L’aurait-on oublié ? On peut le penser au vu des réactions parfois compréhensives mais toujours embarrassées, si ce n’est franchement indignées, qu’ont suscitées en France les révélations de M. Snowden. Cet ancien consultant de la National Security Agency, désormais réfugié à Hong Kong, a, preuves à l’appui, révélé que les États-Unis d’Amérique espionnent en « live » le monde entier par le biais des divers systèmes centraux des réseaux informatiques, ce qui leur donne accès « aux communications de centaines de milliers d’ordinateurs sans avoir à pirater chacun d’entre eux ». Donc toute personne ou entreprise « connectée » a été, est ou sera espionnée par la N.S.A.

Censeurs et moralisateurs de s’étouffer : quoi ! l’Amérique de M. Obama ! Mais peut-on reprocher à ce dernier, sous l’excellent prétexte de lutter contre le terrorisme, d’utiliser la maîtrise américaine du « cyberespace » ? Et de se livrer à l’espionnage systématique des téléphones et d’internet ? C’est, bien entendu, légitime. Et nos maîtres-à-penser peuvent bien nous rabâcher que la démocratie y perd son âme, la majorité des électeurs américains, républicains et démocrates confondus, y semblant tout à fait favorables, c’est potentiellement quasi légal.
Le vrai problème est ailleurs. D’une approche défensive bien compréhensible, les Américains sont passés en fait à une approche offensive. La preuve en est leurs nombreuses attaques cybernétiques ciblées contre la République populaire de Chine et dénoncées par le Global Times, quotidien chinois proche du régime. Malgré les apparences, cette stratégie change la donne : les États-Unis sont certes, de manière conjoncturelle, le « grand satan » visé par l’islamo-terrorisme ; ils sont d’abord, par leur nature même (leur histoire, leur géographie, leur culture, etc.) l’Empire – prêt, plus qu’à se défendre, à attaquer pour maintenir, voire conforter sa position toujours dominante, quoi qu’on en dise. C’est sans doute tout aussi légitime de leur point de vue mais beaucoup plus inquiétant pour les autres, à commencer par nous-mêmes.
D’ailleurs, les quelques réactions américaines – toutes défavorables - à l’acceptation, par la Commission de Bruxelles, dans la perspective des prochaines négociations commerciales transatlantiques, de l’exception culturelle « à la française », prouvent la vivacité de l’impérialisme américain : faire de la « culture » un objet marchand leur permettrait de s’approprier un peu plus les esprits et les mentalités, en régnant par exemple sans partage sur les chaînes de télévision.
Mais cette digue protectionniste paraît bien isolée et bien fragile face au tsunami libéral qui, conjugué aux capacités technologiques des États-Unis, menace de tout emporter. Pour survivre, la France et ses « alliés » européens n’ont d’autre choix que de se battre sur ces deux fronts en se dotant, au plus tôt, et à quelque prix que ce soit, de tous les moyens et mesures appropriés.