Le royalisme aujourd'hui : Le dossier de Politique magazine (suite et fin)
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Le duc et la duchesse de Vendôme avec leurs trois premiers enfants, Gaston, Antoinette et Louise-Marguerite. Depuis, Joseph est venu agrandir la famille.
PROPOS RECUEILLIS JEAN-BAPTISTE D'ALBARET
ENTRETIEN. Enfants, éducation, rapports familiaux, politique, relations avec les royalistes... Après avoir fait visiter le domaine de Dreux et sa chapelle royale, le prince Jean a répondu aux questions de Politique magazine.
Monseigneur, vous venez d'avoir un quatrième enfant. Que représente pour vous la famille ?
La famille est au centre de mes préoccupations. J'y trouve un équilibre personnel et une façon de m'inscrire dans la grande tradition capétienne. Dans L'art politique français, un livre qui m'a marqué, Jacques Trémolet de Villers explique que le passage des Carolingiens aux Capétiens fut un moment déterminant de notre histoire. Le premier souci d'Hugues Capet fut en effet d'associer son fils à la couronne et, ainsi, de perpétuer une dynastie qui bâtira ce qui constitue encore aujourd'hui notre pays. La France est une nation millénaire parce que la monarchie a consacré la famille plutôt que l'individu ! Chaque fois que les Orléans ont négligé cet aspect, ils ont eu à le regretter.
Quelle éducation souhaitez-vous transmettre à vos enfants ?
Avec mon épouse, la duchesse de Vendôme, nous voulons leur transmettre les principes de vie chrétienne et leur donner le goût de l'ouverture aux autres malgré une société qui a tendance à se replier sur elle-même. Nous veillons évidement à développer leurs capacités intellectuelles, mais nous portons une attention toute particulière à l'équilibre de leur personnalité. C'est pourquoi l'environnement est primordial. Il doit être paisible. Proche de Paris tout en étant à la campagne, le domaine de Dreux est idéal de ce point de vue.
C'est pour cet environnement que vous vous êtes installé ici ?
Pas uniquement mais Dreux est un lieu qui m'est cher, entré chez les Capétiens il y a bientôt mille ans ! De nombreux souvenirs m'y attachent puisque j'ai passé ici presque toutes mes fins de semaine et périodes de vacances quand j'étais étudiant. Ma mère, la duchesse de Montpensier, y a longtemps vécu. Joseph est né à l'hôpital de la ville dont Louis VI le Gros et le premier comte de Dreux, frère de Louis VII, furent les bienfaiteurs. C'est dire la longue histoire familiale qui nous relie à Dreux à travers les siècles.
Mais ne vous êtes-vous pas coupé d'un certain nombre d'activités que vous aviez quand vous habitiez à Paris ?
Ce n'est pas tout à fait juste. Le mode de vie que j'ai choisi m'a permis de prendre du recul et de me recentrer sur l'essentiel. La vérité, c'est que j'oriente désormais mes activités vers une logique de projets là où elles étaient plutôt déterminées par une logique de structures : j'ai réduit la largeur pour étirer la longueur ! L'efficacité et le volume de mes engagements me semblent avoir ainsi gagné en puissance et en profondeur.
Quels sont aujourd'hui vos principaux engagements ?
Le premier, hic et nunc, consiste à évoquer auprès des visiteurs du domaine de Dreux l'histoire vivante de ma famille qui est aussi celle de notre pays. Avec mon association Gens de France, nous espérons obtenir des subventions pour faire venir des groupes de jeunes défavorisés ou marginalisés. J'ai déjà pu constater à quel point il manque à ces adolescents un enracinement et des perspectives. À travers l'histoire de la chapelle royale, nous leur parlerons de la monarchie et de la chrétienté, ce qui, croyez-en mon expérience, n'a rien d'une gageure. Le deuxième est mon action au service de mon pays. Colonel dans la réserve citoyenne, qui fait le lien entre l'armée et la nation, j'ai également l'honneur de parrainer le 4e régiment de chasseurs de Gap. Enfin, et c'est un troisième engagement, je participe à un certain nombre de commémorations internationales et d'événements officiels ou familiaux, en relation avec les familles royales étrangères. Bien sûr, il me faut combiner ces différents engagements avec la gestion de mes forêts et les obligations familiales. Tout cela prend du temps ! Je prolonge également mon action en faveur du patrimoine, en réfléchissant particulièrement aux questions de la succession Orléans et de la Fondation Saint-Louis.
Justement, la succession et vos rapports avec la Fondation n'ont-ils pas un peu brouillé l'image de votre famille ?
Comme nous sommes en République, certains estiment sans doute que les Orléans devraient se laisser marcher sur les pieds. J'ai même entendu que nous devrions léguer tout l'héritage à l'État. Mais l'État a déjà pris la moitié des affaires de la famille ! Certaines choses auraient sans doute pu se dérouler autrement mais nous n'avons aucune raison de nous laisser faire. J'ai parfois le sentiment que la Fondation voudrait s'affranchir de la famille en gérant les choses de façon indépendante, ce qui n'est pas admissible. Quant à ce que rapportent les médias de nos relations familiales, n'y accordez pas une importance démesurée. Il peut y avoir chez les Orléans des incompréhensions et des querelles comme dans toutes les familles. Mais je vous assure que ses membres sont heureux de se retrouver aussi souvent qu'ils le peuvent à l'occasion des mariages, des baptêmes ou des vacances. Nous sommes 39 cousins germains et Joseph est le 107e cousin issu de germains. À l'heure où nous nous parlons, un 108e est déjà né ! Les Orléans sont une belle et grande famille.
Quel regard portez-vous sur notre pays et ses dirigeants ?
Je suis effaré par les dégâts économiques et sociaux et par l'incapacité de notre classe politique à les prendre en considération. Focalisés sur leurs intérêts propres, nos dirigeants sont coupés des préoccupations quotidiennes des Français. Quand je considère l'état de la France, je constate un déclin dont la manifestation la plus patente me semble être des institutions à bout de souffle qui ne garantissent plus l'impartialité ni la durée - ces vertus capétiennes ! - indispensables au développement d'une grande ambition nationale. Quel gâchis si l'on considère dans le même temps les innombrables atouts dont dispose toujours notre pays... Il faudrait rétablir l'homme au coeur de la problématique économique et sociale. Je fais cependant une distinction entre la politique telle qu'elle se pratique à Paris, dans l'antichambre des partis, et celle qui s'exerce au niveau local où les élus font souvent un travail admirable. Je le vois ici à Dreux. Avec la duchesse de Vendôme, nous sommes très impliqués dans la vie municipale car nous croyons beaucoup aux vertus de l'enracinement. Ce qui nous ramène à la famille : depuis les Manif pour tous, auxquelles j'ai moi-même participé deux fois, elle est au coeur de l'esprit de résistance aux forces qui veulent détruire l'écosystème anthropologique et culturel de notre pays. Cet esprit de résistance me touche particulièrement. Sa seule perspective est le bien commun. Quelle formidable espérance !
Pour terminer, Monseigneur, pouvez-vous nous dire quelles sont vos relations avec les royalistes ?
Les relations existent, notamment avec les mouvements comme l'Action française, la Restauration nationale, la Nouvelle Action royaliste, l'Alliance royale. J'ai même parfois des échanges avec des groupes dits « légitimistes » plus ouverts que les autres. Cela dit, pour des raisons évidentes, le prince ne peut s'engager dans l'action militante de ces mouvements. Il définit le cadre général de son action et les royalistes, pour ceux qui le souhaitent, intègrent leurs propres actions dans ce cadre général. S'il y a - ou il y a eu - des divergences de vues, ce qui est d'ailleurs normal, les relations sont donc bonnes. Mais il faut comprendre que le prince a sa propre manière d'agir. Chacun fait ensuite avec ses qualités et ses défauts ! ■
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PAR JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS*
CHRONIQUE. II y a des leçons à tirer de la misère de la justice française, explique l'avocat, écrivain et chroniqueur.
L'immense misère de la justice française n'est pas vraiment connue des Français, même si les justiciables commencent à la percevoir : les délais de délibéré, la réduction drastique du temps de plaidoirie, la pénurie des moyens matériels, la surcharge des audiences pénales dans les grandes agglomérations contrastant avec le vide dans d'autres tribunaux, l'invraisemblable complexité des lois et règlements, l'impossibilité manifeste de réformer le Code du travail... La liste pourrait se poursuivre, interminable.
Quand la République s'occupe de la justice, elle le fait par ordonnance, sans passer par le Parlement. De façon monarchique. Ainsi fut réorganisée, en 1958, non sans défaut mais avec une certaine efficacité, la justice chevrotante de la Ive République.
Reste que la monarchie - surtout quand elle est élective - n'est pas la royauté.
Or, la justice a besoin de temps pour se réformer, et, ensuite, réformer sans cesse les réformes. Elle réclame, en effet, une attention de tous les instants pour être vraiment adaptée à sa mission qui est de contribuer à la paix sociale et au bien commun de la nation, en rendant à chacun ce qui lui est dû.
Il faut donc que l'exemple vienne d'en haut et se poursuive, non sur un quinquennat ou un septennat, mais au moins sur une génération et de génération en génération, pour profiter de l'expérience des anciens et s'adapter aussi aux conditions des temps qui changent avec le temps. En France, c'est le roi qui accomplissait cette tâche. On le sait, c'est par la qualité supérieure de la justice royale que les Capétiens ont justifié - c'est le cas de le dire - leur pouvoir. D'autres nations ont d'autres traditions judiciaires, fort respectables, parfois même enviables. Pensons au Royaume-Uni ou à la République de Venise pendant huit siècles. Mais, en France, le grand juge, d'où vient toute justice, c'est le roi.
Car la justice est toujours déléguée. Aujourd'hui, le peuple français délègue son pouvoir aux juges qui rendent la justice « au nom du peuple français ». Mais, « le peuple français » est une entité abstraite, une fiction juridique, comme l'est aussi la République au nom de qui parlent les procureurs de la République.
Le roi est une personne humaine, pas une fiction de la loi. Il peut faire des erreurs. On peut en appeler « du roi mal informé au roi mieux informé », mais, au moins, au bout de la course judiciaire, le justiciable sait à qui il peut écrire, devant qui il peut faire une dernière requête. Et c'est devant le roi et ses délégués que les juges doivent répondre de leur jugement.
Le système n'est pas parfait mais il est toujours perfectible. Il contient en lui la dynamique possible de ce perfectionnement, alors que celui que nous subissons actuellement est bloqué parce que les fictions juridiques sont des abstractions sans coeur ni tête.
Il faut une tête à la République, mais aussi un coeur, une incarnation personnelle. Seule une dynastie porte le dynamisme de cette continuité dans l'être, au- delà des individus. Pour que la République - Res publica, la chose publique - soit défendue et incarnée, il faut non pas un président, monarque élu et provisoire, mais un roi. C'est la leçon évidente de la grande misère de la justice française, aujourd'hui, en l'an 2016. •
* Dernier ouvrage paru : Jeanne d'Arc, le procès de Rouen, Les Belles Lettres, janvier 2016.
« Il faut une tête à la République, mais aussi un coeur, une incarnation personnelle. »
PAR PHILIPPE MESNARD
CHRONIQUE. La défense de l'environnement devra faire partie des prérogatives régaliennes du roi à venir, soutient le rédacteur en chef de l'AF2000.
En mai 1346, Philippe VI de Valois édicte l'ordonnance de Brunoy, réglementant les prérogatives des Maîtres des Eaux et Forêts, créés cinquante ans avant par Philippe le Bel. La forêt, surexploitée, pillée, est une ressource en danger, un bien commun en train de disparaître. Quelques années auparavant, en 1340, la marine royale avait été anéantie lors de la bataille de l'Écluse et les bois nécessaires à sa reconstitution menaçaient de faire défaut. Le roi de France légifère et invente le développement durable, sustainable, comme disent les Anglo-Saxons : l'ordonnance de Brunoy précise en effet que « les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez et bois se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ».
L'ennemi est déjà le droit d'usage et l'abus qu'en font les usagers, les bergers détruisant le taillis cependant que potiers et verriers anéantissent les futaies. Le combat sera incessant, de Philippe Le Bel à Louis XVI. Inutile de dire comment s'est terminée la guerre déclarée entre un pouvoir soucieux de préserver un bien commun au nom de son utilité commune, des usagers avides de profiter d'un bien gratuit et des propriétaires jaloux d'une privatisation grandissante des ressources et de l'espace publics. Le citoyen ne possède qu'un droit d'usage restreint de ce qu'il croit être sa propriété mais qui n'est plus qu'un ensemble de contraintes ; l'État définit les biens communs, puis en délègue la gestion en en abandonnant pratiquement la propriété ; les entreprises ont gagné une extension formidable et indue de leur propriété.
Ainsi, l'eau, la terre, les bois, les paysages sont perpétuellement arrachés au commun pour être versé dans le privé : l'entreprise devient le gardien du bien de tous, et sous prétexte des responsabilités dont on la charge, on la laisse frustrer la communauté de sa jouissance inorganisée. On a vu les prodigieux et bénéfiques résultats de cette politique, menée dès le )(vine siècle : l'air est empuanti, les rivières sont polluées, les forêts sont interdites, cueillir une fleur est un délit, la mer est une poubelle, les ordures abondent, l'alimentation est un poison et tout est prétexte à menues rançons.
Le progrès technique a asservi la nature par le biais de l'État démocratique en la vendant aux investisseurs au détriment du peuple.
Un royaume est charnel, et il n'est pas fait que d'hommes. Le roi à venir doit régner sur un royaume qui ne sera pas une mosaïque mesquine de droits individuels et accapareurs. Le roi à venir doit désormais considérer qu'il est de son devoir d'ajouter aux fonctions régaliennes la défense de l'environnement. Cet arbitrage environnemental a le mérite de considérer toute l'action économique au prisme de son bien réel, immédiat et différé, en bornant la propriété privée à son juste usage et en bornant le collectif au service réellement rendu, sans rien confisquer sous prétexte de sauvegarder. Assurer la sécurité ne peut se résumer à garantir au consommateur qu'il pourra toujours acheter ; rendre la justice, c'est d'abord rétablir une nature à laquelle tous ont accès ; la souveraineté territoriale ne doit pas s'exercer sur un territoire malade. C'est le temps qui a défait, c'est la durée monarchiste qui pourra, une fois de plus, restaurer. •
Au portail de Notre-Dame : La Galerie des Rois
ARGUMENTAIRE. Les bonnes raisons de restaurer une monarchie couronnée ne manquent pas. Cet article en donne quelques-unes avec la force de l'évidence : la monarchie, où le roi au sommet de l'État incarne l'unité historique, sociale et politique de la nation, est sans nul doute le meilleur des systèmes institutionnels. Celui qui redonnerait aux Français confiance et foi en l'avenir !
PAR YVES MOREL
Deux cent vingt-deux ans après la Révolution, les carences de notre république sont patentes. Des gens de gauche se prennent même à rappeler les mérites de notre ancienne monarchie ! Cela ne laisse d'ailleurs pas d'étonner en des temps où l'on n'a jamais autant exalté la République et les « valeurs républicaines ». Faut-il voir là le chant du cygne d'un régime aux abois ? Nos politiciens louant sans cesse la République ressembleraient alors à l'orchestre du Titanic jouant à pleine puissance pour tenter de conjurer l'angoisse des passagers devant l'imminence du naufrage. Mais on ne colmatera pas les brèches sans changer de cap. Où l'on découvre alors une évidence : le meilleur des systèmes politiques n'est pas forcément celui qu'on croit.
LA MONARCHIE PRÉSERVE DU CLIMAT DE GUERRE CMLE DES DÉMOCRATIES PARTISANES.
L'avènement d'un roi découle de sa qualité d'héritier direct de la couronne dans l'ordre de primogéniture et non d'une lutte électorale entre candidats de partis opposés. Ce mode de dévolution du pouvoir préserve l'État des conséquences néfastes des changements d'orientation politique inspirés par des idéologies, des principes et des programmes opposés. Elle couronne en quelque sorte la vie démocratique du pays. Le pays ne se divise pas en camps ennemis à chaque nouvelle élection et ne s'exténue pas dans des luttes internes, facteurs de haine.
LA MONARCHIE ÉQUILIBRE LES RAPPORTS DE FORCES.
Quand elle n'est dépassée par aucun principe supérieur, la démocratie livrée à elle-même contient les ferments de sa perte. Car la loi du nombre lui permet de soumettre les minorités. Lors de l'élection présidentielle, la minorité qui subsiste peut représenter jusqu'à 49 % des Français ! Elle fracture donc le pays en deux et transforme structurellement les citoyens en frères ennemis. À l'inverse, le roi, au sommet de l'échiquier politique, représente l'intégralité de ses sujets, sans clivages.
LA MONARCHIE EST CONSENSUELLE.
Élire un président, c'est comme donner le match à arbitrer au capitaine de l'une des deux équipes en lice. On doute forcément de sa partialité. A l'inverse, le roi n'étant pas le chef d'un parti et n'ayant pas conquis le pouvoir à l'issue d'une compétition qui a divisé son peuple, jouit de la confiance spontanée de tous les Français.
LA MONARCHIE GARANTIT L'UNITÉ DE LA NATION.
L'existence d'une même famille royale à la tête de la nation renforce puissamment son identité qui, en république, est beaucoup plus abstraite, indistincte et insaisissable. Une dynastie familiale ancre profondément un peuple dans l'histoire et rend sensible sa continuité à travers les siècles.
LA MONARCHIE RESPECTE L'INTÉGRITÉ DE SES SUJETS.
Elle permet à chacun de retrouver son unité morale par le sentiment de sa place dans l'histoire et dans sa terre natale, avec et parmi ses compatriotes. En incarnant l'identité de la nation dans sa continuité historique, l'institution monarchique permet à l'individu de préserver ou de retrouver la sienne. Ce qui est impossible avec la mystique républicaine qui donne une vision tronquée de l'histoire de France en faisant remonter toutes ses valeurs à la révolution de 1789, voire à celle de 1793. L'identité de la France est ainsi confondue avec celle de la République, fondée sur la négation du passé monarchique et chrétien de notre pays. La conception de notre identité collective relève ainsi d'une option idéologique et partisane. Elle est donc différente d'un parti à un autre, d'un individu à un autre, susceptible de se modifier suivant l'évolution des idées.
LA MONARCHIE SAIT D'OÙ ELLE EST ET OÙ ELLE VA.
Faute d'un symbole charnel et spirituel de la continuité de la nation dans le temps, nos compatriotes ne savent plus ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont, ignorent leur passé ou en ont une idée erronée, se trompent sur leur avenir, se montrent incapables de le préparer et voient dans les évolutions l'occasion d'une révolution culturelle. Ainsi en est-il allé du mariage pour tous conçu en France comme un instrument de subversion morale, ce qu'il n'est pas au Royaume-Uni - bien qu'il y soit condamnable -, ou de notre culte frénétique de la « diversité » et du pluralisme ethnoculturel qui nous ramène à l'Empire romain d'Occident du Ve siècle.
LA MONARCHIE PRÉSERVE DES DÉRIVES AUTORITAIRES.
Toutes les républiques européennes proclamées depuis le XIXe siècle ont dégénéré en dictatures : Italie (Mussolini), Portugal (Salazar), Espagne (Franco), Allemagne et Autriche (Hitler), Russie (Staline)... En revanche, aucun des royaumes n'a dérapé de la sorte dans la toute-puissance politique. Étrange, non ?
LA MONARCHIE A UNE VISION DE LONG TERME DANS TOUS LES DOMAINES.
Vaut-il mieux dépenser l'argent public en bâtissant des châteaux comme Versailles ou en commandant des sondages d'opinion mesurant la cote d'impopularité dun président ? Le temps paraît donner raison à la première option.
Sans cette clef de voûte indispensable qu'est la monarchie, notre pays dérive à tous les vents, à la manière d'un bateau démâté. La Révolution et la République ont transformé le majestueux navire de la France en radeau de la Méduse transportant une population perdue, hagarde et dépenaillée. Et le fait est d'autant plus remarquable que la monarchie française, de par l'absolue continuité familiale qui la caractérisait (la race capétienne régna sans discontinuité pendant près de mille ans) et ses origines nationales (les Français ne prirent jamais leur roi à l'étranger) était plus qu'aucune autre adaptée à sa fonction symbolique et unitaire. Oui, il est urgent de la restaurer. •
« La Révolution et la République ont transformé le majestueux navire de la France en radeau de la Méduse. »
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PAR CHRISTIAN FRANCHET D'ESPÈREY*
CHRONIQUE. Nombreux sont les Français qui sentent confusément le manque qui habite la politique française.
Le référendum anglais, au-delà de son résultat spectaculaire, révèle un clivage profond entre la classe dirigeante et un fond populaire que l'irresponsabilité des élites a conduit à un réflexe patriotique. Cette fracture sociale et politique, que l'on retrouve dans une bonne partie des pays d'Europe, suscite une atmosphère délétère. En France, le président, dont on ne sait plus trop ce qu'il préside, n'a rien d'autre à déclarer, après le Brexit, qu'une phrase dans le genre : « C'est terrible ce qui nous arrive... »
En Angleterre, on le sait, le roi règne mais ne gouverne pas. Publiquement, il garde une neutralité politique absolue. Mais en cas de crise majeure, le souverain a des pouvoirs exceptionnels, comme, celui de refuser la dissolution du Parlement. Et même en temps ordinaire, son rôle est actif : selon la Common Law, il est « d'être consulté, d'encourager et d'avertir. » C'est à ce titre qu'Élisabeth II tient une réunion hebdomadaire avec son premier ministre. Ces entretiens, d'une importance cruciale, sont tenus secrets. Une certitude pourtant, la reine s'y exprime selon ces deux seuls critères : le bien commun des Britanniques et son expérience politique, qui porte sur plus d'un demi-siècle (imbattable 0. Pourquoi cette certitude ? C'est parce qu'elle incarne la nation tout entière. Quel autre souci personnel, idéologique ou partisan pourrait-elle avoir que le seul intérêt national ? Alors que le référendum sur l'UE a dressé deux camps l'un contre l'autre, elle demeure respectée de tous et seule garante de l'unité du pays : elle se situe au-dessus de la mêlée démocratique.
De fait, « la démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude, elle ne se suffit pas à elle-même. Car il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent » - ou une absence, celle-là même que comble, en Angleterre, le souverain. C'est Emmanuel Macron qui fit cette observation dans un entretien tenu il y a un an. Il y prenait le temps d'une réflexion de philosophie politique, étonnante chez un politicien en fonction.
La reine Élisabeth Il demeure seule garante de l'unité du pays après un référendum qui l'à profondément divisé.
Nul ne sait s'il saura s'arracher à la gangue sociale-démocrate qui l'environne. Mais il a inventé une nouvelle manière de dire le manque qui habite la politique française depuis le 21 janvier 1793. Il ne va pas, pour autant, servir la messe de Louis XVI à Saint-Germain-l'Auxerrois. Mais il est l'un des innombrables Français qui n'ont pas besoin de se savoir « royalistes » pour ressentir profondément le besoin de « monarchiser » nos institutions, et même de « royaliser » le pays réel.
Encore ne faut-il pas confondre monarchie et monocratie. Dans une préface au petit livre de Frédéric Rouvillois sur l'encyclique Laudato si' (La Clameur de la Terre, éd. J.C. Godefroy, 2016), on est sidéré de lire sous la plume de Chantal Delsol, qu'on a connue mieux inspirée, une série impressionnante de contresens sur la monarchie. Est-il nécessaire de rappeler que César, Bonaparte et le jacobinisme sont à l'opposé de la tradition royale française, fondée sur une décentralisation hérissée de libertés ? ■
* Rédacteur en chef de la Nouvelle Revue universelle
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Par Louis-Joseph Delanglade
Publié le 25 avril 2016 - Réactualisé le 24 août 2016
On peut reprocher à la monarchie britannique de n’être tout simplement pas une république ou, à l’inverse, de n’être guère plus qu’une sorte de démocratie couronnée. Il n’empêche… Jeudi 21 avril, M. Calvi consacre son émission quotidienne (« C dans l’air », France 5) à la Grande-Bretagne, fêtant ainsi à sa façon les quatre-vingt dix ans de la reine Elizabeth II. Un reportage parmi d’autres montre que l’éloge de la souveraine prononcé par M. Cameron à la Chambre des Communes soulève une approbation unanime : aucune opposition, même de la part des plus « républicains » des députés travaillistes. M. Calvi, (faussement ?) naïf, demande à ses invités si ce qui fascine de ce côté-ci de la Manche, ce n’est pas justement que les Britanniques, dans leur grande majorité et dans les grands moments de leur Histoire, se rassemblent ainsi autour de leur souverain(e), quand les Français ne font le plus souvent que se déchirer à propos de leur président.
On pourrait répondre à M. Calvi que désormais M. Hollande fait lui aussi (presque) l’unanimité, mais contre lui, son problème étant de prêter le flanc à toutes les critiques. Un reproche récurrent concerne son manque d’autorité, inquiétant pour un chef de l’Etat - même pas capable de se faire respecter par Mme Salamé, la journaliste mal élevée de l'émission « Dialogues citoyens » (France 2, 14 avril). De toute façon, ayant accédé à la fonction suprême en politicien démagogue du Parti socialiste, il a été bien évidemment incapable de tenir, dans presque tous les cas, ses fameuses promesses électorales (« Moi, président, je… »). Avec lui, ce n’est pas seulement un homme, c’est aussi le parti qui l’a mandaté et son idéologie qui font faillite sous nos yeux.
Mais pas seulement : tout un système donne l’impression d’être à bout. Il a souvent été reproché à la Ve République, par ses adversaires, d’être « monarchique ». Convenons que, par certains des pouvoirs qu’elle confère à son président et par son éloignement originel manifeste à l’égard des partis, elle a constitué un réel progrès par rapport aux IIIe et IVe Républiques. Cependant, trop faible dans ce qu’elle a de fort, elle aura été incapable de résister à la réappropriation du pouvoir par les grands partis. Le président élu aura au fond toujours été l’homme d’une faction, mais il est arrivé qu’il l’oublie; désormais, la mise en pratique d’une élection « primaire » a pour effet de favoriser et d’étaler au grand jour tous les calculs partisans, le résultat de l’élection elle-même y paraissant de fait subordonné : ainsi dit-on déjà que celui qui gagnera la primaire des « Républicains » sera élu contre Mme Le Pen au second tour !
On peut se moquer des Britanniques et du charme désuet de leur monarchie. Ils se retrouvent pourtant en elle qui incarne, au delà des rivalités partisanes, l’unité du pays. Elle rassemble. « Notre » république peut bien proposer des concepts qui fleurent bon l’utopie (« Liberté, Egalité, Fraternité »), personne n’y croit. Elle reste le régime des partis, rien d’autre. Elle ne rassemble pas, elle oppose. •
Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers
Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien dont nous avons publié hier la première partie. Dans cette seconde partie, il expose comment le monde actuel connaît un processus de planétarisation, à dominante largement économique, où la politique se dissout. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant, d'en discuter tel ou tel élément, d'en débattre. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité. LFAR
Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ?
Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera mise en œuvre.
On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ». Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien, ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et d'acclimatation.
Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience. Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au domaine sociétal ?
Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine arrière alors que les mœurs ont changé.
En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution : lorsqu'un dommage, quoique incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.) L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent.
On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le truchement du droit ?
Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement « peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple, les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ?
La vérité est que nous sommes tous engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ; de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit sauvegardée.
Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! » d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant », même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ».
D'où est venu ce processus? Pourrait-il s'arrêter un jour ?
On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski, dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui sont roulés dessous.
Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ?
Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les « éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché.
La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle.
Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines.
Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférables à quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte, devrait y perdre.
Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme ?
L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané ».
Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités présentes, et de revenir à la vie. •
Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.
A lire ...
Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » (1/2)
Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers
Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien où il expose, dans une première partie, comment nous surchargeons l'édifice social de tourelles sociétales et postmodernes au point qu'il risque de s'écrouler. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant d'en débattre. En attendant - demain - une seconde partie tout aussi riche. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité. LFAR
Quand Élisabeth Guigou défendait le PACS, elle jurait que celui-ci n'ouvrirait pas la voie au mariage et à l'adoption des couples homosexuels. Or, récemment, la ministre de la Famille a décidé d'abroger une circulaire qui interdisait aux gynécologues de conseiller à leurs patientes une insémination à l'étranger. Pensez-vous que le mariage pour tous engendrera mécaniquement la PMA et la GPA ?
Concernant Élisabeth Guigou, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir: elle a dit qu'elle était sincère au moment du PACS, avant d'évoluer en faveur du mariage. D'autres déclarations de sa part laissent cependant entendre que sa position en 1999 était essentiellement tactique. Les mêmes incertitudes se retrouvent aujourd'hui envers ceux qui ont affirmé que la loi Taubira n'impliquait rien concernant la PMA « pour toutes » ou la GPA. Ce qui est certain, c'est que les plus ardents promoteurs de cette loi visaient, à travers elle, un changement du droit de la famille et de la filiation. De ce point de vue, la Manif pour tous a eu un effet : par son ampleur elle a empêché, au moins provisoirement, la mise à feu du deuxième étage de la fusée.
Pour l'heure, la démarche pour contourner les obstacles consiste à pratiquer le law shopping, c'est-à-dire à se rendre dans certains pays qui permettent ce qui est interdit ici, puis à réclamer de retour en France une régularisation de la situation. Si le phénomène prend de l'importance, on accusera le droit français d'hypocrisie, et on le sommera d'autoriser ce que de toute façon il entérine après coup. On pourra même invoquer le principe d'égalité, en dénonçant un « droit à l'enfant » à deux vitesses, entre ceux qui ont les moyens de recourir au « tourisme procréatif » et les autres.
La plupart des acteurs politiques qui souhaitaient revenir sur le mariage pour tous ont fait machine arrière. Diriez-vous que les lois sociétales sont irréversibles ?
Cela dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place. À court terme, le mouvement semble irréversible. À plus long terme, il est difficile de se prononcer. Depuis plusieurs décennies, nous surchargeons l'édifice social et juridique de tourelles postmodernes par ci, d'encorbellements rococos par là, sans nous préoccuper des murs porteurs qui n'ont pas été prévus pour ce genre de superstructures, et qui donnent d'inquiétants signes de faiblesse. Si les murs finissent par s'ébouler, toutes ces « avancées » dont on s'enchante aujourd'hui s'écrouleront.
Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences, dont nous ne vivons pour l'instant que les prodromes. Nous aurons à faire face au cours de ce siècle à de gigantesques difficultés - écologiques, économiques, migratoires. Le « jour du dépassement », c'est-à-dire le jour où les ressources renouvelables de la terre pour l'année en cours ont été consommées, arrive toujours plus tôt - en 2016, dans la première quinzaine d'août. Autrement dit, notre richesse actuelle est fictive, elle est celle d'un surendetté avant la banqueroute. Lorsque les diversions ne seront plus possibles, nous nous rappellerons avec incrédulité que dans les années 2010, la grande urgence était le mariage pour tous. Cela paraîtra emblématique de l'irresponsabilité de ce temps. En fait, la polarisation sur les questions « sociétales » est une façon de fuir la réalité : se battre pour la PMA pour toutes ou la GPA, c'est aussi éviter de penser à ce à quoi nous avons à faire face.
N'est-on pas aujourd'hui dans une extension infinie des « droits à » comme le « droit à l'enfant » ? Cela ne risque-t-il pas d'enfreindre des libertés fondamentales comme les « droits de l'enfant » ?.
Le discours des droits est devenu fou. Historiquement, l'élaboration de la notion de droits de l'homme est liée au développement des doctrines de contrat social, selon lesquelles, dans un « état de nature », les humains vivaient isolés, avant que les uns et les autres ne passent contrat pour former une société. Dans l'opération, les individus ont beaucoup à gagner : tout ce que l'union des forces et des talents permet. Ils ont aussi à perdre : ils doivent abdiquer une partie de leur liberté pour se plier aux règles communes. Qu'est-ce que les droits de l'homme ? Les garanties que prennent les individus vis-à-vis de la société pour être assurés de ne pas trop perdre de cette liberté. Garanties d'autant plus nécessaires que les pouvoirs anciens, aussi impérieux fussent-ils, étaient plus ou moins tenus de respecter les principes religieux ou traditionnels dont ils tiraient leur légitimité. À partir du moment où l'ordre social se trouve délié de tels principes, il n'y a potentiellement plus de limites à l'exercice du pouvoir : à moins, précisément, qu'un certain nombre de droits fondamentaux soient réputés inaliénables. Comme l'a dit Bergson, chaque phrase de la Déclaration des droits de l'homme est là pour prévenir un abus de pouvoir.
Depuis, la situation a connu un retournement spectaculaire. Les droits de l'homme, de cadre institutionnel et de sauvegarde des libertés individuelles face à d'éventuels empiètements de l'État, sont devenus sources d'une multitude de revendications adressées par les citoyens à la puissance publique, mise en demeure de les satisfaire. La Déclaration d'indépendance américaine cite trois droits fondamentaux : le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à poursuivre le bonheur. Mais aujourd'hui, ce dernier droit est compris par certains comme droit au bonheur. Dès lors, si quelqu'un, par exemple, estime indispensable à son bonheur d'avoir un enfant, alors avoir un enfant devient à son tour un droit, et tout doit être mis en œuvre pour y répondre.
Au point où nous en sommes, la seule limite à laquelle se heurte l'inflation des droits tient aux conflits que leur multiplication entraîne. Par exemple : l'antagonisme entre le droit à l'enfant et les droits de l'enfant. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, il n'y a plus d'anonymat du donneur masculin pour les PMA, parce que les moyens mis en œuvre pour l'exercice du droit à l'enfant doivent respecter le droit de l'enfant à connaître ses origines. C'est la bataille des droits.
Comment définir la limite entre le droit de poursuivre le bonheur et celui de l'avoir, entre les actions individuelles et l'intervention de la société et de l'État ?
Prenons l'exemple du droit qu'il y aurait, pour une femme seule ou pour deux femmes, d'aller à l'hôpital pour concevoir par PMA. Il ne s'agit pas d'obtenir de l'État la levée d'un interdit (la loi n'interdit à personne d'avoir un enfant), mais d'exiger de lui qu'il fournisse gratuitement à toute femme qui en fera la demande une semence masculine, qu'il se sera préalablement chargé de collecter en vérifiant sa qualité, et dont il aura effacé la provenance. Pourquoi fournirait-il un tel service ? Pourquoi se substituerait-il à l'homme manquant ? Pour des raisons médicales - comme le M de PMA le laisse entendre ? Mais où est l'infirmité à pallier, la maladie à soigner ?
Ce mésusage du mot « médical » va de pair avec les emballements qu'on observe dans le discours des droits. Dans le préambule à sa Constitution, adoptée en 1946, l'Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme de plus « la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain », on voit qu'une infinité de droits peuvent se réclamer d'un droit à la santé ainsi compris. En particulier, un droit à tout type d'« augmentation » et de procréation, dès lors que quiconque estime cette augmentation ou ce type de procréation nécessaires à son bien-être.
À propos de la procréation techniquement assistée, il faut aussi tenir compte d'un fait : cette intervention technique autorise les diagnostics pré-implantatoires et rend envisageable la sélection d'un nombre croissant de caractères, qu'on voit mal certaines cliniques privées, dans des États accueillants, se priver de proposer. Dès lors, ceux qui conçoivent des enfants à l'ancienne pourront se sentir désavantagés par rapport à ceux qui recourent à ces procédés, et seront tentés eux-mêmes de les adopter. On voit le paradoxe : la modernité était habitée par un idéal de liberté de la personne. Mais la liberté devient un leurre quand chaque fonction vitale suppose, pour être remplie, l'allégeance à un système économico-technique hégémonique. C'est au tour de la procréation, demeurée scandaleusement sexuelle et artisanale jusqu'à aujourd'hui, d'être prise dans le mouvement.
Il est possible d'acheter des enfants sur catalogue dans certains États en choisissant leurs prédispositions génétiques, comme la couleur de leurs yeux. En matière de progrès technique et sociétal, diriez-vous comme Einstein qu'il y a « profusion des moyens et confusion des fins » ?
Je pense à une chanson des Sex Pistols, ce groupe de punk anglais des années 1970. Dans Anarchy in the UK, le chanteur Johnny Rotten hurlait : « I don't know what I want, but I know how to get it» (« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir »). Ça me semble emblématique de notre époque. Nous ne cessons de multiplier et de perfectionner les moyens mais, en cours de route, nous perdons de vue les fins qui mériteraient d'être poursuivies. Comme le dit le pape dans sa dernière encyclique, « nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques ».
Cette absorption des fins dans le déploiement des moyens des fins est favorisée par l'esprit technicien, qui cherche à perfectionner les dispositifs pour eux-mêmes, quels que soient leurs usages, une division du travail poussée à l'extrême, qui permet d'augmenter la productivité, et le règne de l'argent, qui fournit un équivalent universel et permet de tout échanger. Plus le travail est divisé, plus le lien entre ce travail et la satisfaction des besoins de la personne qui l'accomplit se distend. On ne travaille plus tant pour se nourrir, se loger, élever ses enfants etc. que pour gagner de l'argent. Cet argent permet certes ensuite d'obtenir nourriture, logement etc., mais, en lui-même, il est sans finalité spécifiée. C'est pourquoi, au fur et à mesure que la place de l'argent s'accroît, on désapprend à réfléchir sur les fins : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir » - par de l'argent.
Il ne s'agit pas de critiquer la technique, la division du travail ou l'argent en tant que tels, mais de se rendre compte qu'il existe des seuils, au-delà desquels les moyens qui servaient l'épanouissement et la fructification des êtres humains se mettent à leur nuire, en rétrécissant l'horizon qu'ils étaient censés agrandir. •
Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.
A lire demain ...
Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)
Homélie à Notre-Dame, Paris, le 27 juillet 2016
« Ça va peut-être vous étonner de la part de quelqu’un qui est, comme moi, résolument républicain mais… Oui, les monarchies font encore sens. Prenez le Proche-Orient par exemple : tous les régimes républicains, dictatoriaux, militaires de la région ont connu des guerres civiles, des soulèvements printaniers ou des troubles plus ou moins graves.
Tous…sauf les monarchies, et pas seulement parce qu’elles sont gorgées de pétrodollars : la Jordanie n’a pas cette chance et pourtant, elle est d’une rare stabilité dans ce monde troublé. Idem pour le Maroc qui tangue et ploie mais ne rompt pas.
Cette stabilité dont on parle souvent pour caractériser les monarchies, n’est pas qu’un lieu commun. C’est si vrai qu’en Afrique, les États issus de la décolonisation ont souvent tenu à conserver les monarchies traditionnelles en leur sein. »
Journaliste et chroniqueur éditorialiste international dans l’émission Géopolitique de la matinale de France Inter
Mardi 9 août 2016 sur France Inter
Source : La Couronne
L'écrivain de science-fiction et essayiste Maurice G. Dantec, décédé le 25 juin à Montréal, se revendiquait royaliste
Par Louis DURTAL
TÉMOIGNAGES. Il y a différentes façons d'être ou de se sentir royaliste aujourd'hui en France. Rencontre avec quelques monarchistes qui, à travers leurs engagements particuliers, militent pour que leurs idées progressent au sein de la population.
« La monarchie est profondément organique, intrinsèque à la nature même de l'homme : le roi a l'obligation de laisser à ses enfants - à son successeur, à son peuple - la meilleure situation possible », déclarait un jour Thierry Ardisson sur Europe i. L'auteur de Louis XX-contre-enquête sur la monarchie, vendu à 100 000 exemplaires, déroulait ainsi, à une heure de grande écoute, les idées bien connues des royalistes sur le roi arbitre, facteur d'équilibre, la partialité des institutions républicaines, les monarchies européennes qui, par certains côtés, abritent les démocraties les plus modernes, etc. La théorie est séduisante et l'argumentation bien maîtrisée. Pour autant, malgré les sympathies royalistes affichées par certaines personnalités médiatiques à l'instar d'Ardisson, comme Stéphane Bern ou Lorànt Deutsch, militer pour le rétablissement de la monarchie n'est souvent pas très bien perçu.
« DES PROFILS TRÈS DIFFÉRENTS »
« C'est plus facile de se dire royaliste quand on s'appelle Ardisson et qu'on donne par ailleurs des gages en tapant sur l'AF Les militants sont trop facilement caricaturés en arriérés réacs ou en bas du front d'extrême droite », regrette Ingrid, 21 ans. L'ombre de Charles Maurras - qui donna par ailleurs ses meilleurs arguments, les plus rationnels, au royalisme - plane comme un soupçon permanent de pensées inavouables chez ceux qui se réclament des idées royales. « Le système ne fait pas de cadeau », dit la jeune femme qui rappelle que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Ingrid vient de terminer un BTS commercial et milite à l'Action française de Lyon après avoir cherché des solutions « à la survie de mon pays » du côté de la section jeunesse du Front national. Mais les réticences du parti au moment de la Manif pour tous la déçoivent. « Je suis passé du FN Marine à l'AF Marion », sourit-elle aujourd'hui, clin d'oeil à la venue de la benjamine de l'Assemblée nationale au dernier colloque du mouvement royaliste. De toute façon, « les militants d'AF ont des profils très différents les uns des autres et ce qui les intéresse avant tout, c'est l'avenir du pays », affirme-t-elle.
De fait, plus que la condamnation de Maurras à la Libération, le problème, explique Jean-Philippe Chauvin, blogueur et figure des milieux royalistes, vient de l'Éducation nationale et de l'image caricaturale qu'elle donne de la monarchie. « Je me bats tous les jours contre certains de mes collègues qui la décrivent comme un système tyrannique et dictatorial. Mais, en France, la République est un conditionnement idéologique, une religion dont le culte s'est construit en opposition à la monarchie », explique ce professeur d'histoire dans un lycée de la région parisienne. Comme si la France était née en 1789, dans une rupture radicale avec son passé, et comme si l'institution royale n'était pas vécue au quotidien par un certain nombre de nos voisins...
EFFICACITÉ POLITIQUE
Cependant, malgré le capital de sympathie dont elles bénéficient généralement, tous les royalistes, loin s'en faut, ne se reconnaissent pas dans les monarchies anglaise, belge ou espagnole où les rois ne gouvernent pas. C'est le cas de Kérygme, 24 ans, qui se dit royaliste, entre autres, pour une question d'efficacité politique. « Hollande a le pouvoir mais pas l'autorité. Il lui faudrait pour cela une légitimité qui lui vienne à la fois d'en bas et d'en haut ». Pour le jeune homme, qui vient de terminer un mémoire de philosophie sur Bergson, être royaliste c'est avoir « l'expérience et la connaissance historique de ce qui marche ou pas en politique ». Collaborateur occasionnel du site catholique Le Rouge § Le Noir, Kérygme fait partie de l'organisation des Veilleurs. Il croit au réinvestissement de la société par la culture et les idées. « Si beaucoup de jeunes royalistes ne votent pas, cela ne veut pas dire qu'ils se tiennent éloignés de la vie politique », explique-t-il. Au contraire. Mais ils se montrent méfiants avec les catégories traditionnelles de droite et de gauche. « Le système royal est bien plus social, moins diviseur, que le système républicain. D'abord parce que roi est l'affirmation de la primauté du bien commun sur les appartenances partisanes ». Un royaliste peut donc se reconnaître dans certaines valeurs plutôt défendues par la gauche, comme la justice sociale ou le refus de la loi du marché. Mais il peut en même temps se reconnaître dans des valeurs de droite, plus anthropologiques, comme celles qui se sont exprimées dans les manifestations contre le mariage homosexuel. Alors, élection, piège à cons ?
ROYALISTE ET CANDIDAT AUX ÉLECTIONS
Blandine Rossand, 53 ans, mère de trois enfants, a mené une liste sous l'étiquette Alliance royale, une formation politique fondée en 2001. Lors des municipales 2014, à Paris, dans le V' arrondissement, elle a obtenu o,6 %, 127 voix. Elle raconte : « j'ai toujours été intéressée par la vie publique. J'ai eu un engagement au RPR avant de faire le constat de l'interchangeabilité des idées des différents partis de droite ou de gauche. Par ailleurs, j'ai toujours pensé que les extrêmes n'étaient pas la solution. Et comme je ne trouve pas l'Action française très constructive, je me suis engagée dans ce tout petit parti, sans moyens, qu'est l'Alliance royale. J'en garde d'excellents souvenirs. Participer à des campagnes électorales agit comme un déclencheur de dialogue. Nous avons même été invités sur un plateau de BFM-TV Quel meilleur moyen de faire surgir la question des institutions dans le débat politique contemporain ? Sur les marchés, quand vous parlez aux gens de la monarchie, du roi, ils ne vous prennent pas du tout pour des zozos ! Au contraire, cela les intéresse, quels que soient leurs bords idéologiques. »
ACCORDS ET DÉSACCORDS
« Il n'y a pas plus rassembleur que l'idée royale », confirme Jean-Philippe Chauvin. Encore faut-il savoir la faire aimer à ceux qui s'y intéressent. Or, au-delà même des questions d'ego, les royalistes semblent parfois se complaire dans les désaccords théoriques et doctrinaux, ce qui n'est pas la meilleure façon de la promouvoir. Le dicton « Deux royalistes font une section, le troisième fait une scission », fait beaucoup rire dans les milieux autorisés... Cela commence par la question du prétendant qui empoisonne le royalisme français depuis les années 80. Alors que la question de la légitimité avait été réglée une fois pour toutes lors de la mort sans descendance du comte de Chambord, dernier héritier en ligne directe de Louis XV, deux branches se disputent aujourd'hui la « primogéniture » sur la couronne de France. La première, dite « légitimiste », est représentée par Louis-Alphonse de Bourbon, petit-cousin du roi d'Espagne Juan-Carlos. Pour ses partisans qui l'appellent « Louis XX », il est l'héritier naturel de la couronne en tant qu'aîné des Capétiens et descendant direct de Louis XIV. Mais l'intéressé, malgré les efforts de l'Institut de la Maison de Bourbon, peine à s'intéresser au pays de ses ancêtres. Banquier international, il vit entre l'Espagne et le Venezuela et n'a que peu de temps à consacrer aux affaires françaises.
L'autre branche, la branche nationale dite « orléaniste », a toujours été considérée comme légitime par la majorité des royalistes français. Elle a pour représentant Henri d'Orléans, comte de Paris, et son fils le « dauphin » Jean d'Orléans, duc de Vendôme. Ce dernier s'est affirmé comme l'héritier de la Maison de France, multipliant les déplacements en France et à l'étranger et publiant un livre d'entretiens, Un Prince français, vendu à des milliers d'exemplaires. Il est soutenu par les deux principaux mouvements royalistes que sont l'Action française et la Restauration nationale (lire l'entretien avec son secrétaire général, Bernard Pascaud).
Verra-t-on un jour le descendant de saint Louis prendre la tête de l'ensemble des mouvements et courants monarchistes ? « Ce n'est pas ce qu'ôn lui demande ! », s'exclame Jean-Philippe Chauvin qui regrette néanmoins l'actuelle discrétion des princes de la Maison de France. Un sentiment qui domine largement aujourd'hui dans les milieux royalistes : « Si les princes ne se montrent pas, l'idée royale ne peut pas prospérer alors que le terreau n'a jamais été aussi favorable. » Et le professeur d'histoire, qui a développé toute une réflexion sur l'écologie et la royauté, de rêver d'un prince se rendant en famille au Salon de l'agriculture. L'héritier des rois de France prenant le temps de sympathiser avec le « pays réel » tandis que défilent les politiques pressés, venus quémander quelques voix sous l'oeil goguenard des caméras... On imagine la portée du symbole. ■
Le Prince Jean d'Orléans, Duc de Vendôme, Dauphin de France, à Dreux
La sensibilité française, en 1789, était déjà formée depuis longtemps, et cent cinquante ans d’apparente réaction contre le passé ne suffisent pas à modifier profondément nos réactions morales, notre conception particulière du devoir, de l’amour, de l’honneur. De sorte que le rythme profond de notre vie intérieure n’est en rien différent de celui d’un contemporain de Louis XVI.
En ce sens on peut dire que tous les Français sont monarchistes comme moi. Ils le sont sans le savoir. Moi, je le sais.
Georges BERNANOS
Nous autres Français (1939)
Le sacre de Charles VII, par Lenepveu. Roi par la grâce de Dieu. Photo © Leemage
Par Laurent Dandrieu
Une superbe réflexion sur l'essence même de la Royauté, mise en ligne sur le site de Valeurs actuelles le 20.07.2016. LFAR
Parti pris. Un essai nous rappelle que la royauté est intimement liée au sacré. Et si le discrédit de la politique moderne tenait aussi à son refus de tout ancrage spirituel ?
Recevez ce sceptre qui est la marque de la puissance royale, appelé sceptre de droiture et règle de la vertu, pour bien conduire, et vous-même, et la sainte Église, et le peuple chrétien qui vous est confié, pour le défendre des méchants, par votre autorité royale, pour corriger les pervers, protéger les bons et les aider à marcher dans les sentiers de la justice, afin que, par le secours de celui dont le règne et la gloire s’étendent dans tous les siècles, vous passiez d’un royaume temporel à un royaume éternel. Cette exhortation prononcée lors du sacre de Louis XIV, le 7 juin 1654, dit assez ce que la royauté a d’intimement lié avec le spirituel. La chose n’est pas propre à la “monarchie de droit divin” française (la formule juridique, moquée aujourd’hui comme une forme de mégalomanie dérisoire, veut dire au contraire que le monarque n’est souverain que parce que Dieu le veut bien, et est comptable devant lui, et lui seul, de ses actes), mais est consubstantielle à l’idée même de royauté. Plus sûrement que le mode de désignation (car il est des monarchies électives ou héréditaires) ou même que le mode d’exercice du pouvoir (car il se pourrait que celui-ci n’en soit qu’une conséquence), cette alliance — qui n’est pas une confusion — du temporel et du sacré pourrait être ce qui définit profondément la royauté, par-delà ses diverses incarnations historiques.
C’est en tout cas ce que tend à démontrer le petit essai de Christophe Levalois, qui tente, par delà les époques, les cultures et les continents, de synthétiser les rapports entre le sacré et la royauté. Il en ressort que celle-ci ne relève « pas tant d’un système ou d’une organisation politique que de la concrétisation d’une vision de la société vue comme un organisme en correspondance avec la création visible et invisible […] et tâchant d’être à l’image de celle-ci ». Dans une société traditionnelle, le roi est au centre, point d’équilibre et point de passage entre la terre et le ciel. Dans un monde éclaté par le péché originel, il est le rappel de l’unité originelle de la Création, celui qui permet d’éviter la dispersion chaotique. Comme le dit Jeanne d’Arc, il est « lieutenant du roi des cieux », au sens premier de “tenant lieu”. Pour souligner ce rôle, le roi romain Numa Pompilius prit le titre de “pontifex” (faiseur de ponts) plus tard repris par les papes, et les Chinois écrivent le mot “roi” par un trait vertical reliant trois traits horizontaux, représentant le ciel, les hommes et la terre.
Pourtant, cette lieutenance n’est pas pour le roi un privilège, mais bien quelque chose qui l’oblige. D’abord à être vertueux, sans quoi toute la vertu de l’édifice s’effondre. Et surtout à ne pas sortir de son rôle en se prenant pour Dieu lui-même. Dans le Livre des rois, poème historique persan, un noble rappelle ainsi à l’ordre son souverain : « Si tu t’élèves de la longueur d’une main plus haut que tu ne dois, tu es entièrement rebelle envers Dieu. »
Mais s’il reste dans les limites de sa condition et dans l’esprit de service qui est celui de sa fonction, alors le roi peut tenir son rôle d’“axis mundi”, d’axe du monde qui permet que le temporel et le spirituel ne soient pas deux puissances en guerre, mais que l’un soit une passerelle vers l’autre. Cet idéal, évidemment plus ou moins bien incarné suivant les hommes et les périodes, est en revanche foncièrement étranger à nos régimes démocratiques, qui s’interdisent toute transcendance et ne prétendent qu’au confort matériel des peuples. Accouchant ainsi d’un monde dissocié, d’une société schizophrène où soucis matériels et croyances spirituelles se tournent le dos dans une mutuelle indifférence. Les soucis matériels ayant en réalité, parce qu’étant les seuls dont la société reconnaisse la légitimité, tout loisir d’étouffer dans l’oeuf les croyances spirituelles. Et c’est ainsi que la société dissociée accouche d’un homme atrophié. Étonnez-vous, après cela, que celui-ci nourrisse à l’égard d’un système qui l’a ainsi amputé de sa meilleure part une sourde et inexprimable rancoeur. •
La Royauté et le Sacré, de Christophe Levalois, Lexio, 128 pages, 10 €.
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