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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1272

  • Lafautearousseau paraîtra chaque jour de l'été

     

    cap_esterel_piscine_mer_s1800x0_q80_noupscale[1] - Copie.jpgLafautearousseau paraîtra chaque jour tout l'été, en format vacances, d'aujourd'hui jusqu'au premier septembre.

    L'actualité sera réduite en juillet et août et si elle ne l'était pas, si des événements importants se produisaient, Lafauterarousseau ne manquerait pas d'en traiter.

    Ce temps de relatif repos sera aussi l'occasion de puiser dans nos nombreuses et riches archives, ce que nous appelons nos trésors, pour nous replonger dans l'essentiel.

    Bonnes vacances à tous nos lecteurs en compagnie, toujours de notre quotidien. Lafauterarousseau 

  • Patrick Buisson : « Emmanuel Macron ne peut pas être en même temps Jeanne d'Arc et Steve Jobs »

     

    Publié le 21 juin 2017 - Actualisé le 19 juillet 2017 

    Est-il possible d'analyser le système Macron en profondeur, sérieusement, sans a priori excessif, systématiquement pro ou anti ? Puis d'élargir l'analyse à la nouvelle situation politique de la France ? C'est ce que Patrick Buisson fait ici dans cet important entretien pour le Figaro magazine [9.06], réalisé par Alexandre Devecchio. Ce dernier ajoute le commentaire suivant : « Patrick Buisson a scruté le paysage politique avec la hauteur et la distance de l'historien. Il restitue ici l'élection de Macron et la défaite de la droite dans le temps long de l'Histoire ». De notre côté, nous avons commenté ainsi ce remarquable entretien : « tout fondé sur un soubassement d’esprit monarchique et de droite légitimiste – où (Buisson) synthétise en une formule lapidaire ce que Maurras eût peut-être appelé le dilemme d’Emmanuel Macron : " On ne peut pas être à la fois Jeanne d’Arc et Steve Jobs ". Tout est dit ! ».   Lafautearousseau

     

    3821821120.jpgDepuis son entrée en fonction, Emmanuel Macron a fait preuve d'une gravité et d'une verticalité inattendues. Vous a-t-il surpris positivement ?

    La fonction présidentielle est en crise depuis que ses derniers titulaires ont refusé d'incarner la place du sacré dans la société française. Sarkozy, au nom de la modernité, et Hollande, au nom de la « normalité », n'ont eu de cesse de vouloir dépouiller la fonction de son armature symbolique, protocolaire et rituelle. Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français. En France, pays de tradition chrétienne, le pouvoir ne s'exerce pas par délégation mais par incarnation. C'est, selon la formule de Marcel Gauchet, « un concentré de religion à visage politique ».

    L'élection constate l'émergence d'une autorité mais celle-ci ne peut s'imposer dans la durée qu'à condition de donner corps à la transcendance du pouvoir et de conférer une épaisseur charnelle à une institution immatérielle. Il faut savoir gré à Macron de l'avoir compris jusqu'à faire in vivo la démonstration que la République ne peut se survivre qu'en cherchant à reproduire la monarchie et en lui concédant au bout du compte une sorte de supériorité existentielle. Voilà qui est pour le moins paradoxal pour le leader d'un mouvement qui s'appelle La République en marche.

    De la cérémonie d'intronisation à la réception de Poutine à Versailles, les médias ne tarissent pas d'éloges au sujet de ses premières apparitions publiques…

    Oui, même quand le nouveau président leur tourne ostensiblement le dos et n'hésite pas à remettre en cause les fondements de la démocratie médiatique : la tyrannie de l'instant, la connexion permanente, l'accélération comme valeur optimale. Le soin qu'il apporte à la mise en scène de sa parole, de sa gestuelle, de ses déplacements montre à quel point il a intégré la mystique du double corps du roi, qui fait coïncider à travers la même personne un corps sacré et un corps profane, un corps politique et un corps physique. Accomplir des gestes et des rites qui ne vous appartiennent pas, qui viennent de plus loin que soi, c'est s'inscrire dans une continuité historique, affirmer une permanence qui transcende sa propre personne. À ce propos, le spectacle du nouveau président réglant son pas sur la Marche de la garde consulaire et faisant s'impatienter le petit homme rondouillard qui l'attendait au bout du tapis rouge aura offert à des millions de Français le plaisir de se revancher de l'humiliation que fut la présidence Hollande, combinaison inédite jusque-là de bassesse et de médiocrité. Quel beau congédiement !

    Mais n'est-ce pas simplement, de la part d'un homme de culture, une opération de communication bien maîtrisée ?

    Toute la question est de savoir si, avec la présidence Macron, on sera en présence, pour le dire avec les mots de son maître Paul Ricœur, d'une « identité narrative » ou d'une « identité substantielle ». Reconstituer le corps politique du chef de l'État, lui redonner la faculté d'incarner la communauté exige que s'opère à travers sa personne la symbiose entre la nation et la fonction. Emmanuel Macron récuse le postmodernisme et veut réhabiliter les « grands récits ». Fort bien. Mais de quels « grands récits » parle-t-il ? Le roman national ou les success-stories à l'américaine ? Jeanne d'Arc ou Steve Jobs ? Honoré d'Estienne d'Orves ou Bill Gates ? Les vertus communautaires et sacrificielles ou le démiurgisme technologique de la Silicon Valley ?

    C'est là où l'artifice dialectique du « en même temps » cher à Macron touche ses limites. Il y a des « valeurs » qui sont inconciliables tant elles renvoient à des visions diamétralement opposées de l'homme et du monde. Les peuples qui ont l'initiative du mouvement historique sont portés par des mythes puissants et le sentiment d'une destinée commune fondée sur un système de croyances et un patrimoine collectif. Pour recréer le lien communautaire à travers sa personne, le président Macron doit répudier le candidat Macron : mobiliser l'histoire non comme une culpabilité ou une nostalgie mais comme une ressource productrice de sens.

    Outre la verticalité, Macron assume également une certaine autorité…

    Toute la question est de savoir de quelle autorité il s'agit. Depuis Mai 68, les classes dirigeantes se sont employées à délégitimer la représentation transcendante des anciennes figures de l'autorité comme autant de formes surannées du contrôle social. Mais, si elles ont récusé l'autorité comme principe, elles n'y ont pas pour autant renoncé en tant que fonctionnalité. Autrement dit, comme technologie du pouvoir indispensable à l'induction du consentement, de l'obéissance, voire de la soumission chez les gouvernés. A l'ère de la communication, ainsi que l'avait pressenti Gramsci, la relation de domination ne repose plus sur la propriété des moyens de production. Elle dépend de l'aliénation culturelle que le pouvoir est en mesure d'imposer via la représentation des événements produite par le système politico-médiatique dont le rôle est de fabriquer de la pensée conforme et des comportements appropriés. On en a encore eu une éclatante démonstration avec la campagne présidentielle qui vient de s'achever.

    Si Macron est le produit de ce système-là, est-il pour autant condamné à en rester indéfiniment captif ?

    L'intention qui est la sienne de réintroduire de l'autorité dans le processus de décision politique est louable. Ce qui légitime l'autorité c'est, disait saint Thomas d'Aquin, le service rendu au bien commun. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas chercher à restaurer l'autorité-principe là où sa disparition a été la plus dommageable ? A l'école, par exemple, où notre appareil éducatif s'est acharné à disqualifier la transmission et à la dénoncer dans le sillage de Bourdieu comme volonté de répétition et de reproduction du même. La transmission est par excellence l'acte vertical intergénérationnel qui consiste à choisir ce qui mérite d'être transporté à travers le temps quand la communication obéit à une logique horizontale et démocratique de diffusion non critique et non sélective dans l'espace. De ce point de vue, le profil du nouveau ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, est sans doute le seul vrai signe encourageant.

    Régis Debray dit que Macron est un « Gallo-ricain », le produit d'un écosystème mental américanisé où l'instance économique commande à toutes les autres. N'est ce pas excessif ?

    Je crains qu'il n'ait raison. Emmanuel Macron apparaît comme la figure emblématique de cette nouvelle classe dominante qui aspire à substituer à tous ceux qui proposent un salut hors de l'économie - religion ou politique - la seule vérité de l'économie. Tout ce qui n'est pas de l'ordre de l'avoir, toutes les visions non utilitaristes de la vie en société relèvent pour elle de l'angle mort. Le parti de l'économisme, c'est celui de l'interchangeabilité qui cherche à réduire en l'homme tous les particularismes et toutes les appartenances (nation, famille, religion) susceptibles de faire obstacle à son exploitation en tant que producteur ou comme consommateur. C'est le parti des « citoyens du monde », des « forces du flux d'information, de l'échange et de l'immigration » célébrés par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook lors de son discours aux diplômés d'Harvard le 25 mai dernier.

    Le cycle dominé par l'économie, que l'on croyait sur le point de s'achever, a connu un spectaculaire regain à l'occasion de la campagne présidentielle. Le retour des nations, de l'histoire et de l'organisation de sociétés autour des thèmes de l'identité et de la souveraineté n'aura-t-il été qu'une fugitive illusion ?

    Je n'en crois rien. Un système où l'économie commande l'organisation de la société est incapable de produire du sens. Sous couvert d'émancipation des individus, l'économisme a surtout œuvré à leur soumission croissante au règne de la marchandise et de l'ego consacrant, selon la formule d'Emmanuel Mounier, la « dissolution de la personne dans la matière ». La crise morale que nous traversons montre que l'homme réduit à l'économie ne souffre pas simplement d'un mal-être mais d'un manque à être. Elle est le fruit amer d'une malsociété, excroissance maligne de l'incomplétude d'une société exclusivement consumériste et marchande. « On ne tombe pas amoureux d'une courbe de croissance », proclamait l'un des rares slogans pertinents de 68. N'en déplaise aux médiagogues, il y a de moins en moins de monde pour croire que l'identité d'un pays se ramène à son PIB et que la croissance peut opérer le réenchantement du monde.

    L'élection présidentielle que nous venons de vivre a-t-elle été un coup pour rien ?

    Au contraire, elle aura été l'occasion d'une magistrale, et peut-être décisive, leçon de choses. La droite républicaine et le Front national ont fait la démonstration chacun à leur tour - François Fillon au premier et Marine Le Pen au second - qu'ils étaient l'un et l'autre, sur la base de leurs seules forces électorales, dans l'incapacité de reconquérir ou de conquérir le pouvoir. L'élimination de Fillon dès le premier tour fut tout sauf un accident, indépendamment des affaires dont on l'a accablé. Elle s'inscrit dans un lent et inexorable processus de déclin qui a vu la droite de gouvernement passer de 49 % au premier tour de la présidentielle de 1981 à 27 % en 2012 et à 20 % le 23 avril dernier. Faute d'avoir su opérer, comme ce fut le cas en 2007, une nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l'alternance. Elle a perdu l'élection imperdable. On ne voit pas pourquoi ni comment elle pourrait ne pas perdre les élections qui viennent. Faute d'avoir su construire une offre politique crédible, le FN est, lui aussi, dans l'impasse. Il reste ce qu'il a toujours été : un épouvantail, le meilleur allié du système qu'il prétend combattre, son assurance-vie. C'est à partir de ce double constat partagé qu'une refondation est possible.

    Qu'attendez-vous de la décomposition-recomposition qui s'amorce ?

    Je crois, comme Marcel Gauchet, qu'un grand mouvement conservateur est naturellement désigné pour être, selon sa formule, « l'alternative au moment libéral économiste » que nous vivons. Emmanuel Macron a choisi de se faire le champion du camp des progressistes au moment où la promesse fondatrice du progrès-croyance - à savoir l'assurance absolue d'une amélioration inéluctable, générale et universelle - a échoué sur la question du bonheur. L'indicateur de cet échec, on le trouve dans l'explosion de la production, du trafic et de la consommation de drogue comme dans la croissance exponentielle de la consommation de psychotropes qui représente en France, selon une récente étude de la Cnam, 13% des soins remboursés par l'Assurance-maladie. Ces chiffres expriment le décalage entre le bonheur promis et le bonheur réel dans notre société. Le seul vrai progrès est aujourd'hui de pouvoir douter du progrès. Le conservatisme est l'outil intellectuel qui permet d'échapper à ce processus de décivilisation. Je n'en connais pas de meilleure définition que celle qu'en a donné Ernst-Erich Noth : « Nous avons à concilier la tâche temporaire de la politique qui passe et la mission éternelle de l'intelligence ; mais cela n'est possible que par une subordination de la matière à l'esprit, de l'actualité à la continuité.»

    La situation présente aurait donc, selon vous, le mérite de dissiper un long malentendu historique…

    En effet. S'il était encore possible au milieu du siècle dernier d'accoler les deux vocables de libéral et de conservateur, leur accouplement relève aujourd'hui de l'oxymore, tant la fracturation intervenue depuis est d'ordre à la fois métaphysique et anthropologique. La Manif pour tous a fait apparaître, en 2013, une césure radicale entre une droite conservatrice - ce que j'ai appelé un populisme chrétien -, qui proclamait le primat du sacré sur le marché, et une droite libérale-progressiste, acquise au principe d'illimitation et à l'abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique. Cette droite-là est en marche vers Emmanuel Macron, qui est en train de réussir à la fois la reconstitution de l'unité philosophique du libéralisme en illustrant à la perfection la complémentarité dialectique du libéralisme économique et du libéralisme culturel, mais aussi la réunification des libéraux des deux rives, comme le fit au XIXe siècle l'orléanisme, déjà soucieux de constituer un bloc central en coupant, selon la recette réactualisée par Alain Juppé, « les deux bouts de l'omelette ».

    Soyons reconnaissants à Macron de son concours bénévole, même s'il n'est pas franchement désintéressé. De grâce, que personne ne retienne les Républicains « constructifs » qui se bousculent déjà pour le rejoindre. Rien ne sera possible sans cette rupture fondatrice. Il y a des décantations qui sont des clarifications. Il est des divorces qui sont des délivrances pour ceux qui restent.  

    « Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français » 

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    La Cause du peuple de Patrick Buisson, Perrin, 21,90€. 

    Alexandre Devecchio

  • Macron ou la « pensée complexe » ...

     
    2910916609.2.jpgPublié le 10 juillet 2017 - Actualisé le 19 juillet 2017 

    On s'interrogera encore un certain temps sur la pensée Macron et c'est l'avenir qui nous dira quelle politique concrète, quels actes, sortiront de ses ambigüités. Car de ce que l'on pense naît tôt ou tard ce que l'on fait. Sur quoi l'on est jugé.

    Le fond de la pensée d'Emmanuel Macron, c'est la volonté de concilier, surmonter les contraires. Résoudre les contradictions réputées artificielles. C'est ce qu'Edgar Morin appelle la complexité. Il n'est pas sans mérites de vouloir la penser. Mais encore moins sans risques. Malraux disait que la pensée est nuances mais l'action manichéenne. Emmanuel Macron en fera à coup sûr l'expérience.

    La pensée complexe c'est aussi ce que prône un certain personnalisme, chrétien ou non, dont Emmanuel Macron s'est peut-être imprégné lors de ses années de formation.

    Mais que ce soit dans le domaine de la culture, de l'immigration, de l'indépendance nationale, des options géostratégiques de la France, de son identité menacée, de l'enseignement de l'Histoire, de l'enseignement tout court, de la cohésion sociale, des questions sociétales, l'on pourra bien tenter la pensée complexe, essayer de concilier les contraires.

    Dans l'ordre de l'action, une prévalence s'imposera toujours.

    Entre ce qui fait vivre et ce qui fait mourir la conciliation est utopique, en un sens, mortifère ou criminelle.

    Il vient un moment où des choix s'imposent. Ils ne sont pas faits que de conciliation des contraires ... A trop s'interroger sur les moyens justes de concilier les contraires, le risque de ne rien décider, ou mal, ou trop tard, est grand.

    Maurras, dans son étude la plus connue sur Auguste Comte*, critique longuement l'idée dominante au XIXe siècle, du gouvernement de l'examen : examiner ce n'est pas encore gouverner.  Il y a un temps pour l'examen, un temps pour gouverner, qui est celui de la décision.

    Macron se dit pragmatique. Mais nous le voyons aussi idéologue. Peut-être les deux, en même temps. L'un de ces deux termes finira par être prévalent.

    L'on peut aussi tenter de concilier pensée complexe et pensée réaliste à la condition que lors de la prise de décision ce soit la pensée réaliste qui ait le dernier mot. On verra Macron à l'ouvrage.  

    *Auguste Comte, Bons et mauvais maîtres, Œuvres capitales, tome III, Flammarion, 1954

  • Passe d'armes Macron-Villiers : un chef ne devrait pas dire ça…

     

    Par Alexandre Malafaye           

    Alexandre Malafaye analyse ici [Figarovox, 17.07] les reproches exprimés par le président de la République au chef d'état-major des armées Pierre de Villiers. Il rappelle à juste titre qu' « aucun bon pouvoir ne s'exerce dans la durée sans contre-pouvoir ». Ce n'est pas pourtant, en l'occurrence, le nécessaire exercice de l'autorité que nous critiquerons, quant à nous. Mais que cette dernière s'exerce à mauvais escient. Quant à donner aux armées françaises la relance européenne comme horizon national et comme justification de l'effort qui leur est demandé, nous sommes infiniment réservés. Cela dit, nous approuvons l'esprit général de cette brillante tribune.  LFAR

     

    « Il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique. J'ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens, et devant nos armées, je sais les tenir. Je n'ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire

    Celui qui prononce ces mots durs ne s'appelle pas Charles de Gaulle. Un chef n'aurait pas dit ça. Celui qui recadre ainsi le chef d'état major des armées (CEMA) a obtenu 24 % - seulement - au premier tour de l'élection présidentielle. Depuis, à 39 ans, il a été élu Président de la République et, au fil des semaines, un autre visage se dessine. La campagne nous a montré celui d'un séducteur habile, soucieux de rassembler le plus largement possible, « en même temps » à droite et à gauche. Mais à la vérité, nous avons élu un inconnu. Avant lui, les Français n'ignoraient presque rien des grands traits de caractère de leur Président. Cette fois, nous découvrons en marchant la vraie nature du nouveau locataire de l'Élysée, l'autre visage de Jupiter. Celui qui affirme « je suis votre chef » n'avait jamais été placé en situation de commandement, jamais il n'avait été numéro un.

    Dès lors, l'observation des premiers actes du « chef » qui « sait », par delà la mise en scène urbi et orbi de la geste présidentielle, se révèle très instructive, et pas nécessairement rassurante. À travers sa confrontation brutale et déséquilibrée avec le chef d'État major des armées, Emmanuel Macron croit utile de signifier qu'il dispose du pouvoir. Curieux rappel en vérité, car sous la V° République, qui doute de l'étendue du pouvoir et des prérogatives du chef de l'État français ? Personne. Alors à quoi bon ? Veut-il tuer dans l'œuf toute velléité de contestation, voire simplement toute forme de discussion contradictoire ? Tout le laisse penser ; de la même façon, nous imaginons qu'avec cette exécution en place publique du CEMA, Emmanuel Macron vise tous ceux qui seraient tentés de le contrarier, puisqu'il n'a « besoin de nulle pression et de nul commentaire ». En ligne de mire, tous ceux qui procèdent de son autorité, et plus spécialement les directeurs d'administration qu'il a mis sous tension depuis son arrivée, avec la menace du spoil system.

    Il n'aura donc pas fallu attendre longtemps pour voir le masque tomber. La bascule s'est faite au soir du deuxième tour des élections législatives. Comme il n'y a plus aucune parcelle de pouvoir à conquérir via les urnes, inutile pour Emmanuel Macron de persister dans la voie du charme et du « en même temps » ; il peut se débarrasser du gant de velours. Mais dispose-t-il vraiment d'une main de fer ? Le chantier des réformes à mener est tel que nous espérons voir la même fermeté s'exercer lorsque les premières vraies difficultés surgiront. Car si le CEMA n'a pas d'autre choix que d'obéir ou de se démettre, il n'en ira pas de même avec la jeunesse, la rue, ou encore les syndicats.

    L'abus d'autorité peut masquer une faiblesse, ou bien refléter une certaine ivresse du pouvoir. Grisé par tant de puissance et l'image hypertrophiée renvoyée par le miroir médiatique, le meilleur des hommes peut se laisser aller à croire qu'il peut tout imposer, tout régler, tout dicter par sa seule volonté. Mais il faudra tout de même qu'à un moment ou à un autre, Emmanuel Jupiter Macron revienne sur terre et se familiarise avec un exercice maîtrisé du pouvoir et ses contingences.

    Il lui faudra d'abord accepter de composer, car aucun bon pouvoir ne s'exerce dans la durée sans contre-pouvoir, et si les hauts-fonctionnaires, et les chefs militaires, ont le devoir d'obéir, ils ont le droit d'en remontrer à l'autorité politique. A condition, bien sûr, que cette dernière en accepte le principe. Hélas, il y a bien longtemps que ce n'est plus le cas, et la Nation toute entière s'en ressent. Cet équilibre est pourtant essentiel, et nous étions fondés à espérer que le renouveau démocratique promis par Emmanuel Macron le restaurerait. Il semblerait que rien ne change, et le Président de la République - qui dit aimer « le sens du devoir et de la réserve » -, comme ses prédécesseurs, préfère confondre les mots obéissance et soumission. C'est sans doute plus confortable, et même gratifiant pour l'égo. Mais l'homme étant pas nature faillible, si personne ne peut conseiller « le prince », ou le contredire, nous pouvons craindre des lendemains difficiles.

    En second lieu, le Président devra apprendre à utiliser son autorité à bon escient afin de faire reposer son pouvoir sur le plus essentiel des principes de gouvernement : la confiance. Car c'est bien là que réside le grand pêché d'Emmanuel Macron dans sa confrontation avec le CEMA. Autorité et confiance ne vont pas de pair, et disposer du pouvoir ne se traduit pas ipso facto par capacité d'entrainement. D'autant que si on les braque, les capacités de résistances et d'inertie de l'administration et des Français sont immenses. Ainsi, plutôt que d'attaquer frontalement le CEMA, pourquoi le Président de la République n'a-t-il pas fait œuvre de pédagogie ? Dans son allocation prononcée à l'Hôtel de Brienne, devant la fine fleur militaire de la Nation, d'autres mots auraient pu produire un effet bien différent. Voilà, par exemple, ce qu'aurait pu dire un chef fédérateur et inspiré par le renouveau des pratiques politiques : « J'ai n'ai rien perdu de vos débats et de vos inquiétudes, et je les entends. J'ai pleinement conscience des difficultés qui découlent de ces ajustements budgétaires de l'année en cours, soyez-en persuadés. Mais nous n'avons pas le choix. Les efforts à court terme que le Gouvernement et moi vous demandons d'accomplir sont indispensables pour restaurer le crédit de la parole française sur la scène européenne. Il en va de la relance du projet européen avec nos partenaires. Les enjeux sont immenses, à la hauteur des attentes de nos compatriotes et des défis de ce siècle incertain à bien des égards. A l'évidence, ces efforts à court terme seront récompensés à long terme, nous nous y retrouverons tous, y compris nos armées dont j'assume le commandement en chef, et pour lesquelles j'ai le plus grand respect. Faites-moi confiance, vous ne serez ni déçus, ni trahis, je m'y engage solennellement devant vous. »

    Voilà ce que nous aurions dû entendre, ce que nous aurions aimé entendre, ce qui aurait pu rassurer et clore le débat, redonner le sens et le souffle nécessaires, et motiver chacun sur l'objectif. Au lieu de cela, Emmanuel Macron se contente d'une nouvelle victoire à la Pyrrhus, en écrasant plus petit que lui. Mais à force de vaincre sans péril, il se pourrait bien qu'à la fin, il n'y ait ni triomphe, ni gloire.  

    « L'abus d'autorité peut masquer une faiblesse, ou bien refléter une certaine ivresse du pouvoir. » 

    Alexandre Malafaye           

    Président de Synopia

  • De la légitimité du régime qu'Emmanuel Macron a célébré le 14 juillet

     

    En deux mots.jpgIl faut donner acte à Emmanuel Macron d'avoir déclaré dans son discours du 14 juillet que « l’histoire de la France ne commence pas en 1789 ». Ce qui est la plus simple et la plus évidente vérité mais dont le seul énoncé eût déclenché les foudres des autorités cléricales-républicaines du quinquennat précédent, tels, par exemple, Robert Badinter ou Vincent Peillon. 

    Emmanuel Macron a pourtant affirmé par ailleurs - dans le même discours - que le jour du 14 juillet - dont on ne sait si c'est, en l'espèce, celui de 1789, prise de la Bastille, ou celui de 1790, fête de la Fédération - les Français avaient « montré les idéaux que désormais ils voulaient suivre. » Comprenons : les valeurs républicaines, les droits de l’homme, la liberté, l’égalité et la fraternité et tout ce qui est invoqué communément – et même plus qu’à son tour - comme les fondements quasi dogmatiques du régime. 

    Néanmoins, où et quand Emmanuel Macron a-t-il vu que les Français aient jamais formellement exprimé un tel vœu, auquel il attribue, d’ailleurs, le caractère fort d’une forme de décision ? De quelle façon, lors de quelle consultation, par exemple référendaire ? Quelques milliers de personnes dans la rue – y accomplissant, d’ailleurs, les premiers massacres de la Révolution - suffisent-elles donc à former la volonté du peuple français ? 

    Le nouveau régime s'est fondé sur la nécessaire mort du roi. Or, s'il nous souvient bien, alors qu'il était encore ministre de l'Economie, Emmanuel Macron s'était déclaré convaincu que les Français n’avaient pas voulu l'exécution de Louis XVI. Or, sans cette exécution, il nous semble bien, que le régime républicain n’eût pas été établi en France. 

    D'autre part il est bien évident que ni l'abolition de la monarchie, ni l'instauration de la république, ni l'adoption des fameux idéaux évoqués par Emmanuel Macron sur cette place la Concorde si mal nommée, n'ont été réclamées, encore moins approuvées par une quelconque majorité dûment constituée du peuple Français. Il serait même assez honnête de reconnaître que, s’il avait été demandé au peuple français de voter l'abolition de la monarchie et l'instauration d'une république, le projet aurait été, selon toute vraisemblance, très majoritairement rejeté. 

    S’il est un régime - parfaitement illégitime - qui fut fondé par une infime minorité bourrée de haine et disposée aux plus extrêmes violences, c'est bien celui qu'Emmanuel Macron a célébré place de la Concorde ce 14 juillet 2017. 

  • Défense • Eric Zemmour : « La messe technocratique des coups de rabot »

     

    BILLET - Le gouvernement a annoncé une réduction de 850 millions d'euros du budget de la Défense pour 2017. Un sacré coup de bambou à la veille du 14 juillet. Si l'armée est légitimement aux ordres de l'Etat, ce dernier doit être digne de sa mission nationale. Ce qui se dégage ici du billet d'Eric Zemmour, c'est que le nôtre ne l'est pas. Une brève analyse qui vaut mieux que des protestations. Sous les dehors de la rudesse et de l'autorité, qui eussent été justifiées en d'autres temps, Emmanuel Macron, méconnaissant l'état de nos armées et leurs mérites, n'a pas, en la circonstance, manifesté la dignité de l'Etat dont il est le chef.   LFAR

     

     

    Résumé RTL par Éric Zemmour et Loïc Farge 

    Dans Les Échos (daté 13 juillet), le chef d'état-major des armées Pierre de Villiers a réagi violemment à l'annonce par le gouvernement d'une réduction du budget de la Défense (il aurait juré qu'il ne se fera pas « baiser » par Bercy). « Les oiseaux de mauvais augure avaient raison. Ils avaient estimé que le départ de Jean-Yves Le Drian, qui avait régné sur le ministère de la Défense pendant tout le quinquennat Hollande, n'était pas une bonne nouvelle », note Éric Zemmour.

    « Entre des militaires, qui ont le devoir de se taire, et leur ministre, qui est contrainte de parler pour ne rien dire, la messe est dite », lâche Eric Zemmour. « Une messe déjà célébrée sous Hollande, sous Sarkozy, et même sous Chirac : la messe technocratique des coups de rabot », poursuit-il. « Une messe des économies budgétaires sur le dos de la Grande Muette, qu'on envoie aux quatre coins du monde - et en particulier de l'Afrique - pour faire parler de soi et faire croire que la France est encore une grande puissance », déplore Éric Zemmour.  

    Éric Zemmour

  • Culture • Loisirs • Traditions

  • Histoire & Actualité • Aux sources du 14 Juillet

     

    Par Jérémy Loisse

    Il est des idées, des analyses, des rappels historiques, et, finalement, des constations, que nous ne sommes plus seuls à exprimer, que nous n'avons même plus la peine d'exprimer, tant elles sont aujourd'hui partagées, diffusées. Il est même bon, voire préférable, que cela soit publié sur d'autres médias que royalistes, d'autres médias que les nôtres. Ainsi de cette excellente réflexion de Jérémy Loisse, parue hier, 15 juillet, sur Boulevard Voltaire. S'étonnera-t-on que nous préférions reprendre ainsi ces vérités dites par d'autres, notamment sur ce que fut la Révolution ? Hé bien, l'on aurait tort. Que l'on y réfléchisse. Bravo à l'auteur ! LFAR    

     

    ba4cf6877969a6350a052b6bf5ac64e2.jpeg.jpgEn ce jour du 14 juillet 2017, il n’est jamais mauvais de rappeler ce que fut cette journée et à quoi elle donna naissance.

    Le 14 juillet 1789, les révolutionnaires prennent la Bastille pour libérer sept détenus qui y étaient emprisonnés :

    Jean Béchade, Bernard Laroche, Jean La Corrège et Jean-Antoine Pujade, quatre faussaires accusés d’avoir falsifié des lettres de change ;

    le comte Hubert de Solages, criminel coupable de deux tentatives d’assassinat sur son frère frère aîné, ainsi que de viol, vol et assassinat sur sa terre de Trévien ;

    Auguste Tavernier, supposé complice de Robert-François Damiens, l’auteur d’une tentative d’assassinat (régicide) sur Louis XV

    le comte de Whyte de Malleville, embastillé pour démence à la demande de sa famille.

    Ces sept détenus sont tous à l’image de cette révolution : entre la démence, la falsification, le meurtre et le régicide. Les révolutionnaires jugeaient sans preuve, condamnaient sans motif, guillotinaient sans pitié. À voir les flots d’émotions que suscitent ces cris de « liberté, égalité, fraternité » et les flots de sang versés par ces mêmes personnes, on ne saurait oublier le proverbe qui dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les meurtres des ecclésiastiques, le saccages des églises, le renversement des mœurs, les massacres de septembre 1792, massacres de la guerre de Vendée et de la Chouannerie, la Terreur, le Tribunal révolutionnaire, Louis XVI et Marie-Antoinette guillotinés après des mascarades de procès auxquels les procès staliniens n’auraient rien à envier, la profanation des tombes de la basilique Saint-Denis, les révolutionnaires jetant les cendres de plus de 170 personnes, dont des rois et reines de France, des princes, des serviteurs du royaume ainsi que des religieux, dans des fosses communes… Voilà ce qu’étaient les actes de cette révolution.

    Comment ne pas trembler à l’écoute des noms de ses sanglants prophètes tels que Robespierre, Saint-Just, Marat ou Fouquier-Tinville ? Des loups maçonniques assoiffés de sang. La Révolution fut un leurre, mais un leurre entaché de crimes, de meurtres d’hommes, de femmes et d’enfants. Voyez ces trois mots mensongers de liberté (qui enchaîna la France), d’égalité (qui mit la France en dessous de toutes les nations) et de fraternité (qui amena les Français dans la période la plus fratricide de toute son Histoire). 

    Je conclurai en citant Alexandre Soljenitsyne : 

    « La Révolution française s’est déroulée au nom d’un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. […] liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement, sont antagoniques l’une de l’autre ! La liberté détruit l’égalité sociale – c’est même là un des rôles de la liberté -, tandis que l’égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n’est pas de leur famille. Ce n’est qu’un aventureux ajout au slogan… » 

     
    Lire aussi dans Lafautearousseau ... 
     
  • Culture • Enquête sur l’édition française (1) : « Sans pensée vivante, toute civilisation finit par mourir »

     

    Il s'agit là d'une intéressante étude réalisée par Francis Vencition pour L'Action Française 2000 sur l'état de l'édition en France. Et, semble-t-il la première d'une série. Elle se construit dans ce souci de l'avenir de l'intelligence qui est l'un des axes de la pensée maurrassienne. L'on pourrait dire l'une des missions de l'école d'Action Française. Y compris sous l'angle de sa stratégie. Il est bon que ce souci soit ici en quelque sorte revivifié.  LFAR    

     

    2355668558.jpgL’Action Française 2000 se penche sur l’état de l’édition en France. Lit-on encore ? Publie-t-on trop ? L’édition électronique a-t-elle un avenir ? Panorama d’une culture en profonde transformation, avec des témoignages d’éditeurs, dans toute leur diversité. Entretien avec Thibault Isabel, responsable des éditions Krisis.

     

    Comment définir votre métier et la vocation des éditions Krisis ?

    Le métier d’éditeur a beaucoup changé, avec le développement de grands groupes d’édition et la mise au premier plan de critères de rentabilité. Nombre de petits éditeurs s’organisent donc, souvent sur une base associative, pour combler les vides laissés par l’édition classique. C’est à cette logique de l’édition indépendante que nous nous rangeons, avec les éditions Krisis, qui publient la revue du même nom, ainsi que des livres de philosophie, de politique et de littérature. Nous publions à la fois des auteurs contemporains, comme Charles Robin ou Xavier Eman, et des rééditions de grands classiques oubliés, comme Les Titans et les Dieux de Friedrich Georg Jünger. Les éditions Krisis sont une petite structure, et nous ne pouvons pas éditer tout ce que nous voudrions, malheureusement. Nous mettons en tout cas l’accent sur les livres de qualité, négligés par la pensée dominante, qui permettent de remettre en cause les clivages habituels et sortent des sentiers battus. Le but d’un éditeur devrait être de privilégier la qualité de ce qu’il publie plutôt que son potentiel commercial. N’oublions pas qu’il y a en France (et partout dans le monde) une crise de la littérature de sciences humaines, liée à la dévalorisation générale de l’écrit et du savoir. Les ventes d’ouvrages de ce genre sont en chute libre, depuis les années 1980, et ont pris un tour abyssal ces dernières années. C’est pourquoi de moins en moins d’éditeurs en publient, et, lorsqu’ils le font malgré tout, privilégient des manuels, des dictionnaires ou des ouvrages de référence plutôt que des livres d’auteur développant une pensée originale, ce qui est toujours plus risqué. Cela conduit, à mon avis, à une crise de civilisation dont nous ne nous relèverons peut-être pas, collectivement. Le public doit prendre conscience du fait que, sans pensée vivante, toute civilisation finit par mourir.

    Pourtant, chaque année, les médias ne nous annoncent-il pas qu’il n’y a jamais autant de livres publiés ?

    C’est vrai. Cela s’explique par une baisse importante des coûts de fabrication. Désormais, grâce à l’impression numérique, il ne coûte plus très cher de faire paraître un ouvrage. D’où une explosion des chiffres de production et une multiplication des petits éditeurs. Mais cette richesse et cette diversité du monde de l’édition ne sont qu’un leurre, sur un plan qualitatif. Les livres d’idées se vendent de moins en moins bien, surtout si l’on fait abstraction des manuels, qui, dans le domaine des sciences sociales, gonflent artificiellement les ventes. Il y a trente ans, on vendait en moyenne cinq mille exemplaires d’un livre de sciences sociales. Aujourd’hui, on en vend trois cents. Donc, si l’on multiplie le nombre de titres édités, c’est d’abord pour limiter les risques commerciaux et rentabiliser en diversifiant la production. Même dans les médias, il n’y a plus guère d’émissions d’idées de qualité. La télévision a vu ces dernières années une multiplication exponentielle des chaînes, mais toutes diffusent les mêmes programmes insipides, stéréotypés. Elles se sont rabattues sur du divertissement ou de l’information en continu. Plus la quantité croît, plus la qualité baisse, là aussi. L’approche quantitative est donc un cache-misère qui dissimule la réalité. Je suis pessimiste. Le temps ou un éditeur était un homme passionné de philosophie ou de littérature, l’époque où il montait une maison d’édition afin d’assouvir son goût pour la culture, tout cela est révolu. La majeure partie des maisons d’édition sont aujourd’hui possédées par de grands groupes, qui ont une vision purement économique du métier. Ils veulent de la rentabilité à court terme et s’adaptent donc aux demandes du public le plus large. Ils ne veulent pas proposer des contenus originaux, mais garantir le succès avec des recettes assurées.

    Les éditeurs les plus exigeants sont-ils condamnés à produire à perte ? Le développement des livres numériques serait-il une solution le cas échéant ?

    S’il y a autant de petits éditeurs, c’est précisément parce qu’ils ne produisent plus à perte. Comme la production numérique est très bon marché, il ne coûte plus grand chose de produire des livres, et les éditeurs associatifs arrivent à avoir des comptes équilibrés. Ce qui leur coûte réellement, ce sont les frais d’envoi. Il reste peu de libraires indépendants, et la vente à distance est le moyen principal de diffusion. Or, la Poste augmente chaque année les frais d’envoi des colis. Les petits éditeurs vont avoir de plus en plus de mal à garder des comptes équilibrés et, lorsqu’ils disparaîtront, ils ne pourront plus compenser la production médiocre des grands groupes d’édition, en lançant avec courage de jeunes auteurs pleins d’avenir. Grâce à l’édition de livres numériques, cependant, nous allons sans doute assister à une démocratisation considérable du monde éditorial. Les éditeurs diffuseront directement via l’internet. Il se produira alors dans l’édition un phénomène comparable à celui qui s’est déjà produit dans la musique. La grande édition sera de moins en moins rentable, car elle sera plus massivement concurrencée par les médias alternatifs. N’importe qui ou presque pourra diffuser un livre et le commercialiser sans être inféodé aux circuits de distribution contrôlés par les poids lourds du secteur. C’est la face positive des choses, de mon point de vue. Mais il y a aussi un côté négatif : on ne lit pas un livre numérique de la même façon qu’un livre papier. Plus on diffuse les livres par le numérique, plus on encourage le zapping. La profusion est une richesse, mais elle implique aussi une forme d’éparpillement. Être et Temps de Martin Heidegger ne trouverait plus aujourd’hui son public. Les gens ne sont plus habitués à des livres d’un tel volume, qui nécessitent une lecture attentive et suivie. Les nouvelles modalités de lecture favorisées par l’internet entretiennent selon moi le déclin de la production intellectuelle dans ce qu’elle a de plus exigeant.

    La diversité des publications va-t-elle aussi ébranler un peu la puissance des mandarins universitaires ?

    En termes de production de livres, oui, indéniablement. Tout travail universitaire pourra éventuellement être publié. Mais il ne suffit pas d’être publié : encore faut-il trouver son public. Or, la profusion, là encore, va avoir un effet d’éparpillement. Le meilleur livre du monde passera inaperçu au milieu de la masse des livres médiocres qui seront présentés. Le pouvoir des médias restera central pour le grand public, et le pouvoir des mandarins restera central également dans le monde universitaire : ce sont eux qui opéreront la sélection entre le bon grain et l’ivraie, ou ce qu’ils perçoivent comme tel. Même si l’internet permet une visibilité accrue de sensibilités autrefois marginalisées, il n’empêche donc pas l’ostracisme.

    Quel est votre plus grande réussite dans le domaine éditorial ? Quel est l’auteur le plus injustement méconnu que vous ayez édité ?

    Je ne pourrai pas isoler une réussite en particulier. C’est au contraire la constance de l’action éditoriale qui est méritoire, sur la durée. La structure éditoriale dont je m’occupe actuellement (Krisis) a existé sous des formes diverses depuis près de cinquante ans. Toujours dans les marges, mais toujours influente malgré tout, et toujours présente. Je suis très fier d’en être l’un des continuateurs, l’un des héritiers. Quant à l’adjectif « méconnu », il ne saurait s’appliquer à Alain de Benoist, mais il est en tout cas l’auteur le plus injustement déconsidéré que nous ayons édité. C’est un homme de très grand talent, qui a longtemps été boudé par la grande édition. Mais les choses commencent à changer, fort heureusement, car la mauvaise réputation qu’on accolait par le passé à Alain de Benoist était profondément ignoble. Il publie maintenant aux éditions de Fallois, chez Pierre-Guillaume de Roux, au Rocher, etc. Le public semble de plus en plus favorable aux pensées alternatives. Au moment où Eric Zemmour caracole en tête des ventes d’essais, les gens comprendraient d’autant plus mal qu’Alain de Benoist soit encore ostracisé. Mais n’oublions pas que, si les possibilités d’expression médiatique sont plus grandes, le traitement médiatique des auteurs sulfureux reste quant à lui partial et orienté. Certains intellectuels iconoclastes passent certes beaucoup de temps dans les médias, comme Zemmour, Onfray ou Finkielkraut. Mais ils sont attaqués sans cesse ! Les lignes bougeront réellement lorsque ce ne sera plus le cas et qu’il sera possible, en France, de proposer des alternatives au libéralo-centrisme dominant.

    Est-ce que l’avenir de l’intelligence ne repose pas en partie sur une internationale des éditeurs et réseaux intellectuels en Europe ?

    C’est important et, très franchement, notre mouvance a particulièrement bien réussi dans ce domaine. Alain de Benoist mobilise un vaste réseau européen, et c’est d’ailleurs en Italie qu’il a le plus grand succès. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un large réseau de contacts, que ce soit en Italie, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, et même partout dans le monde. Nous avons des correspondants à l’étranger, et nous y connaissons des éditeurs, qui suivent tout ce que nous faisons. Ce sont ces éditeurs étrangers qui traduisent une bonne partie des livres que nous publions en France et assurent notre influence internationale très large. Se développer à l’échelle européenne présente deux intérêts. Le premier est de dépasser les conflits idéologiques franco-français. Secondement, l’élargissement de l’influence intellectuelle permet de traiter certaines questions à l’échelle globale. Nous devons tous constituer un réseau international pour avoir du poids à l’échelle de la société, face à des problématiques elles-mêmes de plus en plus globales : mondialisation, crise écologique, développement de la finance, etc. Car c’est à une authentique crise de la civilisation européenne que nous sommes en train d’assister. Notre peuple ne peut pas se développer sans un rapport au livre qui soit fondé sur l’exigence. Sans rigueur dans la lecture et dans la pensée, la culture se dégrade. L’approche consumériste du livre condamne le peuple français, européen et occidental à une attitude grégaire. C’est l’intelligence qui préserve de la docilité. On n’a pas d’idées rebelles sans avoir tout simplement des idées. Le nivellement de la culture aboutit à un nivellement de l’esprit critique et de l’intelligence. Le philosophe et historien Jacob Burckhardt a déjà développé depuis longtemps cette thèse de la mort de la civilisation en constatant que les moyens de communication modernes allaient certes permettre une diffusion de la culture, mais aussi une commercialisation de la pensée. Je suis convaincu qu’il s’agit du principal défi à relever, et le monde de l’édition y joue un rôle crucial. Aujourd’hui, ce défi ne peut être relevé que de manière associative. Dans un monde où l’argent occupe une place aussi importante, nous devons sortir du culte de la marchandise. Nous devons faire le pari de l’intelligence pour que l’homme soit de nouveau structuré par la culture, plutôt qu’abêti par les médias. 

    Propos recueillis par Francis Venciton

  • Littérature • Et si on (re)lisait Stefan Zweig cet été ?

     

    Par Johan Rivalland

    Article d'une  série, sur Contrepoints, destinée à nous faire découvrir ou redécouvrir l’auteur autrichien Stefan Zweig. Dont toute l'oeuvre, si riche, nous intéresse à bien des titres. Aujourd’hui, présentation de « L'ivresse de la métamorphose ».

     

    GeO1v_zloUlL25W1g1uECL1razY.pngOeuvre posthume, Ivresse de la métamorphose est un roman dont l’écriture a débuté en 1930-1931 et a été poursuivie en 1938-1939. Trois grands temps semblent se succéder, avec une rupture marquante entre les deux derniers, qui coïncide avec la rupture d’écriture, sans qu’il y ait d’incohérence, bien au contraire.

    Les tourments de la guerre

    Le premier temps décrit une peinture de la femme autrichienne, du moins de certaines d’entre elles, celles qui ont souffert de la manière la plus criante des conséquences de la Grande Guerre, à travers ici une toute jeune femme, qui en a vu sa vie bouleversée durablement.
    On trouvait déjà une telle peinture de jeune femme emportée plus directement dans les tourments de la Guerre dans Clarissa (voir notre volet précédent), mais à un âge un tout petit peu plus avancé.

    Ici, d’emblée la peinture est sombre ; on ressent pleinement, au-delà du drame de la guerre elle-même, la destruction qu’elle engendre, jusque dans les longues années qui suivent, pour les populations qui ne pourront jamais vraiment s’en remettre, en raison en particulier de la pauvreté, voire l’état de misère, qu’elle induit.

    Un destin bien sombre

    Puis un second temps ouvre des perspectives vers un autre monde, en flagrant contraste et dont la peinture est, elle aussi, particulièrement riche et évocatrice, décrite avec l’acuité toute particulière de Stefan Zweig, maître hors pair de la psychologie humaine et de l’observation sociologique.

    Elle va trouver son point de rupture et déboucher sur ce troisième temps, très sombre et qui préfigure, de manière grandissante, ce qui va constituer une part du destin de l’auteur lui-même, ne manquant pas de susciter en nous une certaine émotion ou, plus exactement, revêtant une valeur particulière dans cette oeuvre, par l’authenticité de la description de certains faits. Avec aussi, en arrière-fond, une critique très intéressante de l’État, particulièrement en temps de guerre ou après (ici appliqué au cas de l’Autriche), que je ne renierais pas. 

    Un chef d’œuvre de subtilité

    Je reste, bien sûr, volontairement flou dans ce commentaire, pour ne dévoiler en rien l’histoire et tâcher même de brouiller un peu les pistes, mais je n’ai qu’un conseil, pour ceux qui connaissent bien l’auteur et n’ont pas encore lu ce livre-ci : ne pas passer à côté de cette lecture.
    Un roman vrai, un roman fort, un sujet grave et qui mérite toute notre attention. Un chef d’oeuvre de subtilité.  •

    Stefan Zweig, I'vresse de la métamorphose, Le livre de poche, avril 1994, 285 pages. 

    Johan Rivalland 

  • Culture • Loisirs • Traditions

  • Famille de France • Retour au musée de Dreux du portrait du roi Louis-Philippe

       

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpg« Ce mardi 4 juillet, le roi Louis-Philippe retrouvait le chemin du Musée d’art et d’histoire de Dreux.

    Après plusieurs mois de restauration, ce magnifique tableau reprenait sa place dans la salle consacrée aux Orléans, au second étage du musée.

    Je ne connaissais pas le Musée d’Art et d’Histoire de Dreux. « L’appel du grand large » nous fait souvent passer à côté de ce qui est sous nos yeux. Classé premier dans le département et quatrième dans la région, ce musée contient plusieurs chefs-d’œuvre méritant le détour : Granet, Vlaminck ou Monet.

    Ce portrait en pied, probablement de Noyal d’après celui du Baron Gérard exposé à Versailles, superbement restauré retrouvait ainsi tout son éclat, surtout de mon point de vue le bleu de la redingote. On y voit le Roi en uniforme prêtant serment sur la charte de 1830 entouré des symboles de la royauté. Ce tableau est tout simplement superbe.

    Dans une des salles sont aussi exposées les œuvres des enfants qui ont suivi cette année les enseignements au musée, dont ma fille Antoinette. Pour clôturer la journée, nous assistions à la représentation musicale de Gaston au conservatoire de Dreux. »   

     

    Jean de France, duc de Vendôme
    Domaine Royal, le 10 juillet 2017

     

    Le site officiel du Prince Jean de France

  • Histoire & Société • Jean-Christophe Buisson : « 1917 annonce notre époque de plus en plus déshumanisée »

     Un défilé du 14-Juillet marqué par la présence américaine

     

    Le 14 juillet 2017 est l'occasion de se pencher à nouveau sur l'importance de l'année 1917 dans l'histoire : dans un entretien réalisé par Alexandre Devecchio, paru sur Figarovox à l'occasion de la sortie de son ouvrage 1917, l'année qui a changé le monde, Jean-Christophe Buisson explique que cette année cruciale préfigurait notre postmodernité. Les idées, les analyses, sont foisonnantes et toujours intéressantes. Critiques envers notre société. Bienvenues sur ce site ... LFAR 

     

    XVMdf34f3a6-67e2-11e7-8c12-a695e61ec102.jpgDe quelle manière 1917 fut-elle « l'année qui a changé le monde »?

    De toutes les manières, et c'est pour cette raison qu'elle est la seule à pouvoir être ainsi qualifiée. Pour reprendre un adjectif spenglerien, 1917 fut « décisive » sur un plan militaire, d'abord, avec des événements aussi importants dans le déroulement de la Première Guerre mondiale que l'effondrement de la Russie, le débarquement américain, l'arrivée des tanks, la déroute italienne à Caporetto ou la conquête de Bagdad et de Jérusalem par les Britanniques. Mais aussi d'un point de vue politique, diplomatique, social, économique, culturel ou scientifique, Avant ou après, d'autres années ont marqué durablement leur époque mais jamais dans tous ces domaines à la fois. 1815 fut une année cruciale pour la géopolitique de l'Europe et, partant, du monde, mais on serait en peine de trouver des mouvements culturels nés cette année-là qui seraient de l'ampleur de Dada, de l'art conceptuel ou du surréalisme. 1848 fut une année de soubresauts politiques et sociaux majeurs en France et en Europe centrale mais elle ne déboucha pas sur une refondation d'Etats ou la création de structures nationales ou impériales aussi nouvelles que la Russie soviétique ou la Yougoslavie. Plus tard, 1945 verrait la fin d'un monde mais celui qui viendrait après ne s'affirmerait que dans les années suivantes alors que 1917 voit en même temps s'effondrer celui d'hier et émerger celui de demain, c'est-à-dire le nôtre.

    Rédigé sous la forme d'une chronique au jour le jour embrassant tous les continents et tous les domaines, votre livre évoque des centaines d'événements. Quels sont les plus marquants ?

    Tout dépend de votre sensibilité personnelle. Selon que vous êtes un passionné de la chose militaire ou un pacifiste, un conservateur ou un progressiste, un cinéphile ou un sportif, un amateur d'art ou un féru d'exploits aériens, un observateur de la vie politique ou quelqu'un que les destins hors normes fascinent, vous retiendrez l'offensive alliée catastrophique du Chemin des Dames et la bataille d'Ypres ou le mouvement général des mutineries et la chanson de Craonne ; le retour au pouvoir de Clemenceau et de Churchill ou la création du système de délégués d'atelier, ancêtres des délégués du personnel, et les mobilisations des femmes en faveur de meilleurs droits sociaux et citoyens (il est d'ailleurs à noter que le Figaro, sous la plume d'Abel Hermant, n'était alors pas le dernier à militer en faveur du droit de vote et d'éligibilité de ces dames à l'Assemblée nationale…) ; le triomphe de Charlie Chaplin et la projection du premier film d'animation de l'Histoire (argentin!) ou la création de la coupe de France de football (avec quelques clubs ... anglais) ; le ballet « Parade » et les tableaux extraordinaires de Klee, Vallotton, Grosz, Matisse, Kandinsky et Léger ou la disparition tragique de Guynemer et les exploits du « baron rouge » Manfred von Richthofen ; le génie tactique de Lénine et de Trotski réalisant un coup d'Etat qui avait cent fois plus de chances d'échouer que de réussir ou les initiatives si audacieuses de Lawrence d'Arabie et de Gandhi.

    Vous dites que notre monde est le produit de cette année-là. Comment ?

    Prenez les quatre événements internationaux majeurs de 1917. Qui niera que les deux révolutions russes, l'intervention pour la première fois des Etats-Unis sur le sol européen, la déclaration Balfour et la déclaration de Corfou n'ont pas lourdement pesé sur l'histoire du monde au XXe siècle et ce, jusqu'à nos jours ? La chute des Romanov et surtout l'instauration du premier régime totalitaire de l'histoire ont bouleversé le destin de la planète entière, donnant naissance par réaction au fascisme et au nazisme et jetant des peuples entiers dans des chaos et des apocalypses dont on paie encore les conséquences - et pas seulement intellectuelles. En rompant avec leur isolationnisme traditionnel pour venir en aide aux démocraties occidentales et se mêler directement des affaires de l'Europe, les Américains ont inauguré leur leadership mondial et opté pour un statut de « gendarme du monde » qu'ils perpétuent au XXIe siècle - pour le meilleur, parfois ; pour le pire, souvent. En promettant aux Juifs un « foyer national » sur les décombres de l'empire ottoman dont d'autres Britanniques avaient promis les oripeaux aux tribus arabes, le secrétaire au Foreign Office lord Balfour a sans doute, de son côté, participé à la création d'une situation confuse et explosive au Proche-Orient qui n'a jamais semblé plus inextricable qu'aujourd'hui. Enfin, en choisissant d'oeuvrer à la destruction des vieux empires (Autriche-Hongrie et empire ottoman) dans lesquels il vivaient, Serbes Croates, Bosniaques et Slovènes ont opté pour un Etat artificiel commun qui allait s'avérer un tombeau de leurs illusions et un terrain d'horribles massacres dans les années 1940 et les années 1990.

    Ce qui frappe au cours de cette année, c'est aussi l'ampleur prise par le phénomène de mécanisation de la mort...

    Oui et c'est en cela que 1917 sonne véritablement le glas du « monde d'hier » décrit par Stefan Zweig ou Joseph Roth et annonce le XXe siècle, qui sera un temps de progrès, techniciste, rationaliste, déicide, hyperviolent. Naissent ou se développent sur terre, dans les airs et sous les mers, des engins de mort de plus en plus sophistiqués. Au prétexte d'économiser des vies humaines en substituant aux combattants des tanks, des sous-marins et des avions, on industrialise des techniques de tueries de masse. Le gaz moutarde fait son apparition dans les obus allemands. On prépare Auschwitz, Dresde et Hiroshima. N'est-ce pas d'ailleurs encore cette année-là que Ludendorff, numéro deux de l'armée allemande, imagine le concept de « guerre totale » voué à une certaine popularité un quart de siècle plus tard ? A se demander si Cocteau n'avait pas raison en affirmant que « le progrès est peut-être le développement d'une erreur »... Ne pas oublier aussi que moins de deux mois après la révolution d'octobre est mis sur pied la terrible police politique soviétique (la Tchéka) et élaborée, déjà, sous la forme d'un décret de Lénine visant à emprisonner et à envoyer aux travaux forcés « les saboteurs, les fonctionnaires en grève et les spéculateurs », l'idée même de goulag.

    Au milieu de ce contexte aussi brutal émergent pourtant de nombreux mouvements culturels...

    Les deux sont étroitement liés. C'est l'environnement de la guerre, de la brutalisation des êtres, de la mécanisation à outrance qui, justement, provoque cette incroyable effervescence culturelle en 1917. Les artistes se nourrissent de cette monstrueuse boue chaotique pour en faire de l'or pictural, littéraire ou musical. Le premier disque de jazz ne pouvait être enregistré qu'en 1917. Marcel Proust ne pouvait terminer son manuscrit d'« A l'ombre des jeunes filles en fleurs », futur Prix Goncourt, qu'en 1917. Pierre Drieu La Rochelle ne pouvait publier ses premiers poèmes, qui sont à la fois une ode à la force brute, un appel à l'amitié entre les peuples européens jetés dans une atroce « guerre civile » et un long soupir fataliste (bref du fascisme romantico-littéraire avant l'heure) qu'en 1917. Apollinaire ne pouvait inventer le terme de surréalisme qu'en 1917. Freud ne pouvait imaginer le concept du surmoi qu'en 1917. Malevitch ne pouvait peindre ses premiers « carrés blancs sur fond blanc » qu'en 1917.

    Dans votre livre, vous vous attardez aussi sur plusieurs figures qui vont faire le XXe siècle. Quel intérêt de raconter leur vie en 1917 ?

    Parce que 1917 a changé leur vie. Et parfois celle de leurs contemporains. Je pense par exemple à la création du premier centre anticancer par Marie Curie ou aux quatre équations du rayonnement gravitationnel établies par Einstein dans sa chambre glaciale de Berlin dont il ne sort quasiment plus. Quant aux grands leaders politiques du XXe siècle, tous ont vu leur destin s'accélérer cette année-là: convalescent après avoir été blessé au front, Mussolini bascule dans la conviction que les futurs anciens combattants formeront une communauté politique après-guerre et que son pays a besoin d'un homme « qui connaisse le peuple, soit son ami, le dirige et le domine, quitte à lui faire violence » ; Hitler, lui aussi blessé et convalescent, se forge son antisémitisme paranoïaque en constatant qu'il y a, à l'arrière, un « nombre élevé » de Juifs dans les bureaux qu'il met en parallèle avec « leur rareté sur le front » ; Mao Zedong publie son premier article dans une revue pékinoise où il élabore une doctrine visant à établir « un homme nouveau » et un « ordre nouveau » afin de lutter contre «les quatre démons du monde» que sont l'Eglise, l'Etat, le capitalisme et la monarchie ; De Gaulle, prisonnier en Allemagne, tente à plusieurs reprises de s'évader et se jure de plus jamais subir cette humiliation suprême pour un soldat qui est de ne pas pouvoir combattre ; Mac Arthur connaît ses premiers problèmes avec sa hiérarchie ; par son activisme, Gandhi arrache aux Britanniques la promesse de discussions sur une réforme du statut de l'Inde, etc.

    S'il fallait retenir une œuvre qui décrit le mieux 1917 ?

    « 1917: l'initiation d'un homme », de John Dos Passos, immense auteur américain trop souvent sous-évalué en raison de l'ombre de son contemporain et frère d'armes et de plume Ernest Hemingway. Et le tableau de Félix Vallotton que j'ai choisi pour la couverture de mon livre. Presque abstrait, d'un graphisme exceptionnel, il représente un champ de bataille noyé sous des faisceaux lumineux, dans des nuées de gaz, des incendies et des pluies diluviennes. On y voit une nature écrasée et… aucun être vivant. Comme si toute humanité avait été effacée de la surface de la Terre. Il annonce notre époque de plus en plus déshumanisée, où la machine et les robots semblent sur le point de triompher.

    « En rompant avec leur isolationnisme traditionnel pour venir en aide aux démocraties occidentales, les Américains ont inauguré leur leadership mondial et opté pour un statut de gendarme du monde »

    Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l'émission hebdomadaire Historiquement show4 et l'émission bimestrielle L'Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d'une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l'émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l'année qui a changé le monde, vient de paraître aux éditions Perrin.

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    1917, l'année qui a changé le monde de Jean-Christophe Buisson, Perrin, 320 p. et une centaine d'illustrations, 24,90 €.

    Alexandre Devecchio

  • 14 Juillet • Le défilé du 14 Juillet ne saurait masquer l’état de délabrement de notre armée de l’air 

     

    Par Marc Rousset

    Nous retiendrons surtout de cet article les intéressantes données données chiffrées sur l'état de nos armées. Les appréciations politiques peuvent être objet de débat.  LFAR 

     

    f682426fee04086bb84efa58fc9b3d8e.jpeg.jpgL’acteur de théâtre Macron compte faire le beau avec Trump pour le 14 Juillet en lui présentant quelques échantillons de nos forces armées. Mais le rapport présenté à la commission des finances de l’Assemblée nationale le 28 mars 2017 par le député Cornut-Gentille décrit dramatiquement ce qu’il en est quant à l’insuffisance et la vétusté des capacités françaises de transport aérien.

    Macron, malgré ses singeries au bout d’un filin pour être héliporté sur un sous-marin nucléaire, brille pour la communication mais ne passe pas du tout, en réalité, dans le milieu militaire. Macron est un technocrate bancaire allergique au militaire sans aucune conviction patriotique. Macron parle de 2 % du PIB en 2025 pour le budget de la Défense alors qu’il faudrait de façon urgente 3 % du PIB demain matin. Le budget représente aujourd’hui environ 1,6 % du PIB.

    La réalité, c’est que jamais l’effort de Défense n’a été aussi faible depuis plus d’un demi-siècle. Trois exemples illustrent la situation : aucun des avions ravitailleurs, qui ont pourtant plus de cinquante ans, n’a été remplacé ; plus de 50 % des hélicoptères sont indisponibles (par manque d’argent, effort est fait sur les OPEX, mais il n’y a pas assez d’hélicoptères pour l’entraînement en France) ; 15 % des militaires ne reçoivent toujours pas le montant exact de leurs rémunérations plus de six ans après la mise en place du nouveau système informatique LOUVOIS ( LOgiciel Unique à VOcation Interarmées de la Solde).

    La liste exhaustive de nos faiblesses en matière de transport aérien stratégique est trop longue. Selon la Cour des comptes, la France ne peut couvrir au mieux qu’un quart de ses besoins stratégiques. En 2013, année de fortes sollicitations, la capacité est tombée à 7,4 %. L’armée de l’air dispose, par exemple, de deux A340, 22,5 ans d’âge moyen, trois A310, 30,6 ans d’âge moyen, onze C-135 et trois KC-135 (ravitaillement en vol ou 25 tonnes de fret), âge moyen classifié dépassant les cinquante ans. D’où le recours permanent aux flottes étrangères, principalement américaines, notamment pour le soutien OPEX. Il est fait recours aussi d’une façon occulte – ce qui représente un abandon de souveraineté – à plusieurs types d’avion loués à prix d’or à la Russie, à l’Ukraine ou aux États-Unis tels que les Antonov An-124 (100 tonnes), les Boeing 747 de l’US Air Force (70 tonnes) et les Iliouchine II-76 (35 tonnes). 

    En matière de transport aérien tactique, les chiffres sont aussi critiques et lamentables, suite à une usure avancée. Les C-160 Transall, malgré les efforts des mécaniciens de l’armée de l’air, sont à bout de souffle. Il ne restait que 21 Transall C-160 disponibles fin 2016. Le taux de disponibilité de la flotte des C-130, qui était de 72 % en 2011, a chuté en 2016 à 22,5 %. Quant aux CASA, l’acquisition de nouveaux appareils n’a pas permis d’enrayer la baisse du taux de disponibilité, situation préoccupante qui souligne l’hétérogénéité du parc.

    L’A400M dont parlent continuellement les médias a pris un retard considérable suite à de sérieux problèmes techniques. Il faudra attendre au moins 2025 pour disposer des cinquante appareils prévus. Il est loin, le temps du général de Gaulle où la France avait un taux de budget de la Défense de 5,1 % du PIB ! Quarante ans de décadence avec l’UMPS et Macron, Hollande bis, continue sur le même chemin… 

     
    Économiste