Sur le blog de Michel Onfray : le loup et les chiens.
BFMTV consacre un reportage au professeur Raoult sous le titre «L’intriguant Monsieur Raoult». Dans la journée, pour annoncer la diffusion du reportage sur leurs ondes, on peut voir un panel d’intervenants auto-filmés (leurs cadrages mettent à l’honneur leurs plafonds défraîchis, leurs bibliothèques étiques, leurs luminaires poussiéreux, ainsi que d’horribles décorations d’intérieur…), ce panel commente ce qui s’annonce déjà comme un réquisitoire.
Parmi ces invités, un certain Monsieur Courage – un pseudo probablement… Ce jeune et petit monsieur est rédacteur en chef de L’Obs – L’Observateur pas L’Obstétricien. En substance, voici son propos: «Raoult est un homme de droite, il cite en permanence le général de Gaulle. Que peut-on bien attendre de scientifique de la part d’un type de droite?». En Union Soviétique, cet homme eut fait une belle carrière.
Le venin n’est pas forcément dans la queue comme le dit l’adage latin, il peut aussi se trouver dans la tête, l’endroit par où le poisson commence à pourrir. Ce qui se trouve exprimé dans ce titre est simple et joue, en même temps, on sait que c’est la méthode de la chaîne, sur le double sens du mot. Car, un intriguant, c’est tout aussi bien un personnage qui interpelle par ce qu’il est ou fait, que quelqu’un qui manipule en douce.
En portant deux alliances elle aussi, BFMTV peut jouer sur l’effet du en même temps: en quoi le professeur Raoult intrigue-t-il? Pour les journalises, hélas, c’est souvent pour son physique – pourquoi cette barbe? Pourquoi ces cheveux longs? Pourquoi cette bague à tête de mort? Pourquoi des portraits de lui dans son bureau? Il ne vient jamais à l’idée de ces journalistes qu’ils arborent souvent la barbe de trois jours du bobo, la mèche soigneusement rebelle mais savamment calmée par la laque, et le tatouage pseudo-maori sur les bras et qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’en faire un sujet de remarques, de discussions ou de débats! Dans cette émission, un témoin qui n’est pas à charge donne la réponse qu’il apporte à ses amis qui lui demandent pourquoi ce look: «Pour les emmerder»…
Qui les? Les gens du système, les puissants, les sachants, les dominants, les installés, les culs-de-plomb, les bien nourris, les bourgeois, les ministres, les présidents, les décorés, sans oublier les journalistes.
Il intrigue, donc, mais il est également intriguant. Il est drôle que ce reproche vienne de gens qui, souvent, ont intrigué au sens péjoratif et qui, avec force lèche et promotion canapé, beaucoup d’hypocrisie et de fourberie, quantité de courtisanerie et de piston, de tartuferie et de pharisaïsme, ont obtenu pour un seul, eux, le pouvoir que dix mille convoitaient! Car, faute de compétences souvent très visibles à l’écran, pas même palliées par l’oreillette (l’intelligence des gens sans intelligence), il faut bien qu’on s’interroge: comment tel ou telle nullité a-t-il ou elle pu se trouver là avec aussi peu de qualités professionnelles? Je ne vise personne en particulier, sûrement pas Apolline de Malherbe qui, dans les couloirs d’après émission, me dit que j’ai raison de penser ainsi, après m’avoir dit sur le plateau que j’avais tort, mais une liste est possible…
Je n’imagine pas une seconde que les concepteurs de ce publireportage destiné à déprécier le produit aient regardé le Littré pour savoir ce que signifiait le mot qu’ils utilisaient dans ce titre. Ils y auraient lu ceci: «Les intrigants, nom par lequel les jacobins désignaient les girondins» – autrement dit: insulte parisienne avec laquelle, dans la Capitale, Robespierre et les siens traitaient les provinciaux qu’étaient les Girondins avant de les envoyer tous à la guillotine.
Ce portrait télévisé est une guillotine médiatique.
Il commence en effet avec une thèse simpliste – une bonne thèse comme on les enseigne dans les écoles de journalisme. Didier Raoult, c’est le gilet jaune du monde médical. Dans l’un de ses articles de L’Obs, le Courage n’a-t-il pas titré Le professeur Raoult est-il le général de Gaulle du coronavirus? avec assez d’ironie, sinon de mépris, du moins de perfidie, pour qu’on imagine que non. On suppute que le garçon eut aimé qu’il en fût l’Emmanuel Macon, ce qui aurait transformé le Professeur en héros pour son journal!
Pour enfoncer le clou populicide d’un professeur Raoult épiphénomène des gilets jaunes, on voit dès les premières minutes des images d’éboueurs et de chauffeurs de taxi en cortège au pied de son institut. Ce défilé passe au pas lent des cortèges d’hommage du peuple à ses grands hommes. Ces camions poubelles et ses taxis qui klaxonnent m’ont ému jusqu’aux larmes. Il y a en France ceux que pareille scène émeut et ceux qu’elle fait éclater de rire. Rira bien qui rira le dernier…
Il y eut aussi des morceaux choisis de gilets-jaunes comme BHL et Castaner, Luc Ferry et Benjamin Griveaux, André-Comte Sponville et Macron les aiment! Le documentaliste est allé chercher les plus en phase avec la thèse du film: il les fallait tout droit sortis de chez les Tuche – dont d’aucuns estiment que ces abrutis de pauvres sont impensables à l’Elysée où l’on préfère depuis trente ans des abrutis de riches. Les premiers y mangent des frites bien grasses, les seconds du caviar républicain; les uns boivent de la bière, les autres des grands crus classés de Bordeaux.
La métaphore fut donc filée: le professeur Raoult, sommité mondiale reconnue comme telle par tous, y compris par ses adversaires ou ses ennemis, étaient donc un minus habens qui ne faisait l’unanimité que chez les éboueurs, les chauffeurs de taxi, les gilets jaunes et autres Tuche.
C’était donc probablement ces salauds de pauvres qu’on a vus filmés faisant la queue au pied de son Institut pour être dépistés, isolés, soignés – une tâche qui revenait à l’Etat dont le chef était au théâtre avec sa femme, nous disant que tout allait bien. L’Etat jacobin, donc Lui, clamait alors haut et clair: pas de confinement, pas de masques, pas de distanciation, pas de fermetures des frontières, pas de dépistages! Laissez entrer le renard dans le poulailler et tout se passera bien, parole de maastrichtien! Ce pouvoir ajoutait, via ses médias aux ordres, Le Monde en tête, le professeur Raoult est un charlatan, un chef de secte, un gourou tyrannique, un auteur de fake news! Deux mois plus tard, changement de pied, machine arrière, le chef de l’Etat énonce son nouveau cap, c’est l’inverse mais il affirme bien sûr que c’est le même: confinement obligatoire, masque pour tout le monde, frontières restaurées, fermeture des gares et des aéroports, distanciations sociales draconiennes, dépistages généralisés!
Le peuple ne veut pas obéir à des chefs qui le trompent – ou qui, par incompétence, le font errer ou s’exposer au danger. Pire: il ne veut pas non plus obéir à ceux qui, s’étant trompés, refusent de l’avouer et chargent un bouc émissaire – «les scientifiques» par exemple comme ce fut le cas dans la bouche du Premier ministre…
En revanche, ce même petit peuple vient au pied de l’Institut parce qu’il sait que, là, sans distinction de fortunes, de revenus, de salaires, de niveau social ou culturel, sans qu’on se soucie de sa religion, on ne lui demandera rien et on le soignera.
Cette file d’attente de gens simples et modestes qui attendent sagement leur tour est à mettre en relation avec cette autre information, donnée par le professeur Raoult dans ce documentaire – j’ai failli écrire: documenteur! Le producteur de film Raymond Blumenthal, à qui l’on doit l’information, a été hospitalisé pour un coronavirus à l’hôpital militaire de Percy. Il a été soigné par une certaine Agnès Buzyn à l’hydroxychloroquine, un traitement interdit par le gouvernement et présenté comme une substance vénéneuse en janvier dernier, par elle et sa bande… Décidément, voilà une femme bien!
Loin de ce Paris-là, ce petit peuple a choisi de faire confiance à qui disait clairement que le docteur Raoult avait un traitement efficace et bon marché pour un coronavirus, pourvu qu’il soit traité dans ses premiers temps. L’heure viendra où il faudra dire pour quelles raisons le chef de l’Etat qui prétend que nous sommes en guerre, n’a pas déclaré l’état d’exception sur ce sujet en donnant son autorisation pour que les médecins de la base, les praticiens du quotidien, prescrivent ce médicament et assurent le suivi afin d’éviter les effets secondaires connus – qui peut me donner le nom d’un seul médicament qui soit sans effet secondaire?
J’ouvre une parenthèse autobiographique pour dire que j’ai eu un infarctus un 30 novembre à Argentan, dans l’Orne où j’habitais. Mon médecin traitant (salut au Docteur Pierre Guibourg qui va vers ses cent ans et qui était un médecin à l’ancienne, cultivé et efficace, connu pour refuser des arrêts maladie de complaisance, mélomane incollable, passionné de littérature et doué d’un sens de l’humour de carabin…), a sollicité un hélicoptère pour un vol sanitaire au CHU de Caen à une soixantaine de kilomètres. La météo ne l’a pas permis. C’est alors qu’un jeune cardiologue (salut au professeur Eric Bonnefoy!) a proposé par téléphone l’injection d’un produit qui, à l’époque, n’avait pas encore obtenu tous les ausweis: il limitait les effets de la nécrose au risque d’une hémorragie difficile, voire impossible à contrôler. Il ne manquait que mon avis: j’ai dit oui – je ne le regrette pas. Ils m’ont sauvé la vie.
Notre époque, judiciarisée à mort sur le principe américain, a perdu le goût de l’initiative et de la prise de risque. Le fameux principe de précaution est un inhibiteur de l’action – il est à la prise de décision ce qu’est la prise de bromure à la libido.
Il se fait, cela n’aurait échappé à personne, surtout pas aux journalistes fan de look, que le professeur Raoult a tout du viking qui descend de son drakkar. Rien de l’homme qui fasse du principe de précaution l’impératif catégorique de son action: il n’est pas du genre à refuser de poser un garrot à quelqu’un qui perd son sang dans un accident de voiture sous prétexte que le mourant pourrait être allergique au caoutchouc…
Or, notre époque est submergée par les petits bras qui préfèrent éviter l’hypothèse de l’allergie, fut-ce au prix d’une mort certaine. L’accidenté de la route est mort du carambolage, certes, mais pas du garrot! La corporation est sauve, il n’y aura pas de procès des familles – ni de campagne de presse sur le principe des chiens lâchés…
Ceux qui, dans ce publireportage négatif, témoignent contre ont également pratiqué le principe de précaution: on ne les reconnaît pas. Courageux mais pas téméraires! Une vague vidéo, probablement un peu floutée, faite à l’iPhone par un étudiant anonyme qui filme ses semblables impossibles à reconnaître devant un écran où, en revanche, très lisibles, sont reproduits les textes orduriers et les photos du professeur. Une ancienne thésarde filmée en contre-jour, voix modifiées, sans nom, bien sûr, accable également le professeur dans la clarté obscure de son petit ressentiment.
Il est étonnant que les journalistes, si prompts à s’indigner contre la délation en temps normal, en fassent une méthode de travail! Car, que vaut le témoignage d’un anonyme sinon ce que vaut le propos d’un sycophante qui, sous pseudonyme, agonit le monde d’injures sur les réseaux asociaux?
Le témoignage anonyme s’explique quand on risque sa peau. Mais est-ce le cas pour une critique du professeur Raoult alors que c’est le sport national des médias jacobins du politiquement correct? Aurait-il derrière lui des groupes armés, une mafia méditerranéenne, des jeunes lourdement armés issus des territoires perdus de la République, pour envoyer par le fond, les pieds noyés dans le béton, quiconque aurait manqué à sa majesté?
Un seul apparaît à visage découvert. C’est le représentant de la CGT.
J’ouvre une parenthèse pour préciser que, le jour du 1er mai, un reportage m’a permis de voir un autre cégétiste poser devant son local syndical sur lequel avait été accrochée une banderole avec ce texte: «1er mai 2020: à bas le virus capitaliste (sic). Oui aux jours heureux! Augmentation des salaires, 32 heures, des droits et du travail pour tous. Démocratie, paix et solidarité entre les peuples, protection de la planète!!». Il manquait juste: petit déjeuner au lit servi tous les jours, même le dimanche, par le représentant local du MEDEF. Parenthèse fermée…
Donc: un seul apparaît à visage découvert, le représentant de la CGT. Evidemment, cette prise de parole est elle aussi à ranger dans la colonne des témoignages à charge… Son reproche est clair: le professeur Raoult décide tout seul sans prendre avis de la base… La riposte est simple: en matière de science, mieux vaut un savant qui trouve qu’un comité d’entreprise qui cherche! J’ajoute: mieux vaut un savant qui trouve beaucoup à un comité d’entreprise qui n’a jamais rien trouvé et ne trouvera jamais rien. Métastase de 1793, la France adore ceux qui cherchent sans jamais trouver et elle hait ceux qui trouvent après avoir cherché. Elle aimait Poulidor parce qu’il échouait; elle détestait Anquetil à cause de ses succès.
Oui Didier Raoult est un chef, bien sûr qu’il sait ce qu’il veut, il n’ignore pas où il va, il décide et prend des caps, il est maitre à bord – mais l’autogestion du radeau de la Méduse est une utopie; comme tous ceux qui agissent et parlent, il peut se tromper, seuls ceux qui n’agissent jamais et se taisent ne se trompent jamais, encore que; il avance et le vortex qu’il fait en passant peut envoyer au fossé les petites natures, les consistances légères, mais aussi, et ils sont nombreux, les ressentimenteux, les gorgés de passions tristes, les jaloux, les envieux. Ne jamais oublier cette phrase de Bernanos: «Les ratés ne vous rateront pas»...
Perfide, le reportage fait le compte des articles publiés sous le nom du professeur. Une addition et une soustraction plus tard, les journalistes ont des talents insoupçonnés, ils expliquent d’abord qu’il n’a pas pu les écrire, ensuite qu’il n’a même pas pu les lire. Pour leur crédibilité, on aimerait que ces gens-là soient aussi zélés quand il s’agit de livres d’auteurs dont le tribunal a clairement jugé qu’ils procédaient d’un plagiat. Avec une telle déontologie, on verrait voler quelques plumes germanopratines!
Mais, prudents, du bout des lèvres, le réalisateur explique que ce genre d’article scientifique est un collectif et qu’il est souvent signé par le patron. Ah bon, tout de même… Ce qui ne l’empêche pas d’inviter malgré tout au soupçon, le journaliste se protège… Oui, c’est ainsi que les choses fonctionnent car si les noms propres de chacun signaient les articles issus d’un travail collectif ils seraient perdus dans la masse, donc invisibles, impossibles à repérer, ce qui serait fatal dans un monde où les crédits et les subventions sont obtenus grâce au bruit quantitatif effectué dans les revues.
Assimilable aux Gilets Jaunes, soutenu par des videurs de poubelles et des chauffeurs de taxis, le cheveu exagérément long et la barbe trop fleurie, la bague tête de mort superfétatoire, accablé par des dénonciateurs anonymes, suspecté d’exploiter et de spolier une armée d’assistants à l’écriture (on n’a plus le droit de dire nègre comme ne nous l’interdit pourtant pas le Petit Larousse), le réalisateur n’a pas trouvé plus ou mieux pour son ball-trap.
Je conclus.
Il y a peu, Reporters sans frontières publiait son Classement mondial de la liberté de la presse. Le dernier pays, le 188 ème, est la Corée du Nord; le premier, la Norvège. Où se trouve donc la France?
La journaliste de France Info, la chaîne sur laquelle j’apprends la nouvelle, tape à bras raccourcis sur la méchante Chine, sur l’Iran pas gentil, sur la Hongrie populiste. Très bien. Une rapide soustraction, il reste 185 pays à juger. On n’en saura pas plus. Et sur la France? Encore moins… Il me faudra bien me rendre à l’évidence, sur une chaîne publique, donc payée par l’argent du contribuable, quand on rend compte de cette information majeure qu’est l’état de la presse dans le monde, on oublie de parler de la France!
Je suis donc allé chercher l’information moi-même. La voici, on comprend qu’elle soit passée sous silence: la France arrive cette année en 34ème position. L’an dernier elle était 32ème. Sous Macron, elle se trouve donc rétrogradée de deux points. Avant elle, on trouve par exemple le Ghana et la Namibie…
Si l’on se demande pourquoi cette chute, Reporter sans frontières nous donne des explications. Dont celle-ci: «L’indépendance éditoriale des médias n’est pas assez assurée pour des raisons de détention capitalistique, de conflits d’intérêts qui sont plus grands qu’ailleurs, les groupes de médias étant de plus en plus détenus par des gens qui ont des intérêts extérieurs et peuvent, le cas échéant, utiliser ces médias dans une logique d'influence.»
On ignore si ces intérêts sont ceux de l’industrie du médicament. Mais voilà un bon prochain sujet pour un réalisateur de BFMTV. A moins qu’il préfère un reportage sur Agnès Buzyn et son mari. J’ai le titre: «L’intrigante Madame Buzyn». Si c’était bien fait, la France pourrait peut-être passer à la 31ème place l’an prochain?
Michel Onfray