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  • ”Louis XVI” 2013 !...

    Les Messes pour Louis XVI ne doivent pas être de pure commémoration.....

    Albert Camus le meurtre du roi pretre.pdf

          Les Messes pour Louis XVI, dites partout en France - et à l'étranger - depuis 1793, ne sont plus de pure commémoration. Elles doivent aussi, elles doivent surtout, pour aujourd'hui, nourrir le processus de dérévolution dont la France a besoin pour renouer avec son Histoire, se replacer dans le droit fil de sa trajectoire historique et, s'il se peut, reprendre, un jour, sa marche en avant.

          Pendant bien des années, en effet, tous les 21 janvier, les Messes pour Louis XVI étaient, essentiellement, commémoratives.

          Les dernières de cette longue série, que l’Action française était presque seule à maintenir, ne réunissaient plus, du moins en province, malgré une fidélité remarquable des participants, que peu de monde; elles étaient plutôt tristes; souvent, le célébrant ne disait pas un mot du roi Louis XVI; ces Messes avaient un air de naufrage du grand souvenir qui les motivait.

          Les choses ont bien changé depuis déjà quelques années. 

          Il nous semble qu'elles ont basculé, pour un certain nombre de raisons assez identifiables, autour des années 1987, 1989 et 1993 ... 

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           1987, c'était le millénaire capétien où le comte de Paris prit l'heureuse décision de titrer, avec solennité, ses petits-fils Jean et Eudes, ducs de Vendôme et d'Angoulême ; de désigner le prince Jean comme devant reprendre le flambeau de la Famille de France et de la tradition royale. Par là, il semble qu'il rouvrait à l'hypothèse monarchique un horizon nouveau ...

           1989, ce fut l'échec patent des commémorations de la Révolution.

           1993, deuxième centenaire de l'exécution de Louis XVI, ce fut, grâce à l'action de quelques uns (Jean Raspail, Marcel Jullian, Jean-Marc Varaut ...) l'occasion d'un procès en règle de la Révolution, de ses horreurs, de l’exécution du Roi et de la Reine, du martyre de Louis XVII, de la Terreur, du génocide vendéen ...  

           Quelques uns encore (Jean-Marc Varaut, Alain Besançon, Jean-François Mattéi) ont développé l’idée que cette révolution était la matrice des horreurs révolutionnaires et totalitaires qui ont marqué tout le XXème siècle. Ainsi, le rejet de la Révolution commençait à s’inscrire dans notre modernité. Et aboutissait, de facto, à la remettre en cause. On sait que, depuis, cette remise en cause est pratiquée aussi par des intellectuels issus de la Gauche, parmi les plus éminents.

           Au cours des années qui ont suivi, la redécouverte progressive de notre histoire monarchique par un certain nombre d’intellectuels, mais aussi dans la presse, les médias, et, finalement, une frange non négligeable de l’opinion française, s’est faite, de plus en plus, de façon non plus négative, mais positive.

           De fait, notre hypothèse étant qu’un certain basculement de ce que Barrès nommait « les puissances du sentiment » s’est produit, en France, à partir de 1987 jusqu’à aujourd’hui, l’on ne peut plus parler ni de la Révolution ni de notre passé monarchique, après, comme on en parlait avant…  

           Ce n’est sûrement pas une coïncidence, si, simultanément, dans toute la France, les Messes du 21 janvier ont pris, de façon a priori surprenante, un nouveau visage. Les assistances sont devenues nombreuses, ferventes, priantes ; les prêtres sont devenus sensibles à l’exemplarité du Roi et de la Reine, au sort indigne infligé à Louis XVII, aux conséquences sociales, politiques et, même, religieuses de la Révolution. Ces Messes ont cessé d’être des Messes d’enterrement. Elles ont retrouvé un sens. La liturgie y est, souvent, redevenue très belle et la présence des Princes, à Paris, comme en Province, donne à ce qu’elles commémorent une incarnation qui pourrait être utile au temps présent.

           C’est ainsi que les Messes pour Louis XVI contribuent symboliquement et performativement à ce que nous appelons le processus de dérévolution. Processus dont la France a besoin pour rompre le cycle schizophrène qui, depuis deux siècles, l’a coupée d’elle-même.

           Nous avons la chance historique – pour la première fois depuis fort longtemps – que les Princes de la Maison de France, y soient, à titre éminent, partie prenante.  

           Si nous savons contribuer à activer et amplifier ce processus, tout simplement, nous serons utiles, non à notre propre plaisir, mais à notre Pays.

           Nous publierons ici la liste de toutes les messes dont nous aurons connaissance... 

     Lundi 21 Janvier 2013

     

    Paris : * 12h15, Saint-Germain-l'Auxerrois. Messe célébrée à la demande de l’Oeillet Blanc par le Révérendissime Père Abbé de Kergonan, Dom Piron, en présence de Mgr le Comte de Paris et des princes de la Maison de France

              * 18h, St Nicolas du Chardonnet (5ème).

    Saint-Denis : 12h00, en la Basilique Saint-Denis.

    Marseille : * 19h, Basilique du Sacré-Coeur, 81 avenue du Prado, 8ème. Messe célébrée par Monseigneur Jean-Pierre ELLUL. Avec chants grégoriens, orgues et chorale.

                   * 18h30, Eglise Saint Pie X, 44, rue Tapis Vert (1er).

    Montpellier: 18h, Chapelle des pénitents Bleus, rue des Étuves.

    Béziers : 18h, Église des Pénitents, rue du 4 Septembre.  

    Bordeaux : 19h, Eglise saint-Bruno (tram ligne A).

    Fabrègues : 18h30, Prieuré Saint-François de Sales, 1 rue Neuve des Horts.

    Lyon :  18h30, Église Saint-Denis de la Croix-rousse. 

    Grenoble : 18 h, Collégiale saint-André.

    Toulon : * 18h30, Paroisse Saint-François de Paule. Messe célébrée par Mgr. Rey, évêque de Fréjus-Toulon.

                * 18h30, Eglise Sainte Philomene, 125 bd Grignan, Le Mourillon.

    Mulhouse : 19h30, en l'église Saint-Etienne.

    La Gaubretière (Vendée) : 10h30, en la chapelle de Ramberge.

    Roullet-Saint-Estèphe : 18h30, en l'église de Roullet.

    Ceyssac : 18h30, en l'église (43000 – Le Puy-en-Velay). 

    Saint-Etienne : 19h, à la Chapelle St Bernard. 

    Perpignan : 18h30 au Prieuré du Christ-Roi, 113 avenue du Maréchal Joffre. 

    Caen : 18h30, Chapelle Saint Pie X.

    Fontainebleau :  18 h 45, Eglise du Carmel, 8 Bd. Général Leclerc (Fraternité St Pierre).

    Limoges : 11h15, Saiont-Michel-des-Lions.

    Lille : 19h, Chapelle Notre-Dame-de-la-Treille, 26 rue d'Angleterre.

    Nancy : 18h30, Chapelle du sacré-Coeur, 65 rue du Maréchal Oudinot.

    Rennes : 19h, Chapelle Saint-François, 43, rue de Redon.

    La Rochelle : 18h15, cathédrale Saint-Louis, Place de Verdun.

    Quimper : 18h45, en la cathédrale Saint-Corentin.

    Saint-Paul-de-Jarrat (Ariège) : 18h, église paroissiale.

    Dieppe (Seine-Maritime) : 9h30, église Saint Jacques.

    Toulouse : 18h15, en l'église St Jérôme, 2 Rue du Lieutenant Colonel Pélissier. 

    Avignon : 18h, en la chapelle de la Sainte Croix (Pénitents gris), 8 rue des Teinturiers.

    Nice : 18 h 30, en l'Oratoire St Joseph, 18 rue Catherine Ségurane.

    Rouen : 18h30, Eglise St Patrice.

    Italie :

    Une Messe sera célébrée à Rome; lieu, date et heure seront donnés très prochainement... 

    Belgique : 

         * Bruxelles : 19h, Eglise Conventuelle du Couvent Sainte Anne, Avenue Léopold Wiener, 26 B. Messe célébrée par Mgr Gilles Wach. 

      * Rixensart : 11h, au château, en présence de la Princesse de Mérode, Jeanne de Lur- Saluces et les Membres belges de l’Association Louis XVI (Antenne de Belgique). Messe célébrée par le Père Gregor. S.A.S le Prince Maximilien de Croy-Roeulx donnera lecture du Testament du Roi.

    *A Tournai, chaque année depuis 1844, une Messe pour Louis XVI est célébrée en la cathédrale...

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    Manifestations organisées d'autres jours que le 21 janvier :

    1. Samedi 19 janvier

    Strasbourg : 16h30 en la cathédrale Notre-Dame.

    Fontaines-les-Dijon (Côte-d'Or) : 11, basilique Saint-Bernard.

    Vichy : 10h30, en la chapelle du Sacré-Coeur (Ecole Jeanne d'Arc, 12 rue du Mal Joffre).

    Le Planquay (Eure) : 11h, Messe, Église du Planquay.

    Louailles (Sarthe) : 11h, Messe, Église de Louailles.

                                 Après la messe, déjeuner-débat à 12h30, salle polyvalente de Vion (3,5 km de Louailles) animé par Christian Franchet d’Espèrey, sur le thème "Louis XVI : une politique étrangère française, une leçon pour le temps présent".

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    2. Dimanche 20 janvier

     

    Périgueux :   16 heures, en l'église Notre-Dame-de-Toutes-Grâces, 19, rue du 34e Régiment-d'Artillerie.

    Brive : 10H30, en l'église du Christ-Roi de Brive, rue d'Espagnac.

    Amiens : 10h30, Chapelle, 195 rue Léon Dupontreué.

    Nice : Journée-hommage (Messe, Déjeuner, Conférence) : renseignements 04 93 81 22 27

    Nancy : 9h25, Église Saint Pierre, Avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny. 

    Fête des Rois de l’U.S.R.L. et de La LORRAINE ROYALISTE à partir de 12 h. Repas suivi de la galette traditionnelle, Restaurant « Chez Maître Marcel » (au coin des rues Raymond Poincaré et de l’Armée Patton à Nancy). Allocutions de Jean-Marie CUNY, Jean-Paul LUPORSI, Philippe SCHNEIDER. Inscrivez-vous dès maintenant à La Lorraine Royaliste, 22 rue Victor Hugo, 54000, Nancy ou téléphonez au 06 19 19 10 69. Inscription impérativement pour le 15 Janvier au plus tard.

    Nantes : * 12h30 : Dépôt de Gerbe en hommage à Louis XVI et aux victimes de la Révolution . 
                 * 13h15 : Repas à la Taverne du Château : 23 Allée Commandant Charcot (PAF : 23 euros. Inscription obligatoire par mail : urbvm@hotmail.fr )

                 * 15h : Conférence de Gérard Bedel : Louis XVI ou la tragédie de la Vertu. (PAF pour ceux qui ne déjeunent pas sur place : 2 euros).

    Belloy (Oise) : 11h, Messe, Église de Belloy. 

    Paris : Marche aux flambeaux en hommage à Louis XVI. Rendez-vous devant l’église de la Madeleine à 18h00 précises.  

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    3. Mardi 22 janvier :

    Bayonne : 18h30, en la cathédrale de Bayonne. Messe célébrée par Mgr. Aillet, Évêque de Bayonne, Lescar et Oloron. 

                          La Messe sera suivie par un dîner (19 h 45 au Restaurant

  • Homélie de la Messe de Requiem pour le Roi Louis XVI - Sacré-Coeur de Marseille, 21 janvier 2012....

            Voici, tiré du Site de la paroisse du Sacré-Coeur de Marseille, le texte intégral de l'homélie donnée lors de la Messe de Requiem pour Louis XVI par le Père Stéphan Sciortino-Bayart, à la demande de Monseigneur Ellul...

     

     

    Samedi 21 janvier 2012

    Voici, ci-dessous l'homélie du Père Stéphan Sciortino-Bayart, que j'avais invité cette année a prononcer l'homélie au cours de la messe de Requiem que j'ai présidée. Plus de 700 fidèles ont prié pour le repos de l'âme du roi Louis XVI. Le Père Sicortino-Bayart est vicaire à la paroisse d'Aubagne. Nous le remercions.

    Chers amis, frères et sœurs,

    Nous voici réunis pour faire mémoire de la mort d’un homme de la mort d’un Roi. Cette mort fut sans doute le dernier et le premier acte d’une terrible tragédie dans laquelle encore aujourd’hui nous sommes immergés.

    Dernier acte d’une philosophie se détachant de Dieu au point de s’y opposer frontalement, premier acte d’une humanité qui mettant en application des principes érigés en idéologie exclusive, a fini par menacer de faire périr l’humanité elle-même.

    Oui, nous ne sommes pas ici pour simplement nous souvenir d’un Roi offrant sa vie pour le bonheur de son peuple Nous ne sommes pas ici pour déplorer de façon nostalgique la fin du temps passé.

    Nous nous devons de réfléchir aux évènements de ce temps ancien et d’en tirer les enseignements pour aujourd’hui. C’est là toute la valeur de l’ultime témoignage que le Roi rendit en ce 21 janvier 1793.

    L’histoire, Mater et Magistra, Maîtresse et enseignante nous rappelle toute l’actualité de ce témoignage et nous conduit, parce que l’être chrétien est en cause, à méditer sur l’exemple qui nous fut donné.

    Saint Augustin rappelle que deux amours ont construit deux cités, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi et l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu. Cette tension s’est manifestée avec toute sa vigoureuse violence dans la condamnation inique du Roi.

    Le procès de Louis XVI est sans nul doute le premier procès politique de l’Histoire moderne. Il ne s’agit pas ici de juger selon le droit un homme, il s’agit de condamner un principe au nom des idées. Tout devant plier à ces idées. Tout devant céder devant ces idées. Tout devant périr hors l’Idée elle-même. « Je cherche en vain des juges et je ne vois ici que des accusateurs » s’écriait avec courage de Sèze. Il aurait pu dire tout aussi bien, je ne vois ici que des « exécuteurs » !

    Héritiers des Lumières, tous ces hommes étaient en lutte au nom d’idées. En lutte contre le Roi et la monarchie bien sûr, mais plus profondément en lutte contre Dieu lui-même. Il s’agissait de politique au sens le plus haut du terme, d’un choix de société. Mais qu’elles sont ces idées ? Bien sûr, l’idée de la Liberté, mais au-delà de la liberté c’est l’idéologie de l’égalité qu’il faut voir.

    Cette égalité qui est, bien plus que la liberté, la marque de l’idéologie révolutionnaire propre à la France.

    Il ne s’agit pas ici d’une égalité de dignité telle que le christianisme a pu la révéler à un monde antique stupéfait de cette nouveauté qu’il jugeait impensable. Il ne s’agit pas d’une égalité fondée en Dieu, d’une dignité de la personne humaine fondée dans le Christ.

    Nous sommes ici en présence d’une égalité établie sur un individualisme orgueilleux tout autant qu’égoïste. L’affirmation du Moi contre Dieu et au final contre tout ce qui n’est pas moi. Cette égalité d’exclusion qui conduit à refuser toute soumission à autre chose qu’à soi-même. Tous ces hommes qui s’érigent en juge, ne sont que de beaux esprits n’aimant qu’eux-mêmes. Cette folle égalité conduira à l’uniformisation, à la soumission non voulue mais réelle au plus fort, à la terreur de ne pas être aussi égal que l’autre.

    Orgueil de la démesure d’un homme qui s’érige comme son propre Dieu au mépris de ceux qui ne penseraient pas comme Lui. Le « Ni Dieu ni Maître » en acte ! L’égalité voulue comme corolaire de la liberté et qui conduira à imposer une façon de voir, une façon de penser, une façon d’être par la force et l’élimination systématique de tout ce qui n’entrait pas dans le cadre ainsi voulu.

    Le Culte de la déesse raison sera le sommet de cette folle idéologie qui cherche au nom des idées à rationaliser l’humanité à la soumettre à un cadre duquel, supposément libre, elle ne pourra plus s’affranchir.

    L’homme, idéalisé pour sa perte, se célèbre lui-même avant que de s’effondrer dans le sang de ses illusions. La déesse raison fut en quelque sorte la consécration de la tyrannie de chacun contre tous. Parce que je suis l’égal des autres et parce que je suis libre, je veux et j’exige des autres qu’ils fassent ce que je veux et ce que j’exige ! Et, s’il ne soumet pas à mon orgueil qu’il périsse !

    La devise des armées de la Révolution était, « la liberté ou la mort » ils eurent la mort de la liberté.

    Face à cette démesure, cette « hybris » que les grecs redoutaient plus que tout, nous avons un homme, un Roi. Un Roi véritable, parce qu’un homme véritable.

    Face à des juges qui veulent du sang aux noms de la Liberté et de l’Egalité, nous avons un homme libre prêt à offrir sa vie et son sang.

    Libre parce que humble, grand parce que petit, maître parce qu’esclave et serviteur, homme vrai parce que Chrétien véritable.

    La véritable grandeur n’est pas dans la démesure d’un homme qui se veut « Dieu et maître » de lui-même. La grandeur est du côté du Souverain qui humblement devant son créateur remettait son âme à Celui qui est l’unique et véritable mesure de l’humanité, le Christ notre Sauveur. Face aux accusations, le Roi répondit humblement par son amour du peuple et sa volonté de lui assurer le bien commun, face à la haine de lui, il répond par le pardon. Mais en tout il s’attache à la vérité qui n’est pas une idée, mais la personne du Christ lui-même. Rejeté par tous, même par des proches parents, il répond par la miséricorde. Dans les chaînes, il est l’image de la liberté au nom de laquelle on s’apprête à le sacrifier !

    L’affrontement entre deux visions de l’homme fut particulièrement funeste, conduisant, depuis la Révolution jusqu’au siècle dernier des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à la mort, au nom de la liberté, de l’égalité, de la recherche absurde d’un paradis terrestre inaccessible. Tant d’exclusions, de destructions, de négations de l’humanité en vue d’un bien illusoire parce que placé ailleurs qu’en Dieu !

    Mais, me direz-vous, ce tableau terrible est-il encore actuel ?

    Pouvons-nous rapporter tout cela à notre temps ? Ne suis-je pas tombé dans le travers que je soulignais moi–même en commençant ? Ne me suis-je pas livré à une nostalgie malvenue ?

    Bien sûr, le temps des violences idéologiques sanglantes semblent ne plus être de saison dans notre pays, mais n’est-ce pas pour une violence qui, pour plus sourde qu’elle soit n’en est pas moins dangereuse ?

    La violence terrible des compromissions avec la vérité et pour tout dire avec l’humanité elle-même. La liberté et l’égalité sont toujours des revendications de notre temps mais à quoi mènent-elles ? Encore une fois à un politiquement correct qui veut nous faire penser et croire de telle ou telle façon. Qui impose sa façon de voir et dénie à ceux qui auraient le malheur ou l’outrecuidance de penser différemment le droit à s’exprimer. Qui se préoccupe de réfléchir ? Même les responsables de la Cité semblent courir après une opinion aussi mouvante que les eaux de la mer. Il y a fort à craindre que comme l’écrivait Plutarque, « ce qui les perdit fut moins un désir immodéré de popularité que la crainte de l’impopularité » ! (vie d’agis, II,4) Troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître dit le psaume.

    L’homme livré à sa propre fantaisie, à son égoïsme, à son individualisme qui impose à tous l’arbitraire de lui-même. Notre temps n’est pas si différent des temps d’alors, les principes sont les mêmes, seules les modalités ont, si j’ose dire, heureusement changées.

    Et c’est là que le témoignage du Roi prend toute sa valeur, son témoignage d’homme et de chrétien.

    Confronté à une liberté anthropophage où l’amour de soi semble le seul moyen d’être libre, où le culte de l’égalité semble passer par l’affirmation de soi contre les autres, aboutissant à la destruction même de l’humanité dans sa dignité intouchable et inaccessible, le témoignage de Louis XVI est celui de la liberté vécue jusqu’au bout comme un don de soi. Il ne retient rien pour lui-même, il ne revendique rien pour lui-même mais il s’offre lui-même pour le bonheur de tous, par amour pour tous. Dans la solennité de son Sacre, le Roi a épousé la France et son peuple, il va jusqu’au bout du sens de ces noces en se donnant à son épouse de la façon la plus parfaite et la plus libre qu’il soit.

    Le Roi est libre parce qu’il est au service de ceux que Dieu lui avait confié, non pour leur plaire, non pour les flatter, non pour les suivre dans leur dérive malheureuse mais seulement uniquement pour les aimer ! Et l’amour impose, la charité exige que la vérité soit dite et vécue parfaitement fusse au prix de l’ultime témoignage, celui du don de son sang.

    Ce témoignage nous parle aujourd’hui encore parce qu’il est de toujours, parce qu’il est absolument chrétien.

    Le cardinal de Lubac écrivait « dans l’état actuel du monde, un christianisme viril et fort doit aller jusqu’à être un christianisme héroïque » (drame de l’humanisme athée, cerf, p.133)

    Le Roi a su rendre un témoignage héroïque qui est une lutte certes, mais non pas pour une victoire au détriment des autres, mais pour une victoire avec les autres, non au nom d’une humanité chimérique détachée d’elle-même, mais pour une humanité consciente de sa beauté et de sa valeur, luttant contre son égoïsme et ouverte au don de soi pour les autres qui est la seule voie possible de la liberté et la seule véritable égalité. L’égalité, telle que le Christ nous l’a enseigné c’est de ne jamais se croire au-dessus des autres, mais de toujours comprendre que nous sommes au service des autres. La liberté telle que le Christ nous l’a montrée dans sa Passion est celle de l’Amour qui s’expose lui-même jusqu’à offrir sa vie.

    Aujourd’hui, puisque chrétiens, méditant le témoignage d’un chrétien, sauront nous choisir ? Deux amours ont construit deux cités…

    Louis XVI a choisi, et c’est là qu’il fut Roi.

    « La vie des justes est dans la main de Dieu, aucun tourment n'a de prise sur eux. (…)Aux yeux des hommes, ils subissaient un châtiment, mais par leur espérance ils avaient déjà l'immortalité. (…)Ils seront les juges des nations et les maîtres des peuples, et le Seigneur régnera sur eux pour toujours. » Sagesse 2

    Abbé Stéphan Sciortino-Bayart

     

     

    La Messe du 21 janvier, pour le roi Louis XVI, est dite, à Marseille,  exclusivement à le demande de la Fédération Royaliste Provençale / Restauration Nationale et du Souvenir Bourbonien. Le repas-conférence qui suit est organisé par la Fédération Royaliste Provençale....

    On notera l'excellente qualité de cette vidéo qui a le mérite principal de permettre d'écouter l'intégralité de la remarquable homélie du Père Stéphan Sciortino-Bayart.

    Il est, bien-entendu, impossible, de faire entendre l'intégralité du programme musical splendidement interprété par la soliste Annick Deschamps (de la Chorale Choeur au Diapason); on n'entend que quelques secondes de l'Ave Verum et du Lascia ch'io panga, qui donnent une petite idée de la beauté de la cérémonie, et malheureusement rien du Panis angelicus de la communion : le voici, en guise de compensation :

     Panis angelicus: 03 - Morceau 3(1).mp3

  • Benoît XVI, un maître en politique, par Hilaire de Crémiers

    Benoît XVI ne cesse dans ses déplacements de donner un enseignement de haute portée politique. Encore lors de son dernier voyage au Mexique et à Cuba. Y aura-t-il des hommes politiques pour l’entendre ? 

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     Messe célébrée par Benoît XVI à Santiago de Cuba, place de la révolution...

            Il est des paroles qu’il faut savoir méditer. Elles éclairent nos problèmes d’une telle lumière qu’il n’est pas possible d’échapper à la force de leur vérité. Benoît XVI s’est exprimé sur les plus graves sujets au Mexique et à Cuba au cours d’un voyage de cinq jours du 24 au 29 mars avec cette simplicité et cette fermeté qui le caractérisent. Selon son habitude, au-delà même de son discours de foi – car l’essentiel pour lui est là – , il a délivré  un message de charité sociale et d’intelligence politique qui est susceptible de ranimer l’espérance d’un monde désenchanté, livré aux seuls intérêts égoïstes, après avoir épuisé toutes les formes les plus absurdes et les plus cruelles des idéologies.

            C’est à Cuba, devant Raul Castro lui-même, que le Pape a le plus explicité sa pensée sur la crise mondiale que les peuples subissent. 

            Il l’a fait d’autant plus intentionnellement que dans l’avion qui l’emmenait de Rome au Mexique, il avait pris le soin de préciser aux journalistes que le marxisme n’était plus d’actualité, que cette page devait être définitivement tournée et qu’il convenait de trouver pour demain les vraies solutions pour établir une société plus juste.

    Les vraies raisons de la crise

            Alors, comment ne pas saisir la portée des paroles que, de Cuba, le Pontife suprême a adressé, en réalité, au monde entier, comme s’il voulait profiter de l’occasion pour donner plus d’éclat à la seule vision qui, pour lui, peut donner la compréhension du moment. Crise financière, crise économique, bien sûr ; la réalité est plus grave, dit-il. La crise est morale et spirituelle : c’est de cette crise d’abord que le monde est malade. Il ne peut s’en sortir que si apparaissent des hommes droits, ayant de fortes convictions et qui sauraient, par leur rôle dans la société, remettre les priorités et les primautés là où elles doivent être placées. Tel est l’appel puissant du Saint-Père.

            « De nombreuses parties du monde vivent aujourd’hui un moment de difficulté économique particulière, que de  nombreuses personnes s’accordent à situer dans une profonde crise spirituelle et morale, qui a laissé l’homme vide de valeurs et sans protection devant l’ambition et l’égoïsme de certains pouvoirs qui ne prennent pas en compte le bien authentique des personnes et des familles. On ne peut pas continuer à suivre plus longtemps la même direction culturelle et morale qui a causé la situation douloureuse que tant de personnes subissent.

            Au contraire, le progrès véritable nécessite une éthique qui place au centre la personne humaine et prenne en compte ses exigences les plus authentiques et, de manière générale, sa dimension spirituelle et religieuse. Pour cela, dans le cœur et dans la pensée de beaucoup, s’ouvre toujours plus la certitude que la régénération des sociétés et du monde demande des hommes droits, de fermes convictions, des valeurs de fond morales et élevées qui ne soient pas manipulables par des intérêts étroits et qui répondent à la nature immuable et transcendante de l’être humain ».

            Voilà ce que le Pape a dit à Santiago de Cuba. Cette leçon, il l’a répétée pendant tout son voyage. Aucune idéologie, aucun plan politique ou social, aucune domination économique des choses ne sauveront les sociétés de leurs maux dans le monde actuel si les hommes ne reviennent pas à l’essentiel, surtout dans les pays dont l’histoire porte un patrimoine spirituel incomparable. D’où l’espérance que doivent garder les Cubains : « Chers amis, je suis convaincu que Cuba, en ce moment particulièrement important de son histoire, regarde déjà vers demain et s’efforce pour cela de rénover et d’élargir ses horizons, ce à quoi coopère cet immense patrimoine de valeurs spirituelles et morales qui ont formé son identité la plus authentique et qui se trouvent sculptées dans l’œuvre et dans la vie de nombreux et nobles pères de la Patrie, tels le bienheureux José Olallo y Valdès, le serviteur de Dieu Félix Varela ou l’imminent José Marti ».

            Cela dit devant les vieux apparatchiks de la révolution cubaine ! 

            Non, ce ne sont pas eux les pères de la Patrie ! Ni les modèles pour demain ! Eh bien, ils ont écouté fort sagement. Et le Pape, après ces fortes paroles, pouvait s’entretenir en toute sérénité avec Raul Castro et même avec le vieux Fidel. Il avait naturellement exercé son droit à la liberté d’exprimer la vérité. Points sur lesquels il n’a pas manqué d’insister et qui sont pour lui – c’est ce qui ressort de ses paroles –, le plus sûr fondement de la liberté religieuse.

            Telle est la force morale de l’autorité du Saint-Père, le seul homme au monde qui peut tenir un tel langage et qui soulève à son passage un tel enthousiasme des foules. Oui, car ce sont des foules qui écoutent le successeur de Pierre et telles qu’aucun homme politique qui se flatte de ses meetings où il éructe ses slogans, n’en a jamais rassemblé. La présence et les paroles du Pape ne suscitent qu’une atmosphère de paix et de ferveur spirituelle. Quel est le journaliste qui le note ?

    La vérité rend libre, y compris en politique

     

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    Au Mexique, à Leon, le pape s'est adréesé aux enfants...

     

     

            Comment les hommes de pouvoir ne voient-ils pas un tel bienfait, celui qu’ils ne peuvent donner et sans lequel leur programme et leur système ne sont que vanité et finalement échec ? Le Pape a insisté à Cuba, au Mexique – tant marqués par la foi catholique dont se sont détournés avec violence pendant des décennies les partis au pouvoir –, pour faire valoir « l’apport imprescriptible que la religion est appelée à développer dans le domaine public ». 

            Il s’agit en ces terres hispaniques de la religion du Dieu vivant et vrai qui s’est incarné pour le salut des hommes, qui « change de l’intérieur, au fond du cœur, une situation insupportable, obscure et sans avenir », qui est capable de montrer à leurs frères « ceux qui sont marginalisés par la force, le pouvoir ou une richesse qui ignorent ceux qui manquent de presque tout ». (Discours à Notre-Dame de la Lumière au Mexique). Quelle leçon !

            N’est-elle pas valable pour tous les pays, au moins tous ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent revendiquer un tel héritage chrétien ? « Pour cela, a précisé Benoît XVI, l’Eglise ne cesse d’exhorter chacun afin que l’activité politique soit une tâche recommandable et désintéressée en faveur des citoyens et qu’elle ne se convertisse pas en luttes pour le pouvoir ou en une imposition de systèmes idéologiques rigides qui, tant de fois, ont eu pour résultat la radicalisation d’amples secteurs de la population ».

            Comment ne pas mettre en perspective avec notre actualité cet enseignement de foi et de raison et ne pas se souvenir des discours de Benoît XVI en Europe, en France aux Bernardins, en Angleterre à Westminster, à Madrid devant les autorités, en Allemagne au Bundestag même et ainsi dans toute la vieille Europe chrétienne où il tient à chaque fois le même langage de haute portée, rappelant à chaque peuple le meilleur de toutes ses traditions ?

            C’est quand tout va mal qu’il est bon de se rappeler la voie du salut possible. Le drame de Montauban et de Toulouse devrait faire réfléchir les Français soucieux de l’avenir de leur pays. Des incidents pareils n’arrivent pas par hasard. Il est malheureusement probable que ces crimes perpétrés froidement soient un signe révélateur d’une terrible réalité. Sur laquelle rien ne sera dit officiellement que de très anecdotique et sur quoi les discussions reprendront.

    Quel homme politique aura le courage d’aller au fond du problème ? 

            Les partis au pouvoir, quels qu’ils soient, ne sont-ils pas directement responsables de l’état de la société ? Après tout, ce qui se passe, ils l’ont d’une certaine manière voulu… En tout cas, ce n’est que la conséquence de toutes leurs politiques. 

            Des banlieues livrées à elles-mêmes, des trafics organisés dans de vastes zones de non-droit, une immigration non maîtrisée, non contrôlée, d’immenses secteurs de la société abandonnés, de fausses réformes qui ne vont jamais au cœur du mal, des soutiens inconsidérés à des gens qui profitent de ce mal social pour justifier leur existence alors que les hommes de bien ne sont, pour ainsi dire, jamais encouragés, jamais soutenus ; et, maintenant, dans une société qui a banni Jésus-Christ et qui s’en est même fait une fierté, jusqu’à l’insulter publiquement, voici l’apparition d’un sentiment religieux totalement fou qui ne connaît que la cruauté et la vengeance et qui revendique tous les crimes. Ah, le beau résultat !

            Il faut le souligner, nos hommes politiques sont à peu près tous des chrétiens, la plupart des catholiques d’origine, issus de bonnes familles, tous encore sortis de très bons collèges. Vraiment ? 

            Vraiment ! Mais l’ambition les tenaille de ce maudit pouvoir toujours à prendre et à reprendre et qui les rend fous, eux aussi, à leur manière, et dont ils se sont fait leur dieu, à qui ils consacrent une sorte de religion, toute de violence pareillement, bien que feutrée et hypocrite. Où est le bien public ? Où est la paix ? Où est la grande force dynamique qui remettra la France sur sa voie royale ? Qui s’en occupe ? Comme disait l’autre : « D’abord on gagne, après on voit ». Beau programme, en vérité ! 

            Et qui définit parfaitement le régime dans lequel nous vivons.

            Dans ce climat délétère et alors que les échéances se rapprochent d’une crise aux multiples engrenages, tous devenus irréversibles, financiers, économiques, sociaux, culturels, institutionnels et politiques, il est salutaire de se rappeler, surtout en cette année de la célébration du six-centième anniversaire de la naissance de la sainte de la Patrie, Jeanne d’Arc, où se situe le véritable patrimoine de notre pays. Alors que toutes les prétendues solutions s’épuisent, un patrimoine aussi prestigieux peut encore alimenter une foi et une espérance françaises.

     

     

    Politique magazine - avril 2012 - numéro 106

     

  • A lire dans L’Express : Des Hommes et des dieux: ”C'est autant un film sur la foi que sur le doute”

                 Michel Eltchaninoff (1), philosophe et rédacteur en chef adjoint de Philosophie magazine a décrypté le succès du film de Xavier Beauvois ( 2.114.868 entrées au 14 octobre !...).

                 Morceaux choisis....

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    La Une du Figaro Magazine du samedi 16 octobre 

    Gillou : Des Hommes et des dieux semble ne rien imposer et se contenter de proposer à réfléchir... La recette du succès ?

    Vous avez mille fois raison. C'est autant un film sur la foi que sur le doute. On assiste, au plus près des différents moines de ce monastère, au cheminement personnel de chacun. Il y a les convaincus, comme Christian, qui veut seulement recevoir le plein assentiment de ses "frères". Mais il y a ce vieux médecin merveilleusement joué par Michael Lonsdales, qui veut continuer à faire son devoir. Il y a celui qui doute dans la douleur, le frère Christophe incarné par Rabourdin... Il y a ceux qui se cachent au moment où ils devraient être courageux... Ceci répond, il faut bien le dire, au message religieux du christianisme. On sait que l'apôtre Pierre a renié le Christ. Et que Jésus lui-même, sur la croix, a demandé à son père pourquoi celui-ci l'avait "abandonné". Bref, ce film montre que dans tout acte "héroïque", il y a une part de doute, d'incertitude. C'est, je pense, cet équilibre très subtil entre courage et doute, où l'un et l'autre ne s'excluent pas, qui a plu aux spectateurs fatigués des messages simplistes.  

    Mami : Les catholiques ont-ils contribué au succès du film de Xavier Beauvois ?

    D'après ce que je sais, le film a été montré, en amont, aux autorités religieuses catholiques. Les chrétiens, plus largement, ne peuvent qu'être intéressés par le film. Mais son succès dépasse considérablement une communauté de croyance. Ce qui fait sa force, c'est qu'il peut être vu avec un oeil croyant comme avec un oeil agnostique, ou même athée. Des Hommes et des dieux est un film sur la religion, ses rituels, sa pratique, la croyance qui la soutient. Mais ce n'est pas à proprement parler un film religieux. On n'y voit pas de miracle - comme dans Ordet de Dreyer ou Stromboli de Rossellini. On y voit des hommes faire ce qu'ils peuvent avec leur engagement et leur foi. Ils font beaucoup. C'est pourquoi ce film intéresse à mon avis, et touche, tous ceux qui ne peuvent se satisfaire d'une vision matérialiste ou intéressée de l'homme et des rapports humaines.  

    On y voit des hommes faire ce qu'ils peuvent avec leur engagement et leur foi

    Lilou : Est-ce, selon vous, un film "providentiel" ?

    On peut prendre le terme de "providentiel" dans plusieurs sens. C'est sans doute un film providentiel dans le paysage de la culture d'aujourd'hui. Qu'un film "d'art et d'essai", parfois austère, parfois difficile, en tout cas pas racoleur, soit vu par deux millions de personnes en France et apprécié, on peut dire que c'est providentiel. Cela signifie que nous ne nous contentons pas de programmes télévisuels débilitants ou de films à grand spectacle. Dans un autre sens, ce n'est pas un film sur la Providence avec un grand P car le divin n'intervient guère. Ce sont les hommes, leurs croyances, leurs doutes et leur courage qui sont mis en avant.  

    Gui2om : Au sujet du film, vous parlez d'un "courage de proximité". C'est-à-dire ?

    Le courage était une grande vertu dans l'Antiquité. Elle était réservée aux "beaux et aux bons", aux guerriers, aux aristocrates, aux "âmes bien nées". C'est le courage d'Achille combattant les Troyens. Bref, c'était très beau, mais un peu, disons, "excluant" pour les gens comme tout le monde. C'était un courage réservé aux héros. Or, à partir du XVIIIe siècle, des âges démocratiques, des âges de masse, l'héroïsme à l'ancienne paraît bien nobiliaire, bien inégalitaire, bien masculin aussi. Dans une société démocratique, on préfère ceux qui aident et participent à ceux qui se parent avec orgueil de la vertu du courage. Mais une société sans courage risque de devenir une société sans idéal, sans force, sans saveur. C'est pourquoi il est si vital de concilier la vieille vertu du courage et la vie ordinaire. C'est ce que font ces moines. Ils ne se prennent pas pour Lancelot du Lac ou De Gaulle. Ils ne sont pas des guerriers. Mais ils savent, au moment où il faut, dire qu'ils ont le choix de refuser ce qui leur paraît inacceptable. Sans effets de manche, ils savent se montrer fermes dans les situations les plus quotidiennes : soigner ou protéger quelqu'un, ne pas baisser la tête. Bref, ils n'incarnent ni un courage de la supériorité et de la distance, ni une indifférence molle à l'autre, mais un courage de proximité. C'est aussi la redécouverte de cette vertu qui explique peut-être le succès du film. Entre le cerveau et le sexe, il existe une faculté qui consiste ni à réfléchir ni à désirer, mais à s'indigner de ce qui est scandaleux ou médiocre. Les Grecs appelaient cette faculté le thumos, un souffle qui vient du coeur. Le mot courage vient du mot "coeur". Des Hommes et des dieux est à mon avis un film sur ce courage du coeur.  

    Des Hommes et des dieux est un film sur ce courage du coeur.

     

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    Les chrétiens, plus largement, ne peuvent qu'être intéressés par le film. Mais son succès dépasse considérablement une communauté de croyance.  

     

    Hortensia : S'agit-il, en allant voir ce fim, d'une recherche de spiritualité? D'une manière de s'extraire de notre quotidien ?

    Il s'agit à coup sûr d'une recherche de spiritualité, du refus d'une vision purement matérialiste et intéressée du monde. Mais cette spiritualité n'a rien de dogmatique ni d'intolérant. Ces frères sont fermement ancrés dans leur foi. Cela ne les empêche pas d'exprimer leur spiritualité par la pratique - le travail, le service, des exercices quotidiens. Cela ne les empêche pas de discuter, de rechercher un consensus. C'est une spiritualité authentiquement démocratique. Du coup, ils ne refusent pas le quotidien - et c'est là où je suis en désaccord avec votre seconde formulation. Ils réorganisent un quotidien cohérent, empli de sens, à partir de priorités bien définies, notamment le service à autrui. Ils donnent sens au quotidien à partir de valeurs.  

    Karolina : Pourquoi à votre avis, les Français ont préféré Des hommes et des dieux à Hors-la-loi ? Cela ne marque-t-il pas le fait que la France n'a pas envie de s'intéresser aux travers de son histoire coloniale ?

    Il est probable que le rôle de la France dans son histoire coloniale est encore très douloureuse, et que nous avons parfois du mal à la regarder en face. Surtout lorsque les politiques s'en mêlent et veulent confisquer aux historiens et à la société le regard sur les méfaits de la colonisation. Mais Des Hommes et des dieux n'est pas non plus un film complaisant. Ces moines sont des exceptions. Les autorités leur conseillent, au nom de la raison, de partir. Ils décident de rester. Et leur acte de courage révèle, en creux, l'attitude raisonnable mais moins admirable de tous les autres. Enfin, c'est un film qui permet plusieurs lectures quant à la vérité sur le massacre des moines de Tibéhirine. S'agit-il d'une manipulation? d'une bavure? D'un acte terroriste de la part des GIA? On sait que cette affaire empoisonne encore les relations entre la France et l'Algérie. Bref, je ne pense pas du tout qu'il s'agisse d'un film réconfortant. C'est plutôt une oeuvre qui nous invite à nous poser cette difficile question: et moi? Qu'aurais-je fait à leur place. Le courage de ce film est moral, donc universel.  

    Laurence : Pourquoi cherche-t-on absolument à faire décrypter le succès du film Des hommes et des dieux par des sociologues, philosophes et autres intellectuels. N'est ce pas tout simplement d'abord et avant tout un bon film ?

    C'est un excellent film. Mais il y a malheureusement beaucoup de très bons films, de très bons livres, qui ne rencontrent aucun succès. J'adore personnellement les films de Sokhourov ou de Iosseliani, mais il faut bien dire qu'on ne trouve guère 2 millions de personnes pour aller les voir. A l'inverse, il y a énormément de navets qui marchent du tonnerre. Ce qui est l'exception davantage que la règle, c'est lorsqu'un "excellent film", avec une mise en scène rigoureuse qui ne joue pas mécaniquement sur les émotions, avec des acteurs qui n'en font pas des tonnes, rencontre un large succès public. Du coup, cela m'intéresse aussi comme philosophe de comprendre, même un tout petit peu, le sens de cette belle rencontre entre un film exigeant et un large public. Et ce que je crois voir, c'est non seulement une vague "quête de sens" dans un monde déboussolé par la mondialisation, mais l'aspiration à un spirituel renouvelé et à une vertu antique, souvent oubliée dans les âges démocratiques: le courage.  

    Le courage de ce film est moral, donc universel

    Petit malin : Je n'ai pas encore vu Des Hommes et des dieux. Trois bonnes raison d'aller le voir ?

    1. C'est un film qui va au fond de ce qui fait que nous sommes des hommes: à quoi croyons-nous? Qu'est-ce qui pourrait nous pousser à nous sacrifier, à risquer la mort ? Quelle est la force qui nous anime et qui fait que nous sommes, peut-être, capables de faire de grandes choses ? C'est film qui fouille ce qu'il y a de plus vital, de plus précieux dans l'homme.  

    2. C'est un grand film d'amour : amour de cette nature qui entoure les moines, amour de leur humble vie quotidienne, amour des populations musulmanes qui entoure les moines et qu'ils ne cherchent pas à convertir, mais à comprendre et aider, amour de ce dieu qui leur a tout fait quitter. A noter que cet amour n'exclut pas a priori l'amour "ordinaire", notamment charnel. Avant d'avoir été des moines, ils ont été des hommes : eux aussi sont tombés amoureux et ont connu le plaisir sensible. C'est ce que rappelle très subtilement la séquence du dernier repas des moines ; eux aussi peuvent aimer le plaisir.  

    3. Michael Lonsdale est à mourir de rire (et très très émouvant).  

    Je ne sais pas si je vous ai convaincu, mais vraiment je vous conseille d'y aller.  

    (1) : Michel Eltchaninoff est philosophe et rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine. Il a notamment publié L'Expérience extrême (2010, éditions Don Quichotte).  

  • Une analyse de l'Encyclique Spe salvi, par Hilaire de Crémiers

    Une bonne nouvelle (Retour sur l'Encyclique Spe salvi)         

               Cette encyclique du pape Benoît XVI a plus de portée qu'on ne l'a dit.

              C’était un signe d’Avent. C’est-à-dire un signe d’espérance. Le jour de la Saint-André, le 30 novembre 2007, le souverain pontife Benoît XVI a signé son encyclique sur l’Espérance Spe salvi.

     

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    Lire l'encyclique : 

    http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclical...

      

               On  se souvient que sa première encyclique, il y a deux ans, portait sur la Charité : Deus Caritas est. Il n’est pas douteux qu’il y en aura une troisième sur la Foi. Le pape se propose ainsi de revenir à l’essentiel : la Foi, l’Espérance, la Charité. Il est clair aussi qu’il dit pourquoi ; il le dit d’ailleurs dans tous ses textes et à toutes les occasions. Ce pourquoi est fort simple : c’est que précisément l’essentiel avait été perdu de vue.

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    La croix camarguaise, illustration de la Foi (la croix), de l'Espérance (l'ancre) et de la Charité ( le coeur)

     

     

              Or les vertus théologales de Foi, d’Espérance et de Charité ont d’abord et pour ainsi dire pour principale « vertu », c’est-à-dire pour force propre, intime et caractéristique de se rapporter à Dieu dont elles tirent leur qualification, et donc de ramener l’homme à Dieu et au Dieu incarné Jésus-Christ dont l’Église est chargée par l’Esprit-Saint d’annoncer le salut. C’est dire qu’on s’en était écarté. Jusque et y compris dans les discours ecclésiastiques.

     

    L’espérance, vertu chrétienne

     

    Le pape dans sa première encyclique Deus Caritas est s’était donné le soin de préciser les différentes notions de l’amour et de déterminer les caractères singuliers de la charité chrétienne qui ajoutait au meilleur de l’amour humain une force divine unitive, capable de répondre à une attente humaine spécifique et, en même temps, de dépasser totalement cette attente par la grâce significative d’un don gratuit et surabondant de Dieu qui distingue de manière radicale la charité de toute autre philanthropie et qui en fait une manifestation propre de la communion avec le Dieu vivant, avec le Christ crucifié et ressuscité, et avec l’Église, son corps mystique ; amour qui peut aller et va au-delà même de toutes les limites visibles. La leçon était importante : l’activisme idéologique et politique ne saurait aucunement se revendiquer de la charité. C’était dit fermement.

    De la même façon, le Saint-Père dans son encyclique sur l’Espérance, d’une manière pédagogique mais très résolue, rappelle ce qu’est l’espérance chrétienne qui n’est que la certitude dans la foi de posséder déjà de manière présente les biens futurs qui sont promis par Jésus-Christ. Il y a là une radicalité qui ne saurait compromettre l’espérance chrétienne dans l’idéologie ou dans la politique.

    Au contraire, c’est cette espérance qui anime le témoin de Jésus-Christ, le martyr, face à la puissance étatique dont l’idéologie se transforme en force de persécution ; c’est elle qui mène à la vraie liberté des enfants de Dieu les pauvres esclaves humains ; c’est elle qui met à part le religieux dans sa quête du royaume dès ici-bas. Le pape en donne des exemples merveilleux ou touchants à travers tous les siècles. Espérance personnelle si forte qu’elle ne se conçoit que comme collective, comme communautaire : l’homme de l’espérance chrétienne ne veut pas seulement se sauver lui-même, mais il voudrait, s’il était possible, sauver l’humanité toute entière. Comme son Dieu !

     

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    Jean 8.12 : “Jésus dit qu’il est la lumière du monde…”
    Ephésiens 2.11 : “Vous étiez sans espérance et sans Dieu…”
    Tessaloniciens 4.13 : ”Ne pleurez pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance…”
    Jésus a dit :  “Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie“….
     
     

     

    L’idéologie remplace l’espérance

     

    Et le pape alors de s’interroger sur l’origine des fausses conceptions qui, chez les modernes, ont détourné la notion même d’espérance de son sens véritable. Il indique, dans ces causes, d’abord, la sorte de déification de la Raison et de la Liberté que les méthodes scientifiques, extrapolées au-delà de leur possibilités, ont semblé justifier : dans cet esprit, l’homme n’était plus fait que pour le Progrès majusculaire, qui remplaçait de fait l’espérance comme unique et radieux avenir.

    Cette outrecuidance, pense le pape, pourrait fort bien se résorber dans l’avenir, car non seulement il n’y a aucun conflit entre la raison et la liberté humaines, d’une part, et la vertu d’espérance surnaturelle, d’autre part, mais encore et au contraire elles peuvent s’accorder profondément, car sans liberté et sans raison point d’espérance. Il suffit simplement de faire les distinctions nécessaires. L’espérance est même la garantie de la liberté.

    Les causes les plus certaines, d’après le pape, se trouvent dans une sorte de trilogie qui pourrait se ramener en son essentiel chronologique sous les  dénominations suivantes : Luther, la Révolution française (« avant tout », dit le pape), la philosophie allemande. Et c’est tellement vrai. Luther a réduit l’objet de la foi à une conviction subjective : l’espérance devenait ainsi une opinion, une idée sans objet. La Révolution française a érigé l’idéologie en divinité, en matrice nouvelle et universelle d’une foi, d’une espérance, d’un amour pour ici-bas à réaliser dans la société heureuse des lendemains révolutionnaires qui sortira nécessairement de toutes les convulsions de tant de gésines douloureuses. Le pape, certes, ne s’appesantit pas sur ce point, mais ce n’est pas la première fois qu’il pointe du doigt ce tournant du mal.

    La philosophie allemande, enfin, va s’emparer de ce thème, dans l’étonnement que lui procure cet événement de la Révolution qui change le cours de l’histoire. Kant sera le premier à en saisir l’importance, dans un premier temps pour admirer, mais, dans un deuxième temps, – et Benoît XVI le cite –, pour en inférer – ce qui était bien vu – qu’il y avait là un tel retournement de perspectives qu’il pourrait bien s’agir pour le futur d’une annonce du règne de l’Antéchrist.  Joseph de Maistre et plus tard Soloviev ne penseront pas autrement.

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    Philosophe et poète, Soloviev (1853-1900) fut aussi un précurseur du rapprochement des Eglises chrétiennes

     

     

    Benoît XVI se garde bien de faire un cours de philosophie : il ne trace qu’à grands traits cette généalogie de l’idéologie moderne : Hegel dialectise l’Histoire pour mettre la Raison et l’Etat au bout de ses concepts ; Engels et Marx décident d’achever la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne et mettent au bout de la dialectique historique, matérialiste, économiste et productiviste, l’avènement inéluctable de la société sans classe. Il n’est plus d’autre espérance !

    Le malheur est que, quand Lénine a prétendu réaliser la prophétie, il a créé le goulag, l’univers concentrationnaire. Terrible leçon, car, rappelle le pape, l’homme reste l’homme et les structures matérielles et sociales ne suffisent pas à l’améliorer. L’espérance est d’un autre ordre. Il n’empêche que, sous une forme ou sous une autre, l’Europe occidentale, puis le monde entier ont été affectés par tous ces totalitarismes de l’idéologie qui s’était  emparé de la politique. Même les chrétiens, souligne Benoît XVI, en ont été marqués dans leur conception, abandonnant dans leur pensée une telle place à l’idéologie que, pour les plus pieux d’entre eux, ils ne concevaient  plus qu’un salut tout personnel. Comme c’est bien vu !

     

    Le retour à l’espérance

     

    Et le pape de s’adresser directement aux chrétiens pour leur demander de se purifier de ses visions erronées et de rectifier leur regard. C’est la partie la plus belle de l’encyclique dont ce n’est pas le lieu ici de faire le commentaire. Pour faire bref, le pape appelle les chrétiens à la prière qui est la meilleure manière d’exprimer l’espérance chrétienne. Il les invite à agir en acceptant la souffrance et les difficultés puisque c’est au travers de ce monde, imparfait par nature, que l’homme marche vers la perfection surnaturelle. Enfin Benoît XVI évoque le jugement, jugement personnel, jugement final, avec beaucoup de délicatesse mais sans hésiter : ainsi il prêche « les fins dernières », prédication qui, depuis des décennies, avait disparu – mais presque totalement – du discours ecclésiastique. C’est pour ainsi dire aujourd’hui une nouveauté.

    Les méchants seront jugés comme méchants, les bons comme bons : cette simple proposition redonne un sens à la vie, un ordre aux choses, une finalité à la création. Car la justice est le besoin le plus incoercible de la  nature humaine et peut-être de la nature tout court et, dit Benoît XVI, elle justifie à elle seule et presque de manière naturelle – et c’est exprès que le pape cite en cet endroit Platon – la croyance en l’immortalité de l’âme et en la résurrection de la chair. Et comme la plupart des hommes sont dans l’entre-deux de  la misère et du désir de perfection, il est juste et normal que l’Église ait conçu, comme il se doit, une nécessaire purgation. Avant la rencontre définitive.

    Que dire ici ? Sinon que cette encyclique est un formidable rétablissement. En quelques pages Benoît XVI rend à l’humanité moderne le plus grand des services moraux et, ajoutons-le sans scrupule, politiques. Tout simplement en remettant l’eschatologie, c’est-à-dire la connaissance des fins dernières, là où elle doit être. Il libère la religion en lui redonnant sa dimension surnaturelle ; il libère du même coup la politique en la débarrassant, dans une conception saine, de tout l’horrible fardeau de l’idéologie. Idéologie qui encombre encore malheureusement tant de discours, qui offusque encore passablement l’horizon. Idéologie qui n’a jamais fait l’affaire au cours de ces derniers siècles que d’aventuriers qui, en promettant le « Bonheur » aux peuples – le « Bonheur final » ! – n’ont causé que leur malheur et les ont réduits à la servitude, le pire étant peut-être aujourd’hui la servitude de l’argent. Autre forme d’idéologie.

     

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    La grande force de l’idéologie a tenu au fait qu’elle a réussi à s’emparer de l’État et, par l’État, de la culture officielle et de l’éducation des peuples. L’État idéologue a pu ainsi substituer ses mots d’ordre à la foi, à l’espérance et à la charité, qu’il a orientées vers ses propres fins, et il s’est substitué de la même façon à la politique en lui retirant sa fonction d’ordonnatrice du Bien commun et en imposant sous son nom ses principes de gouvernement. Il a ainsi abusé le monde et il l’a fait en toute impunité puisqu’il s’est déclaré en même temps la Justice, celui qui la dit, celui qui la fait, celui qui donne le jugement final sur le Bien et sur le Mal. Voilà la parodie d’espérance dont la parole du pape nous libère !

    Et voici que le temps de l’État idéologue commence à passer. La tour de Babel a déjà  vacillé. Des pans entiers se sont effondrés dans les pays de l’Est, libérant des énergies qui, dans le tourbillon des changements, n’ont pas révélé encore leur capacité. La France, quant à elle, pour parler de notre pays, n’en a pas fini certes avec son idéologie.

    Cependant le diagnostic du pape est profondément vrai : une ère s’achève qu’il faut fermer. C’est dans l’air du temps. Le professeur Jean-François Mattéi vient de publier un remarquable essai sur l’épuisement de la culture européenne, d’où il résulte qu’à force d’idéologie l’Europe en est venue à perdre le sens de sa propre identité, faite de rationalité, de liberté, d’espérance incoercible et d’universalisme chrétien. Elle semble renoncer à elle-même  et elle ne sait plus où elle va ; elle a, dit Mattéi, le regard vide.

  • Sortir du chaos, l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers

            Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, dans le numéro de ce mois de Politique Magazine, que nous vous présentions lundi.

            Ses premières lignes sont nettes et sans équivoque :

             La crise morale, la crise financière, la crise économique et sociale vont déboucher sur une crise politique majeure. Sans principe d'unité, de continuité, c'est le chaos qui pointe à l'horizon.

     

     

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            Lors du remaniement ministériel, François Fillon aurait gagné la partie. Contre qui, contre quoi et pour qui, pour quoi ? 

            L’expression qui est venue spontanément sur toutes les lèvres, au bout de toutes les plumes, ne laisse pas d’inquiéter, même si la présence de l’homme rassure ce qu’il est convenu d’appeler le peuple de droite. Peuple de droite, peuple de gauche, la France est donc divisée, élections et idéologies obligent. Les Bayrou, Morin, Borloo, Raffarin et autres adeptes du discours centriste ont beau râler, c’est ainsi que se présente le jeu d’échec électoral en France : les pions du centre, au niveau national, sont destinés à être mangés ; ils n’y peuvent rien, ils n’y changeront rien.

            Giscard n’a gagné la première fois qu’il s’est présenté à la présidentielle que parce qu’il était le candidat de la droite ; ayant gauchi-centré sa position, il a perdu la deuxième fois devant le candidat qui avait décidé de gagner l’élection franchement à gauche, François Mitterrand, même si l’homme, fort habile, simulator ac dissimulator, était plus complexe, infiniment plus double que ses prétendus amis de gauche ne le croient encore. Il redoubla son succès en usant avec la plus grossière subtilité du même stratagème : la combinaison marchait à tout coup ; pourquoi se serait-il gêné ?

            Mitterrand, de par sa formation, intellectuellement supérieure à celle du politicien moyen, et par une pratique politique qu’il sut assumer jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’absurde, avait une connaissance intime de la secrète alchimie démocratique française qui ébahit toujours le vulgaire, mais dont son cynisme devait intérieurement se gausser, comme quelques autres personnages historiques avant lui, du même acabit. Faut-il les citer ? Tout dans la phrase et dans la ruse ! Rocard qui l’a compris à ses dépens, excerce aujourd’hui son droit de vindicte qui n’est qu’un mauvais droit d’inventaire. Trop tard. Il n’a que la consolation de ses propres phrases.

    Descente aux enfers

            Chirac ne l’a emporté en 95 sur Balladur que parce qu’il droitisait son discours, même et surtout avec une touche sociale et populaire qui faisait la différence avec son partenaire-adversaire au ton trop modéré. En revanche, mais selon le même processus, il n’a gagné en 2002 que par l’apport massif des voix de gauche puisque, face à Le Pen, il était devenu tout simplement le candidat de la gauche. Ce qui ouvrit la voie à un centrisme désuet et s’acheva dans un émiettement de l’État et de la nation.

            Là-dessus, devant cette crise larvée de nos institutions, Sarkozy, en 2007, a tenu un discours résolument national, équivoque sans doute pour les esprits bien formés, cependant déterminé et ouvrant même sur le religieux. C’est ainsi qu’il est devenu Président. 

            À plus que mi-parcours, son crédit est quasi épuisé, à cause de l’accélération politique qu’il a imprimée lui-même au système dans le cadre raccourci du quinquennat. Le pronostic de cette descente en enfer était établi ici dès janvier 2008, avant même l’éclatement de la crise. C’était prévisible. Son volontarisme affiché et, à vrai dire, ostentatoire s’est heurté très vite, sans même le savoir, aux institutions fondamentales de la démocratie à la française qui ne conçoit tout que dans la contestation. Car, autant tout se gagne dans l’exhibition d’un mâle projet, le temps de l’instant électoral, autant tout s’effondre et se perd rapidement dans les sinuosités de l’opinion versatile. Et qui, de plus, réclame son dû, étale ses exigences et hurle son désespoir. Cette opinion n’est-elle pas la reine de droit, celle qu’il faut toujours séduire ? Vouloir forcer les choses, à la Bonaparte, sans avoir les institutions adéquates, c’est courir à l’échec. Qu’est-il possible d’opérer avec un si constant chantage, sans risque de casse perpétuelle ? Il reste à faire croire aux réformes, plus qu’à réformer fondamentalement, car dans le régime, tel qu’il fonctionne, la vraie réforme qui va au fond des choses, apparaît définitivement comme impossible. 

            L’effort est à minima, les criailleries à maxima. D’où cette impression que Sarkozy donne, et comme malgré lui-même, qu’il détruit ce qui existe – et qui, d’ailleurs, ne marche plus et coûte de plus en plus cher – sans qu’il soit assuré que ce qui se crée puisse fonctionner avantageusement. Bouger les lignes, selon l’expression consacrée, soit, mais quoi après ? Terrible dilemme… La chiraquisation ou le bougisme forcené ?

            La trépidation de sa vie politique a fait négliger à Sarkozy une évidence qui a été ressentie aussi vivement que confusément par tous ses prédécesseurs et au bout de fort peu de temps d’exercice de leur mandat, à savoir que l’équilibre même des institutions supposait une certaine « distanciation » du président, voire une certaine inertie qui était finalement la marque même de la République, la nouvelle étant en cela de plus en plus semblable aux autres.

            Pour les hommes retors qui ont accédé à la présidence avant Sarkozy, l’important était avant tout de garder, avec la jouissance du pouvoir suprême qui leur conférait une sorte de prestige royal dont il rêvaient, une vague superbe magistérielle et paternelle qu’ils dispensaient au bon peuple et dont leur suffisante vanité savait se contenter.

    Vers le chaos ?

            Le discours de Sarkozy à Colombey le 9 novembre dernier, invoquant les mânes du Général ne saurait transformer la réalité. Le Général lui-même y a succombé. Sarkozy pense encore dominer les choses alors qu’il ne les maîtrise plus.

            Il est à la tête d’un pays trop endetté, qui se désindustrialise à grande allure, qui perd ses atouts les uns après les autres, ses exportations, ses parts de marché, ses débouchés, qui n’a plus de cohésion sociale et encore moins politique, où la pauvreté s’installe de façon permanente, où l’immigration sans frein et la démoralisation générale des populations, du fait même de l’idéologie imposée par la plus perverse des doctrines officielles, ne cessent de créer partout ce que, dans le jargon des politiciens, toujours commode, on appelle des zones de non-droit, un pays où l’honnêteté n’est plus payante ni le travail protégé, où le patrimoine réel ni la famille vraie ne sont soutenus, où l’éducation et l’instruction vont à vau-l’eau, où la religion la plus certaine et la plus enracinée, celle qui relie non seulement la terre française au ciel mais aussi, entre elles, les générations qui s’y succèdent, est constamment bafouée, brocardée, publiquement méprisée. Un tel pays devient ingouvernable.

    « Continuité », « durée »

            Les bonnes intentions du président ne sont pas à remettre en cause. 

            Il cherche perpétuellement des lignes stratégiques qui lui permettent de sortir enfin des difficultés où le jettent ses politiques. Après l’échec électoral des régionales, il a hésité et, ayant fait passer la réforme des retraites au milieu du tapage, il a pensé sans aucun doute à un tournant dit social, en prenant comme Premier ministre Jean-Louis Borloo.

            C’est là que François Fillon a fait entendre sa voix. Et qu’a-t- il dit ? Il a parlé de « continuité », de « durée ». Deux mots simples, mais extraordinaires dans la situation actuelle, et qui lui ont permis de gagner la bataille d’influence. Telles furent ses armes : il a été reconduit dans ses fonctions.

            « Continuité », c’est la qualité qui doit s’attacher à toute vraie politique de fond et en assurer la cohérence. « Durée », c’est la condition institutionnelle qui permet la continuité. 

            Voilà le bon sens même. Toute la question dès lors est de savoir si les institutions actuelles garantissent la condition et la qualité politiques demandées. L’argument est si fort que Fillon l’a emporté et va peut-être obtenir, du coup, le rééquilibrage souhaité dans l’exécutif pour tenter de mieux mener la politique gouvernementale… Mais, tout de même, si l’on veut bien y réfléchir, quel aveu ! Et quelle leçon ! Qui le dira, en dehors de Politique magazine où c’est devenu un refrain ?

            Mais autre contradiction des institutions actuelles : au moment précis où le chef du gouvernement fait valoir cette idée de durée et de continuité, il est contraint de sortir d’un schéma rassembleur ; l’unité de l’État à recréer est par nécessité partisane. Quelle leçon encore ! Quand sera-t-elle enseignée à Sciences-Po ? Pas un commentateur n’attire l’attention sur ce phénomène qui est simplement mécanique.

            De toute façon, la politique maintenant n’est plus axée que sur l’élection présidentielle de 2012. Autant dire que le redressement français n’est pas pour demain… Fillon a eu beau faire le plus beau, le plus énergique discours de politique générale, tout est suspendu à cette échéance qui installe au sommet de l’État et de manière répétitive et permanente l’exact contraire de la durée, de la continuité et de l’unité. La France va s’y casser. Les luttes ont déjà commencé dans un climat délétère où tout est fait pour déstabiliser l’exécutif ; il est tristement cocasse de voir des républicains patentés brandir la vertu, selon leurs vieilles habitudes, pour dénoncer des scandales politico-financiers qui sont consubstantiels à toute l’histoire républicaine ! Eh oui, aujourd’hui comme hier et comme demain !

            Mais voici plus grave : la terrible tempête financière, ici annoncée depuis des années, s’approche et se profile déjà à l’horizon. La violence qui en résultera sera redoutable. Sarkozy, épuisé, avec, pour lui tailler des croupières, les centristes, Villepin, Dupont-Aignan et tutti quanti, aura en face de lui un Front national implacable dans son argumentaire.

            À gauche, le Parti socialiste qui voudrait bien rééditer à l’inverse et à son profit le coup de 2002, se voit pourtant déjà dans une situation similaire avec des écologistes intraitables et une gauche de la gauche de plus en plus superbe, dominée par un Melenchon impitoyable.

            Quel président sortira des urnes ? Qui y a réfléchi ? Et quelles législatives suivront ? Chaos ? Cohabitation de quasi guerre civile ? 

            Et cette combinaison institutionnelle devra affronter une effroyable crise financière, économique, sociale et politique… Personne ne voit donc l’évidence ! Ah, si les Français connaissaient leur histoire, ils sauraient où se trouve en pareil cas le principe d’unité, de durée, de continuité. ■

  • A qui la faute, par Hilaire de Crémiers

            Dans Politique magazine de ce mois, Hilaire de Crémiers resitue bien "le" problème dans son vrai contexte : même si, de toute évidence, telle ou telle personnalité porte bien, dans certains domaines, telle ou telle part de responsabilité, il n'en demeure pas moins qu'en réalité le problème de fond est institutionnel : c'est un problème de régime, de Système.....

            A qui la faute ?

            "Trop facile... La faute, elle est dans les esprits, et dans des cadres institutionnels.... Personne n'a de vue d'ensemble du problème français. Il est essentiellement institutionnel et c'est ce que tout le monde refuse de voir...... c'est la faute au Système. Et cela depuis deux siècles, sauf exception...de monarchie...."

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    A qui la faute ?.....

            C’est la faute à… Trop facile. C’est en vain qu’on la cherche chez les hommes. Elle est dans un esprit et dans des cadres institutionnels. Les hommes ne font que l’aggraver ou la dissimuler. 
     
           La loi sur les retraites est votée. Elle sera promulguée les jours prochains, sauf si elle est invalidée par le Conseil constitutionnel. Au jour où cet article est écrit, la situation redevient peu à peu normale. Mais rien ne permet d’être assuré d’un véritable retour au calme. 

           Il est des gens, la plupart payés par l’État ou par des institutions et des entreprises relevant de l’État, dont l’unique préoccupation est de fomenter le désordre, de l’attiser, de le propager. Il n’existe pas pour eux d’autre manière d’envisager la vie et, bien qu’il soit interdit de le dire, ils sont en quelque sorte préposés au trouble et payés pour cette tâche. C’est ainsi qu’eux-mêmes comprennent les choses et qu’il faut, d’ailleurs, les comprendre. Il est donc vain de croire qu’ils s’arrêtent dans leurs desseins – quand ils s’arrêtent – pour des motifs raisonnables. Ce n’est dans leur esprit qu’un moment stratégique où la paix, pour reprendre la formule consacrée, n’est qu’une manière de continuer la guerre. Les troupes qu’ils manipulent, ne sont que de pauvres gens dupés. Les agitateurs ne répondent jamais à un souci d’ordre, ni ne se retirent de leur combat parce qu’ils seraient satisfaits ou, au contraire, désabusés ou fatigués. Ce genre d’analyses rassurantes, faites pour le bourgeois dans la presse bourgeoise, ne supporte pas l’examen de la réalité.  

            La vérité qu’il n’est pas convenable d’exprimer, c’est que le système idéologique et partisan qui structure notre vie publique, les favorise à tout coup. Même quand en apparence ils semblent perdre la partie, ce n’est jamais que momentané. La raison en est simple ; elle fâche quand elle est dite crûment ; l’homme politique français, le responsable social, pour peu qu’ils soient cultivés, détournent le regard à sa seule évocation. Car comment ne pas voir l’évidence ? La révolution violente et tyrannique est et demeure le modèle exemplaire de la République française, même quand elle se dit conservatrice. Ce qu’elle conserve toujours et essentiellement, c’est ce schéma fondamental qui est l’origine même de sa légalité qu’elle a su transformer en légitimité historique et métaphysique. Tout dans ses us et coutumes, ses conceptions sociales et éducatives, ses mœurs politiques, sa rhétorique officielle, en est imprégné. N’est-ce pas aussi le message qu’elle proclame au monde entier ? L’exemple qu’elle prétend donner ? Exemple qui, d’ailleurs, a engendré les pires dictatures de l’histoire humaine, non seulement le bolchévisme, mais aussi l’hitlérisme qui n’aurait jamais existé si la France avait respecté les Hasbourg, comme l’ont fort bien montré les historiens sérieux et encore dernièrement François-Georges Dreyfus. 

     
            Cet héritage qu’elle considère comme sacro-saint par une sorte de religiosité inversée, est la cause même de son instabilité interne. A quoi s’ajoutent les instabilités externes d’un monde naturellement changeant et de plus en plus incertain. L’histoire de France dès lors n’est plus qu’une longue suite cacophonique. Et pourtant que de ressorts encore ! D’intelligence, de puissance, de capacité ! Mais il n’y a rien à faire : là où il faudrait l’harmonie, le désordre prévaut. Plutôt que la réforme nécessaire, la révolution qui grise les esprits et massacre les énergies. Comme en 89… Il suffit d’écouter Jean-Luc Mélenchon pour saisir l’esprit même du régime : pour en finir, s’exclame-t-il, sortons-les « tous » ! Soit, mais alors pourquoi pas Mélenchon lui-même ? Jusqu’à preuve du contraire, il en fait partie de ces « tous ». Et tant qu’à faire jetons aussi le régime qui les justifie « tous » ! Peut-être alors ces profiteurs du système pourraient- ils devenir de quelque utilité sociale. Pour l’ordinaire d’aujourd’hui, leur seule raison d’être, c’est de se disputer… pour le pouvoir ! Car, au fond, ce sont tous des bourgeois, fort bourgeois, et qui ne rêvent que de places et de pouvoirs. 
     
    Une mécanique implacable  

            L’affaire repartira, et de plus belle, inéluctablement. Les syndicats eux-mêmes qui font partie intégrante du système et qui en vivent, n’y pourront rien. Car ce système justement les dépasse et personne n’en a, au vrai, le contrôle. Il a sa propre mécanique, sans cesse relancée, que tous les ambitieux de la politique essayent d’utiliser à leur profit, dans un sens ou dans un autre, chacun s’imaginant que la combinaison en cours favorisera son projet. Grave erreur de calcul qui provoque tous les déboires : il suffit de songer aux mille « politiques » qui ont été tentées depuis des décennies ! Laquelle a vraiment réussi ? Tout n’a été et ne peut être que déception. Chez tous, tant chez les défenseurs de la République conservatrice que chez les partisans de la démocratie populaire. Car comment faire de la stabilité dans l’instabilité permanente ? La réforme la plus révolutionnaire ou, au contraire, la plus nécessaire n’est elle-même jamais que provisoire. Chacun est persuadé qu’il détient la vérité de la République, la solution qui la sauve ! Comment voulez-vous éviter les surenchères, surtout quand il s’agit d’une question de pouvoir. 

            Ces gens qui se croient intelligents, sont des insensés. Ils devraient relire L’Ecclésiaste. Quelques-uns, ceux qui sont vraiment de bonne foi et qui voudraient sincèrement des améliorations, écœurés, n’y croient plus. Hélas, ils ont raison. 

            Le même système produira indéfiniment les mêmes résultats. Les habitudes sont là, d’esprit, de volonté, qui réactiveront les mêmes réflexes. Il en est qui, enivrés de discours fiévreux et d’agitations factieuses, sont capables de tout entreprendre pour tout détruire, surtout s’ils réussissent à mobiliser quelques milliers de jeunes qui peuvent en entraîner d’autres. Ce n’est pas parce que c’est ridicule que ça tombera à plat. 

            Il suffit d’un évènement, d’un accès de crise financière et économique encore plus violent – et rien ne l’exclut, au contraire – pour que la flamme se rallume. Le bien commun dans le système n’est la règle de personne, sauf des braves gens qui travaillent. Les autres ne cherchent qu’à se servir de l’évènement pour ébranler le pouvoir ou pour le prendre ou le reprendre. 

            Les considérations développées à propos des stratégies et des pédagogies dont il faut user pour faire passer une loi, considérations qui ont rempli la presse, sont totalement dérisoires. Avant les vacances ? Après les vacances ? Le conseiller social de Sarkozy, Raymond Soubie, se serait trompé dans l’évaluation des risques… Franchement si la France en est là ! C’est incontestablement que la situation est grave. Donc que, demain, à la moindre occasion, tout recommence.

           Les hommes politiques sont rivés à leur quotidien de guéguerre. Les uns se contentent de faire passer des réformes à minima – la réforme des retraites, la réforme territoriale qui ne sont que des quarts de réformes et mal ficelées –, les autres de les contrecarrer avec une grandiloquence dont la vacuité n’a d’égal que la perversité. Personne n’a de vue d’ensemble du problème français. Il est essentiellement institutionnel et c’est ce que tout le monde refuse de voir. Chacun veut ou croit tenir la mécanique, mais la mécanique est mauvaise. 
     
    L’international sauvera-t-il le national ? 

            Un remaniement gouvernemental n’en changera pas la nature. Le président qui a tenu des discours énergiques pendant l’été en pensant récupérer un électorat de droite qu’il a perdu, va, paraît-il, après la bagarre de l’automne sur les retraites, s’essayer à faire du social en nommant un homme comme Jean-Louis Borloo à la tête du gouvernement afin d’asseoir mieux sa personnalité politique sur un socle de gauche et de centre gauche. Lui ou un autre, peu importe ! 

            Il n’y gagnera rien ; il perdra sur tous les tableaux. Les présidentielles de 2012 et les législatives jointes vont empoisonner la vie politique française pendant toute cette fin de quinquennat. Les rendez-vous internationaux n’ajouteront aucune aura à Nicolas Sarkozy, contrairement à ce qu’il pense. L’Europe ne sera désormais qu’une cause de soucis supplémentaires, chaque nation ne cherchant plus que son intérêt face à la technocratie bruxelloise de plus en plus exaspérante. Quant à l’Allemagne, elle sera de plus en plus l’Allemagne. Le G20 et le G8 dont la France va prendre la présidence, n’accepteront pas les recommandations françaises pour l’évidente raison que la crise, loin d’être finie, va exacerber les conflits économiques. C’est une erreur de s’imaginer que l’international va sauver le national. Les échéances demeurent inéluctables. La France se retrouve et pour longtemps avec ses dettes incalculables, tous ses budgets en déséquilibre malgré les rabotages, des traités qui l’entravent, des institutions qui la ruinent, une monnaie qui la dessert, et un esprit public corrompu… Voilà la réalité. Et tout le monde de reprendre en chœur, surtout les futurs candidats : c’est la faute… à Sarkozy ! 

            Eh bien, non, c’est la faute… au système. Et cela depuis deux siècles, sauf exception… de monarchie ! Là où un Bonaparte, en quinze ans de pouvoir absolu, n’a pas réussi, pourquoi Sarkozy réussirait-il ? Et les autres qui veulent la place, s’il vous plaît ? Aucun n’a l’ombre d’un espoir de réussir. 

            Ce qu’il y a de terrible, c’est qu’ils croient tous au succès de leur stratagème politique. Alors que l’échec est la loi première du système ■ 

  • Un nouveau Régime ? par Hilaire de Crémiers

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le numéro de juin de Politique magazine)

    « L’ affaire » dont tout le monde parle, ne peut qu’inciter à une nouvelle réflexion politique. Car ce sont les principes mêmes du régime qui sont remis en cause.

     

    La République est fondée sur la vertu. Le mérite individuel en est la loi fondamentale. C’était, ce sont encore, en France, les « grands » principes, appris des « grands » auteurs, qui se répètent dans les « grands » discours et qui s’enseignent dans toutes les « grandes » institutions. 

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    Concupiscent ?.... 

    Les Français qui ne sont pas tous des sots, savent bien qu’il y a les mots et la chose ; et les mots sont loin d’être en adéquation avec la chose. L’histoire républicaine est un long tissu de scandales qui sont autant de défis à la vertu, le plus corrompu osant s’offrir comme le plus méritant. Mais il n’empêche que l’idée apprise domine les esprits, même encore aujourd’hui, de telle sorte que tous les vainqueurs électoraux – et c’est vrai singulièrement en France en raison de cette éducation spéciale à la chose politique – se croient toujours comme auréolés d’une sorte de gloire vertueuse qui manifeste et authentifie leurs mérites essentiels. Cela se vérifie à tous les niveaux mais plus encore quand il s’agit du sommet de l’État. Des Giscard, des Mitterrand, des Chirac, des Sarkozy, parce qu’ils ont obtenu 52 ou 53 % des voix des votants, ont aussitôt conçu le plus sincèrement et le plus narcissiquement du monde cette idée simple et forte qu’ils étaient les meilleurs. Il suffit de les voir et de les écouter. Sur ce point, ils sont tous inaccessibles au doute. L’heureux élu est persuadé d’être, du coup, le plus intelligent, le plus doué, peut-être le plus retors mais en l’occurrence pour le bien qui se confond avec sa personne, et en tout cas le plus apte à exercer la fonction. Voilà ce qu’ils pensent. C’est leur mérite qui, dans leur esprit, est justement couronné ; et ce mérite leur donne le droit de commander aux autres et de disposer du sort, voire de la vie de leurs compatriotes. Intime et inébranlable conviction qui les autorise aussi à s’affranchir des règles ordinaires, pourvu que l’apparence soit sauve. Dieu seul sait ce qu’il leur a fallu faire pour parvenir là où ils sont parvenus. Et pour y rester.

     

    La théorie des « meilleurs »

    On dira que c’est partout pareil. En Europe, en Asie, en Amérique… et en Afrique donc ! Soit. Cependant c’est en France que le discours a été le plus fondamentalement, le plus rationnellement théorisé, même si les excès n’y sont pas nécessairement les pires, les satrapes de tous les pays se faisant facilement concurrence dans ce genre d’exercices. Les Français croient volontiers ce qu’on leur enseigne et leur répète à longueur de temps en la matière, en dépit des innombrables affaires et des ténébreuses pratiques qui leur prouvent régulièrement le contraire. Jusqu’où ne va pas la crédulité ? Eh bien, il n’y a pas à hésiter à l’affirmer : c’est cette théorie même du pouvoir qui est inepte. Radicalement inepte. Peut-être admissible, tolérable, même efficace, pour des raisons historiques, en certains pays, en certains États, elle est absurde en France. Comme l’expérience le montre amplement. La seule, première et grande réforme constitutionnelle que la France doit faire, c’est sur ce point précis : trancher avec cette conception du pouvoir suprême. Et c’est possible.

     

    « L’affaire » révélatrice

    Voilà un homme qui passait pour extrêmement doué, charmeur et aux yeux de tous par conséquent essentiellement bon. Ses mérites véritables ou supposés, sans cesse loués, avaient été les meilleurs agents de ses succès électoraux comme de ses ambitions politiques que chacun, même l’adversaire, trouvait justifiées. Il avait été ministre – ministre de gauche ! – qualifié d’excellent et disculpé, en raison de ses capacités reconnues et de sa valeur personnelle, de tous les soupçons de prévarication dont il avait pu être accusé au cours de sa carrière, en cela semblable à tant d’autres depuis les origines de la République. Combien d’affaires jamais élucidées ?

    Il avait été nommé directeur du Fonds monétaire international, toujours en raison de ses mérites et de ses compétences, si incontestables que tout le monde convenait, y compris le président de la République française, son adversaire théorique, que nul n’était mieux placé que lui pour remplir cette fonction. En raison précisément de ce qu’il était.

    Et pour cette même raison de ce qu’était sa personne, depuis plus d’un an, le monde politique et médiatique trouvait normal, donc légitime, qu’il puisse revendiquer la première place en France. 

    Il était fait pour devenir, pour être président de la République. 

    À ses côtés, les plus nobles et les plus justes ambitions pensaient à s’effacer devant sa candidature. L’évidence était là. Aux dires des sondages, le pays même, presque dans son ensemble, semblait approuver cette préférence.

    Homme d’argent, homme de sexe, cela se savait, mais qu’importait ! 

    La République se retrouvait en lui et lui reconnaissait ce mérite républicain, cette vertu non moins républicaine qui suffisait à justifier la prétention.

    Et patatras ! La révélation fut cruelle. Surtout pour les hommes du système. Ce n’était pas tant la femme de chambre que la définition même de la République qui était chiffonnée, forcée, violée, profanée. Où est la liberté dans une répugnante agression ? Où est l’égalité dans une relation violemment imposée ? Où est la fraternité dans le mépris que supposent de tels actes ? Où la vertu ? Où le mérite ? Où la République, cette République pourtant déjà si intimement assimilée à l’homme qui avait toutes les chances d’en devenir le président, l’incarnation même du régime ? La sélection républicaine ne l’avait-elle pas déjà… sélectionné ? Alors ? 

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    Qui dirigera le FMI ? Cette question a été sûrement agitée dans les coulisses du G8 de Deauville...

     

     

    Une autre solution

    Quelle démonstration a contrario ! Qui ne comprendrait maintenant que ce système de sélection pour la plus haute fonction nationale peut et doit être remis en cause ? Il est voué à l’échec ; il le sera de plus en plus. Cet homme ou un autre, une autre, la réalité n’en changerait pas pour autant. Le président de 2012 n’arrivera à rien qu’à empirer les affaires de la France, quel que soit son mérite ou sa vertu. La question n’est pas là ; le système est inapproprié : nul, par ce mode de sélection défectueux, n’est en situation de remplir correctement la fonction de chef de l’État. Le système a donné le sentiment de marcher pendant tant d’années par un jeu d’illusions successives, mais avec l’usure du temps il est fini. « L’affaire » aura été une illustration supplémentaire de sa perversité.

    Cette « affaire » ne contient-elle pas, d’ailleurs, un aveu ? 

    N’est-ce pas l’homme lui-même qui, par une sorte « d’acte manqué », parfaitement réussi, comme les plus fins observateurs le notent, a, d’une certaine manière, contrarié le destin ? Voulait- il vraiment de cette présidence française ? Voulait-il même encore de la direction du FMI ? Tout ce qu’il dit et écrit depuis l’incident est fait pour laisser la plus excellente image ; il le fait à dessein, car mieux qu’un autre il sait ce que les meilleurs experts savent, à savoir que les peuples et les marchés, étrangement mais profondément conjurés et sans même s’en douter, sont sur le point de réduire à néant la politique qu’avec tout un réseau de financiers et de politiques, surtout français, il a mené au cours de ces dernières années pour sauver la zone euro et le système monétaire international. Aucun homme politique, aucun financier n’est de taille aujourd’hui à affronter la situation qui se crée peu à peu et de manière irréversible. Comment arriver à se défausser ? Terrible question, surtout si l’on veut rester comme celui qui… Oui, encore et toujours, le meilleur, le parfait et, en quelque sorte, le plus méritant et, pourquoi pas, le plus vertueux des dirigeants ! Cela au moment précis où tout commence à s’effondrer.

    Esquive consciente, inconsciente, devant une responsabilité trop lourde et qui lui permettra de se refaçonner une innocence. Il lui sera plus facile de prouver qu’il a été méconnu dans sa vertu profonde qui va bien au-delà des sinistres équivoques de « l’affaire » dont d’autres, bien sûr, ont profité ! Mais oui !

     

    Un autre régime ?

    Ainsi il aura échappé aux lendemains tragiques qu’au plus profond de lui-même il se refusait à assumer, au prix certes d’un déshonneur… mais dans l’espoir d’une réhabilitation qui se conjuguerait avec un regret universel de ce qu’il fut et de ce qu’il aurait pu être… Est-ce trop inventer ? Tout va si vite. Comme celui de Deauville, les sommets internationaux vont se succéder sous la pression terrible de nécessités de plus en plus prégnantes… et jusqu’où ? Les lecteurs de Politique magazine se souviendront qu’ils auront été avertis.

    Crise financière, crise institutionnelle, crise de régime, tout est là demain que compliquent encore les catastrophes naturelles. Il importe assez peu de savoir si Strauss-Kahn sauvera son image. La seule question qui vaille la peine d’être posée, est de savoir si le système dont nous vivons et qui va à sa perte, mérite d’être maintenu. La réponse devient de plus en plus clairement : non. Aucun candidat ne saura transformer sa mécanique. Ce n’est pas une question d’hommes, c’est une question d’institutions.

    Il faut à la France un autre régime. Celui qu’elle a connu pendant mille ans, évidemment modernisé, comme il a toujours su le faire, en s’adaptant aux temps, vrai nouveau régime où la responsabilité politique au sommet de l’État est totalement assumée, en vertu d’une charge historique dont la légitimité tient au service rendu et non à quelques concours de discours et de votations. L’exercice de la fonction suprême en charge du bien commun exige le temps, la vision et la stabilité dans le progrès. A l’heure où, comme le souligne excellemment un Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly, dans un essai remarquable intitulé Mon village dans un monde global (François Bourin éditeur, 160 p., 19 €), il convient pour tirer notre pays de son marasme de renouer avec un fort sentiment d’appartenance et de mieux ancrer dans ses propres territoires les réelles capacités de notre pays afin de mieux affronter le développement inéluctable de la mondialisation et s’en faire même un atout, il apparaît qu’une ambition française ne peut plus se concevoir qu’avec la plus tenace et la plus intelligente des politiques dans le long terme. Aucun parti politique, aucun homme, aucune femme, si remarquable, si vertueux, si supérieur aux autres soit-il, n’est à la hauteur de l’enjeu. Leur échec est programmé. Ce n’est pas eux dont la France a besoin. Puissent un jour les Français au bout de l’épreuve accepter de retrouver leur histoire en retrouvant leur dynastie. ■

  • Turquie/Europe : fiction, anticipation ?...

            Nos lecteurs  - du moins les plus anciens - y sont habitués, depuis assez longtemps, maintenant. Lorsque le regretté François-Georges Dreyfus nous a demandé si nous accepterions de l'aider à diffuser La Dizaine de Magistro, nous avons immédiatmernt accepté, et nous la répercutons, depuis, ... tous les dix jours, comme son nom l'indique !

            Nous voyons là un service rendu à la réflexion et à la pensée, mais aussi une manière de remercier François-Georges Dreyfus de  son apport aux idées qui sont les nôtres. Maurras ne disait-il pas "Le meilleur d'entre nous subsiste lorsque le matériel disparaît tout entier..." ?

    tancrede josseran.jpg          Chaque "Dizaine" nous apporte donc son lot d'articles toujours intéressants, souvent de haut niveau, et nourrissant toujours la réflexion.

            Cette semaine, la "Dizaine" nous a fait découvrir un "nouveau" : T. Josseran, professeur d'Histoire, part d'un livre écrit en Turquie, par un Turc : fiction ? anticipation ? Cela permet en tout cas de dire ou de redire certaines choses qu'il serait bon d'appprendre, si on les ignore, ou de se remémorer, si l'on a tendance à les oublier.....

    * Tancrède JOSSERAN est Attaché de Recherche à l'Institut de Stratégie et des Conflits (ISC). 

     Guerre contre l'Europe

             Alors que les négociations avec l’Union européenne sont entrées dans une phase de doute, un puissant courant euro-sceptique est en train d’émerger en Turquie. L’un des succès de librairie les plus significatifs de ces derniers mois : "La troisième guerre mondiale" (1), décrit dans un futur proche l'invasion de l’Europe par l’armée turque.
            Avec la "Troisième guerre mondiale", (Üçüncü dünya Savasi), Burak Turna renouvelle le succès de son précédent roman de politique fiction : "Tempête de métal" (500 000 exemplaires vendus). Il ne s’agit plus cette fois pour l’auteur d’imaginer l’attaque de la Turquie par les États-Unis, mais de mettre en scène une vaste confrontation à l’échelle planétaire entre l’Orient et l’Occident.
            Dans le climat d’incertitude et de méfiance qui prévaut aujourd’hui dans les relations entre la Turquie et l’Union Européenne et, plus globalement, de l’Occident avec le monde musulman, le livre de Burak Turna apparaît comme un véritable miroir de l’image que les Turcs se font et de l'Europe, et d'eux-mêmes.
            C’est cette vision tendue, pleine de contradictions, oscillant entre désir et rejet, que cette œuvre de fiction, bien que confuse et manichéenne, permet d’appréhender.

     

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    L’Orient contre l’Occident

            En 2010, une crise économique d’ampleur mondiale provoque l'effondrement des principales places financières de la planète, les unes après les autres. Profitant du chaos ainsi généré, une société secrète, "la fraternité des chevaliers de la mort" alliée au Vatican, déclenche une guerre à l’échelle planétaire. Le but final de la mystérieuse confrérie étant l’instauration d’ "un Etat mondial" (2) blanc et chrétien. Pour ce faire, cette société encourage la dialectique du choc des civilisations à travers le monde, en manipulant les mouvements identitaires et populistes en Europe, ainsi que des sectes comme la Falong en Chine. L’Allemagne, l’Autriche, la Hollande, la France sont en proie à une vague de pogroms contre les musulmans, et plus particulièrement contre les Turcs. Ce déchaînement de violence, touche aussi les ressortissants russes des pays baltes, ce qui force Moscou à intervenir. De même, la tension entre la Chine et les États-Unis pour le contrôle du Pacifique, débouche sur une opération aéronavale à Taiwan. L’Inde, alliée à la Chine, profite de la confusion générale pour anéantir la flotte américaine dans sa base de Diego Garcia et s’emparer des possessions françaises dans l’Océan Indien.
            Décidés à mettre fin aux exactions contre leurs ressortissants, Ankara et Moscou alliées au tandem Pékin-New-Dehli unissent leurs efforts militaires. Une spectaculaire opération aéroportée est menée contre l'Allemagne. Les parachutistes turcs, largués par des Antonovs, hissent l’étendard écarlate frappé du croissant sur le Reichstag. Les Américains, trop occupés à faire face aux Chinois dans le Pacifique, abandonnent leurs alliés européens. Un nouvel ordre continental émerge des décombres de l’ancienne Europe dont la capitale est transférée à Istanbul.
            Tout au long du récit l’auteur prend bien soin de ne pas isoler l’Islam des autres civilisations non-occidentales. Aussi, l’axe islamo-orthodoxo-hindou-confucéen créé pour la circonstance, valide davantage la thèse du choc entre l'Orient et l'Occident, qu'entre ce dernier et l'Islam. Comme Samuel Huntington avant lui, Burak Turna fait de la Russie un corps étranger à l’Europe en la plaçant dans le camp de l’Orient. En dépit de cette volonté de faire passer au second plan le facteur religieux et les divergences propres à chacune des civilisations de "l’axe  oriental", l’auteur à quelque peine à expliquer la disparition des conflits entre musulmans et chrétiens dans le Caucase, l’apaisement subit des tensions dans le Cachemire et au Singkiang (Kirghizistan chinois). Finalement, le grand paradoxe de cet ouvrage réside dans cette volonté des Turcs à vouloir se faire accepter comme Européens en se comportant en conquérants, tout en rejetant l’identité occidentale.

    L’Europe une terre de conquête ?

            Ultime cap de l’Asie, point d’aboutissement des invasions, marche occidentale de l’Empire ottoman et extrémité nord-occidentale de l’avancée arabe, l’Europe demeure dans l’imaginaire turc un espace d’expansion. Dans une certaine mesure, le processus d’adhésion à l’UE est vécu comme une revanche sur l’Histoire, et la continuation des guerres ottomanes par d’autres moyens. Il est significatif qu’au lendemain de la validation de la candidature d’Ankara par le conseil des ministres des Vingt-Cinq, dans la capitale autrichienne, en décembre 2004, un grand quotidien turc ait titré "Vienne est tombée !". Au retour de son périple européen, Erdogan était accueilli triomphalement à Istanbul et surnommé : le "conquérant de l’Europe".
             Malgré son appartenance à un milieu  laïc et occidentalisé, Burak Turna reste lui-même marqué par cette rhétorique belliciste. Dans son livre, sa représentation de l’ennemi européen emprunte beaucoup au registre religieux. Les soldats européens y sont décrits comme un ramassis de soudards dépravés et criminels, à l’instar des "croisés avant eux" (3). Le Vatican incarne le danger spirituel qui guette la Turquie et le monde non-occidental. La conspiration qui en émane, a pour but "d’effacer les cultures traditionnelles partout dans le monde et de créer une société d’esclaves" (4) . Nous serons les "propriétaires de la planète" (5), fait s’exclamer Burak Turna  à un cardinal, porte-parole de Benoît XVI.
            Ici, la figure de l’ennemi alimente l’imaginaire du complot. L’idée que l’action du Vatican puisse faire peser une menace sur l’existence de la Turquie prend sa racine dans le projet du pape Clément VIII (1592-1605) de reconquérir Istanbul et de convertir l’Empire ottoman. Plus récemment, les propos de Jean-Paul II dans son message pascal de 1995, ont été relevés avec suspicion. Le saint Père appelait les organisations armées, et spécialement les Kurdes, à s’asseoir autour de la table de négociations. Le Vatican conviait aussi Ankara à s’associer à cette initiative. Peu après, une campagne de presse relayée par le Catholic World Report aux États-Unis, s’en prenait violemment à la Turquie en l’accusant de "génocide" à l’égard des populations Kurdes. En 1998, la nomination par Jean-Paul II de deux cardinaux, dont l’identité n’a pas été dévoilée, a suscité des interrogations dans les milieux nationalistes turcs (6).
            Si ces inquiétudes peuvent apparaître très exagérées, pour ne pas dire dénuées de fondement sérieux, elles n’en recoupent pas moins des "pensées réflexes" ancrées dans le psychisme turc.
            En-dehors de Burak Turna, ces théories conspirationnistes sont, ces derniers temps, largement reprises dans les médias. Le chroniqueur vedette de télévision, Eröl Mütercimler, s’est fait une spécialité de la dénonciation de ces forces occultes qui  dirigent  le monde. Pour Mütercimler, l’Europe ne voudra jamais de la Turquie car elle est intrinsèquement un club chrétien (hiristiyan kulübü).           Les "architectes du nouvel ordre mondial" auraient selon lui, abouti à une forme de syncrétisme entre leur déisme maçonnique et les valeurs chrétiennes des pères fondateurs de l’Europe. Cette synthèse humanitaro-chrétienne exclurait de fait la Turquie musulmane. Pour appuyer ses propos, Mütercimler prend l’exemple du drapeau européen dont les 12 étoiles sur fond bleu représenteraient la robe de la Sainte Vierge… (7)
            Ce regard turc sur l’Europe, si ambigu, si paradoxal, qu’offre le livre de Turna, est à l’image d’un pays prisonnier entre son enracinement oriental et sa marche vers l’Occident.
            Une Europe perçue à la fois comme une terre de conquête, comme un lieu d’affrontement, mais aussi comme la dispensatrice d’une manne précieuse, un club de riches, un Occident chrétien qui, même pour des musulmans, demeure un idéal de civilisation.
            
     

    (1) Burak Turna, Üçüncü dünya savasi, Timas Édition, Istanbul, 2005
    (2) Idem. p 271
    (3) Idem. p 348
    (4) Idem. p 130
    (5) Idem. p 271
    (6) Erol Mütercimler, Komplo teorileri, Alfa, Istanbul, 2006: “AB’hiristiyan kulübü’dür“ [L’Union Européenne est un club chrétien], p176-180
    (7) Idem. “Vatikan’in gizli ilisskileri“ [Les relations secrètes du Vatican, p 293-300

  • La Nouvelle revue universelle publie son n° 31... qui confirme son nouveau départ !

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    Fondée en 1920 par Jacques Bainville, reprise par l'équipe de Politique magazine, la Nouvelle revue universelle - trimestrielle - est de la même qualité.

                Elle se situe parmi les revues de réflexion comme Commentaires ou Esprit. Nous avons de la chance de disposer d'un tel instrument : à nous de la faire connaître !...

    Un esprit nouveau souffle sur la Revue, une dynamique prometteuse s'installe : que chacun en profite, y participe et concoure à faire de la Revue, toujours plus et toujours mieux, le forum qui servira nos Idées en ces temps de crise, face aux évènements qui se préparent...

                Abonnez-vous, faites abonner vos amis et connaissances, donnez des adresses de personnes susceptibles d'être intéressées :   

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    Voici le "A nos lecteurs", par Christian Franchet d'Espèray, qui "ouvre" ce numéro : il a été écrit avant la manifestation du 24 mars – mais cela change peu de choses puisque cette journée a surtout confirmé et amplifié le mouvement du 13 janvier –, et aussi avant l’élection du pape François, qui a ouvert d’emblée de nouvelles et passionnantes perspectives pour l’Eglise romaine, pour les chrétiens en général et même pour tous les Français.

    Enfin, sachez-le, Christian Tarente consacre un article au nouveau pape dans le prochain Politique magazine, qui sort très bientôt....

     La France est de retour !

    par Christian  Franchet d'Espèrey

     

    Dolente et souffreteuse, grabataire et fiévreuse, elle ne manquait pourtant pas de médecins à son chevet. Mais tant de doctes praticiens rassemblés pour découvrir que seule… l’aggravation de son mal parviendrait à la sauver ! Où es-tu, Molière ?… Bref, cette pauvre France était au plus mal, elle se traînait de crise en crise, souffrant de perte de mémoire et de troubles identitaires. Pire, elle finit par contracter une dérive anthropologique aiguë, un mal affreux, long et difficile à résorber. 

    Nous en étions là… A vrai dire, nous en sommes toujours là, si ce n’est que deux évènements inattendus sont venus nous remettre au cœur une dose d’espoir que nous n’attendions plus.  

    manif pour tous 24 MARS 2013 3.jpgPremier évènement : l’immense clameur poussée par le peuple de France en réponse à un projet de loi proprement insensé, dans toutes les acceptions du terme. Ce que nous avons appelé ici-même le « cri d’Antigone », cet appel sacré aux lois inviolables, a déchiré la nuit.  Des portes de Paris au Champ de Mars, une triple marée humaine a déferlé. Les images qu’on en a prises ont fait le tour de la terre. Les quelques peuples déjà soumis à la nouvelle barbarie, ou en voie de l’être, comme tous les autres qui nous regardent, stupéfaits, sombrer dans la décadence, tous ont vu ce million de personnes défiler sur le pavé parisien non pour défendre leurs salaires, leurs « droits acquis » ou leurs privilèges, mais pour défendre l’être humain contre ceux qui s’acharnent à le détruire. 

    Immense clameur… Immense soulagement, aussi, à la face du monde : le peuple français existe encore ! On le croyait moribond, peut-être déjà mort… et il a bougé, il s’est redressé, debout il s’est mis en marche, tout au bonheur de se retrouver, et de crier et chanter pour soutenir la plus irréprochable, la plus irrécusable, la plus irréfutable des causes. Contre une pression dominante qui paraissait insurmontable, cette foule a fait éclater sa vitalité retrouvée. De la braise, une flamme a jailli… elle peut faiblir, vaciller, mais elle ne doit plus s’éteindre. À chaque instant, nous devons être prêts à réveiller cette ardeur – non pour elle-même, mais pour qu’après avoir réchauffé les cœurs, elle serve àrendre un avenir à l’intelligence. 

    MALI 2013 1.jpgDeuxième évènement, concomitant, bien qu’à 4000 kilomètres de là. C’est la terre africaine qui nous l’a offert. La grande épopée coloniale française, déployée dans des circonstances multiples et à des époques successives, a été marquée à la fois d’heures glorieuses et de lourdes ambiguïtés, qui ont laissé des souvenirs amers mais aussi des traces historiques indélébiles d’amitié et de solidarité. Quand est venu le temps incertain de la décolonisation, des efforts – insensés là encore – furent faits pour que nous doutions de nous-mêmes dans un sempiternel état de repentance. Il est sûr que le grand mouvement qui a poussé des Français, depuis le XVIe siècle, à aller s’installer partout dans le monde ne s’est pas fait sans heurts, sans violences, sans injustices. Il est sûr, notamment, que l’exportation de nos « valeurs démocratiques », de nos pseudo-droits de l’homme et de notre matérialisme n’a pas fait que du bien. Il reste que cette grande confrontation de peuples a eu beaucoup d’effets bénéfiques : ce sont ceux-là qu’il faut, aujourd’hui encore, privilégier et développer. Toute une idéologie « anticolonialiste » a prétendu nier cette réalité profonde que la France recèle, dans sa culture et dans son être même, des trésors d’amitié, de générosité, de don de soi, d’ouverture aux autres qu’elle a le droit et le devoir de répandre partout où sa présence peut être reçue. Nos amis maliens ont fait fête à nos troupes débarquant à Bamako : c’est l’âme même de la France qui répondait à leur appel. Et tant pis pour les grincheux et les pisse-froid qui ont hurlé à l’aventure néocoloniale.  

    Toute idée de « recolonisation », certes, est absurde : comme le dit l’antique sagesse, on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. La colonisation du XIXe siècle a vécu et ne reviendra pas. Mais il est tout aussi vrai – d’une vérité profonde – que les liens qui unissent la France aux Africains francophones – liens exclusifs, comme ceux d’un cousinage… – ont été tissés par notre histoire commune : cette histoire, nous pouvons et devons, avec eux, la regarder en face, sans honte ni mauvaise conscience, lucides sur ses ombres et ses lumières, mais sans que nous cessions jamais de tendre la main à tous ceux-là qui, dans le continent noir, rêvent de la France. Voilà le sens à donner à la présence de nos soldats au Mali. Après avoir chassé les barbus islamistes du désert, ils doivent ouvrir la voie à des coopérants de toutes sortes, enseignants, ingénieurs, techniciens, avant que n’accourent des o.n.g. anglo-saxonnes venus servir de paravent à des intérêts douteux. Certes, entre les touaregs et les populations noires du sud, les relations ont de tout temps été tendues. La démarche que dicte le bon sens est de profiter de notre prestige retrouvé – qui est celui de la France, et d’elle seule – pour les aider à trouver une solution politique durable. Enfin un authentique projet digne de notre destin ! 

    « La civilisation qui se construit n'a pas simplement besoin de technique et de moyens. Elle a essentiellement besoin d'une inspiration qui puisse donner un sens à ses prodigieuses ressources et les mettre vraiment au service de la condition humaine. » (Cardinal Jean Danielou, peu après mai 1968). 

    Pour la génération de ceux qui ont eu 20 ans en 1968, et donc 60 en 2008, cette période de quarante années fait désormais figure de nouvel entre-deux guerres : les illusions lyriques des barricades de la rue Gay Lussac portaient en germe la débâcle finale, le débarquement à Obama Beach de la crise des subprimes. Une crise financière ? Sans doute mais, d’abord et surtout, une crise de l'intelligence, qu’un cardinal Daniélou avait diagnostiquée dès l’origine et qui n'a cessé de s'aggraver. Crise de la raison, crise du sens. Et d’abord du sens des mots. On connaît l'ambiguïté sémantique des mots libéral et libertaire :une des tâches que s'est fixées la Nouvelle Revue universelle est de contribuer à la lever. Mais l'expérience le prouve : quand le libéral rencontre le libertaire et s'accorde avec lui, ce n’est pas seulement que la liberté vraie est menacée, c'est d’abord que l'intelligence est terriblement atteinte. Les victimes de ce symptôme – aujourd'hui à l'état pandémique – prennent pour une joyeuse fièvre du samedi soir la redoutable fièvre quarte qu’ils ont contractée. Le virus est là, et il est mortel. 

    ENQUETE 2 17 11 2012.JPGC’est pourquoi, comme nous l’annoncions dans notre dernier numéro, Antoine de Crémiers a pris à bras le corps « les impasses et l’impuissance de notre bel aujourd’hui », impasses dans lesquelles nous sommes complètement bloqués, et impuissance qui nous mine. Nul pessimisme dans son approche, mais un regard clinique aiguisé : son diagnostic s’appuie sur les réflexions d’un grand nombre d’observateurs de notre temps. Quelle place réelle la modernité accorde-t-elle à démocratie, et plus généralement à la politique ? Entre pratique économique réaliste et idéologie philosophique équivoque, où situer le libéralisme ? La Nouvelle Revue universelle n’a pas fini d’en débattre. Antoine de Crémiers en assure une impressionnante ouverture de rideau. 

    Première et immédiate illustration : François Reloujac dénonce le rôle joué dans la genèse de la crise par la démission des hommes politiques, c’est-à-dire par la négation, dans une inconscience tragiquement coupable, de la seule règle d’or qui tienne, une règle en or massif : politique d’abord. 

    Autre illustration proposée, cette fois, par Gilles Varange. Pour la politique mondiale, l’année 2013 va, selon toutes probabilités, rester marquée d’une pierre noire bien plutôt que blanche : la fameuse modernité mondialisée va voler en éclats. Non sans faire beaucoup de dégâts. La satisfaction intellectuelle de ceux qui n’ont cessé de l’annoncer ne pèsera pas lourd à côté de la tâche immense de reconstruction qui les attend, qui nous attend… 

    ARMEE PAN.jpgUne sauvegarde a cependant été maintenue : notre dissuasion nucléaire. Mathieu Epinay nous raconte cette étonnante aventure dont on retiendra l’exceptionnelle valeur d’exemple. Tous nos chefs d’Etat l’ont respectée : « La fonction conférerait-elle un sens plus aigu du sacré ? Non, c'est plutôt que sa gravité stimule une réflexion objective et pragmatique. » Il y a là non seulement une garantie pour l’avenir, mais une démonstration que, quand la France veut, elle peut. 

    Mais ne rêvons pas trop vite, la modernité, pour mieuxprotéger ses laboratoires où il est fait défense à Dieu d’entrer, n’hésite pas à aller au-delà d’elle-même. Grégor Puppinck voit dans la Cour européenne des Droits de l’Homme le symbole même d’une postmodernité fondée sur un relativisme et un subjectivisme érigés en absolu. Sa jurisprudence entend transformer le mécanisme de protection des droits de l’homme en une machine à propager et imposer la postmodernité aux Etats, fussent-ils réticents ou hostiles. 

    La dénaturation du mariage est une des manifestations de cet état d’esprit. Dans une petite fable, dont l’apparence charmante ne peut dissimuler ce qu’elle a de terrifiant, François Schwerer nous fait entrer de plain-pied dans le meilleur des mondes, tandis que le poète Claude Wallaert nous montre que Créon triomphant ne saurait échapper au châtiment : il lui promet « la mort des rats ». 

    Le prophète exigeant et doux que, par un jour d’avril 2005, un conclave nous a donné pour pape, sous le nom de Benoît XVI, a donc estimé que, pour le bien de l’Eglise, son devoir était de se retirer. Ceux qui se croient autorisés à le critiquer seraient avisés de s’interroger sur ce que signifie réellement « servir jusqu’au bout le bien commun ». Notre directeur, Hilaire de Crémiers, a expliqué le sens à donner à ce retrait, qui n’a, naturellement, riend’une « démission », car elle doit tout à l’ultime lucidité d’un homme qui sait mieux que personne comment l’Eglise doit être conduite dans le temps que nous vivons. Son geste est une parfaite illustration d’une phrase de son encyclique sur l’espérance, Spe Salvi, que Xavier Walter aimait à citer : "Tout agir raisonnable et loyal est espérance en acte". 

    LOUIS XVI MESSE.jpgUn précepte que ne récusera pas Dom Philippe Piron, Abbé de l’abbaye bénédictine de Kergonan, à l’entrée de la presqu’île de Quiberon, si actif pour faire vivre et croître sa communauté.

    Nous le remercions de nous avoir autorisés à publier le texte de la belle homélie qu’il prononça, par un 21 janvier enneigé, en l’église Saint-Germain l’Auxerrois.

    Christian Franchet d'Espèrey

  • La guerre est là. Que faire ?

     

    Hilaire de Crémiers, directeur de Politique magazine, donne son analyse sur les évènements dramatiques que la France vient de subir.

     

    hilaire-de-cremiers-510x327.jpgLa guerre est là, devant nous. Politique magazine l’a déjà écrit à plusieurs reprises. Cette guerre nous est faite sans déclaration préalable et par tous les moyens dont le terrorisme n’est qu’un des multiples aspects. Les attentats de Paris sont des actes de guerre, a constaté le chef de l’État qui est aussi le chef des Armées. François Hollande a décrété l’état d’urgence et en a demandé la prolongation sur trois mois. Il a réuni l’ensemble de la représentation nationale en congrès à cet effet, pour souligner la gravité de l’heure, appeler au rassemblement de la nation et définir les impératifs de la sécurité de la France en précisant les mesures qui s’imposent. Le Premier ministre, de son côté, parle maintenant avec une extrême fermeté de l’éradication du terrorisme et, en conséquence, de la répression de l’islamisme radical qui l’alimente. Il invoque, lui aussi, l’union nationale nécessaire dans des circonstances aussi dramatiques.

    Situation alarmante

    La situation, en effet, est alarmante. La France est engagée à l’extérieur sur plusieurs fronts, en Afrique, au Moyen-Orient. Elle se trouve aussi partie prenante dans le dispositif en Méditerranée pour faire face à l’intarissable flux migratoire et elle s’est engagée dans l’accueil des migrants innombrables qui arrivent sans discontinuer de Syrie, de Turquie et, d’une manière générale, du sud-est de l’Europe.

    Et voilà que s’ouvre un front intérieur que les responsables politiques commencent seulement à entrevoir. Les mises en garde des services spécialisés et des autorités militaires n’avaient pas manqué ni de nombreuses alertes au cours de ces dernières années.

    Ce front intérieur face à un ennemi de l’intérieur constitué en ce qui s’appelle communément « une cinquième colonne », exigera, à cause de son indétermination fondamentale, beaucoup d’hommes, beaucoup de moyens et d’efforts, beaucoup de dépenses aussi, sans garantie aucune, en raison du pourrissement prévisible de la situation et surtout en raison du mode opératoire du terrorisme islamique. Ce qui n’était qu’actes individuels devient actes collectifs dont la logique suppose la répétition et la coordination. Leur fréquence et leur violence ne cesseront d’augmenter.

    Que faire contre l’horreur terrifiante d’attentats frappant les citoyens au hasard et, pourtant, en tant qu’actes, méticuleusement voulus, programmés, préparés, conceptualisés, réalisés par des hommes fanatisés et déterminés ? L’atrocité y est conçue comme une perfection de l’acte ! Il faut donc comprendre que le terrorisme répond à une stratégie, constitue en lui-même un but de guerre ; il se relie à une vision militaire de l’islamisme ; l’armée djihadiste, les armées même puisqu’elles sont nombreuses et souvent s’entretuent, mènent leur combat sous toutes les formes, sur tous les fronts, par tous les moyens, en territoires qui relèvent de l’islam, comme en territoires extérieurs à conquérir. La conception est globale, religieuse, politique, militaire ; cette conception même se prétend un État – mais quel État ? – un califat qui a vocation à dominer le monde et à y imposer sa loi.

    Nul ne sait au juste ce que c’est que cet État, ni qui se cache sous ce nom, ni ce qu’il représente, ni de quoi il vit et comment il vit. Très peu de nos responsables politiques ont compris cet aspect des choses. Ils se croyaient couverts par leur laïcité qui ne fut jamais en son temps et encore maintenant qu’une machine de guerre contre le catholicisme français et qui n’est qu’un vide, une prétendue neutralité gentille, face à l’islam, c’est-à-dire une absence totale de réponse.

    Des mesures insuffisantes

    Autre inquiétude : c’est qu’il apparaît clairement que ce genre d’ennemis est maintenant chez nous partout. Ils surgissent de territoires dont il est vain d’affirmer qu’ils sont contrôlés, les fameux « territoires perdus » de la République. Là aussi les responsables politiques feignaient de les ignorer.

    Des banlieues entières, aujourd’hui des quartiers de villes échappent pratiquement à l’autorité de l’État, en France, en Belgique et, en fait, pratiquement dans toute l’Union européenne. Les armes s’y entassent ; les gens s’y radicalisent ; le banditisme y fait la loi : tous ces symptômes de gangrène sociale sont liés ; les prisons sont des lieux de radicalisation. L’Europe de Schengen a créé un espace où les brigands et les terroristes armés peuvent circuler pratiquement en toute impunité et de là partir en Syrie ou ailleurs pour en revenir en choisissant les moyens de leur départ et de leur rentrée.

    Les mesures dictées par François Hollande sont toutes dans le quantitatif, certes, sans doute, nécessaires, mais insuffisantes devant la menace multiforme. Plus de gendarmes, plus de policiers, plus de juges et des militaires encore plus présents ne sont que des ripostes mais ne constituent pas une réponse de fond à la question. Pas plus que la multiplication des bombardements par l’aviation française.

    Nous ne sommes qu’au début d’un processus qui n’ira qu’en s’amplifiant et d’autant plus que les réponses qui seront apportées seront d’abord en discours, en attitudes prises sous le coup de l’émotion et avec des visées politiciennes et des arrière-pensées inavouables. Le politicien joue de tout, y compris de la peur. Chacun fera son affaire des événements, à sa manière et pour son compte ; le soupçon parfaitement compréhensible en pèsera sur les autorités en place. Affreux à dire, mais, hélas, terriblement réaliste.

    Manque de compréhension

    Ceux qui se souviennent encore de la guerre d’Algérie – il y a beaucoup de ressemblances – comprennent parfaitement cette logique de guerre civile qui s’enclenchent inéluctablement. A l’époque de l’Algérie française, l’État français par la voix de ses ministres – dont François Mitterrand – avait assuré, répété que jamais, au grand jamais, la République ne céderait au terrorisme. Or, non seulement elle a cédé, mais elle s’est déshonorée puisqu’elle a livré les musulmans fidèles à la France à leurs adversaires et tortionnaires, ce qui fut un crime contre l’humanité.

    La parole de la République n’est plus fiable et, les premiers à le savoir, ce sont malheureusement les Français musulmans. N’oublions pas que le gouvernement républicain de l’époque avait envoyé l’armée dans ces territoires qui relevaient de la souveraineté française, qu’il avait mobilisé le contingent ; c’était des socialistes qui étaient au pouvoir ; ils décrétaient l’état d’urgence. Comme aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est en métropole ! François Hollande envisagerait de rappeler des réservistes en forme de garde nationale. Ce fut fait en Algérie avec les unités territoriales. Rien de nouveau.

    Les responsables politiques ont la chance d’avoir encore des services relevant des fonctions régaliennes de l’État qui fonctionnent bien et, pour certains, excellemment, avec des moyens pourtant trop limités. Ces services font leur travail. Mais déjà tout ce que l’on sait des enquêtes révèle des défaillances internes à l’État : sous prétexte de justice, de lois, de considérations humanistes, voire de politique pénale, les bandits, les assassins, les terroristes échappent à la répression nécessaire, tandis que les honnêtes citoyens sont harcelés de contrôles. Les impératifs de l’ordre et, aujourd’hui, de la guerre sont occultés, systématiquement bafoués. A tel point que les forces de l’ordre en son dégoûtés.

    Il ne s’agit pas de revenir sur l’état de droit, ni même d’en rajouter dans les mesures d’exception. Une réforme constitutionnelle supplémentaire telle que l’a proposée François Hollande n’apportera rien. Ce qui existe aujourd’hui suffit amplement. Il s’agit de savoir ce que l’on veut. Et la seule vraie question est de savoir si le régime sait lui-même ce qu’il veut. Sur le moment, de beaux discours sont prononcés, des postures martiales sont affichées, des décisions sont prises ; mais aucune politique de fond, aucune stratégie proprement française ne se dégage.

    Il est évident que la politique intérieure et la politique extérieure doivent être coordonnées intelligemment et s’aligner sur les mêmes nécessités. Il a fallu une tuerie pour que l’Exécutif s’en rende compte ! Poutine combat les mêmes ennemis que nous. Il se dit de plus en plus que Laurent Fabius fut le plus calamiteux des ministres des Affaires étrangères. Il est temps de s’en apercevoir.

    De terribles contradictions

    Mais que dire de nos politiques pénales, de nos politiques migratoires, de l’ordre intérieur constamment remis en cause, de l’Éducation dite nationale, de nos politiques familiales ? Le souci premier de nos gouvernants ne fut que de détruire tout ce qui constituait la France, son histoire, ses frontières, ses familles, ses entreprises. Le chef de l’État semble aujourd’hui prendre conscience que les frontières sont utiles et même nécessaires. Espérons que dans son esprit cette conscience ne soit pas que temporaire.

    Que penser de nos manières d’envisager d’intéresser à la France toute une jeunesse abandonnée, quand, partout et toujours, l’État lui-même ne lui apprend qu’à la mépriser. Croit-on qu’on les attachera à la République en leur enseignant le rejet de l’histoire de France, en culpabilisant la France et les Français à longueur de temps ? La République n’est-elle pas née du sang jailli d’une tête coupée, de milliers de têtes coupées et d’une terreur organisée jusqu’au génocide ? N’est-ce pas là qu’elle prétend puiser sa légitimité ? Le monde entier le sait. Les Pol Pot, les Ho Chi Minh, les chefs du FLN avaient appris leur leçon chez nous ! Lénine et Staline y ont vu leur archétype, les terroristes du monde entier un exemple. Où est l’esprit national, la volonté de défense, l’intelligence de l’avenir ?

    Il ne faudrait pas que la réponse du moment ne soit faite que pour l’électeur, justement terrifié. Et comment ne pas penser que le politicien, habitué à jouer de tout, ne jouera pas aussi de la peur ? Mais la peur n’est pas bonne conseillère. Les élections vont venir où tous les responsables politiques sont impliqués avec leurs petites tactiques à courtes vues. Il est impossible de construire une politique française sur de telles bases. Tout sera sujet non seulement à discussions, mais à controverses et à oppositions systématiques. Dans un climat délétère, les luttes partisanes peuvent allumer des incendies et déboucher, dans le pays, sur les pires violences. Les organisations terroristes auront beau jeu. Surtout si la France, ce qui est probable, retraverse une crise financière et budgétaire aggravant encore la crise économique et politique.

    La vérité est que personne en France ne maîtrise la situation. Parler d’unité nationale, c’est bien, mais où est l’unité de pensée, de vision, de décision, de contrôle ? Nos élections présidentielles seront un capharnaüm sans nom. Le pays en sortira divisé plus que jamais et vraisemblablement ingouvernable. Or l’ennemi connaît cette faiblesse essentielle et il n’est pas douteux qu’il en usera.

    Il vient un temps où les sociétés pour survivre doivent se donner des institutions adaptées. La vraie réforme est à faire à ce niveau. 

  • Michel Déon, le jeune homme vert, s'en est allé

     

    Par Nicolas d'Estienne d'Orves   

    DISPARITION - Michel Déon avait connu un immense succès avec des livres écrits sous le signe de Stendhal. Grand voyageur, esprit libre, le plus irlandais des romanciers français s'est éteint hier mercredi à l'âge de 97 ans. Et Nicolas d'Estienne d'Orves a écrit sur lui, dès hier soir, dans Figarovox, le bel article que nous reprenons ici. Il y retrace sa brillante carrière littéraire. Et n'oublie pas que Michel Déon était de notre famille d'esprit. D'esprit et de cœur car Déon a toujours conservé pour Maurras , dont très jeune, il avait été le secrétaire à Lyon, durant l'Occupation, une sorte d'affection, d'attachement, qui ne se sont jamais démentis. Il s'est toujours activement intéressé avec Jacques et Nicole Maurras à la défense de la mémoire du maître de sa jeunesse, à la préservation de cette maison du Chemin de Paradis à Martigues dont il savait combien elle avait compté pour Maurras. Il avait donné à Pierre Builly et François Davin, vers 1980, un entretien pour Je Suis Français, mensuel d'Action française d'alors, en quelque façon l'ancêtre déjà lointain de notre quotidien. Il avait aussi accepté, dans les mêmes années, d'assister au rassemblement royaliste des Baux de Provence et d'y prendre la parole. De cette journée aux Baux il est d'ailleurs question dans l'un de ses livres ... Il avait encore récemment redit les raisons de sa fidélité à Maurras dans le Cahier de l'Herne qui lui a été consacré. Sans nul doute, Michel Déon était des nôtres. Sa mort est pour nous tous une peine et un deuil.  Lafautearousseau    

     

    PHOa6c99df2-2d3c-11e4-9abe-2885da635d83-805x453.jpgÉdouard Michel naquit à Paris le 4 août 1919. Et Michel Déon quelque vingt ans plus tard, quand le jeune homme choisit ce nom de plume pour signer ses premiers articles dans la presse, puis ses romans.

    Les images de son enfance sont celles de la Côte d’Azur : son père y est alors conseiller du prince de Monaco. Le petit Édouard va donc au lycée sur le Rocher, puis à Nice. Remontant à Paris, il poursuit sa scolarité à Janson-de-Sailly. Enfin, bac en poche, il attaque son droit. Mais le coup de foudre a lieu dans la bibliothèque paternelle quelques années plus tôt : à 13 ans, l'adolescent découvre Charles Maurras. Le poète de Martigues, animateur de l'Action française, va exercer sur lui une influence considérable. Il restera fidèle à sa mémoire, qu'il estime injustement caricaturée, réduite à des slogans. Interrogé, bien des années plus tard, Déon déclarera : « Lorsqu’on me demande pour qui je vote, je réponds que je suis de toute façon monarchiste depuis ma jeunesse et que je n'en démordrai pas. » « Je suis un écrivain réactionnaire, je le dis tout haut », proclamera même ce stendhalien, avouant pencher « pour une société aristocratique ». En politique, tous le savaient, Déon avançait courageusement, et sans masque…

    Mobilisé en 1939, il rejoint la capitale des Gaules en 1942, car c'est à Lyon qu'est repliée la presse parisienne, parmi laquelle L'Action française. Une aubaine pour Déon, qui, confessant ne s'être jamais remis de la défaite de 1940 - « Peut-on oublier la honte ?» - va côtoyer chaque jour le vieux Maurras dont il devient le secrétaire. Dès cette époque, il s'essaie à la littérature.

    Après-guerre vient le temps des voyages. Il se sent comme en exil dans la France de la Libération. De 1946 à 1948 : Allemagne, Suisse, Italie, Portugal. En 1944 paraît un premier livre, Adieux à Sheila, qu'il réécrira en 1990, sous le titre Un souvenir. Les années d'apprentissage sont achevées, voici celles de l'amitié, de la littérature, des Hussards : Laurent, Blondin. Tandis que ce dernier écrit L'Europe buissonnière, Déon rédige son premier vrai roman, publié en 1950 : Je ne veux jamais l'oublier. « Blondin me disait toujours : “Toi, t'écris pour les gonzesses.” » Chez Déon, c'est vrai, peu de soûleries prodigieuses, d'amitiés poivrotes, même s'il déclarait : « Les buveurs d'eau me sont suspects. Son monde est plus secret, plus diffus ; l'humour et la charge y sont présents, mais l'analyse psychologique des sentiments, la délicatesse des teintes marquent avant tout.

    Il se lie à André Fraigneau, Roland Laudenbach, Kléber Haedens… Du beau monde. Mais les jambes le démangent et, comme Paul Morand, il guette toujours les départs. En 1951, le voici boursier de la Fondation Rockefeller, partant pour les États-Unis. Il n'en continue pas moins de publier régulièrement : La Corrida en 1952, Le Dieu pâle en 1954, Lettre à un jeune Rastignac (libelle), Les Trompeuses Espérances en 1956.

    De 1958 à 1961, Déon voyage presque constamment. C'est au cours de ces périples qu'il découvre Spetsai, une île grecque. Michel Déon et les îles : une histoire d'amour. « L’insomnie est peut-être une maladie inguérissable, expliquera-t-il. Elle impose l'immobilité, c'est-à-dire, en un sens, la condition essentielle de la paix intérieure. En 1964, il s'installe à Spetsai. Ce départ pour la Grèce change ses perspectives : « J'ai trouvé la pacification intérieure dès que j'ai quitté la France.» De ces années, il tirera des souvenirs : Le Balcon de Spetsai puis Le Rendez-vous de Patmos.

    Mais on enferme trop Déon dans l'image du romancier nostalgique, raffiné, décrivant couchers de soleil et fantasques amours. Il fut également un redoutable pamphlétaire, véritable empêcheur de penser en rond. Sa Lettre à un jeune Rastignac est un modèle de libelle à l'adresse des jeunes ambitieux qu'il voyait se pousser avec ironie.

    En 1967, ce maurrassien resté antigaulliste publia un texte furieux contre la France du Général : Mégalonose. Saisi par les services de police, le livre mourra au berceau, mais justifiera - si besoin était - l'éloignement de Déon.

    Pourtant, des années plus tard, il conservera un regret de ce temps : « Il est permis d'avoir la nostalgie d'une époque où régnait une esthétique de vie, une esthétique politique, un pragmatisme politique, disparus au nom d'un moralisme tout à fait idéaliste. De Gaulle, c'était Sisyphe taillant sa route dans le roc, insensible et vaniteux, vexé à mort parce que son rocher lui retombait sur la tête. »

    Prix Interallié et grand prix du roman de l'Académie française

    Quelque temps plus tard, les honneurs lui arrivent coup sur coup. En 1970, ses Poneys sauvages obtiennent le prix Interallié. Roman de tous les engagements, Seconde Guerre mondiale, Algérie, guerre des Six-Jours - ce livre n'effraie pas le jury dans une France post-soixante-huitarde ; pas plus que les déclarations de son auteur ne choquent… « Je suis un homme de droite et je n'ai pas honte de l'avouer. Je sais que j'ai été écarté de deux prix à cause de quelques lignes. »

    Et la consécration se poursuit : Un taxi mauve reçoit le grand prix du roman de l'Académie française, puis Le Jeune Homme vert (1975) obtient un grand succès public ; enfin, en 1978, Déon rejoint la Coupole, élu au fauteuil de Jean Rostand, en même temps qu'Edgar Faure. « Moi qui ai si longtemps cultivé mes différences, je vais enfin tenter de cultiver mes ressemblances avec des gens qui me sont parfois opposés », remarque-t-il alors.

    Il y avait été poussé par ses amis Félicien Marceau, Jean d'Ormesson et Maurice Rheims. Avant eux, Paul Morand le lui avait aussi conseillé. Même en habit vert, Déon n'en revendique pas moins un « certain anarchisme de droite, un pessimisme qui vise à la lucidité ». Mais l'Académie n'est pas un enterrement de première classe. Déon continue à écrire, explorant des régions qui lui sont inconnues, comme le théâtre. Déjà, il avait écrit des pièces radiophoniques : une adaptation du Claire de Chardonne, de la Colette Baudoche de Barrès… et même un opéra-bouffe avec Pierre Petit : Furia italiana. Mais il tenait beaucoup à ses pièces, Ma vie n'est plus un roman (1987) et Ariane, ou l'Oubli (1993).

    Dans sa maison d'Old Rectory, en Irlande (une autre île…), il vit avec sa femme, Chantal, élève des chevaux, vient en France signer ses livres, en acheter d'autres, recevoir à l'Académie ses amis Jacques Laurent, Hélène Carrère d'Encausse ou Frédéric Vitoux. Mais il sait encore être mordant quand il doit y faire l'éloge de Jacques de Bourbon Busset, si éloigné de lui.

    Avec générosité, une ouverture d'esprit jamais en défaut, il encourage des écrivains débutants nommés Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Brina Svit. Il héberge Michel Houellebecq dans sa retraite de Tinagh, intrigué, séduit puis irrité par l'auteur des Particules élémentaires qui se révèle un hôte encombrant.

    L'élève est devenu un maître, et un ami ; de nombreux auteurs se reconnaissent en lui : Stéphane Denis, Éric Neuhoff, qui lui consacre une monographie. Et Patrick Besson, lequel écrit : « Déon est un romancier pour une certaine jeunesse, celle qui préfère les femmes mûres aux catamarans et les voyages aux expéditions. Il s'adresse avant tout aux rêveurs de 20 ans et aux rêveuses de 17. »

    Déon ne se fait pourtant guère d'illusion sur la littérature de son temps. « Entre 1920 et 1940, il y avait une réelle qualité d'écrivains. L'après-guerre n'a produit aucun chef-d’œuvre. Et de citer Larbaud, Montherlant, Morand, Drieu la Rochelle, Aragon, ces « écrivains qui caressent des secrets, dont l'ombre passe entre les lignes de leurs livres ». Il s'inscrit incontestablement dans leur lignée : « Si j'ai écrit des livres, confessait-il, c'est peut-être pour répondre au besoin de vivre les histoires que d'autres n'ont pas toujours su me raconter. »   

    « Lorsqu’on me demande pour qui je vote, je réponds que je suis de toute façon monarchiste depuis ma jeunesse et que je n'en démordrai pas. »  « Je suis un écrivain réactionnaire, je le dis tout haut » Michel Déon

    Nicolas d'Estienne d'Orves           

  • Michel Onfray : « Eric Zemmour est un bouc émissaire idéal pour la gauche »

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    Michel Onfray a réagi, dans FIGAROVOX, à l'éviction d'Eric Zemmour d'I-télé. Il considère qu'en France, la controverse a été remplacée par un discours uniforme et snob qui étouffe le mouvement des idées. Nous ne disons pas que nous sommes en tous points d'accord avec Michel Onfray. Mais ses réponses à Figarovox sont toujours intéressantes et souvent, de notre point de vue, très justes aussi. Bref, le lecteur se fera son idée ... Lafautearousseau 

     

    FIGAROVOX-Après l'éviction d'Eric Zemmour d'I-télé vous avez tweeté : « Désormais on licencie, on pétitionne, on vitupère au plus haut niveau de l'Etat pour raisons idéologiques. Permanence du bûcher! ». Pensez-vous vraiment que la « tête » d'Eric Zemmour ait été exigée au plus haut niveau de l'Etat ?

    Michel ONFRAY: Je ne sais pas, car si c'est le cas, seules quelques personnes le savent vraiment… Mais je me souviens que le porte-parole de l'Elysée a affirmé de quoi nourrir cette idée. Je ne sais ce qui a motivé cette chaîne à agir ainsi, mais elle est en phase avec ce que le gouvernement a souhaité.

    En diabolisant Eric Zemmour, le gouvernement cherche-t-il à faire oublier son bilan ?

    La gauche qui est au pouvoir depuis 1983 n'est plus de gauche parce qu'elle s'est convertie au libéralisme et que, dans le libéralisme, ce sont les marchés qui font la loi, pas les politiques - qui se contentent de l'accompagner et de le favoriser plus ou moins… Le bilan, c'est celui du libéralisme, donc celui de Mitterrand après 83, de Chirac pendant deux mandats, de Sarkozy pendant un quinquennat, de Hollande depuis son accès au pouvoir. Si ces gens-là veulent se distinguer, il faut qu'ils le fassent sur d'autres sujets que l'économie libérale, les fameux sujets de société bien clivants : mariage homosexuel, procréation médicalement assistée, vote des immigrés, théorie du genre sous prétexte de féminisme, euthanasie ou soins palliatifs, dépénalisation du cannabis, vote des étrangers, etc.

    Zemmour est une excellente aubaine pour la gauche : il suffit d'en faire l'homme de droite par excellence, le représentant du « bloc réactionnaire  » comme le martèle Cambadélis, (ancien trotskyste, condamné par la justice, mais néanmoins patron du PS…) le spécimen du penseur d'extrême-droite, pour se trouver un bouc émissaire qu'on égorge en famille, en chantant ses propres louanges pour une si belle occasion. « Nous sommes donc bien de gauche, nous, puisqu'il est de droite, lui! » vocifèrent-ils en aiguisant le couteau.

    Ce que la gauche veut faire oublier c'est moins son bilan que son appartenance, avec la droite libérale, au club de ceux qui font le monde comme il est. Autrement dit : au club de ceux qui nourrissent le Front National qui ne vit que des souffrances générées par le marché. Il y a donc intérêt pour eux tous, droite libérale et gauche libérale, à se retrouver comme un seul homme pour égorger la victime émissaire qui dit que le FN progresse avec un quart de siècle de la politique de ces gens-là.

    Que révèle cette polémique sur l'état du débat en France?

    Qu'il est mort… En France, on ne polémique plus: on assassine, on méprise, on tue, on détruit, on calomnie, on attaque, on souille, on insinue… C'est la méthode que je dirai du Raoul ! Rappelez vous Raoul Blier dans Les Tontons Flingueurs : « Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance, et une sévère… Je vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! ». Eric Zemmour se trouve donc éparpillé façon puzzle aux quatre coins de Paris. Mais Paris n'est pas la France.

    Certains ont été jusqu'à parler de « dictature ». Sommes-nous en train de basculer vers une forme de totalitarisme intellectuel ?

    Nous y sommes, c'est évident ! Plus question de craindre le basculement, nous avons déjà basculé. Seules les idées politiquement correctes sont admises dans ce qui se présente comme un débat mais qui n'est qu'un salon mondain où l'on invite le marginal qui ne pense pas comme soi pour montrer sa grandeur d'âme, sa libéralité, sa tolérance. Mais dès que l'invité prend plus de place que prévu, qu'on ne parle plus que de lui, comme avec Zemmour, alors on disperse façon puzzle : on montre sa véritable nature. Inviter en bout de table, pour le dîner de cons, oui, mais pas question que l'invité retourne la situation et montre à toute la tablée que le con ça n'est pas lui… Or rien n'est plus violent qu'un con démasqué après qu'il eût échoué à présenter l'autre comme ce qu'il finit par incarner dans sa superbe !

    Vos positions sur la théorie du genre à l'école avaient dérouté une certaine gauche. Vous le « libertaire » ne craignez-vous pas d'être définitivement classé dans la catégorie des « réactionnaires » ?

    Depuis la réception sous forme de cabale de mon livre sur Freud, Le crépuscule d'une idole, j'ai vu la bêtise au front de taureau de très près : j'ai alors compris que la partition n'est pas entre droite et gauche, mais entre ceux qui ont le sens de la justice et de la justesse, des faits et de la vérité, de l'histoire et de l'esprit critique, et ceux qui ne l'ont pas. La gauche et la droite sont pareillement contaminées par l'esprit de bêtise. Mais la gauche et la droite portent également en leur sein une égale partie de gens lucides et libres. Ce sont ceux-là qui m'importent. Qu'une frange de donneurs de leçons qui ne brillent pas par leur goût de la justice et de la justesse me traite de réactionnaire ne m'émeut pas. Je serais plutôt ému si elle disait du bien de moi ! Etre libertaire, c'est s'affranchir des catégories de droite et de gauche quand il y a à juger et statuer sur ce qui est adéquat - pour le dire dans un mot de Spinoza que Deleuze aimait beaucoup.

    Sur le plan intellectuel, quels sont vos points communs et vos différences avec Eric Zemmour ?

    Mes points communs avec Zemmour sont ceux qu'il a avec Mélenchon qui, saluons-le d'ailleurs sur ce sujet, réprouve qu'on traite Eric Zemmour de la sorte ! Les voici : refus du libéralisme comme horizon indépassable, refus de l'Europe telle qu'elle fonctionne comme instrument de la machine libérale, critique de l'euro comme rouage de cette machine, confusion des partis de gouvernement dans une même condamnation parce que porteurs du projet libéral, souci du peuple et de son génie propre, condamnation des technostructures qui abolissent la souveraineté populaire, sens et goût de l'histoire.

    Précisons que cette pensée est aussi celle de l'aile gauche du PS, de l'aile gauche de l'UMP (très silencieuse il est vrai…), de l'extrême-gauche, de Dupont-Aignan et… de Marine Le Pen, autrement dit, de beaucoup de français qui ne sont pas pour autant des vichystes ou des fascistes…

    En revanche, je ne suis pas d'accord avec lui sur la critique de Mai 68 qui a été un mouvement nécessaire - même dans ses excès. La France d'avant Mai n'est pas désirable pour moi, car je ne suis pas réactionnaire, au sens étymologique, c'est à dire nostalgique d'un ordre ancien que j'aimerais revoir, en l'occurrence le gaullisme qui n'est grand que par de Gaulle mais si petit par les gaullistes non-historiques.

    Je ne suis pas pour autant un dévot de ce que l'après Mai a rendu possible. Mai 68 fut donc nécessaire, mais pas suffisant. Il lui manque d'avoir porté des valeurs alternatives. Pour ma part, mes livres travaillent à en proposer. Mon refus de l'abolition des sexes, comme y invite la théorie du genre, n'est pas motivée par un désir de restaurer le patriarcat - ce que souhaiterait Eric Zemmour. Je suis clairement féministe et je crois même que le féminisme est tué par ceux qui s'en réclament en portant des revendications minoritaires pour la grande majorité des femmes qui ne sont pas des lectrices de la presse bobo. Je suis pour l'avortement, pour la contraception et ne crois pas que l'avortement constitue un génocide français, via la démographie.

    Je ne souscris pas à sa méfiance à l'endroit de toute immigration : le problème n'est pas l'immigration, mais l'islam quand il se fait politique et sort du cadre intime. Certes, il concerne des immigrés, mais aussi des Français convertis ou non. Je suis athée et n'ai pas pour modèle une France catholique célébrant le travail, la famille et la patrie. Je crois qu'il faudrait encore baisser le temps de travail pour mieux le partager (logique décroissante), que toute famille est là où des gens s'aiment (logique post-catholique homophile) et que la patrie est amour d'une terre qui n'exige pas les racines mais l'envie de faire communauté (logique d'immigré : ma famille est venue du Danemark avec les invasions Viking il y a mille ans…).

    N'y a-t-il pas un paradoxe à critiquer le libéralisme économique tout en revendiquant votre libertarisme sur le plan social. Les deux ne sont-ils pas liés ?

    L'étymologie de Littré nous apprend du paradoxe qu'il définit ce qui est à côté de l'opinion. Or l'opinion est faite par l'idéologie des médias de masse. Dès lors, en effet, il semble y avoir un paradoxe à se dire antilibéral et libertaire. Mais un paradoxe aux seuls yeux des victimes de l'opinion. Car l'opinion dominante dans les médias fait du marché libre l'horizon économique indépassable dans la configuration mondialisée qui est la nôtre. De même, elle fait la plupart du temps du libertaire uniquement un bobo qui veut l'amour libre, la légalisation du pétard, l'énergie renouvelable, le pain bio, le vélo dans les villes. Parfois, elle en fait aussi un casseur de vitrines cagoulé…

    Or la tradition de socialisme libertaire que je revendique s'enracine dans une pensée qui, de la Commune à LIP en passant par les communautés anarchistes de la Guerre d'Espagne, a été mutilée, ravagée, moquée par les tenants de l'idéologie dominante marxiste ou néo marxiste. Ma référence libertaire est autogestionnaire, mutuelliste, coopérative, elle renvoie à Proudhon s'il faut un nom - l'inventeur du mot anarchiste.

    Elle triomphe actuellement à bas bruit dans l'organisation alternative du capitalisme qui peut être dit libertaire : production, diffusion, distribution, organisation en réseau, loin des villes, des médias et de la visibilité organisée par les tenants du libéralisme. Elle suppose ce que le même Proudhon appelait « un anarchisme positif » loin de la récrimination et tout entier dans la construction. Je n'ai pas créé par hasard une université populaire à Caen en 2002 et une université populaire du goût ensuite ! Je crois à l'éducation populaire - donc au débat. A l'UP de Caen, par exemple, j'ai souhaité qu'une psychanalyste enseigne la psychanalyse pour que chacun puisse se faire son idée. Je ne pense pas que les freudiens en feront autant !

    La convergence, voire la complicité intellectuelle, que l'on observe entre la gauche antilibérale et certains conservateurs tout aussi hostiles au libre-échangisme mondialisé peut-elle déboucher, selon vous, sur une alternative politique?

    Non car la communauté de vue entre tous les antilibéraux sur la critique du libéralisme (Mélenchon & Le Pen par exemple) ne suffit pas à faire un programme commun de gouvernement. La communauté de vue sur ce à quoi on s'oppose n'a jamais suffi à faire quoi que ce soit pour. Cette convergence des contre peut faire tomber un gouvernement, mais elle en saurait en faire émerger un sur une ligne commune : ceux qui sont d'accord sur leurs refus ne sont d'accord en rien en matière de propositions.

    Par exemple : l'extrême gauche communie dans l'islamo-gauchisme et l'abolition des frontières, alors que Marine Le Pen met en garde contre l'Islam et veut le retour des frontières, pendant que Mélenchon et le Front de Gauche font de l'immigration une chance pour la France - ce que le patronat pense également, puisqu'il se félicite de la fin des frontières et de l'arrivée massive sur le marché du travail d'un sous-prolétariat prêt à tout pour travailler et consommer !

    Cette galaxie d'anti n'est capable que de négativité : faire tomber un gouvernement, mettre des gens dans la rue, exciter les résistances violentes au capitalisme marchand, surfer sur les vagues ressentimenteuses. Mais rien qui soit positif, hélas !

    Si la gauche non libérale était capable d'union, ce serait déjà beaucoup. Mais j'ai cessé de croire à cette illusion. Trop d'egos en jeu. Je ne crois plus à un programme commun de la gauche antilibérale auquel j'ai jadis souscrit. Dans la configuration qui est la nôtre, l'abstention va faire la loi jusqu'à ce qu'une violence donne voix et forme à ce désespoir. Mais laquelle ?   

    Propos recueillis par Alexandre Devecchio @Alex_devecch

  • Bérénice Levet : « Le système scolaire tout entier est imprégné des fondements de la théorie du genre »

     

    Par Alexis Feertchak   

    Après que le pape François a dénoncé la présence de la théorie du genre dans les manuels scolaires, provoquant la « colère » de Najat Vallaud-Belkacem, Bérénice Levet, philosophe, confirme que cette idéologie est bien présente à l'école. Nous n'allongerons pas cet entretien déjà long par lui-même - et très important [Figarovox - 04.10] : Disons seulement que Bérénice Levet va bien au delà de cette constatation et pose des principes ontologiques, anthropologiques et sociétaux en opposition frontale avec la pensée et la société modernes ou post-modernes, y compris lorsque, in fine, elle se permet une forte et juste critique des positions du Saint-Père en matière d'immigration et de mondialisation, jugées de nature déconstructionniste au même titre que la théorie du Genre ... Une liberté de ton et d'esprit, une lucidité de fond qui intéressera les contre-révolutionnaires que nous sommes. Lafautearousseau   

     

    XVMa238b3e4-8a33-11e6-8bce-57b23a9183a7.jpgDimanche 2 octobre, le pape s'en est pris « au sournois endoctrinement de la théorie du genre » que propageraient les manuels scolaires. La théorie du genre existe-t-elle en tant qu'idéologie ?

    La théorie du genre ? Ça n'existe pas, nous tympanise-t-on, à commencer par Najat Vallaud-Belkacem. La seule expression légitime serait « études de genre » qui aurait pour avantage de respecter la pluralité des travaux. Mais pour qu'il y ait des études de genre, encore faut-il que ce petit vocable de genre ait été conceptualisé, théorisé. Or, lorsque nous parlons de théorie du genre, nous n'affirmons rien d'autre. Judith Butler se définit elle-même comme théoricienne du genre. Il a été forgé afin d'affranchir l'identité sexuelle du sexe biologique. Au commencement est la neutralité, en quelque sorte, et seule la machine sociale vous « assigne » à une identité - ce que l'on retrouve dans les manuels.

    Il faut bien comprendre que le vocable de « genre » ne sert pas simplement à distinguer le donné naturel et les constructions culturelles, mais à les dissocier. Simone de Beauvoir est restée, aux yeux des promoteurs du genre, comme en retrait par rapport à sa propre intuition. Lorsqu'elle dit « On ne naît pas femme, on le devient », le Genre lui réplique, puisqu'on ne naît pas femme, pourquoi le deviendrait-on ? En l'absence de tout étayage dans la nature, on doit se jouer de toutes les identités sexuées et sexuelles. « Le travesti est notre vérité à tous », dit Judith Butler. Ce petit vocable de genre soutient en outre - et c'est là qu'il est instrument de lutte - que les différences sexuelles sont construites mais construites par des mâles blancs hétérosexuels donc selon un ordre exclusivement inégalitaire.

    Voilà le message qui est délivré à la jeunesse. « Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, ce n'est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin »,apprennent les lycéens dans le manuel Hachette. Pour aiguiser leur rage, les convertir à la cause de la déconstruction, il convient de les convaincre que ces représentations sont inégalitaires.

    On raille le Pape, parce qu'il ne suffirait pas d'apprendre ces axiomes pour ipso facto aspirer à changer de sexe. Sans doute et la différence des sexes ayant un fondement dans la nature, contrairement à ce que soutient le Genre, tout comme l'hétérosexualité, quand bien même on cherche à les chasser, elles reviennent au galop, mais l'enfant ou l'adolescent est un être fragile; si on le persuade que tout est construit, alors la tentation est grande de s'essayer à toutes les identités et toutes les sexualités. La question dans les cours de lycées est désormais : « Alors, tu es bi, hétéro, homo ? ». Je rapporte dans mon livre des paroles d'adolescents qui nourrissent un véritable sentiment d'infériorité de se sentir « désespérément » hétérosexuels.

    Le Pape a raison de dire que l'endoctrinement se fait sournoisement, car le Genre avance toujours masqué : c'est au nom de l'égalité, du respect des différences, que s'opère la déconstruction du masculin et du féminin. C'est au chapitre « l'égalité homme-femme », ou plutôt selon l'injonction de Najat Vallaud-Belkacem, « l'égalité femme-homme » , que l'élève apprend que le masculin et le féminin sont de pures conventions, et qu'il lui appartient de s'en délier. Le Genre se veut notre nouvel Évangile, il vient nous annoncer la bonne nouvelle que les identités sexuées et sexuelles n'étant que des constructions, elles peuvent être déconstruites. L'enseigner dans les établissements scolaires, c'est fabriquer une armée de soldats de la déconstruction.

    Les propos du pape François sont forts. Il parle notamment de « guerre mondiale pour détruire le mariage » et de « colonisation idéologique » destinée à « changer les mentalités ». Comprenez-vous ces mots historiquement lourds de sens ?

    Ils ont une vérité. Le projet de « changer les mentalités » définit le programme des progressistes depuis la décennie soixante-dix.

    Le Genre travaille à disqualifier les représentations du masculin et du féminin qui sont des significations partagées, héritées, et qui cimentent une société. Le Genre est le dernier avatar de cette grande offensive menée contre la civilisation occidentale depuis les années soixante par le structuraliste Michel Foucault ou Jacques Derrida. La filiation est d'ailleurs revendiquée par les adeptes du Genre.

    Les formulations du Pape sont sans doute excessives mais là encore il y a une certaine vérité. Le genre est un militantisme, et la gauche y est acquise ainsi qu'une bonne partie de la droite. En étendant le mariage à des couples de même sexe, la loi Taubira en destituait le sens, qui n'est pas de consacrer l'amour mais la procréation et la filiation. Et dessinait le cadre pour une reconnaissance de la « filiation » aux homosexuels.

    Quant à la colonisation idéologique, les promoteurs du Genre entendent bien investir les esprits à travers le monde, semer le trouble dans le Genre, c'est-à-dire dans les identités sexuées, et défaire le Genre - pour reprendre les titres programmatiques de deux ouvrages de Judith Butler - et bon nombre de pays d'Amérique du Sud se laissent séduire.

    Le souverain Pontife a également déclaré : « La théorie du genre continue à être enseignée, alors que c'est contre les choses naturelles ». Cette évocation d'une nature humaine est-elle devenue un tabou aujourd'hui ?

    En effet. La rébellion contre le donné naturel et le consentement comme fondement de la légitimité définissent le projet moderne. L'homme doit « se rendre comme maître et possesseur de la nature » et les seuls liens légitimes sont ceux que le sujet contracte volontairement. Or, l'identité sexuelle n'est pas choisie par le sujet, elle est donc perçue comme oppressive. Naître, c'est recevoir, recevoir un corps, une histoire, un passé hypertrophie de la volonté. Nous sommes endettés par nature, dit magnifiquement l'anthropologue Marcel Hénaff.

    Cette récusation de toute forme de donné naturel nous voue à une abstraction dont Merleau-Ponty nous invitait à méditer les conséquences pour la condition humaine : « Une ontologie qui passe sous silence la Nature s'enferme dans l'incorporel et donne, pour cette raison même, une image fantastique de l'homme, de l'esprit et de l'histoire ».

    La nature ne décide pas de tout cependant. « On naît femme et on le devient ».

    Najat Vallaud-Belkacem a réagi au micro de France Inter. Elle s'est dite « peinée » et « très en colère » par ces paroles « légères et infondées ». Elle a précisé qu'il n'y avait pas de « théorie du genre - qui d'ailleurs n'existe pas - dans ces livres ». Que pensez-vous de la réaction du ministre de l'Éducation nationale ?

    Comme toujours avec Najat Vallaud-Belkacem, justifiant par là même le surnom de Pimprenelle que lui a donné François Hollande, elle croit endormir les consciences en pratiquant la dénégation systématique.

    Elle sait parfaitement que les postulats du Genre sont enseignés dans les établissements scolaires. Elle aurait même pu se défausser en incriminant un de ses prédécesseurs, Luc Chatel. C'est en effet sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2011, que l'enseignement du Genre a été introduit dans les manuels de « Sciences de la Vie et de la Terre » des classes de Terminales.

    Les spécialistes du déni nous objectent que le Genre n'est pas enseigné à l'école primaire, au collège puisque le mot ne figure nulle part. Peut-être, mais là n'est pas la question. Ce qui est bel et bien diffusé, ce sont les postulats du Genre, et pas seulement dans et par les manuels. Les livres lus dès le Primaire, dont les élèves doivent rédiger une fiche de lecture, en sont les émissaires. C'est d'ailleurs, ce qui m'avait conduite à me pencher sur cette question du Genre, lorsqu'en 2012, mon neveu qui était alors en classe de CM1, est rentré de l'école avec pour devoir la rédaction d'une fiche de lecture consacrée à un ouvrage de David Wallians, Le Jour où je me suis déguisé en fille. Cet ouvrage d'une indigence littéraire qui aurait dû suffire à l'écarter d'une institution censée transmettre la langue et l'art d'écrire - mais les lectures scolaires n'ont plus d'autres finalités que de former des indignés et surtout pas des héritiers -, véhiculait un des axiomes majeurs du Genre : l'identité sexuée, le masculin et le féminin ne sont que des conventions, des normes imposées, travaillant précisément à « normaliser » les individus. Le Genre et la gauche s'emploient ainsi à déconstruire, à défaire les représentations, les significations qui cimentent une société. Sans doute le masculin et le féminin sont-ils, en partie, dans la continuité du donné naturel cependant, construits - chaque civilisation compose sa propre partition sur cet invariant - mais ces représentations constituent un lieu commun au sens littéral, les membres d'une même société s'y retrouvent, elles tissent un lien. Observons que cette même gauche n'a qu'un mot à la bouche « créer du lien social ».

    Najat Vallaud-Belkacem invite le Pape à consulter les manuels scolaires. Non seulement il vérifiera que l'idéologie du Genre imprègne bien les chapitres consacrés à l'égalité des sexes, mais surtout, lorsqu'il parle de manuels, il entend assurément les programmes scolaires dans leur entier. Bon nombre de professeurs n'ont guère besoin de directives ministérielles pour inscrire à leur programme des ouvrages qui sont les vecteurs de cette idéologie. Les spectacles destinés aux écoles sont également édifiants.

    Najat Vallaud-Belkacem a rappelé qu'elle avait déjà rencontré le pape et qu'elle était pleine de « respect » à son endroit. Comment comprenez-vous cette ambivalence de la gauche qui admire le pape François sur les sujets sociaux, économiques, migratoires et écologiques, mais le condamne sur les questions sociétales ?

    Ambivalence du Pape non moins, si vous me le permettez. Le Genre et l'idéologie sans-frontiériste, à laquelle le Pape demande aux nations européennes de se convertir en matière d'immigration, relèvent de la même logique : le combat contre le principe de limite, de frontière - frontière entre les nations comme entre les sexes, refus des limites que nous fixe la nature.

    Toutefois, les déclarations du Pape contre le Grand Capital séduisent assurément la gauche mais l'accord se fait sur l'écume, non sur les fondements. L'anthropologie chrétienne est une anthropologie de la finitude. L'homme est créature de Dieu; pour le chrétien, il n'est pas, comme le sujet moderne, au fondement de lui-même. L'individu comme absolu est étranger à la philosophie vaticane.   

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Son dernier livre La théorie du genre ou le monde rêvé des anges, publié chez Grasset en novembre 2014, vient de sortir dans une version « Poche » chez Hachette avec une préface inédite de Michel Onfray.  

    Alexis Feertchak

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  • Médias & Société • Quand Stéphane Guillon et consorts (se) font les Guignols La bien-pensance ne rigole pas

    (Photo : SIPA.00609727_000031)

     
    par Franck Crudo
     
    Journaliste. Il a notamment participé au lancement de 20 Minutes. Il nous donne à passer, ici, un excellent moment.
     
    franckcrudo.jpgUn sketch des Guignols sur le FN aura suffi à faire se boucher le nez, dans un même élan, Stéphane Guillon, Daniel Cohn-Bendit, Philippe Sollers, Alain Soral... Mais de quoi peut-on encore rire aujourd'hui ?
     
    « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », disait Pierre Desproges… au siècle dernier. Une époque où l’humour en France ne restait pas, pour des questions de principe, confiné dans la prison étroite du politiquement correct. Peu importe la manière dont on faisait rire, l’important était de le faire. Pas d’enclos idéologique ou de police de la pensée. La liberté de rire, sans être jugé. Un autre temps.

    Aujourd’hui, le siècle n’est plus le même et le pays de la liberté d’expression non plus. Le sketch des Guignols sur Marine et Jean-Marie Le Pen, lundi dernier au Grand journal de Canal+, a fait grincer quelques dents et suscité une petite polémique.

     

     

    A la limite, le plus rigolo dans l’histoire, c’est moins le sketch que la réaction de la plupart des invités sur le plateau. Il faut dire que diffuser ce genre de parodie dans une émission qui rivalise avec celle de Ruquier (le samedi soir sur France 2) pour le titre honorifique d’« émission la plus bobo de gauche du PAF », c’est un peu comme proposer un concert d’André Rieu dans certains quartiers nord de Marseille : le succès n’est pas garanti.

    Maïtena Biraben est mal à l’aise. Daniel Cohn-Bendit confie en riant que « ça ne le fait pas rire » et trouve ça « con ». Histoire d’élever le débat, Philippe Sollers confirme en riant que « c’est con » et l’écrivain Cécile Ladjali regrette que ces marionnettes rendent « très sympathiques » les Le Pen. C’est vrai quoi, affubler Jean-Marie de la gueule d’une gargouille avec de faux airs du garde de Jabba le Hutt dans Star Wars, lui faire brandir une matraque puis ânonner une série de clichés racistes, ça attire illico la sympathie.

    Deux jours plus tard, Stéphane Guillon, qui regarde visiblement Le Grand journal en replay, dégaine un tweet outragé (à l’instar d’Alain Soral peu après) :

    Guillon - Soral.jpg

    L’humoriste de gauche — pléonasme car c’est le seul vrai humour qui fait rire sainement — regrette les anciens auteurs des Guignols. La grande époque, version Bruno Gaccio et consorts, celle où l’on avait le cœur bien placé. Celle surtout où l’on savait sur quels sujets et sur quels individus où pouvait rire ou ne pas rire. Des Guignols emblématiques de cette gauche que Philippe Val juge atteinte de « rouge-brunisme » et qu’il décrit comme « anticapitaliste, antisioniste et qui voit dans l’islam la religion des opprimés ». Ah, c’était le bon temps ! Presque deux décennies pendant lesquels Stéphane Guillon a pu se bidonner grâce aux gags récurrents sur l’église catholique et la pédophilie…

     


    Beaucoup moins souvent sur l’islam, car c’est tout de suite moins drôle et ça risquerait de faire le jeu de qui on sait. C’est un peu plus périlleux également… Guillon a pu tout de même se poiler à maintes reprises grâce à la marionnette de Ben Laden, systématiquement représenté en bédouin débonnaire, espiègle et jovial, limite sympa, qui met tous les rieurs de son côté.



    Evidemment, cela ne choque alors nullement Stéphane car il a le sens de l’humour et le fameux esprit Canal. En plus, Twitter n’existe pas à l’époque. Il n’y a qu’un réac pisse-froid pour s’étonner de la complaisante représentation du terroriste. Ou d’un tel décalage dans le traitement « humoristique » des deux religions.

    Et puis Stéphane s’est sans doute aussi tapé des barres sur les inusables sketchs antiaméricains et anticapitalistes avec la marionnette de Stallone en symbole de la World Company.

     


    Avec les anciens auteurs, non seulement on se marrait, mais on ciblait et hiérarchisait les vrais dangers. On avait (beaucoup) moins souvent l’occasion de se bidonner sur le communisme et l’extrême gauche en général, lesquels il est vrai présentaient un bilan globalement positif et une alternative crédible à Monsieur Sylvestre et ses sbires. Mais sur le capitalisme et les Etats-Unis en revanche, qu’est-ce qu’on se boyautait ! D’ailleurs, lors de la chute du mur de Berlin, les Allemands de l’Est se sont précipités à l’Ouest pour pouvoir rigoler à nos côtés.

    Non, décidément, les anciens Guignols, c’était d’un autre niveau. C’était moins beauf, plus subtil. On riait moins gras. Ah la belle époque où l’on se tordait en matant la marionnette de Bernadette Chirac en train de se masturber avec son sac à main ! Où l’on se gondolait devant Amélie Mauresmo, dépeinte en bodybuilder avec une voix de mâle dominant.

     


    Et puis, surtout, les auteurs des Guignols avaient trouvé la parade pour ne pas faire le jeu du Front national. Ne surtout pas en parler. Ne pas caricaturer Le Pen. Se foutre de la gueule de tous les gouvernements et d’une grande partie du personnel politique, sauf de Le Pen. Stratégie imparable. On persifle quotidiennement sur la gauche et la droite, on traite quasiment toutes les semaines nos présidents de Super Menteur ou de Super Voleur et on épargne la bête. Pour ne pas lui faire de la pub. On divertit le bobo, mais aussi le poujado, le gars du bistrot qui braille « tous pourris ». En vingt-cinq ans, le Front national passe de 10 à 30%. Mais au moins, on s’est marré tous les soirs sur Canal.

     

    Stéphane Guillon ne supporte pas les gags pas drôles et les dérapages honteux. Il a bien raison, il sait de quoi il parle. En mars 2015, il sort une vanne sur Twitter qui provoque l’hilarité générale. Ou presque.

    Tweet 2.jpg

    Pendant des années, avant de se faire virer, ses chroniques matinales sur France Inter sont des exemples de drôlerie et de bon goût. Comme ces vannes sur le physique d’Eric Besson, « une taupe du FN aux yeux de fouine », ou de Martine Aubry, « un petit pot à tabac ». Irrésistible. Dommage que le président de Radio France, Jean-Luc Hees, nous la joue alors bégueule en rappelant à l’humoriste que « l’attaque personnelle, fondée sur le physique de la personne, fait partie de ces valeurs infranchissables ».

    Il y aussi cette chronique hilarante au lendemain de l’accident d’avion du président polonais Lech Kaczynski, où il rêve d’une tragédie du même type pour Nicolas Sarkozy, puis balance une énième vanne sur la taille du président et la tête de fouine d’Eric Besson. Les plaisanteries sur le physique et les accidents d’avion, c’est visiblement l’un des principaux ressorts comiques de l’artiste. Le seul ? Certes, c’est un peu facile, mais en attendant, qu’est-ce qu’on se marre ! Comme le dit Woody Allen : « Il n’y a que deux sortes d’humour : le comique de répétition et le comique de répétition. » Dommage pour Guillon que son patron n’ait, lui, aucun humour. Lassé par ses dérapages répétés et plus ou moins contrôlés, Hees licencie le comique (de répétition) quelques mois plus tard, déclarant notamment : « Si l’humour se résume à l’insulte, je ne peux le tolérer pour les autres mais également pour moi (…). Je considère que cette tranche d’humour est un échec. »

    « L’homme ordinaire est exigeant avec les autres. L’homme exceptionnel est exigeant avec lui-même », disait Marc-Aurèle. Stéphane Guillon n’est ni exceptionnel, ni stoïcien. Il est ordinaire et de gauche. De cette gauche surreprésentée dans la sphère médiatique, coupée de la majorité de la population française aujourd’hui, et qui encadre non seulement la façon de penser, mais aussi la façon de rire. Aujourd’hui, on ne peut pas rire avec n’importe qui, mais on ne peut aussi plus rire de tout. Ou plutôt, tout dépend qui fait rire. Car avec le politiquement correct érigé en gardien du temple, l’égalitarisme et l’antiracisme en horizon indépassable, le rubicon peut être franchi à tout moment. Le rire ne peut plus se contenter d’être drôle, il doit aussi être acceptable. Et tant pis si on étouffe dans ce carcan. Le rieur, surtout s’il est blanc et pas forcément de gauche, devient instantanément un suspect potentiel. Sous sa bouche, toute plaisanterie mal calibrée comme dirait l’autre devient très vite sexiste, antisémite, raciste, homophobe.

    Il n’existe que deux parades : être de gauche ou faire partie d’une minorité. La suspicion s’éloigne d’emblée. Se gausser de tous les clichés racistes en les reprenant à son compte, c’est souvent très drôle dans la bouche des jeunes talents du Jamel Comédie Show, de Thomas Ngijol ou de Fabrice Eboué. On peut même se moquer des Roms de façon très politiquement incorrecte comme le fait avec brio le Comte de Bouderbala :



    Imaginez maintenant le même sketch joué par un humoriste blanc, populaire et franchouillard, disons au hasard Jean-Marie Bigard, et certains sourires se crispent aussitôt. Un avocat du Mrap attend peut-être déjà dans sa loge…

    Quand en 1995, Patrick Sébastien se grime en Le Pen, fredonnant « Casser du noir » sur l’air d’une chanson de Patrick Bruel, il fait scandale :



    Sans doute un tournant. C’est l’une des premières fois où la bien-pensance médiatique se déchaîne. Le célèbre imitateur cumule les handicaps : il est blanc, pas de gauche et parfois grossier. Bref, un beauf potentiel. Le coupable idéal.

    Quand Guy Bedos traite à plusieurs reprises une femme politique de droite de « connasse », c’est décapant, c’est corrosif, c’est tout simplement de l’humour. Imaginons maintenant un comique populaire et franchouillard, disons au hasard Laurent Gerra, qui balance la même insulte, pardons la même vanne sur une femme politique de gauche, disons au hasard Christine Taubira… et le lendemain Libé sort trois pleines pages sur le scandale.

    Remontons le temps un instant et imaginons, pour la déconne, ce que donnerait en 2016 une interview de Coluche sur le racisme, un sketch de Pierre Péchin (le match de tennis), un autre de Fernand Reynaud (le douanier), et de Michel Leeb (l’épicerie africaine), ou encore une satire des Inconnus (Les Envahisseurs). En fait non, on n’ose pas imaginer…

    Plus inquiétant encore, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) se fait aujourd’hui le relais de la bien-pensance en matière d’humour et se montre de plus en plus interventionniste en la matière. A l’instar de ce sketch de Jarry, le 13 octobre dernier sur France 2 dans une émission animée par Stéphane Bern. Pour être honnête, c’est plutôt lourdingue. Mais pas bien méchant non plus. L’autorité audiovisuelle n’a toutefois pas hésité à adresser une mise en garde à la chaîne publique, estimant notamment « que les gestes de l’humoriste envers la chroniqueuse étaient très vulgaires, voire dégradants » et rappelant que « le service public se doit d’être exemplaire en matière de promotion de l’image et de la place de la femme dans les programmes ».

    Le CSA n’existait heureusement pas du temps de Desproges, qui n’a du coup pas été mis en garde lorsqu’il a balancé : « Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien. Plus je connais les femmes, moins j’aime ma chienne ». Encore heureux également que le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne supervise pas la littérature. I