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L’Amour Courtois, par Frederic Poretti-Winkler.

Hoyr tù reysti olivar jall, siga skalt tù moer. Hvat vilt tù à hesum landi, til roysni kjosa toer ?
Eg skal ganga i moynnasal, gera tao alvoel bratt. Fremja min vilja vio keisarans dottur, hundrao reisir à nàtt (poème traduit en gaëlique et en norrois, cour de Hàkon Hàkonarson du XIIIe siècle. Celui-ci existe en suédois, danois et islandais. Il est ici en féroïens…
Ecoute courageux duc Olivier, il faut que tu me dises. Dans ce pays, quel exploit veux-tu choisir ?
J’irai dans le gynécée, je ferai très vite. Je ferai à ma volonté avec la fille de l’empereur, cent fois en une nuit.

frédéric winkler.jpgL’amour courtois fut dans le monde médiéval, le couronnement, comme la forme élevée du respect envers la gente féminine, portée à l’autel des vertus d’approches et de sensibilité.
On pourrait le considérer comme imaginaire, platonique mais ce serait oublier sa forme extrêmement sensuelle. Loin d’être une forme pudique puritaine, chère à certains esprits sectaires, la sexualité au sein du monde médiéval, était plutôt d’aspiration naturelle, consciente des réalités de la vie, de la nature humaine, comme de ses travers et vertus. L’amour courtois est un art érotique se détournant d’une certaine convenance, une porte ouverte, bordée d’approches et de précautions dans un monde « interdit ». Cet amour se détourne de la chasteté conseillée par l’Eglise comme de la prudence enseignée par la Cour. Ces « entraves » ne sont pas à négliger, ni à renier car elles furent les « garde-fous », fruits des expériences vécues comme des conflits humains (héritages, économies, pouvoirs, familles), des rivalités, violences, jalousies et conflits sociaux. Le mariage était garant d’une certaine paix civile. Rappelons que nous vivons une époque où la religion a dicté des règles de respect sur la protection des paysans, des humbles, femmes et enfants et jours restrictifs pour la guerre. C’est aussi la chrétienté qui a supprimé l’esclavage. L’amour courtois, né au milieu du XIIe siècle, représenta une révolution dans les mœurs. Il reste dans notre monde, cette survivance délicate de l’esprit chevaleresque. Il est le mélange de la geste des chevaliers, du plaisir érotique sorti des musiques et chansons des troubadours et de la chasteté religieuse. Il est né des mariages nobles, pour qui les seconds nés attendaient quelquefois leurs tours. Ces jeunes chevaliers voyaient alors dans le « fine amor », le coté extra-marital, dans l’idéal féodal, celui du service comme de la soumission à la Dame. En dehors de ce que l’on pourrait imaginer, le monde médiéval était loin des idées que l’on pourrait se faire. La nudité comme les plaisirs de la chair n’était pas des sujets tabous, bien au contraire, on était assez libre sur ces chapitres. La dame était loin d’être passive et elle pouvait même être entreprenante…
Et si faiblesse il y a…
Le chevalier qui faiblit, n’est-il plus un chevalier ? Ce serait aller vite dans un jugement et puis qui est-on pour juger ? Qui oserait lancer la première pierre disant que Lancelot du Lac, des romans de la « Table Ronde », perdrait tout droit à la chevalerie ?
Si tous ceux qui commirent des fautes à l’époque, n’étais plus des chevaliers, que resterait-il ?
Les exemples abondent dans les romans courtois de « fol amor », mais cela reste des romans, l’homme qui courtise, se doit, d’être au service de la belle, et cela va très loin… Les passions sont vécues intensément, humainement, avec des codes, c’est là toute la différence avec aujourd’hui. Ces codes d’honneur resteront longtemps, jusqu’à même aujourd’hui et hantent les rapports humains comme la soif de valeurs disparues mais toujours présentes. Ils étaient l’apanage d’une époque. L’homme responsable assume avec honneur ses « déviances », l’on voit au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les mariages « aménagés » avec des familles dont les hommes et femmes, vivent séparément leurs idylles amoureuses, tout en préservant l’intégrité familiale. Cette liberté sentimentale était très large et les couples s’en accommodaient fort bien, l’exemple des favorites le montre parfaitement.
Chrétien de Troyes était un clerc qui écrivit des chansons courtoises et fut innovant en matière de romans médiévaux notamment de chevalerie : Éreci, Cligès, Yvain ou le Chevalier au Lion, le conte de La Charrette (Lancelot), et surtout Perceval ou le conte du Graal. La recherche dans l’élévation, du dépassement de soi, cette « révolution » intérieure que l’on nomme si joliment la « Quête ». L’histoire est souvent similaire, des ombres arrivent sur le bonheur, par trop éphémère qui déclenche le départ du héros vers l’aventure où l’affrontement, bref l’épreuve. Là se développe sagas et légendes, combats épiques comme héroïques, sacrifices et destins. Les histoires ne sont pas toujours tragiques fort heureusement car le bien triomphe souvent par la consécration du Chevalier et sa Dame, dans une vie et un environnement apaisé, au service des autres.
« S’en est Amours mout abaissie. Car chil qui soloient amer. Se faisoient courtois clamer.
Que preu et largue et honnorable » : Ce dont Amour est très découragé. Car ceux qui aimaient, normalement. Se faisaient appeler courtois. Preux, larges d’esprit et honorables. (Chrétien de Troyes, Yvain le chevalier au lion)
La dame n’est pas en reste car elle peut aimer aussi de son côté en dehors du mariage et qu’importe l’âge de l’être approché, comme la condition. Cet amour dans le mariage ou en dehors, pouvait être pure et charnel, chaste et sensuel. Bref la société était ainsi, on était loin des hypocrisies d’aujourd’hui. L’amour courtois est une éthique, un idéal dans les manières d’agir et se comporter. C’est un raffinement qui prend toute sa valeur dans la virilité chevaleresque, cette passerelle entre la rugosité masculine et le raffinement dans l’approche des femmes, comme des arts de la musique, du chant, de la danse. L’homme dans son approche, voue un culte sacré à la gente féminine. La dame est libre d’octroyer ce qu’elle désir à l’aimé, de la voir nue, comme de donner un baiser. Tout est jeu de l’amour, dans l’approche infinie de l’autre. On manie facilement l’ambiguïté dans les formes de renoncement au plaisir tout en le souhaitant et le recherchant. L’asag en est la définition, il permet cette réciprocité, cet échange amical, complémentarité des êtres. Cette manière de courtiser est une école du savoir vivre, liée au profond respect de l’autre avant le désir de se satisfaire soi-même, cher à notre époque. S’oublier totalement par le soin envers l’autre qui souvent entraîne la joie dans la satisfaction de l’être aimé qui par retour vous enrichie de ses attentions. La démarche est conquérante, avec les épreuves, les tests, les défis, afin de voir l’attachement et la volonté d’une passion. Le preux, l’être aimé peut se retrouver dans le lit de la dame par la permission de celle-ci, forme de récompense, en prenant garde de ne faire que selon ses désirs et pas au-delà. L’art d’aimer revêt donc de multiples facettes et l’amour courtois est le désir de séduire, tempéré par un code médiéval fait de respect, d’attention et de service. On pourrait en citer de nombreux, au XIIe siècle : le roman d’Alexandre, de Thèbes, d’Enéas, de Troie, le roi Arthur, Thomas, Béroul, Lancelot ou le chevalier de la charrette, Perceval ou Le conte du Graal (fin XIIe), Tristan et Iseult :
Sire, j’am Yseut a mervelle. Si que n’en dor ne ne somelle
Sire, j’aime Iseut à merveille. Si bien que je ne peux ni dormir ni retrouver le sommeil…
Pur vostre amur m’estuet murrir
Je dois mourir par amour de vous…
L’amour courtois reste fort et ancré dans l’approche de l’homme vers la femme, tel Adam de la Halle dans « Chanson » : « Dame gentille, aimée de tous pour votre bonté qui ne peut s’amoindrir, douce, amoureuse image désirée, daignez me retenir en votre service. Je ne dema nde d’autre récompense. Je n’oserais pas y penser, d’autant encore qu’il me semble être trop insuffisant pour y être, si amour n’est pour moi. Et votre gentil corps où la franchise est visible à votre visage riant et ouvert (séant en une face de teint colorée) dont je ne peux détourner les yeux et le cœur ; mais je vous vois avec un tel désir, que même si j’y emploie mon entendement, il me semble que je ne voie ni ciel ni terre, tellement je me sens ravi. » Ou le poème « Douce Dame jolie » de Guillaume de Machaut : « Douce dame jolie, Pour dieu ne pensés mie. Que nulle ait signorie. Seur moy fors vous seulement…
Douce dame jolie, Pour (l’amour de) Dieu, ne pensez pas. Que nulle (autre) a pouvoir. Sur moi, que vous seulement… » Nous finirons en laissant la grâce s’exprimer dans les poèmes de Christine de Pisan (ballade) : « Si vous retienne et vous domme m’amour, Mon fin cuer doulz, et vous pri que faintise (dissimulation). Ne soit en vous, ne nul autre faulx tour ; Car toute m’a entierement acquise. Vo doulz maintien, vo manière rassise (digne), Et vos très doulx amoureux et beaumz yaux. Si aroye grant tort en toute guise (manière). De refuser ami si gracieux… »

F. PORETTI-Winkler (L'Ethique de la Reconquete, à suivre...)

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