Un été avec Houellebecq [3] : « Les enfants de pauvres n'ont pas peur de la gauche »

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« Nous rejetons l'universalisme du modèle occidental et affirmons la pluralité des civilisations et des cultures. Pour nous, les droits de l'homme, la démocratie libérale, le libéralisme économique et le capitalisme sont seulement des valeurs occidentales, en aucun cas des valeurs universelles. » L'homme qui a prononcé ces mots est Alexandre Douguine, intellectuel néo-eurasiste de la droite radicale russe, dans un entretien accordé à la revue Politique internationale en 2014. Au fil des années, il s'est lié d'amitié avec un certain nombre de dignitaires du Kremlin et de la Douma. Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, il est omniprésent dans les médias, appelant ni plus ni moins à « la prise de Kiev » et à la guerre frontale avec l'Ukraine. « L'Ukraine de l'Est sera russe », assure-t-il. Contrairement à ce qu'affirment certains intellectuels anti-Poutine en France (Bernard-Henri Lévy notamment), Douguine n'est pas « le penseur de Poutine », la relation directe entre les deux hommes étant difficile à établir. Cependant, force est de constater qu'on retrouve, dans certains discours du président russe, une même vision du monde qui est celle d'un monde multipolaire, où la dimension cardinale est la souveraineté nationale et où « universalisme » est l'autre mot pour désigner l'ambition hégémonique occidentale.
On peut reprocher beaucoup de choses à Vladimir Poutine, mais il y a une chose qu'il est difficile de lui contester, c'est son intelligence et l'imprégnation qu'il a de la culture et de l'âme russes.D'un côté la démocratie libérale et universaliste ; De l'autre, la nation souveraine et traditionaliste. En cela, nous dit Hubert Védrine dans le dernier numéro du
magazine Society consacré à Poutine, il se distingue très nettement de ses homologues européens : « C'est un gars [sic] très méditatif, qui a énormément lu. Vous ne pouvez pas dire ça d'un dirigeant européen aujourd'hui. Il y a une densité chez Poutine qui n'existe plus chez les hommes politiques. » Dans un discours absolument fondamental d'octobre 2014 devant le Club Valdaï, réunion annuelle où experts, intellectuels et décideurs viennent parler de sujets liés à la Russie, Poutine a brillamment exposé
l'essentiel de sa doctrine. Morceaux choisis : « La recherche de solutions globales s'est souvent transformée en une tentative d'imposer ses propres recettes universelles. La notion même de souveraineté nationale est devenue une valeur relative pour la plupart des pays » ; « Un diktat unilatéral et le fait d'imposer ses propres modèles aux autres produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela conduit à leur escalade ; à la place d'Etats souverains et stables, nous voyons la propagation croissante du chaos ». Difficile de ne pas voir l'influence, même indirecte, d'Alexandre Douguine dans un tel discours. Poutine situe son combat contre l'Occident non pas sur la seule question ukrainienne, mais sur quelque chose de bien plus fondamental et décisif. Poutine et l'Occident, ce sont deux visions du monde irréconciliables qui s'affrontent, la démocratie libérale et universaliste, d'un côté, face à la nation souveraine et traditionaliste, de l'autre.
La différence entre Douguine et Poutine est cependant de taille. Là où le premier défend une vision idéologique et quasi eschatologique de la mission russe - « La crise ukrainienne n'est qu'un petit épisode d'une confrontation très complexe entre un monde unipolaire et multipolaire, entre la thalassocratie [civilisation de la mer, l'Amérique] et la tellurocratie [la civilisation de la terre, la Russie] », Libération du 27 avril 2014 -, le second reste un homme d'Etat pragmatique qui sait qu'on gagne d'abord les batailles par l'habileté dans la négociation et la recherche de compromis politiques. Là où Douguine rejette en bloc le libéralisme, Poutine y voit, notamment dans sa dimension économique, un moyen d'accroître la prospérité de la Russie. Raison de plus, pour l'Europe, d'éviter l'escalade et d'adopter une diplomatie un peu plus indépendante des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie. Dans le cas contraire, la prophétie de Douguine d'un nouveau « choc des civilisations » risque fort de se réaliser. •
Le point de vue de Philippe Bilger
Très finement psychologique, l'analyse de Philippe Bilger nous paraît parfaitement pertinente. Notamment lorsqu'il pointe en conclusion le comportement du Chef de l'Etat lui-même. Sa fonction n'est pas remplie et c'est au fond, sous un angle plus politique, plus institutionnel, ce que constate aussi Emmanuel Macron, curieusement son ministre de l'Economie. Nous faisons cordialement observer à Philippe Bilger que Macron, lui, en désigne la cause, lorsqu'il dit qu'il manque un Roi. Peut-être Philippe Bilger, comme bien d'autres ces temps-ci, voudra-t-il bien y réfléchir ? LFAR
Il y a un climat général, politique, médiatique, et des attitudes qui laissent, en effet, penser qu’il y a de l’enfance attardée dans notre démocratie. Je ne méconnais pas, cependant, le caractère artificiel de quelques rapprochements mais ils me semblent tout de même révélateurs d’une tonalité dominante.
On entend souvent des humoristes se plaindre, parfois drôlement, du fait que des politiques empiétant de plus en plus sur leur domaine, ils allaient, eux, être obligés de faire de la politique. Derrière la boutade, il y a l’intuition que la dérision et la futilité sont devenues si également réparties qu’en réalité, on ne peut plus départager les activités et que toutes sont gangrenées par une démission de l’intelligence, théorisée en conquête du rire et en apothéose du sarcasme.
Par exemple, ce Petit Journal qu’on vante tant et qui, paraît-il, sera même amplifié – Vincent Bolloré s’est arrêté à mi-chemin ! -, offre cette particularité d’être insupportable à cause du ton autosatisfait de son présentateur et de dénoncer des ridicules dans lesquels il tombe lui-même avec la mise en pièces facile et démagogique d’un monde politique résumé à des séquences caricaturales.
Et il me semble qu’il a fait école, tant le culte de la superficialité et la chasse forcenée à la gravité ont dépassé les frontières qui auraient dû les enfermer.
Ainsi les réactions qui, à droite, ont accueilli, après la mort du maire de Dijon, le choix de François Rebsamen de prendre sa relève avec pour conséquence, à une date encore indéterminée, l’abandon du ministère du Travail si important en cette période où le chômage ne baisse pas et où le président de la République, pour amuser la galerie, prétend lier son sort à la réduction de ce fléau social (Le Figaro).
J’admets, certes, que l’opposition a ses contraintes et qu’elle ne peut se permettre d’user de répliques tellement châtiées qu’elles effaceraient la contradiction, mais on avait le droit d’attendre autre chose que ces railleries, ces plaisanteries, ces puérilités comme s’il ne s’agissait que « d’un casse-tête » pour le pouvoir et non d’une tragédie nationale à partager, à gauche et à droite, par tous. J’ai été effaré par la médiocrité rigolarde de cette riposte et par sa nature, pourtant, tristement partisane et politicienne.
De grands enfants qui s’ébattent et pour lesquels la politique offre le prétexte à des débordements qui fuient les comportements adultes comme la peste.
Venons-en, pour finir, au président de la République lui-même, dont ce n’est pas la première fois que je remarque l’appétence pour la pédagogie souriante et basique. Il adore retomber en adolescence et, pour le responsable qu’il est, c’est véritablement du prépubère !
Ce n’est pas un « capitaine de pédalo » mais une forme de scoutisme à la mode politique : donc à peu près rien par rapport au destin de la France.
Je ne pensais pas qu’un jour je serais contraint de contredire Jacques Brel pour lequel « il faut bien du talent pour être vieux sans être adulte ». •
Philippe Bilger peint notre République sous les traits d'une « ado attardée ». Une République qu'il nomme aussi prépubère. Nous ne le contredirons pas. Il a raison.
Verlaine, lui, l'avait vue au contraire déchue, en immonde vieillarde lui inspirant un terrible sonnet qui insulte Marianne dans des termes fort gaillards, comme seul un poète y est autorisé. Poème, en effet, antirépublicain à l'extrême.
« Ado attardée », République prépubère ou immonde vieillarde ? On peut sans-doute l'envisager sous l'un ou l'autre aspect.
Voici, en tout cas, la vision de Paul Verlaine. Iconoclaste, il est vrai, mais dont l'auteur n'en est pas moins l'un des plus grands poètes français. •
Buste pour mairies
Marianne est très vieille et court sur ses cent ans,
Et comme dans sa fleur ce fut une gaillarde,
Buvant, aimant, moulue aux nuits de corps de garde,
La voici radoteuse, au poil rare, et sans dents.
La bonne fille, après ce siècle d’accidents,
A déchu dans l’horreur d’une immonde vieillarde
Qui veut qu’on la reluque et non qu’on la regarde,
Lasse, hélas ! d’hommes, mais prête comme au bon temps.
Juvénal y perdrait son latin, Saint-Lazare
Son appareil sans pair et son personnel rare,
A guérir l’hystérique égorgeuse des Rois.
Elle a tout, rogne, teigne… et le reste et la gale !
Qu’on la pende pour voir un peu dinguer en croix
Sa vie horizontale et sa mort verticale.
Paul Verlaine, sonnet, Invectives, Buste pour mairies (1881)
Le 11 août, les chrétiens célèbrent Sainte Philomène.
Bonne fête, tout simplement mais de grand cœur, à la princesse Philomena et, à travers elle, tous nos vœux pour le prince Jean, le prince Gaston, la princesse Antoinette et la princesse Louise-Marguerite.
Lafautearousseau
Par Christian de Molinier*
Nous relevons dans les commentaires ici-même, ce qui suit qui est de Catoneo : « Il y a deux mois, Jacques Attali signalait l'inaptitude des démocraties bavardes à gérer le temps long : « la démocratie est ainsi faite que les Parlements et les opinions publiques passent parfois des mois, sinon des années, à discuter de sujets absolument mineurs, (comme le nombre de dimanches d’ouverture de quelques magasins), et zéro minute sur des sujets structurants pour des siècles l’avenir d’un pays ».
Or la réforme régionale est de toute évidence un grand sujet structurant pour le long terme. Et - si son examen a pris nettement plus que zéro minute - cette réforme semble bien avoir été menée dans l'improvisation et nombre d'incohérences, avec, comme il est habituel, un arrière-fond d'opportunisme politicien. Le résultat est, comme l'écrit fort bien Christian de Moliner, une réforme inepte. LFAR
Le gouvernement vient de désigner sans aucune surprise les capitales provisoires (mais vite définitives !) des nouvelles régions. Le pouvoir socialiste s’enorgueillit d’avoir amélioré le mille-feuille territorial mais sa réforme est tout bonnement inepte ! Quel intérêt, par exemple, y a-t-il de regrouper l’Alsace, la Lorraine et la Champagne ? La diminution des coûts ? Non seulement il n’y aura pas un centime d’économies, mais sans doute les dépenses vont exploser. La réforme jetée à la poubelle de M. Sarkozy avait le mérite de fusionner conseillers départementaux et régionaux et, donc, symboliquement, de diminuer le montant total des indemnités versées ! Là, le nombre d’élus reste inchangé ! Il faudra, en outre, bâtir de luxueux hémicycles pour accueillir les pléthoriques assemblées. Peut-être en construira-t-on deux ! Une dans la capitale et l’autre dans la ville délaissée, à l’instar du Parlement européen qui se partage entre Bruxelles et Strasbourg sans aucun souci du contribuable !
Aucun siège flambant neuf des régions ne sera abandonné ! Pire, on en bâtira d’autres plus grands ! Le nombre de fonctionnaires restera le même alors qu’une partie (importante ?) est sans doute inutile. Je vous recommande le livre Absolument dé-bor-dée !, écrit par une employée du conseil régional d’Aquitaine. Elle décrivait une machine folle où les employés se demandaient comment occuper leur journée tout en recevant de bons salaires ! La charge était sans doute caricaturale mais comportait une part de vérité ! Pendant une dizaine d’années, les promotions de Science Po trouvaient à s’employer sans effort et avec de hauts salaires et des titres ronflants dans les structures « amies », surtout pour les « fils de » ou les « fille de »
Soyons clairs ! La décentralisation voulue par François Mitterrand est responsable de la dette colossale de notre pays. Au lieu de transférer les fonctionnaires au niveau régional, de supprimer les départements, on a créé un trop grand nombre de doublons inutiles. On estime qu’un million de fonctionnaires, notamment territoriaux, sont de trop ! Soit 40 milliards d’euros, par année, de dépenses superflues ! En 30 ans, cela donne 1.200 milliard d’euros, plus de la moitié de la dette française !
Bien sûr, les sommes dépensées par ces emplois n’ont pas été entièrement perdues puisqu’elles ont été injectées dans l’économie française sous forme de salaires et de dépenses sociales. Un million de fonctionnaires en plus, c’est un million de chômeurs en moins, même si cette façon de voir est réductrice et trompeuse. Les sommes auraient pu être utilisées à meilleur escient et auraient pu contribuer à créer deux millions d’emplois privés, selon certains économistes. On aurait en tout cas évité l’austérité qui nous mine depuis 2008 !
M. Valls, comme à son habitude, se décerne des satisfecit mais je vous défie de trouver une retombée de cette réforme, même tout à fait mineure, qui soit positive ! Jamais une loi n’a été aussi inutile, aussi vaine, aussi inepte. •
* Christian de Moliner Professeur agrégé et écrivain - Boulevard Voltaire
Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au Figaro, constate ici à quel point les négociations en cours à Athènes entre les créanciers et le gouvernement Tsipras se trouvent compliquées par la situation économique grecque, bien plus catastrophique qu'on l'imaginait encore à la mi-juillet. Compromises aussi par les divergences de fond entre les positions française et allemande. Oppositions qui amènent à douter du maintien de la Grèce dans l'Euro, aussi bien que de la pérennité de l'Euro, au moins comme monnaie unique. LFAR
La bourse d'Athènes a chuté d'environ 20% en deux jours, depuis sa réouverture le lundi 2 août après cinq semaines de fermeture. Cette dégringolade, sans précédent depuis le krach mondial de l'automne 1987, aurait été sans doute encore plus sévère si les contrôles de capitaux ne restreignaient pas les ventes auxquelles les Grecs eux-mêmes sont autorisés à procéder. Alors que les investisseurs étrangers détiennent 60% des titres des entreprises grecques cotées en bourse, le plongeon exprime la défiance vis-à-vis de la Grèce et le délabrement de son économie.
La question se pose donc à nouveau : en dépit des propos lénifiants de Pierre Moscovici, le Commissaire européen, (« nous allons dans la bonne direction »), l'accord de principe signé le 13 juillet sur un troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros est-il réellement viable ?
Ce programme vise avant tout à permettre à la Grèce d'assurer ses échéances financières les plus urgentes. La plus immédiate concerne le remboursement de 3,2 milliards d'euros à la BCE sur les titres de l'Etat grec que détient cette dernière et qui arrivent à échéance le 20 août prochain. Négocié par les créanciers désormais regroupés en quatre institutions (FMI, BCE, Commission européenne à laquelle s'ajoute le Mécanisme européen), sous la houlette des ministres des Finances de la zone euro, la démarche est essentiellement de nature financière.
Outre les remboursements que l'Etat grec ne peut effectuer, faute d'enregistrer un excédent budgétaire, faute également de pouvoir avoir accès aux marchés financiers qui lui sont interdits de facto, il s'agit aussi de recapitaliser les banques grecques. Ces dernières sont actuellement tenues à bout de bras par la BCE qui viole ses propres règles prudentielles, sinon il y a des mois que le système bancaire de la Grèce aurait explosé et serait en totale faillite.
Et last but not least, ces 86 milliards d'euros, sont censés financer sur les trois ans à venir toutes les dettes qui viennent à échéance, mais aussi les dépenses courantes que l'Etat est incapable d'équilibrer en levant des impôts.
Malheureusement, le jeu donnant-donnant (Athènes consent des réformes essentiellement budgétaires et fiscales pour obtenir les 86 milliards) fait plus ou moins l'impasse sur la situation réelle de l'économie. Or celle-ci s'avère bien plus dégradée qu'on l'imaginait encore il y a trois semaines quand fut élaboré « l'accord » du 13 juillet.
La déroute s'est opérée en trois étapes. D'abord les élections du 22 janvier : elles ont conduit au gouvernement Tsipras, lequel a tourné le dos aux mesures de rigueur de ses prédécesseurs.
Puis s'est produite une dégradation irréversible de l'économie et de la confiance, au fur et à mesure que la nouvelle équipe mettait en place son programme et dénonçait la pression des créanciers.
Et enfin, troisième temps, une dramatisation violente, avec l'annonce surprise, le 28 juin, du référendum où le peuple grec s'est prononcé (5 juillet) contre le nouvel accord qui venait d'être conclu les jours précédents avec les créanciers par l'équipe d'Alexandre Trispras elle-même. Ce dernier a fait campagne pour le « non » dénonçant sa propre signature au plan international !
Au moment des élections de janvier et alors que la Grèce avait enregistré une faible croissance de 0,4% en 2014, après sept années d'un recul ininterrompu conduisant à une amputation d'un quart de son PIB, le FMI tablait sur une augmentation de 2,9% en 2015. Ce scénario a très vite tourné court. Quand l'ensemble des pays de la zone euro renouaient avec l'expansion au premier trimestre (de 0,6% en France notamment), Athènes retombait dans la récession (recul de 0,2% du PIB). Les résultats du deuxième trimestre ne sont pas encore connus (ils le seront le 14 août). En revanche on sait d'ores et déjà que la production industrielle a reculé de 2% en avril, qu'elle s'est effondrée de 5% en mai, et que le mouvement s'est sans doute poursuivi en juin à ce même rythme.
Certes l'industrie n'est qu'une partie de l'activité économique (particulièrement faible en Grèce où elle ne représente que 10% du total), mais les autres secteurs (agriculture, services, commerce) subissent une atonie assez semblable. Les économistes du cabinet britannique Capital Economics tablent ainsi sur une chute du PIB de l'ordre de 2% au deuxième trimestre, laquelle risque de s'amplifier dans la seconde partie de l'année. Le PIB pourrait ainsi diminuer de 4% sur l'ensemble de 2015.
Un tel plongeon paraît aujourd'hui fort probable compte tenu de la déroute économique qui s'est enclenchée dès l'annonce du referendum du 28 juin. Car dans la foulée il y eu la décision prise par Alexis Tsipras de fermer les banques et la bourse et d'instaurer des contrôles de capitaux. Lesquels demeurent malgré la réouverture des banques et de la bourse d'Athènes. Or les dégâts sont considérables. Pénurie de crédits bancaires, assèchement des commandes publiques de l'Etat soucieux de payer les fonctionnaires et les retraites, mais beaucoup moins d'honorer ses fournisseurs, au total l'activité des PME et notamment du commerce aurait été divisée par deux selon un sondage de la fédération professionnelle du secteur (GSEVEE). Même si ce genre d'information ne saurait être pris argent comptant, surtout dans un pays où l'économie souterraine reste essentielle, la désorganisation fait des ravages.
L'effondrement de la confiance entre les Grecs eux-mêmes - PME et particuliers - est d'autant plus grave que cela tend à amplifier les effets mécaniquement déprimant des mesures d'austérité (sur les retraites ou la TVA par exemple), lesquelles sont par ailleurs nécessaires.
Comment sortir d'un tel cercle vicieux, alors que la Grèce aurait besoin d'un « new deal », d'une nouvelle donne, pour repartir d'un bon pied ?
Tel est le dilemme du « quartet » des créanciers : ils sont effrayés d'avoir à offrir 86 milliards d'euros, mais ils se montrent incapables de dessiner un scénario roboratif tellement la tâche de reconstruction de l'économie et de la société grecques semble pharaonique. Les quatre membres du quartet sont d'ailleurs loin d'être unis si l'on en juge par l'attitude du FMI : ce dernier se déclare à la fois partisan d'un allègement de la dette (les Européens s'en tiennent à un rééchelonnement), tout en annonçant qu'il est hors de question que le FMI mette de l'argent supplémentaire (ses propres règles et ses 189 pays actionnaires, dont les Etats-Unis, s'y opposent fermement).
Au sein même des pays Européens, les points de vue demeurent fondamentalement dissemblables. Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, n'a toujours pas ravalé l'idée de faire sortir « temporairement » la Grèce de l'euro. « Sur ce point (du Grexit) il y a un désaccord, un désaccord clair » a admis Michel Sapin, son homologue français, dans une interview au quotidien de l'économie Handelsblatt. Notre ministre des Finances, qui est pour sa part totalement hostile au Grexit, reconnaît donc implicitement que la question est loin d'être définitivement réglée.
La différence de points de vue entre Schaüble et Sapin, entre l'Allemagne et la France, est à vrai dire fort simple et traditionnelle. Outre-Rhin on part des réalités de terrain, on considère que l'économie grecque est réellement inapte à vivre avec une monnaie surévaluée pour elle, sans doute de moitié compte tenu de sa compétitivité et du dépérissement de ses entreprises.
En France on s'en tient à une analyse formaliste, « si vous autorisez qu'un pays puisse sortir temporairement, cela signifie que tous les autres pays en difficulté vont vouloir se tirer d'affaire par un réajustement de leur monnaie », explique Michel Sapin.
Les deux points de vue sont parfaitement exacts et défendables. D'un côté l'éthique de la responsabilité et de l'autre l'éthique de la conviction, pour reprendre l'opposition célèbre de Max Weber. Schaüble le comptable pointilleux, Sapin le béat généreux.
Mais la tension n'en est pas moins intenable entre les deux, et il faudra bien finir par trancher. C'est pourquoi on suivra avec la plus grande attention les indicateurs de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la santé de ses entreprises ou du chômage de ses habitants. •
Par Péroncel-Hugoz
Une chronique passionnante sur un évènement français vu du Maroc .
Soudain le mot magique de « Roi » est réapparu comme une grosse pierre jetée dans la mare politique parisienne… Il a suffi de quelques propos du plus en vue des ministres socialistes actuels…
« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le Peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a causé un vide émotionnel collectif : le Roi n’est plus là ! ».
Dans la torpeur de l’été français, tout entier consacré aux « vacances » malgré les mauvais coups djihadistes, cette phrase en forme de « profession de foi » sans appel, nette et claire, n’est pas passée inaperçue dans le sérail politicien de l’Hexagone. Eh ! parbleu, elle n’est pas tombée de la bouche de n’importe qui mais de celle d’Emmanuel Macron, Nordiste né en 1977, énergique ministre de l’Economie, « homme de confiance » du président Hollande. Un chrétien assumé certes, disciple d’Aristote et du rigoureux philosophe hors-mode Paul Ricœur (1913-2005) mais aussi un socialiste. Rien d’étonnant là pour un Marocain car on sait, en Chérifie, au moins depuis notre regretté confrère Ali Yata, qu’on peut même être à la fois monarchiste et socialo…
Mais en France ce fut une sorte de panique intellectuelle même si les propos de M. Macron étaient parus dans le n° 64 du « Un », petit hebdo certes mince mais remarquablement bien distribué (y compris au Maroc) ; et en plus animé par d’ex-plumes du « Monde », comme Laurent Greisalmer (auteur en 1990 d’une bio d’Hubert Beuve-Méry, fondateur du « Monde » en 1944) ou l’ancien directeur Eric Fottorino, limogé en 2010 par le vrai patron du fameux quotidien, Pierre Bergé.
La stupéfaction fut complète lorsque tous les gens informés ou voulant le paraître eurent lu jusqu’au bout les propos de ce diable de M. Macron : « On a essayé de réinvestir le vide [laissé par le Roi], d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. La normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un vide au cœur de la vie politique, etc. etc. » (Ce qui est criant de vérité mais n’est pas très aimable, forcément, pour les présidents français contemporains type Sarkozy ou Hollande…).
Un sous-ministre en exercice, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, a essayé de sortir de son obscurité en lançant que « le grand absent [de la scène française actuelle], c’est le Peuple, pas le Roi »… Tombé à plat… Du maréchal Lyautey au maréchal Leclerc, de l’écrivain catholique anti-franquiste Georges Bernanos au général de Gaulle, du ministre gaulliste de la Justice Edmond Michelet (dont le Vatican veut faire un saint) au militant tiers-mondiste Régis Debray, les grands noms de l’élite politique française* ayant manifesté, d’une manière ou d’une autre, leur attachement à l’institution royale française, ne manquent pas. A cette chaîne entre le passé et l’avenir, il faut ajouter maintenant le juvénile profil d’Emmanuel Macron. Le théâtre politique français, qui parait souvent bien assoupi, peut donc réserver encore des surprises… Louange à Dieu ! •
* Ce n’est un secret pour personne aujourd’hui que même le futur président Mitterrand, dans sa jeunesse, avant la Seconde Guerre mondiale, participa à au moins une manifestation publique royaliste à Paris et alla également rendre hommage en Belgique au Prétendant français exilé de l’époque, le duc de Guise (« Jean III »).
Péroncel-Hugoz - Le 360.ma
Identité. Comment faire aimer la France ? Par Sébastien Pilard et Anne Lorne
Lui est président de Sens commun et secrétaire général des Républicains au comité des entrepreneurs; Elle est déléguée de Sens commun pour le Sud-Est et la région Rhône-Alpes, et de plus secrétaire nationale des Républicains pour la petite enfance. Ils ont publié sous ce titre et sous leur double signature le texte qui suit dans Valeurs actuelles du 23 juillet. Un texte dont l'essentiel est pour pointer l'insuffisance des valeurs républicaines, les relativiser, leur préférer la notion d'héritage national, de patrimoine culturel et charnel qui en sont, au fond, l'opposé ! Il y a, dans cette réflexion, peu de lignes que nous ne pourrions pas signer, même si nous ne méconnaissons pas ce qui peut les inspirer d'habitudes et de sens électoral. Mais ce qui est dit est dit. La relativisation de la République et de ses valeurs supposées s'installe - volens, nolens - dans tous les milieux. Y compris chez ceux qui ont curieusement choisi de s'appeler « Républicains ». Sur la cause des dérives qui sont leur souci fort justifié, comme sur l'éventuel remède (le Roi manquant), nous les renvoyons - avec toute la cordialité qu'appelle la part de sincérité qui est la leur et la pertinence de leur propos - aux déclarations de leur collègue socialiste, Emmanuel Macron, actuel ministre de l'économie du gouvernement Valls, sous présidence - malmenée par lui - du triste François Hollande. LFAR
Dire qu'il faut transmettre les valeurs de la République, c'est trop faible : il faut transmettre l'amour de la France, expliquait Jean-Pierre Chevènement au Figaro, quelques semaines après les tueries qui ont embrasé la France au mois de janvier. Un message clair qui s'adresse à tous et qui brise le discours ambiant stigmatisant telle ou telle religion.
De fait, nous restons prisonniers d'une vision désincarnée de la France, où l'adhésion à des principes abstraits remplace l'attachement qui nous lie à une terre, une histoire, des hommes et un mode de vie. Les valeurs de la République, pour autant que l'on puisse s'accorder sur leur contenu, ne comporteront jamais un degré d'attraction suffisant pour épouser tous les ressorts de la personnalité humaine. Elles s'adressent à la raison et non au coeur, elles dictent une conduite morale mais n'enracinent pas les personnes dans une histoire faite d'aventures, de défaites et de renaissances. Elles ne proposent, enfin, aucune figure de héros qui puisse constituer un modèle à imiter. Pour importantes qu'elles puissent être, les valeurs de la République ne sauraient remplacer la transmission d'un patrimoine culturel et charnel qui nous constitue dans notre identité et nous rassemble dans un même amour partagé.
C'est pourquoi l'amour de la France constitue le meilleur rempart contre le multiculturalisme qui gangrène la communauté nationale et contre la déculturation qui touche tous les nationaux. Enraciner les gens dans une histoire, c'est les aider à être pleinement ce qu'ils sont et leur permettre de prendre conscience d'une identité qui n'existe souvent que dans les replis inconscients d'une mémoire collective. C'est les élever au-dessus de la société de consommation qui ne concerne que les besoins immédiats de l'homme pour s'adresser à leur âme. C'est passer du registre de l'avoir à celui de l'être, de la froideur des rapports économiques à la chaleur de l'amour patriotique. Amour qui génère une véritable "amitié française", source du partage et de la fraternité, qui faisait dire à Jaurès : « La patrie est — pour le démuni — son seul bien. »
Or, nous vivons une crise de la transmission, dont les causes majeures sont sans doute multiples. D'abord, un rapport conflictuel à notre propre histoire auquel s'ajoute une conception erronée de la liberté, voyant dans la transmission d'une culture une violence faite au libre arbitre des individus. Également en cause, le poids d'une vision conquérante de la laïcité qui ne se restreint pas à séparer religion et politique, ce qui serait parfaitement légitime, mais prohibe en réalité tout héritage religieux à caractère culturel dans l'espace public. S'ajoute à cela le dénigrement des attributs de notre fierté nationale, les difficultés de la maîtrise de notre langue, notre industrie sacrifiée aux fonds étrangers, nos emblèmes sportifs ligotés au nom de puissances étrangères, nos jardins historiques meublés de "vagins géants"...
Se réconcilier avec son histoire et réhabiliter la transmission sont donc les clés d'un réenchantement des Français. Clés auxquelles il faut ajouter le retour à une conception apaisée de la laïcité qui ne fasse plus obstacle à une affirmation sereine de son identité. L'État détient, à ce titre, un rôle clé dans la mesure où il est le gardien de la mémoire nationale. C'est à lui qu'incombe la tâche d'assurer la cohésion de tous autour d'une même identité partagée et vivifiée. Dans son discours à la Sorbonne en1882, Ernest Renan affirme qu' « une nation est une âme, un principe spirituel », constitué par « la possession en commun d'un riche legs de souvenirs » ainsi que par « la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis », ce qu'il appelle le « plébiscite de tous les jours ». C'est donc à l'État de vérifier que la nationalité française ne soit ouverte qu'à ceux qui souhaitent faire valoir l'héritage qu'ils ont acquis dans leur pays d'accueil. C'est aussi à l'État de veiller à ce que les nationaux ne soient pas déculturés sous l'effet d'une globalisation culturelle qui standardise et uniformise les réalités, jusqu'à leur faire perdre leur âme. Si l'État subsidiaire doit garantir un cadre, il appartient avant tout à la famille et aux corps intermédiaires de vivifier de l'intérieur la nation, en enseignant à ses héritiers qu'ils seront toujours des débiteurs insolvables à son égard, nourris qu'ils furent de sa langue et de sa culture ; « le patriotisme n'est pas seulement l'amour du sol, c'est l'amour du passé, c'est le respect des générations qui nous ont précédés », disait Fustel de Coulanges. Cela passe par des attitudes plus encore que par des mots. Oui, la famille doit être ce premier écrin de l'amour patriotique, l'école permettant d'enraciner dans la raison cet amour.
Le paradoxe est là. Il faut redonner confiance aux Français dans leur avenir. Et pour que "vive la France", il y a une priorité, leur redonner quelque chose à aimer : "aimer la France". •
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Choisi par Ariane
Retour, ce dimanche, sur une conférence de Philippe de Villiers au Cercle de Flore. Conférence où tout est dit des signes d'espoir que voit aussi Houellebecq. Signes et espoir de de ce grand mouvement de l'inversion qu'espère et prédit de Villiers comme en conclusion de son intervention. Des signes du bouillonnement, qui a bien été noté dans les commentaires de ce site et qui rend aujourd'hui notre royalisme plus crédible et, comme on dit ces temps-ci, plus soutenable.
Le cercle de Flore a reçu le 8 décembre, Philippe de Villiers, venu présenter son dernier ouvrage : Le roman de Jeanne d’Arc. Mais pas seulement.
Certes, ce fut l’occasion d’une magnifique évocation de Jeanne d’Arc, car Philippe de Villiers est un remarquable conteur qui, parfois, est aussi acteur …
Mais cette évocation historique est sans cesse mise en perspective, sans cesse rapprochée de notre temps, de la France d’aujourd’hui …
Et, parlant sous un portrait de Charles Maurras, qu’à sa manière il salue, dans ce « lieu historique » (le 10 rue Croix du Petits Champs) qu’il signale, Philippe de Villiers définit une politique, une action politique, que ni Maurras ni Boutang n’auraient désavouées.
L’une et l’autre (option stratégique purement Action française) s’inscrivent nécessairement en dehors du Système et contre lui ; il s’agira de se débarrasser des « élites » qui ont trahi la France comme au temps de Jeanne : les élites politiques qui ont transféré sa souveraineté à l’étranger, les élites économiques qui sont allées chercher ailleurs qu’en France leurs profits, les élites médiatiques et cléricales qui exècrent la nation. Et si l’on pose à de Villiers la question même du régime, il ne l’esquive pas, il y répond à la façon de Pierre Boutang : « il n’y a pas de pouvoir légitime, durable, sans pérennité et sans sacralité ».
« Au temps de Jeanne, dit-il, tout est presque perdu. » Comme au nôtre. Le roi est « de médiocre apparence » et la France est divisée en trois royaumes. On sait le redressement spectaculaire et rapide qui suivit. Pour plusieurs siècles.
De Villiers prêche donc l’espérance : « On est près du grand mouvement de l’inversion ». Lequel ? Celui qui mettra en cause la Révolution, la Révolution historique (« La terreur est dans son ADN ») mais aussi la Révolution agissant aujourd’hui. « Il y a des signes du sursaut ; des gens qui bougent ; des voix qui s’élèvent et qui parlent de plus en plus fort ».
La conclusion, métaphorique pour nous, revient à Jeanne : « Gentil Dauphin, dit-elle à Charles VII rétabli sur son trône, je ne vous appellerai plus gentil Dauphin ; je vous appellerai Sire le Roi ».
Bref, nous ne saurions trop conseiller de regarder, d’écouter, cette vidéo d’une conférence, d’un débat, d’une rencontre qui ont une évidente importance. Lafautearousseau •
Par Robert Redeker [Propos recueillis par Alexandre Devecchio]
Une intéressante réflexion de Robert Redeker; notamment sur le néo-scientisme de Google, puisant à cette sorte de religiosité qui alimente aussi les sectes.
Dans une lettre ouverte, des scientifiques et intellectuels, dont Stephen Hawking et Noam Chomsky demandent l'interdiction des « armes autonomes offensives sans contrôle significatif d'un être humain.» « Comme les biologistes et les chimistes qui ne veulent pas fabriquer des armes biologiques et chimiques, la plupart des chercheurs en intelligence artificielle n'ont aucun intérêt pour les armes ». écrivent-ils. Que cela vous inspire-t-il ?
Robert Redeker : Cette citation est remarquable parce qu'elle pointe une forme inédite de guerre, jamais envisagée: la guerre des objets contre l'homme. « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » demandait le poète Francis Jammes. Non : l'âme, c'est ce qui recherche la paix. Ont-ils alors une conscience, le savoir de soi ? Chez l'homme la conscience est une fonction de l'âme, témoignant de sa liberté. Un vers magnifique de Victor Hugo, dans La Légende des Siècles, exprime la fusion de l'âme, de la conscience et de la liberté : « L'œil était dans la tombe et regardait Caïn ». L'autonomie des objets (des armes) dont vous parlez est tout le contraire de Caïn, c'est-à-dire de l'homme : c'est une autonomie sans liberté, sans conscience, donc incapable de remords (Hugo pointe le remords poursuivant le criminel même après son décès), sans âme. De ce point de vue la crainte, assez répandue, de voir un jour les machines supplanter l'homme en ses facultés les plus élevées me paraît relever du fantasme, pouvant donc être étudiée par une anthropologie de l'imaginaire. Cependant, qu'elles parviennent, dans un très proche avenir, à la dépasser en intelligence tactique, purement opératoire, est une certitude. Pourront-elles pour autant déclarer la guerre à leur créateur ? Du fait de leur différence de nature avec l'homme, ce risque, dont l'évocation fait frissonner la sensibilité et assure une récréation à la pensée, est exclu.
Pour la première fois, nous allons devoir cohabiter sur la terre avec une espèce que nous avons créée. Cela va-t-il modifier la définition même de l'humanité ?
Nous nous retrouvons dans un monde à trois : les machines, les animaux et les hommes. Jusqu'ici les outils et machines n'étaient pas intelligents, ils n'étaient que des prolongements des organes humains. Voici qu'ils deviennent des prolongements de son cerveau, et acquièrent une part d'autonomie. Il va falloir apprendre à vivre à trois. L'autonomie de ces machines est illusoire, seconde, inévitablement limitée : elle dérive de l'autonomie humaine. Une machine, aussi perfectionnée soit-elle, dépend toujours, ontologiquement, de son créateur. C'est pourquoi ces machines ne parviendront jamais au degré d'autonomie qui est celui des hommes et des animaux. Elles peuvent, à l'occasion, et non par nature, être nos ennemies, jamais nos rivales. Une différence apparaît entre ces machines et les animaux: dans un monde de plus en plus sous l'emprise de la technique: les animaux ont besoin de notre protection (nous avons des devoirs envers eux, même s'il est absurde de leur accorder des droits), l'aide des hommes leur est due sans qu'ils en aient conscience, alors que nous n'avons aucun devoir envers les machines. Ceci s'explique : les animaux et les hommes sont des fins en soi, les machines sont créées pour l'utilité de l'homme, son bien être ou le bien public (l'homme se doit les détruire dès qu'elles contreviennent à ce bien-être). Il n'y a pas de devoir envers les machines. Plus ces machines gagneront en puissance, plus l'homme lui-même tendra à leur ressembler, plus il sera important de maintenir comme une norme rigoureuse la définition « classique », « humaniste » de l'homme, héritée aussi bien des Grecs que du christianisme et de Kant. Pareille définition est un rempart et un garde-fou.
L'hypothèse souvent développée par le cinéma de voir la machine supplanter l'homme vous parait-elle réaliste ? La religion du progrès va-t-elle conduire à notre destruction ?
L'imaginaire a besoin de la fin du monde pour sublimer l'angoisse - au sens freudien de la sublimation: la transformer en lui donnant un contenu acceptable par la conscience, par exemple à travers des créations artistiques -, cette affection fondamentale de l'être humain, étrangère à toute machine. La littérature - pensons au Golem, à Frankenstein - et le cinéma sont le lieu de ce travail de sublimation. Des siècles durant, le christianisme (y compris ses hérésies) a porté cet imaginaire de la fin du monde à travers le discours sur l'Apocalypse. Cet imaginaire se nourrit de la pulsion de mort, il est l'ombre de Thanatos. Il est un rapport trouble à la mort. Dans nos temps post-chrétiens, le mythe de la fin du monde change de vêtements, l'angoisse demeurant la même: l'apocalypse peut être apportée soit par des extra-terrestres, soit par des machines qui décideraient de nous exterminer. Le discours sur ces machines qui mèneraient une guerre à l'homme se développe selon la même structure que celui sur les extra-terrestres. Les mêmes fantasmes et les mêmes peurs l'habitent. Selon lui, l'homme serait soumis au risque d'être détruit par des intelligences non-humaines. Lorsqu'elles sont extra-terrestres, ces intelligences hostiles viennent du dehors. Lorsqu'elles sont des machines, elles viennent du dedans, étant une externalisation des facultés du cerveau humain. Je dis du cerveau, non de la conscience ou de l'âme, qui sont des réalités différentes. En fait, l'une et l'autre, l'intelligence des extra-terrestres et celle des machines, sont avant tout des productions de l'imagination humaine, des projections dans le monde objectif de ce que l'homme porte au plus profond de lui. Du coup, avant tout, les guerres ainsi imaginées sont des guerres qui se déploient au sein de l'âme humaine.
Certains veulent mettre un coup d'arrêt à cette évolution. Peut-on arrêter le progrès ?
Il n'est pas certain qu'il s'agisse de progrès. Il ne faut pas oublier cependant que ces évolutions peuvent se révéler utiles au bien être des hommes, à la médecine, à la chirurgie. Il ne faut pas oublier non plus que ces intelligences peuvent être nos serviteurs en faisant à notre place ce que nous ne pouvons faire. A ce titre aucun droit n'existe de les arrêter. Quoiqu'il en soit, quand bien même ce droit existerait-il, il y a un destin métaphysique de la technique, qui a bien été mis en lumière par Heidegger, dont rien ne dit que puissions sortir dans un futur proche. Un destin est un envoi depuis une origine qui est aussi une destination. Le destin technique de l'Occident se façonne dans la grande révolution intellectuelle (scientifique et philosophique) du XVIIème siècle. On ne sort pas de la technique (pas plus d'ailleurs que du capitalisme, cet autre destin de l'Occident) par un acte de la volonté.
Au-delà du problème des robots autonomes, google développe actuellement une idéologie transhumaniste et se donne les moyens de la faire triompher. Cette volonté de la firme californienne de créer un homme nouveau est-elle totalitaire ?
La volonté de fabriquer un homme nouveau a connu de multiples figures dans la modernité. Le communisme et le nazisme en ont été de monstrueux exemples. Cette volonté est la signature même des utopies totalitaires. Exprimer cette ambition trahit quelque chose à quoi l'on ne prête pas assez attention: l'entreprise Google est une entreprise politique, pas uniquement commerciale et technologique, dont le but est de soumettre les hommes à son propre fantasme, à une idéologie unique, à fabriquer un homme unique (comme on parle de pensée unique) planétaire.
« Quel que soit le problème rencontré, que ce soit un grand challenge pour l'humanité ou un problème très personnel, il y a une idée, une technologie qui attend d'être découverte pour le résoudre » assurait au Time Magazine Ray Kurzweil, l'ingénieur en chef de Google. La science peut-elle vraiment résoudre tous les problèmes ?
Il n'y a rien de nouveau dans ce propos, qui était déjà tenu par le positivisme dans sa version obtuse au XIXème siècle. Il tient dans un mélange assez classique d'ignorance de la nature humaine, trahissant une inculture philosophique et théologique consternante, et de millénarisme de bas étage. Ici, le millénarisme de la technique apparaît. Ray Kurzweil n'est pas différent du ridicule Monsieur Homais, le pharmacien d'Yonville dans le roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary. Ce Monsieur Homais du nouveau siècle, Ray Kurzweil, ne se rend peut être pas compte que son rationalisme n'est qu'une croyance, extrêmement fruste, qui porte le nom péjoratif de scientisme. Voyons en elle un néo-scientisme naïf, pour ne pas dire bête. Au-delà de la bêtise, l'arrogance et la volonté de domination montrent dans ce propos leur hideux visage. S'imaginant rationaliste et scientifique, cette foi dans la science et la technique n'est rien d‘autre que de la religiosité dévoyée, celle-là même dont s'alimentent les sectes.
Face à ce postmodernisme triomphant, on assiste au retour en force des religions et des identités, notamment à travers la montée en puissance de l'islam radical. Le risque n'est-il pas d'être pris en étau entre deux totalitarismes ?
Ce sont deux totalitarismes différents qui reposent sur une haine commune de l'homme tel qu'il est. Ce sont aussi deux volontés de domination appuyées sur deux idéologies schématiques. On remarquera que cet islamisme, que vous appelez islam radical mais qui est en fait un islam politique, utilise les technologies informatiques les plus sophistiquées, réunissant l'archaïsme obscurantiste et la postmodernité techno-scientifique. Il faut distinguer ces phénomènes: retour des religions, des identités, et montée de l'islam radical. Les deux premiers renvoient, souvent maladroitement, à un besoin de réhumanisation du monde, quand le dernier renvoie à l'opposé, au désir de destruction, passant par le point commun de tous les totalitarismes, la déshumanisation. Il n'est pas possible d'indexer le développement de l'islamisme sur le retour des religions. Il ressemble plutôt à ces contrefaçons de religion que furent les religions séculières du XXème siècle, les idéologies totalitaires. Contrefaçon de rationalisme dans le cas de l'utopie Google et des idées de Ray Kurzweil, contrefaçon de religion dans le cas de l'islamisme. •
Professeur agrégé de philosophie, Robert Redeker est écrivain. Son dernier livre « Le progrès, point final ? » vient de paraître aux éditions Ovadia.