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Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Pour ne jamais oublier : 1er Août et 1er Octobre 1793 : Brève évocation du génocide vendéen (1/2). Ou : le Système en ac

              Voir notre Album Totalitarisme ou Résistance ? Vendée, "Guerres de Géants"... , et plus particulièrement les documents de la partie 2 : "...et pour la liberté de l'homme intérieur". pour plus de "détails" (!) sur les atrocités commises en Vendée, notamment l'Oradour 150 ans avant Oradour que fut la monstruosité des Lucs-sur-Boulogne...

     

    lzare.JPG1er Août 1793 : jour funeste ! Devoir d’oubli ou devoir de Mémoire ?....

              Franchement, on préférerait parler d’autre(s) chose(s)…. Et ce n’est bien sûr certainement pas par une espèce de fascination morbide, malsaine, pour cette page noire de notre Histoire que nous revenons là-dessus. Nous préférerions vraiment la tourner définitivement, cette page, et qu’elle reste enfouie dans un oubli total dont, vu sa laideur, nul ne viendrait la tirer.....

              Oui mais voilà : avec cinq autres dates (1) de la même année 1793, cette date funeste du 1er Août fonde le régime qui nous gouverne aujourd’hui.  Elle est l’une de celles qui sont à la base de ce système dont  parle Boutang  lorqu’il évoque cette « désolante pourriture » d’une société qui « n’a que des banques pour cathédrales »  et dont il n’y a au sens propre « rien à conserver »

              Nous sommes donc bien obligés de remonter à la source – aux sources… -, à l’origine de ces maux que nous combattons aujourd’hui, si nous voulons re-fonder en permanence notre Royalisme et notre opposition au Régime républicain idéologique

    Car pourquoi continuer à s’opposer, deux siècles après qu’elle ait eu lieu, à une Révolution qui s’est passée si loin de nous maintenant ? Si ce n’est parce que nous ne pouvons toujours pas accepter – et nous ne le pourrons jamais - ses bases et ses fondements qui s’appellent Totalitarisme, Génocide et, dans un domaine un peu différent, état d’esprit haineux et xénophobe ("l'Autrichienne", "...Qu'un sang impur...") préfigurant l’une des sources du Racisme moderne ?

    (1) : 1. 21 Janvier 1793 : assassinat de Louis XVI, acte fondateur des Totalitarismes modernes.

            2. 1er Août 1793 : première loi de Carnot organisant le Génocide Vendéen, premier Génocide  des Temps modernes.

           3. 1er Octobre 1793: deuxième loi de Carnot....

           4. 16 Octobre 1793 : assassinat de Marie-Antoinette ; on trouve dans les torrents de haine et d’hystérie planifiés et orchestrés contre «  l’Autrichienne » une xénophobie exacerbée qui peut être considéréee comme l’une des sources lointaines du Racisme moderne.

           5. A ces quatre dates doit être ajoutée celle du 3 juillet 1793, le début de la terrifiante descente aux enfers du petit Dauphin, Louis-Charles duc de Normandie, âgé à ce jour de huit ans et quatre mois. Arraché à sa mère, il va être lentement et méthodiquement détruit, son massacre prenant la forme d'un long et douloureux enfermement, au secret dans une chambre obscure, sans hygiène, sans soins et sans visites, souffrant de gale et de tuberculose; pour ne s'achever que le 8 juin 1795: il a alors 10 ans et trois mois. Le message est très clair: plus rien ne "tient" devant l'Etat, plus rien n'est sacré, plus rien n'est au-dessus de la folie des hommes, pas même l'évidente innocence d'un petit enfant, par définition -pourrait on dire- forcément exempt de tout crime: et c'est bien le Totalitarisme.....

              Nous l’avons dit et écrit plusieurs fois (à propos de l’Espagne entre autre…). Il faut savoir oublier. Mais ce devoir d’oubli n’est pas un devoir d’amnésie. S’il faut bien sûr savoir tourner les pages, il faut aussi rester lucides, et connaître bien l’origine de nos maux; savoir d’où ils viennent; où, quand et comment ils ont commencé. Conçu ainsi, le devoir d’oubli ne s’oppose pas au devoir de Mémoire. Maurras ne disait-il pas qu’il fallait s’accommoder de la Révolution-fait mais se dépêtrer de la Révolution-Idée ?

              Voilà pourquoi cinq fois par an, à chacun de ces cinq jours de si triste anniversaire, nous ne pourrons faire autrement que d’évoquer, à côté de l’actualité du jour, cette sorte d’actualité intemporelle, qui ne passe pas, qui nous gouverne encore aujourd’hui, et dont nous subissons encore aujourd’hui les effets néfastes, désastreux et destructeurs. La Révolution-fait est achevée depuis bien longtemps; mais la Révolution-Idée est malheureusement toujours à l’œuvre en France. Dénoncer ses fondements, ses bases mêmes, est le service le plus urgent, le service premier qu’il convient de rendre à la France, à côté des autres et en parallèle avec eux, si l’on veut œuvrer pleinement et sérieusement, et d’une façon essentielle, à ce combat de simple survie de notre Nation qu’évoquait Jacques Bainville lorsqu’il disait : « Pour des Renaissances il est encore de la foi »….. 

    carrier.JPG

    Les noyades de Nantes, organisées par Carrier :

    "Le nombre des brigands est incalculable... La guillotine étant trop lente, et attendu qu'on dépense de la poudre et des balles en les fusillant, on a pris le parti d'en mettre un certain nombre dans de grands bateaux, de les conduire au milieu de la rivière, et là, on coule le bateau à fond. Cette opération se fait continuellement..."

     

              La définition du Génocide selon le Petit Robert est la suivante: "destruction méthodique d'un groupe ethnique, et par extension : extermination d'un groupe important de personnes en peu de temps".

              Cette définition correspond parfaitement aux actions menées par la Convention à partir du premier août 1793. A ceux qui ne manqueront pas de rétorquer que la population de la Vendée militaire ne constituait pas à proprement parler un groupe ethnique, signalons que l'adjudant général Hector Legros considérait que "le pays que nous appelons Vendée est formé de la presque totalité de la Vendée, de la moitié des Deux Sèvres et de Maine et Loire et d'une grande partie de la Loire Inférieure".

              Deux lois furent préparées par Lazare Carnot et votées par la Convention en préparation du Génocide Vendéen: celle du 1er Août 1793 (que nous signalons aujourd'hui) :

    « Anéantissement de tous les biens…la Vendée doit être un cimetière national... »

    et celle du 1er Octobre 1793 (sur laquelle nous reviendrons ce jour-là) :

    « Extermination totale des habitants… »

    révolution,république,totalitarisme,génocide,génocide vendéen,vendée,lazare carnot          Le point de départ du génocide est le décret du 1er août 1793 voté sur proposition de Barrère de Vieuzac (ci-contre), après un discours incendiaire:

             "...ici, le Comité, d'après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs forêts, à couper leur récoltes et à les combattre autant par des ouvriers et des pionniers que par des soldats. C'est dans les plaies gangreneuses que la médecine porte le fer et le feu, c'est à Mortagne, à Cholet, à Chemillé que la médecine politique doit employer les mêmes moyens et les mêmes remèdes.

             L'humanité ne se plaindra pas; les vieillards, les femmes et les enfants seront traités avec les égards exigés par la nature. L'humanité ne se plaindra pas; c'est faire son bien que d'extirper le mal; c'est être bienfaisant pour la patrie que de punir les rebelles. Qui pourrait demander grâce pour des parricides. ...

              Nous vous proposons de décréter les mesures que le comité a prises contre les rebelles de la Vendée; et c'est ainsi que l'autorité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires portera l'effroi dans les repaires de brigands et dans les demeures des royalistes..."

              Le décret du premier août 1793 relatif aux mesures à prendre contre les rebelles de la Vendée stipulait dans son article 1er que "Le ministre de la guerre donnera sur le champ les ordres nécessaires pour que la garnison de Mayence soit transportée en poste dans la Vendée

               En voici quelques "articles" :

    -Article VI : "il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts".

    -Article VII : "les forêts seront abattues; les repaires des repaires des rebelles seront détruits; les récoltes seront coupées par les compagnies d'ouvriers, pour être portées sur les derrières de l'armée et les bestiaux seront saisis."

    -Article VIII : "les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l'intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l'humanité."

    -Article XIV : "les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la république; il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens qui seront demeurés fidèles à la patrie, des pertes qu'ils auraient souffertes".

              Ce décret, malgré une déclaration de bonne conduite ("avec tous les égards dus à l'humanité"), était un véritable appel au meurtre, au vol institutionnalisé et à la déportation des non combattants, ce que l'on pourrait qualifier de nos jours d'épuration ethnique. 

    (à suivre: voir la note du 1er Octobre).

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    Charnier vendéen...

     

    Le 29 janvier 1881 suite à l’interdiction de la pièce Thermidor de Victorien Sardou, jugée « antirépublicaine », Georges Clemenceau répond à Joseph Reinach :

    « "J'approuve tout de la Révolution : j'approuve les massacres de septembre où, pour s'éclairer, la nuit venue, les travailleurs plantaient des chandelles dans les yeux des morts. J'approuve les noyades de Nantes, les mariages républicains où les vierges accouplées à des hommes, par une imagination néronienne, avant d'être jetées dans la Loire, avaient à la fois l'angoisse de la mort et la souffrance de la pudeur outragée. J'approuve les horreurs de Lyon, où l'on attachait des enfants à la gueule des canons, et les égorgements de vieillards de quatre vingt dix ans et de jeunes filles à peine nubiles.
    Tout cela forme un bloc glorieux et je défends qu'on y touche.
    Je défends que, sur un théâtre qui dépend de l'Etat, un dramaturge illustre vienne, après plus de cent ans révolus, prononcer une parole de pitié qui serait un outrage aux mânes augustes de Robespierre et de Marat".

  • Tout ce qui est Racines est bon... : Vauban classé au Patrimoine mondial de l'Humanité

    SAINT VAAST LA HOUGUE.jpg

              On en a beaucoup parlé, à juste titre, et un peu partout : le réseau des sites majeurs de l'architecte militaire de Louis XIV  a été ajouté à la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.     

                  Du moins douze des quatorze sites conçus en France par Vauban et candidats au titre de Patrimoine mondial de l'humanité ont été classés par l'Unesco : «Bazoches n'a pas été retenu, car il ne s'agit que de l'aménagement d'un château du XIIe siècle et Belle-Ile non plus, car sa citadelle a été atteinte dans son intégrité par un hôtel. Dommage car ce sont tous deux des sites privés», note Jean-Louis Fousseret, président du réseau des sites majeurs de Vauban, maire de Besançon, et initiateur du projet. Quoi qu'il en soit, c'est une belle victoire posthume pour Vauban, qui se voit ainsi consacré au plus haut niveau juste après qu'on ait dignement célébré son tricentenaire en 2007 (1). 

                  Durant sa vie, Vauban a bâti quelque 250 ouvrages militaires, du petit fortin à la ville fortifiée, dans les limites actuelles de la France mais aussi au-delà, car les frontières fluctuèrent au gré des guerres. Il s'illustra autant dans le plan d'ensemble (la fameuse «ceinture de fer», protégeant le «pré carré» de Louis XIV) que dans le détail : par exemple tandis qu'il sanctuarisait le littoral Ouest en utilisant chaque rocher et chaque relief, il faisait aussi remplacer les fusils à mèche des soldats, trop visibles de nuit, par des fusils à silex, évidemment plus discrets.            

                  On trouvera une foule d’explications et de renseignements très utiles sur l’excellent site dédié à Vauban et à son œuvre : http://www.sites-vauban.org/rubrique.php3?id_rubrique=41 ; et de très belles photos aériennes sur le site : http://www.linternaute.com/sortir/les-citadelles-vauban-vues-du-ciel/2007-l-annee-vauban.shtml

                 Mais pourquoi, au fait, s’intéresser et se réjouir de cette consécration universelle que reçoit aujourd’hui celui qu’il n’est nullement exagéré d’appeler un génial bâtisseur ?

                 Par simple gloriole, pour une certaine image de la France ? Oui, bien sûr, il est toujours agréable de recevoir une telle récompense, mais –comme dirait l’autre…- « C’est un peu court, jeune homme !.... ».

                 Pour les retombées économiques que cette distinction ne manquera pas d’avoir, par le biais du tourisme, sur les économies locales ? Là non plus, on ne va pas bouder son plaisir, et si ce classement apporte un surcroît d’activité, tant mieux ! Mais ce serait franchement mesquin de ne voir que ce côté des choses ; et les considérer seulement, ou surtout, sous cet aspect économique et mercantile, ce serait assurément, là aussi, prendre le problème du mauvais bout de la lorgnette.

                 En réalité, il y a au moins trois bonnes raisons de se réjouir de cette reconnaissance.

      

    belle ile.jpg

               D’abord, Vauban est un excellent exemple de ce que peut être et de ce que peut faire une véritable écologie, dans le respect de la Nature, de la Création. Il a en effet toujours oeuvré dans le sens de l'intelligence des environnements –toujours différents- où il était appelé à travailler, avec amour et respect  pour tous les pays, tous les terroirs, appliquant le grand principe de Bacon « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant ». Et la Nature le lui a bien rendu : il suffit de voir la saisissante beauté de ces forteresses dont il a parsemé la France, (et qui apparaît plus nettement encore aujourd’hui avec les vues aériennes dont, bien sûr, à l’époque nul ne disposait…) ; il n'est que d'admirer les époustouflants paysages de montagne, réellement à couper le souffle, qu’il a su composer dans sa volonté tenace de rester toujours en harmonie avec les données de la géographie…..

                Ensuite, non content de respecter la Nature, Vauban a respecté l’Homme, et dans tout ce qu’il a fait il a toujours privilégié l’économie de vies humaines. Saint Simon –qui avait pourtant la dent dure…- disait de lui qu’il était « …le plus avare ménager de la vie des hommes » : beau compliment ! Qu'il s'agisse de défendre une ville (et donc de soutenir un siège) ou d'en attaquer une (et donc de mener un siège, en terme savant, la "poliorcétique") Vauban a innové, ou amélioré, en le systématisant, tout ce qui pouvait permettre d'écourter un siège, donc d'économiser des vies.

              S'agissait-il d'attaquer ? Il codifie la technique d'approche en faisant creuser trois tranchées parallèles très fortifiées reliées entre elles par des tranchées de communications en ligne brisée pour éviter les tirs défensifs en enfilade. S'agissait-il de défendre (ce qui nous intéresse ici, avec ses citadelles) ? Plus rien ne "tient", depuis son invention, face à l'artillerie. Vauban n'a donc pas eu pas l'ambition insensée de construire des forteresses inexpugnables. Il a plutôt cherché à gagner du temps, en obligeant l'assaillant à immobiliser des effectifs dix fois supérieurs à ceux de l'assiégé. Et en le fixant suffisamment longtemps pour qu'une armée de secours vienne le prendre à revers, l'obligeant donc à lever le siège....  L'idée centrale étant de briser l'assaut ennemi en le fragmentant, afin de casser la vague assaillante, donc la rendre moins puissante, et pouvoir la disperser plus rapidement.

              Certes, comme l'oeuf de Colomb, c'est facile à dire; mais lui  l'a fait. En les améliorant à l'extrême, et en les portant pour ainsi dire à toute la perfection possible, il a ainsi définitivement imposé la fortification "en étoile"; il a systématisé l'abaissement des murs, offrant donc moins de prise à l'artillerie et a ses ravages (les "ouvrages rasants"); et systématisé aussi la protection des soldats derièrre d'épais remblais de terre, destinés justement à arrêter la course des boulets; et surtout il a multiplié les "forts détachés"... Ne disait-on pas, devant tant d'ingéniosité et de rationnalisation, à ce point systématisées: "Ville attaquée par Vauban, ville prise. Villé défendue par Vauban, ville imprenable..." ?

                 Cette humanité profonde, qui touche à l’Humanisme -comme son respect de la Nature est un respect de la Création, et donc du Créateur...- est un essai vigoureux pour adoucir, autant qu’il était possible, les rigueurs et les atrocités des conflits. Quelle différence avec la barbarie qui devait naître avec la levée en masse révolutionnaire, occasionnant par contre-coup les levées en masse des autres pays, et jetant toute l’Europe, masses contre masses, dans d’épouvantables boucheries !.....

                 Enfin Vauban c’est aussi et surtout Dieu et le Roi.  Quelle noblesse dans cette sorte de profession de foi, lorsqu’il écrit : "…Le Roi me tenant lieu de toutes choses, après Dieu, j'exécuterai toujours avec joie tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner, quand je saurai même y devoir perdre la vie." Il a porté au plus haut point les vertus propres à notre Histoire et à ce vieux peuple, façonné par deux millénaires d’un héritage gréco-romain et chrétien fécond et vivifiant

                Louis XIV l'a bien jugé quand, à l'annonce de sa mort, il a sobrement déclaré qu'il avait été un « bon Français », parlant de lui avec beaucoup d’estime et d’amitié : " Je perds un homme fort affectionné à ma personne et à l’État ".....

    (1)   Les choses ne s’arrêteront peut-être pas là. Jean-Louis Fousseret a évoqué, en conclusion de la soutenance du dossier de candidature, le projet de créer dans sa ville, Besançon, un centre international consacré au patrimoine légué ou inspiré par Vauban. «En effet, on retrouve son influence sur tous les continents … à Québec , mais aussi au Mexique, au Maroc (Essaouira), à Saint-Pétersbourg, à Madagascar ou au Japon (Hokkaido).» En somme, il va devenir urgent de s'intéresser aux enfants de Vauban……

  • Sur un point précis de l'article de Sébastien Lapaque, présentant le dernier ouvrage de Stéphane Giocanti, ”C'était les

    giocanti.JPGLe hasard fait coïncider sa sortie avec la publication de notre Album, Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet : Stéphane Giocanti vient de publier un "C'était les Daudet", que nous avons présenté ici-même le dimanche 3 février, avec l'excellente critique de Charles d'Andigné, dans Famille chrétienne... 

    Juste après l'article de Charles d'Andigné, Sébastien Lapaque présentait l'ouvrage à son tour, dans Le Figaro : LAPAQUE SUR GIOCANTI.pdf

    Rien à redire sur ce très bon article de Sébastien Lapaque, dont on connaît la culture, et que l'on sait bien informé, bien documenté. Sauf une chose, malgré tout, à la fin de son article, qu'il nous a semblé utile de signaler ici. Certainement pas dans un esprit de critique, encore moins dans un désir de polémique vaine et stérile, mais, bien au contraire, dans un esprit de "disputatio" amicale, persuadés que la confrontation des idées et des documents permet d'éclaircir les choses, de rapprocher finalement les points de vue, dans un esprit positif, et dans le but de faire progresser la connaissance et la compréhension des choses; ce qui est bien le but recherché ici, et la meilleure manière de "pratiquer" l'amitié intellectuelle...

    Voici le paragraphe de fin de l'article auquel nous voulons réagir, car nous pensons au contraire que, oui, Léon Daudet a bel et bien répudié l'antisémitisme, clairement, publiquement et définitivement :

    "...Rendre justice à Léon Daudet est une entreprise plus délicate. Stéphane Giocanti y parvient en n'écartant pas les motifs de fâcherie. Il recense, chez Léon Daudet, une formidable bonne humeur, une énergie rabelaisienne, un radar infaillible qui lui fait déceler tous les talents naissants, une générosité qui le pousse à toujours les défendre. Mais il ne disconvient pas du caractère odieux de son antisémitisme — odieux et surtout absurde, quand on songe que deux de ses meilleurs amis eurent pour nom Marcel Proust et Marcel Schwob.

    Face au mystère de la permanence d'Israël dans l'histoire, Léon Daudet ne daigne pas réfléchir en chrétien — comme Paul Claudel et Georges Bernanos s'obligèrent à le faire. L'ancien carabin s'obstine à raisonner en médecin hygiéniste et admire le Céline de Bagatelles pour un massacre. La destruction programmée des Juifs révulse ce germanophobe qui abhorre tout ce qui vient d'Allemagne en matière politique, mais il refuse de faire le pas de côté qui l'arracherait à sa tradition et à son préjugé. Il y a une part d'ombre chez cet homme à l'intelligence et la sensibilité fiévreuses traversées par des vents contraires. Un élan autodestructeur, également — la part maudite des Daudet."

    Nous l'avons dit : la publication de notre Album se fera en feuilleton; mais comme il compte plus de 250 photos, à raison d'un envoi d'une vingtaine de photos à chaque "livraison", ce n'est que dans plusieurs semaines que l'on trouvera une "réponse" à cette affirmation de Sébastien Lapaque, sur laquelle nous ne sommes absolument pas d'accord..

    En attendant - puisque l'article de Lapaque vient de paraître, et que nous souhaitons suivre l'actualité, en temps réel, comme on dit dans le jargon... - nous avons choisi de lever un coin du voile et de donner, simplement, les quatre citations suivantes, explicites, qui ne laissent planer aucun doute sur le fait que Daudet a bel et bien révoqué son antisémitisme originel. Quand elles paraîtront, elles seront accompagnées d'autres documents sur le même sujet...

    La vie de Daudet se divise presqu'également en deux parties : 36 ans "avant" l'AF, et 37 ans "dedans"; on doit à la vérité de noter que si, depuis ses débuts et jusqu'à la Grande Guerre, Léon Daudet a effectivement été "antisémite", bien avant la fin des années vingt (il suffit de consulter la collection du journal, qui, évidemment, fait foi...) on voit que Daudet a cessé toute attaque contre "Israël"... Et on ne peut pas ignorer ces lignes, écrites par lui, qui se passent de tout commentaire, ou faire comme si elles n'avaient pas été écrites... :

    1. De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 27/28 (écrit en 1929 et 1930) :

    "...En ce qui concerne l'antisémitisme, il y a belle lurette que je m'en suis détaché de toutes manières - j'ai eu comme ami un juif authentique, Marcel Schwob - et que le développement de mon être intérieur m'a plutôt porté à essayer de comprendre Israël, et la raison de ses coutumes et de leur persistance, qu'à le maudire.
    Je ris quand j'apprends que des personnes me croient encore dans le même état moral vis-à-vis des fils de Sion qu'il y a trente ou vingt-cinq ans.
    J'ai toujours admiré, et même chéri, les vers de ce très mauvais bougre d'Henri Heine.
    Je crois avoir été l'un des tout premiers à célébrer le Chad Gadya d'Israël Zangwill..."

    Surtout, Léon Daudet - comme Charles Maurras - pose le "problème" en terme "politique", et non en terme "racial" ou en terme "de peau", comme l'a fait un Voltaire ou un Napoléon (qui disait : "On ne se plaint point des protestants et des catholiques comme on se plaint des Juifs. C'est que le mal que font les Juifs ne vient pas des individus, mais de la constitution même de ce peuple : ce sont des sauterelles et des chenilles qui ravagent la France" !...), et bien sûr un Hitler; comme le font aujourd'hui, dans nos Cités et banlieues, ceux qui crient en plein jour "Mort aux juifs !", et dont on sait qu'ils votent à 93% pour le candidat du Parti socialiste : "Dans toute cette affaire de décomposition et de l'enjuivement de l'État français, c'est la démocratie qui est coupable et non le juif. Cela Drumont n'a jamais voulu le comprendre..." écrit Daudet, juste après la citation précédente.
    En réalité, Léon Daudet a la même conception que le Maurras qui écrit :
    "L'antisémitisme est un mal si l'on entend par là cet antisémitisme de "peau" qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d'une amitié naturelle pour les Juifs bien nés."

    2. De Paris Vécu, 2ème Série, Rive gauche, page 22 :

    "...Marcel Schwob avait une vaste culture, la sensibilité à fleur de peau et l'esprit de charité.
    Il n'était pas  de physique agréable, bien que l'éclair de son regard bleu fût unique.
    Mais il était attachant, et c'est par son souvenir, autant que par certaines réflexions qui me sont venues plus tard, que je me suis détaché de l'antisémitisme et que le problème de la race errante s'est imposé à moi objectivement, sous une forme simplement scientifique. 
    Je n'ai pas connu d'idéaliste plus complet que Marcel Schwob, promis, dès cette époque, à des affres surhumaines et qu'il devait supporter héroïquement.
    Georges Hugo s'était pris lui aussi d'amitié pour Schwob. Il l'invita dabord à Hauteville House, dont il était, à Guernesey, copropriétaire avec sa soeur, puis à La Marcherie, où se trouvait, cette année-là, Camille Claudel, soeur de Paul Claudel, et sculpteur de génie..."

    3. De "Au temps de Judas", pages 218/219 (paru en 1920) :

    "...Les juifs eux-mêmes ont reconnu qu'il y avait une question juive, puisque leurs sionistes se sont flattés de la résoudre, par la reconstitution territoriale d'une Judée.
    Nul homme sensé ne songe à persécuter Israël, après une guerre où ses fils ont mêlé leur sang à celui de nos enfants. Mais nul israélite sensé ne niera que l'égorgement de "L'Union Générale" fut une faute grave (1), comme fut une autre faute grave la campagne anticléricale et antimilitariste de l'Affaire Dreyfus.
    Pour empêcher le retour de pareilles fautes, des précautions peuvent et doivent être prises, d'un commun accord, entre les représentants les plus qualifiés du peuple juif et les dirigeants de l'Etat français.
    La nationalisation de cet État français, en assurant la sécurité extérieure, détruira ainsi les germes de haine qui nuisent à la paix intérieure..."


    (1) : "L’Union générale" était une banque catholique française, fondée en 1878 par Paul Eugène Bontoux.
    Après avoir connu un grand essor et réalisé de grandes choses, elle fit faillite de manière retentissante en 1882.
    Cette banque rencontra un grand succès dans les milieux catholiques et légitimistes, et obtint même l'appui du comte de Chambord. Le secrétaire du pape, le cardinal Jacobini, s'engagea également au capital de la banque.
    L'effonfrement de celle-ci fut liée à des spéculations hostiles - aux visées politico-économiques - venant de divers milieux, dont certains milieux bancaires juifs.
    A partir de là, il fut facile à certains antisémites de généraliser leur critique et leur ressentiment envers quelques banquiers à l'ensemble de la communauté juive...

    4. De "Au temps de Judas", page 17 :

    "...Persécuter Israël serait impolitique et odieux. Lui tracer des limites de bienséance et d'action politique, dont il recueillerait bien vite le bénéfice moral, serait une bonne et même une très bonne chose.
    Beaucoup d'israélites intelligents le reconnaissent volontiers et demandent à ne pas être confondus avec ceux qu'ils appellent, génériquement et méprisamment, les "levys", c'est-à-dire les éternels mécontents, les éternels agitateurs.
    Beaucoup d'israélites, intelligents et prévoyants, commencent à sentir, eux aussi, le besoin de l'ordre, d'un ordre qui les mettrait, cordialement, mais fermement, à leur plan..."


    Un François Mitterand - président de la République française... - ne parlait pas autrement lorsqu'il refusait de reconnaître la responsabilité de l'État français dans "la rafle du Vel d'Hiv", estimant qu'il s'agissait là "d'une demande excessive de cette communauté"...

    A bientôt, donc, sur notre "Album Daudet", pour encore plus de mises au point sur ce sujet délicat...

  • Echéances à l’horizon, par Hilaire de Crémiers

     (Analyse d'Hilaire de Crémiers, parue dans le n° 113 de Politique magazine, décembre 2012) 

    Le seul objectif des hommes au pouvoir est de repousser les échéances, en faisant croire qu’ils sont en état de les assumer. Les hommes de l’opposition « républicaine » n’ont pour tout horizon que de s’éliminer les uns les autres, en vue de la reconquête du pouvoir ! 

    Nous avons de mauvaises institutions : en France, d’abord ; au niveau européen, ensuite. Nous en payons le prix.

    La Ve République n’offre plus de ressources institutionnelles. Nicolas Sarkozy en a épuisé toutes les dernières illusions. Elle ne garantit plus la cohésion intérieure de l’unité nationale ; elle n’assure plus la défense extérieure des intérêts français. Les ressorts sont brisés et les volontés affichées de réussites ne changent rien à la réalité des incapacités institutionnelles. La machine des partis qui est un laminoir, a écrasé tout projet proprement français. Ce qui subsiste de solide est compromis par la vertigineuse dégringolade française si précisément analysée par un Nicolas Baverez ou un François Lenglet. L’économie sur ce point dépend du politique ; or la politique se réduit aujourd’hui à un magma de volontés acharnées à prendre le pouvoir, à se l’approprier, à le reprendre, à le garder, à le façonner et le structurer pour se le conserver.

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    Site de Florange : François Hollande arrivera-t-il à passer ? Avec un Montebourg que personne ne maîtrise. 

    La réalité politique s’impose

    Ailleurs, il en va autrement, contrairement à ce qu’imaginent les Français, trop enclins à penser que le monde leur ressemble. 

    david cameron.jpgAinsi il est une politique anglaise, toujours la même, et nos hommes politiques semblent – et depuis plus d’un siècle ! – inaptes à la comprendre. Ils se font constamment surprendre par le jeu d’approche et par le retrait final anglais. De la même façon, pourquoi s’étonner du sens général de la politique allemande qui, en ce moment et de plus en plus, retrouve ses axes historiques et jusqu’à ses réflexes, ses attitudes et ses discours grinçants à la Henri Heine ? Et n’est-ce pas, d’ailleurs, Henri Heine qui avait averti les Français, dès le xixe siècle, de ne pas s’y tromper ? Le Bild se moque de la France tout autant que The Economist. Il est, bien sûr, une politique russe de conservation et d’expansion de son ère historique, même si des journalistes français sont assez sots pour vouloir l’empêcher d’exister ! Et, de même, Obama ou pas, perdure et s’impose une politique états-unienne, que ni Jefferson ni Monroe ne désavoueraient. Même les salons politiques français commencent à savoir que l’ère Mao en Chine est finie et qu’il est une direction chinoise qui, au-delà des hommes qui passent, poursuit une politique spécifiquement chinoise. Et ainsi du Japon, de l’Inde et du Brésil et d’à peu près tous les pays et continents, y compris de l’Afrique qui retombe dans ses divisions ethniques que la politique française d’aveuglement idéologique a niées, provoquant, comme le montre depuis longtemps Bernard Lugan, drame sur drame. Et que dire du monde arabe qui se croit uni et qui ne l’est pas ?

    Les nations mènent des politiques nationales ; telle est la première réalité de la mondialisation qu’il ne s’agit pas de nier, mais que les politiques français ne voient qu’au travers de leurs idéologies de parti, libérale ou socialiste, sans appréhender sa vraie consistance politique.

    La presse internationale signale ce retour violent ou hypocrite du réalisme politique, quelquefois le plus cynique : il est des constantes du passé qui se retrouvent de nos jours et qui frappent tout esprit qui a le sens politique et historique. Les nations, d’une manière générale, savent ce qu’elles veulent, quand elles ne renient pas leur histoire, et elles sont préoccupées, au premier chef, de leurs intérêts. Que cela ne suffise pas, c’est sûr, et qu’il faille veiller à créer un ordre international, c’est plus que souhaitable. A condition que ce ne soit pas de simples discours pour s’aveugler ou pour tromper.

     

    Une France qui ne se reconnaît plus

    Ce qui laisse pantois les observateurs internationaux, c’est qu’ils ne reconnaissent plus rien de la France. 

    Le chef de l’état n’a plus de crédibilité ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Ses préjugés partisans, ses habitudes de louvoiement, ses approximations sur les questions les plus claires le desservent constamment au moment des décisions. Les sommets internationaux où sa nullité souriante et bêtasse affiche une insupportable assurance, ont, depuis qu’il est là, tous échoué. En Europe , encore dernièrement, aux états-Unis, même en Asie où, au mois de novembre, il est allé faire la leçon au nom de la justice, comme il le fait dans un congrès politique français, en oubliant que les Asiates sont totalement insensibles à ce genre de rhétorique.

    Le voilà, sur le plan intérieur, engagé dans des réformes sociétales sur lesquelles il n’a aucune idée, n’ayant, dans son égoïsme savamment protégé, jamais réfléchi de sa vie aux suites effroyables de ses folles théories. Sur le plan politique et social, il sera confronté à ses contradictions : les préjugés stupides qui forment le fond de sa prétendue culture politique vont à l’encontre des nécessités de la vie économique et, comme il doit devant l’évidence de la crise tenir compte de ces nécessités, il ne peut que décevoir, contrarier, irriter son électorat et tant de pauvres gens qu’il a abusés. Sa fausse majorité ne peut que s’effriter, du côté écologique, du côté communiste et gauchiste entre autres.

    peer steinbrück.jpgLes chiffres tombent, tous mauvais. L’augmentation du chômage, établi maintenant à plus de 3,1 millions, en ne comptant que les inscrits ; la réalité du chiffre de la croissance pour 2013, rappelée tant par l’Union européenne que par l’OCDE, qui sera au mieux à 0,2 % ; l’impossibilité pratique, tel que se dessine le budget 2013, de ramener le déficit annuel à 3 % du PIB en dépit des promesses réitérées ; une dette française cumulée qui peut atteindre rapidement les 100 % du PIB pour peu que la France éprouve des difficultés à se refinancer et qu’ayant été dégradée de son triple A par deux agences de notation, elle se voie soumise à un chantage, puis à une spéculation ; les chiffres désastreux du commerce extérieur ; les dettes insoutenables des collectivités territoriales qui devront faire appel à l’état comme en Espagne ; les déficits cumulés des organismes de sécurité sociale à plus de 135 milliards d’euros qui remettent en cause les politiques de santé, bientôt les retraites. (Illustration : Peer Steinbrück, l'homme du SPD. Social-démocrate, il s'oppose à Angela Merkel parce qu'elle en lâche trop aux Français ! Et il est censé être le François Hollande de l'Allemagne... Les politiques français se sont toujours trompés sur la politique allemande)

    D’où un certain affolement malgré des paroles péremptoires qui ne sont pas sans rappeler celles des politiciens de la IIIe et de la IVe République. Après « le pacte de croissance et de stabilité » – words, words, words comme soupirait Hamlet ! – voici « le pacte compétitivité emploi » – again words –  avec ses 35 mesures – pas une de plus mais pas une de moins ! – où pour compenser les surtaxations et surimpositions un système de crédit d’impôt doit permettre aux entreprises de récupérer pour 20 mds sur l’état une partie des sommes déjà versées à titre social et à titre fiscal au Léviathan. Et tout ça à condition que… encore des papiers, des fonctionnaires, des contrôles, de la cogestion…. Et ces 20 mds, l’état compte, lui, les recouvrer en augmentant la TVA. Soyez sûrs que la CSG y passera aussi.

    Si ces messieurs croient ainsi arrêter l’hémorragie, ils se trompent. Les capitaux français sont épuisés ou se garent ou se dissimulent ; les capitaux étrangers ne viennent chez nous que pour y faire des affaires. Les gesticulations d’un Montebourg sont grotesques, au rythme dune déclaration nouvelle chaque jour. La désindustrialisation française dont la sidérurgie n’est qu’un exemple, est le résultat de mauvaises décisions accumulées depuis des décennies qui, elles-mêmes, sont le fait de mauvaises institutions politiques. Le discours socialiste ne change pas la donne.

     

    Sortir du chaos

    La France, d’ailleurs, risque de se trouver dans une situation étrange pour peu que l’Europe soit menacée d’éclatement. Le dernier sommet européen qui a abouti à un échec sur le budget prévisionnel des prochaines années, n’a que trop montré l’éloignement de l’Angleterre, la volonté allemande qui s’impose de plus en plus sous forme d’ultimatum, et les réticences de tous les partenaires qui ne cherchent plus que leur intérêt immédiat. En période de crise, c’était prévisible. Et si la Grèce a été sauvée encore une fois par un déblocage de 41 milliards d’euros, la situation grecque ne peut pas s’améliorer, sauf à effacer la plus grosse partie de ses dettes, même vis-à-vis des institutions publiques, mais alors il serait sage de prévoir le commencement de l’éboulement. Car, du coup, que valent les actifs de la BCE et des banques centrales ? La France serait dans ce cas très mal prise, sans solution de rechange.

    Le Parti socialiste n’est évidemment pas à la hauteur de la situation. Et l’UMP, l’autre parti, dit de gouvernement ? Poser la question, c’est aujourd’hui y répondre. Elle se révèle pour ce qu’elle est : une machine à ambitions personnelles. Jusqu’à la rupture, au grand scandale des Français. Comment peut-il en être autrement ? C’est une affaire d’institutions. à supposer que l’explosion n’ait pas lieu, ça recommencera forcément. Que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ne se réjouissent pas trop : leur cas ne serait pas meilleur.

    Qui aura le courage de dire la simple vérité : libérons l’état du régime des partis. Demain, pour sortir du chaos, ce sera la première question qu’il faudra résoudre. Ce sera une urgence de salut public.

  • « Le procès de l’Europe » de Jean-François Mattéi, par Pierre de Meuse

    PdM AG DREUX 026.jpgJean-François Mattéi nous a donné il y a déjà trente mois un nouveau sujet de réflexion avec un livre intitulé « le procès de l’Europe ». La lecture de cet ouvrage est, comme toujours, pleine d’enseignements et même dispensatrice de plaisir. Jamais, en effet, on n’y trouve d’austères périodes, ni surtout de langage obscur ou ampoulé comme malheureusement de nombreux philosophes nous en infligent trop souvent le déchiffrement. Non, Mattéi parle en clair, dans un français hellénique, nous donnant sans cesse à penser avec le jeu des étymologies, un exercice que nous ont transmis les grecs, et qui révèle le sens des mots cachés sous l’acception commune. Parler avec élégance et naturel des choses graves et essentielles est le propre des grands esprits. Ils ne sont pas très nombreux par les temps qui courent. A l’érudition et la clarté, Mattéi ajoute le courage, puisque le sujet de son livre est  la culpabilisation de l’Europe et sa mise en accusation par la pensée dominante. A-t-on le droit de vouloir que l’Europe soit autre chose qu’un marché ou une expression géographique ? Peut-on être fier de son identité européenne alors que tant de penseurs, de Julien Benda à Bédarida, en passant par Frantz Fanon, pointent du doigt les crimes qui jalonnent l’Histoire de notre vieux continent, simple excroissance à l’extrémité de l’Asie ? Mattéi, non seulement se refuse à plaider coupable, mais réclame le non-lieu.  

    Avec sa connaissance exceptionnelle de la philosophie, notamment celle de Platon, mais aussi des sciences et de la musique, le philosophe montre comment la connaissance et la mesure du monde ont été possibles, non seulement par l’expérience de la main, comme l’ont fait toutes les cultures humaines, mais par deux inventions des grecs : la logique et l’abstraction, qui procèdent par généralisation et progression dialectique. Ainsi les Européens ont accumulé des inventions permettant de dominer la nature comme personne ne l’avait fait avant eux. Grâce à eux, selon Mattéi, le monde est devenu intelligible. De sorte qu’aujourd’hui, s’il existe encore des sciences et des musiques propres à certaines cultures, personne ne conteste que LA science et LA musique sont celles que les Européens ont conçues. Les fils de l’Europe ont créé un modèle universel de la raison et l’ont offert à l’humanité. Leur société, ouverte sur les autres et sur l’extérieur, a permis l’invention de l’humanisme. En effet, c’est l’Europe et l’Europe seule, éclairée par la pensée grecque et le christianisme, qui a imaginé que l’homme, l’homme en soi, pouvait exister. Et Mattéi d’égrener les étapes de cette naissance : de la Magna Carta à la controverse de Valladolid et aux bills of Rights, jusqu’à la déclaration des Droits de l’homme de 1948.mattei en attente.jpg

     

    Bien sûr, l’Europe a déraciné des cultures, au cours de ses conquêtes, mais elle ne fut pas la seule à le faire, ce qui est indiscutable, car toutes les cultures ont prospéré sur la ruine de celles qu’elles avaient dominées. De plus, ces cultures ne pouvaient pas survivre à  l’irruption d’une abstraction qu’elles n’étaient pas en mesure d’assimiler : « La vie de l’anthropologie européenne signe, quoi qu’on fasse, la mort des cultures indigènes. La voix de la nature s’éteint quand les signes de l’écriture apparaissent : le monde ne résiste pas à la prise du concept » (p.91). D’autre part, l'auteur estime que beaucoup ne méritaient pas de se perpétuer, à cause de leur cruauté ou leur brutalité, comme les Aztèques ou les Incas. Mattéi écarte donc l’accusation, qu’elle concerne la colonisation ou la traite, dont il souligne que ce n’est pas l’Europe qui a inventé l’esclavage, mais que c’est elle qui l’a aboli. Enfin, il montre que c’est aussi l’Europe qui a fait des autres cultures les objets d’un regard neutre et attentif, grâce à la distanciation, le « regard éloigné » dont parle Lévi-Strauss. A mesure que les langues et les légendes des pays conquis disparaissaient, les savants, plus tard les ethnologues les recueillaient pieusement et même amicalement.                                              

    Reste la question ultime, et la seule à notre avis, qui mérite qu’on la pose, car elle concerne notre survie : nous reste-t-il, à nous Européens, une identité qui nous soit propre ? Pouvons-nous espérer transmettre à nos enfants quelque chose qui n’appartienne à personne d’autre qu’à nous ? Mattéi répond, formellement oui, mais son argumentation attend encore quelques précisions pour être vraiment convaincante.  

    Le philosophe passe en revue les critiques de ceux qui refusent d’admettre que l’Europe possède une identité exprimée par une culture propre, qui la distinguerait radicalement des autres cultures. Ainsi, il donne l’exemple d’Alain Badiou, pour qui « l’Europe vide ou évide la pensée », Denis Guenoun : « le vide est son avenir positif » ; Ulrich Beck : « vacuité substantielle et ouverture absolue ». En bref, tous proclament que l’identité de l’Europe est impossible et que le seul destin de l’Europe est de devenir étranger à soi. On pense immanquablement à Lévi-Strauss qui se demandait ironiquement « comment nous métisser nous-mêmes ? ». Citant  Pierre Manent, Mattéi constate la permanence et la nocivité de cet interdit jeté sur l’identité de l’Europe.   

    Pourtant, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Si, comme le dit Mattéi, « la raison européenne s’est toujours identifiée à son ouverture vers l’Universel » (p.182), si la culture européenne n’est pas une culture mais une métaculture, alors elles ne nous appartiennent pas, et c’est à bon droit que les philosophes précités, quelle que soit parfois leur médiocrité, nous emprisonnent dans nos promesses inconsidérées. Si l’Europe est une Idée offerte aux autres hommes, de quel droit voulons nous l’accaparer dans notre chair ? En somme, le modèle universel de la rationalité peut il encore avoir une identité ? L’universalité du droit édifiée sur les modèles des Lumières est-elle compatible avec l’affirmation de ce qui nous est propre ? Et pour finir : peut-on encore se considérer comme une culture si l’on s’affirme comme une « culture supérieure », surtout si cette affirmation est acceptée par les autres cultures ? Les historiens savent que le peuple qui impose sa vision à l’empire qu’il a conquis perd toujours son particularisme.  

    Afin de répondre à cette question restée sans réponse valable, quelle que soit la forme sous laquelle on l’énonce, il convient de se demander si l’Europe ne s’est pas empoisonnée avec ses propres concepts. Elle a, nous dit l’auteur, créé le modèle d’une « société ouverte ». Peut-être trop ouverte, au point de détruire toutes les légitimes différences ? Elle a, poursuit-il, osé l’ouverture à l’ « homme ». Mais qu’est-ce que l’homme ? Croit-on qu’après avoir fabriqué un tel concept, il va rester sagement limité aux passions humaines communes, à la littérature ou aux fins dernières ? Et laisser intacts traditions, langues, religions et particularismes ? Et les Droits de l’Homme dont le Pape Pie IX disait qu’ils étaient « une monstruosité », non pas parce qu’ils sont des droits, mais parce qu’ils se prétendent attachés à l’homme. Souvenons nous enfin de ce fameux quolibet de Maistre : « l’homme, je ne l’ai jamais rencontré ! » 

    Osons nous demander, en espérant que notre éminent ami ne nous en tiendra pas rigueur, s’il ne conviendrait pas, au lieu d’accepter sans réserve tout l’héritage accumulé depuis l’École  de Salamanque jusqu’aux Lumières, de faire sécession de cette Europe mentale, incompatible avec notre survie, et de nous demander à quel moment les choses ont commencé à déraper. Une telle démarche nous permettrait, comme disent les juristes, d’accepter la succession « sous bénéfice d’inventaire ». Après tout avons-nous toutes les raisons de nous glorifier de notre cadeau de la raison universelle offert au monde ? Le voyageur peut constater aisément en visitant les pays de tous les continents,  que  le monde s’enlaidit à mesure et à proportion de son européanisation. C’est le visage hideux de la modernité, certes, mais comme le montre Mattéi, c’est notre œuvre.                      

    Or, de Vico à Herder, à Maistre, Donoso Cortès et Spengler, nombreux furent les penseurs qui contestèrent et rejetèrent « l’idée d’une intelligibilité qui régirait aussi bien le monde que l’homme », refusèrent «  l’idée de raison universelle » et espérèrent « en finir avec l’idée linéaire menant l’humanité vers le progrès » (p.121). Avaient-ils tort, ou n’étaient-ils pas européens ?  

    mattei,europe,moderniteOsons aussi regretter que notre Europe contemporaine n’ait pas conservé comme les grecs classiques, à côté de leur philosophie, une poésie épique, qui façonnait les esprits et les volontés vers les vertus vitales. Osons déplorer encore que notre société ait perdu le sens du tragique, dont Mattéi nous dit qu’il « s’enracine dans le théâtre des Grecs plus que dans leur philosophie », ajoutant que «  c’est toujours cette dernière qui donne le la ».  

    N’allons pas jusqu’à souhaiter, comme Platon qui exigeait que les poètes restassent en dehors de la cité, réserver le même sort aux philosophes, afin que l’Europe, telle Ulysse « abandonne son nom de « Personne », Ουτις, lorsque le fils de Laërte aura retrouvé, avec la terre natale, son identité (p.93). 

    ___________________

    Jean-François Mattéi, Procès de l’Europe, Grandeur et misère de la culture européenne, PUF, 22 €, 264 p.

  • (II/II) : Transition énergétique, ou simple opération politique, et … gaz de schistes, par Champsaur

    II) Le cas étrange et aberrant de la France …ou comment la politique ne ferait pas bon ménage avec la science.

     

    pechelbron.jpgLe risque environnemental ne vient pas du gaz lui-même: une fois extrait, ce dernier a les mêmes caractéristiques que le gaz consommé habituellement. C'est son exploitation qui inquiète, en particulier la fracturation hydraulique. Or nous forons en France depuis la découverte du champ de Péchelbronn, en Alsace, en 1879 (ci-contre, ndlr).

    En France, l’aventure a commencé en mars 2010, lorsque Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Écologie, signait l’autorisation de prospection des gaz de schiste sur le territoire. « C’est la première fois, en France, que des demandes de permis mentionnaient les gaz de schiste, raconte Michel Séranne. Cette information a mis 9 mois avant de d’être connue des médias les plus informés. Puis, très vite, cela a abouti à la véritable controverse que nous connaissons ».

    En février 2011, soit un peu moins d’un an après les premières autorisations, la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet et le ministre de l’Industrie, Éric Besson, ont chargé le vice-président du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et le vice-président du Conseil général de l’environnement et du développement durable, de diligenter une mission portant sur les hydrocarbures de roche-mère. Cette mission a donné lieu, en avril dernier, à la publication d’un rapport provisoire intitulé « Les hydrocarbures de roche-mère en France ». La recommandation principale qui est sortie de ce rapport étant de parfaire les connaissances scientifiques, en n’autorisant que les puits expérimentaux aux industriels.

    En juin 2011, deux mois après la publication de ce rapport et six mois après les premières manifestations anti gaz de schiste, la France décide d’interdire l’utilisation de la fracturation hydraulique (gouvernement Fillon !). Les industriels avaient jusqu’à septembre 2011 pour proposer des alternatives à cette technique. Mais aucune méthode n’a été mise au point qui satisfasse les industriels. La technique de fracturation au CO2 ou celle dite de l’arc électrique ne sont pas assez rentables.

    GERARD MESTRALLET.jpgAu début du mois d’octobre 2011, les trois permis de recherche de gaz de schiste qui avaient été octroyés, ont été abrogés par le gouvernement. Le premier, appelé  « Montélimar »  (Drôme, Ardèche, Gard, Hérault), délivré à Total et les deux autres, attribués à l’américain Schuepbach (en association avec GDF Suez), « Nant » (Aveyron, Hérault) et Villeneuve-de-Berg »  (Ardèche). Faisant dire non sans amertume, à Gérard Mestrallet (ci-contre), PDG de GDF Suez, que « la France a tourné la page des gaz de schiste avant de l’ouvrir ».

    À peu près aux mêmes époques, en juillet 2011, l'Académie des technologies avait fait connaître sa position: ne pas faire de recherche, ne pas évaluer les éventuelles réserves contenues dans notre sous-sol, ne pas développer de technologies d'exploitation durable serait inconséquent et imprudent. En juin 2010, une délégation de l'Académie des technologies a rencontré à Washington les principaux acteurs de l'énergie aux États-Unis. Le message a été très clair et très homogène. La priorité des États-Unis est l'indépendance énergétique, à égalité avec l'amélioration de l'emploi. Cette politique repose sur deux piliers: le pétrole offshore profond sur les côtes américaines et le shale gas (ou gaz de schiste) que nous découvrions et qui représentait déjà 22% de la consommation américaine.

    Alors que les industriels français se sont retrouvés bloqués.

    Un exercice où la gouvernance de notre pays est passée maître, repousser les décisions, comme s’il s’agissait de gagner du temps, là où au contraire, il n’y a pas à en perdre. Les propos les moins agressifs, mais néanmoins d’une misérable dialectique, furent ceux de François Hollande, avec la pirouette désormais classique du renversement de la charge de la preuve : «Actuellement, personne ne peut affirmer que l’exploitation des gaz et huile de schiste est exempte de risque pour l’environnement et pour la santé ; ce n’est pas parce que l’on n’a pas démontré la dangerosité de l’exploitation qu’elle est totalement sans risque». On peut facilement dérouler le même raisonnement de simplet pour toute activité industrielle, où se mêle le jargon à la mode du risque zéro, et du principe de précaution. Et au-delà vient toute la gamme du vocabulaire de combat du dictionnaire d’inspiration trotskyste, un amphigouri de néologismes créés pour la circonstance comme négationisme, climatosceptique. Dans un réflexe pavlovien cette communauté ne s’interdit pas le terrorisme intellectuel, en témoignent les commentaires après la vincent courtillot.jpgconférence débat organisée par Vincent Courtillot à l’Académie des Sciences le 26 Février 2013 dernier, avec cinq de ses collègues, britanniques et américains. S’en est suivie une débauche de hurlements sur internet, qui ne visaient qu’à lui interdire de parler. Mais le summum fut atteint avec la ministre de ce gouvernement, une certaine Delphine Batho, qui sanctionna la réunion par un : « Donner ainsi crédit aux thèses d’un climatosceptique notoire qui juge stupide les travaux du Giec, c’est triste pour l’Académie des Sciences ». Précisons que cette apparatchik a pour tout bagage universitaire un vague baccalauréat de lettres, et qu’elle s’est surtout illustrée pour avoir généré des troubles comme syndicaliste étudiante partout où elle est passée. Il est vrai aussi que Courtillot, comme de nombreux autres vrais scientifiques, ne lie pas le changement de climat, variation éternelle à la surface du globe depuis les 4,5 milliards d’années d’existence de notre Terre, à l’activité industrielle de l’Homme, réellement mesurable depuis moins de 150 ans ! On pensait que nos Académies étaient des lieux de réflexions, de liberté intellectuelle sous la protection de l’État. Mme Batho vient d’inventer une autre règle.

    C’est dans cette ambiance qu’avec un certain culot, le gouvernement a ouvert une concertation sur la transition énergétique, dont la composition de la commission ne laisse aucun doute sur la marque strictement politique de la manoeuvre. Dans une démarche totalement irrationnelle, puisqu’il s’agit d’interdire même les sondages par forage, donc d’évaluer nos réserves, ils ont écrit d’avance la conclusion, habillée par un faux débat. Il est inadmissible qu’avec la technicité dont nous disposons, notre expérience en la matière, une poignée d’agitateurs professionnels décident de la politique industrielle et énergétique. Et notre Institut Français de Pétrole (IFP) condamné à travailler en cachette …

    HENRI PREVOT.jpgDans un article du Figaro du 22 Février 2013 un ancien membre du Conseil général des mines, Henri Prévot, ingénieur du corps des mines, connu, considère que le débat sur l’énergie est biaisé. Ce qui est baptisé transition énergétique va se résumer à « comment gaspiller 20 à 30 milliards par an », dans un simili débat canalisé, corseté, contrôlé, cadenassé, comme savent le faire les esprits totalitaires et obscurantistes aujourd’hui aux commandes de notre pays. Il s’agit essentiellement de sortir du nucléaire, donc en détruisant des emplois par centaine de milliers tout en aggravant la précarité énergétique. Dans une circulaire aux préfets Mme Batho écrit la conclusion avant tout débat : «… Le président de la République a fixé le cap d’évolution de la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays de 75 à 50 % en 2025. Dans ce cadre la centrale de Fessenheim sera fermée à la fin de l’année 2016 … »

    Il est alors utile de comparer avec l’approche radicalement différente des États-Unis. Pour son second mandat Barak Hussein Obama a lourdement insisté sur la responsabilité que se fixait sa grande île vis-à-vis de l’environnement, et de la protection de la planète. Mais le fossé s’ouvre sous nos pas quand on compare les deux projets : d’un côté son équipe chargée de l’environnement récemment désignée, et de l’autre la camarilla qui a pris d’assaut la rue de Solférino, pour des dosages électoraux ayant abouti à une place démesurée dans la représentation nationale (18 députés) malgré leurs très modestes 850.000 électeurs sur 44 millions d’inscrits.

    La nouvelle équipe environnementale de Washington pourrait s’appeler « Comment faire de l’écologie intelligemment, et en restant pragmatique ».

    Après avoir nommé Sally Jewell, une chef d'entreprise connue pour ses engagements écologistes, au département de l'Intérieur (qui supervise l'exploitation des hydrocarbures sur les terres de l'Etat fédéral), c’est Gina McCarthy qui prend la tête de l'EPA, l'Agence pour la protection de l'environnement, qui a en charge, notamment, la supervision des activités de fracturation hydraulique. Cette Bostonienne de cinquante-huit ans travaille déjà à l'Agence, où elle s'occupe de la pollution de l'air. Elle a collaboré dans le passé avec Mitt Romney, comme chef de l'agence environnementale du Massachusetts. Elle passe pour avoir une approche équilibrée. Selon le sénateur républicain Richard Blumenthal, « elle reconnaît qu'il y a un équilibre à trouver entre la protection de l'environnement et la croissance économique, mais elle est convaincue que les deux se soutiennent mutuellement ». Les lobbys des grands groupes énergétiques lui reconnaissent une grande capacité d'écoute.

    Au département de l'Énergie, un scientifique, Ernest Moniz, qui dirige actuellement au MIT de Boston un projet baptisé « Energy Initiative ». Soutenu par BP, Royal Dutch Shell et Chevron, entre autres, le projet vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps nos plateaux de télévision sont colonisés en France par une avocate incompétente dans ces domaines, une certaine Corinne Lepage, ou l’équipe des écolos du parlement européen, élus à cette sinécure à la faveur d’un montage. Une meneuse, Michèle Rivasi, vient de rappeler la ligne : « Là où le nucléaire passe, la démocratie trépasse ». Quels rapports avec les process industriels et la science ? Et tant pis pour le charabia !

     

    III) Des raisons d’espérer  

    DAVID MAC KAY.JPGL’ouvrage du  professeur de physique britannique (Cambridge) David McKay, vient d’être traduit en français, et pourrait s’appeler « Comment réduire les émissions d’âneries ». Sur la planète encombrée des ouvrages sur les questions énergétiques son pavé de 500 pages, L'énergie durable, pas que du vent !, est original par sa construction, par la richesse de ses innombrables infographies, par son ton, direct et souvent humoristique. Il peut se savourer soit au fil des pages, soit en sautant les chapitres techniques.

    En bon scientifique, l'auteur se fixe comme objectif «d'être franc au sujet des chiffres». Pour expliquer comment résoudre l'équation de la transition énergétique, c'est-à-dire produire de l'énergie durable et décarbonée à un coût abordable, David MacKay insiste sur les grandeurs et les échelles, de la consommation comme de la production de chaque source d'énergie. Un exemple: «Pour que l'éolien fournisse 100 % de la consommation électrique du Royaume-Uni, il faudrait recouvrir 7 % de la surface du pays de moulins à vent», explique-t-il.

    S’agissant de notre pays, le papier d’un économiste pourrait être titré « À toute chose malheur est bon ». Il nous dit dans les Echos (4 Février 2013), non sans cynisme « Les gaz de schiste peuvent attendre ». Revenant sur l’extrême volatilité des prix du marché, il suggère de profiter de la chute et de nous fournir aux Etats Unis avec le bénéfice de conserver nos réserves. Et nous ajoutons en attendant que nos politiciens reviennent à la raison. Raisonnement faussement séduisant, car beaucoup de voix s’élèvent aux États Unis pour faire cesser l’exportation, dans le même but de conserver la précieuse réserve du sous-sol. Rien ne dit que nous pourrons aisément acheter notre gaz outre atlantique.

    Sans oublier que le nerf de la guerre, identifié depuis longtemps est le dépôt de brevets. Nous sommes là aussi hors jeu. Quand l’heure sera venue de renvoyer à leur bac à sable les Jouzel, Rebelle, Placé, Hulot et autre Eva Joly, que nous serons le dos au mur, et obligés d’ouvrir les yeux, les brevets ne seront pas chez nous. En économie les stocks de brevets s’appellent le capital immatériel. C’est l’essentiel du capital de maisons comme Apple ou Samsung.

    Une très longue histoire qui ne fait que débuter, mais où la France ne s’est pas donné les outils pour l’instant … (fin).

  • Jean-Pierre Chevènement : « Si la Grèce sortait de l'euro, elle pourrait se redresser » (1/2)

     

    Retour sur d'intéressantes réflexions de Jean-Pierre Chevènement

    Le mois dernier, à la vielle du référendum grec, l'ancien ministre de l'Intérieur et de la Défense confiait au Figaro qu'une sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro ne serait pas une catastrophe. Au contraire, elle permettrait au pays de Périclès de se redresser. Le Che prônait déjà l'instauration d'une monnaie commune pour remplacer la monnaie unique. Le point de vue de Lafautearousseau : s'agissant de l'euro comme monnaie unique ou de la construction européenne selon le processus en cours, les réflexions de Jean-Pierre Chevènement nous semblent sur le fond parfaitement fondées. Elles sont celles d'un patriote français.

     

    Le Premier ministre Alexis Tsipras va soumettre le plan d'aide à la Grèce à référendum. Que vous inspire cette décision ?

    Jean-Pierre Chevènement : Cela me paraît être une décision démocratique et légitime. Le plan d'aide est très critiquable. Les institutions de Bruxelles auraient pu bouger sur au moins deux volets. D'abord, le volet financier: le Premier ministre grec demandait qu'on allonge de 5 à 9 mois la durée du plan d'aide actuel. Cela était tout à fait raisonnable. Ensuite, sur le volet de la dette. Des prix Nobel d'économie comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, mais aussi en France le directeur de la recherche et des études de Natixis, Patrick Artus, qui n'a rien d'un gauchiste, s'accordent à reconnaître que la dette grecque, qui représente 177% du PIB, n'est pas soutenable ni donc remboursable. Il y a une volonté punitive dans ce « plan d'aide » : on voulait par avance donner une leçon au Portugal, à l'Espagne, à l'Italie, voire à la France. Plus largement, il est le symbole de l'échec de la « règle d'or » imposée en 2012 à tous les pays d'Europe après avoir été adoptée par l'Allemagne dès 2009. Mais ce qui vaut pour l'Allemagne ne peut pas valoir pour tous les autres. On touche au vice originel de la monnaie unique qui juxtapose des pays très hétérogènes et fait diverger leurs économies au lieu de les faire converger. Par un mécanisme bien connu, les zones les plus productives ont vu leur production croître tandis que les zones moins compétitives ont vu la leur décliner et se sont donc appauvries. Il y a un défaut de conception au départ dont le résultat était tout à fait prévisible.

    Un certain nombre de dirigeants européens se sont agacés de cette décision. Comprenez-vous cette réaction ?

    Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a dit: « Il n'y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités ». Or le traité de Lisbonne reprend la quasi-totalité, la «substance » comme l'a dit Madame Merkel, du projet de «traité constitutionnel» qui avait justement été rejeté par le peuple français en 2005 par référendum. Par ailleurs, Monsieur Juncker ne me paraît pas le mieux placé pour mener le combat du oui au référendum grec. En effet, il a été un excellent Premier ministre luxembourgeois mais du point de vue du Luxembourg qu'il a organisé, avec succès, comme un véritable paradis fiscal! Cela ne le qualifie pas pour prêcher la solidarité.

    Pourquoi ces démocrates revendiqués semblent-ils autant redouter le choix du peuple ?

    Souvenez-vous de Jacques Delors qui disait en 1992 que les hommes politiques en désaccord avec Maastricht devaient « prendre leur retraite ou faire un autre métier…». Le ver était dans le fruit depuis très longtemps. Pour comprendre la nature profondément antidémocratique de l'actuelle construction européenne, il faut remonter des décennies en arrière au « système » Jean-Monnet, que l'on peut qualifier de « système de cliquets». L'Europe fonctionne par une suite de petits faits accomplis sur lesquels les citoyens ne peuvent plus revenir: on commence par le charbon et l'acier, puis par le marché commun, le droit communautaire, la réglementation de la concurrence, et enfin la monnaie unique pour arriver au « grand saut fédéral ». Les peuples européens sont amenés à se dépouiller peu à peu de leur souveraineté sans en avoir réellement conscience. Petit à petit, ils se retrouvent piégés. Les dirigeants européens ont amené les peuples où ils ne voulaient pas aller sans leur poser franchement la question. A la fin, s'apercevant de la supercherie, ces derniers ont dit non, en France, mais aussi aux Pays-Bas, au Danemark ou en Irlande. Pourtant les dirigeants ont considéré que cela ne valait rien, au regard d'une orthodoxie européenne qu'ils considèrent au-dessus de toute démocratie.

    L'Europe s'est construite par effraction et l'essence du système européen est oligarchique. Le Conseil européen des chefs d'Etat est la seule institution légitime, mais ne se réunit que périodiquement et ne dispose pas d'outils pour traduire ses impulsions. La Commission européenne est composée de hauts fonctionnaires qui ne sont pas élus mais nommés de manière très opaque. Comme l'affirme la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, le Parlement européen n'est pas un parlement. Il ne peut pas l'être car il n'y a pas de peuple européen, mais une trentaine de peuples différents. Dès le départ, l'Europe repose sur un postulat non vérifié: on a voulu faire l'Europe contre les nations ; on pensait qu'elle pouvait s'y substituer. Or les nations sont le cadre d'expression de la démocratie. Il faut désormais aller sur la voie de l'Europe confédérale, la seule qui soit légitime et démocratique: celle qu'avait proposée le général de Gaulle en 1962 avec le plan Fouchet. Seule une Europe à géométrie variable, souple envers chaque pays, pourra avancer. Cette nouvelle Europe aurait vocation à déboucher sur une « Europe européenne » et non inféodée. Le traité transatlantique, s'il était adopté, serait un nouveau coup porté à ce qui reste de notre souveraineté. Celui-ci ne comporte pas d'avantages évidents pour la France et nous soumettrait à des normes et juridictions influencées par les Etats-Unis. J'attends que la France fasse entendre sa voix sur un sujet qui du temps du général de Gaulle ne serait pas passé inaperçu.

    Sur le fond, êtes-vous favorable au « Oui » comme Jean-Claude Juncker ou au « Non » comme Alexis Tsipras ?

    Je n'ai pas à me prononcer à la place du peuple grec qui doit prendre ses responsabilités. C'est un peuple courageux. Il l'a montré à plusieurs reprise dans son histoire: dans sa guerre d'indépendance puis, en 1940, face à l'Italie fasciste qu'il a fait reculer et face à l'invasion nazie en 1941. Traditionnellement, il y a un sentiment philhéllène qui s'exprime en France. Je me compte d'ailleurs parmi les gens qui aiment la Grèce car pour moi ce pays représente aussi l'antiquité, le grec ancien, la démocratie. Ne serait-ce que pour avoir eu jadis un accessit au concours général de version grecque, je ne peux pas leur en vouloir ! Sans la Grèce, il manquerait quelque chose d'essentiel à l'Europe.

    Pour le président la Commission européenne, un « non » voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit « non » à l'Europe. Partagez-vous ce point-de vue ?

    C'est absurde ! Comment un président de la Commission européenne peut-il parler ainsi ? Il confond la zone euro qui compte dix-huit membres et l'Union européenne qui en regroupe vingt-huit. Il existe donc dix pays qui ne sont pas dans l'union monétaire et qui sont dans l'Union européenne. La Grèce restera dans l'Europe. Et si, elle doit sortir de l'euro, nous devons l'aider à le faire dans des conditions qui ne soient pas trop douloureuses. Si la Grèce sort de l'euro, elle dévaluera sa monnaie qu'on pourrait appeler l'euro-drachme et rester attachée à l'euro dans un rapport stable de l'ordre de 70%. Il faudrait restructurer la dette à due proportion. Cette hypothèse est réaliste et remettrait la Grèce sur un sentier de croissance. Elle rendrait le pays encore plus attractif pour les touristes. Elle permettrait à la balance agricole grecque de redevenir excédentaire, ce qu'elle était avant l'euro et de développer une économie de services notamment dans la logistique et les transports. C'est un pays magnifique, l'un des plus beaux endroits du monde, qui bénéficie d'une véritable attractivité sur le plan géographique et d'un patrimoine historique pratiquement sans équivalent.

    Ceux qui prédisent le chaos en cas de sortie de la Grèce de l'euro jouent-ils la stratégie de la peur ou ont-ils raison ?

    Dans toute dévaluation, il y a des moments difficiles : dans les premiers mois et peut-être dans la première année. Mais ensuite, il y a des facteurs positifs qui interviennent : les produits du pays sont moins chers. Les avantages comparatifs qui sont les siens, sont accrus. Le tourisme par exemple bénéficie d'un effet d'appel. Des entreprises pourraient investir dans une perspective de rentabilité. L'Europe ne peut pas se permettre de rudoyer la Grèce, de l'écraser d'un pied rageur au fond du trou où elle se serait mise d'elle-même. Ce n'est pas raisonnable. Sauf si l'on souhaite dresser les peuples européens les uns contre les autres. Si la Grèce devait être amenée à recréer une sorte d'euro-drachme, il faudrait l'aider par des fonds structurels importants à supporter l'inévitable renchérissement de ses importations dans un premier temps. Et lui donner des facilités pour se redresser. Je pense qu'elle en a la capacité. Encore une fois, c'est un pays qui a beaucoup d'atouts.

    A terme l'éclatement, voire la disparition de la monnaie unique, sont-ils inévitables ?

    La monnaie unique a énormément accru les divergences de compétitivité entre pays européens. Prenons le cas de l'économie française. Elle avait un déficit commercial par rapport à l'Allemagne de vingt-huit milliards de francs en 1983. Aujourd'hui, le déficit de la France sur l'Allemagne serait selon certaines sources (Eurostat) de trente-cinq milliards d'euros. Comme l'euro, représente six fois et demi le franc, le déficit a au moins quadruplé en tenant compte de l'inflation depuis 1983. La monnaie unique, qui a définitivement empêché la France de dévaluer, nous met une sorte de nœud coulant qui se resserre. Nous sommes désormais tombés au niveau d'industrialisation de la Grèce (12 % du PIB). Nos fleurons du Cac 40 se développent, mais à l'étranger.

    Une sortie ordonnée de la zone euro, ou du moins de la monnaie unique est-elle possible ?

    Je suis profondément européen. Mais je ne crois pas que les modalités choisies pour la construction européenne actuelle soient les bonnes. Elles devraient être révisées. C'est très difficile parce que tous ces gens-là ont engagé leur crédit sur la monnaie unique. J'ai fait un petit livre qui s'appelle Le bêtisier de Maastricht. Il faut relire le florilège de déclarations de nos dirigeants de droite et de gauche, nous promettant, la prospérité, le plein emploi, que nous allions rivaliser avec l'Amérique, que le dollar n'aurait qu'à bien se tenir, etc. Une somme d'inepties qui ne peut que susciter le rire ou la commisération lorsqu'on relit tout cela avec le recul. Lorsqu'on a fait fausse route, il faut savoir revenir à la bifurcation et prendre la bonne direction. La monnaie commune pourrait être celle-ci.

    De quoi s'agit-il ?

    L'euro perdurerait comme symbole de notre volonté d'aller vers une Europe toujours plus unie, mais deviendrait monnaie commune et non plus unique. Elle serait valable dans les échanges internationaux en gardant des subdivisions nationales: l'euro-drachme, l'euro-lire, l'euro-mark, l'euro-franc, etc. Certains pays pourraient augmenter de quatre ou cinq pour cent la valeur de leur monnaie interne, d'autres la garder stable et certains, comme la Grèce, la diminuer. Tous les deux ou trois ans, on pourrait procéder à de légers ajustements pour tenir compte des compétitivités relatives qui permettraient de tenir dans la durée. Cette monnaie commune serait le panier des subdivisions nationales. Elle serait cotée sur le marché mondial des devises. Rien de plus simple ; le monde est flexible. Il y aurait une cotation qui interviendrait tous les jours et une certaine stabilité s'installerait entre cette monnaie commune, le dollar et le yuan. Derrière tout cela se profile la réorganisation du système monétaire international profondément malade.

    La France a-t-elle suffisamment pesé sur les négociations ?

    La France aurait pu intervenir d'une voix plus forte pour que le plan défini par l'Eurogroupe ne soit pas aussi dur sur le volet financier et sur le volet de la dette. Je pense que la France a perdu une occasion de faire entendre sa voix comme sur le dossier des sanctions contre la Russie qui nous pénalisent aussi. La vraie menace pour l'Europe n'est pas à l'Est, mais au Sud: c'est Daesh.

    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO 

     

  • Mémoire de la reine Marie-Antoinette, à Paris

    Intervention du président du Cercle de l’Œillet Blanc, au cours de la messe célébrée en mémoire de la reine Marie-Antoinette, le 15 octobre 2015 à Saint-Germain l’Auxerrois, suivie de la reproduction de la dernière lettre de Marie-Antoinette. 

     

    Monseigneur, Madame, Mesdames et Messieurs,

    Chaque 21 janvier, le Cercle de l’Œillet Blanc organise ici même une messe « à la mémoire de Louis XVI, Roi-martyr, de la famille royale, et de toutes les victimes de la Révolution française ». Cette mention incluant clairement la reine Marie-Antoinette, exécutée le 16 octobre 1793, alors que la Terreur ravageait la France.

    Toutefois, cette année, le Cercle a souhaité rendre un hommage personnalisé à Marie-Antoinette, dont la mémoire a – une fois de plus - été tournée en dérision par une œuvre controversée, exposée dans les jardins de Versailles.

    La liberté d’expression et de création ne sert pas que dans un sens. Si elle autorise la raillerie, la caricature, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’opprobre, elle doit permettre le respect, la louange, l’hommage. Et nous ne devons pas nous en priver.

    C’est donc par réaction que le Cercle a pris cette initiative, étant entendu qu’il entend renouveler chaque année cette commémoration. Car elle est nécessaire à nos mémoires, nos mémoires de monarchistes, certes, mais avant cela nos mémoires de Français.

    La dernière reine de France, par son destin si singulier, a inspiré bien des œuvres littéraires – au-delà des biographies de rigueur - et beaucoup des films connus. Dans toutes ces œuvres, elle y est dépeinte avec compassion et sympathie. Des romans d’Alexandre Dumas au film de Sofia Copola, de Michèle Morgan et Annie Ducaux à Kristen Dunst, la représentation de la Reine est toujours empreinte d’honnêteté, de pudeur, d’élégance ; on la voit accomplir parfaitement son rôle de reine, son rôle d’épouse, son rôle de mère.

    Souvenez-vous de la première série télévisée historique de la télévision française, Le chevalier de Maison-Rouge (d’après Dumas), qui a permis aux Français de redécouvrir son destin tragiqueet ses souffrances.

    Souvenez-vous que deux cents ans après sa mort, le spectacle de Robert Hossein, Je m’appelais Marie-Antoinette, eut pour double objectif de faire découvrir la vraie Marie-Antoinette (que les manuels scolaires de la République avaient largement caricaturée ou occultée), et de proposer aux spectateurs de voter, à la fin du spectacle, pour l’acquittement, l’exil, la prison ou la mort. L’acquittement ou l’exil l’emportèrent aisément, à chaque représentation.   

    De Secrets d’histoire à la comédie musicale de Didier Barbelivien dont les représentations débuteront à l'automne 2016, et qui a pour titre Marie-Antoinette et le Chevalier de Maison-Rouge, l’on peut être certain que notre reine passionne les Français. Or, c’est une passion empreinte de malaise, car subsiste dans la mémoire collective le souvenir de cette incarcération douloureuse, de cette séparation tragique d’avec les siens, de ce procès qui fait honte à ses juges, de cette condamnation inique, de ce supplice qui fait honte à ses bourreaux. 

    Les Français – et les étrangers – continuent à la découvrir, avec, par exemple, l’exposition qui lui a été consacrée, au Grand Palais, en 2008 ; elle contribua, parmi tant d’autres témoignages contemporains, à réhabiliter une reine cultivée et sensible, collectionneuse, et dont la contribution aux Arts décoratifs français pendant son règne fut très importante. Ne dit-on pas qu’en fait de « style Louis XVI » on devrait davantage parler de « style Marie-Antoinette » ?

    La réouverture, à Versailles, du Domaine de la Reine, également en 2008, comme les actuels travaux du Hameau de la reine, entamés l’année dernière, comme l’actuelle exposition, toujours au Grand Palais, consacrée aux œuvres de Madame Vigée-Lebrun, sont autant d’événements lumineux qui nous attirent vers le souvenir de la dernière reine de France.

    Etre reine à cette époque-là n’était pas facile, l’on était toujours sur un sol glissant, fissuré, branlant, jusqu’à se dérober sous ses pieds. Pourtant, elle fut pleinement reine, mais aussi pleinement épouse, mais aussi pleinement mère. Une mère qui connaît la douleur de perdre son quatrième enfant – songez au tableau de Madame Vigée-Lebrun, qui montre un berceau vide – puis celle de perdre son fils de sept ans, le Dauphin Louis-Joseph. On a oublié que ce second terrible événement intervint au début des États généraux, ceux-là même qui furent fatals à l’Ancien Régime. L’historien Jean-Christian Petitfils a souligné l’état psychologique d’un père et d’une mère éplorés, et qui doivent pourtant, au même moment, accomplir leur devoir de roi et de reine.

    Nous parlons d’une épouse et d’une mère ; car c’est bien d’une famille dont il s’agit. Une famille unie, une famille chrétienne, une famille exemplaire, dans la fortune comme dans les épreuves. Et l’on ne peut parler de famille royale sans évoquer le souvenir – sans doute pas assez consistant dans notre mémoire collective – de la sœur du Roi, Madame Élisabeth. Fidèle parmi les fidèles à sa famille, martyr comme son frère et sa belle-sœur, puisque suppliciée le 10 mai 1794, vingt ans jour pour jour après l’avènement de son frère. Et si nous nous revoyions le 10 mai 2016 ?

    Reine, épouse, mère… et amie. Marie-Antoinette inspire l’amitié de la Princesse de Lamballe, l’amie qui partit à l’étranger en 1791, pour revenir « auprès de la reine » en 1792 et y trouver la mort et les outrages.

    Songeons à la prison du Temple. Dans les archives du Vatican est conservée une lettre émouvante qu’elle écrivit à son beau-frère Artois au mois de décembre 1792 : « Recevez mes vœux pour cette nouvelle année et l’assurance de mon sincère attachement avec lequel je suis, Monsieur, votre affectionnée belle-sœur. » Puis vient avec 1793 la destruction « physique » de cette famille, avec les adieux au Roi, puis ce sont ses deux enfants qu’on lui arrache ; puis ce seront 76 jours à la Conciergerie ; puis un procès où, accusée de relations contre nature, elle prononce cette phrase fameuse : « J‘en appelle à toutes les mères de France… »

    La fin, c’est une lettre sublime et remplie d’émotions, adressée à Madame Élisabeth, non parvenue à sa destinataire (comme la reine dit le redouter) mais heureusement conservée ! La fin, c’est l’humiliation d’une charrette, le dos à la route, les mains liées dans le dos, un parcours de plus d’une heure entre la Conciergerie et la place qu’on nomme aujourd’hui « de la Concorde », une sorte de chemin de croix jusqu’à son Golgotha.  

    La fin, c’est sa dernière phrase, lorsqu’elle marche sur le pied de son bourreau : « Je vous demande pardon, Monsieur, je ne l’ai point fait exprès ». Élégance, courtoisie, grandeur d’une reine dans le moment ultime ! Elle a vécu en reine, et meurt en reine. A la dernière heure de sa vie, écrit Stephan Zweig, Marie-Antoinette atteint au tragique et devient enfin l’égale de son destin.

    Monseigneur, Madame, Mesdames et Messieurs, prions pour l’âme de notre reine et pour sa famille, prions pour la France, orpheline de sa reine.    

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    Dernière lettre de Marie-Antoinette, écrite à la Conciergerie dans la nuit du 15 au 16 octobre 1793

    16 octobre 1793, 4h 1/2 du matin 

    C’est à vous, ma sœur que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse – elle ne l’est que pour les criminels – mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien ; j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants. Vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur. Vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! La pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre. Je ne sais pas même si celle-ci vous parviendra. Recevez pour eux deux ici ma bénédiction. J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs, sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelles en feront le bonheur ; que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère, par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils à son tour, rende à sa sœur tous les soins, tous les services que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que dans quelque position qu’ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union ; qu’ils prennent exemple de nous. Combien dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolation, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami, et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort. […] 

    Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès, mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche a été si rapide que je n’en aurais réellement pas eu le temps. 

    Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée. N’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s’ils y entraient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que, dans Sa bonté, Il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps, pour qu’Il veuille bien recevoir mon âme dans Sa miséricorde et Sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais et à vous ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu leur causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis ; l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant. Qu’ils sachent du moins que jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux.

    Adieu, ma bonne et tendre sœur. Puisse cette lettre vous arriver. Pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu ! Qu’il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu, adieu, je ne vais plus que m’occuper de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot et que je le traiterai comme un être absolument étranger. 

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  • Livres • Bienvenue dans le pire des mondes ... Plongée dans les abysses de la pensée dominante

     

    Par Jean-Paul Brighelli 

    Du Brighelli comme on l'aime : plume alerte, directe, détendue; analyses sans concession, percutantes, justes; intelligence en éveil au sens critique redoutable; et, volens nolens, ici résolument antimoderne. Instructif et délectable.  LFAR

     

    2304514035.2.jpgLe 23 ou 24 novembre dernier, j’ai acheté le Monde — je me souviens à peu près de la date, parce que l’événement est tellement rare qu’il fait tache : je n’ai pas trop à cœur de financer l’un des journaux officiels (avec Libé) de la mondialisation décomplexée.
    Gaïdz Minassian y étalait sa bêtise et sa collaboration à la pensée unique dans une critique du livre tout frais sorti, signé du Comité Orwell, Bienvenue dans le pire des mondes (chez Plon, qui a cru vendeur de mettre Natacha Polony sur la couverture : du coup, elle est l’invité préférentielle, et même quand elle est à l’antenne avec Jean-Michel Quatrepoint, c’est elle que Ruquier fait parler, alors même qu’elle n’a pas, dit-elle, « écrit les meilleures parties du livre »).

    Le Comité Orwell est composé de journalistes de tendance souverainiste — entendons qu’ils revendiquent la souveraineté de la pensée, au service de la souveraineté de la France.
    (Et déjà, j’ai bien conscience de ce qu’a d’incongru une telle phrase, à une époque où parler de « la France » est une offense à la diversité, aux communautés, aux indigènes de la République et au libre droit des individus à cracher à la figure de Marianne — et à choisir la servitude volontaire).
    Ils ont souvent côtoyé, justement, Marianne — le magazine, du temps où il n’était pas patronné par cette cornegidouille de Renaud Dély, qui y a ramené tout ce que l’Obs, où il sévissait auparavant, a de boboïsme vendu. Tant pis pour les amis que j’y ai encore, et qui font le gros dos en attendant que…
    Le Comité Orwell, qui compte donc quelques belles intelligences, a rassemblé ses idées en un corps de doctrine, et balaye en 200 pages serrées les questions d’éducation (louanges à un livre qui explique benoîtement aux politiques aveugles que c’est la pierre fondamentale, et que Najat Vallaud-Belkacem est le bon petit soldat de l’apocalypse molle dans laquelle nous entraîne le « soft totalitarisme » — c’est le sous-titre de l’ouvrage — mis en place par la mondialisation, l’Europe bruxelloise, et l’empire américain), d’économie — analyse tout à fait lumineuse —, la démocratie, « nouvel habit de la tyrannie », et de « l’art de dissoudre les peuples » dès qu’ils ne votent pas comme vous voulez. 

    Revue de détail.

    Orwell est convoqué — c’est bien la moindre des choses — dès les premières lignes : « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». C’est que le radical de liberté a été pas mal galvaudé ces derniers temps, comme s’amuse à le faire (c’est un ouvrage très bien écrit, par des gens cultivés à l’ancienne, autant en profiter) la troisième phrase du livre : « Face à une idéologie dominante « libérale-libertaire », qui fait du libre-échange mondialisé un horizon indépassable et du primat de l’individu sur tout projet commun la condition de l’émancipation… »
    Disons tout de suite que c’est là la ligne de force du livre : l’atomisation du bien commun en appétits individuels, l’exaltation de l’individu afin de mieux l’asservir à ces appétits qui ne sont plus même les siens, mais ceux des firmes qui les concoctent et les leur vendent, et la combinatoire létale du néo-libéralisme (rien à voir avec le libéralisme tel qu’on le trouve par exemple chez Stendhal, où c’est essentiellement un refus de la monarchie constipée de la restauration : le néolibéralisme est « un modèle de libre-échange total et global »), et de cette pensée libertaire, nourrie de déconstruction, de « relativisme culturel » et de pédagogisme, qui s’est infiltrée dans ce qui fut jadis la Gauche et qui est aujourd’hui l’idiot utile de la dissolution nationale et du communautarisme (un gouvernement sensé commencerait par dissoudre le Parti des Indigènes de la république, dont le livre souligne assez qu’il tient un discours raciste). De la vraie liberté, plus de nouvelles. D’où « le sentiment que, par bien des aspects, nous ne sommes plus tout à fait dans ce qu’on peut appeler un régime démocratique ». Bref, la liberté, c’est l’esclavage — mais qui a lu 1984 était au courant.
    Comment ? Vous n’êtes pas pour l’ouverture ? Vous êtes donc pour la fermeture ? Le repli sur soi ? Le pouvoir a le pouvoir de manipuler les mots, il a tout ce qu’il faut de journalistes aux ordres et d’intellectuels auto-proclamés pour ça. Et ceux d’en face, ceux qui ne lèchent pas les cols de chemise de Bernard-Henry Levy, ne sauraient être que des « pseudo-z-intellectuels », comme dit l’autre.

    Pourquoi « soft totalitarisme » ? Par extension sémantique du « soft power » qui a pris le pouvoir dans notre monde sans guerre (sans guerre chez nous, quoique…) en diffusant un modèle culturel unique afin de mieux vendre un système économique unique. La grande réconciliation de Marx et de Gramsci. Le « It’s the economy, stupid » de Bill Clinton nappé d’une sauce TF1 / M6, afin que vous ne réalisiez pas que ce que vous mangez vous mange. Et de convoquer cette fois Huxley : « Un état totalitaire vraiment efficient serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et de leur armée de directeurs aurait la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer — telle est la tâche assignée dans les Etats totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la Propagande, aux rédacteurs en chefs des journaux et aux maîtres d’école. » C’est dans le Meilleur des mondes, et ça date de 1932. Avant même que le Propagandaministerium donne sa pleine puissance. Le soft totalitarisme est la revanche de Goebbels. La Boétie, je t’entends ricaner dans ta tombe !
    Bien sûr, c’est l’imminence de l’élection présidentielle qui a rendu urgentes la rédaction et la parution de ce livre. « Parce que la France ne peut se permettre de jouer une élection pour rien. Parce qu’elle est au bord de l’implosion, prise en tenailles entre le totalitarisme islamique et le soft totalitarisme dont la première caractéristique est qu’il ne se soucie nullement de cette barbarie qui n’entrave en rien sa progression. » Citoyen, si en avril prochain tu ne fais pas de ton bulletin de vote un pavé à lancer au visage de l’oligarchie qui ronronne aux manettes, il ne te restera plus qu’à te noyer dans le sirop d’oubli que te déversent le GAFA — Google / Apple / Facebook / Amazon — et Microsoft, qui n’entre pas dans l’acronyme, mais qui a su s’offrir l’Education Nationale française pour une poignée de cacahouètes.

    « L’Ecole fut le lieu de baptême de la démocratie ; elle en sonnera le glas ».
    L’accent mis sur l’oral (qui remonte quand même aux années 1960, sous la férule, à la DGESCO, d’un certain René Haby), la répudiation de toute culture autre que le fast food pour neurones atrophiés, et jusqu’à la réforme du collège et son cortège d’EPI, tout concourt à « la destruction des barrières culturelles freinant le déploiement généralisé du néolibéralisme et de son corollaire, la globalisation », et au « formatage des individus pour qu’ils adhèrent avec ferveur au modèle qui leur est proposé dans une insistance toute bienveillante ». Voilà comment en trois décennies ont a transformé en cancre un système éducatif qui fut le meilleur du monde — mais l’élitisme, c’est mal. L’éducation, rappelle les auteurs, fut jadis libérale — rien à voir avec les abus ultérieurs du terme : « Cette expression désigne une conception humaniste de la transmission des savoirs à travers l’étude des grandes disciplines » — voir la lettre de Gargantua à Pantagruel : « Maintenant toutes les disciplines sont restituées, les langues instaurées, le grec sans lequel il est honteux qu’une personne se dise savante, l’hébreu, le chaldéen, le latin. Des impressions fort élégantes et correctes sont utilisées partout, qui ont été inventées à mon époque par inspiration divine, comme inversement l’artillerie l’a été par suggestion du diable. Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, tant et si bien que je crois que ni à l’époque de Platon, de Cicéron ou de Papinien, il n’y avait de telle commodité d’étude qu’il s’en rencontre aujourd’hui. » Du XVIème au XIXème siècle, magnifique progression. Du XXème au XXIème siècle, remarquable régression. Voici que l’éducation, via les « compétences » imposées par la Stratégie de Lisbonne en 2000 (« les compétences sont la version moderne et technocratique des ces « savoir-faire » et « savoir-être » que des pédagogues bienveillants ont voulu substituer aux savoirs jugés élitistes et discriminants »), n’a plus pour but que de développer l’employabilité des futurs consommateurs — un mot qui commence mal. L’employabilité, mais pas l’emploi effectif. Dans le cauchemar climatisé des transhumanistes, l’espèce humaine se robotisera ou disparaîtra. Déjà Lactalis ne fabrique plus l’infâme truc plâtreux et pasteurisé appelé « camembert Président » qu’avec deux employés. Le reste, c’est le tour de main de la machine.
    Et contrairement à ce que nous serinent la plupart des politiques, « la globalisation n’a pas oublié l’éducation, c’est même son terrain de jeux prioritaire ». Parce qu’il est de toute première urgence de fabriquer les citoyens modèles d’un monde où la volonté des multinationales s’est substituée déjà au pouvoir des Etats — et que c’est l’un des enjeux centraux des échéances à venir : soit vous votez pour des partis qui veulent restaurer l’Etat et la Nation, soit vous êtes morts en croyant être vivants.
    La cible de choix de ses processus déstructurants, ce sont les classes moyennes, dont la lente émergence avait constitué l’histoire du XVIIIème au XXème siècle. Parce que c’est l’envie de culture, associée à l’envie de mieux-être de ces classes mouvantes qu’il faut éradiquer — et qui est le noyau dur de la résistance à la mondialisation. Se cultiver, c’est entrer dans le champ illimité du libre-arbitre. Déculturer le peuple, c’est ce à quoi se sont ingéniées toutes les politiques éducatives depuis trente ans ou quarante ans : le livre analyse en détail ces trois temps forts que furent la renonciation à la convertibilité du dollar en 1971, le tournant de la rigueur en 1983 et la célébration du bicentenaire en 1989, coïncidant avec les premières tergiversations sur le voile islamique et à trois mois près avec la chute de la maison Russie. La méritocratie permettait à quelques fractions du peuple d’accéder à l’élite — qui n’entend plus aujourd’hui laisser la moindre part de gâteau à des enfants exogènes à l’oligarchie dominante. Voter pour les mêmes, c’est se condamner, et condamner vos enfants, à stagner à tout jamais — en fait, à régresser sans cesse jusqu’à ce qu’un salaire universel minimum — les Romains faisaient déjà ça très bien dans les cirques où étaient célébrés les jeux du cirque et de TF1, avec distributions de blé afin de nourrir les (télé)spectateurs — leur permette de végéter sur les mages d’un système qui se goinfrera sur leur dos. On y est presque — la Finlande, ce modèle des anti-modèles qu’on nous sert depuis quinze ans que PISA décide de nos destinées, vient de s’y mettre.
    J’avais pris une foule de notes supplémentaires — c’est un livre très dense, dont chaque phrase fait mouche et ouvre la pensée sur les abysses de la pensée dominante. Jamais Cassandre n’a parlé avec tant d’éloquence. Mais je vais en rester là — vous n’avez qu’à l’acheter, vous ne serez pas déçus. 

    Jean-Paul Brighelli
    Enseignant et essayiste, anime le blog « Bonnet d'âne » hébergé par Causeur.

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    Comité Orwell

  • Livres & Société • Quel est celui que l'on prend pour Michel Houellebecq ?

     

    Par Sébastien Lapaque           

    TRIBUNE - La parution du Cahier de L'Herne consacré à l'auteur de Soumission permet de mieux connaître l'écrivain le plus célèbre et le plus méconnu de son époque, estime Sébastien Lapaque, dans cette remarquable tribune [Figaro - 4.01]. Analyse foisonnante, où tout retient l'attention, provoque la réflexion, suscite l'adhésion, fût-elle partielle. Un certain nombre d'entre nous se souviendront, à lire ces lignes, que la jeunesse de Sébastien Lapaque fut d'Action française. A la manière de Bernanos, dont il ne s'est, semble-t-il, jamais éloigné. Tout mérite l'intérêt du lecteur dans cette tribune. S'il faut en détacher un seul élément, nous retiendrons celui-ci :  « Michel Houellebecq est français par toutes les fibres de son être. »  LFAR

     

    XVM0873a6c0-d2ad-11e6-a9e9-ec8855ae56b6.jpg« Lapaque, tu n'arriveras pas à faire de moi un écrivain catholique !» m'avertissait un jour Michel Houellebecq, avec lequel j'essayais sans doute de reparler de saint Paul, de Pascal et de Péguy. C'était en avril 2013 au moment où Configuration du dernier rivage paraissait en librairie. Dans ce recueil, il me semblait avoir trouvé des poèmes où passait l'ombre de la foi. Par exemple celui-ci : « Disparue la croyance / Qui permet d'édifier / D'être et de sanctifier, / Nous habitons l'absence. » J'en parlais à l'écrivain. Mais il était tard, à Paris, je ne me souviens plus de tout. Après les verres de blancs, descendus tout seuls, Houellebecq avait bu deux, trois, de nombreux verres de Grand Marnier, simplement accompagné de glaçons.

    La première fois que j'avais vu Michel Houellebecq, c'était en 1996, au premier étage du café de Cluny, où Arthur Rimbaud calligraphia jadis un quatrain scatologique sur les murs des toilettes. Aujourd'hui, les sauvageons ont moins souvent l'insolence rimeuse et le café de Cluny a cédé la place à une pizzéria qui régale des touristes japonais de plats réchauffés par des Pakistanais sous-payés. N’importe ! Je revois comme si c'était hier Houellebecq assis dans la grande salle où Verlaine s'étiola à l'absinthe. Avec Luc Richard, nous étions venus interroger pour la revue Immédiatement le poète signalé de La Poursuite du bonheur (1991) et du Sens du combat (1996), qui n'était pas encore le romancier couvert de gloire des Particules élémentaires (1998), de La Carte et le Territoire (2010) et de Soumission (2015). Le succès d'estime de son roman Extension du domaine de la lutte (1994) avait cependant commencé d'établir sa réputation parmi les vrais lecteurs ; et celle-ci n'était pas encore mauvaise chez les agents de la circulation idéologique.

    Avec Michel Houellebecq, nous avions parlé du Christ, de la malédiction de Babel, de la liberté et de la grâce, de la raison raisonnante, du péché originel, de la Réforme protestante, de la gloire de Dieu et du salut du monde. Notre entretien, publié dans le n°2 d'Immédiatement, en décembre 1996, avait déclenché des orages. « Nazifacho », « national-révolutionnaire » et tout le tremblement… Ça nous apprendra d'aller à la messe le dimanche. Stratège prudent entouré d'une cour de vigilants, Michel Houellebecq l'avait prudemment fait disparaître du volume de « réflexions théoriques » intitulé Interventions, publié avec Les Particules élémentaires, roman choc destiné à obtenir le prix Goncourt à l'automne 1998.

    Cette pièce à conviction reparaît à deux décennies de distance, dans le Cahier de l'Herne consacré à Michel Houellebecq. On le découvrira pour vérifier mon obstination. « Lapaque, tu n'arriveras pas à faire de moi un écrivain catholique !» A l'époque, déjà, j'essayais vainement de lui faire parler d'une montée transgressive vers le dieu qui s'élucide notamment dans ses poèmes. « A rebours », comme dirait Huysmans, Michel Houellebecq semble cheminer vers le porche du mystère, recherchant l'abondance du péché pour provoquer la surabondance de la grâce.

    Depuis notre conversation de 1996, et malgré le moment « bouddhiste » de Platerforme (2001) et de La possibilité d'une île (2005) destiné à amuser les cancres des Inrockuptibles, l'écrivain a souvent expliqué qu'il avait essayé de se convertir au catholicisme mais que Dieu ne voulait pas de lui. Dieu n'en voudrait pas ? Je ne critique pas le côté farce, mais pour le fair-play, il y aurait quand même à redire.

    Dans L'Herne, c'est à Maurice G. Dantec, écrivain prodigue mort en juin 2016, qu'il revient de répondre à Michel Houellebecq. « La foi est une grâce. Là-dessus Michel, tu n'y peux rien. Mais bizarrement, nous catholiques, on est du côté de la raison. On n'est pas des fidéistes comme les islamistes. Tu peux te faire baptiser sans avoir une foi foudroyante. Si tu crois à l'Ancien et au Nouveau Testament, si tu penses que le peuple juif est probablement le peuple le plus important de l'histoire humaine, si tu crois que la civilisation occidentale, pas celle décadente d'aujourd'hui mais celle de ses fondations, celle du Moyen Age, celle de la haute Antiquité, les Grecs, les Romains, ça a une valeur, fais-toi baptiser, et confirmer. Je te le dis comme ça. On n'est pas des fidéistes, tu n'es pas obligé d'avoir, je te répète, une foi mégatonnique. Mais si tu es du côté de la raison, tu comprendras que la foi catholique, c'est la seule vraie. Et donc dans ce cas-là, va voir un prêtre, fais-toi baptiser et confirmer, tu seras sauvé. Ça sera un beau cadeau pour toi, je dirais. » Romancier démiurge, génial et fou, Dantec avait des intuitions lumineuses et surprenantes. Et sa fusée d'outre-tombe établit un lien nécessaire entre l'Ancien et le Nouveau Testament, partant entre juifs et chrétiens. Seule une lecture incomplète de Soumission, sorti le 7 janvier 2015, le jour de la tuerie islamiste à la rédaction de Charlie Hebdo, peut laisser penser que « ce roman fantasme (…) une réconciliation entre les courants identitaires de tradition catholique et un Islam rigoriste », ainsi que le fait Marc Weitzmann dans L'Herne. C'est dommage, car la subtile réflexion de Weitzmann sur l'œuvre de Houellebecq et sa route d'écrivain est par ailleurs une des plus libres et des plus intéressantes. Comment peut-il évacuer de manière si légère le personnage central de Myriam, le dernier amour de François, le narrateur de Soumission, qui la regarde avec désespoir s'exiler en Israël avant de céder à la proposition islamique et à la volonté de puissance subséquente ? Comme Marie, mère de Jésus, Myriam en hébreu, fille juive de Judée, héritière d'une longue lignée de matriarches illustrée par Sarah, Rebecca, Rachel et Léa, figure centrale de la foi catholique qui appartient cependant entièrement à la Bible hébraïque, la Myriam de Soumission ne sépare pas les juifs et les chrétiens. Elle les unit.

    Dans notre entretien de 1996, Houellebecq avouait son émerveillement pour la place faite par l'Eglise à Marie-Myriam, « Celle qui pleure », comme disait Bloy. « J’ai d'ailleurs la plus profonde estime pour le catholicisme. (…) Il a attribué un rôle très important à la Vierge, à tel point qu'on peut se demander si à certaines époques comme le Moyen Age, on ne mettait pas la Vierge au centre de tout. » L'homme qui parle ainsi ne peut pas souhaiter voir « les Juifs en Israël », comme le suggère Marc Weitzmann. Qui a lu La Carte et le Territoire, prix Goncourt 2010, sait que Michel Houellebecq est français par toutes les fibres de son être. Or un Français ne peut pas ignorer ce que le philosophe Michaël Bar-Zvi rappelle avec passion dans Israël et la France, l'alliance égarée (éd. Les Provinciales, 2014). La rencontre entre juifs et chrétiens, dans le cher et vieux pays, n'est pas circonstancielle. Elle est consubstantielle. Israël n'est pas une greffe sur l'arbre français. C'est le tronc lui-même, ainsi que Charles Péguy, que Michel Houellebecq aime plus qu'il n'ose généralement le dire — ce qu'il aurait dû rappeler à Bernard-Henri Lévy à l'occasion de leur dialogue de sourds —, s'est acharné à l'expliquer aux antisémites dans Notre Jeunesse. Les Capétiens n'étaient-ils pas réputés descendre directement d'une des tribus perdues d'Israël, ainsi que Colette Beaune l'a expliqué dans Naissance de la nation France ? Et le roi de France nommé novus David, nouveau David, au moment où il recevait l'onction sacrée dans la cathédrale de Reims ?

    Avec le départ de Myriam pour Israël et l'échec de la conversion de François au catholicisme, la défaite mise en scène dans Soumission est double et la France y perd doublement son âme. Pour éviter d'être « soit dans l'anathème, soit dans la génuflexion », ainsi que le déplore Marc Weitzmann, qui se désole d'avoir assisté à l'apparition d’ « un phénomène de cour autour de lui », il faut savoir lire Michel Houellebecq sans être dupe de son art de jouer avec les situations d'énonciation.

    Quel est celui que l'on prend pour Michel Houellebecq ? C'est la question qui venait à l'esprit en visitant l'exposition « Rester vivant » présentée au Palais de Tokyo entre juin et septembre 2016 ; elle continue d'être posée par le Cahier de l'Herne qui est présentement consacré à l'écrivain, avec des interventions, des contributions, des documents et des témoignages venus d'horizons très variés — mais tous parfaitement under control, ainsi qu'on le pressent. Comme l'exposition du Palais de Tokyo, L'Herne Houellebecq est une façon d'installation conçue par l'écrivain lui-même pour modifier la perception de son œuvre et de sa vie. Pourquoi pas ? S'élaborer soi-même est le privilège de l'artiste, qui est libre de s'inventer et de se réinventer en faisant « de son corps, de ses comportements, de ses sentiments et passions, de son existence une œuvre d’art » ainsi que l'avait observé Michel Foucault à propos de Charles Baudelaire. Nous préférons voir Houellebecq et son œuvre déconstruits par lui-même, et par quelques-uns de ses amis, plutôt que ses romans soumis à un interrogatoire de police. Il y a des gens qui savent lire, au sommaire de ce Cahier d'un genre un peu particulier : Michka Assayas, Frédéric Beigbeder, Sylvain Bourmeau, Emmanuel Carrère, Pierre Cormary, Dominique Guiou, Jérôme Leroy, Michel Onfray, Lydie Salvayre et Marin de Viry. D'autres dont l'intelligence nous manque, comme Bernard Maris et Philippe Muray. Outre celle de Jean-Marc Quaranta, auteur de l'excellent Houellebecq aux fourneaux (éd. Plein Jour, 2016), l'écrivain a par ailleurs la chance d'avoir suscité l'attention d'universitaires de grande qualité. Ainsi Agathe Novak-Lechevalier, patiente maître d'œuvre de la somme biobibliographique présentée aujourd'hui. Ou Bruno Viard, auteur d'une passionnante contribution intitulée « Situation politique et historique de Houellebecq » dans laquelle il insiste sur les stratégies de brouillage d'un artiste largement « antiphrasique » et « ironique ». Orfèvre du contrepied, l'homme est également doué pour faire coïncider les opposés. « L’antilibéralisme systématique de Houellebecq le place à l'extrême gauche au plan socio-économique mais à droite au plan de la morale. » C'est ce qui nous plaisait à l'époque de la revue Immédiatement, où nous savions par cœur les vers du Sens du combat : « Nous refusons l'idéologie libérale au nom de l'encyclique / de Léon XIII sur la mission sociale de l'Évangile et dans le / même esprit que les prophètes antiques appelaient la ruine / et la malédiction sur la tête de Jérusalem ».

    Après le café de Cluny, il y eut d'autres rencontres, notamment un dîner dans le XVe arrondissement, conclu par une partie de baby-foot au bar Le Cadran Breton, du côté de Montparnasse. Elle opposait une doublette d'Immédiatement au duo Michel Houellebecq/Benoît Duteurtre. Ce soir-là, on découvrit que le Michel de la vie réelle ressemblait au Michel des Particules élémentaires. Non seulement il aimait porter des anoraks et des bonnets ridicules, mais il ne savait pas jouer au baby-foot. 

    « Qui a lu La Carte et le Territoire, prix Goncourt 2010, sait que Michel Houellebecq est français par toutes les fibres de son être. »

    Sébastien Lapaque      

    Sébastien Lapaque est romancier, essayiste et critique littéraire au Figaro. Prix François Mauriac de l'Académie française en 2000 et prix Goncourt de la nouvelle en 2002, il a récemment publié La Convergence des alizés (éd. Actes Sud, 2012) et Théorie d'Alger (éd. Actes Sud, 2016). Il a lu pour le FigaroVox le nouveau Cahier de l'Herne consacré à Michel Houellebecq.

  • Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » (1/2)

     

    Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers     

    Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien où il expose, dans une première partie, comment nous surchargeons l'édifice social de tourelles sociétales et postmodernes au point qu'il risque de s'écrouler. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant d'en débattre. En attendant - demain - une seconde partie tout aussi riche. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité.  LFAR   

                

    PAR20090314067.jpgQuand Élisabeth Guigou défendait le PACS, elle jurait que celui-ci n'ouvrirait pas la voie au mariage et à l'adoption des couples homosexuels. Or, récemment, la ministre de la Famille a décidé d'abroger une circulaire qui interdisait aux gynécologues de conseiller à leurs patientes une insémination à l'étranger. Pensez-vous que le mariage pour tous engendrera mécaniquement la PMA et la GPA ?

    Concernant Élisabeth Guigou, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir: elle a dit qu'elle était sincère au moment du PACS, avant d'évoluer en faveur du mariage. D'autres déclarations de sa part laissent cependant entendre que sa position en 1999 était essentiellement tactique. Les mêmes incertitudes se retrouvent aujourd'hui envers ceux qui ont affirmé que la loi Taubira n'impliquait rien concernant la PMA « pour toutes » ou la GPA. Ce qui est certain, c'est que les plus ardents promoteurs de cette loi visaient, à travers elle, un changement du droit de la famille et de la filiation. De ce point de vue, la Manif pour tous a eu un effet : par son ampleur elle a empêché, au moins provisoirement, la mise à feu du deuxième étage de la fusée.

    Pour l'heure, la démarche pour contourner les obstacles consiste à pratiquer le law shopping, c'est-à-dire à se rendre dans certains pays qui permettent ce qui est interdit ici, puis à réclamer de retour en France une régularisation de la situation. Si le phénomène prend de l'importance, on accusera le droit français d'hypocrisie, et on le sommera d'autoriser ce que de toute façon il entérine après coup. On pourra même invoquer le principe d'égalité, en dénonçant un « droit à l'enfant » à deux vitesses, entre ceux qui ont les moyens de recourir au « tourisme procréatif » et les autres.

    La plupart des acteurs politiques qui souhaitaient revenir sur le mariage pour tous ont fait machine arrière. Diriez-vous que les lois sociétales sont irréversibles ?

    Cela dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place. À court terme, le mouvement semble irréversible. À plus long terme, il est difficile de se prononcer. Depuis plusieurs décennies, nous surchargeons l'édifice social et juridique de tourelles postmodernes par ci, d'encorbellements rococos par là, sans nous préoccuper des murs porteurs qui n'ont pas été prévus pour ce genre de superstructures, et qui donnent d'inquiétants signes de faiblesse. Si les murs finissent par s'ébouler, toutes ces « avancées » dont on s'enchante aujourd'hui s'écrouleront.

    Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences, dont nous ne vivons pour l'instant que les prodromes. Nous aurons à faire face au cours de ce siècle à de gigantesques difficultés - écologiques, économiques, migratoires. Le « jour du dépassement », c'est-à-dire le jour où les ressources renouvelables de la terre pour l'année en cours ont été consommées, arrive toujours plus tôt - en 2016, dans la première quinzaine d'août. Autrement dit, notre richesse actuelle est fictive, elle est celle d'un surendetté avant la banqueroute. Lorsque les diversions ne seront plus possibles, nous nous rappellerons avec incrédulité que dans les années 2010, la grande urgence était le mariage pour tous. Cela paraîtra emblématique de l'irresponsabilité de ce temps. En fait, la polarisation sur les questions « sociétales » est une façon de fuir la réalité : se battre pour la PMA pour toutes ou la GPA, c'est aussi éviter de penser à ce à quoi nous avons à faire face.

    N'est-on pas aujourd'hui dans une extension infinie des « droits à » comme le « droit à l'enfant » ? Cela ne risque-t-il pas d'enfreindre des libertés fondamentales comme les « droits de l'enfant » ?.

    Le discours des droits est devenu fou. Historiquement, l'élaboration de la notion de droits de l'homme est liée au développement des doctrines de contrat social, selon lesquelles, dans un « état de nature », les humains vivaient isolés, avant que les uns et les autres ne passent contrat pour former une société. Dans l'opération, les individus ont beaucoup à gagner : tout ce que l'union des forces et des talents permet. Ils ont aussi à perdre : ils doivent abdiquer une partie de leur liberté pour se plier aux règles communes. Qu'est-ce que les droits de l'homme ? Les garanties que prennent les individus vis-à-vis de la société pour être assurés de ne pas trop perdre de cette liberté. Garanties d'autant plus nécessaires que les pouvoirs anciens, aussi impérieux fussent-ils, étaient plus ou moins tenus de respecter les principes religieux ou traditionnels dont ils tiraient leur légitimité. À partir du moment où l'ordre social se trouve délié de tels principes, il n'y a potentiellement plus de limites à l'exercice du pouvoir : à moins, précisément, qu'un certain nombre de droits fondamentaux soient réputés inaliénables. Comme l'a dit Bergson, chaque phrase de la Déclaration des droits de l'homme est là pour prévenir un abus de pouvoir.

    Depuis, la situation a connu un retournement spectaculaire. Les droits de l'homme, de cadre institutionnel et de sauvegarde des libertés individuelles face à d'éventuels empiètements de l'État, sont devenus sources d'une multitude de revendications adressées par les citoyens à la puissance publique, mise en demeure de les satisfaire. La Déclaration d'indépendance américaine cite trois droits fondamentaux : le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à poursuivre le bonheur. Mais aujourd'hui, ce dernier droit est compris par certains comme droit au bonheur. Dès lors, si quelqu'un, par exemple, estime indispensable à son bonheur d'avoir un enfant, alors avoir un enfant devient à son tour un droit, et tout doit être mis en œuvre pour y répondre.

    Au point où nous en sommes, la seule limite à laquelle se heurte l'inflation des droits tient aux conflits que leur multiplication entraîne. Par exemple : l'antagonisme entre le droit à l'enfant et les droits de l'enfant. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, il n'y a plus d'anonymat du donneur masculin pour les PMA, parce que les moyens mis en œuvre pour l'exercice du droit à l'enfant doivent respecter le droit de l'enfant à connaître ses origines. C'est la bataille des droits.

    Comment définir la limite entre le droit de poursuivre le bonheur et celui de l'avoir, entre les actions individuelles et l'intervention de la société et de l'État ?

    Prenons l'exemple du droit qu'il y aurait, pour une femme seule ou pour deux femmes, d'aller à l'hôpital pour concevoir par PMA. Il ne s'agit pas d'obtenir de l'État la levée d'un interdit (la loi n'interdit à personne d'avoir un enfant), mais d'exiger de lui qu'il fournisse gratuitement à toute femme qui en fera la demande une semence masculine, qu'il se sera préalablement chargé de collecter en vérifiant sa qualité, et dont il aura effacé la provenance. Pourquoi fournirait-il un tel service ? Pourquoi se substituerait-il à l'homme manquant ? Pour des raisons médicales - comme le M de PMA le laisse entendre ? Mais où est l'infirmité à pallier, la maladie à soigner ?

    Ce mésusage du mot « médical » va de pair avec les emballements qu'on observe dans le discours des droits. Dans le préambule à sa Constitution, adoptée en 1946, l'Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme de plus « la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain », on voit qu'une infinité de droits peuvent se réclamer d'un droit à la santé ainsi compris. En particulier, un droit à tout type d'« augmentation » et de procréation, dès lors que quiconque estime cette augmentation ou ce type de procréation nécessaires à son bien-être.

    À propos de la procréation techniquement assistée, il faut aussi tenir compte d'un fait : cette intervention technique autorise les diagnostics pré-implantatoires et rend envisageable la sélection d'un nombre croissant de caractères, qu'on voit mal certaines cliniques privées, dans des États accueillants, se priver de proposer. Dès lors, ceux qui conçoivent des enfants à l'ancienne pourront se sentir désavantagés par rapport à ceux qui recourent à ces procédés, et seront tentés eux-mêmes de les adopter. On voit le paradoxe : la modernité était habitée par un idéal de liberté de la personne. Mais la liberté devient un leurre quand chaque fonction vitale suppose, pour être remplie, l'allégeance à un système économico-technique hégémonique. C'est au tour de la procréation, demeurée scandaleusement sexuelle et artisanale jusqu'à aujourd'hui, d'être prise dans le mouvement.

    Il est possible d'acheter des enfants sur catalogue dans certains États en choisissant leurs prédispositions génétiques, comme la couleur de leurs yeux. En matière de progrès technique et sociétal, diriez-vous comme Einstein qu'il y a « profusion des moyens et confusion des fins » ?

    Je pense à une chanson des Sex Pistols, ce groupe de punk anglais des années 1970. Dans Anarchy in the UK, le chanteur Johnny Rotten hurlait : « I don't know what I want, but I know how to get it» (« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir »). Ça me semble emblématique de notre époque. Nous ne cessons de multiplier et de perfectionner les moyens mais, en cours de route, nous perdons de vue les fins qui mériteraient d'être poursuivies. Comme le dit le pape dans sa dernière encyclique, « nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques ».

    Cette absorption des fins dans le déploiement des moyens des fins est favorisée par l'esprit technicien, qui cherche à perfectionner les dispositifs pour eux-mêmes, quels que soient leurs usages, une division du travail poussée à l'extrême, qui permet d'augmenter la productivité, et le règne de l'argent, qui fournit un équivalent universel et permet de tout échanger. Plus le travail est divisé, plus le lien entre ce travail et la satisfaction des besoins de la personne qui l'accomplit se distend. On ne travaille plus tant pour se nourrir, se loger, élever ses enfants etc. que pour gagner de l'argent. Cet argent permet certes ensuite d'obtenir nourriture, logement etc., mais, en lui-même, il est sans finalité spécifiée. C'est pourquoi, au fur et à mesure que la place de l'argent s'accroît, on désapprend à réfléchir sur les fins : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir » - par de l'argent.

    Il ne s'agit pas de critiquer la technique, la division du travail ou l'argent en tant que tels, mais de se rendre compte qu'il existe des seuils, au-delà desquels les moyens qui servaient l'épanouissement et la fructification des êtres humains se mettent à leur nuire, en rétrécissant l'horizon qu'ils étaient censés agrandir. 

    Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.      

    A lire demain ...

    Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)       

  • Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)

     

    Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers     

    Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien dont nous avons publié hier la première partieDans cette seconde partie, il expose comment le monde actuel connaît un processus de planétarisation, à dominante largement économique, où la politique se dissout. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant, d'en discuter tel ou tel élément, d'en débattre. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité.  LFAR

                

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    Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ?

    Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera mise en œuvre.

    On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ». Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien, ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et d'acclimatation.

    Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience. Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au domaine sociétal ?

    Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine arrière alors que les mœurs ont changé.

    En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution : lorsqu'un dommage, quoique incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.) L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent.

    On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le truchement du droit ?

    Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement « peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple, les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ?

    La vérité est que nous sommes tous engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ; de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit sauvegardée.

    Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! » d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant », même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ».

    D'où est venu ce processus? Pourrait-il s'arrêter un jour ?

    On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski, dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui sont roulés dessous.

    Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ?

    Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les « éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché.

    La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle.

    Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines.

    Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférables à quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte, devrait y perdre.

    Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme ?

    L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané ».

    Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités présentes, et de revenir à la vie. 

    Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.      

    A lire ...

    Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » (1/2)

       

  • Mémoire • Homélie de la messe de requiem pour le roi Louis XVI, à Saint-Germain-l'Auxerrois

     

    Prône de la messe de Requiem pour le roi Louis XVI, le samedi 21 janvier 2017, il y a exactement deux semaines, en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, par le P. Jean-François Thomas s.j. 

    Monseigneur, Madame, mes chers Frères,

    Si le Roi des rois a connu une telle déréliction et une telle solitude lors de son passage parmi nous, il ne faut point être surpris qu’un roi terrestre digne de sa mission doive connaître une souffrance identique par imitation du Maître. Les succès humains sont toujours entachés d’une certaine prosternation devant les règles du monde et ceux qui les inspirent. Un fils de saint Louis, par son sacre, plie la nuque sous les insignes royaux et devient un serviteur du Christ, et donc de ses frères, se condamnant à ne pas être compris ou aimé s’il demeure fidèle.

    Les deux sceptres

    Le 11 juin 1775, dans la cathédrale Notre Dame de Reims, Louis XVI reçoit les deux sceptres : la main de justice, symbole de vertu et d’équité, ornée de la dextre divine bénissant, aide le roi à guider les égarés, à relever ceux qui sont tombés, à récompenser l’humilité et à confondre l’orgueil ; le sceptre royal, marque de puissance, rappelle au roi ses devoirs de mener une vie droite, de lutter contre le mal pour le bien de son peuple chrétien et d’aider chacun à demeurer sur un chemin de justice. Le Roi était pieux et il comprit la symbolique de tous les rites de son couronnement, désirant restaurer l’élan religieux brisé dans le royaume par la décadence et l’immoralité du siècle des Lumières. Il accepta le poids de la couronne et avec elle les épines qui le rendraient de plus en plus conforme à Celui qui l’avait revêtu de son autorité. Il entra ainsi, seul, dans sa fonction, entouré par la médiocrité tintamarresque de son époque. Dieu allait permettre que ce roi, le plus vertueux de tous depuis bien des règnes, connût l’abjection la plus complète, le dénuement, la trahison, la mort ignominieuse.

    L’homme seul

    Cette solitude vécue par le Roi, il ne la subit pas mais il l’embrassa, chaque jour davantage, alors qu’il avançait vers le sacrifice et vers le martyre. C’est là que réside son héroïsme et, osons le dire, sa sainteté. Un parcours identique fut suivi, cent trente ans plus tard, par Nicolas II et sa famille. Seulement la Russie moderne, de nouveau orthodoxe, a eu l’humilité de reconnaître son crime et de canoniser ces victimes de la violence diabolique. La France, elle, n’a pas eu le courage de confesser son péché, de courber la tête et l’Eglise catholique se désintéresse des vertus de ce Roi. La solitude consentie du Roi nous renvoie à la solitude qui est la nôtre depuis que nous l’avons assassiné en commettant ce parricide. Ce qui surgit du bain de sang de la révolution, et qui nous poursuit comme un spectre, est l’homme que nous sommes, dans toute sa faible nature, se condamnant à errer seul dans le monde par orgueil car il repousse désormais toute dépendance et toute servitude vis-à-vis du transcendant. De tout temps, cet homme a aimé la rhétorique, qu’elle tombât de la tribune ou de la chaire, du comptoir de bar ou d’un fauteuil d’académie. Cependant, la rhétorique révolutionnaire, mijotée par les soins pernicieux des philosophes de ce siècle enténébré, poussa l’homme dans un gouffre dont il ne remonta jamais. Les rhéteurs et les orateurs de Quatre-vingt-treize ont tous été engloutis par leur propre fureur, laissant l’homme, c’est-à-dire nous, leurs fils hélas, tout pantelants et pataugeant dans notre bourbier, ceci jusqu’à ce jour, puisque nous avons refusé de crier notre solitude de damnés et d’implorer le pardon. Léon Bloy écrit dans La Chevalière de la Mort : « Une rhétorique telle qu’on en avait jamais vu chez aucun peuple, apparut en ces temps, comme un météore prodigieux, annonciateur désorbité de la débâcle universelle. (…) Sous le masque sanglant d’une rhétorique transcendante poussée jusqu’à l’égorgement et jusqu’à la terreur suprême, l’homme immuable, le misérable Homme de la Chute, suait et haletait dans son éternelle lamentation. »

    Les consolations spirituelles

    Louis XVI fut privé de tous les dictames humains à partir de 1789 et il ne mit plus son espérance que dans les consolations spirituelles. Le 11 mars 1791, il écrivait dans une lettre adressée à un des précepteurs du Dauphin : « Parlez-lui et toujours avec respect de Dieu, de ses attributs et de son culte : prouvez-lui que l’autorité des rois vient de Dieu ; et que s’il ne croit pas à la puissance du Maître des rois, il sera bientôt la victime de ces hommes qui ne croient rien, méprisent l’autorité, et s’imaginent être les égaux des rois. Qu’il apprenne dès à présent, que la religion est digne de tous ses hommages ; que l’incrédulité et la fausse philosophie minent sourdement les trônes, et que l’autel est le rempart des rois religieux. Méfiez-vous de tous ces principes erronés, enfants perdus de la nouveauté, de l’esprit du siècle, et du poison de l’incrédulité. Loin de lui tous les ouvrages où la philosophie prétend juger Dieu, son culte, son église et sa loi divine. »

    « Mon frère, bientôt je ne serai plus… »

    Au fur et à mesure qu’il perdit de son pouvoir, il gagna en autorité naturelle car il s’en remit sans crainte entre les mains du Créateur. Ce que Bossuet souligna dans son oraison funèbre du grand Condé, pourrait s’appliquer à Louis XVI : « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté comme le premier caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. » Cette bonté du Roi est éclatante dans les pires jours de son asservissement, de son emprisonnement, de son accusation, de sa condamnation. Il écrit du Temple, à Monsieur de Malesherbes, un de ses avocats : « Je ne me fais pas illusion sur mon sort ; les ingrats qui m’ont détrôné ne s’arrêteront pas au milieu de leur carrière ; ils auraient trop à rougir de voir sans cesse, sous leurs yeux, leurs victimes. Je subirai le sort de Charles I, et mon sang coulera pour me punir de n’en avoir jamais versé. » Et à Monsieur, son frère, il avoue dans une missive du 28 avril 1792 : « Lorsque la tempête brise le vaisseau, il ne reste au passager que le courage de la résignation ; c’est à peu près ma position. Les périls qu’on me fait appréhender, n’altéreront jamais ce que je me dois comme Roi, et comme chef d’une des premières nations du monde. » Le 11 août 1792, n’ayant plus d’illusion sur l’issue de son sort, il lui demande : « Mon frère, bientôt je ne serai plus, songez à venger ma mémoire, en publiant combien j’aimais ce peuple ingrat. Un jour rappelez-lui ses torts, et dites-lui que je lui ai pardonné. »

    1759951582.jpgExemple immortel…

    Extraordinaire vengeance que celle qui avoue son amour et qui répond à l’offense par le pardon ! Il s’agit là de la solitude et de l’horreur de la Croix. L’imitation est parfaite, et ceci sans ostentation et sans faux semblant car il ne s’agit pas d’une de ces déclarations grandiloquentes, ne prêtant pas à conséquence, dont sont familières les personnalités civiles et religieuses de notre époque. Nous connaissons trop, depuis deux siècles, ce qu’est la miséricorde républicaine qui écrase sans pitié ses ennemis comme lors de l’épuration de la Libération ou les événements de 1962, ou la mansuétude religieuse des autorités qui n’hésitent pas à rejeter ou à persécuter ceux qui n’ont pas l’heur de leur plaire. La déclaration d’amour et de pardon de Louis XVI n’est pas sournoise ou politique. Elle jaillit du cœur car elle y était enracinée depuis longtemps. Louis XVI est devenu grand dans cette solitude, dépassant la gloire de François Ier ou de Louis XIV. Le chaos révolutionnaire a fait émerger, malgré lui, ce que la monarchie de droit divin possédait de plus précieux, et que nul autre régime ne pourra jamais atteindre : une communion profonde et inaltérable avec Dieu duquel toute autorité légitime découle. Les révolutionnaires, dans leur cruauté satanique, ont rendu l’exemple de Louis XVI immortel et inégalé.

    … et fructueuse infortune

    Notre pays, plus que jamais, devrait méditer sur la fructueuse infortune solitaire du Roi qu’il a décapité. Tous les candidats possibles pour occuper la plus haute charge dans notre terre ancestrale ne seront jamais capables d’atteindre une telle altitude car leur ambition ne repose pas sur cet amour et ce pardon uniquement reçus dans le sacre par le souverain. Dieu ne permettra de restaurer le trône qu’à un homme habité par cette passion pour son peuple, ceci jusqu’à accepter de verser son sang malgré l’ingratitude.

    Ecoutons ces vers profonds du grand poète catholique oublié, Armand Godoy, dans Ite Missa est : 

    « Ce n’est pas pour moi que je demande ta miséricorde.

    Ce n’est pas pour moi : c’est pour les autres, pour mes pauvres frères.

    J’attends à genoux que ta clémence, Agneau de Dieu, m’accorde

    La fin de tous leurs désespoirs et de toutes leurs colères.

    J’attends à genoux que le souffle infernal de la Discorde

    Devienne azuré baiser de violettes printanières

    Et que l’Angoisse aux voix multiples et l’Ennui monocorde

    Se taisent à jamais sous le chant lumineux des rosaires.

    J’attends à genoux que la sinistre et ténébreuse horde

    Des crimes soit le clair essaim des caresses tutélaires.

    J’attends à genoux que ta clémence, Agneau de Dieu, m’accorde

    La fin de tous les tourments, la fin de toutes les misères.

    Ce n’est pas pour moi que je demande ta miséricorde.

    Ce n’est pas pour moi : c’est pour les autres, pour mes pauvres frères. »

     

    Nous attendons nous aussi que la divine Providence redonne à notre royaume orphelin le père que nous ne méritons plus. Des pages douloureuses de notre histoire vont s’ouvrir devant nous. Qui saura résister ? Qui saura demeurer fidèle aux dons insignes accordés jadis à cette terre ? Qui saura aimer et pardonner dans une solitude accablante ? Qui saura offrir sa tête pour le salut des autres ? Qui saura monter les marches de l’échafaud en regardant le ciel où le soleil commencera de se lever ? Il nous faut implorer et nous convertir, et ne jamais cesser d’espérer.   

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  • « REPRENDRE LE POUVOIR » ? QU'EST-CE A DIRE ?

     

    « Reprendre le pouvoir » est le titre d'un livre important de Pierre Boutang, paru en 1977, il y a tout juste quarante ans; ouvrage difficile et sérieux, sur lequel il nous a semblé bon de revenir ici, en remontant à la source, c'est à dire au livre lui-même et à son sens vrai. On en trouvera ci-dessous une analyse détaillée. La matière en est ardue. Mais nous espérons y dire à grands traits l'essentiel.

     

    RETOUR SUR « REPRENDRE LE POUVOIR »

    OU LA LÉGITIMITÉ RETROUVÉE …

     

    C1_x45CXUAEXuM8.jpgQue dit Pierre Boutang dans ce livre profond et érudit ? Il n’envisage évidemment pas l’acte en lui-même de prendre le pouvoir, encore moins les techniques du coup de force, du coup d’Etat, que les royalistes, comme d’autres, ont évoquées tant de fois dans le passé. Boutang sait trop bien que cette affaire, dans l'immédiat, n’est pas sérieuse ; qu’elle n’est pas, dans l'instant, d’actualité ; que, sur ce plan là, comme, d’ailleurs, sur le plan électoral, les royalistes sont « un néant de force » ; que la leur est autre ; qu’il est donc illusoire et coupable de les entretenir dans ce mythe, à ce stade, inactuel. Ce n'est pas que les royalistes aient jamais renoncé à faire la monarchie - Pierre Boutang, en vérité, y a songé, y a travaillé toute sa vie - mais que les conditions doivent préalablement en être réunies; que la chose doit devenir possible, actuelle et réalisable; qu'elle doit sortir de l'ordre du fantasme. On verra comment...  

    Le propos de Reprendre le pouvoir est, en effet, de redéfinir, d'abord, une idée acceptable du Pouvoir. Si l'avenir n'est pas au chaos, il ne peut être qu'à la Légitimité retrouvée, instaurée, restaurée, vaste et profonde réalité dont le respect et le culte pourraient seuls définir une droite qui serait digne de ce nom et la distinguer suffisamment de toutes ses caricatures, fasciste, libérale, conservatrice...

    SAUVER UN PEUPLE 

    Ce que Pierre Boutang rappelle d'abord, c'est qu'il y a en tout temps un peuple à sauver. Hier, de l'emprise terrorisante du Communisme mais aujourd’hui de l'empire corrupteur de la finance internationale. Or pour qu'un peuple fasse son salut temporel, il lui faut le secours d'un Pou­voir politique.  « Rebâtir quelque idée du pouvoir » (147) est d'abord nécessaire. « Les nouveaux philosophes ne sont pas les seuls à être dépourvus de théorie du pouvoir Ce que j'observe dans l'histoire contemporaine, c'est que la théorie politique s'effrite à mesure que le pouvoir s'use. Moralité, on ne fait plus de distinction entre les bons et les mauvais pouvoirs - ceux que j'appelle les pouvoirs mal vécus » (Nouvelles Littéraires, 26 janvier 1978). En un sens, c’est aussi ce que dit aujourd’hui Edgard Morin, à l’horizon de la gauche, où les mythes fondateurs se sont écroulés, depuis quelques décennies, déjà. 

    LE POUVOIR LÉGITIME 

    Quelle est donc la nature du Pouvoir qui sauve, dont les pouvoirs qui écrasent, qui corrompent et qui tuent, l'âme et le corps, sont les contrefaçons ? « Ce n'est pas simple, résume Pierre Boutang lui-même, dans un entretien donné aux Nouvelles littéraires, au lendemain de la parution de Reprendre le pouvoir. Le pouvoir apparaît au mieux par la nature et le jeu de ses éléments. Ces éléments sont au nombre de trois : la légitimité - qui pose la souveraineté, l'existence même du souverain et son intention d'agir pour le bien commun; le consentement populaire - sans quoi le pou­voir n'est qu'une contrainte évacuant l'humanité; enfin l'auto­rité - l'acte, le résultat de droit et de fait auquel il est consenti ». 

    « Les variétés de pouvoir - c'est-à-dire aussi les variétés de sa perversion - se définissent selon l'ordre ou l'absence par­tielle de ces éléments. Vue de l'État, la légitimité a besoin du consentement pour justifier l'autorité; vue du peuple, l'autori­té a besoin de la légitimité pour obtenir le consentement. L’ordre dans lequel se composent ces éléments constitutifs du pouvoir n'est donc jamais le même, à un moment donné, pour le peuple et pour l'État : sinon il n'y au­rait plus dialogue entre eux, mais monologue, monologue d'un souverain sans peuple - tyrannie - ou d'un peuple sans souve­rain - anarchie -. Comme vous le voyez, le dialogue du peuple et de l'État obéit à une dialectique complexe, toujours recom­mencée. Le peuple, par sa liberté de consentement commence là où le Prince finit; le Prince par l'autorité que lui confère le consentement, commence là où le peuple finit. »

    « Qu'y a-t-il de nouveau dans votre théorie du pouvoir ? - Ce qu'il y a de nouveau, c'est qu'elle était oubliée ». Pourtant, la manière, en particulier, dont Boutang fonde toute sa Politique sur l'idée de souveraineté, non idée en l'air, mais idée d'une réalité de naissance, réalité pater­nelle, toujours antécédente donc légitime, donc fondatrice d'ordre (49-106), est neuve et admirable.

    Quelle est donc pour nous, aujourd'hui, la figure la plus accessible de cette nécessaire légitimité ? La plus naturellement présente à notre esprit français, évidemment, c'est la monarchie. « C'est quoi, pour vous, l'idée monarchiste ? C'est l'idée d'un pouvoir qui ne s'achète pas; ni par le nombre, ni par la force, ni par l'argent.» Magnifique !  

     SERVITEUR DE LA LÉGITIMITÉ 

    Pour parler ainsi, il faut être libre. Pierre Boutang était libre. Contre le Communisme, qu'il méprise consciemment et délibérément. « Le marxisme n'est jamais qu'une aberration de la pensée vraie, une négation de la légitimité; il n'a rien créé, il a exclusivement détruit. Il portait le Goulag en puissance. En quoi, je vous le demande, ce tragique aboutissement d'une pen­sée nulle, d'une pensée minable, d'une pensée morte, pourrait-il fonder une théorie du pouvoir ? »

    Mais également ennemi de la ploutocratie dite libérale : « Aujourd'hui, la société ne transmet plus que les vices et les dysharmonies des classes supérieures. Il n'y a plus rien à con­server, la droite a complètement échoué. Réduite à l'instinct de combinaison, n'ayant plus rien à sacrifier, elle n'encourt même plus le risque de paraître lâche ou hypocrite; le type du bourgeois libéral, c'est le PDG toujours absent qui abandonne sa femme au bridge et à la psychanalyse, et que ses fils s'en vont vomir dans le gauchisme. On ne me soupçonnera de rien si j'affirme que la gauche, elle, peut encore raconter des trucs généreux : elle ne vaut pas mieux.»

    « Je ne suis pas un conservateur: à condition que ça ne fasse pas de mal aux êtres, je dis que la société d'argent peut bien crever ! A bas l'usure, l'argent selon moi ne doit pas faire de petits : ce principe salubre définit ce que Marx appelait le so­cialisme féodal. Et bien, va pour le socialisme féodal.» 

    AUX SOURCES SACRÉES DU POUVOIR 

    Celui qui l'interroge alors pour les Nouvelles littéraires ne s'y est pas trompé, ce mépris de tout culte de l'homme suppose un autre culte. « Quand on-rejette l'intérêt matériel, la vanité de puissance, le commerce des pseudo-valeurs, et qu'on veut se prémunir contre tout cela, il arrive fatalement un moment où, faute de faire confiance à l'homme, on réhabilite la Providen­ce... C'est ce que vous faites à la fin de votre livre en rêvant d'un Prince chrétien, qui sera le « serviteur de la légitimité ré­volutionnaire. — Bien sûr, je crois en la Providence

    En vérité, pour Pierre Boutang, cette transcendance, Dieu, le Dieu de l'Évangile catholique, est présent non à la fin mais à la source de toute souveraineté légitime, comme il est à l'origine de sa réflexion, et dès la première page de son livre. D'accord avec Simone Weil : « Il n'y a que par l'entrée dans le transcendant, le surnaturel, le spirituel authentique que l'homme devient supé­rieur au social. Jusque-là, en fait et quoi qu'on fasse, le social est transcendant à l'homme. Dès lors la seule protection possi­ble pour l'homme est que ceux qui sont sur la route de la sain­teté aient une fonction sociale reconnue. Mais quel danger ! »

    Comment faire ? Appellera-t-on les saints (!) à gouverner ? La solution que choisit Boutang est plus sage, celle d'un Pouvoir dont l'institution, à ses yeux, est sainte, jaillie des sources doublement sacrées de la paternité divine et de la paternité humaine, et triplement sa­crées si l'on accepte la « modification chrétienne » que déve­loppe magnifiquement sa Troisième Partie (147-180), suivant, en cela, l’idée d’Urs von Balthasar. Car, pour lui, c'est bien le Christianisme qui fonde la distinction du roi et du tyran, par la légitimité or­donnatrice, seule forme viable, stable, loyale d'une monarchie populaire.  

    DISCIPLE CHRÉTIEN DE MAURRAS 

    capture-d_c3a9cran-2015-08-11-c3a0-21-12-31.pngSi la pensée politique de Boutang s'enrichit puissamment de celle des autres, elle est antérieure à leurs apports et plus riche. Parce que le principe foncier de sa réflexion est son expérience première de la naissance et du langage que l'enfant tient de son père, ses père et mère, sa nation. C’est sur cette reconnaissance du PERE, du consentement à ce SOUVERAIN, de ce premier regard d'en dessous vers une PROVIDENCE bienveillante, que toute la Politique sacrée de Bou­tang s’est fondée. Fut-ce avant la rencontre de Maurras ou après, ? En tout cas, la leçon de Maurras rejoignait l'attachement au Père, et dans la communion de ces deux mouvements Boutang a formulé très tôt son ample théorie de la tradition royaliste française et de son nationalisme intégral. Il a su en montrer, même chez Maurras, au-delà de son positivisme méthodique, l'inspiration et le fondement chrétiens, quitte à admettre que parfois Maurras s'est trompé sur le Christ (170). Sa réhabilitation de la politique maurrassienne n'en est que plus forte (27, 151). 

    RÉVOLUTION POUR LA LÉGITIMITÉ 

    Dans ses dernières pages, Boutang désespère de la société actuelle dont il n'y a plus rien à conserver. Après les aventures fasciste et progressiste (46), tout est perdu si quelque haut héroïsme ou quelque Providence n'intervient (142-143). Mais pour susciter quelle forme humaine de salut ? Boutang  rapporte le propos de Pierre Emmanuel « Depuis la fin de la monarchie la France est incapable de se créer un État » (46). Boutang aspire donc à la révolution pour la Monarchie. « Il n'y a plus qu'à attendre et préparer activement le nouvel âge héroïque » (242), le nouveau Moyen Age qu'annonçait Berdiaev. Il attend « une légitimité révolutionnaire, une révolution pour instaurer l'ordre légitime et profond ». Nous aussi !   

     

    Reprendre le pouvoir, Paris, Le Sagittaire, 1977

  • L. Dandrieu : « La sécurité personnelle ne peut exister si les nations basculent dans l'anarchie »

     

    Entretien par Eugénie Bastié

    Laurent Dandrieu réagit ici à la publication d'un texte dans lequel le pape François va très loin dans la défense des migrants [Figarovox, 22.08]. Il déplore le désintérêt du souverain pontife pour les pays qui les accueillent. Lafautearousseau, de son côté (voir lien en fin d'article) a marqué son désaccord avec ces déclarations. Lorsque le Pape empiète sue le terrain politique et lorsque, ce faisant, il nuit gravement à la sécurité ou à la stabilité de notre société, nous n'avons aucunement l'obligation de le suivre et, au contraire, en de tels cas, nous avons le devoir de nous y opposer.  LFAR  

     

    2591938438.jpgLe pape François vient de publier un texte où il plaide pour «faire passer la sécurité personnelle [des migrants] avant la sécurité nationale», et appelle à un accueil beaucoup plus large des migrants. Que vous inspirent ces propos? Sont-ils inédits ?

    Il me semble que ce message qui vient d'être publié en préparation de la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, qui aura lieu le 14 janvier prochain, est dans la droite ligne des positions défendues par le pape François depuis le début de son pontificat, mais qu'il va cependant plus loin que d'habitude sur un certain nombre de points. Dans un entretien accordé à une radio portugaise le 14 septembre 2015, par exemple, le pape reconnaissait le risque d'infiltration terroriste lié à la crise des migrants, mais n'en ajoutait pas moins qu'« à l'évidence, si un réfugié arrive, en dépit de toutes les précautions liées à la sécurité, nous devons l'accueillir, car c'est un commandement de la Bible ». Quand, dans ce nouveau message, François écrit que « le principe de la centralité de la personne humaine (…) nous oblige à toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale », il donne en quelque sorte une version plus théorique de cette précédente déclaration.

    La question est de savoir si, ce faisant, il ne cède pas à un certain idéalisme, potentiellement désastreux : car c'est oublier que la sécurité nationale est le plus sûr rempart de la sécurité personnelle, et qu'il n'existe aucune sécurité personnelle qui puisse exister en dehors de cadres politiques, juridiques et légaux qui en sont le rempart. Aucune sécurité personnelle ne peut exister si les nations occidentales, par exemple, du fait du terrorisme ou d'une immigration incontrôlée et ingérable, basculent dans l'anarchie.

    Par ailleurs, le principe de la centralité de la personne humaine oblige à considérer, aussi, que les citoyens des nations occidentales ont un droit évident à la sécurité nationale. On attend vainement, tout au long de ce texte, une prise en considération des intérêts des populations des pays d'accueil, qui ont droit, eux aussi, à la sollicitude de l'Église, et dont une partie de plus en plus importante vit, elle aussi, des situations de grande détresse et de grande précarité, matérielle, spirituelle et morale.

    Deuxième élément important et pour le coup très novateur de ce texte : le pape prend position pour « la défense des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire » : ce qui veut dire qu'il réclame des droits égaux pour les clandestins et pour les immigrants légaux, pour les demandeurs d'asile et pour les immigrés économiques. Parmi ces droits figurent « la liberté de mouvement dans le pays d'accueil, la possibilité de travailler et l'accès aux moyens de télécommunication »: ce qui veut dire, concrètement, que le pape réclame un droit d'installation préalable pour tous les migrants, avant même que soit étudié leur cas. Ce qui revient à donner une prime à l'illégalité d'autant plus forte qu'il est évident qu'un clandestin qui, entre-temps, aura trouvé un moyen de subsistance, aura d'autant moins de chance de voir son dossier rejeté. Cette prime à l'illégalité me paraît une seconde atteinte, très forte, contre les droits des nations et la citoyenneté: car la nation, la citoyenneté n'existent que par un consensus sur la légitimité de la loi. Si on postule que la loi est faite pour être contournée, il n'y a plus de bien commun possible.

    Ce discours a-t-il selon vous une dimension politique ?

    Un autre aspect du message me semble clarifier ce qui apparaissait jusqu'alors une ambiguïté dans le discours de François. Il prônait jusqu'alors une grande générosité dans l'accueil, sans que l'on sache toujours si cela signifiait un simple rappel évangélique de la charité avec laquelle le chrétien se doit de traiter l'étranger croisé sur sa route, ce qui relève à l'évidence du rôle du pape, ou s'il s'agissait d'un appel plus politique, et donc plus discutable, à ouvrir les frontières. En stipulant que la protection des migrants « commence dans le pays d'origine », c'est-à-dire consiste à les accompagner à la source dans leur désir de migrer, le pape assume plus clairement que jamais la dimension politique de ce discours, la volonté de ne pas se cantonner à affronter une situation de fait, mais en quelque sorte d'accompagner et d'encourager ce mouvement migratoire vers l'Europe.

    Dernière clarification : en stipulant que les migrants doivent être mis en situation de se réaliser y compris dans leur dimension religieuse, le pape François donne une sorte de blanc-seing à l'entrée massive de populations de religion musulmane et à l'acclimatation de la religion musulmane sur le continent européen, en semblant indifférent aux innombrables problèmes identitaires et sécuritaires que cela pose.

    La position de François tranche-t-elle avec celle de ses prédécesseurs, et notamment celle de Benoit XVI ? Que dit l'Église sur le devoir d'accueillir les migrants?

    La continuité est indéniable, et est attestée dans ce message par des nombreuses citations de son prédécesseur. Quand le pape prône le regroupement familial, au risque de transformer systématiquement les réfugiés temporaires en immigrés permanents, il ne fait que reprendre des positions défendues inlassablement, par exemple, par Jean-Paul II et Benoît XVI, comme je le montre abondamment dans mon livre.

    Le discours de l'Église, en son Catéchisme, reconnaît à la fois le droit de migrer quand la nécessité s'en fait sentir, et le droit des États de limiter les flux quand ils l'estiment nécessaire. Mais, dans les faits, le discours des papes oublie fréquemment ce second aspect. Il l'oublie d'autant plus volontiers que l'Église a souvent cédé à une vision quasi messianique des phénomènes migratoires, censés conduire vers « l'unité de la famille humaine », selon l'expression de Jean XXIII. Jean-Paul II écrit ainsi que « parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l'homme », et Benoît XVI y voit une « préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu ». Face à cela, la protection de la population des pays d'accueil est condamnée à peser de peu de poids, et de fait, elle est quasiment absente du regard que l'Église pèse sur les phénomènes migratoires. En face de cela, l'Église prône inlassablement l'intégration du Migrant, avec un grand M, sans se poser la question de savoir concrètement qui est ce migrant, et si le fait qu'il vienne, en grand nombre, avec un bagage culturel et religieux radicalement différent du nôtre, et dans certains cas incompatible avec le nôtre, ne rend pas cette intégration pour le moins illusoire.

    L'État nation et l'existence de frontières se justifient-ils d'un point de vue théologique?

    Bien évidemment, car c'est une suite logique du commandement d'honorer son père et sa mère. Saint Thomas d'Aquin écrit qu'« il appartient à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie » et, à la suite de saint Augustin, stipule qu'on doit la charité en priorité à ceux qui nous sont proches par les liens du sang ou de la citoyenneté. Léon XIII écrit que « la loi naturelle nous ordonne d'aimer d'un amour de prédilection et de dévouement le pays où nous sommes nés et où nous avons été élevés », et Pie XII enseigne que « dans l'exercice de la charité il existe un ordre établi par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l'on est uni par des liens spéciaux. Le Divin maître lui-même donna l'exemple de cette préférence envers sa terre et sa patrie en pleurant sur l'imminente destruction de la Cité sainte.»

    Plus récemment, Jean-Paul II a abondamment développé cette « théologie des nations », des nations qu'il ne voit pas seulement comme un bien politique, un outil au service du bien commun, mais à qui il reconnaît une dignité spirituelle éminente : la nation, explique-t-il, de toutes les communautés humaines, est « la plus importante pour l'histoire spirituelle de l'homme ». Il va même jusqu'à dire que « la fidélité à l'identité nationale possède aussi une valeur religieuse. » De là, on peut évidemment déduire que les nations ont un droit irrépressible à défendre leur identité nationale face aux menaces extérieures, comme une immigration incontrôlée et inintégrable.

    « L'intégration n'est pas une assimilation qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité culturelle », a aussi dit le pape. Y a-t-il position traditionnelle de l'église en matière d'assimilation ?

    Cette condamnation de l'assimilation, au nom du respect de la culture d'origine de l'immigré, est malheureusement une constante dans le discours de l'Église sur l'immigration. Jean-Paul II va jusqu'à la renvoyer dos à dos avec des politiques de discrimination allant jusqu'à l'apartheid : « On doit en effet exclure aussi bien les modèles fondés sur l'assimilation, qui tendent à faire de celui qui est différent une copie de soi-même, que les modèles de marginalisation des immigrés, comportant des attitudes qui peuvent aller jusqu'aux choix de l'apartheid. » Je dis « malheureusement », car on ne voit pas bien, dès lors, malgré les appels répétés de l'Église à une politique d'intégration, comment l'appel de la hiérarchie catholique à un accueil généreux des migrants pourrait ne pas déboucher sur un multiculturalisme, d'ailleurs parfaitement assumé par le pape François.

    Le problème est que ce multiculturalisme aboutit dans les faits à un refus de considérer la culture du pays d'accueil comme une culture de référence, et rend de facto l'intégration illusoire. Sous la pression de l'immigration de masse et de l'idéologie multiculturaliste, les sociétés occidentales se réduisent de plus en plus à une juxtaposition de communautés d'origines, de cultures et de religions différentes, qui se regardent en chiens de faïence faute d'avoir de référence commune, autre que de très vagues principes abstraits, tels que cette « culture de la rencontre » à laquelle le pape François tend à réduire l'identité européenne. Le bien commun, faute de valeurs partagées, se réduit ainsi à un vivre ensemble qui, de plus en plus, tourne dans la réalité à un apartheid de fait. Soit le contraire du but recherché, et une catastrophe civilisationnelle majeure en germe tant pour les peuples européens que pour les populations immigrées. •

    Laurent Dandrieu est rédacteur en chef des pages Culture à Valeurs Actuelles. Il a publié Église et immigration, le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne, de Laurent Dandrieu. Presses de la Renaissance, 288 p., 17,90 €. 

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    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie 

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