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  • Sur le blog de Michel Onfray : le loup et les chiens.

    BFMTV consacre un reportage au professeur Raoult sous le titre «L’intriguant Monsieur Raoult». Dans la journée, pour annoncer la diffusion du reportage sur leurs ondes, on peut voir un panel d’intervenants auto-filmés (leurs cadrages mettent à l’honneur leurs plafonds défraîchis, leurs bibliothèques étiques, leurs luminaires poussiéreux, ainsi que d’horribles décorations d’intérieur…), ce panel commente ce qui s’annonce déjà comme un réquisitoire.
    Parmi ces invités, un certain Monsieur Courage – un pseudo probablement… Ce jeune et petit monsieur est rédacteur en chef de L’Obs – L’Observateur  pas L’Obstétricien. En substance, voici son propos: «Raoult est un homme de droite, il cite en permanence le général de Gaulle. Que peut-on bien attendre de scientifique de la part d’un type de droite?». En Union Soviétique, cet homme eut fait une belle carrière.

    Le venin n’est pas forcément dans la queue comme le dit l’adage latin, il peut aussi se trouver dans la tête, l’endroit par où le poisson commence à pourrir. Ce qui se trouve exprimé dans ce titre est simple et joue, en même temps, on sait que c’est la méthode de la chaîne, sur le double sens du mot. Car, un intriguant, c’est tout aussi bien un personnage qui interpelle par ce qu’il est ou fait, que quelqu’un qui manipule en douce.
     

    En portant deux alliances elle aussi, BFMTV peut jouer sur l’effet du en même temps: en quoi le professeur Raoult intrigue-t-il? Pour les journalises, hélas, c’est souvent pour son physique – pourquoi cette barbe? Pourquoi ces cheveux longs? Pourquoi cette bague à tête de mort? Pourquoi des portraits de lui dans son bureau? Il ne vient jamais à l’idée de ces journalistes qu’ils arborent souvent la barbe de trois jours du bobo, la mèche soigneusement rebelle mais savamment calmée par la laque, et le tatouage pseudo-maori sur les bras et qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’en faire un sujet de remarques, de discussions ou de débats! Dans cette émission, un témoin qui n’est pas à charge donne la réponse qu’il apporte à ses amis qui lui demandent pourquoi ce look: «Pour les emmerder»…
     

    Qui les? Les gens du système, les puissants, les sachants, les dominants, les installés, les culs-de-plomb, les bien nourris, les bourgeois, les ministres, les présidents, les décorés, sans oublier les journalistes.
     

    Il intrigue, donc, mais il est également intriguant. Il est drôle que ce reproche vienne de gens qui, souvent, ont intrigué au sens péjoratif et qui, avec force lèche et promotion canapé, beaucoup d’hypocrisie et de fourberie, quantité de courtisanerie et de piston, de tartuferie et de pharisaïsme, ont obtenu pour un seul, eux, le pouvoir que dix mille convoitaient! Car, faute de compétences souvent très visibles à l’écran, pas même palliées par l’oreillette (l’intelligence des gens sans intelligence), il faut bien qu’on s’interroge: comment tel ou telle nullité a-t-il ou elle pu se trouver là avec aussi peu de qualités professionnelles? Je ne vise personne en particulier, sûrement pas Apolline de Malherbe qui, dans les couloirs d’après émission, me dit que j’ai raison de penser ainsi, après m’avoir dit sur le plateau que j’avais tort, mais une liste est possible…


    Je n’imagine pas une seconde que les concepteurs de ce publireportage destiné à déprécier le produit aient regardé le Littré pour savoir ce que signifiait le mot qu’ils utilisaient dans ce titre. Ils y auraient lu ceci: «Les intrigants, nom par lequel les jacobins désignaient les girondins»  – autrement dit: insulte parisienne avec laquelle, dans la Capitale, Robespierre et les siens traitaient les provinciaux qu’étaient les Girondins avant de les envoyer tous à la guillotine.
     

    Ce portrait télévisé est une guillotine médiatique.

    Il commence en effet avec une thèse simpliste – une bonne thèse comme on les enseigne dans les écoles de journalisme. Didier Raoult, c’est le gilet jaune du monde médical. Dans l’un de ses articles de L’Obs, le Courage n’a-t-il pas titré Le professeur Raoult est-il le général de Gaulle du coronavirus? avec assez d’ironie, sinon de mépris, du moins de perfidie, pour qu’on imagine que non. On suppute que le garçon eut aimé qu’il en fût l’Emmanuel Macon, ce qui aurait transformé le Professeur en héros pour son journal!

     

    Pour enfoncer le clou populicide d’un professeur Raoult épiphénomène des gilets jaunes, on voit dès les premières minutes des images d’éboueurs et de chauffeurs de taxi en cortège au pied de son institut. Ce défilé passe au pas lent des cortèges d’hommage du peuple à ses grands hommes. Ces camions poubelles et ses taxis qui klaxonnent m’ont ému jusqu’aux larmes. Il y a en France ceux que pareille scène émeut et ceux qu’elle fait éclater de rire. Rira bien qui rira le dernier…
     

    Il y eut aussi des morceaux choisis de gilets-jaunes comme BHL et Castaner, Luc Ferry et Benjamin Griveaux, André-Comte Sponville et Macron les aiment! Le documentaliste est allé chercher les plus en phase avec la thèse du film: il les fallait tout droit sortis de chez les Tuche – dont d’aucuns estiment que ces abrutis de pauvres sont impensables à l’Elysée où l’on préfère depuis trente ans des abrutis de riches. Les premiers y mangent des frites bien grasses, les seconds du caviar républicain; les uns boivent de la bière, les autres des grands crus classés de Bordeaux.

     

    La métaphore fut donc filée: le professeur Raoult, sommité mondiale reconnue comme telle par tous, y compris par ses adversaires ou ses ennemis, étaient donc un minus habens qui ne faisait l’unanimité que chez les éboueurs, les chauffeurs de taxi, les gilets jaunes et autres Tuche.
     

    C’était donc probablement ces salauds de pauvres qu’on a vus filmés faisant la queue au pied de son Institut pour être dépistés, isolés, soignés – une tâche qui revenait à l’Etat dont le chef était au théâtre avec sa femme, nous disant que tout allait bien. L’Etat jacobin, donc Lui, clamait alors haut et clair: pas de confinement, pas de masques, pas de distanciation, pas de fermetures des frontières, pas de dépistages! Laissez entrer le renard dans le poulailler et tout se passera bien, parole de maastrichtien! Ce pouvoir ajoutait, via ses médias aux ordres, Le Monde en tête, le professeur Raoult est un charlatan, un chef de secte, un gourou tyrannique, un auteur de fake news! Deux mois plus tard, changement de pied, machine arrière, le chef de l’Etat énonce son nouveau cap, c’est l’inverse mais il affirme bien sûr que c’est le même: confinement obligatoire, masque pour tout le monde, frontières restaurées, fermeture des gares et des aéroports, distanciations sociales draconiennes, dépistages généralisés!
     

    Le peuple ne veut pas obéir à des chefs qui le trompent – ou qui, par incompétence, le font errer ou s’exposer au danger. Pire: il ne veut pas non plus obéir à ceux qui, s’étant trompés, refusent de l’avouer et chargent un bouc émissaire – «les scientifiques» par exemple comme ce fut le cas dans la bouche du Premier ministre…


    En revanche, ce même petit peuple vient au pied de l’Institut parce qu’il sait que, là, sans distinction de fortunes, de revenus, de salaires, de niveau social ou culturel, sans qu’on se soucie de sa religion, on ne lui demandera rien et on le soignera.
     

    Cette file d’attente de gens simples et modestes qui attendent sagement leur tour est à mettre en relation avec cette autre information, donnée par le professeur Raoult dans ce documentaire – j’ai failli écrire: documenteur! Le producteur de film Raymond Blumenthal, à qui l’on doit l’information, a été hospitalisé pour un coronavirus à l’hôpital militaire de Percy. Il a été soigné par une certaine Agnès Buzyn à l’hydroxychloroquine, un traitement interdit par le gouvernement et présenté comme une substance vénéneuse en janvier dernier, par elle et sa bande… Décidément, voilà une femme bien!


    Loin de ce Paris-là, ce petit peuple a choisi de faire confiance à qui disait clairement que le docteur Raoult avait un traitement efficace et bon marché pour un coronavirus, pourvu qu’il soit traité dans ses premiers temps. L’heure viendra où il faudra dire pour quelles raisons le chef de l’Etat qui prétend que nous sommes en guerre, n’a pas déclaré l’état d’exception sur ce sujet en donnant son autorisation pour que les médecins de la base, les praticiens du quotidien, prescrivent ce médicament et assurent le suivi afin d’éviter les effets secondaires connus – qui peut me donner le nom d’un seul médicament qui soit sans effet secondaire?


    J’ouvre une parenthèse autobiographique pour dire que j’ai eu un infarctus un 30 novembre à Argentan, dans l’Orne où j’habitais. Mon médecin traitant (salut au Docteur Pierre Guibourg qui va vers ses cent ans et qui était un médecin à l’ancienne, cultivé et efficace, connu pour refuser des arrêts maladie de complaisance, mélomane incollable, passionné de littérature et doué d’un sens de l’humour de carabin…), a sollicité un hélicoptère pour un vol sanitaire au CHU de Caen à une soixantaine de kilomètres. La météo ne l’a pas permis. C’est alors qu’un jeune cardiologue (salut au professeur Eric Bonnefoy!) a proposé par téléphone l’injection d’un produit qui, à l’époque, n’avait pas encore obtenu tous les ausweis: il limitait les effets de la nécrose au risque d’une hémorragie difficile, voire impossible à contrôler. Il ne manquait que mon avis: j’ai dit oui – je ne le regrette pas. Ils m’ont sauvé la vie.
     

    Notre époque, judiciarisée à mort sur le principe américain, a perdu le goût de l’initiative et de la prise de risque. Le fameux principe de précaution est un inhibiteur de l’action – il est à la prise de décision ce qu’est la prise de bromure à la libido.


    Il se fait, cela n’aurait échappé à personne, surtout pas aux journalistes fan de look, que le professeur Raoult a tout du viking qui descend de son drakkar. Rien de l’homme qui fasse du principe de précaution l’impératif catégorique de son action: il n’est pas du genre à refuser de poser un garrot à quelqu’un qui perd son sang dans un accident de voiture sous prétexte que le mourant pourrait être allergique au caoutchouc…
     

    Or, notre époque est submergée par les petits bras qui préfèrent éviter l’hypothèse de l’allergie, fut-ce au prix d’une mort certaine. L’accidenté de la route est mort du carambolage, certes, mais pas du garrot! La corporation est sauve, il n’y aura pas de procès des familles – ni de campagne de presse sur le principe des chiens lâchés…

    Ceux qui, dans ce publireportage négatif, témoignent contre ont également pratiqué le principe de précaution: on ne les reconnaît pas. Courageux mais pas téméraires! Une vague vidéo, probablement un peu floutée, faite à l’iPhone par un étudiant anonyme qui filme ses semblables impossibles à reconnaître devant un écran où, en revanche, très lisibles, sont reproduits les textes orduriers et les photos du professeur. Une ancienne thésarde filmée en contre-jour, voix modifiées, sans nom, bien sûr, accable également le professeur dans la clarté obscure de son petit ressentiment.


    Il est étonnant que les journalistes, si prompts à s’indigner contre la délation en temps normal, en fassent une méthode de travail! Car, que vaut le témoignage d’un anonyme sinon ce que vaut le propos d’un sycophante qui, sous pseudonyme, agonit le monde d’injures sur les réseaux asociaux?


    Le témoignage anonyme s’explique quand on risque sa peau. Mais est-ce le cas pour une critique du professeur Raoult alors que c’est le sport national des médias jacobins du politiquement correct? Aurait-il derrière lui des groupes armés, une mafia méditerranéenne, des jeunes lourdement armés issus des territoires perdus de la République, pour envoyer par le fond, les pieds noyés dans le béton, quiconque aurait manqué à sa majesté?

    Un seul apparaît à visage découvert. C’est le représentant de la CGT.


    J’ouvre une parenthèse pour préciser que, le jour du 1er mai, un reportage m’a permis de voir un autre cégétiste poser devant son local syndical sur lequel avait été accrochée une banderole avec ce texte: «1er mai 2020: à bas le virus capitaliste (sic). Oui aux jours heureux! Augmentation des salaires, 32 heures, des droits et du travail pour tous. Démocratie, paix et solidarité entre les peuples, protection de la planète!!». Il manquait juste: petit déjeuner au lit servi tous les jours, même le dimanche, par le représentant local du MEDEF. Parenthèse fermée…


    Donc: un seul apparaît à visage découvert, le représentant de la CGT. Evidemment, cette prise de parole est elle aussi à ranger dans la colonne des témoignages à charge… Son reproche est clair: le professeur Raoult décide tout seul sans prendre avis de la base… La riposte est simple: en matière de science, mieux vaut un savant qui trouve qu’un comité d’entreprise qui cherche! J’ajoute: mieux vaut un savant qui trouve beaucoup à un comité d’entreprise qui n’a jamais rien trouvé et ne trouvera jamais rien. Métastase de 1793, la France adore ceux qui cherchent sans jamais trouver et elle hait ceux qui trouvent après avoir cherché. Elle aimait Poulidor parce qu’il échouait; elle détestait Anquetil à cause de ses succès.


    Oui Didier Raoult est un chef, bien sûr qu’il sait ce qu’il veut, il n’ignore pas où il va, il décide et prend des caps, il est maitre à bord – mais l’autogestion du radeau de la Méduse est une utopie; comme tous ceux qui agissent et parlent, il peut se tromper, seuls ceux qui n’agissent jamais et se taisent ne se trompent jamais, encore que; il avance et le vortex qu’il fait en passant peut envoyer au fossé les petites natures, les consistances légères, mais aussi, et ils sont nombreux, les ressentimenteux, les gorgés de passions tristes, les jaloux, les envieux. Ne jamais oublier cette phrase de Bernanos: «Les ratés ne vous rateront pas»...


    Perfide, le reportage fait le compte des articles publiés sous le nom du professeur. Une addition et une soustraction plus tard, les journalistes ont des talents insoupçonnés, ils expliquent d’abord qu’il n’a pas pu les écrire, ensuite qu’il n’a même pas pu les lire. Pour leur crédibilité, on aimerait que ces gens-là soient aussi zélés quand il s’agit de livres d’auteurs dont le tribunal a clairement jugé qu’ils procédaient d’un plagiat. Avec une telle déontologie, on verrait voler quelques plumes germanopratines!
     

    Mais, prudents, du bout des lèvres, le réalisateur explique que ce genre d’article scientifique est un collectif et qu’il est souvent signé par le patron. Ah bon, tout de même… Ce qui ne l’empêche pas d’inviter malgré tout au soupçon, le journaliste se protège… Oui, c’est ainsi que les choses fonctionnent car si les noms propres de chacun signaient les articles issus d’un travail collectif ils seraient perdus dans la masse, donc invisibles, impossibles à repérer, ce qui serait fatal dans un monde où les crédits et les subventions sont obtenus grâce au bruit quantitatif effectué dans les revues.

    Assimilable aux Gilets Jaunes, soutenu par des videurs de poubelles et des chauffeurs de taxis, le cheveu exagérément long et la barbe trop fleurie, la bague tête de mort superfétatoire, accablé par des dénonciateurs anonymes, suspecté d’exploiter et de spolier une armée d’assistants à l’écriture (on n’a plus le droit de dire nègre comme ne nous l’interdit pourtant pas le Petit Larousse), le réalisateur n’a pas trouvé plus ou mieux pour son ball-trap.

     

  • Sur le blog de Michel Onfray : Berezina, Macron au pied du mur.

    PHASE 1

    Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que, la Chine ne passant pas pour très économe de la vie de ses citoyens, le confinement de l'une de ses villes de plusieurs millions d'habitants par les autorités communistes témoignait de facto en faveur de la gravité de cette crise du coronavirus. Je l'ai pour ma part fait savoir sur un plateau de télévision fin janvier. Ce pays, dont il est dit qu'il prélève dans les prisons les condamnés à mort qu'il exécute afin de vendre leurs organes frais au marché noir des transplantations partout sur la planète, n'est pas connu pour son humanisme, son humanité et son souci des hommes concrets. C'est le moins qu'on puisse dire... En prenant ces mesures, il disait à qui réfléchissait un peu qu'il y avait péril en sa demeure, donc en la nôtre. Qui l'a vu? Qui l'a dit? Qui a compris cette leçon? La plupart ont vu et dit ce que les agents de l'État profond disaient qu'il fallait voir et dire.

    Mais, comme pour illustrer la vérité de la sentence qui dit que le sage montre la lune et que l'imbécile regarde le doigt, il y eut quantité de prétendus sachants pour gloser sur le doigt et oublier la lune: c'était une gripette, elle ferait moins de morts qu'une vraie grippe, la véritable épidémie, c'était la peur des gens -et les intellectuels et les journalistes du régime libéral en profitaient pour rejouer la scie musicale du peuple débile et de la sagacité des élites...

    Pendant que la populace achetait des tonnes de papier toilette, ce qui permettait d'avouer qu'elle avait, disons-le comme ça, le trouillomètre à zéro, les comités de scientifiques invisibles chuchotaient à l'oreille du président ce qu’il convenait de faire entre gestion de l'image présentielle et santé publique, proximité des élections municipales et mesures d'hygiène nationale, situation dans les sondages et décisions prophylaxiques. Un mélange de Sibeth Ndiaye et de docteur Knock fabriquait alors la potion infligée par clystère médiatique au bon peuple de France. Nul besoin de préciser qu'il s'agissait d'une soupe faite avec une poudre de perlimpinpin aussi efficace qu'un médicament commandé sur internet... en Chine!

    Quel était cette position magique? Une grande admonestation libérale, un genre de leçon de chose prétendument antifasciste. Il s'agissait de montrer aux abrutis de souverainistes la grandeur de l'idéologie maastrichienne: plus de frontières, libre circulation des hommes, donc des virus! Les chinois étaient contaminés mais ils n'étaient pas contaminants: nous étions immunisés par la beauté du vaccin de Maastricht! Pendant qu'ils fermaient leurs frontières, nous ouvrions les nôtres plus grand encore -si tant est que cela puisse être encore possible... Nous nous offrions au virus.

    Voilà pourquoi, sur ordre du chef de l'État, le gouvernement français s'est empressé d'aller chercher sur place les expatriés français qui travaillaient en Chine. On n'est jamais mieux servi que par soi-même: si l'on devait se trouver contaminés, qu'au moins ce soit en allant nous-mêmes chercher le virus sur place et le ramener en France. Mais pas n'importe où en France, non, pas à Paris, bien sûr, ni au Touquet, mais en province qui est, en régime jacobin, une poubelle ou un dépotoir dont on se souvient toujours dans ces cas-là. Une première livraison s'est faite dans le dos du maire d'une commune du sud de la France, une seconde en Normandie où nous avons l'habitude des débarquements.

    La mode à l'époque, nous étions dans le premier acte de cette histoire, consistait à rechercher le client zéro: celui qu'il aurait fallu confiner chez lui pour que rien n'ait lieu, un genre de bouc émissaire à traire. C'était chercher la première goutte du raz-de-marée avec le projet de l'enfermer dans une bouteille afin que la catastrophe n'ait pas lieu.

    Il fut dit que, peut-être, ce numéro zéro serait à chercher sur la base militaire d'où étaient partis les soldats français missionnés pour aller taquiner le virus chinois sur place avant de rentrer chez eux. Que croyez-vous qu'il advint à ces militaires ayant été au contact de gens immédiatement mis en quarantaine après leur retour de l'empire du Milieu? Ils ont été renvoyés chez eux en permission... Pas question de les mettre en quarantaine! Quelle sotte idée c'eut été! Qu'on aille donc pas chercher aujourd’hui le client zéro car il se pourrait bien qu'on puisse obtenir des informations qui nous permettraient demander des comptes au ministre de la défense et au chef des armées auquel il a obéi.

    PHASE 2

    L'acte deux a été guignolesque: le tsunami arrivait et on lui avait creusé des voies d'accès sous forme de canaux à gros débits, et ce avec l'aide du génie militaire français. S'y est ajouté le génie du chef de l'État. Le grand homme qui se prenait pour de Gaulle et Gide en même temps, mais aussi pour Stendhal (on est beylien ou on ne l'est pas) nous a délivré la parole jupitérienne: il fallait se laver les mains, éviter la bise et éternuer dans son coude -j'imaginais qu'anatomiquement il était plus juste d'envoyer ses postillons dans le pli de son coude car je me suis luxé l'épaule en essayent d'éternuer "dans" mon coude... Du savon, du gel et un coude: nous étions prêts, comme en 40, le virus n'avait qu'à bien se tenir.

    Il a continué à progresser bien sûr. Et le pouvoir a fait semblant d'estimer que le plus urgent était toujours de savoir qui avait postillonné le premier. Il n'y avait pas de foyers d'infection mais des clusters, ce qui changeait tout. Il s'agissait en effet de ne pas donner raison aux benêts qui estiment, comme moi, qu'un peuple n'est pas une somme d'individus séparés, comme les monades de Leibniz, ce qui est l'idéologie libérale, mais une entité qui est elle-même une totalité. Aller chercher le virus en Chine c'était une fois encore estimer que la minorité (d'expatriés) pouvait imposer sa loi à la majorité (du peuple français). Que périsse le peuple français, mais les maastrichtiens n'allaient tout de même pas donner tort à leur idéologie alors que le réel invalidait déjà leurs thèses dans les grandes largeurs!

    L'élément de langage maastrichtien fut: le virus ignore les frontières -comme Macron et les siens qui les ignorent tout autant... La plume du chef de l'État lui a même fourbi la formule adéquate: "Le virus n'a pas de passeport"- on dirait un titre de San-Antonio.

    Tous les pays qui, comme Taïwan ou Israël (dont on n'a pas parlé, un pays qui, lui, a le sens de son peuple), ont décidé la fermeture des frontières, sont passés pour des populistes, des souverainistes, des illibéraux, des passéistes qui n'avaient rien compris à la grandeur nihiliste du progressisme.

    Or, ces faux progressistes vrais nihilistes n'aspirent qu'à une seule chose: le gouvernement planétaire d'un État universel où les techniciens (les fameux scientifiques, comme il y en aurait au GIEC ou dans ce comité invisible qui conseille (!) Macron)) gouverneraient le capital en faisant l'économie des peuples.

    Le coronavirus leur donne une autre leçon politique: la suppression des frontières c'est la possibilité pour tout ce qui menace contamination de se répandre à la vitesse de la lumière... Le virus n'ignore pas les frontières, mais les frontières savent et peuvent le contenir.

    PHASE 3

    La preuve, le troisième acte décidé par... Emmanuel Macron lui-même. Dans un premier temps, le Président tire une salve pendant un long monologue d'une demi-heure: fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées, des universités, réduction des contacts avec autrui, en priorité les personnes âgées. Et puis, bien sûr, le coude et le savon, le gel et la bise, des armes de destruction massive.

    Or, qu'est-ce que ce confinement sinon l'invitation à fabriquer autant de frontières qu’il y aura de Français? La frontière nationale n'est pas bonne, mais la frontière qui sépare de son prochain est présentée comme la solution, la seule solution nous dit-on. Le virus qui ignore les frontières se trouve donc tout de même contenu par les frontières pourvu qu'elles soient érigées par chacun contre son prochain pensé comme un contaminateur potentiel. Ce qui marcherait pour les monades ne marcherait donc pas pour les États! Étrange paralogisme ...

    Il faut donc radicalement éviter les contacts et les brassages, il faut donc remettre ses voyages et ses déplacements, il faut donc rester le plus possible chez soi, mais mais mais: le premier tour des élections municipales n'est pas reporté! Comprenne qui pourra! On dit que Gérard Larcher, président du Sénat, se serait opposé au report des élections: mais qui est ce monsieur auquel le président de la République mange dans la main? Quel est son pouvoir? Des dizaines de millions d'électeurs sont donc invités à se ruer en direction de lieux confinés, les bureaux de vote, dans lesquels, tout le monde en conviendra, on évite les contacts et les brassages et on montre qu'on doit préférer rester chez soi pour éviter les promiscuités.

    Le lendemain, quelques heures après la prise de parole présidentielle, le Premier ministre est envoyé au front pour enfoncer le clystère plus profond: fermeture des cafés, des restaurants, des boîtes de nuit, des musées, des bibliothèques, de tous les lieux publics, etc. Mais, toujours: maintien du premier tour des élections municipales. On se lavera les mains avant et après, on respectera une distance d'un mètre avec son voisin, puis on mettra son bulletin dans l'urne. Il faudra bien empoigner le rideau à pleine main pour l'écarter afin d'entrer dans l'isoloir, mais aucun risque - le savon veille... Magique!

    Que s'est-il passé le lendemain du jour de la décision de ce presque couvre-feu? il faisait beau, dans les rues de Paris, des gens ont fait leur footing, d'autres se sont un peu dévêtus pour prendre le soleil près du canal Saint-Martin, certains faisaient du vélo ou du roller, de la trottinette aussi. Ils transgressaient la loi? Et alors. Pas un seul policier n'a verbalisé qui que ce soit. Tout le monde se moque de l'État qui n'a plus d'autorité et plus aucun moyen de faire respecter l'ordre républicain! La peur du gendarme est une vieille lune qui a rejoint celle des dragons et du diable! De la même manière qu'une jeune fille porte un voile musulman en présence de Macron, ce qui est formellement interdit par la loi, et que rien ne se passe, le mépris affiché des décisions du chef de l'État témoignent de la déliquescence dans lequel se trouve le pays et dans quel mépris est tenue la parole de cet homme.

    Les libéraux et leurs cervelles soixante-huitardes voulaient des monades et des consommateurs en lieu et place de citoyens et de républicains? ils les ont... Ils souhaitaient jouir sans entraves? ils jouissent sans entraves... Ils affirmaient qu'il était interdit d'interdire? ils se croient résistants en se faisant la bise... Ils croient toujours que CRS=SS? Ils n'auront pas même vu la queue d'un policier municipal à vélo ou en mobylette, sinon en roller, pour leur rappeler que Jupiter dans son Olympe a décidé qu'il fallait éternuer dans son coude.

    Olympien comme le comédien d'un club de théâtre dans un lycée, Emmanuel Macron a dit: "Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe." Et puis ceci: "Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché." Quel talent! Quel menteur! Quel bouffon! Mais quel mauvais comédien...

    Cet homme qui a mis sa courte vie au service du Veau d'Or fait semblant aujourd’hui de découvrir que piétiner l'intérêt général, conchier le bien public, compisser la santé dans les hôpitaux quand elle était pilotée par les comptables, ce n'étaient peut-être pas exactement les bons choix! Qui croira cet hypocrite dont toute la politique depuis qu'il est au pouvoir consiste à détruire le système de santé (et de retraite) français? C’est la quintessence du projet politique libéral mené sans discontinuer par les présidents de la V° république depuis la mort du général de Gaulle.

    Quiconque écoute les personnels de santé depuis des mois (ils sont en grève depuis un an...) sait qu'en temps normal, avec cette politique libérale, ils sont débordés et impuissants tant l'hôpital public est malade sinon mourant. Qui pourra croire que la France est en état de recevoir un afflux massif de malades du coronavirus alors que la congestion était déjà là avant l'épidémie ?

    Ce qui est dit par quelques spécialistes de la santé c'est, je vais l'exprimer de façon brutale, que lors du pic à venir, phase 4, nommons-là comme ça, il faudra, faute de places pour tous, trier les arrivants et laisser les vieux à leur sort, donc à la mort... Voilà où mène le libéralisme initié par Pompidou & Giscard, augmenté par Mitterrand en 1983, accéléré par le traité de Maastricht en 1992 et tous ceux qui, droite et gauche confondue, communient dans cette idéologie, puis par Macron qui, depuis son accession à l’Élysée, a voulu activer ce mouvement à marche forcée.

    Voici une autre leçon donnée par cette crise, en dehors d'apprendre l'impéritie du chef de l'État: les caisses sont vides quand il s'agit d'augmenter le SMIC ou le salaire des plus modestes; elles le sont quand ces mêmes personnes doivent être soignées (on ne compte plus ceux qui ont renoncé à s'occuper de leurs dents, de leur ouïe, de leur vue à cause de leur pauvreté ; elles le sont quand il faut se soucier des paysans dont l'un d'entre eux se suicide chaque jour ; elles le sont quand il faut construire des écoles ou des universités, doter les hôpitaux de matériel performant, humaniser les prisons, recruter des fonctionnaires, financer la recherche scientifique dont nous aurions bien besoin aujourd’hui, laisser ouvertes des écoles de campagne, maintenir en vie les lignes de chemins de fer en dehors des grandes villes et des grands axes; elles le sont quand il faudrait se donner les moyens de récupérer la multitude de territoires perdus de la République), elles le sont si souvent quand il faudrait construire une République digne de ce nom.

    Mais il y a de l'argent pour faire face à cette crise économique qui s'annonce... Tous ces gens mis au chômage technique par cet état de siège seront payés -par les assurances chômage. C'est bien sûr très bien, mais il y avait donc de l'argent... Plus un café, plus un restaurant, plus un lycée, plus une école, plus un commerce, sauf liste donnée, plus un cinéma, plus une salle de spectacle ne sont ouverts, mais Macron nous assure que "l’État prendra en charge l’indemnisation des salariés contraints de rester chez eux". Mais alors, bonne nouvelle, l'État existe encore? Il peut fonctionner? Il sait faire autre chose que prélever les impôts et recouvrer les amendes? Il sait faire autre chose qu'envoyer sa police et son armée tabasser les gilets-jaunes? Il sait faire autre chose que de subventionner des médias publics pour diffuser massivement l'idéologie maastrichtienne? Il sait faire autre chose que de libérer les élus délinquants renvoyés chez eux? Vraiment?

    Ce virus fait donc dire des bêtises à Macron: on pourrait donc être solidaires et fraternels en France? On pourrait estimer que le consommateur hédoniste n'est pas l'horizon indépassable de notre modernité et qu'on peut aussi être un citoyen responsable? On pourrait trouver de l'argent public pour financer des solidarités nationales au-delà des habituels bénéficiaires? Il y a là matière à révolution: il est bien certain qu'Emmanuel Macron est le dernier homme pour la réaliser.

    Après le virus, il faudra y songer.

    En attendant, l'Allemagne ferme ses frontières avec trois pays, dont la France! Maastricht tousse, crache et menace l'embolie.

    Michel Onfray

  • Onfray : « La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené ».

    Source : https://www.lepoint.fr/

    Essayiste et philosophe, Michel Onfray lance sa revue « Front populaire », où il souhaite réconcilier souverainistes de droite et de gauche.

    Il porte une chemise blanche mais surmontée d'une redingote noire ; il est l'un des philosophes les plus connus et médiatiques de France ; il publie régulièrement chez Grasset ; il adore la politique et ne rechigne jamais à intervenir dans le débat public… À 61 ans, Michel Onfray, fondateur à Caen de l'Université populaire et auteur notamment du Traité d'athéologie, s'apprête à lancer une revue et un site Web pour peser sur le débat politique. Quoi de plus normal dans une époque où le moindre médecin, humoriste ou éditorialiste se croit habilité à donner son avis sur tout et tous.

    Sauf qu'il donne à son nouveau bébé un nom sacré : « Front populaire ». La gauche s'étrangle, hurle à la captation d'héritage. On le soupçonne de vouloir construire le chaînon manquant qui relierait l'extrême droite à l'extrême gauche. On assure qu'il ajoutera le jour venu son nom à la longue liste des prétendants à l'Élysée. Le bruit et la fureur, les rumeurs et les approximations accompagnent désormais le lancement de cette initiative. Ce mercredi, de passage à Paris, où il rencontrait le soir même « des banquiers, des traders, des hommes d'affaires curieux et intéressés par [sa] démarche », Michel Onfray est venu au Point répondre à nos questions.

     
    D'une voix calme et posée, sans hésitation, sûr de la justesse de son analyse, pétri de références philosophiques et historiques, il nous a livré son bréviaire politique, sa vision d'une France fatiguée d'elle-même, traumatisée par une année de Gilets jaunes et convalescente d'une épidémie de coronavirus. La gauche, Emmanuel Macron, Éric Zemmour, le gaullisme, l'extrême droite, le peuple, les médias… Onfray dit tout.

    Le Point : « Le Front populaire, c'est Blum. Onfray, désormais, c'est Doriot », dit de vous Bernard-Henri Lévy dans Le Point. Quelle est votre réaction ?

    3.jpgMichel Onfray : BHL maîtrise à ravir la rhétorique fasciste française des années 30 dans laquelle l'insulte et l'attaque ad hominem pallient l'incapacité au dialogue et au débat… Cet homme est capable de juger d'une revue qu'il n'a pas lue puisqu'elle n'est pas encore en vente, ce qui est une performance morale bien dans son genre… Il a trop lu Botul et pas assez Front populaire

     

    Après l'enquête du Monde, cette nouvelle attaque qui vise à vous présenter comme le porte-voix de la fachosphère vous affecte-t-elle ?

    On ne peut rien attendre de ces journaux qui ont renoncé à penser et qui, comme BHL, insultent, invectivent et salissent en traitant de fasciste, de vichyste, de pétainiste, d'antisémite quiconque ne pense pas comme eux. Quant au Monde qui a accueilli dans ses colonnes le négationniste Faurisson, mais aussi Badiou faisant l'éloge de Pol-Pot, il est un journal qui, en matière de rouge-brun, sait de quoi il parle : il est une référence !

     

    Enfin, la fachosphère, comme vous dites, renvoie au fascisme. Or, comme avec le mot « antisémite » qui, servi hors de propos, ne veut, hélas, plus rien dire, le fascisme étant partout, il n'est plus nulle part. Or, il existe un antisémitisme chez les musulmans radicaux et un fascisme chez ceux qui contrôlent l'information planétaire : comment dès lors lutter contre ? Si la fachosphère, c'est Valeurs actuelles, par exemple, je trouve que ce journal est moins liberticide avec ses articles que l'État maastrichien dont j'ai montré dans Théorie de la dictature combien il incarnait une modalité light du totalitarisme post-XX° siècle.

    J'ai ma conscience pour moi et je ne vois pas pourquoi je serais affecté par un BHL qui m'associe à Doriot, un homme qui a porté l'uniforme nazi, ou au fascisme, c'est-à-dire au national-socialisme qui a envoyé des enfants dans les chambres à gaz et dans les fours crématoires ! Si je suis l'homme de ces projets-là, je demande qu'on me traîne devant les tribunaux, qu'on m'y juge et qu'on m'enferme s'il y a lieu ! Socrate avait raison de dire qu'il vaut mieux subir l'injustice que de la commettre…

    Vous êtes devenu la tête de Turc favorite de la gauche médiatique. Comment l'expliquez-vous ?

    Depuis le virage libéral de Mitterrand en 1983, cette gauche médiatique défend les idées du Giscard des années 70 : le libéralisme, le marché faisant la loi, l'euro et l'Europe de Jean Monnet qui fut financée par les États-Unis, la haine du général de Gaulle et du souverainisme auquel elle lui préfère son exact inverse : la sujétion, la soumission, la servitude. Comme depuis la Libération, la gauche est un passeport de Vérité transcendantale, la gauche caviar n'aime pas que je lui dise que son roi est nu et qu'elle-même n'est guère mieux accoutrée ! Je n'ai pas voté pour les idées de Giscard en son temps, je ne vois pas pour quelles raisons je voterais pour ces mêmes idées sous prétexte qu'elles seraient portées par le syndicat des puissants qui se décrète de gauche parce que la plume de gauche va bien à son chapeau ! La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené ! Il est normal de se faire haïr quand on dénude les chimères…

    Pourquoi estimez-vous que le peuple est mal représenté aujourd'hui ?

    Pour deux raisons : la première est que la sociologie des élus ne recouvre pas la sociologie du pays. La sociologie des Gilets jaunes, qui n'est certes pas celle de toute la France, comporte des employés, des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des chauffeurs routiers, des paysans pauvres, des marins pécheurs, des chômeurs, des retraités modestes. Combien d'élus du Congrès viennent de ce monde-là ?

    La seconde, c'est que le coup d'État de 2008 qui, avec le traité de Lisbonne, a vu le Congrès voter contre le choix du peuple qui avait rejeté par référendum le traité européen en 2005 (Giscard a dit dans les colonnes du Point que c'était le même texte, sauf nettoyage cosmétique…) montre que le vote du peuple est considéré comme nul et non avenu quand les maastrichiens estiment qu'il a mal voté. Nombre d'intellectuels du système, dont celui qui estime que j'ai porté l'uniforme nazi pendant la dernière guerre mondiale, sont même allés jusqu'à déplorer que le peuple ait à donner son avis sur des questions comme celles-ci.

    Pour vous, les médias ont leur part de responsabilité…

    Bien sûr puisque, lors des présidentielles, tout est fait pour obtenir un second tour entre un Le Pen démocratique jusqu'au soir du premier tour puis fasciste dès le résultat de ce même premier tour. Comme un seul homme, les médias convoquent alors à nouveau Pétain et Hitler, Déat et Doriot (pour Macron ce fut une visite à Oradour-sur-Glane et une autre au Mémorial de la Shoah…) pour expliquer que le bon vote, c'est le vote maastrichien !

    De quinquennat en quinquennat, le peuple a fini par comprendre que cette instrumentalisation du Front national puis du Rassemblement national permettait de fabriquer un entonnoir politique qui fait immanquablement gagner le candidat de l'État maastrichien.

    Pourtant, on vote presque tous les ans dans des élections qui intéressent encore les Français…

    Mais ceux qui gagnent les élections sont ceux dont on ne parle jamais : les abstentionnistes, ceux qui ont voté blanc ou nul, ceux qui ont porté leurs suffrages sur des partis folkloriques – le bien-être animal, par exemple… Je vous rappelle que 49,88 % des électeurs n'ont pas voté à la dernière élection européenne. Quelle légitimité peut bien sortir de ce genre de consultation ?

    4.jpgEn 2017, Emmanuel Macron est élu avec 66 % des voix. C'est donc qu'il a séduit une large partie du peuple !

    Au deuxième tour, 25,44 % des gens n'ont pas voté… Depuis la mort du général de Gaulle, c'est un record. Par ailleurs, la propagande est telle que j'aimerais savoir, parmi ceux qui ont voté pour lui, lesquels ont eu un vote d'adhésion à son programme politique, un vote positif donc, et lesquels ont avant tout voté contre Marine Le Pen, un vote négatif. Je ne sais si des instituts de sondage ont jamais posé ce genre de question pour mesurer l'adhésion véritable et positive. Qui a souscrit ? Qui a écarté ?

    En lançant votre revue Front populaire, vous êtes donc nostalgique de la gauche de 1936. Mais celle-ci peut-elle encore exister ? N'est-elle pas fantasmée ?

    Je dis dans l'éditorial que vous découvrirez que le Front populaire est associé à des images heureuses : des tandems, des pique-niques, des vacances, du camping, la découverte de la mer, des plages, des paysages français, la découverte de la culture, de la lecture et des musées pour des gens simples et modestes, pour le petit peuple. C'est, dans l'histoire de la gauche, une page heureuse pour les ouvriers sans qu'il ait été besoin de verser une seule goutte de sang. On n'en dira pas de même pour la Révolution française ou pour la Commune – que je ne méprise pas pour autant.

    La gauche à laquelle j'aspire n'est pas d'hier ou d'avant-hier : elle procède de la tradition libertaire française et vise un futur avec une France girondine, donc une France qui évite le pouvoir centralisateur qui tombe du ciel, le lieu du ciel étant Paris bien sûr, et qui descend jusqu'au peuple par ruissellement. Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple – je vous rappelle que c'est le mécanisme de souveraineté inscrit dans notre Constitution… – doit partir de la base, là où sont les compétences professionnelles. Le vieux schéma théocratique qui fait du chef de l'État un représentant de Dieu sur terre et du peuple un ramassis de sujets soumis n'a pas été aboli par 1789-1792… mais recyclé. Tocqueville a bien montré tout ça dans L'Ancien Régime et la Révolution française.

    Front populaire va lancer une plateforme qui recueillera les doléances des Français. Vous copiez Macron, son grand débat et ses cahiers de doléances…

    Je vous rappelle que le cahier de doléances n'est pas né avec Macron, mais au XIVe siècle ! Bien sûr, il y a eu ensuite ceux de la Révolution française. Quant à ceux de Macron, qui a vu à quoi ils ressemblaient en dehors de l'effet d'annonce ? Ont-ils jamais été synthétisés et publiés après un travail honnête de collation ?

    Nous allons réellement travailler ces doléances qui remonteront par capillarité numérique sur cette plateforme. Une équipe écartera tout ce qui serait hors sujet, purement négatif, pour ne retenir que les propositions positives. C'est le principe autogestionnaire en vertu duquel il n'y a pas mieux que les personnels de santé pour dire ce qui est le mieux pour le monde de la santé, les paysans, les marins, les viticulteurs pour leurs mondes respectifs, etc.

    Nous travaillons également dès à présent avec des fiscalistes, des juristes, des banquiers, des traders, des économistes, des syndicalistes, des militaires, des paysans qui avouent que la création de la revue les libère de la culpabilité qu'ils avaient à se dire souverainistes. Il existe également un groupe constitué d'acteurs, de comédiens, de réalisateurs qui savent que sortir du bois leur vaudrait la mort sociale, la fin de leurs subventions, la mise au ban de la profession, la disparation de leur travail et qui travaillent également avec nous. Pour l'instant, nous la nommons La belle équipe en relation avec le film de Duvivier que j'adore – du moins avec sa fin française, et non sa fin commerciale américaine…

    La gauche française est-elle encore de gauche ?

    Pour le PS, c'est clair que non. Ce parti est giscardien, saturé de notables bien nourris. Pour La France insoumise, oui, bien sûr. C'est une gauche robespierriste, jacobine, néomarxiste qui, suivant les humeurs de Jean-Luc Mélenchon dont le talent est aussi grand que l'ambition, adopte des lignes contradictoires. Il fut ainsi souverainiste et gaullien par exemple, donc laïque à l'endroit de l'islam, il eut alors ma sympathie, puis islamo-gauchiste, donc complaisant envers le communautarisme. Mélenchon délaissant Robespierre et Castro pour leur préférer de Gaulle et Jaurès aurait fait un malheur.

    Pour l'extrême gauche, NPA et LO, oui, bien sûr aussi. LO est sur une ligne trotskiste orthodoxe et le NPA sur un néotrotskisme mouvementiste affiché au départ de sa création. Un article élogieux sur Louise Michel dans Libération signé Olivier Besancenot m'avait en son temps retenu l'attention. Mais cette promesse n'a pas été tenue. Le NPA a ripoliné le vieux trotskisme avec les nouvelles luttes communautaristes.

    Vous croyez encore dans la Politique (avec un grand P)…

    Je vais vous faire un aveu : non… Mais je crois à l'éthique, à la morale, et la politique, pour moi, relève de l'éthique et de la morale. Notre civilisation disparaît, c'est inéluctable, mais on peut au moins ne pas accompagner ou augmenter le nihilisme. Lui résister, même si c'est un combat perdu, crée du sens dans un monde qui n'en a plus. Tant qu'à mourir, qu'au moins ce soit sans avoir courbé l'échine.

     

    Éric Zemmour ? Un interlocuteur avec lequel ce qui faisait le génie français est encore possible.

     

    Maastricht en 1992, Chevènement en 2002… En France, les souverainistes ont toujours perdu. Et quand il gagne le référendum de 2005, ils perdent quand même à la fin. Comment vaincre cette malédiction ?

    Ils perdent quand même à la fin comme vous dites parce que le personnel de la classe politique réalise ce que Babeuf appelait un populicide : si nous étions en démocratie, le vote « Non » aurait dû engager les gouvernants socialistes et chiraquiens à obéir au peuple qui les mandatait. Au lieu de cela, vous connaissez l'histoire, le peuple qui avait gagné a été déclaré perdant par les vaincus…

    Nous avons regardé sur CNews votre débat courtois et parfois complice avec Éric Zemmour. Qu'est-ce qui vous sépare encore ?

    Il défend l'État jacobin, moi pas. Il est contre toute immigration avec renvoi des immigrés « chez

  • Sur le site officiel de l'Action française : Giscard, L’homme qui a normalisé la France, l’éditorial de François Marcilh

    Alors que la mort de Jacques Chi­rac a pro­vo­qué une véri­table émo­tion chez les Fran­çais, celle de Gis­card d’Estaing les a lais­sés plu­tôt froids. Certes, la pan­dé­mie n’a per­mis à aucun sen­ti­ment popu­laire de se mani­fes­ter. Mais la radio et la télé auraient pu com­pen­ser par des émis­sions ad hoc cette impos­si­bi­li­té.

    françois marcilhac.jpgOr le fait est éga­le­ment qu’aucune radio ni aucune chaîne de télé ne s’est mise en « édi­tion spé­ciale » toute la jour­née, comme ce fut le cas pour Chi­rac. Comme si cha­cun savait que le divorce par consen­te­ment non mutuel de 1981 entre Gis­card et les Fran­çais avait été défi­ni­tif. Du reste, si Gis­card ne vou­lait aucun hom­mage natio­nal, c’est qu’il n’avait jamais sur­mon­té son humi­lia­tion de ne pas être réélu en 1981 après avoir tant fait, croyait-il pour « libé­rer » la socié­té fran­çaise. Comme quoi, ce n’était peut-être pas ce que les Fran­çais atten­daient en prio­ri­té de lui en 1974. Il était éga­le­ment vexé que toutes ses ten­ta­tives de reve­nir dans le jeu poli­tique se soient sol­dées par des échecs ou des demi-échecs. Quant à sa grande œuvre, le trai­té consti­tu­tion­nel euro­péen, les Fran­çais le reje­tèrent à une large majo­ri­té. En clair, cet homme qui disait ne pas vou­loir res­ter dans l’histoire de France fut dans la mort comme dans la vie : modeste par orgueil…

    Cha­cun pour­ra tou­jours trou­ver quelque chose à gla­ner dans une vie poli­tique aus­si riche et une vie per­son­nelle aus­si longue. Il a fait son devoir, et cou­ra­geu­se­ment, à dix-huit ans, en s’engageant en 1944 pour la libé­ra­tion du ter­ri­toire ; il a res­pec­té la volon­té de Georges Pom­pi­dou s’agissant de Beau­bourg — un des ensembles cultu­rels les plus ori­gi­naux d’Europe — et il a sau­vé la gare d’Orsay de la des­truc­tion pour en faire un des musées les plus beaux du monde ; il a eu ses bonnes œuvres, aus­si. Tout per­son­nage est com­plexe. Et sa poli­tique exté­rieure s’inscrivit peu ou prou dans les pas de ses deux prédécesseurs.

    Mais reven­di­quer pour maîtres Mon­net et De Gaulle, c’était aller au-delà du para­doxe. Et déjà pra­ti­quer le « en même temps » de son fils spi­ri­tuel, qu’est Macron. Sur son cer­cueil, du reste, deux dra­peaux : le fran­çais et l’européen. Si, pour cer­tains esprits super­fi­ciels, cela peut n’être pas anti­no­mique, la double pater­ni­té reven­di­quée l’est, en revanche. Car Mon­net, ce ne fut pas seule­ment le pire enne­mi De Gaulle auprès et au ser­vice des Amé­ri­cains, ce fut aus­si celui dont le pro­jet euro­péen, co-construit, comme on dit aujourd’hui, avec les Amé­ri­cains, avait pour seul but de détruire la sou­ve­rai­ne­té des nations euro­péennes, le Royaume-Uni excep­té, comme Chur­chill, qui par­ti­ci­pait à la manœuvre, le décla­ra d’emblée. Or, quoi qu’on pense par ailleurs de De Gaulle, sur ce plan-là, le pro­jet gaul­lien était aux anti­podes du pro­jet de Mon­net. C’est pour­quoi l’élection en 1974 de Gis­card peut être consi­dé­ré comme une revanche du second sur le pre­mier. J’ignore si Gis­card aimait ou n’aimait pas la France. En amour, il n’y a que des preuves d’amour. Or le fait est que Gis­card, qui se plai­sait à regar­der la France au fond des yeux… mais de l’extérieur, comme un étran­ger — un Huron deve­nu pré­sident de la Répu­blique —, n’a pas ces­sé de rabais­ser notre pays. Après une cam­pagne menée à l’américaine, ins­pi­rée de celle de JFK près de quinze années plus tôt, c’est en anglais qu’il s’exprime le soir de son élec­tion, afin de bien mon­trer qu’il s’inscrit dans une moder­ni­té de rup­ture, laquelle ne parle pas français.

    La France était, de fait, dépas­sée pour Gis­card — comme elle l’était pour Mon­net et comme elle le sera pour Mit­ter­rand — « La France est notre patrie, l’Europe notre ave­nir » — et l’est aujourd’hui pour Macron. Mais Gis­card fai­sait dans le sym­bole, quand Macron, esprit bien moins fin et bien moins culti­vé, fait dans la pro­vo­ca­tion. La France de Gis­card, c’est celle qui ne doit plus se conce­voir que comme repré­sen­tant 1 % de la popu­la­tion mon­diale, afin de jus­ti­fier son tro­pisme euro­péiste. D’où, bien sûr, cette recherche d’une nou­velle légi­ti­mi­té, cette inven­tion arti­fi­cielle d’un peuple euro­péen à tra­vers l’élection au suf­frage uni­ver­sel du par­le­ment euro­péen, dont les membres étaient alors dési­gnés par les par­le­ments natio­naux, comme le sont tou­jours ceux du Conseil de l’Europe. C’est aus­si le sys­tème moné­taire euro­péen, qui suc­cède au ser­pent, et qui est une pré­fi­gu­ra­tion de la mon­naie unique, que Mit­ter­rand met­tra en chan­tier. Ce sera aus­si ce trai­té consti­tu­tion­nel de 2005 : Gis­card rêvait de deve­nir le pre­mier pré­sident de l’Europe, la France était bien trop petite pour lui. Devant l’impossibilité de réa­li­ser son vœu, le « pro­jet » euro­péen ne ces­sant de prendre du retard, il se prit à rêver à deve­nir son refon­da­teur, un nou­veau père de l’Europe, en s’impliquant dans le trai­té consti­tu­tion­nel. Repous­sé par les Fran­çais, on sait com­ment la for­fai­ture de Sar­ko­zy et du Par­le­ment per­mit sa rati­fi­ca­tion en 2008…

    Gis­card, c’est aus­si une France tou­jours plus petite, moins pré­sente sur la pla­nète : indé­pen­dance de Dji­bou­ti (où désor­mais les Amé­ri­cains ont une base mili­taire) et des Comores, avec le lar­gage pré­mé­di­té, contre la volon­té de sa popu­la­tion, de Mayotte, auquel l’Action fran­çaise et Pierre Pujo s’opposèrent vic­to­rieu­se­ment. Il y aurait aus­si beau­coup à dire sur sa poli­tique en matière d’indépendance indus­trielle. Pen­sons éga­le­ment à l’instauration du regrou­pe­ment fami­lial, piège qui s’est refer­mé sur la France par une déci­sion du Conseil d’Etat durant le sep­ten­nat sui­vant, qui ne sera pas remise en cause par le réga­lien — déjà les pré­mices du gou­ver­ne­ment des juges.

    Faut-il reve­nir sur le Gis­card « moder­ni­sa­teur » de la socié­té fran­çaise ? C’est celui que les media mains­tream ont le plus com­mé­mo­ré. Et pour cause. Pierre Bou­tang a écrit, dans son Pré­cis de Fou­tri­quet, sur « le men­teur, le pour­ris­seur et le fos­soyeur » des pages défi­ni­tives — « un acquis pour tou­jours » comme aurait dit l’historien Thu­cy­dide —, qui sont en même temps un réqui­si­toire contre une socié­té « qui n’a que des banques pour cathé­drales », comme Bou­tang le dira en conclu­sion de Reprendre le pou­voir. Gis­card fut, pour la France, un des archi­tectes de cette socié­té-là, qui repose sur un pro­fond mépris du peuple, par­ta­gé par Macron. Mais là où Gis­card fai­sait dans la condes­cen­dance — édu­ca­tion oblige — en allant dîner chez les Fran­çais, en jouant de l’accordéon ou au foot, en invi­tant des éboueurs à par­ta­ger avec lui un petit-déjeu­ner à l’Elysée, Macron, fait encore et tou­jours dans la pro­vo­ca­tion, sans filtre. Avec le sobri­quet de Fou­tri­quet, Bou­tang ren­voyait Gis­card à Thiers. Il est tout aus­si pos­sible d’y ren­voyer Macron, tant par son absence totale d’empathie pour le peuple et ses souf­frances réelles, que par sa bru­ta­li­té, dont l’expression était conte­nue chez Gis­card, mais explose chez Macron : il appa­raît ain­si, lui aus­si, comme un de ces grands bour­geois vol­tai­riens du XIXe siècle sûrs de leur fait.

    Au fond, Gis­card est celui qui a nor­ma­li­sé la France à la mon­dia­li­sa­tion nais­sante et Macron est celui qui veut ache­ver le tra­vail, qu’il s’agisse de l’Europe, de la sou­mis­sion éco­no­mique de la France, du mépris de la langue fran­çaise, de l’immigration, ou des ques­tions dites socié­tales, notam­ment la des­truc­tion de la famille. Sur ce plan, la mesure gis­car­dienne la plus neutre fut cer­tai­ne­ment la majo­ri­té à dix-huit ans. Le plus jeune pré­sident élu de la Ve pou­vait-il faire moins pour mon­trer sa jeu­nesse ? Ce fut aus­si la mesure la plus iro­nique : car les tout nou­veaux jeunes élec­teurs en pro­fi­tèrent, dès la pré­si­den­tielle sui­vante, pour por­ter leurs voix, comme plus proche d’eux, sur un vieux bris­card de la IVe déco­ré de la fran­cisque. Macron, deve­nu à son tour le plus jeune pré­sident élu, tente, lui aus­si, de séduire la jeu­nesse, en s’adressant notam­ment à elle par ses canaux de pré­di­lec­tion… Il n’est pas cer­tain qu’il la convainque davan­tage. En revanche, il n’est pas cer­tain non plus que la classe poli­tique sache, d’ici quelques mois, faire sur­gir de son sein un rem­pla­çant crédible…

    Le « nou­veau monde » n’est que l’achèvement de « la socié­té libé­rale avan­cée » — et on sait le sens que Bou­tang don­nait à l’adjectif « avan­cée ». Dans les lignes sui­vantes, Bou­tang rap­pro­chait Fou­tri­quet (Thiers-Gis­card) de Badin­guet (Napo­léon III). Or elles semblent avoir été écrites aus­si pour Gis­card et Macron : « Ce qui rap­proche les deux hommes est le ser­vice de Mam­mon et la com­plai­sance infi­nie pour la pour­ri­ture qu’ils confondent avec ce que Machia­vel nomme “esprit du temps” et qui n’en est que le déchet. Si hor­rible que soit ce temps… »

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Pour une opposition rationnelle au macronisme.

    COMMUNIQUÉ. Après l’allocution présidentielle fourre-tout du 12 juillet, le renforcement sanitaire se poursuit. Des camps se forment et la France se divise au lieu de faire front. Une opposition rationnelle au macronisme est plus urgente que jamais.

    Près de 115 000 Français ont manifesté à travers toute la France ce samedi, cinq jours après l’annonce présidentielle des nouvelles conditions sanitaires sur le territoire français (obligation vaccinale pour les soignants, incitation générale à la vaccination, extension du passe sanitaire, déremboursement des tests PCR…).

    Malgré certaines différences de ligne idéologique entre les intervenants les plus en vue et entre les manifestants eux-mêmes (certains clairement « anti-vaccins », d’autres principalement opposés la logique du « passe sanitaire »), un plus petit dénominateur commun a largement émergé : contester la mise en place de ce qu’à peu près tous considèrent une situation « tyrannique » inédite dans l’histoire de France récente : une société à deux vitesses fondée sur la discrimination entre « vaccinés » et « non-vaccinés ».

    « Non à la dictature sanitaire ! », « Macron démission ! », « Macron dictateur ! », « libérons la France », « Je ne suis pas un cobaye », « Mon corps mon choix », pouvait-on par exemple entendre à Paris où trois manifestations ont rassemblé environ 18 000 personnes selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Même son de cloche, semble-t-il, sur le Vieux-Port à Marseille, à Bordeaux, à Nice, à Toulouse, à Strasbourg ou à Quimper.

    Une présidence illégitime

    Entendons-nous bien : nous sommes de ceux qui considèrent que l’on n’a jamais fini de dénoncer les compromissions, les mensonges et les louvoiements de la macronie en général, et d’Emmanuel Macron en particulier. Au-delà de son système de valeurs (néolibéralisme autoritaire), la parole de ce dernier a été durablement discréditée et en égrener ici la liste serait long et fastidieux. Rappelons tout de même quelques éléments récents pas piqués des hannetons :

    « Les gens qui peuvent vous dire qu’on aura un vaccin au mois de mars ou au mois d’avril vous trompent. » (Salon BPI France, 1er octobre 2020)

    « Je vais être clair, je ne rendrai pas la vaccination obligatoire. » (allocution présidentielle, 24 novembre 2020)

    « Le passe sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis. » (Entretien Ouest-France, 29 avril 2021)

    « J’ai toujours tenu un langage de vérité. » (allocution présidentielle, 12 juillet 2021)

    Il se trouve qu’entre temps, plusieurs vaccins ont été mis au point, que la vaccination prend des allures d’obligation (via le déremboursement des tests PCR), que le passe sanitaire est bien en passe d’être étendu aux lieux de la vie de tous les jours, et que, dès lors, il s’en faut de beaucoup que l’on puisse parler de « langage de vérité » !

    Il est évident que le logiciel du macronisme est en tout point opposé à ce que nous défendons et espérons pour la France. Cette défiance s’inscrit jusque dans son illégitimité même à gouverner étant donné le contexte – jugé illégal par notre chroniqueur Régis de Castelnau - de son élection en 2017.

    Mais de même qu’il serait stupide de vouloir démolir le palais de L’Élysée (qui appartient au patrimoine des Français) au seul prétexte qu’il est momentanément habité par Emmanuel et Brigitte Macron, il est urgent de découpler la parole personnelle d’Emmanuel Macron de la stratégie sanitaire française.

    En somme, ce n’est pas parce que ce que dit Macron est souvent faux ou mauvais pour la France, qu’il faut tenir pour systématiquement faux ce qu’il dit. C’est toute la différence entre l’exercice de l’esprit critique et le réflexe pavlovien. Il faut prendre Emmanuel Macron pour ce qu’il est : une horloge cassée qui, comme toutes les horloges cassées, finit mécaniquement, à un moment ou un autre, par donner la bonne heure (deux fois toutes les 24h).

    La question vaccinale

    La question vaccinale a moins à voir avec la liberté d’opinion qu’avec la responsabilité de l’État. Les vaccins fonctionnent partout dans le monde, quels que soient les gouvernements en place. Et paradoxalement, la problématique du vaccin reste davantage politique que scientifique. Les citoyens opposés aux vaccins ne refusent pas l’usage du vaccin sur la base d’une analyse rationnelle des propriétés du vaccin (peu de gens savent comment fonctionne un vaccin et du reste tout le monde prend de l’aspirine…molécule synthétisée par le géant allemand de l’agrochimie Bayer, acheteur récent de Monsanto !), mais parce qu’ils n’ont pas confiance dans « l’élite » qui veut le leur injecter.

    Une « ruse de Parmentier » aurait peut-être suffi à le démontrer. Contexte : on dit qu’au 18ème siècle, le pharmacien Antoine Augustin Parmentier eut une idée ingénieuse pour faire manger à ses concitoyens une pomme de terre jusqu’alors réservée aux seuls animaux et considérée par le peuple comme toxique. Dans la pleine des Sablons, il fit garder les champs de pommes de terre le jour par des hommes en armes, mais pas la nuit. Comprenant que la denrée devait être rare et précieuse, les paysans se ruèrent la nuit pour en voler et les planter dans leur champ.

    Procédons à l’expérience de pensée suivante : de même, si Macron avait déclaré publiquement que le vaccin allait être momentanément interdit pour les Français et réservé aux seuls hauts fonctionnaires d’État, les mêmes qui refusent le vaccin actuellement auraient probablement appelé à manifester pour le droit pour le peuple d’accéder au vaccin, arguant qu’il fallait en finir définitivement avec les privilèges iniques de l’élite…Preuve que la question est ici celle de la confiance et non celle de la validité des sciences dures.

    À l’heure actuelle, sur le plan strictement scientifique, tous les arguments anti-vaccin ont été rationnellement réfutés, et ce par des gens qui n’y ont aucun intérêt personnel particulier autre qu’un certain goût pour la rigueur et l’exactitude (cf notre grand entretien à paraître avec Jacques Sapir). Les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montrent que sur 2120 tests positifs, 1700 concernent des non-vaccinés, lesquels représentent donc 80% des cas positifs. Ces chiffres se retrouvent un peu partout dans le monde. Aux États-Unis, 99,2% des morts du Covid en juin n’étaient pas vaccinés. Le taux atteint même 100% dans l’État du Maryland.

    Le seul argument vaccinal non réfuté est celui des « effets potentiels à long terme » du vaccin et pour cause, cet argument ne peut pas être réfuté empiriquement. Toutefois, il peut l’être théoriquement : dans la longue histoire de la vaccination, aucune maladie rare n’a jamais été détectée plus de huit semaines après injection d’un vaccin.

    De surcroît, il peut être renversé : le vaccin est récent donc son innocuité à long terme ne saurait être acquise. Admettons, mais il en va alors de même du Covid. Qu’est-ce qui nous garantit que l’infection par le Covid-19, jugée largement bénigne par les anti-vaccins, n’aura pas à long terme des conséquences désastreuses qu’elle n’a pas à court terme ? Rien. Or, les mêmes qui refusent les vaccins au nom d’un horizon d’analyse prétendument flou ajoutent que ce dernier n’est pas nécessaire puisque la maladie est peu dangereuse pour la majorité des gens, avec le même flou sur le long terme. D’ailleurs la symétrie est fausse, car nous savons justement qu’il y a des « Covids longs » en particulier chez les jeunes adultes.

    L’ambiguïté du passe sanitaire

    La question du passe sanitaire est encore plus politique que celle des vaccins. Son extension s’insère dans le « projet de loi relative à l’adoption de nos outils de gestion de la crise sanitaire » qui est présenté ce jour en conseil des ministres pour promulgation début août.

    Actuellement entre les mains du Conseil d’État, il pourrait également passer devant le Conseil constitutionnel. Au cœur du débat : la question de la « disproportion » entre l’objectif poursuivi (protection de la santé publique) et l’atteinte aux libertés engendrée par la mise en pratique.

    À ce titre, l’avant-projet de loi posait déjà réellement question, proposant notamment d’enfermer les positifs au Covid pendant 10 jours, sous la juridiction d’un Juge des libertés et de la détention (JLD), donc par déclinaison sous contrôle policier. Le fameux « isoler » du triptyque – pourtant peu appliqué faute de moyens depuis un an – « tester, tracer, isoler ». Dans ce cadre, une autorisation de sortie serait accordée entre 10h et 12h ainsi que des aménagements pour la « poursuite de la vie familiale »…

    Une fois admis l’impératif de la vaccination dans une politique sanitaire sensée, l’impératif du contrôle des vaccinations s’entend comme une conséquence logique. Pour autant, la crainte de la mise en place d’une société de contrôle est largement compréhensible (les autorités sanitaires chinoises elles-mêmes viennent de recadrer le fonctionnement du passe sanitaire dans les provinces du pays en insistant sur la coopération « consentie »).

    Présenter un QR-Code à l’entrée de chaque lieu de la vie rend possible le traçage des activités quotidiennes. Les données ne seront pas enregistrées, nous a-t-on prévenus pour rassurer les foules ? Qu’il nous soit permis d’en douter (non pas parce qu’il faudrait douter de tout, mais précisément parce que ce doute est rationnel).

    Dans une tribune publiée vendredi 16 juillet dans le Figaro, Cyrille Dalmont, spécialiste du numérique de l’Institut Thomas More, affirme que l’application « TousAntiCovid » n’est pas respectueuse de la vie privée des utilisateurs : « si le QR code est effectivement stocké en local sur un smartphone (ou sur une feuille de papier), il devient actif dès qu'il est scanné. C'est sa vocation même ! Une application de tracking et de back tracking (identification des relations interpersonnelles) ne fonctionne pas autrement et les informations recueillies sont alors stockées dans des bases de données distantes. »

    Par ailleurs, tel qu’il est déployé par le gouvernement – dans la précipitation et au doigt mouillé -, le passe sanitaire n’est pas fonctionnel. Demander aux citoyens de se contrôler entre eux ne pourra qu’accentuer la fracture sociétale entre les « pro » et les « anti ». C’est faire reposer un travail de police sur les épaules de commerçants dont ce n’est pas le métier ni la vocation. Quant à l’exploitant qui écoperait de 45 000 euros d’amende et d’un an de prison pour manquement à l’obligation de contrôle, même Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, juge la mesure excessive !

    Plus largement, le fait que l’accès à l’espace public soit conditionné à la présentation de données de santé pose une vraie question philosophique. Comme l’a relevé l’euro-député François-Xavier Bellamy récemment dans une tribune dans le Figaro, cette décision devrait à minima faire l’objet d’un débat parlementaire. Le premier passe sanitaire avait été accepté par les autorités administratives françaises précisément car il ne concernait pas les lieux de vie quotidienne…

    En réalité, le gouvernement est face à un problème majeur de stratégie : ayant annoncé que la vaccination ne serait pas imposée de façon discrétionnaire, puis ayant pris conscience qu’elle était la meilleure chance d’atteindre l’immunité collective, il est obligé de la rendre obligatoire officieusement en sur-contrôlant les Français. Il aurait été beaucoup plus clair et efficace (et surtout loyal) de rendre la vaccination obligatoire (en Etat stratège), de renoncer au passe sanitaire, et d’encadrer la couverture vaccinale par le biais de la sécurité sociale.

    Réhabiliter la raison citoyenne

    « Je suis l’ami de Platon, mais plus encore de la vérité », nous rappelle Aristote dans son Éthique à Nicomaque. Nous pourrions retourner la formule : nous sommes les adversaires de Macron, mais plus encore ceux de l’erreur. Et en l’état actuel des données scientifiques, dire que le vaccin est un poison est une erreur.

    À ce titre, il nous faut retrouver collectivement le goût du jugement rationnel, et éviter ce que la philosophe Catherine Kintzler a appelé la « dictature avilissante de l’affectivité ». En l’occurrence, l’exemple présidentiel est probant : Emmanuel Macron est insupportable, or il défend la vaccination et le passe sanitaire, donc la vaccination et le passe sanitaire sont insupportables. Le syllogisme paraît rigoureux, mais il est fautif.

    Cette émotion pose un redoutable défi à la démocratie en tant qu’il s’agit, par nature, d’un phénomène qui place le citoyen en position passive. Or, s’il n’y a plus d’arguments réels irréfutables contre les vaccins, il existe des arguments intéressants pour et contre la mise en place du passe sanitaire.  S’empêcher de penser une problématique du seul fait que l’on conteste la légitimité de celui qui la symbolise dans l’espace public (Macron, en l’occurrence) est une erreur. La pensée rationnelle est une lutte de tous les instants. Or la démocratie est le lieu d’expression du citoyen éclairé par sa raison et son libre jugement…ou n’est pas.

    Au cœur des manifestations de ce week-end, il y avait là des Gilets jaunes, des citoyens anonymes, des drapeaux français, quelques Marseillaises chantées par tel ou tel petit groupe. Et puis malheureusement, beaucoup de citoyens de bonne foi agitaient des banderoles « vaccin = thérapie génique = génocide » ou encore « vaccins = poison », pour ne rien dire des rapprochements avec la Shoah. Mélange des genres irrationnel, condamnable et honteux (qui nous rappelle celui des Gilets jaunes déconsidérés dans l’opinion à cause des Black blocs), car il jette en partie le discrédit sur un large mouvement populiste pourtant légitime et donne inévitablement l’occasion à certains médias de fredonner le vieil air populophobe du : « alors, vous voyez bien que ce sont des beaufs… »

    Plus largement, le discrédit jeté sur une partie des médias traditionnels n’empêche pas d’interroger le fonctionnement en vase clos de l’information « dissidente ». Les réseaux sociaux et l’information numérique deviennent petit à petit un piège, car les algorithmes favorisent les biais cognitifs de confirmation, créant des îlots communautaires de gens d’accord entre eux sur une vérité (dès lors très relative) qu’ils auront fabriquée ensemble. Chacun renforce ses propres croyances par accumulation de pseudo-arguments venant confirmer ce qu’il pense déjà. Au lieu de penser la société comme des classes sociales qui s’affrontent politiquement, nous sommes amenés à la penser comme des strates cognitives enfermées dans leur chez-soi idéologique. Il y a une différence entre déclarer aimer la vérité et déclarer vraies les idées qu’on aime.

    Dans La société malade, le sociologue Jean-Pier

  • Pierre-André Taguieff: «Feux et failles du progrès, la grande désorientation à gauche».

    Pierre-André Taguieff. Mark Henley / Panos Pictures/REA

    Si la gauche n’a pas fait le deuil du Progrès, ce mot toujours magique commence désormais à être une source de divisions analyse Pierre-André Taguieff. Selon le philosophe et historien des idées, chaque frange à gauche essaie de démontrer en quoi ils seraient les vrais «progressistes», contrairement aux autres bien entendu.

    Le progrès ne va plus de soi, et l’idée de progrès s’est obscurcie à force d’être invoquée par des enthousiastes et instrumentalisée par des démagogues. Désormais, la référence au progrès divise plutôt qu’elle ne rassemble. Si le mot magique «progrès» reste mobilisateur, c’est paradoxalement parce qu’il produit du conflit entre les thuriféraires et les dénonciateurs du «progressisme» comme religion séculière.

    En France, ces divisions et ces affrontements traversent autant la droite que la gauche, extrêmes compris. Mais c’est surtout dans l’espace occupé par une gauche résiduelle et fragmentée, avant tout en raison de l’irruption fracassante de l’écologie politique, que se mène une guerre sans merci autour du progrès. Les évaluations positives et négatives du progrès jouent un rôle décisif dans les reclassements et les redéfinitions des courants de gauche. «Le progrès» a cessé d’être un marqueur idéologique de gauche. Il est devenu le plus puissant diviseur de la gauche.

    Ce serait s’aveugler toutefois que de s’en tenir au moment présent, et de conclure hâtivement à la fin du culte du Progrès. Les nombreuses éclipses du Progrès, cette idole des Modernes, n’ont pas empêché son triomphal retour dans des contextes fort différents.

    Une notion floue mais indispensable

    Le progrès est une notion floue mais indispensable, comme bien d’autres notions philosophiques descendues dans l’arène politique. Elle constitue la pièce maîtresse de l’autoreprésentation des Modernes. Dans la pensée sociale ordinaire, un progrès, c’est une nouveauté souhaitable, une innovation ou un changement qui répond à une attente ou un désir. Disons une amélioration reconnue comme telle. Il n’y a pas de débat sur une telle définition descriptive. Les controverses commencent et se multiplient dès lors qu’on veut formuler une définition du progrès en général.

    « Le progrès » est devenu le plus puissant diviseur de la gauche

    Rappelons sommairement que pour les premiers théoriciens du progrès à l’époque des Lumières, le genre humain avançait irrésistiblement sur la route du progrès, c’est-à-dire d’une transformation générale vers le mieux. Le processus d’amélioration était supposé nécessaire, linéaire, continu, irréversible et illimité. Les humains étaient donc embarqués, qu’ils le veuillent ou non, en direction de la perfection dans toutes les sphères de la pensée, de l’action et de la création.

    Telle est la vision nécessitariste du progrès, cette forme modernisée du fatalisme, qui a été soumise à la critique des philosophes comme à celles des faits historiques - rappelons que les massacres industriels du XXe siècle ont réveillé nombre de progressistes assoupis et que la dévastation de l’environnement a exhibé l’envers répulsif du progrès.

    Dans les échanges polémiques, la question de savoir ce qu’est «véritablement» le progrès est centrale. Face à ceux qui pensent classiquement le progrès comme croissance et développement sans fin, disons les «progressistes» au sens fort du terme (et qui sont tous des productivistes), on trouve ceux qui considèrent que le «vrai» progrès est dans la décroissance, dans l’acceptation d’une certaine austérité, de sacrifices et de privations pour «sauver la planète».

    Contre les partisans de l’optimisme technicien qui pensent que tous les problèmes politiques et sociaux peuvent être résolus par la science et la technique, s’insurgent ceux qui soulignent non seulement que le pouvoir de la techno-science a des limites, mais aussi qu’il engendre des effets pervers, qui peuvent être des catastrophes. Sans parler de ceux qui pensent, à juste titre, que les humains se posent souvent des problèmes qu’ils ne peuvent résoudre, ni par la science, ni par la technique.

    La dévastation de l’environnement a exhibé l’envers répulsif du progrès

    On peut définir sommairement la modernité à la fois comme l’âge des progrès techniques et scientifique, qui sont mesurables, et comme l’âge des rêves d’amélioration de la condition humaine, dont les traductions politiques sont multiples. Toutes supposent le culte du changement en tant que mouvement bon en lui-même, célébré comme une promesse de bonheur ou de justice, de liberté ou de solidarité, d’amour fraternel ou de paix universelle.

    C’est ce changement producteur de nouveautés supposées universellement désirables et chargé de réaliser les fins dernières qu’on rencontrait dans les théories classiques du progrès, chez Condorcet ou chez Saint-Simon. Ces fins ultimes dont l’accomplissement était supposé nécessaire dessinait les contours de l’insaisissable «monde meilleur» tant espéré, voire ceux, plus exaltants encore, d’une «humanité meilleure».

    Un nouveau pessimisme

    Lorsqu’on analyse les débats contemporains opposants les «progressistes» auto-déclarés à leurs adversaires, qu’ils nomment «conservateurs «ou «réactionnaires», on doit avoir à l’esprit la métamorphose contemporaine de la vision linéaire et nécessitariste, voire fataliste, du progrès comme évolution ou transformation inévitable, qui suffisait à remplir l’horizon d’attente des Occidentaux. Par l’effet de la diffusion croissante des croyances écologistes, cette vision longtemps dominante est en passe de changer de sens et de valeur: la marche fatale vers le mieux se renverse en marche fatale et finale vers le pire et l’anticipation enchanteresse devient anticipation anxiogène. Il y a là une grande inversion de sens et de valeur, qui bouleverse le champ des croyances politiques modernes.

    La marche fatale vers le mieux se renverse en marche fatale et finale vers le pire et l’anticipation enchanteresse devient anticipation anxiogène

    L’ébranlement de la foi dans le progrès annonce la fin de la modernité triomphante. Héritage de l’Aufklärung et du combat contre le mythe et la peur, l’esprit critique a fini par se retourner contre la foi dans le progrès, en la traitant comme une croyance relevant elle-même du mythe, réduit à un récit trompeur. Mais le mythe moderne du progrès nécessaire, ensemble d’illusions et de promesses intenables, est en outre dénoncé comme fondamentalement toxique.

    Porté par la magie de la prédication écologiste, l’anti-progressisme vertueux est devenu une vulgate, qui rend acceptables des perspectives catastrophistes inédites, lesquelles se traduisent soit par de nouvelles prophéties de fin du monde émises par les collapsologues, soit par des flambées d’utopisme révolutionnaire appelant à détruire la société marchande, voire l’Occident tout entier, supposé intrinsèquement coupable, accusé d’être la source de tous les malheurs du genre humain.

    Les écologistes occupent désormais le centre dynamique du camp anti-progrès

    À l’instar de la plupart des leaders politiques, qui pensent l’avenir à la lumière du progrès, le président Macron s’efforce de monopoliser les convictions et les passions dites «progressistes», en jetant dans l’enfer de la pensée réactionnaire ou conservatrice les positions de ses adversaires politiques, même lorsque ces derniers se réclament eux-mêmes du progrès. On plonge alors dans un océan de dialogues de sourds et d’arguments de mauvaise foi, chacun reprochant à l’autre de n’être pas vraiment ou pas suffisamment «progressiste».

    Quoi qu’il en soit, ces diatribes «progressistes» visant de présumés opposants au progrès présupposent que l’idée d’un «camp du progrès» est susceptible de rassembler la majorité des citoyens français. Or, désormais, l’étoile du Progrès est loin de jouer pour tous les citoyens le rôle de guide suprême pour la pensée et l’action. L’enthousiasme progressiste est en baisse, il paraît même être en voie d’extinction dans certains secteurs de la population.

    Cela dit, la référence positive au progrès ne se réduit pas chez le président Macron à une stratégie rhétorique, elle constitue un pilier de sa pensée philosophico-politique. Mais ce pilier s’avère fragile, ce dont il ne semble pas conscient. C’est pourquoi la grande tâche de ceux qui ne veulent pas en finir avec l’héritage des Lumières devrait être de repenser l’idée de progrès par-delà le progressisme, ce rejeton du culte productiviste et de la religion positiviste, qui postule l’existence d’une marche universelle et nécessaire vers le mieux.

    L’enthousiasme progressiste est en baisse, il paraît même être en voie d’extinction dans certains secteurs de la population.

    Cette vision nécessitariste du progrès oublie le hasard, la contingence et l’imprévu, elle néglige aussi le rôle de la volonté humaine. Elle est aujourd’hui fortement ébranlée. C’est pourquoi il paraît vain de l’ériger en méthode de salut en imaginant ainsi pouvoir déclencher de l’enthousiasme militant. Le résultat risque de se réduire à une profusion de discours incantatoires.

    «Progrès»: le grand diviseur de la gauche

    Quant à la gauche telle qu’elle est devenue, on constate qu’elle s’est divisée dans les positions prises face à plusieurs questions qui, dépassant le cadre stato-national, ont émergé depuis la fin du XXe siècle. En premier lieu, le surgissement des questions liées à la pollution de la planète, au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité. Tous les militants de gauche, écologistes compris, sont tiraillés entre les promesses des «techno-prophètes» raisonnables et les prêches catastrophistes des collapsologues.

    Face à la gauche qui reste attachée à la religion du Progrès, on trouve une nouvelle gauche, qu’on peut appeler préservatrice ou «conservationniste», qui récuse tous les dogmes du progressisme. À cet égard, elle peut être traitée de «réactionnaire».

    En second lieu, l’irruption de l’islamisme comme nouvel ennemi mondial, abordé sous ses deux dimensions: l’islam politique avec ses stratégies de conquête (Frères musulmans, salafistes) et le terrorisme jihadiste. Face à la menace islamiste, la gauche s’est fragmentée, pour faire surgir deux camps antagonistes: d’un côté, ceux pour qui le combat contre l’islamisme doit se mener avec intransigeance au nom des Lumières, donc d’une certaine conception du progrès ; de l’autre, ceux qui placent au premier rang la «lutte contre l’islamophobie» au nom de l’idéal antiraciste.

    Face à la menace islamiste, la gauche s’est fragmentée, pour faire surgir deux camps antagonistes

    Face à une gauche engagée dans une lutte sans complaisance contre l’obscurantisme islamiste, on trouve une gauche qui, postulant que les musulmans sont désormais les principales victimes du racisme et des discriminations, prétend incarner un «antiracisme politique» dont l’un des postulats est qu’il existe en France un «racisme d’État» - alors même que la République française se caractérise par son antiracisme d’État sans équivalent. Cette gauche «islamismophile», dénoncée par les musulmans dits «modérés» ou «progressistes», peut être légitimement perçue comme «réactionnaire».

    Son antiracisme proclamé, qui trahit l’idéal des Lumières, peut être vu comme un pseudo-antiracisme au service de causes douteuses, oscillant entre une politique des identités ethno-raciales et une banalisation des normes islamistes de comportement et de pensée. Ayant tendance à voir de l’islamophobie partout, cette gauche pseudo-antiraciste s’emploie à limiter le champ de la liberté d’expression. Elle alimente l’esprit de censure, en criminalisant l’ironie et la satire.

    En troisième lieu, l’apparition de mouvements protestataires anti-élites, dits populistes, à l’extérieur du champ politique organisé. La gauche s’est divisée face aux Gilets jaunes: certains ont vu dans cette mobilisation populaire informelle la promesse d’une régénération de la démocratie, donc l’expression d’un progrès politique possible, alors que d’autres n’y ont vu qu’une régression de la contestation politique vers des formes impolitiques de violence s’accompagnant d’antisémitisme et de complotisme. Ici encore, la gauche s’est brisée en deux camps: les populistes-souverainistes et les sociaux-démocrates-pluralistes.

    En quatrième lieu, la montée des préoccupations et l’exacerbation des affrontements idéologiques concernant les questions de bioéthique, notamment à propos des pratiques biomédicales et des technologies de la reproduction humaine, qu’il s’agisse de la procréation médicalement assistée (PMA), du diagnostic pré-implantatoire (DPI), de l’avortement sélectif ou «thérapeutique» (interruption médicale de grossesse, IMG), de la Gestation pour autrui (GPA) ou de la thérapie génique germinale. Ces pratiques et ces techniques sont dénoncées par certains pour leurs «dérives eugénistes» ou pour leur caractère immoral et célébrées par d’autres comme des instruments d’émancipation.

    Ici encore, la gauche s’est brisée en deux camps : les populistes-souverainistes et les sociaux-démocrates-pluralistes.

    À gauche, on trouve des «progressistes» jouant la carte de l’extension sans fin des droits subjectifs (qu’illustrent les exigences de diverses minorités actives, dont les néo-féministes «radicales»), mais aussi d’autres «progressistes» qui appellent à fixer des limites au pouvoir des humains sur eux-mêmes. Ce que les premiers appellent «progrès», les seconds l’appellent «barbarie». Ils n’ont pas la même conception de ce qu’on appelle «civilisation», autre terme devenu problématique.

    En cinquième lieu, le surgissement d’un néo-féminisme misandre, d’affrontement, un lesbiano-communautarisme engagé dans une guerre permanente contre les mâles traités en ennemis, mais aussi contre les féministes universalistes accusées d’être complices du système patriarcal. La haine des mâles, de préférence les «mâles blancs», va de pair avec la haine de la République censée être une expression politique du patriarcat. Ces féministes ennemies se réclament du «progrès», terme auquel elles donnent un sens différent.

    En sixième lieu, le dynamisme idéologique des «politiques de l’identité», qu’elles prennent la forme douce du multiculturalisme (mieux nommé «multicommunautarisme») ou la forme dure du décolonialisme, laquelle implique de postuler l’existence d’un «racisme systémique» ou d’un «racisme d’État» dans les démocraties occidentales et de privilégier la dénonciation des discriminations censées dériver du fonctionnement même de la «société blanche». Face à cette nouvelle offre idéologico-politique qui, portée par une mode culturelle et légitimée par sa thématique «antiraciste», séduit une partie de la jeunesse, la gauche est fortement divisée.

    Au camp multiculturaliste-décolonial s’oppose le camp républicain-national, chaque camp ayant sa propre définition de l’antiracisme. Or, ces définitions sont mutuellement incompatibles et sources de conflictualité. La défense des minorités supposées discriminées dérive vers une tyrannie effective des minorités actives, incompatible avec le projet républicain d’une intégration des individus dans la communauté des citoyens sur des bases universalistes.

    Au camp multiculturaliste-décolonial s’oppose le camp républicain-national, chaque camp ayant sa propre définition de l’antiracisme

  • « Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, plus dans l'opinion », par Clément Pétreault.

    ENTRETIEN. Pour Christophe Guilluy, inventeur du concept de « France périphérique », l’approche politique « par tribus » ne fonctionne plus.

    2.jpgGéographe, souvent attaqué par le monde académique, Christophe Guilluy est aujourd’hui un « intellectuel désaffilié », qui refuse catégoriquement de se rattacher à une école de pensée. Là n’est pas le moindre de ses défauts. Cet observateur clinique des transformations du pays produit des travaux qui ont rencontré un certain écho depuis quelques années.

    Il n’en fallait pas tant pour que le géographe – venu de la gauche – devienne celui qu’il fallait consensuellement détester dans sa famille politique d’origine, alors pourtant qu’il redonnait son lustre à des grilles de lecture on ne peut plus marxistes de nos sociétés… Christophe Guilluy décortique le malaise qui alimente les populismes. Interview.

    Le Point : Vous écrivez que « pour la première fois depuis les années 1980, la classe dominante fait face à une véritable opposition. Les gens ordinaires sont sortis du ghetto culturel dans lequel ils étaient assignés, ils ont fait irruption au salon ». Pour vous, le réveil des classes populaires est un mouvement inéluctable ?

    Christophe Guilluy : Pour comprendre les raisons d’un réveil des classes populaires, il faut remonter aux années 1980. Christopher Lasch, qui alertait sur la « sécession des élites », avait vu juste. Ce qu’il n’avait pas vu en revanche, c’est que ce phénomène s’étendrait au-delà des élites et toucherait l’ensemble des catégories supérieures. Elles aussi ont fait sécession. Ce n’est pas par stratégie ou volonté cynique, simplement, le modèle qui s’est imposé de fait ne permettait plus l’intégration économique du plus grand nombre. Ce modèle, c’est celui d’une mondialisation, synonyme à ses débuts d’une rationalité progressiste qui nous laissait croire, dans sa logique optimiste, que l’ouvrier d’ici allait être, pour son plus grand avantage, remplacé par l’ouvrier chinois.

    Il y a toujours eu des voix discordantes, à droite comme à gauche, pour refuser ce modèle…

    Oui, mais sans succès, car ceux qui doutaient étaient perçus comme des vieux ronchons, ce qui fut le cas de Jean-Pierre Chevènement par exemple. Pour le reste, le monde intellectuel, culturel, médiatique et les catégories supérieures allaient clairement dans le sens de ce qui semblait constituer à l’époque un progrès sympathique. Sauf que personne n’avait mesuré les effets sociaux qui allaient s’en suivre : la classe ouvrière s’est effondrée. Beaucoup pensaient à l’époque que ce phénomène se limiterait à la classe ouvrière et à la vieille industrie, au monde d’avant… Sauf que le phénomène a progressivement gagné le monde paysan, puis les petits employés d’une partie du secteur tertiaire, que l’on croyait pourtant préservé. C’est ce que j’ai appelé la désaffiliation économique des classes moyennes intégrées, qui hier étaient majoritaires. Ce modèle très inégalitaire a engendré une concentration des richesses et laissé de côté des pans entiers – finalement majoritaires – de la population occidentale. Cette réorganisation sociale s’est accompagnée d’une réorganisation géographique silencieuse très visible sur le territoire, avec l’hyper concentration des richesses dans les métropoles mondialisées.

    Le PIB n’a jamais cessé de progresser en France depuis les années 1980…

    C’est un modèle économique très pertinent, qui fonctionne tant que l’on garde les yeux rivés sur le PIB. Sur ces 40 dernières années, le PIB n’a cessé en moyenne d’augmenter. De manière globale, ce système fonctionne, mais n’intègre plus les classes populaires, ni économiquement ni culturellement. Nous sommes arrivés – et nous le constatons tous les jours – à un moment où les classes populaires ne se reconnaissent plus du tout dans la narration produite par la classe politique et la classe médiatique, nous sommes entrés dans l’ère de la défiance et d’autonomisation culturelle des catégories moyennes et populaires.

    Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités.

    Comment expliquez-vous que les partis politiques ne soient plus capables de limiter cette défiance ?

    Les partis de droite et de gauche traditionnels ont été conçus pour représenter une classe moyenne majoritaire et intégrée. Ils ne conçoivent pas que cette classe moyenne et populaire majoritaire se soit désintégrée et continuent à s’adresser à une classe moyenne majoritaire qui n’existe plus. Le monde d’en bas ne se reconnaît pas plus dans le monde politique qu’il ne s’intéresse au cinéma français subventionné… Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités. Cela pose un vrai problème, car leurs représentations de la société n’ont pas changé, ce sont toujours celles des populations intégrées.

    Donc d’après vous, c’est ce décalage brutal entre la réalité et les représentations qui fait naître la défiance ?

    Cette autonomisation culturelle et économique des catégories populaires ne s’est pas faite en un jour, c’est un processus, imperceptible au début, qui s’étale sur une quarantaine d’années, mais qui finit par devenir massif. Le concept de « France périphérique » a posé problème au monde académique, car je l’ai énoncé comme étant un « phénomène majoritaire », qui allait bouleverser la société tout entière. À partir du moment où il existe un bloc majoritaire, mais non représenté, il devient logique qu’il y ait une réaction. C’est ce qui s’est produit à l’occasion d’événements comme le Brexit en Grande-Bretagne par exemple.

    Est-ce une manière de dire que l’on confond les causes et les effets ? Que l’irruption de figures populistes ne serait que la conséquence d’un vide politique et non un horizon espéré par les classes populaires ?

    Les gens ordinaires utilisent des marionnettes populistes pour dire « nous existons ». Sauf que cette nouvelle organisation modifie la nature du conflit. Les mouvements sociaux prennent des airs de « mouvements existentiels ». C’était le cas des Gilets jaunes où l’on a vu sortir les catégories fragilisées et se constituer en bloc. Le message était « nous sommes encore la société, nous ne voulons pas mourir et nous cherchons une offre politique pour répondre à nos demandes ».

    À quoi ressemblerait un parti politique qui défend réellement les classes populaires ?

    Pour l’heure, aucun parti ne les représente, c’est ce qui explique l’importance de l’abstention dans ces catégories. Quand elles votent, elles choisissent souvent les partis dit populistes de gauche ou de droite. Par exemple, une fraction des classes populaires choisit le Front national pour mettre sur la table la question que les autres partis ne veulent pas traiter, qui est la question de l’immigration. Le RN existera tant que ce thème ne sera pas traité, mais en dehors de ce thème, c’est un parti qui n’existe pas, qui n’a pas de militants, pas d’ancrage… J’en viens de plus en plus à considérer l’élection comme un « sondage grandeur nature » dans lequel les catégories populaires nous disent « il y a un petit problème avec l’immigration et la société multiculturelle », ce que nous refusons d’entendre…

    Ce n’est donc pas la stratégie du RN qui serait « gagnante », mais celles des autres partis qui serait perdante ?

    Il existe presque autant de versions du RN que d’élections… Il faut se rappeler que le FN de Jean-Marie Le Pen était un parti d’extrême droite classique, qui s’adressait aux petits indépendants et à une partie de la bourgeoisie. Le FN est devenu ouvriériste lorsque la classe ouvrière a commencé à voter pour lui. Puis le FN a commencé à s’adresser à la France rurale quand le monde paysan a commencé à voter pour lui… Le problème des élites aujourd’hui, c’est qu’elles ont un tel mépris pour les classes populaires qu’à aucun moment elles ne s’imaginent que c’est l’absence de choix qui fabrique le choix par défaut.

    Pourquoi les politiques ne parviennent-ils pas à leur parler ?

    Je crois qu’il y a un sujet sur les représentations… La classe politique, tout comme la classe médiatique, est biberonnée à une vision totalement fictionnelle du monde, qui passe par une lecture panélisée des sociétés occidentales. C’est cette vision qui pousse les politiques à ne parler qu’à des segments de la société. Cette pratique de la politique par segments instaure une vision totalement néo-libérale de notre société. Il n’y a pas plus segmenté que la population des métropoles où l’on trouve des commerces hyper ciblés, correspondant à des catégories socioculturelles spécifiques. C’est la netflixisation de la société et des esprits ! De Sarkozy à Macron, ça pense en « mode Netflix », car dans le monde de Netflix il n’y a que des segments, que des tribus. À titre personnel, je pense que ce morcellement infini en tribus ne correspond pas encore à ce qu’est la société.

    Il existe quand même des sujets transversaux capables de constituer des majorités…

    Chaque campagne électorale nous le démontre ! Sur bien des thématiques, il y a des consensus majoritaires, que ce soit sur le travail, l’État providence, les modes de vie, l’immigration, l’organisation du territoire ou la sécurité… Sur toutes ces thématiques, une immense majorité de la population pense la même chose : les gens veulent vivre de leur travail, considèrent que l’on doit préserver les services publics, que l’on ne devrait pas bénéficier de droits sociaux sans travailler… Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, mais il est clos dans l’opinion depuis 15 ans. Les deux tiers de l’opinion, voire davantage, pensent qu’il faut stopper l’immigration. C’est la même chose partout en Europe, aux États-Unis, au Brésil ou au Sénégal ! C’est anthropologiquement la même chose dans le monde entier. Préserver son mode de vie n’a rien de scandaleux, et lorsque je parle de mode de vie, je n’y inclus aucune lecture ethnique ou religieuse. Cette thématique du mode de vie est abordée de manière très consensuelle au Danemark par un gouvernement social-démocrate de gauche dirigé par une femme de gauche…

    Donc pour vous, tous les partis devraient se ranger à l’opinion majoritaire sur l’immigration ?

    Il y a en France des thèmes ultra majoritaires que n’importe quel parti politique normalement constitué ne devrait pas éluder. Sauf qu’on laisse de côté ces thèmes, pour cibler des segments électoraux qui, additionnés, permettent d’atteindre les 20 % nécessaires à une qualification au second tour. Cela signifie que celui qui gagne les élections est élu sur un programme ultra-minoritaire. Et c'est pourquoi depuis 15 ans, ceux qui sont élus à la tête du pays sont immédiatement minoritaires dans l’opinion. La défiance politique que l’on a pu voir dans l’anti-sarkozysme, l’anti-hollandisme, ou l’anti-macronisme atteint des niveaux extrêmes et inquiétants. Quand je parle du temps des gens ordinaires, c’est une invitation à s’inscrire dans une logique démocratique, donc majoritaire. Ce qui rend possible la cancel culture par exemple, c’est l’inexistence d’une majorité. Sans majorité culturelle, la nature ayant horreur du vide, toutes les minorités deviennent légitimes à faire exister leur vision culturelle du monde…

    Ne craignez-vous pas d’accentuer les fractures avec des discours de ce type sur l’immigration ?

    Depuis 40 ans, alors même qu’on leur dit qu’elles se plantent, les classes populaires ont fait le bon diagnostic sur l’économie, sur les territoires, sur l’immigration. Quand je dis classes populaires, certains pensent « petits blancs »… je précise donc que cette vision n’est pas ethnique, car la question de la sécurité culturelle est posée à tout le monde. Si nous voulons apaiser les choses, le seul levier républicain est l’arrêt des flux migratoires, notamment dans les « quartiers » – je déteste ce mot – où l’objectif devrait être de mieux faire « vieillir » la population pour apaiser les tensions. C’est que c’est un moyen rationnel, efficace et peu coûteux d’apaiser les choses. Je suis frappé aujourd’hui par la manière dont on présente les problèmes. L’exemple du salafisme est parlant. C’est un problème totalement mondialisé sur lequel aucune politique publique ne peut avoir de prise… raison pour laquelle il ne se passera rien. Jouer les gros durs devant les caméras sur ces sujets ne permet en rien d’apaiser les choses.

    Sous le mandat d’Emmanuel Macron, les obsessions identitaires ont littéralement explosé, de manière plus rapide et plus puissante que les pays voisins européens. Comment expliquez-vous ce phénomène, et accessoirement, comment le résoudre ?

    Soit la majorité existe, soit elle n’existe pas. Je vous renvoie aux travaux de Robert Putnam, l’historien américain qui avait démontré que plus une ville américaine était multi-culturelle, plus la défiance augmentait et plus le bien commun était réduit, car chacun était alors tenté de défendre le bien de sa communauté. Quel que soit le modèle, républicain-français, communautariste anglo-saxon, ou lié à l’État providence comme en Suède, on aboutit aux mêmes tensions. Le religieux monte partout et la question ethnique se généralise… Ce processus est d’autant plus rapide que l’on nie l’existence d’un mode de v

  • Le grand retrait. Retour sur la participation électorale au premier tour des régionales, par Antoine Bristielle, Tristan

    Le dimanche 20 juin 2021, lors du premier tour des élections régionales et départementales, deux Français sur trois ont décidé de s’abstenir. Quel sens donner à ce désengagement massif des citoyens français ? Que vient traduire cet abstentionnisme de plus en plus en plus marqué ? De quelles solutions disposons-nous pour en venir à bout ? Et, enfin, quelles conclusions politiques peut-on tirer de cette élection en vue de la prochaine présidentielle ?

    3.jpgS’il était anticipé que cette élection serait marquée par une abstention plus importante que lors des précédentes élections régionales de 2015, la chute vertigineuse de la participation en l’espace de six ans (-16 points) a constitué une sorte de séisme au sein de l’univers politique et médiatique.

    Ces résultats attestent ainsi la profonde déconnexion électorale présente dans notre pays, qui va en s’accentuant, d’élections en élections. Comme on le constate dans le graphique suivant, les élections intermédiaires, et singulièrement les élections locales, sont les plus affectées par ce reflux très net de la participation politique conventionnelle. Dans ces conditions, seule la présidentielle, pivot du système politique, parvient encore à attirer systématiquement un nombre important d’électeurs. 

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    I - Les logiques sociales de l’abstention 

    Les enquêtes réalisées le jour du vote par différents instituts sont révélatrices des logiques sociales du vote et confirment les nombreux travaux qui pointent les profondes inégalités face à la participation électorale. En consultant ces enquêtes, on apprend ainsi que les hommes ont davantage participé que les femmes (38 % des électeurs ont participé contre 26 % des électrices), que les titulaires d’un diplôme de bac+2 ont davantage participé (+10 points par rapport aux autres), que les catégories supérieures ont été plus nombreuses à se rendre aux urnes que les personnes appartenant aux catégories populaires (47 % de votants chez les cadres contre seulement 23 % chez les ouvriers). On observe également un gradient très net de la participation avec le revenu : 84 % des personnes vivant dans un foyer avec moins de 1000 euros par mois ont été abstentionnistes, contre seulement 54 % des personnes vivant dans un foyer avec plus de 3500 euros par mois de revenu (une différence colossale de 30 points). Le degré de participation varie aussi en fonction de la situation immobilière, les locataires étant plus abstentionnistes que leurs propriétaires. C’est dire si les élus régionaux représenteront avant tout les préférences politiques des citoyens les plus pourvus, notamment économiquement. Enfin, la pratique religieuse catholique, une « variable lourde » du vote, conduit aussi à davantage participer au rituel du vote républicain (76 % de votants chez les pratiquants réguliers, contre seulement 41 % chez les pratiquants occasionnels, soit un différentiel de 25 points). Quant aux sans religion, ils se tiennent aussi loin de Dieu que des urnes (29 % de votants).

    Les logiques générationnelles ont également joué à plein lors de ce scrutin. Plus l’électorat est jeune, plus l’abstention a été forte, si bien que ce n’est que 16 % des 18-24 ans et 19 % des 25-34 ans qui se sont déplacés lors de ce premier tour. Même si l’abstention des plus de soixante-cinq ans a été forte (47 %), elle est sans commune mesure avec ce que l’on a pu observer au sein des jeunes générations. 

    Plus que jamais, ce scrutin met ainsi au grand jour la logique de vote intermittent propre aux jeunes générations. Si celles-ci conservent un fort intérêt pour l’élection présidentielle, elles se démobilisent néanmoins massivement – et de plus en plus – lors des élections intermédiaires. En effet, d’après les calculs du politiste Vincent Tiberj, les déséquilibres d’âge dans les urnes à ces élections régionales aboutissent clairement à surreprésenter certaines générations au détriment d’autres. Ainsi, les soixante-cinq ans et plus pèsent dans les urnes 1,4 fois leur poids dans la population, quand les moins de trente-cinq ans pèsent deux fois moins que leur poids démographique. L’attitude à l’égard du vote comme étant un droit ou un devoir est révélatrice de ces différences générationnelles : les personnes pour qui le droit de vote est un devoir ont été une sur deux à s’abstenir (50 %), alors que l’abstention concerne 80 % de celles pour qui voter est d’abord un droit. Ces écarts générationnels se répercutent aussi dans les préférences électorales et conduisent à un survote pour les partis de droite classique : s’agissant du vote en faveur des listes de la droite modérée, près d’un électeur sur deux (45 %) a en fait plus de soixante-cinq ans.

    Logiquement, les plus politisés se sont le plus mobilisés. C’est le cas de ceux qui se sont intéressés aux élections régionales comparativement à ceux qui ne s’y sont pas intéressés. Plus fondamentalement, ceux qui déclarent que les choix politiques occupent une « grande place » ont été deux sur dix à participer au scrutin, contre seulement une personne sur dix parmi ceux qui déclarent que les choix politiques occupent une « faible place » dans leur vie (soit un différentiel de 34 points).

     

    II - Une mobilisation différentielle

    Dans la mesure où des facteurs sociaux ont été déterminants dans la participation ou non à l’élection, cela s’est traduit par une mobilisation différentielle des électorats. Les graphiques ci-dessous essayent, à partir d’une analyse écologique en fonction des résultats électoraux à la dernière élection présidentielle dans la plupart des communes françaises métropolitaines, d’observer les effets de sur-mobilisation ou de sous-mobilisation en fonction des électorats. Toutefois, une telle analyse se risque à l’erreur écologique : déduire des comportements individuels à partir de données recueillies à un niveau agrégé peut conduire à inférer. Il est toutefois possible de tester l’hypothèse selon laquelle la participation électorale aurait plus reculé dans les fiefs de la droite radicale, de la droite modérée, du centre ou de la gauche entre le premier tour de la présidentielle de 2017 et le premier tour des régionales de 2021. 

    Qu’est-ce que cette analyse nous enseigne ? Premièrement, on y voit apparaître la surmobilisation dans les communes qui avaient penché pour la droite filloniste en 2017 : l’abstention aux régionales diminue à mesure que le vote Fillon dans la commune croît. À l’inverse, on peut apercevoir une sous-mobilisation assez nette dans les communes qui avaient survoté pour Marine Le Pen. Ainsi, dans le quartile des communes qui ont le plus voté en faveur de Marine Le Pen en 2017 (plus de 32 % des voix), l’abstention atteignait 61 % contre 55 % dans le quart des communes où elle était moins présente.

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    Note de lecture : Chaque point représente une commune. La droite en bleu est la droite de régression linéaire où le score d’un candidat à la présidentielle de 2017 prédit le niveau de l’abstention. L’opacité des points permet d’afficher plus de communes sur le graphique, et de refléter la densité.

    Ces résultats sont, par ailleurs, corroborés au niveau individuel par les différentes enquêtes réalisées le jour du vote, les électeurs de François Fillon en 2017 se sont davantage mobilisés (52 %) que les électeurs de Benoît Hamon (40 %), d’Emmanuel Macron (36 %) et, plus encore, de Marine Le Pen (29 %) et de Jean-Luc Mélenchon (25 %).

     

    III - Quel sens donner à l’abstention ? Protestation électorale ou France qui s’en fout ?

    Rapidement, deux « thèses » se sont opposées parmi les commentateurs politiques au sujet de l’abstention record enregistrée le 20 juin dernier : certains entrevoient une France en révolte, qui ferait « la grève des urnes », tandis que, pour d’autres, l’abstention massive serait le signe d’une France désabusée par la politique et qui n’éprouverait pas ou plus la nécessité de voter pour exprimer sa colère. Or, à nos yeux, ces deux explications ne sont pas mutuellement exclusives et se complètent plutôt assez bien d’autant qu’elles concernent des groupes d’électeurs différents. L’abstention est un phénomène complexe à bien des égards et il existe forcément une forte hétérogénéité des facteurs poussant à s’abstenir quand près des trois quarts du corps électoral ne se sont pas rendus aux urnes. 

    Une nouvelle fois, les enquêtes réalisées le jour du vote permettent d’éclairer davantage les multiples raisons derrière l’abstention, et surtout mettent au jour des groupes forts différents, qui ne se sont pas rendus à l’isoloir pour des raisons identiques. Pour simplifier le propos, le profil de « l’abstentionniste désintéressé » est surreprésenté parmi les jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans, au sein des classes moyennes et des classes supérieures et chez les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de la précédente présidentielle. Quant au profil de « l’abstentionniste protestataire », il est surreprésenté chez les hommes, plutôt âgés, au sein des catégories modestes ou pauvres, chez les ouvriers et les chômeurs et au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen lors du premier tour de la présidentielle de 2017. 

     

    IV - Quel sens donner à la participation et aux résultats et que nous disent-ils du rapport de force national ?

    Si l’analyse agrégée de la participation électorale et les données issues des enquêtes nous en apprennent davantage sur les ressorts de cette abstention massive, pour ceux d’entre eux qui se sont rendus aux urnes, quel sens ont donné les électeurs à leur participation électorale ?

    Du côté des votants, la place des enjeux nationaux et locaux dans le vote permet d’éclairer les motivations des personnes mobilisées. Malgré une campagne électorale localement atone en l’absence de la propagande électorale habituelle, vecteur de mobilisation, et un scrutin fortement nationalisé par les médias, il semble que, cette fois-ci et comparativement aux régionales de 2015, les électeurs qui se sont déplacés l’ont fait avant tout en fonction d’enjeux locaux ou régionaux. Ils sont ainsi les trois quarts à le dire, alors qu’ils n’étaient que 63 % en 2015. Pour rappel, à l’époque, 37 % des électeurs estimaient avoir voté en fonction d’enjeux nationaux contre seulement 25 % aux régionales de 2021.

    Cela interroge donc directement la portée de l’acte de vote : les électeurs ont-ils voulu par ce vote sanctionner le pouvoir national ? Aux précédentes élections régionales en 2015, mais aussi aux élections européennes de 2019, les électeurs étaient une majorité à dire que leur vote reflétait leur opinion à l’égard de l’exécutif. Or, lors de ce scrutin régional et départemental, une majorité (56 %) indique que ce n’est pas le cas. Ainsi, un peu plus d’un tiers (37 %) des votants seulement pensent que leur opinion vis-à-vis de la politique du président de la République et du gouvernement a été décisive dans le choix de la liste. D’ailleurs, la satisfaction à l’égard d’Emmanuel Macron va à rebours du « vote sanction » : 59 % des personnes satisfaites de l’action du président de la République se sont abstenues, c’est moins que celles qui se disent mécontentes de son action (72 %, soit +13 points). Et quand les électeurs satisfaits d’Emmanuel Macron ont participé au scrutin, elles ont choisi à 38 % les listes de l’Union de la droite (LR et alliés) et seulement pour 23 % d’entre elles les listes de la majorité présidentielle. Un signe supplémentaire que le vote pour les listes de droite n’est pas à interpréter comme une sanction à l’égard d’Emmanuel Macron, qui a toutes les chances de voir revenir cet électorat sur sa personne l’année prochaine. 

    À la lumière de ces constatations, et sans discuter des résultats électoraux effectifs, il devient clair que les électeurs n’ont pas cherché particulièrement à sanctionner le pouvoir national, mais plutôt à récompenser les représentants en poste (le phénomène de « prime aux sortants »). 42 % des personnes qui sont satisfaites de l’action du président de région se sont déplacées dans les urnes, c’est beaucoup plus que celles qui se déclarent insatisfaites et qui sont huit sur dix à n’avoir pas pris le chemin du bureau de vote. Dès lors, il est ainsi logique que le bilan de la majorité régionale sortante soit un élément déterminant dans le choix des listes pour 45 % des électeurs, soit 10 points de plus qu’en 2015, et que la personnalité des candidats – et par là même leur notoriété – ait été décisive pour 45 % des votants, contre 37 % en 2015 (+8). Les bons résultats des listes des Républicains, et dans une moindre mesure ceux du Parti socialiste et de leurs alliés suivant les configurations, ne doivent pas s’interpréter comme une volonté de sanctionner le pouvoir central. Si tel avait été le cas, le vote se serait alors exprimé en faveur des alternatives plus radicales, ce qui n’a pas eu lieu.

    Dès lors, ces éléments indiquent qu’il faut se départir d’une lecture trop nationale de ces élections régionales. Si l’ancien monde semble pour partie persister à l’échelle locale en 2021, cela ne dit rien des grands équilibres à venir en 2022. Cette lecture du scrutin coïncide d’ailleurs avec la popularité relativement importante dont jouit Emmanuel Macron dans la population, qui se porte mieux à ce stade du quinquennat en comparaison de ses prédécesseurs François Hollande ou Nicolas Sarkozy. Cela interroge aussi sur les capacités de certaines formations politiques – qui mettent en avant un leader fort (Emmanuel Macron ou Marine Le Pen) – à pouvoir incarner leurs idées hors du contexte hyper-personnalisé de l’élection présidentielle. 

    Comme on l’a vu, les sondages réalisés le jour du

  • “La France, ce n’est pas la république et la république, ce n’est pas la France” : les dernières vérités de Jean Raspail

    Source : https://www.valeursactuelles.com/

    Immense écrivain, monarchiste, ex-président du Comité national pour la commémoration de la mort de Louis XVI, Jean Raspail, décédé samedi à l'âge de 94 ans, nous avait reçus chez lui début 2019 pour un long entretien. La Révolution, la République, la foi, les rois et les livres : les vérités sans tabou d’un visionnaire enraciné.

    « Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus parce que la vie s’en est allée ailleurs ». Cette citation du Roi au-delà de la mer, qui sera prochainement réédité, illustre bien son auteur, Jean Raspail, homme libre, explorateur et marin, écrivain d’une foi, la foi royaliste, et consul général d’un royaume mythique et oublié, la Patagonie. Les multiples prix littéraires, dont le Grand prix littéraire de l’Académie française pour l’ensemble de son oeuvre en 2003, saluent ainsi une voix qui a su faire mémoire de peuples oubliés, conter des rivages lointains entre imaginaire et réalité mais aussi défendre une cause ancrée dans notre histoire française, celle du roi. C’est un homme fidèle à lui-même, fort de ses convictions, d’une courtoisie rare et, hélas, disparue, qui nous a reçus dans son salon aux multiples hommages marins, pour évoquer cette notion sacrée du pouvoir qui réunissait les coeurs et les ferveurs. Une discussion entre volutes de cigarettes et dégustation de whisky empreinte d’audace et d’idéal.

    Valeurs actuelles. La France est une république depuis de nombreuses années. Pourtant, les royalistes n’ont pas disparu et continuent à prôner le retour du roi. Vous en faites vous-même partie : qu’est-ce qui vous a conduit à cette identité politique ?

    Jean Raspail. C’est une décision que j’ai prise car elle m’a semblé très logique. Mon père, qui n’était pas du tout royaliste à l’origine, l’est devenu de la même façon : en réalisant qu’avoir le roi était la manière la plus simple de gouverner un pays. Car le roi n’est pas seul, il est issu d’ancêtres présents en France depuis des milliers d’années et est façonné par cette histoire familiale intiment liée à son pays.

    Le dernier ouvrage de Philippe de Villiers, consacré au premier roi de France, Clovis, est intéressant à ce titre car il montre que la royauté a créé la France. Bien entendu, cette construction s’est faite avec l’appui de la religion chrétienne, naissante dans notre pays à cette époque-là. Toute cette succession de rois a, par leurs lois, leurs combats, leur foi, façonné la France. C’est la fameuse phrase qu’adressaient les royalistes au comte de Paris il y a une quarantaine d’années : “héritier des quarante rois qui en mille ans ont fait la France”. Mais il y a eu beaucoup plus que quarante rois et bien plus que mille ans…

    En outre, le roi est l’incarnation de la nation, ce que n’arrive pas à faire un président de la République, élu pour un court terme, à la courte vision et aux intérêts égoïstes. Le roi, lui, n’est pas élu : la fonction lui incombe par son sang et par son sacre. Il y a d’ailleurs un lien mystérieux entre le divin et le roi. Le roi est roi car il est aidé par la grâce divine reçue par l’onction de l’huile sainte. Il y a une grâce de Dieu dans ce sacre, ce qui n’existe pas avec la république. La légitimité se trouve alors du côté du sacré. Vous constaterez d’ailleurs que les monarchies qui fonctionnent encore en Europe sont celles où le roi a été sacré.

    Le roi est l’incarnation de la nation, ce que n’arrive pas à faire un président de la République, élu pour un court terme, à la courte vision et aux intérêts égoïstes.

    On constate justement une certaine perte du sacré dans nos sociétés. Si un roi revenait mais refusait de se faire sacrer, serait-il tout de même légitime à vos yeux ?


    J’ai écrit trois livres à ce sujet, tout est dedans… Le pouvoir royal est héréditaire et est tout aussi naturel que le rythme des marées. Il devient en revanche sacré par les neuf onctions à Reims. Il acquiert alors toute sa grandeur et sa plénitude. C’est pourquoi un roi qui se refuse au sacre, s’il est et reste le roi, est un roi “tronqué”, rapetissé. De toute façon, en France, un roi ne reviendra que si l’un des deux prétendants actuels accepte de faire hommage à l’autre. De même, comme je le dis dans Le Roi au-delà de la mer, qui sera prochainement réédité, pour qu’un roi prenne le pouvoir en France il faudrait qu’il ose prendre possession, pour commencer, d’une petite partie du territoire.

    Mais même si notre époque perd le sens du sacré, je crois qu’au fond de l’homme occidental persiste une conscience, parfois étouffée, qu’il existe un univers du sacré. C’est cette conscience qui l’a conduit à dresser églises et cathédrales dans l’Europe entière. Un exemple actuel est la résurrection de la Russie, favorisée par son retour à l’orthodoxie. Les pays qui aujourd’hui renouent avec le christianisme retrouvent ainsi une certaine grandeur.

    Comment expliquez-vous que le pouvoir royal paraisse à beaucoup de Français une chose peu naturelle ?


    J’ai été élevé dans des écoles catholiques où on nous apprenait le sens de l’honneur, l’histoire de notre pays avec ses grandeurs tout comme ses déshonneurs, où on transmettait une certaine éducation, notamment religieuse. Tout cela permettait d’appréhender la royauté comme un phénomène naturel découlant de notre histoire. Or cette éducation ne se fait plus, sauf dans certains isolats soudés comme le scoutisme. C’est d’ailleurs là une source d’espoir : après la guerre le mouvement était en déclin total et fut récupéré par la gauche. Tout esprit religieux fut supprimé du scoutisme. Or les choses changent : sans publicité, les mouvements scouts recrutent par centaines et retrouvent le sens du sacré qu’on leur avait ôté.

    Mais je pense que, comme ce fut le cas au temps des Barbares, ce sont les moines qui nous sauveront. Lorsque l’on sort de chez eux, on est transfiguré intérieurement. Ils forment une chaîne de prière avec la divinité. D’ailleurs certains monastères, comme le Barroux, transforment par leur rayonnement la région dans laquelle ils s’implantent. Je me dis souvent que si la France ne redevient pas chrétienne, le roi ne reviendra jamais !

    Les pays qui aujourd’hui renouent avec le christianisme retrouvent ainsi une certaine grandeur.

    Comment expliquer la déchristianisation française ?


    Beaucoup de choses sont en cause. Par exemple, je suis persuadé que le changement de liturgie y est pour quelque chose. Même si avec le motu proprio du pape benoît XVI les choses évoluent, les évêques refusent toujours de redonner des paroisses aux catholiques traditionalistes, c’est regrettable.

    Quels sont ces isolats auxquels vous faites allusion ?


    En termes ethnologiques, il s’agit d’une tribu en train de se rétrécir à cause de diverses raisons, qui s’isole dans un lieu bien spécifique. Ce sont de petites parties du territoire qui se coupent du reste du pays pour se protéger d’une société dont elles ne reconnaissent plus les valeurs et la violence. Ainsi, un nombre croissant d’isolats chrétiens se développe. D’une autre manière, le Puy du Fou est un extraordinaire isolat, qui offre une culture et du lien attirant des volontaires toujours plus nombreux. De même, la Patagonie est un immense isolat qui regroupe des milliers de personnes à travers notre Hexagone. Je reçois de très nombreuses demandes de naturalisation chaque semaine. Au final, ces isolats finiront par se rejoindre et permettront, je l’espère, une certaine relève française.

    Pourquoi avoir lancé et pris la présidence, en 1993, du Comité national pour la commémoration de la mort de Louis XVI ?


    J’ai trouvé que c’était une honte que l’on n’honore pas le bicentenaire de l’assassinat de Louis XVI. Pour donner du poids à cette commémoration, nous avons fondé un comité d’honneur, composé de gens formidables, parmi lesquels trente ducs, dont le duc de Rohan. Y figurait également la baronne Élie de Rothschild, et l’ambassadeur des États-Unis… C’était magnifique !

    Certes, nous avons également essuyé des refus, notamment de la part de membres de l’Académie française que je connaissais à peu près tous — je m’y étais d’ailleurs moi-même présenté, mais ils n’ont jamais voulu de moi. Je suis ainsi allé voir Jean d’Ormesson, qui m’a répondu : « Non, Jean, ce n’est pas possible, parce que je suis républicain. » J’ai également “démarché” en vain Maurice Schumann, qui était aussi sénateur. Il m’a reçu très gentiment, mais m’a rétorqué : « C’est une très bonne idée ce comité, mais je ne crois pas que ce soit le moment de diviser de nouveau la France. » Je pense, en réalité, qu’il avait, comme d’autres, un peu la trouille… Mais cela est sans importance. Je veux d’abord me souvenir de l’engagement, puis du formidable enthousiasme de tous ceux qui ont osé nous rejoindre. Je pense notamment à Maurice Rheims, que je connaissais et pour lequel j’avais une grande d’admiration. Avec lui, les choses sont allées très vite. À peine avais-je commencé qu’il m’a interrompu : « Écoute-moi, Jean, pour Louis XVI, tout de suite ! Les Juifs n’oublieront jamais ce qu’il a fait pour eux. » La même réponse m’a été faite par la baronne Élie de Rothschild, qui a, de plus, participé financièrement, ce qui nous a été fort utile car nous ne disposions d’aucuns moyens, ou presque. Contrairement à l’immense majorité des Français, ignorant ce fait, les Juifs continuent d’éprouver une vraie reconnaissance envers Louis XVI, qui leur a accordé — ce qui était tout à fait exceptionnel pour l’époque — la plupart des droits dont bénéficiaient les Français.

    Quand on me demande à qui je dois mon grade d'officier de la légion d'honneur, je réponds : « À Louis XVI ! »

    Votre engagement royaliste ne vous a pas empêché d’être promu au grade d’officier de la Légion d’honneur…


    Là aussi, l’histoire est étonnante. Huit ans après la commémoration en l’honneur de Louis XVI, et alors que j’étais déjà chevalier de la Légion d’honneur, je reçois une lettre m’informant de cette promotion — que j’avais d’autant moins demandée que, par tradition, elle ne se réclame pas. Jacques Chirac était alors président de la République et Jean-Pierre Raffarin, signataire du courrier, Premier ministre. Surpris, je regarde l’adresse et lis : « Monsieur Jean Raspail, Président du comité national pour la célébration solennelle de la commémoration de la mort de Louis XVI ». Bref, c’est cette initiative qui a failli être interdite par la République qui me valait, huit ans plus tard, d’être décoré ! Quand on me demande à qui je dois cette nomination, je réponds : « À Louis XVI ! »

    Pour en revenir aux rois, justement, quels sont, selon vous, les plus grands rois de notre histoire ?


    C’est une question difficile, car chacun des règnes doit être replacé dans son époque. Une certitude cependant : la très grande majorité de nos rois ont été de grands rois. C’est, par exemple, incontestablement le cas d’Henri IV, qui a sauvegardé la monarchie d’une situation généalogique inextricable. Il a rétabli un royaume qui était en train de se disloquer et a rétabli la France. Son action incarne la puissance de la royauté. Pour d’autres raisons, j’apprécie beaucoup François Ier, le roi de la Renaissance. D’une manière générale, outre nos rois, il y a eu aussi de grandes personnalités qu’on oublie, tels les Bourbons-Parme. Mais attention, je reconnais aussi qu’il y a eu à certains moments de notre histoire, par exemple sous Marie de Médicis, des périodes extrêmement déplaisantes. Le massacre de la Saint-Barthélemy est ainsi un épisode impardonnable.

    Considérez-vous Louis-Philippe, notre dernier monarque, comme un “vrai roi” ?


    Non. Il n’a pas été sacré. Ce qu’il a lui-même décidé. Il se voulait le roi du peuple. Mais pas le roi tout court…

    Quel regard portez-vous sur Saint Louis ?

    Je suis un de ses admirateurs, même si l’on peut s’interroger sur sa participation personnelle aux croisades. Certes, la fin des royaumes du Proche-Orient nécessitait son intervention, mais était-il nécessaire qu’il y aille lui-même ? Il a considéré que parce qu’il était le roi de droit divin, il était de son devoir de se rendre aux croisades. Si vous me permettez une digression, on peut considérer son attitude comme le contraire de celle, aujourd’hui, du pape François. Il est le pape mais ne veut pas qu’on le prenne pour le pape. Le premier geste qu’il a eu quand il a été nommé sur le trône de Pierre fut, par exemple, de prendre sa propre voiture et d’aller payer l’hôtel où il avait passé la nuit à Rome. D’autres exemples ont suivi depuis. Cette attitude se veut empreinte de modestie ; mais on ne demande pas au pape d’être modeste. On attend de lui une certaine allure. Pour les catholiques, et dans la mesure où Dieu existe — ce qu’à l’instar de mon ami Jean d’Ormesson je ne sais toujours pas, même si je l’admets —, le pape en est le représentant sur Terre. Or si Dieu a créé la Terre et ses merveilles, le pape doit avoir une certaine représentation.

    L'esprit “de gauche”de Vatican II a entraîné une décrue dommageable du sacré et de sa représentation.

    Cette rupture avec “l’allure” dont vous parlez, à qui ou quoi l’attribuez-vous ?


    En grande partie à Vatican II, évoqué ci-dessus pour le changement de liturgie, bien sûr, dont l’esprit “de gauche”, si l’on peut utiliser de terme, a entraîné une décrue dommageable du sacré et de sa représentation.

    Vous avez écrit un livre inachevé, La Miséricorde. À la fin, vous expliquez avoir décidé de ne pas finir ce livre. Pourquoi ce choix ?


    Ce livre était un inédit que j’ai proposé à mon éditeur qui me sollicitait. Et puis le public s’y est intéressé, au point qu’il a été traduit dans plusieurs pays, notamment en Pologne, où il fait un tabac. Ils sont catholiques, les Polonais ! Ils sont nationaux, ils aiment leurs frontières ! Le livre va donc ressortir en français. En revanche, je le laisserai inachevé. Et je ne vous dirai pas pourquoi j’ai décidé qu’il en soit ainsi : c’est trop personnel.

    Mais on sent qu’il a cheminé en vous depuis le début…


    C’est vrai. Je pense que c’est un livre qui me représente très bien. Je n’irai pas au-delà pour les confessions. Je n’apprécie pas beaucoup les écrivains confessionnels, ceux qui parlent d’eux, qui racontent leur vie… Je le fais très rarement. Là, c’est une exception. Et encore n’est-ce pas moi le narrateur… Mais, je vous l’ai dit, il restera inachevé.

    Lors de leurs allocutions et discours, les présidents de la République concluent par le traditionnel “Vive la République, et vive la France !”, comme si les deux étaient indissociables. Qu’en pensez-vous ?


    Il faudrait évidemment se contenter de “Vive la France !” La France, ce n’est pas la république. Et la république, ce n’est pas la France. C’est un système de gouvernement. Rien de plus. Moi je souhaiterais le retour à la féodalité. C’était formidable, la féodalité ! On avait quelqu’un au-dessus et au-dessous de soi. Et l’on se protégeait les uns les autres.

    Avez-vous déjà voté ?

    Voté ? Jamais. Imaginez-vous un royaliste voter pour le président de la République ? En revanche, je vote à Paris pour les municipales. En espérant, la prochaine fois, que soit mis un terme au mandat d’Anne Hidalgo…

    Imaginez-vous un royaliste voter pour le président de la République ?

    Un mot sur

  • Navigation sélective sur le Net : échos des Blogs, des Pages Facebook, et d'ailleurs...

     capture d'ecran blog.jpg

     

     1. Sur les Blogs, sur Facebook ou  ailleurs... :  

     

    1. Affaire Taubira : de Jean-Pierre Le Goff, "Nous assistons à l'autodestruction de la politique : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/03/14/31001-20140314ARTFIG00411-jean-pierre-le-goff-nous-assistons-a-l-autodestruction-de-la-politique.php

    2. Zemmour (Le Figaro Magazine) : Depuis la fin de l'URSS, les Américains poursuivent la même politique pour enfermer la Russie" : Scan.pdf

    3. Aymeric Chauprade : "L'Ukraine, pivot de l'union de toutes les Russies" : Scan.pdf

    4. Sur le Blog de Jean-Dominique Merchet : Un "djihadistan" se crée au nord-est de la Syrie : http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/jean-pierre-filiu-djihadistan-se-cree-dans-nord-est-syrie-10378

    5. De Franck Ferrand : "Être républicain, qu'est-ce que ça veut dire ?" : http://www.lefigaro.fr/vox/histoire/2014/03/20/31005-20140320ARTFIG00138-etre-republicain-qu-est-ce-que-ca-veut-dire.php

    6. Sur François Hollande, un "billet" de Suisse : HOLLANDE VU PAR LA SUISSE.jpg

  • La loi, nos lois, c'est seulement si ”ils” ou ”elles” veulent; et seulement quand ”ils” ou ”elles” veulent......

            A vrai dire, il y a belle lurette qu'on le sait très bien, et on en a déjà eu de multiples exemples.

            Mais, là, Laurence Loison, dans Le Progrès semble surprise, et ne pas en revenir. En tout cas, cela l'a assez interpellée quelque part pour qu'elle en parle :

            http://www.leprogres.fr/rhone/2011/09/28/vaulx-en-velin-des-jets-de-pierre-contre-le-controle-d-une-femme-voilee

    niqab.jpg

    Les provocations publiques, ayant abouti à des PV, on ne les compte déjà plus; alors que les musulmans intégristes/provocateurs sont encore minoritaires. Qu'est-ce que ce serait s'ils prenaient plus d'importance ? (ou : qu'est-ce que ce sera quand... )

    P.S : le jeudi 8 décembre, Le Nouvel Observateur (qui ne fait pas état des nombreuses injures racistes à l'encontre des policiers, et qui - donc - minimise les faits (on est Le Nouvel Obs et pro immigrationnnsite ou on ne l'est pas...) rapporte le fait suivant :

    http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20111208.FAP8838/deux-policiers-blesses-et-deux-personnes-placees-en-garde-a-vue-apres-le-controle-d-une-femme-voilee-a-evry.html

  • Bijoutier de Nice : le dilemme des Français : ”laisser faire” ou pas ?...

     ( http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/09/11/un-braqueur-tue-par-un-bijoutier-a-nice_3475481_3224.html )

    BIJOUTIER D ENICE.jpgOn ne fait pas justice soi-même, c'est une affaire entendue, et tout le monde est d'accord là-dessus : sinon, la société deviendrait une jungle et, précisément, ne serait plus une "Société".

    Mais, parallèllement, comment ne pas voir que le Système n'assume plus le devoir premier de tout Etat qui se respecte : à savoir, assurer la sécurité des biens et des personnes.

    Il fut un temps, naguère, où banditisme et/ou grand banditisme sévissaient soit à des heures tardives, soit dans des quartiers chauds, où les gens "de vie régulière" n'allaient pas, soit dans des lieux retirés, propices aux règlements de comptes, bref, obéissaient malgré tout à certains "codes"...

    Maintenant, deux malfrats prêts à tout - c'est-à-dire prêts à tuer - braquent un bijoutier à neuf heures du matin, en plein centre-ville, en pleine foule - si l'on peut dire - et quand les rues sont pleines, à l'heure où des enfants vont encore à l'école, les ménagères au marché, les gens au travail : comment ignorer cette dérive, et le ras-le-bol que cela provoque ? Le bijoutier, qui a réagi - même si la "réaction" peut se discuter - est en prison : il est évidemment plus facile de le mettre, lui, derrière les barreaux que d'aller - à Nice et ailleurs, partout en France - dans les Cités, pour mettre fin aux trafics en tous genres (drogue, armes etc...) et autres activités terroristes liées au "djihadisme"...

    Récemment, à Marignane, c'est Jacques Blondel qui en a eu assez, et n'a plus supporté; là, c'est le bijoutier qui a tué un des deux voyous. Un journaliste d' i-télé - ce jeudi, à 17h15 - a perdu une bonne occasion de se taire en condamnant cet acte, au motif que "quelques bijoux" ne valaient pas une vie humaine. En théorie pure, il a raison. Mais la vie est-elle une théorie pure ? Surtout ce que devient "la vie" pour les simples citoyens qui n'appartiennent pas aux castes protégées...

    Caveant consules ! disait-on, dans la Rome antique. Qu'ils prennent garde, les consuls ! Les gens étant excédés, la colère, l'irritation, l'exaspération montent, montent, montent. Un jour, elles submergeront tout : il y a peu, déjà - dans un autre domaine, il est vrai - à Marseille, des habitants des quartiers nords (dont de nombreux maghrébins), ont "viré", "manu militari", des Roms d'un squat qu'ils avaient implanté; ailleurs, peu de temps après, un autre squat Rom a brûlé; pour l'instant, pas de morts.

    Mais qu'on ne se fasse aucune illusion : la confiance dans "les autorités" se perd, et, bonne ou mauvaise, la tentation de se défendre soi-même, puisque l'Etat ne le fait plus, gagne du terrain. Il ne s'agit pas - il ne s'agit plus - de porter un jugement de valeur, et de dire que c'est mal, comme l'a fait le journaliste militant d' i-télé (d'un "bord" politique facile à deviner...) , mais de constater un fait.

    Et ce fait est un très mauvais signe pour le Système, car l'explosion exponentielle des actes de violence, frappant n'importe qui, n'importe où et à n'importe quel moment, devient un sujet de préoccupation majeur chez nos concitoyens, à côté et en plus du chômage, de la pauvreté, de la pression fiscale et du reste... Du mécontentement à l'exaspération, et de l'exaspération à l'explosion, le chemin n'est pas bien long.

    C'est un autre aspect de l'échec patent du Système, dans tous les domaines, en tout et partout. La "crise" est bien loin d'être simplement économique... 

  • Carte Scolaire : pour la suppression...

    Elle est peut-être le plus bel exemple de l'irréalisme technocratique et de l'éloignement des réalités: on voit bien que, dans les faits, la Carte Scolaire limite, en la restreignant, l'égalité des chances qu'elle prétend instaurer, et qu'elle perpétue, en les amplifiant, les inégalités qu'elle prétend combattre. Pourtant on la subit depuis des années, et elle n'est toujours pas purement et simplement supprimée. Or, selon nous, cette suppression s'impose, et cela pour au moins deux raisons: la première est une raison de fond; la république devrait cesser de raisonner et d'agir presque exclusivement en termes d'obligation et d'interdiction; on écrit "Liberté" au fronton des monuments - et des écoles - mais dans les faits on ne cesse de légiférer sur tout (surtout légiférer? voyez Chirac, champion incontesté toutes catégories, avec ses incessants recours à la Loi et ses incessantes modifications à la Constitution, finalement grotesques vu leur nombre....

    Au train où vont les choses, et si on n'y met pas le holà, la république nous aura bientôt concocté une société où, de toutes façons, l'esprit critique, les moeurs, la vertu, plus rien n'aura d'importance puisque tout ce qui ne sera pas interdit sera obligatoire, et réciproquement! Le choix n'aura même plus à s'exercer, entre les 50% de choses obligatoires et les 50% de choses interdites! C'est encore de la science fiction et de la polémique, un rien excessive, convenons en: il n'en demeure pas moins que la tendance est là, et qu'elle ne cesse de se renforcer; le danger existe bel et bien; mieux vaut donc le signaler "avant"...

    Pour en revenir à l'école, voici la deuxième raison pour laquelle il faut selon nous supprimer la Carte Scolaire (en fait elle découle logiquement de la première...): imaginons une famille s'apprêtant à scolariser un ou plusieurs enfants; si le collège ou le lycée "de secteur", actuellement obligatoire -sauf dérogation-, ne convient pas à cette famille, et ce quelle qu'en soit la raison, on ne lui demandera pas son avis et elle sera contrainte d'y scolariser sa progéniture; les plus malins peuvent  jouer bien sûr du "piston", toujours bien vivant, ou  des "astuces" qui permettent de "tricher légalement", la plus connue étant le choix des options: il suffit que votre enfant demande à étudier le Chinois ou le Farsi pour qu'il échappe à son établissement de secteur...; tout cela est très hypocrite et, finalement, très néfaste pour le système éducatif: en effet, tout a toujours besoin d'être évalué sans cesse, pour pouvoir justement être amélioré; or les premiers et les meilleurs évaluateurs du système scolaire, ce sont les parents car, dès qu'il s'agit de leurs enfants -et c'est d'ailleurs tout à fait normal, c'est bien compréhensible et c'est très heureux...- l'idéologie n'a plus sa place et on ne peut pas leur raconter de sornettes: ils ne croient que ce qu'ils voient! en réalité, si l'on veut une saine émulation entre les établissements, et si l'on veut que le système repose sur de bonnes bases, il faut justement laisser aux parents le choix de l'établissement: c'est la seule manière efficace et infaillible de faire apparaître les problèmes éventuels, ce qui permettra ensuite de les résoudre.

    Aujourd'hui on fait l'inverse: on assure à tout établissement un public "captif", et ce quoi que fasse ou ne fasse pas cet établissement, quels que soient ses lacunes et ses défauts, même s'il fonctionne mal, même s'il ne remplit pas sa fonction: c'est la prime à l'irresponsabilité et au laisser-aller! Alors que si les parents étaient libres de leur choix, on verrait très vite quels sont les établissements désertés, on pourrait aisément en déceler les causes, et donc y porter remède: qu'il s'agisse de délinquance, de moyens matériels insuffisants, de manque de formation des personnels, d'inadaptation des locaux ou de tout autre motif....; nos idéologues du Ministère de l'Education, déconnectés du réel, en ont décidé autrement et imposent depuis bien longtemps -trop longtemps!- leurs théories fumeuses et leurs logiques abstraites; forcément, ils ont le le mode d'emploi, et peuvent donc aisément passer à travers! : il suffit de voir dans quels types d'établissements vont les enfants de la classe politique et des personnels de l'Education...

  • De l'indignation - légitime - de Marine Le Pen à ce qui ”souille” vraiment la ”démocratie” (et la république...)...

            Mardi soir, 6 décembre, la présidente du Front national a dénoncé les "milices de gauche" qui l'ont empêchée un peu plus tôt d'entrer à l'université Paris-Dauphine où elle devait participer à un débat.
     
            "Va-t-on, oui ou non, me laisser faire campagne ? … Est-ce que le pouvoir va laisser ces milices de gauche faire la loi dans notre pays? Est-ce que le pouvoir va laisser ces milices de gauche brutaliser des étudiants, empêcher une candidate à la présidentielle de venir s'exprimer dans le cadre d'un débat républicain et démocratique?" 

            Marine Le Pen a mis en cause le MJS (jeunes PS), l'UEJF (étudiants juifs de France), l'Unef (syndicat étudiant de gauche) et le NPA. "Je demande aux responsables de gauche, y compris au candidat à la présidentielle (du PS), M. (François) Hollande, de condamner formellement et solennellement ces violences et ces procédés qui sont inadmissibles dans un pays démocratique tel que la France… J'attends de la classe politique la même condamnation, aussi ferme et aussi solennelle qu'elle serait intervenue si jamais c'étaient des jeunes du FN.... 

            http://www.franceinfo.fr/politique-etudiants/obligee-d-annuler-son-passage-a-paris-dauphine-marine-le-pen-demande-la-dissolution-de-l-unef-465517-2011--7

            Marine Le Pen a raison, comme aurait raison un Mélenchon ou tout autre homme (ou femme) politique qui aurait vu une de ses prises de parole programmée empêchée par des militants du Front National, ou de toute autre organisation. L''UNEF, le MJS, le NPA, l'UEJF... sont en tort, c'est l'évidence.

             Marine Le Pen a raison de dénoncer le coup de force d'organisations qui s'octroient des pouvoirs exorbitants et, de fait, parfaitement anti-démocratiques, ne reculant en celà devant aucune contradiction, elles qui se proclament "démocrates" ! 

             Mais Marine Le Pen, "bonne républicaine", comme son père, n'aspire qu'à entrer dans le jeu du Système et dans celui du Pays légal. Elle dit (on l'entend à la fin de sa harangue, sur France info) que l'attitude des groupes qui l'ont empêchée de s'exprimer "souille la démocratie".

            Or, nous l'avons souvent dit ici, nous ne sommes, en France, ni en république ni en démocratie, mais dans une République idéologique, qui parle au nom d'une démocratie elle aussi idéologique. Ce qui est tout à fait autre chose. 

            Et Marine Le Pen pense qu'il suffit de changer les hommes - ou les femmes - en charge des afffaires pour que tout change. Notre originalité est de dire que, pour que tout change, il faut que ce soit de Système que l'on change, et pas simplement de personnel politique.

            Là où Marine Le Pen se contente de vouloir "remettre en ordre", nous pensons - pour reprendre l'heureuse expression de Bernard Lhôte (1) - que, pour "remettre en ordre", il faut d'abord "remetttre en cause"..... Et que ce qui "souille", au fond, la démocratie, c'est la démocratie idéologique de notre actuel Système; que ce qui souille, au fond, la république, c'est la république idéologique.....

    (2) : Lorsque nous préparions le Manifeste de Montmajour, c'est Bernard Lhôte qui, après avoir pris connaissance de ce texte, après y y avoir réfléchi, nous a livré ses réflexions, judicieuses et pertinentes. Notamment celle-ci (reprise et publiée dans la presse en 1971) : L'Action Française joue et gagne sur les deux tableaux "celui de la remise en cause et celui de la remise en ordre".

  • Pour leur dialogue sur l'Islam : prix orange à Rémy Brague, prix citron au Père Christian Delorme

              Rémy Brague et Christian Delorme ont brague,delorme,islam,allah,dieu,chrétiens,christianisme,islamismemené un débat courtois et fort intéressant, sans concession, sur l'Islam (1). On pourrait écrire de ce débat qu'il fut un dialogue entre celui qui voit l'Islam tel qu'il est - Rémy Brague - et celui qui voit l'Islam tel qu'il croit qu'il est; ou, tel qu'il aimerait qu'il soit.....

            Le Père Delorme déclare "La majorité des musulmans, particulièrement en France, sont ouverts à la vie et à la paix" : malheureusement, s'il est vrai qu'on entend quelquefois à la radio ou à la télé tel ou tel musulman "ouvert", on entend - et on voit... - infiniment plus souvent le contraire.... On regrettera également que pas une seul fois le Père Delorme n'ait fait allusion aux meurtres de chrétiens en terre d'Islam ni aux conditions de vie épouvantables qui sont les leurs : on tue un chrétien sur terre toutes les cinq minutes, il est vrai que c'est parfois dans d'autres pays persécuteurs (Chine, pays d'hindouisme...) mais, enfin, dans la plupart des cas, ces meurtres sont commis en terres d'Islam, et par des musulmans quasiment jamais punis....

            Autre chose : de nombreuses personnes se réjouissaient, au printemps, de la liberté retrouvée (!) en Tunisie, puis, en Egypte, en Libye : or, le gouvernement issu des élections en Tunisie a décidé d'appliquer la charia, et - ce qui pour nous compte plus encore - 45% des électeurs tunisiens résidant en France ont voté pour le parti qui a fait adopter cette charia. On veut bien être "ouvert" mais, justement, ayons les yeux ouverts, et soyons vraiment "ouverts", d'abord et avant tout aux faits, aux réalités !.....

            Rémy Brague a bien souligné la différence d'approche de Dieu dans le christianisme et dans l'Islam : pour celui-ci, Dieu n'est "ni Père ni Alliance". Un point d'acccord entre les deux interlocuteurs : aucun dialogue théologique n'est possible avec l'Islam. Dans le cadre de la Semaine islamo-chrétienne qui s'est tenue à Strasbourg, le président de brague,delorme,islam,allah,dieu,chrétiens,christianisme,islamismel'Association des imams de France, Ahamad Miktar - de Villeneuve d'Asq -a déclaré : "Le terme théologie est interdit en Islam : discuter avec Dieu, impossible !"

             Dans ces conditions, dire, comme le fait le Père Delorme "Nous ne disons pas la même chose, mais nous cherchons tous le même Dieu", n'est-ce pas un peu facile ?....     

           Voici deux extraits significatifs de la démonstration de Rémy Brague :

    * "...il faut se mettre dans la tête que, pour un musulman, l'auteur du Coran c'est Dieu lui-même. Dès lors, les musulmans ne peuvent avoir que des difficultés avec tout autre système de normes, qu'ils soient politique, familial ou éthique, qui ne se fonderait pas sur cette révélation et pourrait même la contredire..."

    * "C'est toute la législation islamique qui est incompatible avec le système juridique français. Pourquoi ? En France, le législateur, en dernière analyse, c'est le peuple souverain. Pour l'Islam, le seul législateur, c'est Dieu. Donc, si un musulman prend au sérieux l'origine divine du Coran et voit dans le prophète "le bel exemple" - ce qui est le double fondement de la foi islamique - il aura du mal à accepter un système juridique dans lequel certaines dispositions vont à l'encontre de ce qu'il croit être la volonté de Dieu. Prenons l'exemple de l'Iran que vous évoquez, mon Père. Il y a quelques années, le gouvernement iranien a voulu fixer l'âge minimum au mariage à 13 ans. Sur quoi le conseil des mollahs - l'autorité religieuse - a dit : "Le prophète ayant consommé son mariage avec Aïcha lorsqu'elle avait neuf ans, vous ne pouvez empêcher ce que le prophète a autorisé". Et le projet de loi est tombé à l'eau...."

              Retour aux premières lignes de cette réflexion : on a eu là un dialogue entre celui qui voit l'Islam tel qu'il est et celui qui voit l'Islam tel qu'l voudrait qu'il soit.....

    (1) : Dans Le Pélerin du 15 décembre 2011 (n° 6733),