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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1150

  • Le « pacte mondial sur les migrations » arme de destruction massive des nations

    par Olivier Pichon 

    1581440061.jpgImmigration 

    « Il me semble que les solutions que le pacte migratoire de l’ONU propose vont exactement dans le sens à la fois des valeurs de l’Europe et des intérêts de l’Europe », a dit Emmanuel Macron à Bruxelles, le 23 novembre. 

    Les hommes ont toujours été animés par la pulsion migratoire ; ce fut même un état presque permanent de l’humanité dans les temps préhistoriques et anciens et qui dépendait du climat, des ressources disponibles, des catastrophes naturelles ou humaines, voire des conquêtes, dont on ne soulignera jamais assez qu’elles caractérisent dans la plupart des cas, la migration. Mais ce phénomène migratoire s’accomplissait le plus souvent selon un processus naturel et, historiquement, dans un monde qui était loin d’être plein. Souvenons-nous que l’humanité ne comptait encore au début du XXe siècle qu’environ 1 milliard et demi d’humains pour plus de 7 milliards aujourd’hui. Au surplus, les hommes ont inventé les royaumes, les nations et les empires par logique d’affinités culturelles et ethniques, lesquels, en dépit des guerres, constituaient un facteur d’équilibre mondial et civilisationnel dans le temps long. L’ONU, par ce pacte, ruine cet ordre et ouvre la boîte de Pandore, car l’accord spécifie : « Réfugiés et migrants bénéficient des mêmes droits de l’homme universels et des mêmes libertés fondamentales (que les nationaux), droits qui doivent être respectés, protégés et déployés à tout moment. » (Préambule, section 4).

    L’ONU ouvre la boîte de Pandore

    Qui ne voit la folie destructrice de cette réduction de l’humanité à un agrégat d’individus indifférenciés ? On ne peut ici que faire référence à René Girard. Selon lui, « la société moderne vit une crise d’indifférenciation généralisée : fin de la différence entre les peuples, les classes, les rôles, les sexes ! Je constate que la société moderne est capable de supporter, sans crise, [ndlr : c’était il y a quelques années !] un degré d’indifférenciation supérieur aux sociétés traditionnelles mais je constate que la société moderne est bien en crise », disait-il. On peut raisonnablement penser qu’un tel pacte, s’il est appliqué, fonctionnera comme un accélérateur de crise ! René Girard n’hésitait pas, quant à lui, à affirmer que cette indifférenciation est source de « la violence mimétique » et qu’en revanche les différences permettent précisément, autant que faire se peut, et à rebours de l’opinion commune, une forme d’entente.

    De plus, l’idéologie occidentale dominante de nos jours se fonde sur le culte d’un individualisme forcené dans lequel l’être humain, libéré de toutes les normes et obligations morales, peut satisfaire tous ses désirs. Chacun peut revendiquer n’importe quoi au nom du « c’est mon choix ». Ce faisant, les Onusiens projettent sur les peuples du tiers-monde, à travers ce pacte, sans même le savoir et le vouloir, la domination idéologique occidentale et donc une forme de néo-colonialisme !

    En France, entre 2004 et 2018, le nombre de demandeurs d’asile a doublé et, depuis 2011, le nombre de visas délivrés a augmenté de 65% et le nombre d’étrangers en situation irrégulière bénéficiant de l’Aide médicale d’État a augmenté de 50%. Source : Avis sur le projet de loi de finances pour 2018, tome 2 : « asile, immigration, intégration et nationalité ». 23 nov. 2018.

    Un constructivisme orwellien

    Ainsi donc, les 10 et 11 décembre, lors de la conférence intergouvernementale tenue à Marrakech le « Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » devrait être signé par les États membres. Il ne s’agit pas ici d’aide aux réfugiés, mais d’une obligation radicale d’ouverture des frontières aux migrants du monde entier avec obligation de les aider à choisir leur pays de destination. L’ONU organise un vaste supermarché de l’installation avec fiche du consommateur à l’appui. Deux hommes sont en charge du dossier : Jürg Lauber, citoyen suisse et représentant son pays auprès des Nations unies (la Suisse dont les conditions d’entrée sont extrêmement restrictives !), et un Mexicain, Juan José Gomez Camacho, représentant permanent du Mexique auprès des Nations unies !

    MONDE-1-BIS-3.jpgDans cette affaire l’ONU agit subrepticement ; car il ne s’agissait pas de proclamer juridiquement haut et fort la migration comme un droit de l’homme ; ainsi présenté le pacte eût enflammé l’opinion ! Le texte, donc, n’en fait pas mention de peur de compromettre le projet. Mais, bien entendu, il est, en fait, érigé en droit de l’homme. L’accord se divise en vingt-trois objectifs, tous à prétention universelle. Il convient de noter l’aspect consumériste de l’opération migratoire sous couvert de droits et de justice : il traduit bien l’intention marchande qui est derrière ce pacte aux aspects humanitaires et moraux, comme à l’accoutumée. Les grands groupes mondialisés ne veulent avoir affaire qu’à une légion de consommateurs, pour les mêmes biens produits en séries longues et peu coûteuses, les fameuses économies d’échelle. Curieuse coïncidence, c’est à Marrakech qu’avait été signé l’accord donnant naissance à l’OMC en avril 1994 !

    Ainsi, le migrant devra avoir la possibilité de connaître (par un site web) toutes les caractéristiques du pays d’arrivée, frais de scolarité, taux de change, réglementation des permis de travail, évaluations des diplômes, bref une version mondialisée de Que choisir ou 7 milliards de consommateurs ! De frontières point ! L’ONU raisonne, comme si elles n’existaient pas.

    Là où perce l’intention profonde, c’est lorsque nos honorables penseurs se défendent justement de l’indifférenciation – risque qu’ils semblent entrevoir – en proclamant : « le respect mutuel des cultures, traditions et coutumes, etc. ». Discours connu mais contradictoire avec l’interchangeabilité des individus, double contradiction même, puisqu’en préconisant le respect des cultures d’origine, par exemple les mutilations génitales, les commissaires onusiens les rendent du coup impossibles à dénoncer.

    Ecoutons encore celui qui fut un des plus grands penseurs de la fin du XXe siècle, René Girard :

    « Les pandémies nouvelles qui apparaissent aujourd’hui dans le monde (comme le sida ou le virus H5N1) sont une conséquence de la globalisation qui se caractérise par le phénomène typique de l’indifférenciation aujourd’hui en cours sur la planète. Le terrorisme peut, à certains égards, y être assimilé. Comme les pandémies, il franchit les frontières et frappe à l’improviste, profitant de la fluidité des échanges rendue possible par le commerce planétaire. »

    Bien entendu le pacte est muet sur cette dimension du problème.

    Dissymétrie de fait

    Nos admirables penseurs mondialistes ne voient pas non plus dans leur aveuglement idéologique que le phénomène migratoire est évidemment dissymétrique, eu égard au formidable différentiel de prospérité d’une zone géographique à l’autre. En conséquence le phénomène migratoire n’a rien d’universel et ne justifie en aucun cas son traitement universaliste.

    Mieux encore, il faut parfois le considérer comme une variante contemporaine d’un vieux phénomène historique cité plus haut : la conquête. Sa phénoménologie reste très classique sous les apparences de la modernité ; il suffit de voir les téléphones cellulaires des migrants ! Prise au tas des richesses, rapt ou viol des femmes, voilà la réalité particulièrement contraire aux grands principes du pacte : le migrant vient non pas en travailleur mais en prédateur. Bien entendu, tous n’agissent pas ainsi, mais l’Europe, par exemple, zone cible par excellence, en raison des dispositions du pacte, se voit contrainte de mettre à disposition ses richesses accumulées par des générations et payées par les impôts ou sa protection sociale dont les coûts augmentent d’autant dans des sociétés déjà surtaxées.

    Ce formidable surcoût peut déclencher des révoltes fiscales dont on sait qu’elles sont souvent à l’origine de révolutions. Les Français connaissent : ils ont aimé l’invasion, ils adoreront la guerre civile ! Ce risque de conflit n’étant pas exclu, les auteurs du pacte prétendent le corriger par la censure médiatique ; toujours le même réflexe : « En mettant en place des normes éthiques pour le reportage et la publicité et en privant de subvention ou d’aides matérielles tous les médias qui promeuvent systématiquement l’intolérance, la xénophobie, le racisme et d’autres formes de discrimination à l’égard des migrants, le tout dans le plein respect de la liberté des médias » (Objectif 17). Un morceau d’anthologie ! Il faut être onusien pour proférer de telles énormités : c’est le Big Brother planétaire ! Qui admet, d’ailleurs, que les médias sont déjà subventionnés mais qu’il leur retirera ses subventions au cas où… Et qui définira l’intolérance, le racisme ? Enfin les auteurs ont l’impudence d’affirmer que ce contrôle se fera dans le respect des libertés. Un invraisemblable galimatias qui s’accommode aisément de toutes les contradictions. « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force ». Tout est dit dans 1984 par George Orwell.

    Le camp du refus

    Les États-Unis ont refusé le pacte ; la Hongrie s’en retire assez logiquement selon le ministre hongrois des Affaires étrangères puisque le pacte constitue « une menace pour le monde car il est susceptible de mettre en mouvement des millions de migrants ». De même, l’Australie, l’Autriche, le Danemark, la Pologne, Israël, la Bulgarie refusent de signer ce contrat. L’Allemagne discute actuellement au Bundestag à ce sujet, nouvelle pomme de discorde probable au sein de la GrosKo et entre les partis. Dès novembre la République tchèque à annoncé qu’elle allait refuser de signer et la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic a déclaré qu’elle ne signerait pas non plus l’accord.

    On ne s’étonnera guère qu’en visite d’État en Belgique le président français Emmanuel Macron a, sans réticence, exprimé son soutien au pacte de l’ONU sur les migrations qu’il qualifie néanmoins de non-contraignant.

    Bruxelles a critiqué la décision des pays qui refusent de signer, notamment l’Autriche, mais les oligarques ne sont pas à une contradiction près, puisque c’est à la demande de l’UE que ce document n’a pas de caractère contraignant ! Car, souligne l’historien du droit Jean-Louis Harouel¹, il n’est pas un traité mais, en tant qu’axe principal des droits de l’homme, la libre migration se transforme en un dogme, substitut au défunt communisme, de la « véritable religion séculière mondiale en s’en prenant à la propriété des peuples sur eux-mêmes ».

    Face à cette religion, le nombre des hérétiques est potentiellement considérable ; il ne nous déplaît pas de nous y compter. 

    Photo ci-dessus : Ils ont refusé le pacte. [Sebastian Kurz, chancelier d’Autriche - Donald Trump et Scott Morrison, premier ministre d’Australie - Kolinda Grabar-Kitarovic, présidente de la Croatie, avec Viktor Orban, premier ministre de Hongrie] 
    1. Professeur émérite à l’université Paris II Panthéon Assas, auteur de Revenir à la nation et Les droits de l’homme contre le peuple.

  • Quelques propositions royalistes pour sortir de la crise « par le haut »

    Par Jean-Philippe Chauvin 

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    L’année 2018 se termine sur l’incertitude, l’inquiétude et l’espérance, dans une sorte de valse endiablée que nul ne semble en mesure d’arrêter : le « Mai jaune », inattendue commémoration du précédent Mai d’il y a cinquante ans, n’en finit pas de rebondir, sous des formes diverses et parfois « scandaleuses » au regard de la démocratie représentative, fort malmenée par les manifestants au nom d’une forme de démocratie directe rebaptisée, peut-être abusivement ou maladroitement, « RIC » (Référendum d’Initiative Citoyenne).

    L’incertitude devant la suite du mouvement des Gilets jaunes, l’inquiétude des classes dominantes souvent malmenées par les slogans des manifestants, mais aussi l’espérance, sous des formes diverses et des points de vue différents, d’une sortie de crise : une équation compliquée, qu’il ne s’agit pas de négliger mais dont il faut chercher, et tenter autant que faire se peut, la résolution sans trop tarder. 

    Le président Macron, légalement et démocratiquement élu il y a moins de deux ans, se retrouve dans la situation la plus inconfortable qui soit, celle de la souveraineté impopulaire, voire discréditée, avec le risque de la paralysie et de la lente agonie d’un quinquennat désormais ensablé dans les mécontentements. La foudre qu’il était censé commander, en bon Jupiter présidentiel, s’est retournée contre lui, dans une sorte d’électrocution politique générale, et ni le gouvernement ni ses oppositions parlementaires n’en sont sortis indemnes. La défiance envers le président est devenue méfiance à l’égard de toutes les institutions de la démocratie partisane légale (y compris syndicales), et ce qui, aux dernières consultations électorales, se transformait en vote protestataire ou en abstention s’est tout d’un coup paré de jaune, désormais couleur de la colère ! 

    Cette colère, cette sorte de fureur sociale incontrôlable, largement soutenue par les classes moyennes déclassées ou en voie de précarisation, n’est pas facile à calmer et la « classe discutante » (selon le mot de Weber) apparaît mal armée, intellectuellement et sémantiquement parlant, pour la comprendre complètement et, surtout, pour se faire entendre des manifestants devenus parfois émeutiers. En quelques semaines, la production éditoriale, avant la production universitaire et littéraire qui traitera du phénomène avec quelque recul temporel, a rempli les boîtes-archives de tous ceux qui, participants ou contestataires du mouvement, veulent garder une trace et un souvenir de « l’histoire en cours », mais elle n’a pas vidé les rues ni apaisé les réseaux sociaux et les sites de discussion électroniques. J’ai rarement vu, depuis que la toile régit notre temps de débat, une telle effervescence et de tels affrontements, confinant parfois à une sorte de « guerre civile verbale » qui n’est pas, en soi, forcément rassurante… 

    La révolte débouchera-t-elle sur une révolution ? Une grande partie de la réponse dépend aussi de ce que l’on met sous le nom de révolution… S’il s’agit d’un changement d’état d’esprit, cela imposerait alors de rompre avec l’individualisme de masse et la société de consommation, avec cette « société distractionnaire » évoquée par Philippe Muray et cette « dissociété » dénoncée par le philosophe traditionaliste Marcel de Corte ; s’il s’agit d’un renversement des classes dominantes ou, mieux sans doute, de la fin de leurs féodalités financières et économiques, encore faudrait-il un Etat politique qui puisse assumer de recréer une forme de contrat social fondé sur les valeurs, non de jalousie et de ressentiment, mais de partage et d’équité, ce que certains nomment « justice sociale », et qui puisse imposer aux « puissants » d’intégrer un jeu social qui, sans renier leur liberté, leur rappelle leurs devoirs sociaux, comme cela pouvait être, en partie, le cas dans l’Athènes de Solon ; s’il s’agit d’un changement de régime politique, là encore la question de l’Etat est majeure, voire « première », et la nécessité de la sauvegarde et de la pérennisation du « pays ordonné » en relation, sans en être la vassale, avec les institutions internationales, d’Europe et d’ailleurs, s’imposerait… 

    2307869059.jpgEn sommes-nous là ? Pas encore, sans doute, mais les révoltes accélèrent le temps et les processus, et il importe de savoir vers où elles peuvent mener, sans tabou, et vers quoi il serait bon qu’elles mènent ! En ce sens, le projet royaliste peut être un débouché intéressant et, surtout, positif autant qu’il peut nous sembler (mais je ne suis évidemment pas neutre, puisque « engagé car fidèle » selon la belle expression de Georges Bernanos) nécessaire : la Monarchie n’est-elle pas, en sa magistrature suprême, l’incarnation d’une autorité qui, aujourd’hui, manque au président, et d’une légitimité qui, désormais, ne se satisfait plus de la seule élection démocratique quinquennale ? 

    Renforcer l’Etat et sa force de dissuasion (et de persuasion) face aux grandes féodalités économiques, en particulier mondialisées ; décentraliser les pouvoirs, y compris législatifs, selon le principe intelligemment appliqué de la subsidiarité, et en rendre une partie aux citoyens par le biais de « votations » locales ou professionnelles, en s’inspirant, par exemple, de ce qui se fait en Suisse ; favoriser une économie de proximité, autant dans le cycle de production que dans celui de la distribution, et un redéploiement rural des populations et des activités ; mieux valoriser le travail et non la spéculation ; etc. Voici quelques pistes pour sortir « par le haut » de la crise, et pour aider à retrouver une concorde nationale, concorde aujourd’hui gravement menacée par le processus de désaffiliation dont mondialisation et métropolisation sont deux vecteurs importants sans être uniques. 

    Mais la République actuelle, tiraillée entre une tentation monarchique mal assumée et une tentation politicienne toujours vive, peut-elle répondre aux attentes, multiples, d’une France divisée et d’une société souvent conflictuelle ? Au regard des derniers quinquennats et des événements des dernières saisons, il est possible d’en douter. Le premier élément du projet royaliste, même s’il apparaît encore lointain (ce qui n’enlève rien à sa nécessité), est de « refaire l’unité française », entre bien commun accepté et convivialité sociale : il n’est pas certain que cela soit simple ou facile, mais c’est la condition première pour que la France sorte du cycle des révoltes et des crispations… ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Général de Villiers : « L'Etat n'est plus au service de la Nation » 

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgL'ancien chef d'état-major des Armées  a donné au Figaro magazine (28.12) un entretien sur son nouveau livre Qu'est-ce qu'un chef ? Une méditation sur le besoin d'autorité et le rôle de ceux qui dirigent les autres. Interrogé par Jean-René Van der Plaetsen, il s'y exprime aussi sur la situation de la France. Non pas en politicien, mais en homme de commandement et en patriote. Nous donnons ici des extraits de cet entretien, politiquement et socialement significatifs, qu'il est intéressant de connaître. Nos lecteurs relèveront aisément les réflexions et les passages les plus saillants.  Lafautearousseau   

     

    avatar-journalistes-defaut.jpg(...) On a le sentiment que le pays n'a plus confiance en personne aujourd'hui. Pourquoi a-t-on perdu en route cette confiance qui existait au cours des Trente Glorieuses, par exemple?

    C'est l'échange entre le chef et le subordonné qui crée et installe la confiance. La confiance, c'est à mon sens le mot-clé, celui qui donne envie d'exécuter les ordres de son chef, celui qui permet l'obéissance d'amitié, car le vrai chef aime ses subordonnés et ses équipes, et il commande d'amitié. Je crois sincèrement, compte tenu de mon expérience au sein des armées, que c'est cet échange d'amitié qui génère l'obéissance active. L'adhésion l'emporte alors sur la contrainte. Or, aujourd'hui, on obéit trop souvent par contrainte et non plus par adhésion.

    Le citoyen obéit à l'Etat, représenté par l'administration, et il ne comprend pas pourquoi il est ainsi accablé de nouvelles taxes, normes et tracas par une bureaucratie tatillonne. C'est l'un des maux dont souffre aujourd'hui notre pays: l'Etat n'est plus au service de la Nation, c'est la Nation qui est au service de l'Etat. Or, c'est exactement à la relation inverse qu'il faut parvenir! L'Etat, qui n'est que l'incarnation de la Nation, a certes pour mission d'ordonner et de diriger les affaires de la Cité avec une organisation (défense, sécurité justice, éducation, etc.), mais il doit le faire au service des citoyens qui forment la Nation.

    Aujourd'hui, on constate qu'un fossé s'est creusé entre l'Etat et la Nation, entre ceux qui décident au sommet et ceux qui exécutent à la base. Tout le problème de l'autorité est résumé dans ce fossé grandissant. Je crois qu'il est temps de réagir pour remettre les hommes et les femmes de notre pays au centre des décisions. (...)

    Justement, pensez-vous que les élites ont pris la mesure de ce que vous décrivez, notamment depuis la révolte des « gilets jaunes » ?

    Le mouvement des « gilets jaunes » est une manifestation de ce que je décris dans mon livre : la délégitimation de l'autorité et le fossé qui se creuse entre le peuple et ses dirigeants. Avec les « gilets jaunes », on n'assiste pas à un mouvement social, mais à une crise sociétale. Ce n'est absolument pas la même chose et il faut en avoir bien conscience. Car on ne répond pas à une crise sociétale comme à un mouvement social. Les réponses doivent être profondes. D'autant que ces forces et mouvements qui traversent le peuple français sont aussi à l'œuvre en Europe. (...)

    Dans votre livre, vous rendez un hommage appuyé au maréchal Lyautey. En quoi l'enseignement de ce chef militaire est-il toujours d'actualité ?

    Hubert_Lyautey.jpgLa lecture du Rôle social de l'officier a été pour moi un événement fondateur. Ce livre a décidé en grande partie de ma vocation militaire, car sentir l'odeur de la poudre à canon n'a jamais été mon objectif. Ce livre, que j'ai relu des dizaines de fois, répond à bien des questions que nous nous posons encore aujourd'hui. Pour Lyautey, l'officier français a un rôle social à jouer - et je partage totalement son point de vue, en ajoutant cependant la précision suivante : tout chef, quel qu'il soit, a un rôle social à remplir. Lyautey avait déjà presque tout vu ou entr'aperçu à son époque. Sur le climat social, sur le fossé existant entre les chefs et les équipes, sur le désir d'autorité, sur le besoin d'humanité, son enseignement peut nourrir notre réflexion et nous éclairer. Ainsi, par exemple, sur la crise que traduit la révolte des « gilets jaunes ». Lyautey croit au creuset national ; d'une certaine façon, les « gilets jaunes » aussi.

    Quand le président de la République évoque le prochain service national universel, je veux y voir une émanation de la pensée de Lyautey. Plus le temps passe, et plus je suis convaincu que ce grand soldat avait tout compris : le rôle du chef, la diplomatie nécessaire, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Il est allé jusqu'à nous proposer, comme s'il avait pressenti le problème à venir, une voie pour régler la question des migrations massives. Avant tous les autres, Lyautey a montré l'existence d'un lien entre la paix, la sécurité et le développement. Il est un modèle pour moi.

    Et j'en reviens ainsi à l'exemplarité : je crois qu'il faut se choisir des modèles dans la vie. Je vois tant de gens qui ne sont « d'aucun temps ni d'aucun pays », pour reprendre la formule de Fénelon. Comment peut-on élever notre jeunesse vers les sommets si on ne lui donne pas de modèles ? Notre époque a besoin de modèles. Pas de contre-modèles. Et, puisque nous évoquons notre jeunesse, je voudrais ajouter que je suis, au fond, assez optimiste lorsque je l'observe. Car je ressens chez nos jeunes une aspiration à s'élever, à croire en un idéal, à ne pas baisser les bras, à vivre sur des bases solides. Si l'on y ajoute le désir d'unité et l'espérance en notre pays, la France pourra assumer sa vocation singulière dans le monde.

    « Donnez-moi deux cents Beltrame et je vous gagne la guerre contre le terrorisme », a dit je ne sais plus quel officier. Vous qui avez été le chef d'état-major des Armées françaises, pensez-vous qu'il y ait aujourd'hui en France deux cents colonels Beltrame ?

    800px-Arnaud_Beltrame_(cropped).jpgJe suis très perplexe lorsque j'entends ce type de formule face à la complexité du phénomène terroriste. Je ne suis plus en situation de responsabilité, mais je suis persuadé que tous nos colonels sont aujourd'hui formés pour être des Beltrame. Permettez-moi de m'étonner, mais aussi, d'une certaine façon, de me réjouir : le grand public a découvert grâce à l'héroïsme magnifique du colonel Beltrame ce qui constitue le trésor de l'armée française. Croyez-vous qu'il y ait un seul de nos colonels qui ne soit pas prêt à mourir pour la France ? Ils sont formés pour cela.

    Grâce au sacrifice du colonel Arnaud Beltrame, les Français ont redécouvert le don gratuit. Il leur est apparu soudain, et avec quel éclat, que la culture de vie est plus forte que la culture de mort! Il y a heureusement des hommes qui croient encore aujourd'hui au sacrifice suprême. Et, croyez-moi, les jeunes qui entrent dans l'armée possèdent cette soif d'âme, d'engagement, de don gratuit. Ils viennent chercher dans l'armée l'exemple du colonel Beltrame, et cela concerne les soldats, les sous-officiers et les officiers. Ce sont tous des colonels Beltrame en puissance parce qu'ils savent très bien, l'époque s'étant considérablement durcie, qu'ils peuvent un jour ou l'autre y laisser leur peau.  ■ 

  • Face à la menace turque, les Kurdes demandent l’aide de l’armée syrienne

    Antoine de Lacoste 

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    Depuis l’annonce par Donald Trump de retrait américain de Syrie, l’effervescence règne parmi les principaux acteurs du conflit.

    Les Turcs annoncent qu’ils vont s’occuper des « terroristes » kurdes et ces derniers, très inquiets, viennent d’appeler à l’aide l’armée syrienne. Beau renversement d’alliance !

    Il est certain que le lâchage par les Etats-Unis de son allié kurde, s’est fait dans une optique de réconciliation avec la Turquie, toujours membre de l’OTAN. Les Kurdes ne pouvant rester seuls face à l’armée turque beaucoup plus puissante qu’eux, avaient besoin d’un autre parapluie. Ils savent aussi qu’ils ne peuvent compter sur la France, malgré de pressants appels.

    L’armée syrienne s’est bien sûr empressée d’accourir et elle a pu pénétrer le 29 décembre dans les environs de Manbij sans avoir à craindre cette fois une agression américaine. Elle n’est toutefois pas entrée dans Manbij même, toujours occupée par les forces spéciales américaines. C’est une nouvelle portion de territoire syrien qui revient ainsi sous la souveraineté de Damas. C’est un succès important pour Bachar el-Assad et une capitulation en rase campagne pour les Kurdes qui espéraient naïvement se tailler là un territoire indépendant sous protection américaine.

    Lorsque les Turcs ont annoncé l’attaque de l’enclave kurde d’Afrin en janvier dernier, les Syriens avaient alors proposé aux Kurdes d’en reprendre le contrôle afin de leur éviter une défaite certaine et de rendre inutile l’initiative turque. Les Kurdes, comme souvent, s’étaient obstinés dans un refus hautain alors qu’ils savaient que les Américains ne bougeraient pas. Quelques jours et quelques centaines de morts plus tard, les Kurdes évacuèrent Afrin…

    L’expérience a, semble-t-il, porté et les Kurdes savent maintenant que seuls les Russes et les Syriens peuvent empêcher leur écrasement par une attaque turque.

    On ne sait d’ailleurs pas très bien quelles sont les intentions précises d’Erdogan qui ne peut évidemment agir sans consulter la Russie. Trump lui a pourtant mis le pied à l’étrier. Dans un entretien téléphonique relaté par l’agence Reuters, le président américain a demandé à Erdogan s’il pouvait en finir avec l’Etat islamique. Devant sa réponse affirmative, Trump a conclu :  « Alors faites-le. »

    Ce n’est pas si simple. Les derniers réduits de Daech se situent à 250 km de là, dans des déserts entre Palmyre et l’Euphrate d’une part et, plus au sud-est, le long de la frontière iraquienne. On voit mal des colonnes de blindés turcs traverser de vastes zones kurdes puis arabes à la recherche d’un ennemi camouflé et qui refuserait le combat. De surcroît, l’armée syrienne ne le tolérerait pas : si elle se réjouit grandement du retrait américain (qui d’ailleurs n’a toujours pas commencé), ce n’est pas pour laisser l’armée turque s’installer à sa place.

    Alors comme toujours dans la région, le dernier mot reviendra à la Russie qui a annoncé une réunion tripartite pour début janvier. Poutine, Erdogan et l’Iranien Rohani devront trouver un modus vivendi. ■

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.

  • Rétrospective : 2018 année Maurras [5]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous a proposé une série d'articles - qui se termine aujourd'hui : « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et de l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Le principe commun entre le cosmopolitisme et le communisme est en particulier lʼaspiration à la disparition des frontières nationales, projet aujourdʼhui en voie de finalisation – quoique puissamment contrecarré ces temps-ci -  et qui relie le maître à penser des pères de la IIIème République, Emmanuel Kant, à Karl Marx, le chef de file intellectuel de Lénine et des autres bolcheviks qui, suite à la Révolution dʼOctobre, instaurèrent en lieu et place de lʼimmémoriale Russie des tsars et des popes, lʼUnion Soviétique, véritable enfer sur terre qui proclamait urbi et orbi quʼil était un paradis plus glorieux encore que lʼÉden des temps reculés. 

    721.jpgAprès que la Première Guerre mondiale permit au communisme de prendre racine sur le sol glacial du peuple slave, lʼon peut remarquer, en revenant en France, que le P.C.F. réalisa le meilleur score de son histoire dans lʼimmédiate après-guerre. Il obtient 28 % des voix aux élections législatives de novembre 1946, devenant le premier parti de France. 

    Maurras avait ainsi parfaitement raison de dénoncer ce danger, quelque temps avant la grande boucherie de 1939-1945. De vouloir empêcher quʼadvienne le pire ; la guerre, ce monstrueux bain de sang, est le pire de tout : cʼest la sagesse politique même. Apparemment pas pour Winock, qui condamne le discernement de Maurras dont le leitmotiv à la fin des années 1930 était « dʼabord pas la guerre ! », mais qui lui reproche en même temps dʼêtre un haineux, un violent. Logique aristotélicienne, où diable es-tu passée ?     

    La ligne définie par Maurras était strictement défensive : prévenir une agression venue de lʼextérieur en augmentant massivement le budget militaire. Il en appelait à la fin de la République et à sa substitution par un régime « capable dʼarmer », de protéger la France face à la menace hitlérienne. 

    Ce que Winock interprète spécieusement comme de lʼanti-patriotisme. Il accuse carrément  la pensée de Maurras dʼêtre « nuisible à la cause nationale quʼelle est censée défendre ». Voir dans le régime de Vichy mis en place par Pétain une « divine surprise » relèverait pour lʼhistorien de lʼacte de haute trahison. Maurras, pourtant affublé du titre de « germanophobe » par Winock, aurait-il fait preuve de couardise en se soumettant censément à lʼAllemagne victorieuse ? Lui au moins a accepté de vivre lʼhumiliation de près. Il est resté dans sa patrie défaite. Quand de Gaulle est parti pour Londres. 

    Qui, honnêtement, est le plus courageux des deux ? Lʼacte le plus courageux nʼétait-il pas de vivre à lʼintérieur de son pays, en dépit de lʼOccupation ? Ne consistait-il pas à se ranger du côté de ce régime nouveau qui sʼefforçait de maintenir la grandeur de la France ? En réalité Maurras fit preuve de bravoure patriotique. Il aurait pu se réfugier à lʼétranger. 

    Cependant pour Winock lʼÉtat français du Maréchal Pétain est à vouer aux gémonies car il manifestait une hostilité sans pareille contre « les Juifs, les francs-maçons, les communistes et les gaullistes ». Lʼhostilité en soi nʼest pas un crime, comme en attestent les campagnes actuelles qui sʼen prennent aux supposés « conspirationnistes », accusés de « semer la haine » sur internet. 

    blog -pacte gernano-sovietique-Staline-Ribentrop-23 aout 1939.jpgLes communistes avaient bien pactisé avec lʼAllemagne nazie, lors du pacte Ribbentrop-Molotov, qui fut approuvé par le P.C.F. en septembre 1939. Au sujet des Juifs, Winock a-t-il oublié que Pétain avait parmi ses conseillers Emmanuel Berl, lʼinventeur de la célèbre formule « La terre ne ment pas », qui était de confession juive ? Enfin, reprocher à Vichy d’être dirigé contre les gaullistes relève pour le moins dʼune appréciation téléologique. Cʼest faire de lʼhistoire « rétrospective ». À lʼépoque nul ne pouvait présager de lʼimportance à venir de la personne du Général de Gaulle. Il était combattu en tant que sous-fifre des Britanniques. Pour Pétain et les ronds-de-cuir de lʼÉtat français siégeant à Vichy, il nʼétait quʼun point de détail, un pion au sein de lʼappareil militaire du Royaume-Uni, un officier parmi dʼautres de Sa Majesté. Rien de plus. 

    5.jpgOn a presque, en outre, lʼimpression que pour Winock Hitler et Pétain sont interchangeables. Ce quʼil est capital de rappeler, cʼest que ce dernier reçut son pouvoir non dʼHitler mais de la chambre des députés élue en 1936 – celle du Front populaire (photo) –. Le Maréchal dut assumer un rapport de force qui lui avait été imposé. Il nʼétait pas le responsable de la défaite. En aucun cas il nʼétait le thuriféraire dʼHitler. De même que Maurras, il percevait la défaite comme une terrible humiliation. Mais ce nʼest pas pour autant quʼil envisagea de partir au loin afin dʼéchapper aux épreuves auxquelles faisait face sa chère nation. Pétain comme Maurras ont agi en patriotes. 

    XVM8a31eda0-c178-11e8-ad1e-60c1e544ba7a-300x200.jpgCe quʼil y a, pour finir, de plus surprenant dans lʼarticle de Michel Winock, cʼest quʼil accuse Maurras de faire preuve de pacifisme. Empêtré par un discours qui fleure bon lʼanti-maurrassisme primaire, Winock se révèle en creux « polémophile », littéralement qui aime la guerre, cʼest-à-dire apologète de la guerre en tant que telle. Oui, Maurras eut raison de mettre en une de son journal Action française, après les accords de Munich (photo), « à bas la guerre ». Oui, la guerre, lʼacte politique le plus extrême et radical, est un fléau, l’ultima ratio, que lʼon ait à combattre Staline, Hitler, Nasser, Bachar al-Assad, Daech ou le roi dʼAngleterre. 

    Paradoxalement, Winock, en justifiant quʼon puisse trouver de bonnes raisons de faire la guerre (en se référant à 1939 il légitime la moins justifiable des guerres, la guerre offensive), se positionne sur la même ligne que Hitler, qui, sʼappuyant sur les théorèmes méphistophéliques du darwinisme social, lʼexaltait. À force de se vouloir lʼopposant diamétral de Maurras, Winock en à arrive à épouser le bellicisme hitlérien, nous priant de croire avec lui quʼil y aurait dans une guerre que l’on avait toutes chances de perdre quelque vertu. 

    Et lʼingénu de se dire distraitement quʼil est décisif de savoir prendre sa retraite au moment opportun, une fois carrière accomplie. Car un historien nʼest pas comme le vin, il ne se bonifie pas forcément avec lʼâge. (FIN)  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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    Couverture_livreM68.png

  • La "manif pro Macron" du 27 janvier ? lafautearousseau bien plus fort que BFM !...

    Notre page facebook vous l'annonçait sitôt après ce journal du soir de BFM/TV, du 3O décembre dernier : Olivier Truchot nous apprenait qu'une manifestation pro-Macron aurait lieu le 27 (Audiard ne disait-il pas : "les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît" !...); jusque là, on pouvait se contenter de rire ou sourire un peu, et seuls les plus enragés des Gilets jaunes furent pris d'un fou rire qui dure encore...

    Mais les choses se compliquèrent, si l'on peut dire, lorsque, sitôt après cette annonce, le même Truchot confirmait oralement ce qu'un bandeau fixe, et bien visible affirmait en bas de l'écran : "Plus d'un million de participants".

    En somme, disions-nous en substance et en commentaire, à BFM on est vraiment très fort, puisqu'on peut annoncer à l'avance combien il y aura de personnes un mois plus tard à une prétendue manif, dont, soit dit en passant, on ne parle plus guère, pour ne pas dire plus du tout, depuis...

    Voici ce que nous avons tous pu voir, ce fameux 30 décembre :

    BFM MACRON.jpg

    Alors, à lafautearousseau, on s'est dit qu'il fallait réagir, faire quelque chose, ne pas laisser à BFM le monopole du sensationnel.

    On a bien cherché, et... on a trouvé !

    Oui, on a trouvé : pour montrer que nous étions au moins aussi bons que les journaleux de service, nous avons résolu, tout simplement, de vous montrer, en exclusivité pour vous, amis lecteurs (vous apprécierez sûrement l'intention !...) la toute première image de cette manif. 

    Celle où les tous premiers participants arrivent, et commencent à se réunir; celle où les premières Ferrari des manifestants déboulent, pour soutenir leur Président bien aimé.

    Vous voyez, nous aussi - comme BFM - on peut faire fort ! Très fort même !

    Allez, Truchot : sans rancune !

    manif de traders.jpg

  • Bonne et heureuse année à vous tous, chers amis lecteurs de Lafautearousseau !

    Tous nos vœux à vous tous.

    Aux Français courageux, à ceux qui ne le sont pas encore ; à nos Princes qui maintiennent vivante, eux aussi avec courage, la tradition millénaire qu'il leur a été donné d'incarner ; et par-dessus tout, nos voeux pour la France, notre patrie, aujourd'hui partagée entre l'espoir légitime que suscite la salutaire réaction populaire de ces dernières semaines et les inquiétudes tout aussi légitimes que fait naître parmi les Français le chaos qui s'installe. Ce n'est pas l'anarchie que nous voulons, bien-sûr, mais l'ordre vrai. Ce que Boutang appelait l'ordre légitime et profond. Notions à creuser ...

    Tous nos vœux encore aux lecteurs de Lafautearousseau, courageux aussi parce que notre quotidien ne fait pas dans la facilité, le slogan usé ou la répétition à l'infini du même, l'incantation, la polémique vulgaire ... trop souvent pratiqués ailleurs. C'est par leur réflexion, leur compétence politique, leur action réfléchie, que les royalistes français peuvent compter, peser dans la France d'aujourd'hui qui lutte à tâtons pour sa survie.  Ce n'est pas autrement. 

    Partageons ces vœux enfin entre tous ceux qui collaborent à Lafautearousseau et doivent être remerciés de leur travail, souvent anonyme, toujours désintéressé, car ils servent la France. N'oublions pas enfin les auteurs des nombreux commentaires reçus quotidiennement sur Lafautearousseau - qui l'enrichissent et sont souvent d'excellente tenue. Merci à eux, aussi.  

    Bonne et heureuse année 2019 à tous, vive la France, vive le Roi !  ■ 

    Lafautearousseau

     

    Et rendez-vous aux messes, cérémonies, conférences et débats qui seront organisés partout en France et à l'étranger autour du 21 janvier pour honorer la mémoire de Louis XVI, marquer l'origine du grand déclin français que nous vivons et envisager les voies qui nous permettraient de sortir du chaos.   
  • Rétrospective : 2018 année Maurras [4]

    1914, l'Union Sacrée

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Concernant la pensée de Charles Maurras il sʼagirait plutôt de la qualifier de « judéocritique », ou si lʼon veut être « winockien » dʼanti-judaïque, cʼest-à-dire que sa pensée sʼefforce de réfuter rationnellement un système de valeurs ; quʼelle repose sur des considérations dʼordre théologico-politique au lieu dʼêtre fondée sur le racial ; quʼelle réfute non lʼessence des Juifs mais la conscience juive, bien quʼil existât des nuances à lʼintérieur de celle-ci, il suffit de se rappeler les confrontations violentes qui opposèrent, dans lʼEurope centrale et orientale des XVIe et XVIIe siècles, les sabbato-franckistes (qui donnèrent par la suite naissance aux Haskalah) au rabbinat régissant les shttetel du Yiddishland et les kehalim de lʼEmpire russe. 

    On retrouve ce primat accordé au prisme racial chez lʼhistorien libéral Augustin Thierry, qui voyait dans la Révolution française une revanche de la race gallo-romaine sur la race franque qui lʼaurait asservie à partir du baptême de Clovis. 

    Indéniablement, en réduisant la personne de Maurras en un chantre coupable de lʼantisémitisme dʼÉtat que connut lʼEurope à partir du deuxième tiers du XXe siècle, Michel Winock fait état de ses obsessions. Ça crève les yeux : il éprouve une passion pour la Seconde Guerre mondiale. Il le fait ressentir pratiquement à chaque ligne. Il se sert de cette période pour tenter de convaincre son lecteur quʼil est un devoir sacré dʼêtre anti-Maurras. Car le vrai anti-Maurras, ce nʼest pas de Gaulle, cʼest Winock. 

    Lʼhistorien cherche à le pousser dans ses retranchements. Pourquoi pas ? Cʼest de bonne guerre. Cʼest même ce quʼil y a de plus sain. Rien nʼest plus légitime que dʼessayer de mettre Maurras devant ses contradictions. Même dans les rangs de lʼAction Française il nʼest point lʼobjet dʼidolâtrie. Critiquer Maurras ne relève en rien du blasphème, du crime de lèse-majesté. 

    Le plus affligeant cʼest que Winock, aveuglé par ses passions, nʼest pas en mesure de disposer de suffisamment de facultés cognitives pour élaborer une critique pertinente de Maurras, une critique « interne », dans le sens où seule une critique interne est performative car elle sʼappuie non pas sur un jugement de valeurs mais sur la mise en évidence dʼun dysfonctionnement de la logique interne dʼun raisonnement. La critique, « externe », développée par Winock contre Maurras reste par conséquent inefficace, superficielle, et finalement vaine. 

    CCQn2bRWAAE78_w.jpgCar il est évidemment possible de dire que chez Maurras il y eut des erreurs qui ont été commises, par exemple en sʼattachant à évaluer lʼadéquation entre ses intentions et ses actes. Lui lʼanti-républicain rabique nʼa-t-il pas rallié la République ? Ne lʼa-t-il pas rejointe durant lʼété 1914 ? Nʼa-t-il pas fait partie de lʼUnion Sacrée, cette vaste coalition de partis politiques majoritairement républicains, qui en appela à la mobilisation générale pour le salut de la Patrie républicaine, face à une Allemagne ambitieuse et conquérante ? Au nom du « compromis nationaliste » nʼa-t-il pas trahi ses convictions les plus profondes ? Nʼa-t-il pas pactisé avec lʼennemi républicain, nʼa-t-il pas légitimé que fussent envoyés au casse-pipe ces paysans, ces ouvriers, ces artisans, ces commerçants, cette force vive de la Nation France ? Ce sont des questions qui méritent étude et réponses. 

    Mais comme Winock estime que seule la Deuxième Guerre mondiale est digne dʼintérêt, il se cantonne à celle-ci, au détriment de la « Grande Guerre », qui pourtant fut dʼune importance déterminante. Quand on substitue à la raison la morale, lʼon risque dʼaccroître lʼindigence de son propos[1]. 

    640_louis-ferdinand_celinegettyimages-109885482.jpgLe raisonnement de Winock ressemble plus à celui dʼun « prêtre rouge » quʼà un clerc guidé par les seules lumières de la science. Un prêtre qui, contrairement au curé exhortant ses fidèles à pratiquer lʼamour plutôt que la guerre, tend à justifier le bellicisme. Il reproche ainsi à Maurras dʼavoir voulu éviter à tout prix la guerre lorsquʼil écrit que « Maurras et les siens sʼemploient à expliquer quʼil faut éviter la guerre, parce que ce sont les Juifs et les communistes qui la veulent, pour prendre le pouvoir ». Cʼest peu ou prou une thèse partagée par Louis-Ferdinand Céline dans sa satire, publiée dans les années 1930, Bagatelles pour un massacre. Thèse condamnable sʼil en est pour les beaux esprits de la « rien-pensance ». 

    ob_9f4941_donald-trump-and-jerusalem-888658.jpgUn dynamisme dialectique caractérise les effets des deux Guerres mondiales : triomphe du cosmopolitisme, dʼune part, avec la création de la Société des Nations après la 1ère, puis lʼOrganisation des Nations unies après la 2ème et cristallisation politique du sionisme dʼautre part, avec la déclaration Balfour (1917) et la naissance de lʼÉtat dʼIsraël (1948). Cosmopolitisme et sionisme vont de pair : ils signifient, en bout de course, lʼavènement de Jérusalem comme capitale dʼun monde réuni autour dʼun gouvernement unique. Jérusalem, Sion, comme « cosmo-polis », « ville-monde ». (A suivre)  

    [1]  Comme le souligne le marxiste « orthodoxe » Karl Kautsky, dans Éthique et conception matérialiste de lʼhistoire (1906), « dans la science, lʼidéal moral devient une source dʼerreurs, sʼil se permet de lui prescrire ses fins », cité par Lucien Goldmann, Recherches dialectiques, Paris, Gallimard, 1959, p. 286.
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • LA VÉRITÉ DES GILETS JAUNES • UN PEUPLE EXSANGUE

    Par Yves Morel

    Il n'est pas besoin de supputer des calculs politiques ni de chercher des complots ni de faire des rapprochements avec les années 30 pour expliquer le mouvement des Gilets jaunes. 

    Les Gilets jaunes sont ce qui reste des Français après qu'ils ont perdu toute foi en leur pays, la société, leurs institutions, leurs gouvernants, leurs syndicats, en les autres, en eux-mêmes, en l'avenir. C'est ce qui reste des Français quand ils ne parviennent même pas à vivre à peu près décemment, et qu'ils n'ont plus que la colère et la révolte pures. En présence de ce mouvement, toutes les logiques idéologiques, politiques et morales se cassent le nez.

    Une réalité disparate, insaisissable, déconcertante.

    Le seul point commun des Gilets jaunes, qui cimente leur union, est leurs difficultés matérielles, la baisse continue de leur pouvoir d'achat, et leur situation de laissés-pour-compte du « nouveau monde » macronien, d'une politique qui les relègue au rang de rebuts, et d'une société qui sourit exclusivement aux nantis, aux forts, aux malins et aux chanceux. Aussi trouve-t-on de tout, parmi eux ; et, suivant leur personnalité, leurs préoccupations particulières, leurs intérêts catégoriels et leur sensibilité, ils sont susceptibles des réactions les plus contradictoires. Dans l'adversité, ils peuvent se révéler xénophobes, sexistes, racistes, sans que l'on puisse distinguer ce qui relève du « propos qui dépasse la pensée » de ce qui exprime au contraire une mentalité profonde, ordinairement bridée par les exigences de la bienséance ou du politiquement correct.

    Certains vivent véritablement « la galère » : retraités à pension mensuelle inférieure à mille euros nets, travailleurs enchaînant les petits emplois ingrats et alternant les périodes de travail et de chômage, les uns et les autres habitant des HLM insalubres, décrépites ou minées par les nuisances, les incivilités et l'insécurité.

    D'autres connaissent un sort un peu plus enviable : ouvriers qualifiés et employés, commerciaux, VRP, infirmiers et infirmières libéraux, les uns et les autres à peu près sûrs de conserver leur emploi, certains ayant pu accéder (non sans peine) à la propriété, mais contraints de se contenter du strict nécessaire pour vivre, et toujours au bord du découvert bancaire. Seule l'exaspération les a fait agir. Tous étaient dénués de passé militant et de sympathies politiques précises, et aucun (ou presque) ne se signalait par quelque conviction idéologique ou éthique affirmée. Leur vote tenait à leurs intérêts et à leur état d'esprit vis-à-vis de la politique menée par les divers gouvernements.

    Naturellement portés sur la gauche, mais déçus par celle-ci, ils ont pu être tentés, pour nombre d'entre eux, par les promesses d'un Sarkozy, avant d'être définitivement dégoûtés de tous les partis et de s'inclure dans les 57% d'électeurs inscrits qui se sont abstenus lors de la dernière présidentielle. Mais certains ont pu compter parmi les électeurs de Marine Le Pen, cependant que d'autres ont pu succomber aux sirènes macroniennes, dans l'espoir de voir enfin la réalisation d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, ils éprouvent le sentiment de ne devoir compter que sur eux-mêmes, et se méfient de tous les partis, y compris les partis protestataires comme La France insoumise ou le Rassemblement national. Et les centrales syndicales ne sont pas logées à meilleure enseigne. Ce sont des Français seuls et tout nus qui se rassemblent et se révoltent.

    De faux ascendants

    Ce phénomène, l'a-t-on assez dit, est sans précédent. Or, ce qui est sans précédent, ce qui bouscule les codes et les classements reconnus, irrite. On ne le supporte pas, et on essaie de le ranger dans les catégories et les rubriques habituelles. Ainsi, expliquent certains, les Gilets jaunes relèvent d'une manière de néo-poujadisme ; et d'aucuns, comme le récurrent Bernard-Henri Lévy, voient en eux une résurgence des ligues qui, le 6 février 1934, marchèrent sur le Palais-Bourbon.

    La comparaison ne vaut pas. Les poujadistes des années 1950 appartenaient à seulement deux catégories professionnelles, celles des commerçants et des artisans, le plus souvent assez aisées, nonobstant leurs problèmes fiscaux et les risques que laissaient planer sur elles la modernisation de l'économie et l'évolution de la société. Pas de pauvres, de chômeurs ou de travailleurs précaires parmi elles. Quant aux manifestants du 6 Février, ils relevaient le plus souvent des classes moyennes, et dénonçaient la corruption de la caste politique et l'incurie des institutions plus que leur situation sociale. Les Gilets jaunes, eux, recrutent dans les classes moyennes comme dans les plus modestes, voire les pauvres, et dans toutes les professions ; ils se battent pour la défense de leur niveau de vie ; et s'ils dénoncent une politique qui les sacrifie et « clive » la société en winners et loosers, et se défient de la classe politique, ils ne taxent pas cette dernière de corruption et ne vouent pas les institutions aux gémonies. Et, contrairement aux précurseurs qu'on veut leur donner, ils ne subissent nullement l'influence de quelque idéologie fascisante ou socialisante, n'aspirent ni à un sauveur de type bonapartiste, ni à la conquête du pouvoir par le peuple insurgé. Un phénomène inédit, donc, et qui ne ressortit pas aux explications habituelles.

    Le rôle ambigu et l'influence incertaine des médias

    On a beaucoup insisté sur le rôle des moyens informatiques de communication, qui ont permis aux Gilets jaunes de se concerter et de décider de leur action en court-circuitant les syndicats et en se passant de chefs et de structures de coordination. On a également mis en relief le rôle de la presse télévisuelle (BFMTV, les JT des grandes chaînes) dans la promotion de l'événement, et leur influence sur la destinée encore incertaine du mouvement : celui-ci, selon divers observateurs, commencera à piquer du nez le jour où, pour des raisons d'audimat, les journalistes cesseront d'en parler ou de lui accorder la primauté, et pointeront les dérives inhérentes à des démonstrations protestataires non étayées sur des revendications précises et une assise politique ou morale tant soit peu cohérente. Et il s'affaissera d'autant plus vite qu'il est inorganisé. Il s'évanouira comme un ectoplasme et sombrera dans la déconsidération puis l'oubli. D'aucuns vont jusqu'à affirmer que la médiatisation de sa récusation des organisations syndicales aura, en définitive, servi la politique de Macron, fort désireux de mettre sur la touche ces organisations et tous les corps intermédiaires susceptibles de contrer son action. Peut-être, mais ce n'est pas certain. Et nul ne peut anticiper sur des résurgences que les conditions sociales du moment rendent non seulement possibles mais plus que probables.

    Un peuple réduit à sa plus simple expression

    IMG.jpgEn définitive, les Gilets jaunes ne sont ni un mode de lutte nouveau, ni une résurgence du poujadisme, du boulangisme, des ligues des années 1930, ni une manifestation quelque peu spectaculaire du populisme. Ils sont l'image d'un peuple qui souffre, se sent sacrifié et méprisé, et ne parle que pour exprimer son désarroi, sans même formuler de revendications claires et sans souscrire en rien à quelque projet de société. Un peuple au pied du mur, au bout du rouleau, réduit à sa plus simple expression.

    Notre sémillant président pouvait-il le comprendre ? Son discours du 27 novembre montrait qu'il l'a fort mal discerné. Il s'est, en effet, efforcé de raccrocher à son écologisme militant la résolution des problèmes de nos compatriotes en montrant la solidarité des questions environnementales et des difficultés sociales, et les méfaits d'une société productiviste insoucieuse de la préservation de la nature et du cadre de vie des hommes. De là, il a conclu à la nécessité de lier étroitement le social et l'écologique et de s'engager sur la voie de l'édification d'un nouveau modèle économique respectueux de l'environnement et des conditions de vie, justifiant sa politique de taxation des carburants et de renoncement graduel aux énergies fossiles, et annonçant la création d'un Haut-conseil pour le climat. Sa seule concession est la subordination de l'augmentation des taxes sur les carburants aux fluctuations du cours de ces derniers.

    Les réactions des Gilets jaunes à ce long discours, toutes négatives, montrent qu'il ne les a pas convaincus. D'aucuns affirment que les Français auront toutes les peines du monde à se convertir au nécessaire modèle socio-économique à dominante écologique, défendu par Macron, et voient là l'origine de la révolte des Gilets jaunes. Et, sans doute, convient-il de beaucoup critiquer la société productiviste, rentabiliste, massificatrice et consommatrice de la seconde moitié du XXe siècle, source de détresse matérielle et morale. Mais ce que voient nos compatriotes, c'est qu'après les avoir sacrifiés à la société du profit, on les sacrifie à la reconversion écologique de cette dernière, et, qui plus est, au moment où ils n'ont plus rien pour vivre, pas même l'espérance. Et le tout pour un discours convenu de politiques qui refusent de les comprendre.

    Que Macron prenne garde : de cette nouvelle exigence risque de sortir quelque chose de terrible. Le peuple de France ne peut disparaître dans un trou noir.    

    Yves Morel
    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • NI EXTRÊME GAUCHE, NI EXTRÊME DROITE ...

    Par Michel Maffesoli

    Une remarquable analyse parue sur Atlantico, le 24 décembre. A lire absolument.  LFAR 

    logo.pngLe sociologue Michel Maffesoli livre un texte consacré à la sécession du peuple à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes, et au désarroi des élites. En cette période troublée, conséquence inéluctable des profondes mutations à l’œuvre dans nos sociétés, peut-être n’est-il pas inutile de se souvenir de la distinction proposée par Nicolas Machiavel entre « la pensée du Palais » et « la pensée de la place publique ! »

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    Gilets jaunes en sécession : élites désemparées face à l’extrême-peuple

    Distinction, désaccord, écart, lorqu’on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, il est fréquent que le peuple fasse sécession. Secessio plebis d’antique mémoire, au cours de laquelle les plébeiens se « retirent sur l’Aventin ». De nos jours, plus prosaïquement, ils occupent les ronds-points de la France périphérique. Mais quels sont les patriciens pouvant ramener la concorde et le calme des esprits ?

    Voilà qui n’est pas évident, tant est grand le désarroi des élites. Les experts ne font plus recette, les politiques sont déconsidérés, les journalistes suscitent la méfiance. Ce qui fait que les belles âmes, pétries de bons sentiments, occupant les plateaux des étranges lucarnes et trustant les colonnes des principaux journaux ont peur. Il faudrait être Cervantès pour décrire ces « chevaliers à la triste figure » luttant contre des moulins à vent . En la matière, la condamnation, sans appel, de l’extrême gauche ou plus encore et d’une manière obsessive de l’extrême droite, automatiquement synonyme de danger fasciste. Rien de moins !

    Au-delà de ces supposés extrémismes, c’est de « l’extrême peuple » dont il s’agit. Il est amusant d’entendre tel bien-pensant, voir se profiler l’ombre de Hitler ou de Mussolini derrière l’anodine demande d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Amusant ? et quand on vient d’en rire, il faudrait en pleurer !

    Restons sur notre Aventin. Le conflit fut réglé, on s’en souvient, quand outre la remise des dettes, c’est la constitution d’une magistrature de la plèbe qui fut obtenue.

    Voilà un symbole instructif. Il y a dans toute lutte un côté que l’on peut nommer spirituel, que le matérialisme natif de nos élites marxisantes déphasées a du mal à comprendre. C’est cet aspect symbolique qui est le cœur battant de ces régulières révoltes des peuples, dont le phénomène des gilets jaunes est l’expression contemporaine. Cet aspect est la ressource indomptable de la force morale.

    La sécession du peuple, c‘est l’action de se séparer, de s’éloigner d’un État s’étant lui-même éloigné d’un peuple qu’il est censé représenter. Se retirer d’un état de fait où « le service public » a mis le public à son service.

    Dès lors, les révoltes expriment l’irrésistible besoin de revenir à la « place publique ». C’est-à-dire au lieu que l’on partage avec d’autres. L’on a par trop oublié que le « lieu fait lien ». Trop obnunilées par des projets politiques orientés vers le lointain et pensées pour le futur, les élites ont oublié l’importance du localisme et l’urgence d’une vie quotidienne vécue au présent.

    C’est bien cela qui s’exprime dans les révoltes en cours. Ces « Aventins » que sont les ronds-points contemporains redisent, tout simplement, le plaisir d’être ensemble pour être ensemble. Ce qui est une efficace manière de lutter contre une techocratie de plus en plus abstraite, considérant avec mépris un peuple débile, incapable de comprendre, comme le signalait il y a peu un dirigeant de la majorité politique « l’intelligence et la subtilité de l’action gouvernementale ».

    Or la sagesse populaire « sait » d’un savoir incorporé sur la longue durée qu’il faut se méfier des pratiques dilatoires du pouvoir surplombant. Qu’il convient de ruser vis-à-vis des tentatives de diversion d’une administration capable, toute honte bue, d’annuler sans coup férir les mesures prises en réponse à la fièvre populaire. Annulation, annulation des annulations, la violence propre au totalitarisme « doux » d’un État jacobin a plus d’une corde à son arc. Mais à certains moments ces ruses technocratiques se parant de justification ou de rationalisation plus ou moins sophistiquées ne font plus illusion. Pour le dire trivialement : la coupe est pleine ! Et aux sincérités successives, qui dès lors sont ressenties comme de réelles faussetés les peuples répondent : « cause toujours, tu m’intéresses ».

    A ces discours dissertant avec « intelligence », sur un ordre des choses dont ils ignorent l’alpha et l’oméga, les insurrections populaires rappellent que l’authentique socialité est celle d’une communauté de destin se vivant au plus proche. Ces insurrections en appellent à une décentralisation radicale acceptant, reconnaissant l’existence concrète, c’est-à-dire vécue au jour le jour, des fondamentales appartenances « tribales ».

    Car ce sont bien ces appartenances qui s’expriment au grand jour dans le phénomène des « gilets jaunes ». Au-delà ou en–deçà des classes sociales de la théorie marxiste ou des catégories socio-professionnelles (CSP) des habituels et lassants sondages fonctionnalistes, c’est une socialité de base, rassemblant ce qui est épars que l’on retrouve autour des feux ponctuant les ronds-points. Ces feux sont comme autant de foyers où l’on se tient chaud et où se concocte le renouveau des solidarités organiques, cause et effet de toute société.

    Il ne s’agit pas là, comme l’analysent les sociologues qui sont en retard d’un siècle d’une  « lutte de classe » ou de ces inconsistants « mouvements sociaux », tartes à la crème d’observateurs ou d’experts déphasés. Non, c’est tout autre chose dont il est question.

    Volens, nolens, et même si on ne veut pas le voir, ce que l’on nomme solidarité organique en gestation est cela même qui s’élabore autour des foyers de ces ronds-points. En la matière, au travers des problèmes soulevés par les retraités, c’est le respect des Anciens, la reconnaissance de leur autorité venue de l’expérience de la vie qui est en jeu.

    C’est aussi la solidarité dont il est question quand ces Anciens échangent avec ces jeunes, chômeurs ou entrepreneurs, ayant du mal à joindre les deux bouts ou à développer leur nouvelle entreprise. Il y est question de générosité, d’entraide, d’échange et autres valeurs essentielles. Ce qui reste incompréhensible, parce que quelque peu archaïque, à des élites purement rationalistes, ayant quelque mal à comprendre l’importance de l’immatériel.

    Du coup, il leur est aisé de stigmatiser cette réémergence d’une solidarité proxémique au moyen de ces grands mots quelque peu incantatoires, donc vides, dont la bien-pensance a le monopole. L’on est ainsi abreuvé jusqu’à plus soif de termes tels que : populisme, communautarisme, complotisme, racisme, antisémitisme, poujadisme, « boffitude » et autres noms d’oiseaux du même acabit.

    On a même pu entendre un soixante-huitard célèbre, devenu notaire à la place des notaires qu’il conspuait en 68, signaler avec componction que de par ses origines et en référence à « l’étoile jaune » de triste mémoire, il était allergique à cette couleur ! tout un programme ! En fait tout cela témoigne d’une profonde incompréhension. Des commentateurs patentés hantant les sempiternelles talk-shows télévisés ou radiophoniques dont la caractéristique est un « entre-soi » fondamental. N’aidant en rien la compréhension d’une révolte radicale, mettant en cause la rigidité d’un pouvoir dont la verticalité n’est plus acceptée.

    Voilà bien le paradoxe de la tempête soufflant avec la violence que l’on sait. Ces échanges entre ancienne et jeune générations, ce souci du partage et de la solidarité, en bref ce plaisir d’être ensemble trouve l’aide du développement technologique. Le sentiment d’appartenance « tribale » est conforté par la cyberculture. Les réseaux sociaux, les forums et autres blogs, voilà ce qui rend caduques les formes habituelles de la représentation syndicale ou partisane. Le refus d’une organisation verticale et hiérarchisée a pour corrélat l’irréfragable désir d’une horizontalisation des rapports sociaux.

    Fondamentalement, ce « Netactivisme » en cours traduit bien la mutation, tout à fait postmoderne, du vertical à l’horizontal. Il se trouve que c’est sur les réseaux sociaux que s’expriment au mieux ces incoercibles révoltes qui sont, certainement, loin de s’achever. Caricatures, photomontages et collages divers singent, parodiquement, les divers protagonistes des pouvoirs politiques, journalistes ou divers sachants. Ayant pris conscience de ce que Platon nommait la « théâtrocratie » d’une démocratie en déshérence, le peuple, à son tour, tourne en ridicule les faits et méfaits des élites décadentes.

    En réponse aux turlupinades ayant eu lieu, lors de la fête de la musique en juin dernier sur les marches de l’Elysée ou encore ayant à l’esprit les indécentes exhibitions lors d’un voyage présidentiel à St Martin, l’ironie, l’humour et la franche rigolade se répandent comme une traînée de poudre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur ce charivari nex look qu’est le phénomène des gilets jaunes. Car dans la foulée des réseaux sociaux, la parodie contre la théâtrocratie du pouvoir a sa place dans la théâtralisation des manifestations en cours. Cela rejoint les « fêtes des fous » médiévales et autres moments d’inversion où le peuple prenait sa revanche vis-à-vis des pouvoirs établis.

    On l’a dit, non pas extrême gauche et non plus extrême droite, mais « extrême peuple » qui, à l’image du « brave soldat » Chveïk popularisé par J. Hasek, manie la satyre, pratique l’humour et la dérision et, ainsi, met à mal le burlesque état des choses dominant. C’est bien quelque chose de cet ordre qui est en jeu dans la révolte du peuple qu’expriment les gilets jaunes : de la candeur et du courage. Courage, c’est, ne l’oublions pas, du cœur et de la rage. Mixte fécond, répondant au discours technocratique délayant d’une manière insipide toute une série de banalités. Ces discours n’accrochent plus, l’arrogance n’est plus de mise.  

    Michel Maffesoli
  • Rétrospective : 2018 année Maurras [3]

    Dédicace de Charles de Gaulle à Charles Marras pour son livre La discorde chez l'ennemi

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    De la subtilité, Winock en manque cruellement lorsquʼil va jusquʼà défendre la position selon laquelle de Gaulle était lʼ « anti-Maurras », quʼil était « aux antipodes de Maurras ». Il est indiscutable que lʼidiosyncrasie gaullienne était imprégnée de lʼesprit de Maurras. Il faudrait que Winock réécoute sa conférence de presse du 27 novembre 1967, largement consacrée à lʼactualité internationale, aux États-Unis et à Israël notamment. Certes, de Gaulle était un maurrassien critique, de raison, pas un maurrassien béat. 

    En vérité lʼ « intelloʼ de Martigues » avait imprimé sa marque dans lʼâme jeune du natif de Lille. La socialisation politique primaire de De Gaulle sʼétait faite sous le signe de Maurras : son père, « Henri, lisait LʼAction française […]. Il était royaliste de cœur, et le jeune Charles a été éduqué dans un milieu habité par la nostalgie de la royauté. » 

    hqdefault.jpgEt pour preuve : de Gaulle a parfaitement retenu la leçon de son maître à penser à propos des quatre états confédérés quand il dit à Alain Peyrfefitte que la franc-maçonnerie fait office de quatrième colonne, un parti de lʼétranger, inféodé à la perfide Albion : « Sénat, Club Jean-Moulin, francs-maçons, tout se tient. Ces gens-là cherchent à me mettre des sabots aux pieds. On mʼassure que la moitié des sénateurs, de la gauche à la droite, sont franc-maçons. On mʼen dit autant des magistrats, quʼils soient du siège ou du parquet. Ça expliquerait bien des choses. Ces gens-là nʼaiment pas la France, ils préfèrent les Anglo-Saxons. »[1] On dirait du Maurras dans le texte. 

    Négateur du réel, Winock préfère voir en de Gaulle un épigone de Charles Péguy, un grand littérateur nʼayant en revanche jamais développé une doctrine politique cohérente sʼarticulant autour de concepts originaux, structurants et fondamentaux, à la différence de la pensée de Maurras, dont la dichotomie pays légal / pays réel, par exemple, est encore utilisée aujourdʼhui, notamment par les publicistes de la presse écrite ou même de la radio et de la télévision. Est-il quelquʼun qui a retenu une quelconque doctrine politique de Péguy, lui qui commença socialiste avant de se tourner vers le catholicisme ? Péguy ne s’est jamais voulu et nʼa jamais été à la tête dʼune organisation politique. 

    2784291594.jpgLʼanalyse de Winock révèle ici ses limites : il montre quʼil nʼa guère compris que le politique est dʼabord une somme dʼinteractions sociales, de relations humaines (quʼelles soient dʼamitié ou dʼinimitié[2]), soit quelque chose de bassement concret, avant dʼêtre des idées abstraites empilées dans des livres. Faire de De Gaulle lʼépigone de Péguy (photo) pour l’opposer à Maurras, quelle ineptie ! Plus énorme encore est celle dʼériger de Gaulle en anti-Maurras ; par ce truchement Winock réhabilite la formule maurrassienne très controversée dʼ « anti-France ». Sʼil est valide du point de vue épistémologique de se servir du préfixe « anti » pour exprimer une opposition radicale, pourquoi le serait-il pour Maurras et ne le serait-il pas pour la France ? 

    Ce manque de rigueur sémantique est le trait marquant de lʼarticle de Winock. Il utilise, si lʼon peut dire, des mots sans en mesurer le poids. Jetant aux orties Aristote qui signale que si « on ne posait de limite et quʼon prétendît quʼil y eût une infinité de significations, il est manifeste quʼil ne pourrait y avoir aucun logos. En effet, ne pas signifier une chose unique, cʼest ne rien signifier du tout », il sʼaffranchit du respect du sens strict des mots. 

    Prenons celui dʼantisémitisme. Maurras est victime de la présomption de culpabilité dʼen être un. Pour Winock, cʼest un fait avéré. On est dans lʼordre du préjugé : nul besoin de chercher à le démontrer. Lʼhistoire a tranché : Maurras est à bannir car il a rejoint le rang des antisémites notoires. 

    17639964-22082748.jpgOr cʼest mal connaître la généalogie de la question juive. Lʼantisémitisme présuppose lʼexistence de races distinctes, ce qui dans la modernité, comme le souligne Hannah Arendt (photo) dans le passage qui suit, a été introduit par des Juifs. 

    « Cʼest alors que, sans aucune intervention extérieure, les Juifs commencèrent à penser que ʽʽce qui séparait les Juifs des nations nʼétait pas fondamentalement une divergence en matière de croyance et de foi, mais une différence de nature profondeʼʼ, et que lʼancienne dichotomie entre Juifs et non-Juifs était ʽʽplus probablement dʼorigine raciale que doctrinaleʼʼ. Ce changement dʼoptique, cette vision nouvelle du caractère étranger du peuple juif, qui devait se généraliser chez les non-Juifs que beaucoup plus tard, à lʼépoque des Lumières, apparaît clairement comme la condition sine qua non de lʼapparition de lʼantisémitisme. Il est important de noter que cette notion sʼest formée dʼabord dans la réflexion des Juifs sur eux-mêmes, et à peu près au moment où la Chrétienté européenne éclata en groupes ethniques qui accéderont plus tard à lʼexistence politique dans le système des États-nations modernes. »[3] 

    Augustine_Confessiones.jpgSe situant à extrême distance de ces Juifs qui théorisèrent la diversité raciale du genre humain, du racialisme en somme qui, dʼaprès Hannah Arendt est une invention juive, Maurras, ce fidèle de lʼÉglise de Rome en vertu non de la foi mais de la raison, entendait rester fidèle à lʼesprit de lʼépître aux Galates de saint Paul qui continuait la parabole christique du Bon Samaritain. 

    Maurras n’entend pas remettre en cause lʼuniversalité, lʼunité radicale de lʼhumanité, telle quʼexprimée par saint Augustin de la manière suivante : « Quel que soit lʼendroit où naît un homme, cʼest-à-dire un être raisonnable et mortel, sʼil possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter quʼil tire son origine du seul premier homme[4] ». (A suivre)  

    [1]  Alain Peyrefitte, Cʼétait de Gaulle, II, Éditions de Fallois / Fayard, 1997, p. 111.
    [2]  Carl Schmitt, dans La notion de politique, avance que la syzygie, autrement dit lʼappariement du couple dʼopposés ami / ennemi est au politique ce que les dichotomies vrai / faux, bien / mal, beau / laid et utile / nuisible sont respectivement à la science, à la morale, à lʼart, et à lʼéconomie.
    [3]  Hannah Arendt, Sur lʼantisémitisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 8-9.
    [4]  Saint Augustin, La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661. 
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Lettres & Philo • « Pour Boutang, Les Fables de La Fontaine proposent une sagesse de la limite »

    Une Lecture de Bérénice Levet

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLa Fontaine politique, de Pierre Boutang vient récemment d'être réédité. Bérénice Levet salue un ouvrage qui décèle dans les Fables une profondeur philosophique digne d'Aristote [FigaroVox, 26.12]. Penseur assumé d'une condition humaine noble parce que limitée, La Fontaine peut être un maître pour notre temps, souffle, en philosophe, Bérénice Levet. D'ailleurs, elle fait bien plus que saluer l'ouvrage réédité de Pierre Boutang. Elle le prolonge de sa propre méditation. Ouvrage difficile dont on sent qu'elle l'a lu avec passion, sympathie, gourmandise, et, en un sens, avec affection, ou à tout le moins, empathie pour son auteur, dont nous n'oublions pas, ici, qu'il est l'un de nos maîtres. Il faut en rendre grâce à Bérénice Levet.  Lafautearousseau. 

     

    6792525lpw-6792702-sommaire-jpg_4039695.jpgQuasiment disparu de l'école républicaine depuis les années 1970 - si vous en doutez, interrogez vos enfants, et si vous êtes quarantenaires, interrogez-vous vous-mêmes ! -, La Fontaine connaît depuis plusieurs années un regain d'intérêt et de faveur. À la fin des années 1990, le comédien Fabrice Luchini inscrit Les Fables au programme de ses représentations. La gourmandise, la délectation, la jubilation avec lesquelles il les récite provoquent un effet d'entraînement qui dure depuis lors. En juin dernier, dans le cadre de l'opération « un livre pour les vacances », le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer offrait à 800 000 élèves sortant de classe de CM2, un recueil des œuvres du poète. Ce printemps, Le Monde et Le Figaro consacraient chacun un numéro spécial au fabuliste, Le Point, L'Obs, Lire lui réservaient leur couverture. Sans être dupe des motifs purement mercantiles qui président à ce retour en force et en grâce - l'industrie culturelle, avide de produits toujours neufs, toujours frais se plaît à puiser et à épuiser les ressources spirituelles du passé -, ce phénomène dit quelque chose de notre présent. Comme si nous pressentions que rouvrir La Fontaine ne nous serait peut-être pas inutile, comme si nous devinions que cette œuvre avait encore bien des choses à nous dire, bref qu'il était, pour user d'une formule vermoulue, un poète pour notre temps.

    arton771.jpgPour Pierre Boutang, ce n'est pas qu'un pressentiment, c'est une conviction, qu'il déploie dans cet ouvrage que « Les provinciales » ont l'heureuse idée de rééditer aujourd'hui, La Fontaine politique.

    Le titre est hasardeux, et Boutang le sait. « Prenons garde, écrit-il, se souvenant de Sainte-Beuve qui recommandait de toujours s'imaginer l'auteur auquel on se voue assis à nos côtés, tendant l'oreille, prenons garde donc, que La fontaine ne s'enfuie par le fond du jardin, s'il entend notre dessein de lui attribuer une politique ». Mais précisément Boutang ne se brise pas sur cet écueil, il n'attribue pas une politique au fabuliste, il ne transforme pas Les Fables en programme électoral ni en petit livre rouge. Mais il célèbre en La Fontaine le penseur de la condition politique des hommes, c'est-à-dire de l'homme comme « animal politique ». On y aura reconnu l'empreinte d'Aristote. « Animal politique » désignant l'homme comme être d'emblée pris dans le faisceau des relations humaines. Politique renvoie donc d'abord à une essentielle sociabilité de l'homme, consubstantielle au don du logos, du langage et de la raison intrinsèquement mêlés, qui le distingue d'entre toutes les espèces vivantes (et fonde, soit dit en passant, sa responsabilité à leur égard). C'est parmi et avec ses semblables que l'homme accomplit son humanité. L'atome des modernes est une fiction. « Politique, définit Boutang, veut dire que ni bête ni dieu, l'homme se revêt de son image dans le regard et les projets de ses frères humains incertains et bigarrés ». Anthropologie pré-moderne avec laquelle Boutang n'est pas seul à renouer, songeons à Hannah Arendt ou à Léo Strauss, par exemple.

    Les Fables sont donc politiques parce qu'elles n'ont pas d'autre objet que cette chétive créature avec ses passions, ses grandeurs et ses faiblesses, aux prises avec des questions qui ne se résolvent pas à la façon d'une équation mathématique ou d'un problème technique et financier. Comment vivre, comment rendre le monde plus habitable, la vie un peu plus douce, le commerce avec nos semblables un peu moins âpre ? La réponse n'est écrite nulle part. À nous, hommes, de nous débrouiller, de nous bricoler, de nous composer un art de vivre. En dehors de tout système, de tout dogme, La Fontaine nous est une béquille: « La Fontaine n'enseigne pas, dit si justement Boutang, il montre, […] il aide à faire naître la douce habitude ». Et l'on peut dire de La Fontaine ce que Pascal disait du christianisme, il a bien connu l'homme, « il montre tout, sa paideia va au meilleur et au pire ».

    Mais Les Fables sont politiques aussi, et c'est peut-être la leçon première que nous devons retenir de ce livre, parce qu'elles nous donnent la langue, et qu'il n'est pas d'autre force politique que la possession, la maîtrise de cette langue : « La seule réelle force politique [est] la perfection d'une langue […] et d'abord sa transmission religieuse aux enfants de chaque patrie. […] Je ne dis plus seulement que ma patrie c'est la langue française, mais que c'est l'enseignement et la tradition de cette langue dans son intégrité. Tous les autres biens passent effectivement par celui-là ; c'est en lui que l'intérêt et les intérêts deviennent par une métamorphose quotidienne, le bien commun national ». La langue est le ciment d'un peuple : « Chaque fois qu'un enfant apprend sa langue, il imite et prolonge l'aventure capétienne du rassemblement d'une terre dans l'unité de sa parole maîtresse ». À un moment où non seulement les « gilets jaunes », mais la classe politique tout entière et le Président de la République lui-même peinent tant à formuler le discours salutaire et réaliste dont nous avons besoin - nous comprenons que c'est cet apaisement que notre langue nationale est capable de produire en traduisant dans sa perfection et avec sa franchise singulière la réconciliation des intérêts dans le bien commun national, que tout un peuple espère. Apprendre sa langue dans La Fontaine, c'est acquérir un vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence d'une extrême richesse. Boutang est parfaitement accordé à La Fontaine, à l'anthropologie de la transmission qui est la sienne : relisons sa préface aux Fables : Une des grandes « utilités » de son ouvrage, indique-t-il d'emblée, est d'escorter les enfants, de les accompagner : « ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants ; ils ne se connaissent pas eux-mêmes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ».

    La Fontaine nous est précieux, parce qu'il nous donne les mots, parce qu'il nous donne les histoires pour être rapatriés sur terre, dans le monde des hommes, ce monde humain trop humain. Un politique qui ne donne audience qu'à la raison technicienne, technocratique, calculante, est comme condamné à méconnaître et à sacrifier la réalité humaine, qui crie parfois pathétiquement pour être reconnue et entendue, sans même pouvoir trouver les mots. « Nous avions cessé de regarder le hibou et les souris (cf XI, 9) mais la figure de meurtre et de servitude qui y était contenue, associée cette fois, hors nature, avec la raison calculatrice et technicienne, est revenue sur nous. Qu'est-ce qu'un camp d'extermination, ou un goulag, avec leur finalité industrielle ? Ne reconnaissons-nous pas le hibou et les souris aux visages d'homme ? »

    Prenons l'exemple d'une question politique majeure aujourd'hui, la question écologique, la question de notre rapport à la nature. Avant toute mesure, avant toute interdiction, c'est d'une autre philosophie que celle de l'individu et de ses droits que nous avons besoin. Et à cet égard, le détour par La Fontaine lu par Boutang ne serait peut-être pas vain. « La Fontaine devrait être le saint patron des ‘'écologistes'' authentiques ». Rien que de très convenu, dira-t-on : La Fontaine, la nature, les animaux … Mais le propos de Boutang est autrement hardi et fécond. Lisons avec lui, L'homme et la couleuvre. Si La Fontaine mériterait d'être érigé en saint patron de l'écologie, ce n'est pas seulement parce qu'il rend une âme aux bêtes et même aux végétaux (et particulièrement dans cette fable, aux arbres), mais parce qu'il se fait le poète d'une disposition sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable sauvetage de la nature : la gratitude, la capacité à remercier, à se tenir pour les obligés de ce dont nous ne sommes pas les auteurs, à voir un don dans ce qui nous est donné, dans ce que nous recevons. Il faut lire les pages très inspirées qu'il consacre à la vertu de gratitude. « La Création n'est confiée à l'homme qu'aux conditions de l'Alliance », disposition qui, au-delà de l'écologie elle-même, devrait être considérée comme le critère et le principe de toute vie politique.

    font-couvR.jpgAvant d'aller plus avant, prévenons un malentendu. On conçoit que résumé ainsi, l'objet de ce livre puisse rebuter et ce n'est plus seulement La Fontaine qui risque de prendre ses jambes à son cou mais non moins l'éventuel lecteur de Boutang, redoutant de voir le fabuliste enseveli sous des considérations abstraites, dépossédé de son charme, de sa grâce, de sa légèreté, de son « sourire ». Il n'en est rien. Pierre Boutang ne cède à ce péché (familier à ses semblables) d'abaisser la fable au statut de servante de la philosophie, et le fabuliste à celui de simple illustrateur de thèses et de concepts.

    Car précisément, par-delà La Fontaine, un des enjeux majeurs de cet ouvrage est de rendre leurs lettres de noblesse aux œuvres de fiction en tant qu'œuvres de fiction, d'exalter, de faire rayonner la puissance de vérité et de signification du mythe, de la fable, des histoires. La condition humaine ne se laisse pas dire dans la langue de la science ou du concept, non plus, soit dit en passant, dans la langue de carton des technocrates, des politiques et des médias. Et c'est bien pourquoi nous avons tant besoin des poètes, de leurs mots, de leurs fables. « Grâce à l'art, disait Soljenitsyne, il nous arrive d'avoir des révélations, même vagues, mêmes brèves, qu'aucun raisonnement si serré soit-il, ne pourrait faire naître ». L'art est en effet le lieu de l'épiphanie de la vérité, d'une vérité humaine, toute humaine.

    Le projet de ce La Fontaine politique, qui paraît pour la première fois en 1981, remontait à loin, au début des années 1950, Boutang devait surseoir à son exécution mais sans jamais y avoir vraiment renoncé. La rencontre avec l'œuvre du philosophe Giambattista Vico fut l'étincelle qui ralluma la mèche, en quelque sorte. La scienza nuova lui donna la clef des Fables … « J'y découvrais, se souvient-il, une philosophie de l'être et de l'homme » et une philosophie qui donnait à la fable, au mythe, leurs fondements anthropologiques. D'où vient que les hommes, depuis l'aube de l'humanité, racontent des histoires ? D'où vient ce que La Fontaine lui-même appelle le « pouvoir des fables », pouvoir irrésistible, sans rival: « Et moi-même, confesse le fabuliste, au moment que je fais cette moralité, /Si peau d'âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême » (VIII, IV) ? Vico est en effet ce philosophe qui, contre Descartes, pour dire les choses rapidement, réhabilite l'imagination, le vraisemblable, le mythe, refuse d'abandonner à la rationalité scientifique et à ses critères, le monopole de la vérité. Souvenons-nous de Flaubert: « Pécuchet voulut faire lire [à Bouvard] Vico. Comment admettre, objectait Bouvard, que des fables soient plus vraies que les vérités des historiens ?''» - , échos d'une époque où, notons-le au passage, grâce à Michelet qui s'en faisait le traducteur, l'auteur de la Scienza Nuova était redécouvert.

    Giovan_Battista_Vico.jpgBoutang puisa chez « le grand, le sublime Vico » (photo) différents outils conceptuels, et tout particulièrement, la notion d' « universaux fantastiques ». Que désigne cette expression peu amène à l'oreille, qui sent son jargon philosophique ? « Fantastique» s'entend en son sens grec étymologique, produit par la « fantasia », par l'imagination mais une imagination qui n'est pas la folle du logis, mais l' « ouvrière d'universaux », c'est-à-dire de généralités, de vérités qui mordent sur la condition humaine, qui mettent en forme les invariants de l'humaine condition. Des universaux, et c'est là leur spécificité par rapport aux universaux produits par les sciences ou la philosophie, sans abstraction, qui procèdent du particulier, qui se donnent sous la forme colorée, chatoyante, concrète d'histoires singulières, de récits. Et Boutang se propose d'établir une sorte de table des universaux, des catégories d'intelligibilité, du vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence que recèlent Les Fables de La Fontaine.

    Aristote est l'autre grande figure philosophique invoquée, sollicitée par Boutang. Et là encore le détour se révèle fécond et nullement forcé. Car il ne s'agit pas d' « éclairer » La Fontaine par Aristote mais de faire apparaître qu'il y a chez le fabuliste une pensée de la condition politique et morale des hommes aussi consistante, aussi puissante que chez le philosophe. Chacune des « vertus » requises par et pour l'action, les qualités qui font le citoyen, dont Aristote fait en quelque sorte l'inventaire dans L'Éthique à Nicomaque, ont trouvé en La Fontaine leur poète, leur conteur. Phronesis, kairos, c‘est-à-dire repérage du moment opportun, rôle de l'opinion, du conflit des opinions dans la prise de décision, La Fontaine met en scène ces notions, leur donne un contenu narratif et opère à l'avance la critique radicale des complaisances électoralistes dont la totalité de notre personnel politique ne sait plus comment se dépêtrer. C'est ainsi que Boutang propose une lecture extrêmement stimulante du Meunier, son fils et l'âne.

    Et l'épreuve de la mise en regard se révèle âpre pour le philosophe : comment rivaliser avec la saveur d'une fable, avec « la langue des dieux telle que La Fontaine en use » et grâce à laquelle il fait droit à cet excès de sens que recèle l'expérience vivante, concrète ? C'est elle que charriaient les proverbes et que le poète restitue à sa manière pour constituer le vrai socle de l'antique sagesse populaire et la transmettre à nos riches autant qu'aux pauvres auxquels elle manque si cruellement.

    Le corbeau, la gazelle, la tortue, et le rat.jpgLe thème de l'amitié en offre une belle illustration. Aristote est le philosophe par excellence de cette vertu, mais les deux livres de l'Éthique à Nicomaque qu'il lui consacre pâlissent face à ce « chef d'œuvre absolu » qu'est « Le Corbeau, la Gazelle, le rat, la tortue » (XII, 15): cet «universal fantastique complexe, [cette] délicate machine de l'imaginaire ne contredit point aux chapitres d'Aristote mais combien plus elle parle à tout homme encore capable de devenir pareil à des enfants'' » , « à quelle profondeur elle pénètre dans nos vies » ?

    Aristote, La Fontaine, Vico: ces trois-là partagent une même sagesse des limites, une même attention à la condition humaine dans sa finitude qu'ils respectent et nous apprennent à aimer. Ils consentent à l'essentielle ambiguïté des hommes et du monde, ils ignorent tout de l'hubrys de ceux qui entendent régénérer l'humanité, « changer les mentalités » avec des taux de croissance, les seules prouesses de la technique et des lois toujours plus dispendieuses. Ils sont résolument du côté de Philinte. La Fontaine , écrit Boutang, « ne prétend pas abolir l'amour-propre, ni le traquer en ses secrets replis »: « quelques politesses que le fabuliste ait faites à [La Rochefoucauld], ajoute-il magnifiquement, il n'a jamais pu croire que sa chasse impitoyable, et presque délirante, au moi trop humain pût s'ouvrir sur autre chose que le désespoir ».

    En plaçant ainsi son étude sur La Fontaine sous le signe d'Aristote et de Vico, Boutang inscrit La Fontaine dans une famille de pensée, une tradition cachée (dont l'histoire reste à écrire) dont la figure tutélaire est en effet Aristote et se poursuit avec Vico, en passant par Montaigne, Molière, conduisant jusqu'à Albert Camus, Hannah Arendt et qu'il nous appartient de maintenir vivante aujourd'hui. Il y aura toujours deux familles de penseurs, ceux qui consentent à la finitude humaine et ceux qui mènent la rébellion contre cette limitation, et s'engagent dans des politiques d'ingénierie sociale, culturelle et anthropologique désastreuses. L'histoire, de la Terreur de 1793 au léninisme et au stalinisme du XXe siècle, est là pour nous instruire du prix humain auquel se paie cette impossible réconciliation avec l'homme.

    22726814168.jpg« La tâche terminée, écrit Boutang au moment de clore son La Fontaine politique, j'avoue qu'elle m'a été joyeuse, et continûment ». Nous n'en doutons pas un instant. Boutang a le goût, le sens des mots, sa verve interprétative est souvent inspirée, son enjouement, communicatif - même si, et on ne le dissimulera pas, la lecture de cet ouvrage n'est guère aisée, elle demande de la patience, des efforts. Mais on aurait tort de se priver de cette extraordinaire occasion de revisiter ou de visiter ce continent que sont Les Fables - « musarder dans les fables », dit joliment Boutang, mais il fait plus qu'y musarder, il s'y promène avec une agilité, une souplesse, tout à fait vertigineuse (est-il une seule fable qui ne soit pas convoquée par le philosophe ?) L'effet le plus assuré de ce livre, et qui à soi seul en justifie la lecture, est de conduire à La Fontaine…Et de prendre exemple sur Boutang, de lire le poète de telle sorte que l'on vive avec ses histoires, avec ses mots. Que La Fontaine nous devienne réellement compagnon de vie et de pensée.  

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Elle vient de faire paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l'Observatoire.
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [2]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Dans le milieu des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, Michel Winock est une figure dʼautorité[1]. Fort de son statut de conseiller auprès de la rédaction du mensuel LʼHistoire, il sʼest donné la peine dans le numéro de juin 2018 dʼexprimer son point de vue expert à la piétaille qui nʼy comprend rien – nous les gueux sans doctorat ni agrégation – sur le cas Charles Maurras, qui depuis quelque temps a reçu un nouveau sobriquet : « M le Maudit ». 

    41qLB-P4F4L._AC_US218_.jpgIl est vrai que Michel Winock (photo) sʼest spécialisé dans lʼétude des figures « réactionnaires » (pour reprendre le vocable du libéral Benjamin Constant[2], vocable si cher aux socialo-communistes) de lʼhistoire littéraire de notre pays, comme Léon Bloy. Visiblement, Winock est attiré par les plumes talentueuses ! Confondant analyse historique et jugement moral, il se plaît dans le rôle de parangon de vertu républicaine, livrant les bons et les mauvais points. Untel a bien agi en 1789, un autre sʼest très mal comporté pendant la Commune, lʼattitude de celui-là fut indigne dans les années 1930 et 1940, heures les plus sombres de la doxa médiatique. 

    Il se garde bien en revanche dʼinsister sur le génocide de 1793-1794 commis par les révolutionnaires en Vendée, contribuant à lʼindigne « mémoricide » perpétré par lʼÉcole républicaine. Quelle horreur ce serait de salir lʼimage de Marianne : le professeur Winock profite des prébendes depuis tant dʼannées ! Quoi de plus ignoble que de blâmer la République !       

    En synthétisant la bien-pensance contemporaine relative à la représentation des faits historiques, Winock joue le rôle de guide des âmes en peine qui pourraient être troublées par les sirènes du populisme, du chauvinisme ou du passéisme, les pires maux de ce siècle à en croire la caste « ripoublicaine » qui nous gouverne. 

    Degradation_alfred_dreyfus.jpgComme le suggèrent le titre de lʼarticle puis son contenu, ce qui obnubile Winock chez Maurras cʼest son rapport à la question juive et à Adolf Hitler. En choisissant « La revanche de Dreyfus ? » comme titre, il fait un clin d’œil à la saillie que prononça Maurras en apprenant sa condamnation à l’indignité nationale et à la détention à vie pour intelligence avec lʼennemi en 1945 : « cʼest la revanche de Dreyfus ! » 

    Winock se fourvoie dans le réflexe pavlovien, en vogue chez les penseurs stipendiés, de la reductio ad hitlerum. Une autre historien, lʼAméricain dʼorigine russe Yuri Slezkine, commente cet état de fait en ces termes : à partir des années 1970 « lʼHolocauste devint tout à la fois lʼépisode central de lʼhistoire juive et de celle de lʼhumanité et un concept religieux transcendant concernant un événement réputé incomparable, incompréhensible et irreprésentable. »[3] Et Adolf Hitler de représenter le Mal pris comme un principe transcendant. « La conséquence la plus profonde de la Seconde Guerre mondiale a été la naissance dʼun nouvel absolu moral, celui du nazisme comme mal universel. »[4] 

    Du haut de sa science Winock édicte une fatwa, dʼoù Maurras sort plutôt sacrilège quʼen odeur de sainteté. Cʼest le moins que lʼon puisse dire. Mais à délaisser la raison au profit de la morale, lʼon risque de se commettre en imprécisions, inexactitudes, inepties. 

    Commençons par ce qui est dʼordre factuel. Winock écrit que Maurras aurait « défrayé la chronique au mois dʼavril 2018 ». Or cʼest quelques mois plus tôt, en janvier, que la polémique a éclaté lorsque le ministère de la Culture de Madame Nyssen a publié le cahier des commémorations officielles de lʼannée 2018, où le nom de « M le maudit » apparaissait, avant de le retirer, sous la pression des Valls et consorts. Mis à part les intimidations de la gauche contre les organisateurs dʼun colloque qui sʼest tenu à Marseille le 21 avril[5] – affaire relayée par quelques titres de presse comme La Provence ou La Croix –, rien dʼautre de retentissant ne sʼest passé au sujet de Maurras en avril. 

    Outre sʼemmêler les pinceaux dans les dates – un comble pour un historien –, Winock sʼembrouille quant aux notions « nationalisme », « nationalisme intégral » et « conservatisme ». Il se montre incapable de définir rigoureusement ces termes. Pour lui ils sont équivalents. Alors que le nationalisme, concept originellement de gauche, peut être aussi bien progressiste que traditionaliste, renvoyer tant au jacobinisme des Robespierre, Thorez, Chevènement ou Mélenchon (ce dernier a axé sa campagne présidentielle de 2017 autour de la défense de la souveraineté française contre les diktats de lʼUnion européenne) quʼau catholicisme des Barruel, Barrès, de Villiers ou Jean-Marie Le Pen. Cʼest pourquoi Maurras insistait pour que le nationalisme soit intégral, c’est-à-dire monarchique : un nationalisme conséquent ne pouvant à ses yeux que vouloir perpétuer lʼhéritage glorieux de la France, dʼessence catholique et royale, eu égard à sa fondation par un roi converti au christianisme et à son attribut, dont elle sʼenorgueillit jusquʼen 1789, de « fille aînée de lʼÉglise ». 

    Mariage-gay-Taubira-enflamme-l-Assemblee.jpgEn outre, cʼest une erreur dʼidentifier le nationalisme intégral de Maurras à un conservatisme, idéologie qui vient dʼAngleterre (des Tories) et qui est donc étrangère à notre culture politique. Même si, aujourd’hui, un certain courant intellectuel plutôt traditionaliste et largement  antimoderne,  lui donne un sens nouveau, en France et ailleurs. Comment est-il possible de sʼattacher à vouloir conserver des mœurs et un droit positif qui, du fait du changement social, évoluent constamment ? En 2010 si je suis conservateur je suis contre le mariage pour les homosexuels. En 2018 en tant que conservateur je suis favorable au maintien de lʼexistant, au statut quo, donc à la loi Taubira qui accorde aux homosexuels le droit de sa marier. 

    Pour Winock toutes ces idéologies sont anathèmes, il nʼy a donc pas lieu dʼen saisir les subtilités. (A suivre)  

     
     [1]  Michel Winock a écrit notamment La Belle Époque et 1789, Lʼannée sans pareille, publiés chez Perrin. Il a également contribué à la rédaction, sous la direction de Serge Berstein, de lʼouvrage collectif Les cultures politiques en France, paru au Seuil. En 2008, son livre La fièvre hexagonale était au programme du concours dʼentrée à lʼInstitut dʼétudes politiques de Grenoble. Régulièrement invité sur les plateaux de télévision et dans les studios des stations de radio, il est incontestablement membre de cet aréopage dʼexperts du régime quʼil est de coutume dʼappeler fonctionnaires de la technocratie. 
    [2]  En 1797 Benjamin Constant publie le volume Des réactions politiques, où pour la première fois est utilisé cet adjectif de « réactionnaire » promis à un bel avenir. Le plus surprenant cʼest quʼaujourdʼhui il est tout particulièrement prisé par les « antilibéraux », trotskystes, P.C.F. et France insoumise.
    [3]  Le siècle juif, Paris, La Découverte, 2009, p. 388.
    [4]  Ibid., p. 389.
    [5]  Organisé par le blog « Lafautearousseau », son lieu initial, occupé par un ordre monastique, dut être changé à la dernière minute sous la pression dʼune poignée dʼhurluberlus allant du parti socialiste à un fantasque « front unitaire antifasciste ». Ces derniers ayant menacé de mettre à sac le couvent, la police prit les choses très au sérieux, avertissant les religieux quʼil serait plus sage de tout annuler. Une salle de conférence sise dans un hôtel fut trouvée en hâte pour que le colloque, célébrant le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Charles Maurras et visant à présenter sa pensée à une jeune génération attirée par le nationalisme mais connaissant de façon imprécise la doctrine du « nationalisme intégral », puisse bien avoir lieu. 
     
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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