texte, qu’il avait appelé « Le monde libre sous l’œil du Coran », qui lui a valu d’être menacé de mort par les islamistes, désigné à leur haine par Al-Qaradawi en personne, consciencieusement enfoncé par ce que l’on n’appelait pas encore l’islamo-gauchisme – Baubérot notamment, ce père spirituel sans esprit de feu l’Observatoire de la Laïcité, se distinguant par des sommets de veulerie, de fourberie et de malfaisance – et de devoir quitter son foyer, s’exiler de refuge temporaire en refuge temporaire, inquiet pour les siens, blessé des mille trahisons de l’éducation nationale et de ses collègues – il était professeur de philosophie – sous protection et en danger.

    #JeSuisRobertRedeker

    Je viens de lire son témoignage, Il faut tenter de vivre, et de la même manière que je peux dire #JeSuisCharlie et #JeSuisMila, je veux l’affirmer haut et fort, même après 15 ans : #JeSuisRobertRedeker. Et je remercie ceux qui l’ont soutenu, et j’assure de ma haine ceux qui l’ont poignardé dans le dos. Ni oubli, ni pardon.

    L’histoire a 15 ans, elle pourrait dater d’hier. Et cela, en soi, devrait nous révolter. Pas nous indigner vaguement, ou susciter un hashtag sur Twitter : nous faire descendre dans la rue pour hurler notre rage et exiger la condamnation de tous ceux qui auraient pu et auraient dû agir, mais n’ont rien fait.

    Le livre collectif dirigé par Georges Bensoussan Les Territoires perdus de la République – antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire » date de 2002. Le rapport de Jean-Pierre Obin « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » de 2004. Et voilà qu’en 2006, Robert Redeker se retrouvait confronté à l’hostilité généralisée du monde enseignant pour avoir dit la vérité au sujet de l’islam et de l’islamisme. Ravages de la domination gauchiste en salle des professeurs !

    Les profs solidaires mais…

    Car il ne faut pas s’y tromper : des personnalités de gauche l’ont soutenu, par exemple Caroline Fourest qui se montra admirable, mais c’est bien l’imprégnation du gauchisme dans la corporation enseignante qui fut la racine du mal, de ce « je condamne bien sûr les menaces de mort, MAIS…. » Mais il n’aurait pas dû écrire ce qu’il a écrit, ou pas comme ça, ou le devoir de réserve, ou la stigmatisation, le padamalgam, l’antiracisme, la cause palestinienne, ou que sais-je : mais, mais, mais, toujours ce « mais » qui n’a d’autre but que d’expliquer que ceux qui critiquent l’islam sont les vrais coupables, et que ceux qui appellent à tuer au nom de la « religion de paix et de tolérance » sont les victimes de « l’islamophobie », du « racisme », du « sionisme », et j’en passe. C’est bien connu, seuls l’islam et les musulmans sont innocents des crimes commis au nom de l’islam, c’est le reste du monde qui en est coupable.

    Et en 2020, que sait-on des derniers jours de Samuel Paty ? Le même abandon par une administration pleutre, la même réprobation de collègues du même bord idéologique que ceux qui se pinçaient le nez devant Robert Redeker, les mêmes arguments ineptes et la même inversion accusatoire de la part des mêmes « intellectuels » qui ont condamné son assassinat MAIS…. Hier Baubérot, Burgat, le MRAP, la LDH, l’Humanité, aujourd’hui Khosrokhavar, Médiapart, toujours Baubérot et Burgat, et les ambigus et les hypocrites…. Rien n’a changé. Rien.

    Institution structurellement complaisante

    Qu’ont donc fait pendant 15 ans les syndicats, les ministres, les gouvernements, les profs, les parents d’élèves ? Et qu’on ne vienne pas me dire que les rémunérations insuffisantes des enseignants sont la cause du problème : Les Territoires perdus évoque une situation qui en 2002 ne venait pas d’apparaître, et à l’époque on ne recrutait pas encore des profs de maths à peine capables de faire les exercices qu’ils sont censés donner à leurs élèves.

    À quelle institution structurellement complaisante envers l’horreur la République nous contraint-elle de confier nos enfants chaque jour ? À côté d’enseignants admirables comme un bon nombre de ceux que j’ai eu la chance d’avoir dans ma jeunesse, comme Robert Redeker ou Samuel Paty, comme Souâd Ayada, Jean-Paul Brighelli, Fatiha Boudjahlat ou François-Xavier Bellamy, qui incarnent la noblesse d’un engagement et d’un métier, combien de ces commissaires politiques staliniens de la salle des profs, combien de lâches adeptes du « pas de vague », combien de médiocres incapables de s’élever au-dessus de la mélasse du prêt-à-penser politiquement correct ?

    Instruire les générations naissantes est la clef de l’avenir. L’école républicaine fut l’une des plus belles réussites de la France, elle est aujourd’hui l’un des principaux artisans de son effondrement. Espérons que le think-tank annoncé par Jean-Michel Blanquer puisse avoir des effets concrets – même si compte-tenu du calendrier électoral et de la complaisance de la macronie envers le « progressisme », l’heure est tardive. Espérons que de futurs gouvernements auront le sens de leurs responsabilités et prendront enfin le problème à bras le corps. Mais n’attendons pas, et ne comptons pas sur une institution faillie pour enseigner l’essentiel à nos enfants. Et je ne parle pas seulement du passé simple, du subjonctif et des problèmes de baignoires qui débordent et de trains qui se croisent, je parle de ce qui leur permettra d’être des hommes et des femmes debout plutôt qu’à genoux, et des Français fiers de leur culture plutôt que des déshérités sans racines.

    C’est une transmission qui est l’affaire de tous, par les connaissances et plus encore par l’exemple que nous pouvons en donner. La dignité humaine, et les libertés de conscience, de pensée et d’expression ne disparaissent que si nous arrêtons de les revendiquer. N’y renonçons jamais : nous n’avons pas de plus impérieux devoir que de les transmettre à ceux qui viendront après nous, et de préparer nos successeurs à recevoir ce trésor incomparable.

     

    Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Disciple de Plutarque.