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  • Douce France républicaine...ou chronique de l'insécurité ordinaire (8): ”Ferme ta gueule et conduis !”...

              Pour celles et ceux qui penseraient -peut être....- que nous parlons trop souvent des problèmes d'insécurité; ou que nous exagérons quand nous critiquons la politique que mène la république, quand nous disons qu'elle conduit à la banalisation et à l'institutionnalisation de la violence et de la délinquance ordinaire (la pire, donc...); voici -sans autres commentaires- l'article de Luc Bronner dans Le Monde du 4 juin, sous le titre: "Enquête: Dans les bus, c'est le tarif coup de poing".....

              Du mépris. Des insultes. Des crachats. Et parfois des agressions physiques. Les chauffeurs des bus, qui roulent dans les quartiers sensibles de l'Essonne, n'en peuvent plus de la violence ordinaire dans les transports en commun. "Quand on "ose" demander les tickets, on nous dit : "Ferme ta gueule et conduis !" s'émeut Jean Lucas, 52 ans, dont trente à conduire des bus dans l'Essonne, également délégué syndical au sein de la société de transport par autocars (STA), une filiale de Keolis qui couvre Corbeil-Essonnes et Mennecy.

              Au dépôt des bus de la STA, autour de la machine à café, les conducteurs ne parlent que des tensions quotidiennes dans leurs tournées. "Il va bien, Miguel ?", s'inquiète un chauffeur. "Il a eu cinq jours d'ITT (incapacité totale de travail), mais ça va", répond son voisin devant l'affichette expliquant que le chauffeur remercie ses collègues pour le soutien reçu après son agression. "J'ai été très sensible à toutes vos marques de sympathie", a fait écrire le conducteur blessé. Une histoire des plus banale :

              vendredi 23 mai, le chauffeur a demandé à un client de valider son ticket. "Ça ne lui a pas plu. Il l'a insulté pendant tout le trajet. Et lorsqu'il est arrivé à la gare, il l'a frappé", raconte Jean Lucas.

              Les quelque 80 chauffeurs de la société ont alors décidé de se mettre en grève et de réclamer la gratuité des transports. "Si nous n'avons plus à gérer le contrôle des titres de transport, 90 % des problèmes seront résolus", affirme Daniel Bastos, 29 ans, neuf ans d'expérience, délégué syndical de la CGT. "La gratuité, c'est aussi une façon de sortir de l'hypocrisie dans laquelle on est aujourd'hui : les gens honnêtes paient pour les autres", note Jean Lucas.

              Dans les faits, une partie des chauffeurs - plus des trois quarts, selon les syndicalistes - ont en effet cessé depuis longtemps de contrôler les titres de transport. En particulier sur les lignes qui traversent les quartiers sensibles. Dans la salle de repos des chauffeurs, Daniel Bastos montre des piles de "fiches de fin de service", les tickets qui résument l'activité de chaque bus, notamment les ventes de tickets à l'unité et les validations des cartes d'abonnement (Navigo, Cartes orange, cartes scolaires, etc.) : "Pour celui-là, il y a zéro euro de recette pour trois heures de fonctionnement. Ici, c'est 1,5 euro." Il fouille et trouve une recette plus importante : "25 euros, mais c'est un dimanche, avec les vieux qui vont au marché et qui continuent de payer."

              Comme les autres conducteurs, il a bénéficié d'une formation professionnelle de deux journées pour savoir comment réclamer les tickets. "On nous a appris à parler aux clients, à sourire, à formuler les phrases", ironise-t-il. Un voeu pieux dans le climat parfois tendu des cités : sa dernière fiche personnelle indique quatre heures de service dans les rues de Corbeil avec aucun ticket vendu et seulement 19 validations. Le tout pour un bus plein en heure de pointe. "Je ne demande plus aux clients de valider. Même ceux qui sont en règle ne le font plus."

              Une façon de gérer le risque partagée par Ahmed Hedjane, 32 ans, 1 500 euros par mois "avec les heures supplémentaires". Ce chauffeur refuse d'être insulté ou bousculé pour récupérer le prix d'un ticket ou vérifier les abonnements. Il laisse donc faire. "Sinon on s'embrouille toutes les cinq minutes."Son collègue, Eric Emidof, 35 ans, neuf ans d'expérience, met en avant le principe de précaution. "Certains jeunes n'attendent que ça. Ils veulent créer des problèmes". Lui a déjà été caillassé et insulté. "Trois jeunes s'amusaient à appuyer sur les boutons d'arrêt. Je leur ai dit d'arrêter. Ils m'ont traité d'"enculé" et m'ont dit "nique ta race.""

              Pour ces travailleurs de l'ombre, la question des moyens humains est décisive. Sur les lignes de la STA, où circulent plusieurs dizaines de bus, un seul contrôleur assermenté, aidé par une poignée d'agents de médiation, doit surveiller le réseau. Hervé Reviret, 35 ans, qui a travaillé six ans aux Ulis et exerce depuis huit ans à Corbeil-Essonnes, tente ainsi de sillonner les lignes où la fraude est la plus fréquente.

              Mais en l'absence d'équipes de soutien, comme celles dont dispose la RATP, il n'insiste pas : "Quand il y a un conflit, j'essaie de discuter. Mais pour 1,5 euro, c'est pas la peine de prendre des risques. Les patrons nous disent de faire ce qu'on peut." Lui aussi a déjà été insulté, "des petits Blacks et des Maghrébins qui m'ont traité de "sale Noir"".

             Les conducteurs expriment le sentiment d'être abandonnés. André Mariel, 57 ans, a été agressé en 2007. La première fois en vingt années de carrière. Des faits graves - "Un coup de manchette dans la gorge" - qui l'incitent à changer d'attitude : "Je n'ai pas peur. Mais, la prochaine fois, je me défendrai. On peut pas laisser passer sans réagir." Un collègue acquiesce : le risque existe de voir des chauffeurs être tentés de se défendre par leurs propres moyens. "On sait que les policiers sont eux-mêmes débordés. Comment ils pourraient venir nous aider quand il n'y a qu'une seule patrouille disponible pour toute une ville ?" interroge Daniel Bastos.

              L'entreprise et les pouvoirs publics ont rejeté la revendication syndicale. Pour des motifs budgétaires, de principe, mais aussi d'efficacité. "La gratuité remettrait en question le système de financement des transports en Ile-de-France. Cela poserait un problème d'égalité des citoyens devant la loi", relève Jean-François Bayle, adjoint au maire (UMP) de Corbeil-Essonnes. Lui défend l'augmentation du nombre d'agents de médiation et l'installation systématique de caméras embarquées.

              "La gratuité n'est pas une solution, ajoute Carlos Gutierrez, responsable du site STA. Lorsque cela a été expérimenté, on a constaté une augmentation des dégradations." La société relativise l'importance des incidents et insiste plutôt sur les opérations de communication lancées pour inciter les passagers à valider leurs titres de transport. "On s'efforce d'éduquer les clients", ajoute M. Gutierrez.

              Pour l'entreprise, les conséquences de l'absence actuelle de contrôles restent limitées. Car l'essentiel du financement provient des sommes versées par les pouvoirs publics pour les abonnements. Des subventions calculées en fonction de "comptages" réalisés tous les deux ans pour mesurer le nombre de passagers. Dans ces périodes, selon les témoignages des conducteurs, la société mobilise alors un maximum de personnel afin de réduire la fraude. Le reste du temps, "ne paient que ceux qui le veulent bien", conclut Eric Emidof.

  • In tenebris, lux. Par Hilaire de Crémiers

     (Analyse politique parue dans le n° 114 de Politique magazine)

     

    Une sorte d’euphorie règne en cette fin d’année dans le gouvernement et les milieux politiques dirigeants. Malgré tous les couacs intergouvernementaux, malgré le chômage galopant, la baisse et l’arrêt d’activités en tous domaines, la vie politique continue, elle prospère, à gauche et à droite, et François Hollande poursuit son programme imperturbablement. Il croit dans son étoile. En fait, les ténèbres s’épaississent. Où donc est la lumière ? 

    Que veut-on ? Des bonnes nouvelles ? En voilà à la pelle. Le président de la République et le gouvernement en sont prodigues. à les en croire, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Rien n’arrête l’optimisme de nos gouvernants.

     

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    La peur financière, encore si prégnante ces derniers mois, s’éloigne. François Hollande l’a répété à Bruxelles, à Oslo ; il le redit sans cesse : la crise est derrière nous et la croissance, grâce à lui, grâce à ses justes orientations, est devant nous. Reste à la mettre en musique : en créant l’union bancaire, en consolidant les dettes, en les mutualisant, en renforçant les organes de contrôle bancaire et budgétaire aux niveaux européen et national, en surveillant la finance, en assagissant les banques, en demandant aux riches leur quote-part de richesse, cette juste surtaxe qu’ils doivent à la société, en amorçant par de judicieux investissements européens et nationaux la relance de l’économie, en mettant en place les institutions financières adaptées, MES, BPI, etc, en évitant les conflits et les heurts inutiles, en ramenant la confiance, bref en jouant le jeu de la sortie de crise. à force d’y croire, le salut viendra. Hollande s’en porte garant. 

     

    Hollande l’Algérien

    Ne vient-il pas de l’annoncer en Algérie, sa terre de prédilection ? Le salut de la France et de l’Europe inscrit dans son programme et qu’il porte, tel un messie, sur ses épaules, sera aussi celui de l’Algérie qui en a besoin pareillement. Pour manifester sa bonne volonté il a apporté au peuple algérien des cadeaux, tout ce qui peut faciliter les échanges et l’ouverture vers la France, et, pour de futures installations, tout ce que la France peut avoir de mieux en fait de ressources économiques et technologiques. Mais le plus beau des cadeaux, c’est, bien sûr, sa personne et ses discours, tout simplement. Quels discours ! C’est qu’il sait – il l’a dit et proclamé – que le chemin du salut ne peut être vraiment parcouru sans repentance dûment exprimée : le peuple algérien, si longtemps opprimé, y a droit. La SFIO de Guy Mollet n’a-t-elle pas participé au crime ? Et Mitterrand aussi ? François le saint en a la claire conscience. Cependant, la repentance, – et c’est là que se reconnaît dans ce socialiste si admirablement bourgeois  et si merveilleusement pontifiant la solide formation cléricale qu’il a reçue et dont il a su alimenter sa militance politique, – oui, la repentance ne doit pas être, a-t-il précisé, un ressassement perpétuel du passé mais une marche gaie vers l’avenir. N’est-ce pas un joli propos de curé, en sortie de confessionnal ? Il y a du directeur spirituel dans l’ancien premier secrétaire du parti socialiste qui a dû en  entendre des confessions et qui a dû en calmer des fureurs et des scrupules, pour faire régner la paix dans le consensus de sa douce et non moins impérieuse charité. Et le voilà maintenant président ; grand pontife, en quelque sorte, pape à sa manière avec cet art si chanoinesque d’enrober sa vision d’une morale faite tout exprès et qui se donne des allures de bon sens.

     

    Pas de problème !

    Revenu d’Algérie, sûr de lui, il discourt encore et toujours. Il apaise. Avec moi, il n’y a pas de problème, affirme-t-il. Certes, il y en a eu, mais il n’y en a plus. Il faut le croire. Même sa concubine se met à jouer la grande dame. Qu’a-t-il à changer à sa façon et à ses postures ? Il a raison ; il a toujours eu raison ; il a pour profession d’avoir raison. Ses choix personnels sont toujours les bons. D’ailleurs, la fin d’année lui sourit. Il a su dire et prédire, il y a six mois, que la zone euro se portait bien, qu’il suffisait de réduire les écarts de compétitivité et que c’était d’abord aux Allemands à y mettre du leur, en s’adaptant aux nécessités françaises, italiennes, espagnoles, grecques, sinon leur attitude relèverait d’un vilain égoïsme. Il a employé ce mot et cela le justifie, car c’est un juste. Angela Merkel sans doute a rechigné, même encore dernièrement, mais finalement elle entre peu à peu dans les vues rédemptrices du prophète François qui annonce le bonheur parfait pour demain par l’égalité enfin réalisée et, en attendant, par la péréquation fraternelle. François le juste est bien décidé à aboutir et à aller jusqu’au bout de ses exigences : l’Allemand devra bien finir par accepter les fameux « eurobonds » en pénitence d’une réussite industrielle et agroalimentaire qui par son insolence nuit aux autres et offense outrageusement la France. Ah, mais !

     

    La loi du bonheur

    Tout ne concourt-il pas à la réussite de ses conceptions et à la réalisation de ses pronostics ? Voyez l’accalmie des marchés financiers, la confiance des investisseurs, la satisfaction des agences de notation, la remontée des bourses, l’abaissement des taux d’emprunt, même pour les pays les plus endettés et jusqu’à devenir négatifs pour la France qui, du coup, voit le coût de sa dette baisser… Ne sont-ce pas des signes patents du miracle qui s’opère ? Est-il encore des incrédules et des gens de peu de foi pour demander d’autres signes ? Alors qu’il en est tant pour convaincre, en dépit des ricanements des Goddons et des Teutons, de The Economist et du Bild. La zone euro n’est-elle pas en train de se stabiliser au grand soulagement de tous les gouvernements et du système bancaire européens ? Elle n’explosera pas. Mario Draghi et François Hollande en ont ainsi décidé, soutenus par Van Rompuy, Barroso et Juncker. Aucun pays n’en sortira. Mieux : la Grèce, tous les experts le confirment, voit son avenir s’améliorer. Eh oui ! C’est très simple : une tranche nouvelle de 49 milliards d’euros lui sera allouée d’ici au mois de mars et il n’est pas douteux que l’Europe prendra la décision d’alléger la dette publique grecque par un effacement progressif et continu ; déjà 40 milliards ont été supprimés et grâce à un prêt de la zone euro – voyez l’heureux montage ! – elle a pu racheter, elle-même, encore pour 30 milliards d’endettement. Au total, à ce jour, elle n’en a plus que pour 340 milliards. Presque une paille ! D’ailleurs, Standard & Poors relève sa note souveraine à B– avec perspective stable devant les engagements pris de réformes radicales, qualifiées de structurelles. Qui dit mieux ? Même Angela Merkel, pourtant plus dubitative que François l’optimiste, ne ménage pas ses encouragements au gouvernement grec jusqu’à lui faire miroiter une participation de l’Allemagne à l’annulation de la dette s’il réussit à dégager un exédent budgétaire. Evidemment l’Allemagne à tout intérêt à se garder ce client potentiel. Donc, pour les dirigeants européens et français, la Grèce qui était leur inquiétude lancinante, n’est plus un souci ! Comment n’être pas reconnaissant à François cunctator ? Les oiseaux de mauvais augure qui tournoyaient sur le Parthénon en sont pour leur frais !

    Bien sûr, toutes ces belles assurances reposent – et ce n’est pas dit, mais pourquoi le dire ? – sur le contribuable et le déposant européen qui en paiera le prix et les bilans des institutions financières ne manqueront pas d’en être affectés, mais c’est pour « après » ; et, en théorie socialiste comme en théorie libérale, le risque ne se dissout-il pas par répartition infinie et par report indéfini ? à preuve, les subprimes et autres gadgets de ce genre, n’est-ce pas ?

    Et puis, certes, il y a l’Italie dont nul ne connaît le sort après la démission de Monti, il y a l’Espagne dont il est impossible de sonder les abîmes financiers, le Portugal, l’Irlande qui font reparler d’eux. Mais qu’importe, puisque l’Europe est là qui va se constituer ses propres garanties bancaires et financières ! L’endettement garantira l’endettement. Quid melioris ?

    Alors, François l’imperator va de l’avant. Il est heureux. Malgré les fureurs de son jéciste de Premier ministre et les crâneries de son boy-scout de Montebourg, peu lui importe les solutions à trouver pour tous les licenciements en cours, pour les sites industriels en déshérence comme Florange ou le Petit-Couronne, lui il a « la solution » : c’est lui. Et il est très content. Et les gens fortunés et les jeunes qui quittent le pays, et Depardieu qui lui fait un bras d’honneur en foutant le camp, il n’en a cure ; car lui, il est là. Pourquoi tant de bruits pour rien ? Son bonheur à lui est inaltérable et il veut le bonheur pour tous, comme le mariage pour tous, la procréation assistée pour tous, la mort heureuse pour tous : ce sont les cadeaux qu’il apporte pour ce Noël aux Français. Des lois, toujours des lois qui ouvrent un avenir radieux. L’apôtre François l’annonce : « plus d’homme, plus de femme, plus de Grec, plus de Français, tout en tous ». Tout le monde pourra se marier avec tout le monde, oui, même si lui regarde ça de très haut ; tout le monde pourra se procurer un enfant par tous les procédés connus ; tout le monde pourra, mais en douceur, s’offrir la mort sans douleur. C’est l’or, l’encens et la myrrhe du nouvel Eldorado ! Si, avec ça, pense François le Mage, et en dépit du reste, les Français ne sont pas heureux, c’est à ne plus rien comprendre au cheminement politique.

    Evidemment, vous êtes en droit de penser que ces fausses lumières ne sont que des ténèbres. Et que la vraie Lumière brille ailleurs que dans cet univers à la Huxley. Oui, heureusement, la France a d’autres recours. Le ciel a encore de vraies étoiles pour la guider.  

  • La Chine et sa Défense Nationale, par Champsaur

    Dans la semaine du 22 Avril, la France a eu la très mauvaise surprise de se voir infliger un nouveau Livre Blanc sur la Défense. Mais ne grossissons pas le trait. Sa place dans les media fut très éloignée de la pathologie de DSK, ou de la biologie nouvelle à la mode Taubira. Il ne s’agissait que de notre Défense Nationale, son budget, son avenir, sa Loi de programmation. Question traitée dans le registre des célèbres prédécesseurs des gouvernants d’aujourd’hui. Comme Léon Blum en 1933, « Du moment qu'on démolit l'armée (française), j'en suis ", faisant écho à Maurice Thorez, à l'Assemblée nationale : " Nous ne croyons pas un seul instant à la Défense nationale... Les prolétaires n'ont pas de patrie ".

    Le 19 Décembre 1933 Léon Blum déclare à la Chambre : «  Nous serons toujours contre la prolongation du Service militaire (…) C’est une erreur de placer la sécurité d’une nation dans sa force militaire » (Cité par Léon Daudet dans l’AF n° 353 du 19 Décembre 1933, « Daladier à la botte de Léon Blum »).

    Il y a six ans, le 20 Juin 2007, le Monde titrait « Dépenses militaires, Un réarmement mondial, elles retrouvent le niveau de la guerre froide ». Et beaucoup d’articles pour dire et redire que la course aux armements était relancée. C’est pourtant dans ce contexte que notre document sorti d’un comité théodule tels que nos gouvernants du jour en raffolent, fut la justification à un nouveau coup de rabot sévère sur le budget d’une institution déjà tellement malmenée les années précédentes, malgré les dénégations, faisant écrire à un connaisseur de la chose militaire « Et la réflexion stratégique dans cette affaire ? » (Les Echos, 7 Mai 2013). Inutile de cacher que l’on paie le résultat direct du retour dans le commandement intégré de l’OTAN. 

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      Le missile intercepteur KT-2 est utilisé dans le système de défense antimissile que la Chine est en train de mettre en place...

    Et dans le même temps, le nouveau centre de gravité économique de la planète installe sans bruit mais avec ténacité et efficacité, sa puissance militaire avec une rapidité qui n’autorise plus à la regarder avec dédain ou indifférence. Le développement du complexe militaro-industriel de la Chine est spectaculaire, ici comme dans les autres domaines, selon des cadences par tranches de cinq années environ. Dans la continuité d’une politique mise en œuvre depuis l’année 2000, la Chine rompt progressivement avec le culte du secret hérité de la stricte orthodoxie communiste, pour ouvrir des salons internationaux d’exposition, de plus en plus fournis en matériels de fabrications domestiques, comme le Salon aéronautique de Zhuhai en Novembre 2012 dernier. Sans aller toutefois jusqu’à dévoiler son  budget avec précision. 

    Et les visiteurs éberlués, même si quelques-uns se sont sentis obligés de jouer les blasés, ont découvert des drones, comme exemple des technologies très avancées.

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    Des officiers de l'armée pakistanaise au Salon international de l'aviation et de l'espace à Zhuhai en Chine, le 13 novembre 2012.

    La Chine est devenue le 5ème exportateur mondial d'armes, devant la Grande-Bretagne, avec 5% du commerce mondial de ce secteur, selon un rapport publié par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

      

     

    Parlons tout d’abord budget.

    Sujet toujours entouré du plus grand secret malgré les annonces de transparence des dirigeants chinois, nous en sommes réduits à une estimation entre les chiffres fournis par Beijing, dont l’intérêt est de beaucoup les minimiser, et ceux avancés par les instituts américains qui n’hésitent pas à outrageusement les gonfler, accusant les Chinois de consacrer un budget réel deux à trois fois supérieur aux annonces. La bonne approche est de noter sa variation, même si établir un ratio au PIB, paramètre classique, est impossible. Ce n’est qu’à partir de l’année 2000, date à laquelle le budget chinois était encore inférieur à celui de l’Italie, que le reste du monde a réalisé que les dépenses militaires chinoises étaient sur un accroissement régulier jamais vu pour un pays en paix. Dans beaucoup d’industries stratégiques comme les télécoms / informatique – électronique, automobile, la Chine nous a habitués à des chiffres vertigineux, au-delà de nos référentiels habituels. Et reprenant nos archives nous relisons ainsi que le très sérieux Financial Times du 30 Décembre 2006 relayait l’inquiétude américaine de voir un budget militaire annoncé de 37 milliards USD, accroissement chiffré de 15% par rapport à l’année précédente. La hausse devenait 17,5% en 2007, Beijing terminant l’année 2009 comme second budget mondial, pour s’établir à une estimation de 106 milliards USD en 2012 ! C’est un incrément moyen de 12 % annuel depuis une quinzaine d’années. Les explications diplomatiques avancées par les dirigeants chinois n’ont que peu d’intérêt : préserver l’intégrité du territoire, son indépendance, et sa souveraineté (au passage, des termes qui n’existent plus en France). Les yeux tournés vers Taiwan ne peuvent pas être une explication raisonnable. La situation est devenue suffisamment sérieuse pour que le 28 Février 2008 les états-major chinois et américains décident l’installation d’un « téléphone rouge », pour anticiper tout éventuelle « erreur d’interprétation accidentelle » (expression consacrée). Et rappelons que le prétexte peu crédible avancé par les Occidentaux, sous l’inspiration des États Unis pour justifier l’installation d’un bouclier anti missile, « se protéger de l’Iran ! », n’a jamais trompé ceux contre lesquels il était dirigé provoquant une rencontre au sommet immédiate entre Chinois et Russes.

    La projection à 2015 est un chiffre de 233 milliards USD, soit au-delà de la somme des douze autres plus grandes puissances de l’Asie-Pacifique. Difficile de cacher une volonté de puissance … 

     

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    Et ce que sont les matériels

    Bien au-delà du simple examen des budgets mis sur la table, c’est la nature des matériels aujourd’hui développés, montrés, mis en dotation dans les unités, parfois exportés, qui ne laissent pas d’étonner. Il n’y a aucune impasse sur aucune des composantes les plus sophistiquées d’une armée moderne, terre, marine, air et espace. C’est aussi le renforcement de la capacité nucléaire, avec un arsenal de 300 têtes environ, certes encore très en dessous des stocks américains et russes.

    La fiche programme du premier porte avion est exemplaire tant de la rapidité d’exécution que des erreurs d’appréciation des observateurs extérieurs. Acheté à l’Ukraine en 2000, il a été très largement reconstruit, et, à la surprise des experts occidentaux, les premiers appontages eurent lieu en Novembre 2012. Les militaires français ne furent pas les derniers à considérer que les Chinois n’y parviendraient pas avant longtemps, selon notre permanente propension à l’aveuglement. Depuis lors les mêmes experts cherchent désespérément dans quelle matière ils sont en retard. Force est de constater, de moins en moins, compris la très haute technologie, comme en télécoms, optronique et propulseurs. L’étape suivante est le bombardier furtif, donc la chimie des matériaux composites (c’est en très bonne voie …).

    La panoplie complète est couverte : hélicoptères d’attaque, toute la gamme des avions de chasse, avion de transport stratégique (le Y20), les drones (surveillance et attaque) et leur infrastructure nécessaire les GPS, allant de pair avec un programme spatial d’une grande cohérence. Sur mer frégate furtive, programme de porte-avions, programme de sous-marins lanceur d’engins, sous-marins d’attaque, et l’expansionnisme maritime qui accompagne, avec une marine désormais, la troisième du monde. En Mai 2008 les satellites américains identifiaient la construction d’une base de sous-marins à Sanya (ile de Hainan), pour une vingtaine de submersibles.

    En regardant vers l’espace, le 11 janvier dernier la presse américaine annonce la destruction d’un de ses propres satellites par la Chine, avec ce qui semble être un tir d’essai.

    Ce tour d’horizon volontairement résumé en se gardant d’entrer dans des détails techniques, donne néanmoins une vue précise du changement géopolitique majeur que conduisent aujourd’hui un milliard trois cent millions d’hommes. L’objet de ce papier n’est pas de traiter de diplomatie et de la politique étrangère de la Chine, sœur jumelle d’une politique de défense. Cinq années après le livre de Jean-François Susbielle « Les Royaumes combattants » (il en compte sept : Etats Unis, Chine, Europe, Inde, Brésil, Japon, Russie), on mesure le décalage des chiffres, et seule demeure éternelle la sagesse héritée des anciens « Cacher ses intentions et dissimuler ses forces ; il faut s’abstenir de brandir des drapeaux et de conduire la vague ».

    Mais dans un tel contexte n’est-il pas difficile de ne pas se demander où en sont les 350 millions d’Européens ? 

    chine arsenal nucleaire.JPG

    Pour agrandir le tableau ci-dessus, peu lisible : chine arsenal nucleaire.JPG

  • Migrants : ce que dit (vraiment) le Pape

       Photo: Sipa 

    Une analyse de Frédéric Rouvillois 

    Frédéric Rouvillois analyse ici - pour Causeur -  l'actuel problème des migrants du point de vue de la logique et de la spiritualité chrétiennes. Lesquelles n'ignorent ni la charité que l'on doit aux autres ni celle qu'on se doit à soi-même et à la communauté politique à laquelle on appartient. Cette analyse conduit à proposer en quelque sorte une ligne de crête, conciliant l'une et l'autre exigence, fussent-elles ou sembler être contradictoires. Les lignes de crête, on le sait, ne sont pas de celles que l'on tient le plus aisément. Peut-être même ne sont-elles compréhensibles et tenables que par quelques uns. Nous ne les critiquerons pas. Toutefois, comme nous limitons notre réflexion au domaine politique, nous ne manquerons pas de signaler que les gestes, paroles ou écrits de l'Eglise et du Pape dans l'interprétation qui en sera inévitablement donnée par notre Système politico-médiatique, constituent pour la France et l'Europe un risque supplémentaire considérable dont ces autorités pourraient sans-doute avoir un plus grand souci. Dont elles pourraient traiter avec davantage de prudence. D'un point de vue politique, notre position inchangée est qu'un accueil massif de migrants - s'ajoutant au très grand nombre de ceux que nous avons déjà reçus depuis des décennies - met à l'évidence en péril les sociétés européennes. Dont celle qui nous concerne le plus, la nôtre. Lafautearousseau    

     

    frederic-rouvillois.jpgLe Pape François qui, le 6 septembre 2015, du balcon de Saint-Pierre, demandait à chaque paroisse catholique d’accueillir une famille de réfugiés et suppliait l’Occident d’ouvrir ses portes à la masse des migrants, ne serait-il qu’un doux illuminé ? Un utopiste prêt à tout sacrifier, et notamment les frontières, les Etats et les peuples, au rêve d’une improbable fraternité universelle ? C’est évidemment ce que certains voudraient faire croire, soit pour le lui reprocher, soit pour l’en applaudir. Et c’est en effet ce que ses interventions, astucieusement sorties de leur contexte, semblent parfois laisser croire.

    Pourtant, si François peut être considéré comme révolutionnaire, il ne l’est pas plus que le christianisme lui-même, ni que la sainteté. Et pas plus que le christianisme, il n’entend répudier le « réalisme politique », dont il s’est même explicitement réclamé dans son encyclique Laudato si'*. Réalisme politique qui le conduit à des positions moins stéréotypées, moins simplistes et surtout moins émotionnelles que celles que l’on présente, la réalité ainsi prise en compte n’étant jamais toute d’une pièce, mais constituée d’éléments complexes.

    Et c’est justement ce que l’on constate à propos du problème des migrants, le Pape, et l’Église, s’efforçant de concilier deux impératifs apparemment incompatibles dans le creuset d’un même réalisme évangélique.

    Le première impératif, aime ton prochain comme toi-même, conduit à ouvrir les bras à l’autre. Et en l’occurrence, à refuser l’engrenage de la terreur qui conduit des millions de personnes, créatures de Dieu et faites à son image, à quitter leurs maisons et à demander l’hospitalité. Ceux-là, en tant que chrétien, je ne puis les laisser à la porte, sauf à ressembler au mauvais riche que son égoïsme condamne irrémédiablement au tourment éternel. À l’égard de mes frères souffrants, un devoir s’impose sans discussion, celui que le Pape rappelait à Rome le 6 septembre : « être le plus prochain des plus petits et des plus abandonnés ». Concrètement, ce précepte justifie une pratique de l’accueil qui ne distingue pas entre une migration politique et une migration économique – distinction  moralement contestable, celui qui s’enfuit avec sa famille pour ne pas mourir de faim n’ayant pas moins le droit d’être accueilli que celui qui émigre parce qu’il estime que sa liberté d’expression ou son droit de vote étaient violés dans son pays d’origine. En somme, l’opposition à  la « culture de mort » suggère une politique d’ouverture et de charité.

    Mais à ce premier impératif s’en ajoute un second, qui commande de s’aimer soi-même en tant que l’on est une créature de Dieu, et que l’on a par là-même des devoirs envers soi. Benoît XVI soulignait à ce propos que « l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter »**. Or sa nature est d’être un animal social, qui va constituer avec ses proches un groupe particulier, une société dotée de certaines caractéristiques dont procèdera sa propre identité.

    On ne saurait en effet confondre le Peuple de Dieu, composé de tous les hommes en tant qu’ils sont frères, puisqu’issus du même Père céleste, et les peuples humains, qui s’y découpent comme les pièces dans un puzzle, chacune d’entre elles étant dotée de sa propre forme, de sa couleur et de sa place. Tout homme, appartenant au Peuple de Dieu, appartient aussi, simultanément, à un peuple particulier, à une patrie où généralement il est né, à une culture qui l’a modelé, à une terre et à une histoire où il s’enracine.

    Cette réalité, les papes contemporains en ont souligné l’importance dans la construction de l’homme : sans elle, expliquent-ils, l’homme est déraciné, perdu, privé de ce qui le constitue, un être sans ombre et sans épaisseur, victime idéale des nouveaux marchands d’esclaves.

    Or, ce second impératif s’oppose, lui, à ce que les portes soient ouvertes de façon inconsidérée à des masses de plus en plus considérables. Si les identités sont indispensables, on ne peut en effet accepter un processus qui conduit de façon certaine des millions de personnes, séduites par le miroir aux alouettes du consumérisme, à rompre avec leurs racines, et des millions d’autres à subir ce qu’ils ressentent comme une invasion, une dilution de leur identité et une mise à mal de leur culture.

    Mais comment concilier ces deux impératifs ? Le christianisme distingue à cet égard quatre vertus cardinales, la prudence, la tempérance, le courage et la justice : toutes les quatre sont à l’œuvre pour résoudre cette difficulté.

    La justice, qui vise à donner à chacun le sien, pousse à aider ceux qui ont tout perdu et à leur rendre une dignité, celle qui leur appartient en tant que créatures de Dieu ; mais sans pour autant léser ceux qui, ici, souffrent également de la pauvreté sous toutes ses formes.

    La prudence consiste à peser le pour et le contre. Et à constater qu’il faut bien entendu recueillir, au moment présent, ceux qui se noient à quelques encablures des côtes européennes. Il faut les recueillir, tout en faisant comprendre aux autres, à tous les autres, qu’il s’agit d’un cas d’exception, d’un moment transitoire. Bref, qu’il n’y a pas de place ici pour les dizaines de millions qui, un jour peut-être, seraient tentés de venir s’installer en Europe. Pas de place, parce qu’un afflux excessif, à la libanaise, entraînerait à coup sûr un surcroît de misère et, à terme, de violence, voire de guerre civile, les envahis ne pouvant accepter indéfiniment l’injustice de leur propre situation. Même Saint Martin ne donna au pauvre que la moitié de son manteau. La prudence consiste donc, du côté des décideurs, à refermer progressivement mais fermement les frontières, tout en agissant dans les pays d’origine de telle sorte que le flux migratoire finisse par se tarir. Bref, à agir en véritables politiques, qui savent que leur rôle est de traiter les causes du mal, pas simplement ses symptômes les plus visibles.

    La tempérance, elle, consiste accepter de restreindre notre train de vie afin d’aider, là-bas, des populations si misérables que sans cette aide, elles seraient tentées de tout quitter pour venir chez nous. Elle enseigne qu’en perdant un peu en confort matériel, nous pouvons espérer sauver l’essentiel : notre identité spirituelle, et peut-être notre vie.

    Le courage, enfin, est ce qui peut nous conduire, d’une part à ne pas baisser les bras, et de l’autre à ne pas craindre d’intervenir – en prenant une part active à l’éradication des causes du problème. « L’espérance chrétienne est combative », déclarait encore le pape François le 6 septembre. Le christianisme n’est pas une religion de la passivité, et il y a des moments où, au nom de la justice et même de la prudence, le courage commande d’agir. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Et les catholiques de France, dans tout ça ? Il leur revient, pour rester fidèles à ce réalisme évangélique, de tenir fermement les deux bouts de la corde sans sacrifier l’un à l’autre – le devoir d’amour d’un côté, qui leur commande d’ouvrir les bras et, de l’autre, le devoir de maintenir la cité conditionnant la réalisation de cet amour, qui les pousse à la vigilance. Ni oublier que tous deux constituent des formes complémentaires de la charité.   

    Frédéric Rouvillois

     

  • Laurent Wauquiez : « On peut parler d'une trahison des élites politiques »

     

    Dans un intéressant entretien avec Vincent Tremolet de Villers pour le Figaro [13.02], le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes reconnaît le décalage grandissant qui sépare le mouvement des idées de la vie politique française. Il plaide pour une articulation dynamique entre les apports du passé et l'esprit de conquête. Mais de quoi s'agit-il ? Reconnaissons-lui le courage des idées, à défaut, pour l'instant, de celui des actes, des réalisations. Admettons aussi la pertinence de la partie critique de son propos. Elle va loin et à l'essentiel. Mais le décalage qui sépare le mouvement des idées de la politique française la sépare aussi de ce que les maurrassiens et bien d'autres appelleront le Pays Réel. Celui-ci ne croit plus au Système. Il ne croit plus guère à la république ni à ses valeurs incessamment invoquées mais désincarnées et indéfinies. Quant à nous, on se s'étonnera pas si nous ne croyons en aucune manière que la France puisse se redresser, redevenir ce qu'elle fut, selon le vœu de Laurent Wauquiez, dans le cadre délétère du régime des partis, revenu en force, pas plus que sous un régime où le Chef de l'Etat est soumis aux basses compromissions d'une réélection quinquennale qui est, comme on l'a écrit, le poison de la vie politique française. La révolution qui s'impose pour que la France se redresse et retrouve ce qu'elle était, est d'un ordre beaucoup plus profond que ne le dit ici Laurent Wauquiez. On pourrait l'appeler révolution royale. Et comme les institutions politiques ne sont pas seules en cause mais bien la société tout entière, il devrait s'agir, selon l'expression de Pierre Boutang, d'une révolution pour restaurer l'ordre légitime et profond. Celui-là même que la postmodernité détruit.   Lafautearousseau

      

    Selon vous, dans quel état est la société française ?

    Jamais notre pays n'a été aussi mal. Il subit une crise de déconstruction multiforme que certains voudraient réduire à une crise économique. Cette crise est aussi sociale, régalienne et sociétale. Il y a un contraste terrible entre un pays qui conserve une pulsion de vie et des politiques qui avec une rage incroyable lui mettent la tête à l'envers. Nous vivons une vraie crise de civilisation. Les Français ont peur que leur pays change de nature. Pour le dire autrement, ils ne veulent pas devenir minoritaires chez eux.

    La politique pourtant fait du surplace…

    La période des géants en politique est finie. Les techniciens au petit pied ont pris la suite. Rarement les politiques dans notre histoire n'ont été aussi lâches, aveugles et inconstants. On peut parler d'une trahison des élites politiques. On s'écharpe sur la déchéance de nationalité mais on ne réfléchit pas à notre incapacité à transmettre les valeurs de la civilisation française. On débat sur la libéralisation des autocars sans s'interroger sur le décrochage d'un pays qui a déconstruit sa relation au travail. Le mouvement de reconstruction passe par deux renouvellements. L'action concrète que permet la politique locale et les valeurs fondatrices de notre civilisation. Ce que Pompidou résumait ainsi: «Les pieds sur terre, la tête dans l'horizon.»Dans son discours de réception à l'Académie, M. Finkielkraut a affirmé: « J'ai découvert que j'aimais la France le jour où j'ai compris qu'elle était mortelle.» C'est magnifique. J'ai moi-même compris pourquoi je m'engageais en politique quand j'ai réalisé que la France pouvait être mortelle. Et je refuse d'assister à cette chute passivement.

    Manuel Valls et Jean-Christophe Fromantin étaient les seuls politiques présents à la réception d'Alain Finkielkraut à l'Académie française…

    C'est une erreur. Des intellectuels comme Alain Finkielkraut nous donnent l'exemple du courage. Malgré les caricatures, il n'a jamais renoncé à ses idées: une belle leçon pour des politiques qui changent de convictions à chaque rentrée. Celui de la lucidité ensuite. «Il faut dire ce que l'on voit et il faut voir ce que l'on voit», disait Péguy. Quand on perturbe une minute de silence dans les écoles, l'Éducation nationale pratique l'omerta. Quand il y a les viols de Cologne, le gouvernement allemand tarde à le révéler.

    Piketty à gauche, Zemmour à droite ont vendu des centaines de milliers de livres. Ont-ils profité des faiblesses de la politique ?

    Un mépris de classe s'est installé dans la classe politique. La plus grande insulte que l'on y entend est celle de « populiste ». Cette morgue technocratique rompt avec la tradition française. Notre tradition politique, en effet, est constante. De nos grandes figures de monarques à la constitution de la République, de Louis XI à de Gaulle en passant par Henri IV, elle repose sur le bon sens, le discernement de celui qui gouverne. Aujourd'hui, c'est l'inverse : les Français voient les problèmes et on leur dit qu'ils ont tort. Ils comprennent que l'Europe va dans le mur, on leur dit que c'est pour leur bien. Ils s'inquiètent de l'arrivée de nouveaux migrants, on leur assène que c'est un devoir sacré de les accueillir. Et pour justifier l'impuissance on convoque même - et c'est l'aboutissement de la décrépitude politique - des foules d'arguments techniques et juridiques: «on ne peut pas», « on n'a pas le droit ». Les politiques n'ont plus de vision, ils ne sont plus des créateurs de monde.

    Êtes-vous décliniste ?

    Non. Je suis optimiste parce que les Français ont compris. Quand ils pavoisent leur fenêtre d'un drapeau tricolore, c'est parce qu'ils veulent que la France continue. Cette réalité encourageante fait que tous les politiques qui pratiquent le filet d'eau tiède seront balayés.

    Êtes-vous conservateur ?

    Le « moderne » contre le « conservateur », voilà une dialectique épuisée. Le vrai débat aujourd'hui oppose les déconstructeurs et les bâtisseurs. On a dit «changement» en sautant comme des cabris, comme si la modernité était en soi une valeur. On confond l'avenir et la modernité. Si le changement ne conduit qu'à plus de détresse et de drames, alors je revendique un droit à la continuité. Pendant le débat sur le mariage pour tous, on a invoqué le sens de l'histoire sans même s'interroger sur les conséquences de cette loi sur la famille et la filiation. Les notes à l'école ? Valeur du passé. Le travail ? Valeur du passé. La sanction ? Valeur du passé. Christiane Taubira, parfaite incarnation de cette déconstruction postmoderne, proposait même de ne plus incarcérer les délinquants ! Ces valeurs pourtant ne sont pas « rances », elles sont des valeurs d'avenir. Devant tant d'erreurs, face à cette fuite en avant, on a envie de proclamer: « Modernité, que de crimes a-t-on commis en ton nom ! »

    Le « gauchisme culturel » défini par Jean-Pierre Le Goff n'a pas disparu…

    Une partie de la droite dit, fait et croit la même chose que la gauche. Si bien qu'on arrive à croire que la droite serait la gauche, les déficits en moins (et encore!). Cette grande confusion des valeurs et des idées conduit à la mort de la démocratie. Je ne crois pas cela. Deux visions du monde s'opposent. La gauche a trahi la quasi-totalité de ses idéaux fondateurs face au communautarisme. La question qui nous est posée est très simple: est-ce que vous aussi vous vous trahissez ou est-ce que vous affirmez vos valeurs ? J'ai clairement choisi mon camp : celui de l'autorité, du respect, de la civilité, de l'effort, de la famille, de l'identité. Ces mots que trop de politiques abordent en tremblant.

    Pourquoi la parole publique semble-t-elle dévitalisée ?

    Une partie des esprits continuent à être formatés par une pensée de gauche, avec cette peur panique du mot qui dérange. Je l'ai vécu quand j'ai dénoncé la culture de l'assistanat, quand j'ai posé la question des classes moyennes dans le contrat social français ou celle de nos racines chrétiennes. À chaque fois j'ai perçu la lourdeur de la doxa. Certains chez nous ne craignent pas ainsi de parler d'identité multiculturelle heureuse quand la France est en proie à un malaise identitaire criant. On a tellement peur de passer pour islamophobe que l'on ajoute systématiquement le catholicisme à nos réserves sur «le fait religieux». Je fais mienne la phrase d'Élisabeth Badinter « Il ne faut pas avoir peur d'être traitée d'islamophobe si c'est pour parler vrai.»

    Diriez-vous avec Jacques Julliard que « l'école est finie » ?

    L'école est le reflet de notre conception de la société. Suppression des bourses parce que pas d'effort. Pas d'enseignement de l'histoire parce que pas de transmission. Pas d'humanités classiques parce que pas de mémoire. Ajoutez à cela une repentance systématique et vous comprendrez pourquoi des jeunes issus de cette école en viennent à prendre les armes contre leur propre pays. « Il faut donner à aimer la France », disait Simone Weil. On ne transmet plus cet amour. On ne peut assister en silence à ce décrochage et nous contenter de gérer la décadence. Je suis convaincu que sous la cendre subsistent des braises qui attendent notre souffle. C'est le défi de notre génération. Le renouveau du pays ne peut pas seulement se construire dans le champ intellectuel, dans le dynamisme de nos entreprises et de notre économie. Il nous faut un renouveau politique d'ensemble. À l'approche de l'élection présidentielle, on peut s'acharner à enfermer la politique dans les questions de casting et de personnalité, mais la France, pour ne pas s'effondrer, ne pourra pas faire l'économie de ce débat fondamental : celui de son déclin ou de son redressement. La France n'a pas à renoncer à ce qu'elle est, elle doit retrouver ce qu'elle était et que nous avons tant flétri. J'aspire au retour de la France.   

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    Vincent Tremolet de Villers

  • VERS UNE RÉVOLUTION CULTURELLE ?

     

    par François Marcilhac 

    L’actualité politique a été évidemment marquée, ces derniers jours, par le remaniement ministériel, a minima, qui, toutefois, a moins fait gloser que le départ bouffon de Taubira, qui l’a précédé de quelque jours. 

     

    500021990.jpgIl est vrai, que dire du retour de Ayrault en remplacement du catastrophique Fabius promu à la présidence du Conseil constitutionnel, de l’arrivée de trois ministres écologistes, d’un retour au respect strict de la parité dans l’équipe ministérielle ou de la création de secrétariats d’Etat à l’intitulé démagogique — on croyait avoir tout vu, en 1981, avec le ministère du temps libre ? C’était sans compter des équipes de communicants pouvant vendre n’importe quoi à un François Hollande, voire à un Manuel Valls qu’on pensait plus lucide, totalement dépourvus du sens du ridicule. Croient-ils que les Français, confrontés, sur leur sol, au terrorisme islamiste, au déferlement migratoire et à l’aggravation de la crise économique, n’aient d’autre attente que la création d’un très stalinien secrétariat d’Etat à l’égalité réelle (sic), d’un autre, lacrymal, à l’aide aux victimes ou, d’un troisième, très politiquement correct, aux relations internationales sur le climat et à la biodiversité ? Alors qu’en temps de crise une équipe resserrée s’impose pour garantir la cohérence de l’action, Hollande, en homme de la IVe, a fait le choix inverse : satisfaire tous ceux qui pourront, pense-t-il, l’aider à gagner en 2017, des radicaux de gauche, avec le retour de leur président, Baylet, ancien ministre, ancien député, ancien sénateur, et présentement puissant homme de presse, qui jappait d’impatience depuis le début du quinquennat, aux deux tendances écologistes : EELV par la personne d’Emmanuelle Cosse, et la dissidence. Non sans que cette promotion d’arrivistes notoires n’achève une mouvance qui, depuis sa création, n’a jamais su donner que le pire des spectacles politiciens, ce qui est assez naturel pour un parti dépourvu de tout sens de la cité : il est alors condamné à n’être que sa propre caricature, l’ambition personnelle ne pouvant prendre le masque de la recherche du Bien commun.

    Hollande pense-t-il ainsi neutraliser les écologistes comme Mitterrand l’avait fait des communistes ? Si oui, un référendum sur Notre-Dame-des-Landes n’est pas, à ses yeux, trop cher payé. Outre sa légalité incertaine, celui-ci montre surtout combien notre chef d’Etat se défausse lâchement sur une fraction du pays réel — laquelle ? —, de la poursuite, ou non, d’un projet insensé qui n’a pour lui que d’être soutenu par les potentats locaux du pays légal, droite et gauche confondues, au mépris de l’intérêt général. Hollande pense certainement avoir manœuvré en génial tacticien — quand on lui demande simplement d’être un bon artisan du Bien commun. Peut-être ne réussira-t-il qu’à s’enferrer dans cette nouvelle idée grandiose comme il se trouve déjà pris à son propre piège dans la question de la déchéance de nationalité, dont le feuilleton laisse désormais indifférents les Français. Si le projet de loi constitutionnelle a été adopté à l’Assemblée, il doit l’être dans les mêmes termes par le Sénat pour pouvoir être présenté devant le Congrès. Or rien n’est moins sûr, les sénateurs ayant annoncé qu’ils détricoteraient le texte gouvernemental. La réforme constitutionnelle sera-t-elle le sparadrap dont n’arrivera pas à se défaire notre capitaine de pédalos ? Le capitaine Haddock a lui, au moins, le mérite d’être drôle.

    Moins comique, en revanche : le fait que, pendant ce temps, le Gouvernement confirme avec cynisme son choix délibéré de sacrifier l’agriculture française sur l’autel libre-échangiste bruxellois. Chaque jour apporte une nouvelle preuve non seulement de son indifférence aux drames vécus par les paysans français mais également d’une destruction préméditée de ce qui est toujours, mais pour combien de temps encore, la première puissance agricole européenne et la quatrième mondiale, d’autant que nos exportations reculent fortement depuis 1995, et singulièrement depuis 2007, la droite, puis la gauche, ayant systématiquement sacrifié notre agriculture à l’occasion de la réforme de la politique agricole commune, au profit de l’agriculture allemande et est-européenne. La servilité envers le maître allemand se paie et ce ne sont pas les rodomontades de nos ministres aux conseils européens, comme celui de ce lundi 15 février, qui changeront quoi que ce soit : elles n’ont d’autre objet que de calmer la colère des agriculteurs, ce qui n’est pas gagné d’avance, car une part grandissante d’entre eux n’a plus rien à perdre. Ils ont aujourd’hui l’énergie du désespoir. Mais qu’importe au pays légal ? Leur poids électoral a baissé avec la fermeture des exploitations et la promotion d’un modèle à l’américaine ou à l’allemande, plus libéral que familial et indifférent à l’impact environnemental.

    Les solutions se trouvent dans des décisions nationales fortes, tournant le dos, notamment, à un prétendu libre marché reposant sur une concurrence déloyale et donc faussée. Un autre modèle que le modèle productiviste, voulu par l’Europe, doit être également promu, favorisant la qualité, ce qui ne pourrait se faire qu’avec le soutien volontariste de l’Etat, chose impensable pour nos politiciens soumis aux règlements bruxellois, et pour une FNSEA dont le double jeu n’est un secret pour personne. Car les agriculteurs, du moins les plus conscients d’entre eux, veulent promouvoir une agriculture humaine, leur permettant de vivre non pas de subventions mais des fruits de leur labeur. Il n’est pas certain toutefois qu’ils aient tous compris que, là aussi, l’Europe, et un syndicalisme pro-bruxellois favorisant la dilution de leur secteur dans le mondialisme sont le problème et non la solution , alors qu’ils se trouvent enchaînés pieds et poings liés à un modèle qui les tue. Se dégager de telles entraves demanderait de la part d’un Etat redevenu national une révolution juridique et, de leur part, une révolution culturelle — la même que celle que les Français devront engager pour ne plus voter, comme des moutons de Panurge, pour les représentants d’une système qui, pour craquer de partout, ne les conduit pas moins à la catastrophe sur tous les plans : agricole, industriel, économique, bien sûr, mais aussi, plus essentiellement encore, civilisationnel.

    Justement : « Le processus d’intégration européenne, initié après des siècles de conflits sanglants, a été accueilli par beaucoup avec espérance, comme un gage de paix et de sécurité. Cependant, nous mettons en garde contre une intégration qui ne serait pas respectueuse des identités religieuses.  » Ces sages propos sont tirés de la déclaration commune du pape François et du patriarche russe Kirill, publiée à l’issue de leur entrevue le 12 février à Cuba. On ne saurait évidemment trop saluer cette rencontre — une première près de mille ans après le grand schisme —, ni cette lucidité. Sous l’influence du réalisme orthodoxe russe, le discours catholique officiel tournerait-il enfin le dos aux niaises illusions démocrates-chrétiennes voyant dans l’Union européenne une résurgence de la Chrétienté ? Le patriarche russe ne pouvant être soupçonné d’être un partisan d’une « intégration » à la bruxelloise, ces propos doivent être lus, à terme, comme le certificat de décès de la notion même d’intégration européenne. Maurras aimait à rappeler que l’Eglise est la seule internationale qui tienne — européenne ou mondiale, jamais impériale. Des nations pérennes demeurent les réalités premières. Nous attendons désormais du pape François qu’il le rappelle aussi fermement que saint Jean-Paul II, pour lequel les nations étaient « les grandes institutrices des peuples ». 

    L’Action Française 2000  [Editorial]

  • Le vrai mal français • Par Hilaire de Crémiers *

    H D C.jpgValérie Trierweiler, Éric Zemmour, tels sont les deux plus fortes diffusions de cet automne et non sans raison. Entre les deux un abîme où gît le vrai mal français. 

    « Ire de femme est à douter. 

    Moult chacun s’en doit garder, 

    Car tant plus aimé elle aura, 

    Tant plus elle se vengera… » 

    Ces vers du vieux conte tragique et chevaleresque de Tristan et Yseult pourrait illustrer pareillement le drame affreusement bourgeois de François Hollande et de Valérie Trierweiler, à cette différence près qu’il n’y a aucune grandeur héroïque dans les personnages de la sinistre comédie à laquelle la France et maintenant le monde entier ont été priés d’assister et où les voilà pris à témoins dans une querelle de faux ménage.

     

    Un livre révélateur 

    2695458275.jpgLa version anglaise des confessions de Valérie fait se gausser les Britanniques. Ce sera bientôt le tour des Italiens, des Chinois et des Russes. La planète ondule d’une vaste rigolade ! « Ainsi me reconstruis-je, moi, Valérie », a signifié hautement l’héroïne. En attendant, l’image de notre président est à jamais détruite. 

    Il n’était sans doute pas assez grotesque tel qu’il apparaissait dans son ordinaire ; le voilà mis à nu aux yeux de l’univers. Entre Strauss-Khan et lui, la France est bien servie. 

    Le livre de la Trierweiler vaut la peine d’être lu, non pas en lui-même qui n’est qu’un tas de misérables anecdotes d’une atroce banalité qu’essaye de magnifier un lyrisme à la Bovary, mais par cela même qu’il révèle des deux protagonistes : dans le miroir de leur histoire se reflètent fidèlement tous les traits les plus exacts de la débilité morale, spirituelle et politique de cette génération politicienne et médiatique qui prétend nous guider, alors qu’elle est incapable de se guider elle-même. Platitude et nullité : d’un côté comme de l’autre, des « moi, je », en anaphore indéfiniment redondante, chargés d’entamer la moindre affirmation et  qui cherchent à pallier sans doute la vacuité de leur personnalité ; une phraséologie de bonne conscience humanitaire qui dissimule mal le plus hypocrite des égoïsmes et le plus insensé des orgueils ; des fadaises enrobées de sentimentalisme niaiseux qui couvrent un néant de pensée. Imaginez que le président envoie des sms amoureux du dernier cucul pendant le conseil des ministres – ça, c’est du vrai ! –, conseil où, d’ailleurs, on se demande qui n’a pas couché avec qui ! Voilà le niveau. Mais il est partout pareil dans notre classe politique. Même cynisme, même immoralité profonde, même mépris des gens avec des affectations de gentillesse, même ambition de carrière, même superbe implacable sous les dehors d’un grand combat humanitaire, républicain, comme ils disent. Tel est notre État aujourd’hui entre les mains des professionnels de la politique républicaine.

     

    Des « zigotos » institutionnalisés 

    Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce mal endémique n’est dû essentiellement qu’à nos institutions. Elles ne sont point faites pour la France. Le pays n’est point représenté dans sa réalité ; c’est devenu une évidence : nos institutions ne sont pas représentatives malgré leur nom. Et le pays ne peut plus être, dans le cadre actuel, que mal gouverné : c’est une autre évidence mais qui ne fait que commencer à s’imposer et qui éclatera malheureusement dans une catastrophe.  

    Aujourd’hui, telle que nos institutions la façonnent et la déforment, la France est littéralement ingouvernable. Quels que soient les cas de figures des futures échéances électorales, en dépit des discours les plus martiaux, il n’y a pas de solution à la crise institutionnelle qui ne fait que débuter et qui double maintenant, en la faisant redoubler du même coup, la crise économique, financière et sociale. Le meilleur parviendrait-il au pouvoir, il ne pourrait strictement rien faire. Sauf, d’abord, à changer les institutions. Elles sont perverses, perverties et pervertisseuses. Elles ne fonctionnent que pour une bande de « professionnels » de la politique, dans le mauvais sens du terme, qui s’imaginent tous avoir des destinées historiques : c’est parfaitement ridicule. Aucun d’entre eux n’est à la hauteur des enjeux, c’est trop évident, et, le voudraient-ils, de toutes façons le carcan des  institutions les empêcherait d’agir. 

    Car le quinquennat pour la France, vieille nation historique, est, en lui-même, un carcan qui interdit à la personne désignée de parvenir au statut de chef de l’État. La manière même pour lui d’obtenir le pouvoir est un redoutable inconvénient qui  pèse, dès le départ, sur ses épaules déjà fragilisées par la conquête préliminaire de son propre camp. Ce qu’on appelle stupidement la dynamique électorale est en fait une usure d’énergie perdue dans des discussions inutiles, de multiples et frivoles disputes de personnalités. La pratique que la France subit s’est chargée de corroborer cette analyse qu’il était aisé, pourtant, d’anticiper. La preuve en est désormais administrée et amplement. Voyez-les déjà, à mi-mandat de François Hollande, tous s’échiner à se mettre en position comme si la France n’avait plus de chef, et de fait. Au centre, à droite, à gauche, le parti d’abord, la primaire ensuite ou en même temps, on ne sait plus, tout recommencer, changer même les appellations ! Ajoutez-y la croyance invraisemblable de chacun dans sa propre réussite sans même savoir si les moyens seront là au rendez-vous de sa prétendue victoire, tant tous ont pris l’habitude de considérer l’État comme une « chose » qui sera à leur service, la « res » qu’ils osent appeler « publica », alors qu’ils ne veulent que se l’approprier, ce qu’ils font fort bien, tous, quels qu’ils soient. 

    Le quinquennat, réforme stupide, fausse tout : il exacerbe le régime partisan qui est le tout de la vie politique française et dénature la représentation dans son ensemble. Il n’est pas un esprit averti qui ne le sache, mais personne n’a l’audace d’envisager la vraie réforme constitutionnelle qui rendrait l’indépendance à l’État asservi et la paix à la société déchirée. Ce qu’on appelle les lois sociétales ne sont que des inventions de partis, d’idéologues en conventicules et de manieurs d’opinions ; les lois de finances des leurres pour tromper le peuple ; les réformes d’invraisemblables salmigondis , toutes mal conçues, mal rédigées, à proprement parler illisibles et qui réussissent à passer, parce qu’en réalité, au grand soulagement de ceux qui les promeuvent, personne ne s’y intéresse vraiment, sauf ceux qui en sont les pauvres victimes. 

    L’incapacité de nos politiques aboutit ainsi à l’anéantissement du droit français dont ils « se foutent » complètement et qu’ils abandonnent aux Anglo-saxons, à la destruction des professions françaises et même les plus vénérables livrées en pâture à la meute journalistique, à l’effroyable incohérence d’un droit social qui n’a plus ni queue ni tête à force d’être chamboulé, au lieu d’être ramené à l’essentiel, à une réforme territoriale bâclée qui ne règle aucun problème de compétences et qui bafoue les plus belles réalités historiques dont se moque éperdument cette bande de zigotos qui ne connaissent que le catéchisme de leur découpage électoral. Lequel d’entre eux est capable de  s’intéresser à l’histoire, la vraie, celle de nos pays et de nos provinces ? Telle est, résumée en quelques mots, l’activité législative de ces dernières semaines. Allez consulter le Journal Officiel ! 

    Il y a eu des hommes pour accomplir cette œuvre de démolition. éric Zemmour – et c’est son immense mérite – les a admirablement dénoncés dans son Suicide français ; et c’est pourquoi il est l’objet de la vindicte de la classe politico-médiatique, la plus intolérante qui se puisse concevoir dans sa prétendue tolérance. C’est là qu’apparaît le caractère monstrueux du système qui nous opprime. Il appartient à la France de s’en affranchir. Après tout, franc veut dire libre.

     

    * Politique magazine

  • Si les Ruskofs n’étaient pas là… Les réflexions de Jean-Paul Brighelli sur Causeur

     

    Nous ne partageons pas toujours - ce qui d'ailleurs n'a rien d'anormal - les positions de Jean-Paul Brighelli. Par exemple son attachement sans conditions aux Lumières et à leurs suites. Sur ce point nous sommes plutôt de l'avis de Houellebecq qui considère que les Lumières sont éteintes. Et pense que la République n'est pas un absolu transcendant. Ni éternel. En revanche, nous sommes tout à fait en accord avec les critiques que porte Jean-Paul Brighelli dans les lignes qui suivent : à l'égard du gouvernement français qui n'a pas cru devoir être représenté à un niveau convenable lors des cérémonies du 9 mai à Moscou - ce qui est, en effet, une honte - et, d'autre part, à l'égard de la grande vague pédago que la jeunesse de France subit depuis quarante ans. Les termes sont violents. Mais la critique sonne juste ! LFAR

        

    985859-1169345.jpgVous vous souvenez peut-être de cette chanson quelque peu révisionniste — gestuelle comprise :
    « Si les Ricains n’étaient pas là,
    Nous serions tous en Germanie… »
    Réécriture de l’Histoire, pensons-nous à l’époque où nous nous demandions s’il fallait ou non brûler Sardou… L’Histoire, nous disions-nous, en vrais marxistes que nous étions, ne se manipule pas comme ça…

    Mais nous ne connaissions pas les profs d’Histoire post baby-boom. Après 30 ans d’enseignement de la Seconde Guerre mondiale par les diplômés du système Meirieu, que savent les Français formés par nos merveilleux enseignants de gauche et des IUFM réunis ? Que ce sont les Américains qui ont gagné la guerre. Les Russes — les Soviétiques, exactement — ont disparu de leur mémoire. 70 millions de morts pour rien.

    J’ai trouvé ces merveilleuses statistiques sur un site intitulé Histoire et société et qui a ouvert pour l’occasion une page baptisée, en hommage à Michéa (et un peu à la Fabrique) « Enseignement de l’ignorance ». Les statistiques qui y sont citées sont impitoyables. Après quarante ans de pur pédagogisme, les Français ne pensent plus que des Russes ont œuvré magistralement à la chute d’Hitler. On leur a appris quoi, en classe ?

     

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    Question rhétorique. À l’heure où la Chrétienté médiévale, l’Humanisme et les Lumières sont « optionnels » (et nombre de profs d’Histoire — je ne dis pas historiens, hein, mais ils le prétendent, ils le prétendent tous — comme si les profs de Lettres se disaient écrivains ! — ont clairement fait comprendre qu’ils approuvaient la réforme du collège et des programmes d’Histoire « enfin débarrassés du roman national » — pauvres mecs !), je ne sais pas trop si je peux me fier à eux pour faire comprendre aux gosses que Voltaire vaut mieux que laurence de cock (pas de majuscules pour les minus habens).

    D’autant que tous ces imbéciles, qui ont voté Hollande en 2012 (nul n’est à l’abri d’un mauvais choix) s’apprêtent à récidiver — et là, ça devient de l’obstination. Hollande qui a préféré passer le 9 mai (le décalage horaire fait que la victoire est fêté à cette date en Russie) sous les cocotiers au lieu de se joindre à la commémoration moscovite, où 300 000 manifestants après le défilé militaire d’usage, ont défilé en tenant à la main les portraits de leurs parents combattants de la « grande guerre patriotique » — Poutine en tête. Dis, François, il faisait quoi, ton père, pendant la guerre ?

    Je ne suis heureusement pas le seul à trouver ça minable. Les réactions ont plu, à droite comme à gauche — encore heureux ! «L’absence de Hollande est un affront diplomatique autant qu’historique, écrit Mélenchon. J’appelle cela par son nom : c’est une honte. Je souffre pour mon pays qui donne à voir un visage insupportable de sectarisme». Ian Brossat, adjoint (PC) à la Mairie de Paris, voit dans ce boycott organisé par les lèche-semelles de l’OTAN « une honte et une injure », et dénonce cette réécriture de l’Histoire : « Que David Cameron, Angela Merkel et leur allié obéissant, François Hollande, fassent passer leurs préoccupations géopolitiques conjoncturelles avant le respect dû aux morts laisse pantois. Sous prétexte de faire un pied-de-nez à Poutine, ils font un affront à l’histoire », écrit-il. Même son de cloche chez Dupont-Aignan : « Une honte devant l’Histoire. Un affront pour l’avenir ». Il n’est pas le seul. Droite et Gauche confondues sont indignées par la réécriture de la Seconde Guerre mondiale par le PS et ses affidés.

    Oui. Réécriture. À qui la faute ? Qui a été chargé de l’instruction des chères têtes blondes ou brunes dans ce pays depuis les années 70, où nous n’avions, nous, aucune hésitation quand on nous demandait qui avait libéré Auschwitz le 27 janvier 1945 (tiens, Hollande ne s’est pas rendu non plus aux commémorations — il doit croire lui aussi que ce sont les Ukrainiens qui ont libéré des Juifs qu’ils avaient largement contribué à exterminer) ou qui avait accroché quel drapeau sur le Reichstag le 1er mai de la même année ? Et nous savions bien que si les Alliés avaient bravé le mauvais temps le 6 juin 44, c’était pour ne pas laisser les Russes délivrer seuls la totalité de l’Europe.

    Ça leur arracherait la gueule de dire que Staline a gagné à Stalingrad — et ailleurs ? Et que les Soviétiques ont payé le plus lourd tribut à la victoire finale ? Et qu’ils ont des raisons de ne pas supporter que des groupuscules néo-nazis alimentent le gouvernement ukrainien actuel ? Poutine s’est même payé le luxe de remercier les Occidentaux pour leur participation à la victoire. Près de lui, les présidents indien et chinois — bref, tout ce qui va compter dans le monde dans les prochaines années. Le nôtre, de président, se faisait des selfies à Saint-Martin et à Saint-Barth. Bronze bien, pépère… Pendant ce temps, Florian Philipot tweete que cette absence de la France à Moscou est « une offense au peuple russe ». Comment ceux qui s’apprêtent à voter PS parce qu’ils se croient de gauche peuvent-ils supporter que la politique de Hollande donne au FN l’occasion de se draper en bleu-blanc-rouge et de se dire « républicain » ? Ah, ça doit être quelque chose, leurs cours !

    Il faut être singulièrement taré pour ne pas comprendre — comme l’avait fait De Gaulle avant tout le monde — que le soleil se lève à l’Est, et que dans les temps à venir, une nation de troisième ordre comme la France a tout intérêt à ne pas se mettre à la remorque des Allemands, qui ne voient en nous que les vaches à lait de leurs retraités. Et que l’Europe ne pèsera pas bien lourd face à un conglomérat russo-chinois.

    Oui, décidément, l’enseignement de l’ignorance a de beaux jours devant lui. Avec des profs d’Histoire de ce tonneau (et qui d’autre pourrais-je impliquer dans ce révisionnisme insupportable, puisqu’il y a quarante ans, avant que ne déferle la grande vague pédago, nous savions, nous, formés « à l’ancienne », qui avait gagné la guerre ?), c’est sûr que l’on assistera prochainement à des cours d’une objectivité insoupçonnable. Documents à l’appui. Et en bande sonore, ils se passent Sardou ?

    Et ça hurle quand des voix s’élèvent contre le programme de Vallaud-Belkacem ! Et ça explique que si une super-commission patronnée par Pierre Nora se met en place, on « risque » d’en revenir à plus de chronologie !

    Je serais inspecteur, je serais impitoyable avec tous ces petits-maîtres de la désinformation. Je sais bien qu’on les garde parce que personne ne veut faire ce métier de chien. Mais franchement, il y a des révocations qui se perdent. Ou tout au moins des rééducations. 

    Source : Causeur

     

  • Jean-Michel Quatrepoint : « Voilà des années que l'Europe n'a pas voulu se défendre »

     

    Nous suivons toujours attentivement les analyses de Jean-Michel Quatrepoint, notamment dans le cadre des entretiens qu'il donne au Figaro, parce qu'elles sont à la fois extrêmement lucides, réalistes, fondées sur une profonde connaissance des sujets traités, et que les positions qu'elles expriment sont presque en tous points les nôtres. Ainsi, au lendemain des attentats de Paris, Jean-Michel Quatrepoint en détaille, toujours pour Le Figaro, les conséquences économiques et les solutions possibles, notamment sur le plan militaire.  LFAR

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgA l'approche des fêtes, les rues sont désertes. Quelles peuvent être les conséquences économiques des attentats ?

    Les terroristes de Daech poursuivent un double objectif : nous terroriser et asphyxier nos économies. C'est la même stratégie qu'ils ont adoptée en Tunisie et en Égypte. Leurs attentats dans ces pays ont un impact direct sur les recettes touristiques. Toutes proportions gardées, c'est le risque qui nous guette. D'ores et déjà, le chiffre d'affaires du commerce a plongé de 15 % à 30 % selon les secteurs. Les touristes annulent en masse leurs voyages. Or, la période du 15 novembre au 31 décembre est cruciale pour l'activité commerciale. Au niveau macro-économique et budgétaire, ce sont des recettes de TVA en moins, ce qui va creuser le déficit budgétaire. Sans parler de l'impact sur la balance commerciale de la baisse du tourisme.

    Une des erreurs commises ces dernières années est d'avoir cru qu'un grand pays comme la France pouvait faire reposer son économie sur le tourisme et les services, à la place de l'industrie. Les exportations de biens industriels sont beaucoup moins sensibles aux attentats que le tourisme. Pour redonner confiance à une population traumatisée, ainsi qu'aux touristes, il va falloir faire un effort considérable en matière de sécurité. Tout ceci va prendre du temps et coûter fort cher. Il y a une contradiction entre déclarer que l'on est en guerre et ne pas se doter des moyens d'une économie de guerre. Certes, il s'agit d'une guerre d'un type nouveau, asymétrique, mais il s'agit bien d'une agression pilotée de l'extérieur, avec des gens qui ont une volonté de conquête et qui s'appuient sur des alliés à l'intérieur de nos frontières, ce qu'on appelait autrefois la cinquième colonne.

    Comment lutter contre ce double front ?

    Il faut distinguer l'action extérieure et l'action à l'intérieur. À l'extérieur, nous devons concentrer nos faibles moyens sur le Sahel, le Mali. Parce que dans cette région du monde, c'est la France qui a le plus de capacités et de connaissance du terrain. En revanche, il ne faut pas se laisser entraîner dans des opérations au sol en Syrie ou en Irak. Un appui aérien, oui. Mais il appartient aux acteurs locaux de régler le problème Daech. Tout dépend de la Turquie et de son jeu, pour le moins trouble, notamment à l'égard des Kurdes, qui sont les opposants les plus déterminés contre Daech. Mettre tout le monde d'accord va prendre du temps, tant les arrière-pensées des uns et des autres sont grandes. Ce que nous pouvons faire en revanche assez vite, c'est d'asphyxier à notre tour financièrement Daech. En s'attaquant à ses principales sources de revenus: pétrole, trafic d'antiquités, trafic des migrants.

    Avons-nous les moyens de mener cette guerre ?

    Ces actions extérieures ont d'ores et déjà un coût. On tablait sur un budget de 1,2 milliard, cette année. Il sera largement dépassé. Sur le plan intérieur, l'opération Sentinelle mise en place après les attentats contre Charlie Hebdo a épuisé les troupes, policiers comme militaires. Avant le 13 novembre, les mises en garde des syndicats et de la hiérarchie se multipliaient : on ne pouvait pas continuer sur le même rythme. Or, il faut maintenant, bien au contraire, renforcer Sentinelle. Dès lors, se pose le problème des moyens en hommes et en argent. François Hollande a annoncé le recrutement d'ici à fin 2017 de 11 200 fonctionnaires supplémentaires pour la Justice, l'Intérieur et les Douanes. Cela représente un coût de 1 milliard par an. Pour l'armée stricto sensu, on a décidé de suspendre une partie des suppressions de poste prévues dans la loi de programmation militaire. Tout ceci n'est cependant pas à la hauteur des enjeux.

    Mais alors que faut-il faire ?

    Le moment est venu de prendre deux grandes décisions. La première est d'inverser la mécanique de laminage du budget de la Défense qui a été divisé par deux en 30 ans. Il faudrait faire passer en cinq ans de 1,6 % du PIB à 2,6 % du PIB. Pour mémoire, les États-Unis consacrent 3,5 % à leur Défense (plus de 600 milliards de dollars). Et la Russie 4,5 %. Sans parler de l'Arabie saoudite, dont le budget à lui seul est plus du double de celui de la France. Une telle augmentation se traduirait par un budget supplémentaire annuel de 4 milliards d'euros environ, pour l'année 2016. Et de 8 milliards pour l'année 2017. Des montants qui intègrent, bien sûr, les OPEX.

    Ces investissements supplémentaires seront consacrés d'abord au maintien des effectifs - il faut revoir la Loi de programmation - ensuite à leur augmentation. Puis à la mise en place progressive d'un service national civique obligatoire, de quatre ou six mois. Tous les jeunes âgés de 18 ans étant appelés progressivement à y participer. Ils y recevraient une formation militaire de base (l'équivalent des deux mois de classes d'autrefois), une formation au secourisme, ainsi qu'à l'assistance aux populations lors de catastrophes naturelles (inondations, etc.) Pour encadrer ce service national, il faudra recruter en priorité chez les anciens militaires. Tout ceci coûte, mais en même temps cela génère de l'activité sur l'ensemble du territoire. C'est un moyen de réanimer des villes moyennes. Idem pour les équipements. Dans l'armée comme dans la police. Les forces de sécurité doivent avoir des matériels de qualité ce qui n'est plus le cas. Le sous-investissement, notamment en véhicules est chronique. Là aussi, il y a un coût, mais cela génère de l'activité économique. Idem pour les technologies, le numérique. Nos industries de Défense doivent être soutenues. On ne peut pas toujours s'en remettre aux autres, en l'occurrence aux Américains, pour la cyberguerre. Les dépenses militaires , notamment les innovations technologiques irriguent l'ensemble du tissu industriel. Il y a longtemps que les Américains ont compris cela sans parler des Israéliens et des Russes. Nous et les Européens, l'avons oublié depuis vingt ans. J'ai régulièrement écrit dans mes derniers ouvrages, qu'il n y avait pas d'exemple dans l'histoire de territoires riches non défendus qui ne fassent pas l'objet d'une prédation.

    Tout cela va nous faire exploser les déficits ?

    À court terme, oui, mais il faut savoir ce que l'on veut. S'imaginer que l'on peut mener une telle guerre tout en respectant des règles comptables établies à une époque où nous n'étions pas confrontés à de telles agressions et où la croissance était structurellement supérieure de un à deux points est absurde. Vouloir compenser l'augmentation des dépenses de sécurité et de défense par des économies ailleurs est tout aussi irréaliste à court terme. Certes, il va falloir dans le temps mener de profondes réformes, revoir nos systèmes de protection sociale, mais en attendant, il faut accepter une augmentation du déficit. J'ajoute que ces dépenses de sécurité, la mise en place du service national vont avoir un impact positif sur l'emploi.

    Et que dire à Bruxelles ?

    À quelque chose malheur est bon. Le moment est venu d'expliquer à nos partenaires et aux services de la Commission que le premier impératif d'un gouvernement est d'assurer la protection des biens et des personnes qui vivent sur son territoire. Voilà des années que l'Europe n'a pas voulu se défendre. Voilà des années que les pays du Nord et de la Mitteleuropa ont préféré aviver les tensions avec la Russie, plutôt que de faire face à la montée croissante du terrorisme islamiste. Nous sommes en première ligne, comme les Belges et les pays riverains de la Méditerranée. Il s'agit désormais d'une question vitale pour nous. Il faut donc expliquer, gentiment mais fermement, à Bruxelles et aux autres, que c'est ainsi et pas autrement. Il y a un moyen très simple pour que nous respections la lettre des traités budgétaires: sortir les dépenses de Défense des critères de Maastricht. C'est le moment ou jamais de l'exiger. 

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à La Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Il est membre du Comité Orwell.

    Dans son livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maîtres sur la mondialisation.

    Son dernier livre, Alstom, scandale d'Etat - dernière liquidation de l'industrie française, est paru en septembre 2015 aux éditions Fayard.

    Entretien par Alexandre Devecchio             

  • Grèce-Europe : le kairos manqué

     

    Par Olivier Pichon

    Le kairos est, chez les grecs anciens, le moment décisif qu’il faut saisir pour prendre la bonne décision, décision de nature à s’inscrire dans la durée, c’est-à-dire dans l’histoire. Tsipras a manqué une occasion historique de libérer la Grèce, de l’euro et de l’oligarchie à lui attachée, ainsi que de la puissance qui a le plus intérêt à l’euro, l’Allemagne. Le premier ministre grec avoue ainsi son trotskysme originel qui est révolutionnaire dans le champ de l’économie (lutte des classes, opposition au capitalisme des banques internationales) mais pas dans celui de la politique, en l’occurrence celui de la souveraineté et de l’identité. Comme Sisyphe, il est maintenant condamné à rouler le roc de la dette qui ne sera jamais payée. Mais en contraignant son pays à la servitude pour de longues années tandis que les contribuables européens payeront pour une dette irrécouvrable. Tout cela au seul bénéfice du maintien au pouvoir des oligarques européen et, derrière eux, non le peuple allemand, mais la chancelière et ses conseillers.

    La crise grecque est emblématique de l’impasse européenne. Ses différentes facettes sont la Grèce elle-même, la France, mais aussi l’oligarchie européenne. Demeure une question : l’Europe d’inspiration légitime, mais dévoyée, n’est-elle pas sur le point d’avorter ?

    Tsipras trotskyste un jour ?

    On ne finit pas de s’interroger sur le revirement de Tsipras qui, par le référendum, s’était assuré de l’appui de son peuple épuisé par six années de vaches maigres. Lui qui avait dit non au plan européen se voit désormais imposé les réformes voulues par les oligarques bruxellois ! Augmentation de la TVA, fin des avantages fiscaux pour les îles grecques, recul de l’âge de la retraite, cotisations de santé pour les retraités majorées, hausses des taxes sur les sociétés et les compagnies maritimes, reforme du marché du travail… La Grèce n’ayant pas joué le jeu de l’euro qu’elle a pourtant prétendu intégrer, ces mesures pourraient relever d’un certain réalisme économique. La crise a en effet commencé quand le ministre grec des finances annonça, en 2009, que le déficit public était de 12 ,5 %… loin des 3,7% annoncés ! Il est maintenant trop tard et le problème n’est plus économique mais politique.

    En réalité, la voie de l’extrême-gauche est bouchée en Europe. Le mouvement Podemos, en Espagne, peut s’interroger sur l’avenir de ses propositions alors que l’économie espagnole a commencé un redressement dans l’austérité. En échange de liquidités, Tsipras veut imposer au pays ces mesures qui ne résoudront pas le problème mais, au contraire, vont l’aggraver. Personne ne parie aujourd’hui sur leur succès. L’ineffable Strauss-Kahn le premier qui ne s’est pas toujours trompé sur les dossiers économiques ! Néanmoins, accepter le jeudi ce que le peuple a refusé e dimanche précédent ne laisse pas d’intriguer… Tsipras avait pourtant le choix : ou il démissionnait, ou il sortait de l’euro. Mais, comme l’on sait, les traités ne prévoient pas ce scenario (pourtant, un traité est un contrat et quel contrat serait valide s’il ne comprenait pas une clause de résiliation ?). C’est dire l’assurance qu’avaient Kohl Mitterrand et Delors du succès de leur entreprise !

    Tsipras demeure donc prisonnier de l’oligarchie européenne. On aura noté au passage que voilà un énième référendum qui est contrevenu par les dirigeants européens. A l’appui de la manœuvre, il y avait cette fois des espèces sonnantes et trébuchantes (80 milliards d’aide plus 35 milliards d’investissements, ces derniers déjà inscrits). Et l’euro est sauvé !

    Nous croyons, en réalité, Tsipras fortement européiste, et, en tant que trotskyste, attaché à «  l’internationalisme européen ». Il faut avoir vu sa moue méprisante et renfrognée lorsqu’au parlement européen, Nigel Farrage, président de l’UKIP, prit la défense du peuple grec en montrant que les peuples européens « n’avaient jamais demandé cela (l’Euro et les contraintes de la Commission) car cela ne marche pas » ; qu’un nouveau mur de Berlin s’était érigé de fait, non pas entre l’est et l’ouest, mais entre le nord et le sud : le mur de l’euro ; et qu’en conséquence, c’était folie de continuer ainsi pour le seul bénéfice des banques européennes ; que Tsipras, ne pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre (have the cake and eat it !)… C’est-à-dire la souveraineté populaire et la soumission financière.

    La France en dessous de tout !

    Rappelons d’abord que la France c’est, du point de vue de la dette, la Grèce en pire. Qu’on en juge. 35 heures, 24% d’actifs fonctionnaires avec les jours de carence en plus, retraite à 62 ans, 57% du Pib dépensés par l’Etat, dépenses sociales à 9848 euros par habitant, 1% de la population mondiale et 7% de la dépense sociale du monde, réduction de la dépense publique portant surtout sur la défense (34 MD pour la défense et 652 MD pour la dépense sociale de surcroît en partie financée par l’emprunt)… Une différence néanmoins : la Grèce a un déficit primaire plus petit que celui de la France (3,5 % contre 4%) avec une dette de 177% du PIB contre quasiment 100% pour la France. Mais c’est sans compter la dette cachée, par exemple les retraites de la fonction publique payables sur les futurs budgets. Dans ces conditions Hollande est-il bien placé pour soutenir les exigences du FMI à l’endroit de la Grèce ? Il a fait, comme à son habitude, de la grossière récupération en vantant les mérites de cet accord dont l’espérance de vie est manifestement faible. Que pourra-t-il dire encore s’il avorte avant la fin de son mandat ? Que sa péroraison pitoyable reposait sur du vent ?

    298 milliards, c’est le montant de la dette grecque. Qui peut raisonnablement penser qu’elle sera remboursée ? Sa structure est massivement constituée par des créanciers publics (FESF-FMI-BCE-UE) et seulement un petit 45 milliard détenus par des créanciers privés. Autrement dit, les peuples et les citoyens européens sont ignorés, saufs pour leur contribution fiscale. Aux temps de lord Byron on se demandait s’il fallait mourir pour la Grèce. Aujourd’hui c’est: faut-il payer pour la Grèce ? Les données structurelles de l’économie mondiale ne permettent évidemment pas de rembourser une telle dette. Cependant, le problème grec n’est que l’arbre qui cache la forêt car la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette totale de la zone euro. C’est dire si cette crise est une crise européenne et française. Une crise de l’Etat providence consolidé à prix fort en contradiction avec le projet européen de libéralisation de l’économie.

    Deustchland uber alles ! La Grèce exécutée sur l’autel de l’euro.

    Loin de nous l’idée de cultiver de vieilles rancœurs mais force est de constater que la loi européenne, en cette occurrence, est une loi allemande et que c’est elle qui a gagné ! Aucun changement aux obligations d’austérité pour la Grèce qui produiront à leur tour l’arrêt de toute croissance, aucune décote sur la dette, le vote du referendum du 6 juillet passé par pertes et profits… L’Allemagne, dans le passé, a pourtant vu ses dettes effacées avec le plan Dawes et le plan Young (dans les années trente), puis au moment de sa reconstruction dans les années cinquante et au moment de la réunification. Dans cette affaire, force est de constater que la France a été tout simplement à la remorque de l’Allemagne. En dépit des rodomontades du sieur Hollande, celui-ci, une fois encore, n’a pas été à la hauteur des enjeux et, n’ayant à l’esprit que la survie de l’euro, s’est comporté en supplétif de la chancelière allemande. Remarquable exemple de déni de la réalité – la dette grecque est irrécouvrable – et d’idéologie contre l’intérêt des peuples – la nécessité de l’euro.

    Si l’exécutif français avait refusé et dit publiquement qu’il n’admettait pas que le projet européen devienne un instrument de l’Allemagne, la chancelière eut probablement reculé et se fut quelque peu amadouée. Car la monnaie unique et ses institutions non élues sont les deux tares congénitales de l’Europe. Or le pouvoir existe toujours et l’Europe ne l’a pas aboli, elle l’a déplacé. Ce dernier se divise rarement et, dans cette crise, il fut allemand. Le plus grave est qu’aujourd’hui, il semble que la dégradation historique du processus européen rende impossible une autre Europe. Sauf à sortir de cette Europe des créanciers. On a rarement vu dans l’histoire qu’une politique de change fixe ne finisse par s’effondrer. Voyez le système de Brettons Woods dont l’agonie s’étendit sur plus d’une décennie (1965 1976).

    Ainsi, nous léguons à nos enfants une Europe des dettes avec son cortège d’huissiers. Bel héritage en vérité ! Le singe d’Ésope et de La Fontaine (on peut lui prêter le visage de l’un de nos dirigeants européens), juché sur un dauphin qui l’a (temporairement) sauvé du naufrage, peut croire que le Pirée est devant lui, le pire l’est aussi. 

     

  • Pourquoi le Grexit est plus que jamais d'actualité

     

    Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au Figaro, constate ici à quel point les négociations en cours à Athènes entre les créanciers et le gouvernement Tsipras se trouvent compliquées par la situation économique grecque, bien plus catastrophique qu'on l'imaginait encore à la mi-juillet. Compromises aussi par les divergences de fond entre les positions française et allemande. Oppositions qui amènent à douter du maintien de la Grèce dans l'Euro, aussi bien que de la pérennité de l'Euro, au moins comme monnaie unique. LFAR

    La bourse d'Athènes a chuté d'environ 20% en deux jours, depuis sa réouverture le lundi 2 août après cinq semaines de fermeture. Cette dégringolade, sans précédent depuis le krach mondial de l'automne 1987, aurait été sans doute encore plus sévère si les contrôles de capitaux ne restreignaient pas les ventes auxquelles les Grecs eux-mêmes sont autorisés à procéder. Alors que les investisseurs étrangers détiennent 60% des titres des entreprises grecques cotées en bourse, le plongeon exprime la défiance vis-à-vis de la Grèce et le délabrement de son économie.

    La question se pose donc à nouveau : en dépit des propos lénifiants de Pierre Moscovici, le Commissaire européen, (« nous allons dans la bonne direction »), l'accord de principe signé le 13 juillet sur un troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros est-il réellement viable ?

    Ce programme vise avant tout à permettre à la Grèce d'assurer ses échéances financières les plus urgentes. La plus immédiate concerne le remboursement de 3,2 milliards d'euros à la BCE sur les titres de l'Etat grec que détient cette dernière et qui arrivent à échéance le 20 août prochain. Négocié par les créanciers désormais regroupés en quatre institutions (FMI, BCE, Commission européenne à laquelle s'ajoute le Mécanisme européen), sous la houlette des ministres des Finances de la zone euro, la démarche est essentiellement de nature financière.

    Outre les remboursements que l'Etat grec ne peut effectuer, faute d'enregistrer un excédent budgétaire, faute également de pouvoir avoir accès aux marchés financiers qui lui sont interdits de facto, il s'agit aussi de recapitaliser les banques grecques. Ces dernières sont actuellement tenues à bout de bras par la BCE qui viole ses propres règles prudentielles, sinon il y a des mois que le système bancaire de la Grèce aurait explosé et serait en totale faillite.

    Et last but not least, ces 86 milliards d'euros, sont censés financer sur les trois ans à venir toutes les dettes qui viennent à échéance, mais aussi les dépenses courantes que l'Etat est incapable d'équilibrer en levant des impôts.

    Malheureusement, le jeu donnant-donnant (Athènes consent des réformes essentiellement budgétaires et fiscales pour obtenir les 86 milliards) fait plus ou moins l'impasse sur la situation réelle de l'économie. Or celle-ci s'avère bien plus dégradée qu'on l'imaginait encore il y a trois semaines quand fut élaboré « l'accord » du 13 juillet.

    La déroute s'est opérée en trois étapes. D'abord les élections du 22 janvier : elles ont conduit au gouvernement Tsipras, lequel a tourné le dos aux mesures de rigueur de ses prédécesseurs.

    Puis s'est produite une dégradation irréversible de l'économie et de la confiance, au fur et à mesure que la nouvelle équipe mettait en place son programme et dénonçait la pression des créanciers.

    Et enfin, troisième temps, une dramatisation violente, avec l'annonce surprise, le 28 juin, du référendum où le peuple grec s'est prononcé (5 juillet) contre le nouvel accord qui venait d'être conclu les jours précédents avec les créanciers par l'équipe d'Alexandre Trispras elle-même. Ce dernier a fait campagne pour le « non » dénonçant sa propre signature au plan international !

    Au moment des élections de janvier et alors que la Grèce avait enregistré une faible croissance de 0,4% en 2014, après sept années d'un recul ininterrompu conduisant à une amputation d'un quart de son PIB, le FMI tablait sur une augmentation de 2,9% en 2015. Ce scénario a très vite tourné court. Quand l'ensemble des pays de la zone euro renouaient avec l'expansion au premier trimestre (de 0,6% en France notamment), Athènes retombait dans la récession (recul de 0,2% du PIB). Les résultats du deuxième trimestre ne sont pas encore connus (ils le seront le 14 août). En revanche on sait d'ores et déjà que la production industrielle a reculé de 2% en avril, qu'elle s'est effondrée de 5% en mai, et que le mouvement s'est sans doute poursuivi en juin à ce même rythme.

    Certes l'industrie n'est qu'une partie de l'activité économique (particulièrement faible en Grèce où elle ne représente que 10% du total), mais les autres secteurs (agriculture, services, commerce) subissent une atonie assez semblable. Les économistes du cabinet britannique Capital Economics tablent ainsi sur une chute du PIB de l'ordre de 2% au deuxième trimestre, laquelle risque de s'amplifier dans la seconde partie de l'année. Le PIB pourrait ainsi diminuer de 4% sur l'ensemble de 2015.

    Un tel plongeon paraît aujourd'hui fort probable compte tenu de la déroute économique qui s'est enclenchée dès l'annonce du referendum du 28 juin. Car dans la foulée il y eu la décision prise par Alexis Tsipras de fermer les banques et la bourse et d'instaurer des contrôles de capitaux. Lesquels demeurent malgré la réouverture des banques et de la bourse d'Athènes. Or les dégâts sont considérables. Pénurie de crédits bancaires, assèchement des commandes publiques de l'Etat soucieux de payer les fonctionnaires et les retraites, mais beaucoup moins d'honorer ses fournisseurs, au total l'activité des PME et notamment du commerce aurait été divisée par deux selon un sondage de la fédération professionnelle du secteur (GSEVEE). Même si ce genre d'information ne saurait être pris argent comptant, surtout dans un pays où l'économie souterraine reste essentielle, la désorganisation fait des ravages.

    L'effondrement de la confiance entre les Grecs eux-mêmes - PME et particuliers - est d'autant plus grave que cela tend à amplifier les effets mécaniquement déprimant des mesures d'austérité (sur les retraites ou la TVA par exemple), lesquelles sont par ailleurs nécessaires.

    Comment sortir d'un tel cercle vicieux, alors que la Grèce aurait besoin d'un « new deal », d'une nouvelle donne, pour repartir d'un bon pied ?

    Tel est le dilemme du « quartet » des créanciers : ils sont effrayés d'avoir à offrir 86 milliards d'euros, mais ils se montrent incapables de dessiner un scénario roboratif tellement la tâche de reconstruction de l'économie et de la société grecques semble pharaonique. Les quatre membres du quartet sont d'ailleurs loin d'être unis si l'on en juge par l'attitude du FMI : ce dernier se déclare à la fois partisan d'un allègement de la dette (les Européens s'en tiennent à un rééchelonnement), tout en annonçant qu'il est hors de question que le FMI mette de l'argent supplémentaire (ses propres règles et ses 189 pays actionnaires, dont les Etats-Unis, s'y opposent fermement).

    Au sein même des pays Européens, les points de vue demeurent fondamentalement dissemblables. Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, n'a toujours pas ravalé l'idée de faire sortir « temporairement » la Grèce de l'euro. « Sur ce point (du Grexit) il y a un désaccord, un désaccord clair » a admis Michel Sapin, son homologue français, dans une interview au quotidien de l'économie Handelsblatt. Notre ministre des Finances, qui est pour sa part totalement hostile au Grexit, reconnaît donc implicitement que la question est loin d'être définitivement réglée.

    La différence de points de vue entre Schaüble et Sapin, entre l'Allemagne et la France, est à vrai dire fort simple et traditionnelle. Outre-Rhin on part des réalités de terrain, on considère que l'économie grecque est réellement inapte à vivre avec une monnaie surévaluée pour elle, sans doute de moitié compte tenu de sa compétitivité et du dépérissement de ses entreprises.

    En France on s'en tient à une analyse formaliste, « si vous autorisez qu'un pays puisse sortir temporairement, cela signifie que tous les autres pays en difficulté vont vouloir se tirer d'affaire par un réajustement de leur monnaie », explique Michel Sapin.

    Les deux points de vue sont parfaitement exacts et défendables. D'un côté l'éthique de la responsabilité et de l'autre l'éthique de la conviction, pour reprendre l'opposition célèbre de Max Weber. Schaüble le comptable pointilleux, Sapin le béat généreux.

    Mais la tension n'en est pas moins intenable entre les deux, et il faudra bien finir par trancher. C'est pourquoi on suivra avec la plus grande attention les indicateurs de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la santé de ses entreprises ou du chômage de ses habitants.

    Figarovox

     

  • Macron, fils d’Hypnos ?

     

    par Edouard de Saint-Blimont

     

    Les sondeurs pensent dorénavant que rien n’entravera la course de l’homme « en marche » vers l’Elysée : hors-système, au-dessus des partis, l’Emmanuel universel qui semble savoir déceler l’énergie vitale dont le peuple est traversé, celui dont chaque discours est une occasion toujours renouvelée de communier avec ses « amis », ses « semblables », peut-il faillir dans son irrésistible ascension ? Vous a-t-il échappé qu’il dépassait de cent coudées tous les autres candidats ? Et feriez-vous partie de ceux qui ne savent pas repérer la grandeur où elle se trouve ?

    En réalité, il suffit d’écouter une seule fois l’un de ses discours pour comprendre qu’Emmanuel Macron n’a ni charisme, ni profondeur, sa vacuité est désespérante. L’homme  en marche, pour finir, n’a peut-être pas plus d’épaisseur que l’Homme qui marche de Giacometti. Inutile de perdre son temps à examiner les lignes « naissantes » de son programme flou, je laisse le soin à d’autres de faire le tour… des trous.

    Ce qui m’intéresse davantage, c’est de rappeler qu’on peut s’évertuer autant qu’on veut, à se donner la carrure d’un chef charismatique, le fait même de s’y évertuer signale déjà qu’on est dépourvu des qualités qui sont inhérentes au grand homme. Je renvoie le lecteur au livre de l’historien Patrice Gueniffey qui aborde la question de la genèse du grand homme, à travers l’étude de deux figures exemplaires, Napoléon et De Gaulle (Perrin, 2017).

    Pour le cas modeste qui nous occupe ici, il faut se référer au discours que Macron a prononcé à Lyon pour repérer, dès le début du discours, une tentative désespérée du bonhomme pour transfigurer sa petite personne. D’autres usent d’hologrammes, façon Guerre des Etoiles. Lui, plus classique, convoque la littérature de la Résistance. La salle une fois chauffée et l’assurance étant donnée par le candidat qu’il s’adressait à ses « amis », celui-ci évoque une scène des Feuillets d’Hypnos du poète résistant, René Char. Il s’agit de la fameuse scène des Feuillets située au fragment 128, où René Char, qui dirige un maquis, a trouvé refuge dans un village pour se cacher des Allemands. Or ceux-ci investissent le village et torturent un jeune maçon pour l’obliger à leur livrer le chef du maquis. C’est alors, raconte Char, que de partout la marée des femmes, des enfants et des vieillards, sortant de leurs maisons, entourent les nazis, les obligeant à refluer. Entre ces êtres magnifiques d’abnégation et le chef tapi derrière les rideaux d’une maison d’où il observe la scène sans pouvoir bouger, circule un sentiment très fort et  Macron cite alors la phrase qui l’intéresse plus particulièrement : « Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre » et « J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là… »

    Macron a trouvé dans cette remarque la matrice même du lien puissant qui l’unit aux français, il n’hésite d’ailleurs pas à comparer immédiatement la situation du peuple Français à celle des villageois : eux, poussent les nazis, le peuple français, lui, pousse la « peur, la mauvaise colère, les passions tristes qui veulent gagner le pays ». Quant à Macron, nouveau résistant, il peut déclarer que lui aussi tient à ses amis par mille fils confiants.

    D’assimilation en assimilation, les vertus du chef maquisard sont reversées au profit du candidat qui finira par s’approprier sans vergogne les propos du poète en les adressant à son public ce soir-là : « je vous aime farouchement. »

    Pour qui y réfléchit deux secondes, les situations n’ont rien de comparable, il y a un abîme entre la situation de Char, cerné par les Allemands et celle de Macron, cerné…par deux candidats que les médias s’emploient à anéantir, la comparaison est ridicule. On se récrie : les déclarations de Char ont évidemment un sens tragique qu’on ne peut, en aucun cas, retrouver dans la situation de Macron. Technique de banquier après tout : Macron aura tenté une OPA sur le texte de Char.  Elle signale un cynisme habituel chez ce professionnel de la finance et sans doute aussi une impuissance chez cet homme, éduqué chez des jésuites chafouins, à évaluer avec justesse et pudeur les situations humaines. OPA réussie ? Pour le « gros populas », dirait La Boétie, sans doute. Ecouter sans broncher un discours de Macron suppose déjà une bonne dose d’inculture. Pour ceux, tout de même plus critiques qu’on ne l’imagine et plus nombreux qu’on ne le croit, certes non.

    Cela étant, on serait tenté de dissiper chez ces derniers un léger malaise subsistant : tout de même, un homme qui cite Char n’est-il pas meilleur qu’un Sarkozy qui n’avait même pas lu La Princesse de Clèves ? Lire Char n’est-il pas un gage d’humanité ? Je serais tenté de soutenir qu’on peut, au-delà des contextes, déceler une filiation entre le poète surréaliste et le politicien socialiste, habitué à placer l’imagination au pouvoir. Sommés que nous sommes depuis cinq ans de trouver une profondeur dans les propos les plus nuls de nos gouvernants, de prendre pour des vérités d’Evangile les mensonges que la réalité dément à l’évidence, nous devrions, dans la foulée, profiter de l’occasion pour garder quelque distance critique à l’égard des poètes surréalistes que des cohortes d’enseignants-à-la-sensibilité-de-gauche s’emploient à faire admirer aux élèves.  René Char ne peut échapper à cette mise en garde. Je relève, au hasard, dans le fragment 27, cette remarque du poète, à propos d’une réflexion d’un de ses hommes :

    « Léon affirme que les chiens enragés sont beaux. Je le crois. »

    Exemple typique d’un propos surréaliste. C’est lapidaire, cela ne tombe pas sous le sens, mais c’est abrupt : on ne peut songer à le mettre en question. Vous êtes prié d’en trouver la raison dans la subjectivité parfois bizarre du poète. Par un tour de passe-passe, qui est aussi un véritable coup de force, on vous invite à considérer avec sérieux les propos les plus décousus. Mais chacun le sait depuis Breton et Desnos : c’est en s’abandonnant à l’automatisme qu’on a des chances de voir surgir les vérités les plus hautes !

    Vous mettez ainsi en sommeil votre bon sens, vous acceptez les niaiseries sans broncher car ce serait faire preuve d’une singulière étroitesse d’esprit que de jeter le discrédit sur une démarche aussi géniale. Je m’offusquais plus haut que Macron se soit approprié le discours de Char en faisant fi du contexte : je ne suis décidément pas réceptif aux grands moments surréalistes de notre génial tribun.

    C’est que je refuse qu’on m’endorme, je me méfie d’Hypnos le dieu grec du sommeil. Hypnos est le nom de code du chef de maquis qu’était René Char.

    Macron serait-il le fils d’Hypnos ? 

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  • Haro sur Hamon

    Benoît Hamon meeting de campagne a l'Institut national du judo, Paris, le 18 janvier  Libération 

    Par François Marcilhac

     

    4115840658.jpgLa large victoire de Benoît Hamon aux primaires citoyennes du Parti socialiste ne doit évidemment pas occulter le malentendu que celle-ci recouvre. Certes, alors que Valls demandait à Hamon, en mai 2016, de quitter le PS s’il déposait une motion de censure contre le gouvernement sur la loi travail – ce qu’Hamon s’est bien gardé de faire –, il est piquant de constater que c’est Valls que les électeurs socialistes ont décidé de chasser, sinon du Parti socialiste, du moins de la course à l’Élysée. Une belle revanche, en effet, pour ce frondeur… en peau de lapin, qui n’a eu de cesse de ménager l’exécutif durant tout le quinquennat, au bilan catastrophique duquel il a participé comme ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire puis comme ministre de l’Éducation nationale, avant de démissionner fort opportunément avec Montebourg à la fin du mois d’août 2014 – quelques jours avant la rentrée scolaire ! Quel sens des responsabilités pour un ministre de l’Éducation ! Son objectif ? Quitter un navire en voie de perdition suffisamment tôt pour se refaire une virginité avant les primaires citoyennes . Ce qui, semble-t-il, lui a mieux réussi qu’à Montebourg, réduit à jouer les utilités. Benoît Hamon a donc pu faire oublier ses cinq années de compromission avec Hollande, auprès d’électeurs qui ont surtout, selon le bon vieux réflexe poujadiste qui traverse tous les courants politiques, sorti, ou cru sortir les sortants !

    Petits calculs politiques

    Le Parti socialiste explosera-t-il ? Valls attend désormais son heure, espérant comme jadis Mitterrand ramasser à plus ou moins brève échéance un parti à reconstruire tout en recueillant les fruits des échecs de la droite. Car la victoire de l’ex-jeune rocardien Hamon, qui, selon Jacques Sapir, commentant l’élection sur son blogue, est avant tout celle de ses réseaux, ne serait peut-être qu’en trompe-l’œil si, en effet, la sincérité sociale de son programme venait à être ébranlée. Alors, tandis que la droite du PS irait voir du côté de Macron, candidat attrape-tout, la gauche irait renforcer les troupes d’un Mélenchon jugé plus authentique – même si les premiers sondages démentent pour l’instant ce cas de figure. Il n’en reste pas moins que c’est bien l’homme (réputé) le plus à gauche que les électeurs socialistes ont décidé d’investir pour la présidentielle, prouvant que le réflexe identitaire, lui aussi, traverse tous les courants. Le quinquennat de Hollande a brouillé tous les repères d’un électorat pensant en 2012 qu’avec la victoire de leur candidat la finance internationale, enfin, ne dicterait plus ses ordres au gouvernement français, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de Bruxelles ou de Berlin. Or, à peine élu, Hollande a trahi tous ses engagements sans que le pays en tire aucun profit, le chômage ayant même grimpé comme jamais en cinq ans ! À tort ou à raison, c’est donc bien en obéissant à un réflexe identitaire de gauche que les socialistes ont porté Hamon à la candidature – une gauche revenue à ses sources, en dépit de ses évolutions. Car le programme social de Hamon vise à renouer avec un progressisme censé apporter le paradis terrestre. Le travail, malédiction biblique ? Qu’à cela ne tienne ! Nous nous dirigeons nécessairement – tel est le sens de l’histoire – vers la société du non-travail, et le revenu universel et les 35 heures, voire les 32, ne feraient qu’accompagner cette utopie en cours de réalisation. De fait, Hamon tente la synthèse d’un discours social archaïque avec le discours libéral-libertaire – il est notamment favorable à l’euthanasie et à la légalisation du cannabis –, en vue de faire passer la pilule d’un mondialisme toujours plus agressif, la méthode Hollande-Valls d’un ralliement direct au social-libéralisme ayant échoué auprès des Français. Mais, pas plus qu’Hollande ayant menti en 2012 sur sa volonté de renégocier le traité budgétaire européen, Hamon n’envisage vraiment, une fois au pouvoir, de négocier – avec quels partenaires ? – la création d’une alliance interétatique, politique et sociétale (sic) visant à imposer un moratoire de la règle arbitraire des 3 % de déficit imposée par Berlin via Bruxelles. En revanche, on peut lui faire confiance sur sa volonté de fusionner, au détriment des classes moyennes, l’impôt sur le revenu et la CSG ou, comme le souhaite France Stratégie, de s’attaquer au patrimoine des Français, en vue de financer notamment sa politique immigrationniste généreuse. Il veut en effet priver les Français des fruits, péniblement gagnés, de leur travail, transmis à leurs enfants sous forme d’héritage, en utilisant une partie, toujours plus grande, gageons-le, de droits de succession toujours plus onéreux – gageons-le également –, pour financer la « solidarité sociale » qui deviendra sous son quinquennat un véritable tonneau des Danaïdes. Puisque, outre le financement du non-travail, Hamon ouvrira grandes les portes à tous les « migrants » du monde entier : il se veut en effet beaucoup plus généreux en matière de droit d’asile, et, à cette fin, instaurera des visas humanitaires. Il voudrait aussi multiplier par deux le nombre de places en centres d’accueil de demandeurs d’asile et instaurer un droit au travail sous certaines conditions pour les migrants – un droit dont, en revanche, seraient privés les Français !

    Justin Trudeau de gauche

    Car le programme de ce Justin Trudeau de gauche – Macron n’étant, au fond, que son clone du centre-droit – est cohérent. Valls n’a pas eu tort, durant la campagne des primaires, de dénoncer en lui son manque de clarté sur la laïcité – nous préférons dire : sur l’identité nationale, ce qui n’est pas exactement la même chose. Hamon, qui est favorable au voile islamique, imposerait à marche forcée une communautarisation de la France, déjà bien entamée, au profit de l’islamisme le plus radical, à l’exemple de son fief, la ville de Trappes dans les Yvelines, dont il veut faire le modèle de la France de demain. Plaidant pour des « accommodements qui, dans le respect de la laïcité et des principes de la République (sic), permettront à l’islam en France de trouver une place semblable à celle des autres religions », il mettrait en place deux mesures phares : imposer partout, et même à l’enseignement privé, une prétendue « mixité sociale » visant à dissoudre l’Éducation « nationale » dans une dynamique communautariste ; créer une « brigade de lutte contre les discriminations », qu’il ose présenter comme un « nouveau service public », alors que cette milice, sur le modèle de la Muttawa séoudienne traquant les récalcitrants à l’islamiquement correct, traquerait tous les récalcitrants à ce religieusement correct que serait devenu le communautarisme. Immigrationniste et mondialiste – un pléonasme, c’est vrai –, Hamon est bien le candidat des « territoires perdus de la république » abandonnés à l’islamisme : il en est même le porte-parole. Son élection, dont les premières victimes figureraient parmi la frange la plus populaire, au sens vrai du terme, de son électorat, porterait un coup supplémentaire à l’identité nationale et ferait courir un risque sérieux à la paix civile.

    Jamais une élection n’aura été aussi ouverte, d’autant qu’à l’heure où nous écrivons nous ne connaissons pas les développements de l’affaire – ou des affaires – Fillon, désormais au coude à coude, dans les sondages, avec Macron, tandis que Marine Le Pen stagne. La présentation, ces 4 et 5 février, à Lyon, de ses 144 engagements permettra-t-elle d’enrayer la lente érosion de son électorat ? Tout dépendra évidemment de la teneur d’un programme qui sera, de toute façon, diabolisé par le système. Nul besoin, donc, de chercher à lui plaire ! 

    François Marcilhac

    Action française 2000

  • Société • Burgers Five Guys : le coup de gueule de Xavier Denamur contre la (Oba)malbouffe

     

    Par Xavier Denamur           

    HUMEUR - La chaîne de burgers préférée de Barack Obama arrive à Paris. Xavier Denamur - restaurateur et militant contre la malbouffe - est allé tester Five Guys. Verdict : si vous aimez les frites molles, le steak haché hypercuit, la salade en plastique et les champignons en conserve, courrez-y [Figarovox, 11.08]. Quant à nous, nous avons une forte propension à croire qu'il a raison.  LFAR

    Il paraît que les Français mangeront bientôt plus de hamburgers que de Paris beurre. On me dit qu'à part quelques rares résistants qui finiront par succomber au charme grassouillet de ce mets sucré-salé, la moindre gargote que compte la Gaule présente fièrement sur sa carte au moins un hamburger. Certains de mes collègues se vantent même d'en réaliser des versions gastronomiques, allant jusqu'à y introduire du foie gras. Personnellement, depuis que Jacques Borel m'a expliqué dans République de la Malbouffe que le hamburger était un sous-produit du travail des femmes, j'ai décidé de ne jamais inscrire ce plat à la carte de mes bistrots.

    La France terre de prédilection et d'expérimentation de la bonne bouffe aurait donc définitivement succombé à la mauvaise bouffe et serait même en passe de devenir la plus belle terre d'accueil de tous les géants du fast-food. Hors USA, c'est en France que McDonald's réalise son plus gros chiffre d'affaires. Five Guys, le petit poucet du secteur avec seulement 1350 restaurants ne pouvait pas passer à côté de l'eldorado tricolore. Depuis le 1er août, l'enseigne favorite de Barack Obama a pignon sur rue à Bercy Village. Je m'y suis donc rendu, curieux de découvrir ce que l'homme le plus puissant du monde trouve d'extraordinaire aux hamburgers Five Guys.

    Mardi 2 août à 15h , il y a encore une heure d'attente devant l'unique point de vente de la marque qui ouvrira début 2017 les portes de son navire amiral sur les Champs Élysées, avec 1500 mètres carrés, ce Five Guys sera le plus grand du monde, cocorico ! La communication bien huilée du groupe, reprise en boucle sur la plupart des médias fonctionne à plein tube. Les aficionados du « vrai burger », les déçus du Big Mac et les « je me fous de ce que je mange pourvu que ça soit bon » sont là.

    Passé l'attente où on vous fait remplir une fiche avec votre commande que la personne à la caisse balancera à la poubelle, vous pénétrez enfin dans le temple du « vrai hamburger américain ». A peine le seuil passé, vous tombez nez à nez avec une montagne de sacs de pommes de terre Innovator de la marque Terroir d'origine en provenance de Hollande. Ayant entendu que ce nouvel acteur de la restauration rapide se fournissait localement, je suis tout de suite rassuré en me rappelant que vu des USA, acheter local signifie se fournir en Europe.

    Une chose est certaine si le personnel est sympa, normal me direz vous, il vient de commercer, le résultat dans le sac en papier kraft et le gobelet est gras, salé et surtout sucré, loin d'être à la hauteur de la communication maison où tout serait réalisé sur place avec des produits frais.

    Ayant prétexté une allergie à certains stabilisants, conservateurs et autres joyeusetés industrielles qui inondent la malbouffe, on m'a amené le « guide des ingrédients » Five Guys que vous pourrez consulter sur le PDF ci-dessous. Et bien alors que la personne à la caisse m'a garanti mon « milkshake fait maison », à 6€50 on pouvait l'espérer, le responsable du site va venir gentiment me le rembourser. Il est vrai que l'agent de conservation E 202 de la vanille ou l'émulsifiant mono- et diglycérides d'acide gras (E 471) ou l'agent de propulsion oxyde nitreux E492 de la crème fouettée faisaient plus usine que « fait maison » et risquaient de me faire mourir d'un hypothétique œdème de Quincke.

    Alors que les médias rapportaient le 1er août, jour du lancement en grande pompe de la marque dans l'Hexagone, sans vérification, la belle communication maison des hamburgers Five Guys premium réalisés avec des produits frais, mes champignons de « Paris » grillés sortaient d'une boite.

    Si les frites sont visiblement fraîches puisque les sacs de pommes de terre trônent à l'entrée avec des cacahouètes hyper salées en libre service, elles sont surtout hyper grasses, plutôt molles et cerise sur bide, elles sont plongées dans de l'huile de friture d'arachide raffinée avec fameux anti-moussant E900 ou diméthypolysiloxanne, un additif classé possiblement cancérigène par l'Association pour la Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse (ARTAC).

    Quand le manager m'a appris que la viande hachée « premier choix » fraîche venait d'Irlande, j'aurais souhaité qu'il me communique le pourcentage de matières grasses, m'explique comment elle est conditionnée afin de pouvoir l'utiliser à plus 24h sans être sous atmosphère contrôlée et pourquoi on ne peut pas obtenir saignant son steak. Quand il m'a dit que c'était comme cela que la viande était la meilleure, que c'était la politique de la maison, je me suis souvenu de la séquence du film Fast food nation où Bruce Willis explique pourquoi il faut bien cuire la viande (Bruce Willis « Shit in the meat , Just Cook It » à partir de 8'33).

    Après une bonne dizaine de minutes à essayer de me convaincre de la qualité premium de ses produits, le manager a fini par me renvoyer vers la directrice de clientèle chez Le Public Système PR en charge de la communication du groupe. Cette dernière encore moins au parfum de la réalité des arrière-cuisines de Five Guys m'a servi au téléphone le discours prémâché régurgité sans état d'âme par la plupart des médias. Quand elle m'a raconté que tous les légumes étaient découpés dans la cuisine chaque matin et que les champignons frais étaient livrés par un fournisseur de Rungis, ayant le « guide des ingrédients » Five Guys sous les yeux, elle a failli me faire tomber de ma chaise. Après avoir raccroché, je me suis dit que la vérité était une éventualité plutôt rare de la communication.

    Bref on est très loin du « fait maison » et ce n'est pas demain la veille, contrairement à l'affirmation de la directrice de la communication, que l'on verra affiché le logo officiel (une petite casserole coiffée d'un toit de maison) à l'entrée de cette chaîne de fast-food.

    Résultat des courses :

    Pour 19€ , après une heure d'attente évitée, on m'a servi en 5 minutes dans un sac en papier kraft: une portion de frites molles, un hamburger au pain mou composé de 2 steaks hachés de 65 g environ chacun hyper cuits et pas juteux du tout, d'une tranche de tomate insipide, de 5 feuillettes de salade iceberg, de quelques lamelles de champignons en boîte et d'une sauce sucrée-salée Heinz blindée de sirop de maïs et un milkshake assemblé sur place que l'on me remboursera.

    Verdict : à ce prix, on trouve dans Paris des bistrots qui servent un menu (entrée-plat ou plat-dessert) avec des produits frais qui ont du goût sans ajout de sucre, de sel et de matières grasses traficotées.

    Conseil : pour votre santé et votre porte-monnaie, ce genre d'endroit est autant à éviter que Burger King, Quick, McDo and co. Si vous souhaitez manger un bon hamburger saignant, demandez, si le restaurateur ne l'affiche pas, à voir l'étiquette du lot dont le morceau de viande est issu et si la viande est bien hachée à la commande comme chez votre boucher. Si ce dernier refuse, changez de crémerie et mangez un bon plat du jour dans un bistrot qui affichera le logo « fait maison ».

    Pour la santé des Américains, je recommande à Michelle Obama de dire à son mec d'arrêter de faire de la pub pour cette marque de fast-food qui participe autant que les autres à la dégradation de la santé des consommateurs et de l'environnement. 

    Xavier Denamur          

    a publié Et si on se mettait enfin à table ? (éd. Calmann-Lévy).  

  • Société • Ce que révèle l'affaire du Burkini

     

    Par Mathieu Bock-Côté           

    Le projet de privatisation d'un parc aquatique le temps d'une journée a finalement été annulé après une vive polémique. Mathieu Bock-Côté analyse ici excellemment [Figarovox, 9.08] comment l'exhibitionnisme identitaire est le vecteur privilégié de l'impérialisme culturel qui anime l'islamisme

     

    3222752275.jpgOn apprenait il y a quelques jours que l'association Smile 13 organisait une journée dans un parc aquatique réservé aux femmes et aux enfants de moins de 10 ans et qu'il serait permis d'y porter le burkini. La polémique a d'abord percé sur les médias sociaux, comme d'habitude, avant d'être reprise par la classe politique et de trouver de l'écho dans la presse internationale. Ce n'est pas surprenant: l'islamisme prend d'abord la forme d'un impérialisme culturel qui progresse dans l'ensemble des sociétés occidentales..

    Ainsi, à Québec, en 2014, le maire Régis Labeaume, malgré ses réticences personnelles et une exaspération qu'il ne parvenait pas à masquer, a cru devoir accepter la présence du burkini dans les piscines publiques de la ville, au nom de la diversité, qui aurait naturellement tous les droits et à laquelle il faudrait se soumettre. Le commun des mortels reconnaît spontanément une provocation identitaire dans l'organisation d'un tel événement: l'islam le plus rigoriste s'installe en France et veut y vivre selon ses propres règles.

    Même si la journée a été annulée, il demeure nécessaire de réfléchir à ce qu'elle représentait. En s'appropriant le SpeedWater Park le temps d'une journée, il s'agit de marquer la présence en France d'un islam radical, étranger aux mœurs françaises, et qui entend le demeurer. On aura beau distinguer le voile ordinaire du voile intégral, les deux témoignent d'une forme d'exhibitionnisme identitaire ayant pour vocation de rendre l'islam visible au cœur de la cité. Le temps d'une journée, ce parc aquatique aurait dû être classé parmi les territoires perdus de la nation. La culture française y aurait été remplacée par une autre.

    L'islamisme s'approprie le corps des femmes pour marquer sa présence physique et symbolique dans les nations qu'il veut conquérir. Naturellement, une frange des élites préfère capituler et se réfugier derrière les droits de l'homme, comme si la politique s'abolissait dans leur célébration systématique. La logique de la soumission est la suivante: puisque le parc aquatique est privé, n'est-il pas permis à n'importe quel groupe de le louer pour une journée et de le soumettre aux règles qu'il voudra ? De quoi la société se mêle-t-elle ?

    C'est l'occasion, aussi, pour plusieurs, de désubstantialiser la laïcité française au nom d'un multiculturalisme qui prétend lutter contre l'islamophobie : on refait ainsi le procès des lois qui entendent réguler l'expression des communautarismes religieux dans l'espace public. On dédramatise la situation et on fait comme si rien ne se passait. Encore une fois, on classe l'événement dans la rubrique des faits divers - c'est-à-dire qu'on en fait un non-événement qui ne mériterait même pas d'être pensé politiquement.

    On ne se leurrera pas : l'islamisme est dans une logique de conquête politique et idéologique. Il veut implanter de manière irrémédiable un islam particulièrement rigoriste au cœur des sociétés occidentales et rendre inimaginable sa critique, sauf à risquer l'accusation d'islamophobie. Il teste comme il peut les défenses occidentales pour voir là où elles cèderont. Il est dans une guerre d'usure. Nos sociétés, qui ne savent plus trop comment assumer politiquement leur héritage de civilisation, semblent désarmées devant lui.

    En les détachant de leur ancrage civilisationnel, l'islamisme joue ce qu'on appelle les valeurs de la république contre la France. Il maquille en droits de l'homme à faire respecter des conquêtes communautaristes. Il dissimule derrière une adhésion aux grands principes de la modernité libérale son implantation territoriale, culturelle et idéologique. La France, sans trop s'en rendre compte, se soumet au système des accommodements raisonnables qui l'amène à voir dans sa propre faiblesse une marque de grandeur et de générosité humanitaire.

    La même situation s'est présentée devant les tribunaux canadiens lorsqu'une immigrante pakistanaise a voulu, en octobre 2015, prêter son serment de citoyenneté en niqab. Les tribunaux et la classe politique lui ont donné raison au nom des droits de l'homme. Dans un pays qui passe pour le Disneyland diversitaire du nouveau monde, on a normalisé juridiquement et culturellement un symbole qui consacre l'infériorisation des femmes au nom des droits de l'homme. L'individualisme radical rend invisible le conflit des cultures.

    Mais une évidence reprend ses droits : ce sont moins des valeurs abstraites qui font un pays que sa culture et ses mœurs. Dans les faits, la mise en place de zones plus ou moins officiellement soumises à une forme d'apartheid sexuel correspondent à la défrancisation programmée de parcelles du territoire national. Celle qui revêt le burkini déclare en fait de manière agressive sa non-appartenance au monde occidental. Et une association qui organise une activité où celui-ci sera à l'honneur pratique, quoi qu'on en pense, le militantisme politique le plus radical.

    D'ailleurs, au même moment où la culture nationale s'efface, c'est la souveraineté nationale qui devient inopérante. La France n'est plus la bienvenue chez elle. On devine qu'elle ne reprendra ses droits dans ces espaces dénationalisés qu'avec une grande résolution politique. Évidemment, encore une fois, on ne manquera pas d'esprits subtils occupés à réinventer une nouvelle définition de la France pour la rendre conforme à sa multiculturalisation. Il est toujours plus facile de jouer avec les mots et de fuir la réalité que d'affronter lucidement cette dernière.

    C'est une chose, et une bonne chose, naturellement, de permettre aux musulmans de vivre librement leur foi dans nos sociétés qui peuvent à bon droit se faire une fierté de leur respect de la liberté de conscience. C'en est une autre, toutefois, de consentir à une forme d'effacement de la culture de la société d'accueil, comme si elle était optionnelle dans son propre pays. Si les pays occidentaux doivent être naturellement accueillants envers leurs citoyens musulmans, ils n'ont pas toutefois, à se transformer en terre d'Islam.

    Pour vraiment s'intégrer aux pays qui l'accueillent, la religion musulmane devra s'occidentaliser et se transposer dans une culture qui l'obligera à transformer son rapport à l'inscription sociale de la foi. Les musulmans devraient moins chercher à rendre leur religion la plus visible possible dans la cité que s'acculturer aux mœurs occidentales et miser sur une pratique religieuse moins conquérante, qu'il s'agisse de la taille des mosquées et des minarets, des prières de rue ou encore des signes religieux ostentatoires.

    Le nouvel arrivant, dans un pays, doit envoyer le signal qu'il en respectera les coutumes et les usages. C'est sa manière de dire qu'il sait qu'il arrive dans un monde qui est déjà-là et auquel il est prêt à s'intégrer en profondeur, notamment en reconnaissant et en respectant la nature profonde de la civilisation qu'il rejoint. On aime dire qu'à Rome, on doit faire comme les Romains. La formule demeure plus que valable et devrait commander une refondation sérieuse de nos politiques d'intégration.   

    Mathieu Bock-Côté       

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.