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  • L'Action Française dans la Grande Guerre [6] Guerre totale contre lʼEurope

     Film Au revoir là-haut 

     

    Guerre totale contre l'Europe  

    Si lʼon sʼessaye à prendre de la hauteur, on en vient vite à partager le point de vue du pape Benoît XV qui voyait dans la Première Guerre mondiale un « suicide de lʼEurope ». Or, ne peut-on pas même aller plus loin en se demandant sʼil sʼagit plutôt dʼun meurtre contre lʼEurope ? Ce qui implique que lʼAction Française, pourtant dirigée par de fins esprits, à-qui-on-ne-la-fait-pas, aurait été dupée par ceux qui auraient prémédité ce meurtre de, pardonnez du peu, dizaines de millions dʼâmes. 

    « Homicide » volontaire des peuples européens 

    Un tel angle dʼattaque reprend peu ou prou les réflexions de lʼhistorien américain dʼorigine luxembourgeoise Arno Mayer, réflexions quʼil développe dans son ouvrage Political origins of the New Diplomacy, publié en 1959. Sa thèse est la suivante : le « Grand Capital », craignant une crise internationale gravissime, aurait favorisé la guerre pour écraser le prolétariat.      

    Deux films récents sont imprégnés par cette vision des choses. Au revoir là-haut, réalisé par Albert Dupontel et qui est sorti en 2017, montre la difficulté de la « sortie de guerre » pour les Poilus, cʼest-à-dire du retour à la vie civile pour les anciens combattants, tout en pointant du doigt les profiteurs de guerre, des marchands de canons aux politicards stipendiés, tous rouages essentiels de la « Bancocratie », en passant par les margoulins de la pire espèce, qui sʼengraissent par le truchement du tas encore chaud des cadavres en mal de sépulture digne. 

    105595.jpgLe second est plus ancien. Il sʼagit du film Les enfants du marais de Jean Becker (1999), qui commence au moment de la démobilisation, et dépeint les différentes strates de la société française de lʼentre-deux-guerres. À la dérobée, le spectateur apprend au détour dʼune conversation entre gens de bonne compagnie, à lʼintérieur du salon richement décoré dʼun capitaine dʼindustrie, que lʼélite capitaliste nʼen a pas eu assez avec la boucherie de 14-18. Craignant, à la manière dʼun Ortega y Gasset, lʼirruption dʼune révolte des masses, le bon bourgeois lâche : « Il nous faudrait une bonne guerre ». 

    En nous appuyant sur ce quʼenseigne la sociologie réticulaire, lʼon en parvient, visant le but de déterminer les mécanismes profonds sur lesquels repose le fonctionnement du capitalisme – comment, en somme, sʼarticule sa dynamique indomptable et féroce –, à la conclusion selon laquelle la franc-maçonnerie joue un rôle décisif dans ce déploiement. Des personnes aussi différentes, pour ne pas dire antagonistes, que Karl Marx et Léon Trotsky dʼune part, et Henri Delassus et Ernest Jouin dʼautre part, en sont arrivés à une telle affirmation.      

    La franc-maçonnerie, que Charles Maurras décrivait comme un « quartier » du pays légal, autrement dit lʼun des quatre états confédérés dressés contre la France de Clovis, de Jeanne dʼArc et de Saint Louis, constitue le réseau interne de coordination de la mécanique capitaliste, sa courroie de transmission occulte. Des éléments factuels vérifiables mettent en lumière que la Grande Guerre a résulté de la volonté de la coterie maçonnique. Celle-ci est la vraie responsable de la Première Guerre mondiale, et non le nationalisme, nʼen déplaise à MM. Mitterrand et Macron. 

    Dans la revue LʼUnivers du 12 novembre 1882, on peut lire : « Les plans de subversion universelle, les projets abominables qui tendent à couvrir lʼEurope de ruines et de sang en vue de substituer partout la République aux monarchies, lʼidéal matérialiste et révolutionnaire à lʼidéal spiritualiste et chrétien, sortent aussi des ateliers et des convents maçonniques. »      

    1711052148.jpgDe surcroît, à lʼoccasion dʼune visite, le 23 juin 1916, de lʼempereur Guillaume II (photo) à lʼabbaye de Maredret, en Belgique, celui-ci pose cette question à lʼabbesse son hôte, Mère Cécile de Hemptinne : « Savez-vous une des grandes causes de la guerre ? » Elle lui répond par la négative. Et le kaiser Hohenzollern de lui répartir : « Les franc-maçons ».      

    À la fin du conflit, en 1918, le Grand Orient de France prononce cette sentence : « La guerre actuelle est profondément révolutionnaire. Elle prépare un ordre nouveau ». Il suffit, pour se convaincre de la véracité de ces faits, de consulter la plateforme Gallica, où la Bibliothèque nationale de France (B.N.F.) publie en ligne une pléthorique documentation historique numérisée[1]

    Outre la Première Guerre mondiale, la franc-maçonnerie fut à lʼorigine de l’instauration de la République dite française. Justement, une initiative était vue comme très menaçante aux yeux des républicains à lʼorée de la Grande Guerre.   (A suivre)  ■ 

    [1]  Cf. lʼinterview de Thierry Maquet publiée par LafauteàRousseau le 17 novembre 2018.

    Articles précédents ...
    L'Action Française dans la Grande Guerre [1] La guerre sans l'aimer
    L'Action Française dans la Grande Guerre [2] Un prescripteur d’opinion de plus en plus important 
    L'Action Française dans la Grande Guerre [3] L’Union Sacrée : un ralliement ?
    L'Action Française dans la Grande Guerre [4] L’Union Sacrée : un ralliement ?

    L'Action Française dans la Grande Guerre [5] L’« affaire des panoplies »

     

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  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Patrimoine • Versailles ou le Soleil à la fête [II]

    Henri de Gissey, Le Grand Carrousel donné par Louis XIV dans la cour des Tuileries à Paris, pour célébrer la naissance du dauphin 

    La diversité des lieux

    En chantier permanent, Versailles et ses jardins sont le théâtre de nombreuses improvisations. Saint-Germain et Fontainebleau offrent de grandes salles de spectacles, mais c’est l’éphémère et le surprenant qui dicteront l’organisation des divertissements non moins somptueux à Versailles. Comme nous l’avons vu plus avant, c’est à travers d’ingénieux mécanismes, de scènes et décors démontables, de théâtres de verdure et en trompe-l’œil, que le roi divertit sa cour. Le château ne pouvant, quand les Plaisirs de l’île enchantée sont joués, accueillir les six cents invités. À travers ces architectures provisoires faites de treillages et de jeux d’eau, le roi permet aussi au peuple de se divertir et de piller les buffets.

    Cependant, à mesure que les travaux du château avancent, le roi accueille de plus en plus souvent en intérieur, en témoigne le premier souper donné dans le château à l’occasion d’une grande fête telle que les Fêtes de l’Eté de 1674. Ce n’est qu’en 1682 que Louis XIV décide de construire un théâtre dans l’aile Nord du château. Jules Hardouin-Mansard et Vigarani sont sollicités pour cette entreprise mais les travaux commencés resteront inachevés. Les pièces de théâtre et de musique continuent ainsi d’être jouées sur des scènes éphémères avec cependant une évolution : le manège de la Grande Écurie récemment bâtie accueille Persée de Lully, puis un théâtre est construit dans la cour des Princes, où sont jouées des comédies. Au Trianon de marbre, Louis XIV assiste à des opéras dans une salle initialement dévolue à la comédie. Progressivement, les divertissements prennent place dans des lieux dédiés, à l’image de l’appartement, au cœur de l’agenda festif des gentilshommes de la cour.

    Les soirées d’appartement sont une occasion privilégiée pour les sujets de se rapprocher du roi. L’étiquette est suspendue le temps d’une soirée pour qui a été invité. Dans ses Mémoires, le duc de Saint-Simon en parle ainsi : elles se déroulent trois fois par semaine, entre sept et dix heures du soir. À cette occasion, le roi offre à ses invités musique, jeux et rafraîchissements. Le Mercure galant, journal fondé en 1672 par Donneau de Visé, traite ainsi des soirées d’appartement à la cour de Versailles : elles suivent un protocole particulier, en dehors des grandes cérémonies publiques. Le duc d’Aumont, Premier Gentilhomme de la Chambre, s’occupe des invitations en accord avec le roi. La garde est restreinte et la liberté de parler est entière. Les appartements, richement ornés, sanctuarisent un espace d’intimité entre le souverain et sa cour. Le roi passe ainsi de table en table, d’un jeu à un autre, et ne souhaite pas que l’on s’interrompe ni ne se lève pour lui. Donneau de Visé écrit : « On dirait, d’un particulier chez qui l’on serait, qu’il fait les honneurs de chez lui en galant homme. » Le cabinet du Billard est installé dans le salon de Diane, le salon de Mercure est réservé au jeu de la famille royale. Avec le temps, le roi se rend de moins en moins à ces soirées, leur préférant les soirées chez Madame de Maintenon pour travailler avec ses ministres. Cependant, il désirait toujours que ses sujets jouissent des plaisirs qu’il leur prodiguait. Quiconque s’attachait à plaire au roi se rendait à ces soirées.

    Les nombreux jeux de la cour

    Les grandes fêtes comptent de nombreuses déclinaisons hétéroclites. « Louis XIV aimait les femmes et le pouvoir […] il s’amusa et amusa la noblesse à des ballets et à des carrousels. » [1] dit Anatole France. Cette diversité des jeux sanctuarise le rythme de vie de la cour, habituée aux grandes manifestations festives comme aux événements plus intimes. Parmi les jeux de soirée d’appartements, on compte les cartes ou le billard que Monsieur et Monseigneur affectionnent particulièrement. De nombreux jeux apparaissent et disparaissent ainsi au gré des modes : le piquet, le trictrac, le whist, ou encore le brelan, le joc vers 1675, le lansquenet en 1695.

    Mais les jeux prennent souvent plus d’ampleur. À l’occasion de la naissance du Dauphin, le 1er novembre 1661, est organisé un carrousel l’année suivante les 5 et 6 juin 1662. Le carrousel est d’origine italienne, le terme est issu de la contraction de deux mots latins : « carrus-soli », qui signifie « char du soleil ». Il est hérité des tournois médiévaux, intermédiaire entre les parades équestres et les jeux de guerre italiens, et consiste en un jeu militaire composé d’une suite d’exercices à cheval exécutés par des quadrilles de seigneurs richement vêtus, entremêlés de représentations allégoriques tirées de la fable ou de l’histoire.

    L’événement se tient devant le palais des Tuileries. On aménage pour l’occasion la place en carrière, en plaçant devant un amphithéâtre. Un pavillon destiné à recevoir les reines, Marie-Thérèse et Anne d’Autriche, est dressé et prend la forme d’une architecture croisant les ordres dorique et ionique. Dans les étages supérieurs et inférieurs de la tribune richement ornée de velours violet garni de fleurs de lys, plusieurs personnalités de la cour prennent place. Le premier jour, entre dix-mille et quinze-mille personnes sont rassemblées sur la place, parmi lesquelles beaucoup d’étrangers et les notables parisiens. Le roi entre en scène suivi de Monsieur – le frère du roi –, du prince de Condé, du duc d’Enghien et du duc de Guise. Ils arrivent par la rue Richelieu, vêtus à la romaine dont le roi prend la figure de l’empereur portant un casque d’or serti de diamants et paré de roses. Son costume est fait de brocart d’argent rebrodé d’or et de pierres précieuses. Le harnois de son cheval et de couleur feu et d’éclats d’or, d’argent et de pierreries. Il est entouré de cavaliers musiciens dits de la brigade romaine et s’en va saluer la reine. Le second groupe de cavaliers est vêtu à la perse, et commandé par Monsieur. Le troisième est vêtu à la turque, et commandé par le prince de Condé. Le quatrième est vêtu à la mode des Indes, et commandé par le duc d’Enghien. Paraît enfin le duc de Guise, vêtu en roi des sauvages d’Amérique, dont le chapeau est garni de branchages. Au total, on estime à plus de mille le nombre de cavaliers lors de ce ballet équestre qui se poursuit par les courses de têtes contre une tête de turc et une autre de méduse. Le second jour est celui des courses de bagues : elles consistent à enfiler à la lance, en plein galop, une bague pendue par une ficelle à une potence. D’origine guerrière, cette tradition s’est adoucie depuis la mort d’Henri II en 1559, blessé à l’œil par un éclat de lance de bois. Bien que ce type de divertissement tende à s’effacer, le Grand Dauphin lui-même organise des carrousels en 1685 et 1686 : le premier est celui des « Galans Maures », où les participants sont coiffés de têtes de dragons, de harpies, trompes d’éléphants, bouquets de plumes, le second celui des « Galantes Amazones », donné dans la cour des grandes écuries. Il s’agit d’un divertissement galant, où « trente dames et trente seigneurs auront le plaisir de divertir la cour à leurs dépens. » [2] écrit la marquise de de Sévigné dans une de ses lettres.

    Au contact de la nature dans la campagne giboyeuse de Versailles, la chasse est un sport particulièrement prisé par les Bourbons, notamment par Louis XIII qui aimait à se retirer dans son pavillon de chasse pour chasser le gibier à plumes ou le gros. Sous Louis XIV, la vénerie royale a la taille d’un petit village, et représente plusieurs centaines de chiens et de chevaux, et six cents personnes en ont la charge. La chasse à courre est un divertissement marquant la domination du roi sur la nature, à laquelle participe un public restreint resserré autour de la figure du souverain. À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV crée le Grand parc de chasse. C’est un vaste domaine clos par un mur dès 1683, avec une superficie de 11 000 hectares, forêt de Marly comprise, à la fin du règne. Pour assouvir son amour de la chasse, Louis XIV l’inscrit à l’étiquette : le matin, le roi gouverne, l’après-midi, il chasse. Parfois mais rarement, elle remplace même le conseil quand la journée est belle. Cette chasse prend deux formes : la chasse à tir se tient dans le grand parc, la chasse à courre en forêt. Le grand veneur accompagne le roi et a le privilège de se tenir à sa proximité. Ce privilège est tel que, sous le règne de Louis XV, Dufort de Cheverny rapporte : « Mon assiduité à la chasse plaisait au Roi. Je redoublai et M. le duc de Penthièvre me rencontrant un jour me dit : « Le Roi vous permet de prendre l’habit de l’équipage ». Il m’aurait donné un gouvernement, il ne m’aurait pas fait plus plaisir. » [3] À l’instar des soirées d’appartement, la chasse est un divertissement prisé des gentilshommes désireux de participer aux heures de détente royale.

    La France fait une spécificité de ces fêtes qui, peu à peu, font du royaume le cœur du divertissement européen où s’épanouit le mythe français. Cette idée fait l’objet de la troisième partie de cet abrégé.  (à suivre)   

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    Antoine Trouvain, Le Jeu de Portique, Deux fils du Grand Dauphin : duc d’Anjou (futur Philippe V d’Espagne) et duc de Berry (Charles de France), prince de Galles et comte de Brionne


    [1Anatole France, Le Génie latin, p. 140.

    [2Lettre 899

    [3N. Dufort de Cheverny (1731-1802), Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution. 

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    Le Rouge et le Noir

  • L'Action Française dans la Grande Guerre [5] L’« affaire des panoplies »

    Guillaume II 

     

    L'affaire des panoplies  

    Alors que la guerre a placé républicains et royalistes dans le même camp, on a vu que ces derniers nʼont pas pour autant arrêté de professer un discours critique, pour ne pas dire hostile, à la République. Et les tenants de celle-ci nʼen sont pas restés moins méfiants vis-à-vis de lʼAction Française. Car il est vrai que le mouvement de Charles Maurras considérait que la restauration, ou contre-révolution, avait pour préalable la victoire contre lʼempereur Guillaume II. Et les soldats proches de lʼAction Française, en particulier les régiments de cavalerie, de se mettre à croire que le coup de force est possible. Ce qui oblige, à partir de 1917, les autorités de lʼÉtat à devoir exercer une surveillance étroite des troupes soupçonnées dʼêtre contre le régime. 

    686616971.jpgLa même année, alors que Léon Daudet (photo) continue de sʼen prendre aux traîtres et aux espions avec zèle, lʼAction Française est rappelée à lʼordre par le pouvoir républicain. Celui-ci, en menant une intervention musclée contre le mouvement royaliste, entend taper un bon coup sur la table pour calmer les ardeurs des maurrassiens, avec qui la coopération ne peut être que provisoire. Cette opération visant lʼAction Française a pris le nom d’ « affaire des panoplies ». 

    ob_c7ca65_le-bonnet-rouge.jpgElle sʼest produite dans le contexte dʼune campagne de presse lancée par le « Procureur du Roi » autoproclamé Daudet contre le journal Le Bonnet Rouge. Cʼest le 9 septembre 1916 quʼelle est déclenchée par lʼAction Française. Le périodique visé, affublé du sobriquet « Le Torchon » par Maurras, est de tendance radicale. 

    Son directeur, Michel Vigo-Almereyda, serait en collusion avec le président du Parti radical Joseph Caillaux et le ministre de lʼIntérieur Louis Malvy, radical lui aussi. Tous trois feraient acte dʼintelligence avec lʼennemi. Lʼadministrateur du journal, Raoul Duval, ramènerait de Suisse des fonds allemands, en échange dʼune ligne éditoriale clairement défaitiste. 

    Le président du Conseil Paul Painlevé prend au sérieux ces accusations, avec, notons-le, un certain temps de latence. En août 1917 la rédaction du Bonnet Rouge est arrêtée. Une semaine plus tard Vigo est « retrouvé mort dans sa cellule, étranglé au moyen dʼune cordelette ou dʼun lacet de soulier, assassiné, qui sait, pour lʼempêcher de parler ».[1] Cela suggère que les accusations portées par lʼAction Française étaient véridiques, dʼautant plus quʼEugen Weber, qui ne peut être soupçonné de déformer la réalité au profit du mouvement maurrassien, affirme que « Malvy avait subventionné Vigo sur les fonds secrets »[2]. Acculé, le « 4 octobre, Malvy, sous prétexte de défendre son honneur, demanda à Painlevé lecture dʼune lettre de Léon Daudet, directeur de LʼAction Française, à Poincaré, lettre où Daudet affirmait : ʽʽM. Malvy, ex-ministre de lʼIntérieur, est un traîtreʼʼ et prétendait en donner la preuve. On devine lʼagitation qui sʼensuivit. Malvy se défendit, applaudi par les radicaux et les socialistes. Painlevé, Steeg et Raoul Péret (garde des Sceaux) avaient reçu Maurras et Daudet. Painlevé fit perquisitionner dans les bureaux de lʼAction Française où lʼon ne trouva que de vieux fleurets et de vieux pistolets, et nullement les indices de subversion contre la République (dʼoù le nom de ʽʽcomplot des panopliesʼʼ que la presse de droite donna à cet incident. »[3] 

    charles-maurras-fedida.jpgLa perquisition a lieu le 27 octobre, un samedi soir. Les locaux Action Française de Paris, Bordeaux, Lyon, Nîmes et Montpellier sont investis par la police. Les domiciles de Maurras, Daudet et Maxime Réal del Sarte (photo avec Maurras), notamment, sont aussi perquisitionnés. Le butin, comme le souligne plus haut lʼhistorien Jean-Baptiste Duroselle, est maigre : de rares armes-à-feu, des cannes plombées, des coups-de-poing américains et des nerfs de bœuf. Le plus intéressant pour la Sûreté fut probablement de mettre la main sur le dossier contenant les plans dʼun coup d’Etat ; mais aux dires de beaucoup, il était obsolète. De toute façon pour lʼAction Française, la priorité était à la guerre non contre la République mais contre lʼenvahisseur germanique.      

    Lʼhistorien Olivier Forcade indique que « cette opération est lancée par le gouvernement pour détourner lʼopinion publique du seul Bonnet rouge. »[4] Lequel gouvernement, face aux protestations, doit reculer. Alors que le 31 août 1917 Malvy, ce « misérable par qui la France a été livrée, morceau par morceau, à lʼennemi »[5], a dû démissionner – les 19 et 20 juillet 1918 se tiendra son procès en Haute-Cour –, Clemenceau sort grand gagnant de cette « affaire des panoplies », qui a fragilisé le président du Conseil Painlevé, et que remplace le « Tigre » en novembre 1917. Érigé en Père-la-victoire par la République, Clemenceau devrait en réalité partager cette auguste place avec Philippe Pétain – même Macron, en son for intérieur ne le renierait point ! – et aussi avec le « Maître de Martigues ». 

    Lʼun au front et lʼautre à lʼarrière ont pleinement contribué à la victoire de 1918, dans lʼhonneur. Et au sujet de lʼAction Française, Olivier Forcarde ne renierait pas que son pouvoir sʼest renforcé avec lʼirruption de la Grande Guerre : 

    Joseph_Caillaux et Louis Malvy.jpg« Lʼintransigeance à mener la guerre jusquʼau bout et sans faiblesse vaut à lʼAction Française un lectorat accru. Depuis septembre 1916, les campagnes contre Le Bonnet rouge, les réticences contre les tentatives de paix du Vatican, puis contre Caillaux et Malvy en 1917 (photo) attirent la sympathie des milieux de droite et de nombreux officiers dʼactive. Le journal de Charles Maurras, Maurice Pujo, Bainville, Léon Daudet et Henri Vaugeois (mort en avril 1916), au ton souvent doctrinal, est auréolé du prestige de ses campagnes contre les traîtres en 1917. »[6] 

    Lʼexpression affaires des panoplies, inventée par la presse de droite, est là pour le souligner : elle place lʼAction française dans le bon camp, ce qui pour le journal de Maurras est une première. À ses débuts en effet le monde de la presse nʼétait aucunement élogieux à son égard, cʼest le moins que lʼon puisse dire. (A suivre)  ■ 

    [1]  Eugen Weber, LʼAction Française, Paris, Stock, 1964, p. 124.
    [2]  Ibid., p. 126.
    [3]  Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français, Paris, Perrin, 2002, p. 304-5.
    [4]  Olivier Forcade, La censure en France pendant la Grande Guerre, Paris, Fayard, 2016, p. 233.
    [5]  Lettre de Daudet à Poincaré, lue par Painlevé à la Chambre, cité par Eugen Weber, ibid., p. 126.
    [6]  Olivier Forcade, ibid., p. 229.
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  • Patrimoine cinématographique • Au bon beurre

     

    Par Pierre Builly

    Au bon beurre d'Edouard Molinaro (1981)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgPas de quoi rire ... 

    Au bon beurre est l'exemple même de ce qu'était et de ce que pourrait être une télévision de qualité : le choix d'un réalisateur solide, Édouard Molinaro, sans doute dépourvu de grand talent, mais capable d'adaptations de bon niveau ; des acteurs de premier plan, Roger Hanin et Andréa Ferréol et une kyrielle de seconds rôles capables de donner de l'épaisseur à un film : Paul Guers, Dora Doll, Claude Brosset, Monique Mélinand et beaucoup d'autres ; un roman idéalement découpé pour retenir constamment l'attention ; une période historique certes continuellement explorée et commentée mais considérée là principalement sous l'angle original du marché noir et de la crapulerie dénonciatrice ; une conclusion amère et juste, le triomphe immoral des Jean-Dutourd.jpgprofiteurs ; une adaptation très fidèle de l'œuvre d'un excellent romancier, Jean Dutourd, qui connaît aujourd'hui son purgatoire littéraire, dont je serais toutefois bien étonné qu'il ne ressorte pas dans quelques années ou décennies, tant sa verve narquoise et son œil ironique sont délicieux. 

    En tout cas son style d'écriture et son sens de la dérision se sont particulièrement bien prêtés à la transcription télévisée. Et on peut d'ailleurs beaucoup regretter que sa veine n'ait guère été explorée ni exploitée par le cinéma ou la télévision ; il est vrai que fervent gaulliste et fervent monarchiste, il n'entrait pas dans les lucarnes étroites du politiquement correct. (Au fait, il fait une toute petite apparition muette, en acheteur ironique à béret basque dans le téléfilm). 

    Molinaro a disposé de beaux moyens matériels pour adapter le roman et surtout d'un minimum de temps : un peu plus de 3 heures, en deux épisodes diffusés en deux jours consécutifs lors de la première diffusion, ce qui permet de donner un récit à peu près intact et d'en respecter le rythme ; autant qu'il m'en souvienne, il n'a pas eu à faire l'impasse sur des épisodes importants, ce qui permet de conserver une agréable cohérence. Il a eu surtout le mérite de respecter l'acidité du récit de Dutourd, ce qui ne serait peut-être pas possible dans notre vertueux aujourd'hui. 

    au-bon-beurre (1).jpgJe m'explique : le roman a été publié en septembre 1952, c'est-à-dire à un moment très proche du déroulement des événements relatés, un moment où toutes les manigances, les vacheries, les veuleries, les médiocrités racontées étaient encore bien présentes à la mémoire des lecteurs ; je sais bien que celle-ci a tendance à oublier les petites crapoteries qu'on a commises et à valoriser ses minuscules courageuses réactions pour en faire des actes de résistance, mais enfin on ne peut tout de même pas raconter n'importe quoi, ni faire mine d'oublier qu'on a acclamé le maréchal Pétain en avril 44 avant d'aller applaudir le général de Gaulle au mois d'août et cela avec le même enthousiasme. 

    e183a2de-php5lwpqo.jpgD'où l'efficacité du téléfilm qui montre avec un sourire triste mais détaché la réalité des années noires : tout simplement la nécessité de trouver à bouffer chaque jour, de ruser avec les tickets d'alimentation, de se faire quelquefois plaisir en achetant dix fois son prix une douzaine d'œufs ou une livre de beurre. Tristes vicissitudes de nos ventres ! 

    Hanin joue plutôt sobrement et Andréa Férréol est gluante et ignoble à souhait ; abjects ? oui, évidemment, mais comment ne pas noter non plus leur complicité amoureuse et leur ardeur au travail ? Comment ne pas voir qu'à de rares exceptions près, ils sont entourés de bonnes gens qui, s'ils étaient crémiers à leur place agiraient à peu près pareillement ? 

    Et puis j'aime toujours revoir le beau visage triste et déjà suicidaire de Christine Pascal, la petite bonne exploitée.   

    au-bon-beurre.jpg

    DVD 10 €...............

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  • Patrimoine • Versailles ou le Soleil à la fête [I]

    Illuminations du palais et des jardins de Versailles, estampe, 1679, par Jean Le Pautre (1618-1682), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon © EPV/ Jean-Marc Manaï 

     
    « Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la cour une honnête familiarité avec le Souverain les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. »
    Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, 1661. 

    Le 23 février 1653, au théâtre du Petit-Bourbon à Paris, le Ballet royal de la nuit voit asseoir le pouvoir naissant de Louis XIV, dont le royaume est encore sous le contrôle de Mazarin et de la Reine-Mère. Toute la noblesse, soit près de trois mille personnes, s’assemble dans ce théâtre accolé au Louvre. Ce divertissement fait participer les anciens frondeurs, réunis autour du Soleil levant, le jeune Louis XIV, qui entend imposer un ordre du goût nouveau. Ce ballet fonde le mythe apollinien du Roi-Soleil, et bien que joué une seule et unique fois en cette circonstance, il a un impact particulièrement important. À cette occasion, le roi Louis XIV, âgé de quinze ans, joue le rôle du dieu Apollon, travesti en soleil autour duquel gravitent des seigneurs représentant les planètes. À travers cette mise en scène, le roi pose le premier jalon de l’affirmation de son pouvoir et fait partager à l’ensemble de la cour son goût pour la fête et les divertissements. Goût qui rythmera l’ensemble de son règne, entre art du gouvernement et gouvernement des arts.

    Les divertissements prennent ainsi plusieurs formes : les spectacles publics comme le comédies, opéras, concerts, feux et illuminations, et les rassemblements plus privés quand les courtisans deviennent eux-mêmes acteurs : les jeux d’argent, la chasse, les bals, les mascarades. Il s’agit d’étonner du plus grand pour qu’en parle le plus petit, le royaume pour qu’en parle toute l’Europe.

    Versailles au rythme des grands divertissements

    Le Grand Divertissement royal de 1668 célèbre la victoire de Louis XIV sur l’Espagne, la paix d’Aix-la-Chapelle et le rattachement de plusieurs places flamandes – Douai, Lille, Dunkerque – à la France. À cette occasion, le Grand Divertissement royal se pose en summum de la fête baroque par la richesse de ses décors, costumes et la complexité de ses mises en scène. Du Soleil levant, Louis XIV entend, à travers son goût, se poser en Soleil triomphant de l’Europe. Deuxième fête du souverain à Versailles, la somme extravagante de 117 000 livres est dépensée, soit un tiers de ce qu’il consacre à Versailles durant toute l’année. Ce divertissement marque le goût prononcé du roi pour l’idée-même de la fête : sans thème particulier, elle est un déluge de faste et de surprises. 

    André Félibien, dans sa Relation de la Feste de Versailles, nous en donne chaque étape. Elle est organisée le 18 juillet sur une seule soirée et s’ouvre par l’arrivée du roi, de la reine et du Dauphin, venant de Saint-Germain, recevant dans les salles du château aménagées pour l’occasion et pourvues de quoi se rafraichir. Vers six heures du soir, après que la cour est passée par le grand parterre, commence la visite de la dernière réalisation du roi : le bassin du Dragon. Disposés près de la pompe, les participants peuvent contempler ce dragon de bronze, percé d’une flèche et semblant vomir le sang par la gueule, poussant en l’air un bouillon d’eau retombant en pluie et couvrant tout le bassin. Autour du dragon, quatre Amours sur des cygnes forment chacun un grand jet d’eau. Entre ces amours, des Dauphins de bronze agrémentent le déluge.

    La promenade se perd ensuite dans les bosquets frais, gardant de la chaleur du soleil. Celui dans lequel se tient cette collation est arrangé de palissades, arcades de verdure et pilastres laissant découvrir des satyres, hommes et femmes, se mouvant dans des melons surprenamment massifs pour la saison. Un cabinet de verdure pentagone dispose d’une fontaine bordée de gazon, autour de laquelle sont dressés des buffets garnis. L’un d’eux représente une montagne cachant des cavernes dans lesquelles on trouve plusieurs viandes froides. Un autre est déguisé en palais bâti de massepain et de pâte sucrée, un de plus est chargé de pyramides de confitures, et encore un de vases contenant force liqueurs. Le dernier est composé de caramels. Entre les mets se déploient des festons de fleurs soutenus par des Bacchantes, et sur une avancée de mousse verte prenant place dans le bassin, se trouvent un oranger et d’autres arbres de différentes espèces, chacun garni de fruits confits. Le jet de la fontaine, lui, atteint trente pieds de haut et sa chute occasionne un bruit très agréable. La disposition générale semble alors reconstituer un petit monde en forme de montagne duquel jaillit l’eau.

    Après la collation, le roi entre dans une calèche et la reine dans sa chaise et se rendent à la Comédie suivis des carrosses de la cour. Le parcours se fait à travers des allées bordées de rangs de tilleuls, autour du bassin de la fontaine des cygnes terminant l’allée royale vis-à-vis du château. Vigarani a disposé son théâtre au carrefour de ce qui est aujourd’hui le bassin de Saturne. Il est somptueusement orné de colonnes torses de bronze et de lapis environnées de branches et de feuilles de vigne d’or. Entre chacune d’elles sont disposées des figures de Paix, de Justice, de Victoire, etc., montrant que le roi est toujours capable d’assurer le bonheur de ses peuples. Monsieur de Launay est chargé de distribuer le programme de la comédie agrémentée d’un ballet – de Lully – qui doit être jouée. Il s’agit de Georges Dandin de Molière. Trente-deux lustres de cristal luisent alors de concert dans ce théâtre en trompe-l’œil féérique, tendu de tapisseries et couvert d’une toile fleurdelisée à fond bleu.

    Le festin est organisé à l’endroit du futur bassin de Flore, dans un bâtiment octogonal en treillage, haut de cinquante pieds et surmonté d’un dôme. Une table y est dressée et accueille un grand buffet orné d’une fontaine et d’une vaisselle en argent composée de vingt-quatre bassins, séparés par des vases, cassolettes et girandoles. La place du roi est identifiable à sa nef, réalisée par Gravet, probablement avant 1670, d’après un dessin de Le Brun. La table est de forme octogonale, accueille soixante-quatre couverts, et voit son centre orné d’un immense rocher sur lequel trône une fontaine à l’effigie de Pégase le cheval ailé, lequel déverse son eau sur des coquillages exotiques et plusieurs divinités. Le bal est organisé au carrefour de l’actuel bassin de Cérès. On y accède par un tunnel de verdure et la salle est fermée par une grotte de rocailles semblant couverte de marbre et de porphyre réalisée par Le Vau, au fond de laquelle on peut voir deux tritons argentés formant un bouillon d’eau.

    Enfin, la fête se termine par deux feux d’artifice dont tout le monde savait l’existence mais dont personne, de jour, n’avait pu entrevoir la disposition dans les jardins. Mille flammes s’élevèrent ensemble, sortant des parterres, des bassins, des fontaines, des canaux… Les premières depuis le bas de la grande perspective, où l’on aperçoit le château éclairé de l’intérieur. Les secondes, au-dessus de la pompe de Clagny. Se termine ainsi la fête qui eût un retentissement par le biais de nombreux commentateurs tels que ceux de l’abbé de Montigny ou de Mademoiselle de Scudéry, et jusqu’en Espagne : Pedro de la Rosa, dans une lettre destinée à la reine Marie-Thérèse, dresse le portrait à la manière de Félibien de cette fête fastueuse.

    Déployer le pouvoir du monarque

    Les premières heures de Versailles sont marquées par des divertissements se tenant sur des scènes éphémères, au détour des nombreuses allées, bassins et pavillons garnissant les jardins. Les fêtes se déroulent sur plusieurs jours, dans différents lieux montrant la virtuosité du souverain, capable à la fois de dresser de grands théâtres de verdure dans des marais envahis de moustiques et de faire voguer ses galères sur d’immenses canaux prévus à cet effet. Il s’agit pour le roi de montrer son château à la cour qui s’y est nouvellement installée et de l’impressionner.

    Les Fêtes de l’été de 1674 sont données à Versailles au prétexte de la reconquête de la Franche-Comté. Elles se déroulent sur six jours qui ne se suivent pas. Le 4 juillet, on prend une collation dans le bosquet des Marais, embelli d’orangers caisse pour l’occasion et de guirlandes de fleurs. À 8h, on représente Alceste de Quinault, qui compose le livret, et de Lully pour la musique, se posant pour l’évènement en véritable maître des fêtes de la cour de Versailles. La représentation a lieu dans la Cour de Marbre, et donne lieu à un dispositif plutôt humble : un plancher de bois surélevant la scène, mais sans aucun décor ni machine à l’exception d’une fontaine habillée de fleurs trônant au centre. La journée se termine avec le souper donné dans les Grands appartements nouvellement aménagés.

    Le 11 juillet, on joue l’Églogue de Versailles composé en 1668, fruit de la première rencontre entre Philippe Quinault et Jean-Baptiste Lully. L’œuvre prend déjà la forme d’un petit opéra pourvu d’une ouverture à la française et mettant en scène les bergers Silvandre et Coridon parlant ouvertement du retour de « Louis », fait peu courant puisque la plupart du temps le souverain endosse le costume d’une métaphore livrée à l’interprétation du public. La journée se poursuit par une promenade dans les jardins de Trianon puis du retour à Versailles vers neuf heures du soir pour le souper. Le repas pris est somptueux, dans la salle du Conseil aménagée à la manière d’un bosquet prenant la forme d’une île entourée de jets d’eau, entourée par soixante-treize girandoles de cristal et surplombée par cent cinquante lustres.

    Le 19 juillet, on prend la collation dans le jardin de la Ménagerie, suivie de la représentation du Malade imaginaire de Molière et Marc-Antoine Charpentier devant la grotte de Thétis servant de décor, avant de clore la journée sur des gondoles que l’on fait voguer en musique sur le Grand canal. Plus somptueux encore : au 28 juillet, le début de la journée est encore une fois rythmé par la collation prise dans le théâtre d’Eau. Les plats sont disposés sur les gradins de gazon encadrant le bosquet. L’ornementation est un hymne à la nature, et voit se déployer de nombreux arbres fruitiers parmi lesquels pêchers, abricotiers, pommiers, orangers, décorés de guirlandes de fleurs et abritant des pyramides de fruits, glaces, corbeilles de pâtes de fruits et de confitures. On joue ensuite les Fêtes de l’Amour et de Bacchus sur une scène aménagée près des machines alimentant les fontaines en eau, proches du Bassin du Dragon. Vigarani collabore avec Lully et conçoit le théâtre formé de deux pilastres soutenant les statues en bronze doré de la Justice et de la Félicité. On interprète le livret de 1672, rassemblant les plus beaux extraits des ballets et comédies-ballets de Lully. Le dernier acte voit la scène se transformer complètement en laissant apparaître le chœur de l’Amour et ses bergers prenant place sur des portiques de verdure. Le chœur final est chanté par cent-cinquante satyres de Bacchus. On tire le feu d’artifice depuis le Grand Canal, conçu par Lebrun et Vigarani, entre le Parterre d’Eau et le Bassin de Latone. On sert enfin le souper au son des hautbois et des violons dans la Cour de Marbre sur une table octogonale disposée autour de la fontaine, garnie de fleurs de lys dorées, symboles du pouvoir royal. (à suivre)   

    La prochaine partie de cet abrégé s’attardera sur la diversité des jeux et des lieux dans lesquels prennent place ces divertissements rythmant la pratique du pouvoir.

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    Fête donnée par Louis XIV pour célébrer la reconquête de la Franche-Comté, à Versailles, en 1674. Cinquième journée. Feu d’artifice sur le canal de Versailles, par Jean Le Pautre (1618-1682). Tiré de l’ouvrage en 1 volume avec les fêtes « Les plaisirs de l’Isle enchantée », Ex-libris Grosseuvre. © Paris, musée du Louvre/RMN-GP/Thierry Le Mage

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    Le Rouge et le Noir

  • L'Action Française dans la Grande Guerre [4] L’Union Sacrée : un ralliement ?

    Pourquoi le ralliement n'est pas une trahison (suite) 

    Cependant, peut-on réellement parler de ralliement à la République ? Il serait plus juste, à notre avis, de voir dans lʼUnion Sacrée un ralliement du système républicain au programme, non pas institutionnel mais opérationnel, de lʼAction Française, à ses idées, ses méthodes et sa stratégie. Lʼhistorien Jean-Baptiste Duroselle souligne que lʼUnion Sacrée coïncide, pour les nationalistes en général et pour lʼAction Française en particulier, avec un curieux moment où ils « ont assisté avec béatitude à une sorte de ʽʽralliementʼʼ des autres à leur point de vue. »[1] Durant cet été 1914, paradoxalement plein dʼeffervescence et dʼespoir, Bainville note dans son journal : « La confiance est générale, les antimilitaristes dʼhier sont les premiers à réclamer un fusil. »[2] Cʼest le cas, on lʼa vu, du journal La Guerre sociale de Gustave Hervé, qui, aussi étrange que cela puisse paraître vu son titre, se présentait jusquʼalors comme résolument pacifiste. 

    99768055.jpgSi lʼAction Française se range du côté du gouvernement républicain, elle ne met pas pour autant son corpus idéologique dans sa poche. Pour Maurras, la victoire militaire – battre lʼAllemagne – sera le prélude à la victoire politique – restaurer la monarchie –. Bainville définit la stratégie à adopter. Il préconise dʼécraser la Prusse, facteur dʼunification du monde germanique. Il faut à jamais, pense lʼhistorien royaliste, briser tout espoir dʼunité de lʼAllemagne. Et ne plus se préoccuper que de la France, mettre provisoirement au rancart lʼhostilité à la République. 

    Il sʼagit donc de faire front, dʼoublier les querelles idéologiques, enterrer la hache de guerre avec lʼex-Anti-France. Loyale au gouvernement, lʼAction Française ne sʼest pas pour autant convertie au républicanisme, loin sʼen faut. Le fait suivant lʼatteste : en juillet 1915, lors dʼune réunion publique la section dʼArras dénonce la chienlit républicaine responsable du désordre, concluant par un « Vive le Roi ! vive la France ! » 

    2505119253.jpgEn outre, un an plus tard, dans un contexte difficile car lʼhiver 1916 voit la prise de Bucarest par les Allemands et la retraite des troupes russes, Maurras propose lʼinstauration dʼune sorte de dictature dont le souverain serait un podestat, ou lieutenant général, idéalement issu des rangs de lʼArmée. Il faut dire que la valse des présidents du Conseil, trait caractéristique de la IIIème République, ne sʼest pas arrêtée avec la guerre. La France a connu cinq chefs de gouvernement en lʼespace de quatre ans : René Viviani, Aristide Briand (photo), Alexandre Ribot, Paul Painlevé et Georges Clemenceau ; quant au président de la République il est resté le même. Raymond Poincaré a occupé cette fonction de 1913 à 1920. Lʼabsence dʼélections nʼa pas empêché cette instabilité gouvernementale. Selon Maurras il fallait aller plus loin. Non seulement il fallait rompre avec la démocratie représentative, ou régime dʼopinion, soit le pouvoir frivole et capricieux de la foule, mais aussi fallait-il mettre fin au parlementarisme, facteur dʼimmobilisme et de corruption. Le podestat devait préparer la venue du roi, dont lʼavènement sur le trône devait couronner la victoire contre à lʼAllemagne. En 1917, Daudet déclare en privé : « Il nous faut continuer notre propagande pour que nos amis du Front trouvent en revenant une force unie prête à renverser la République et à restaurer le Roi. »[3] 

    La fidélité renouvelée vis-à-vis de lʼÉglise 

    LʼAction Française étant favorable à la restauration de lʼalliance du trône et de lʼautel, elle a durant toute la guerre veillé à faire la part des choses entre son nationalisme intégral, qui la poussait à exiger de tous lʼeffort maximal afin de réussir à vaincre lʼennemi, et son tropisme transmontain, qui lʼobligeait dʼaccepter le discours pacifiste et la neutralité du Saint-Siège représenté par Benoît XV, « dont la position était des plus inconfortables ».[4] Entre les catholiques et lʼAction Française sʼétaient noués des liens très forts, comme le fait remarquer Duroselle qui évoque « lʼattitude royaliste du bas clergé presque entier. »[5] Cette relation étroite ne fut pas brisée par la guerre. Une certaine forme de gallicanisme facilita la tâche : « lʼÉglise de France se rallia au patriotisme. »[6] Celle-ci fit sonner le 11 novembre 1918 à 11 heures précises toutes les cloches de ses paroisses, se glissant dans un rôle de caisse de résonance de lʼÉtat républicain qui lʼavait pourtant sérieusement tourmentée.           

    Le « pagano-comtien » Maurras ne succomba pas à la tentation anticléricale que ses ennemis républicains ne manquèrent pas de semer auprès de la piétaille soldatesque, en sʼappuyant sur la faille que fait apparaître la contradiction flagrante entre le nationalisme intégral et le royalisme transmontain. Mais, comme le suggère Eugen Weber, le « Maître de Martigues » était bien trop intelligent pour tomber dans le piège qui lui était tendu : 

    170392055.jpg« Nombreux étaient les Français qui sʼélevaient contre les efforts que faisait le Pape (photo) en vue de conserver la neutralité, qui lui reprochaient son refus de condamner lʼagression allemande, son silence devant les destructions et les atrocités des Allemands en Belgique et dans le nord de la France. Certains clercs et même certains laïques, comme Mistral dans ses Psaumes de la pénitence, considéraient que les souffrances de la guerre venaient en punition de lʼirréligion et lʼanticléricalisme de la France. Quand la protestation contre de telles déclarations eut menacé de provoquer une nouvelle campagne anticléricale, Maurras parla " dʼinfâme clameur", de brèche dans ce qui devait rester le front de lʼunité nationale, et son journal sʼérigea en soutien le plus ferme du clergé. »[7] (A suivre)  ■ 

    [1]  Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 52-53.
    [2]  Cité par ibid., p. 53.
    [3]  Cité par Eugen Weber, ibid., p. 117.
    [4]  Jean-Baptiste Duroselle, ibid., p. 66.
    [5]  Ibid., p. 64.
    [6]  Idem.
    [7]  Eugen Weber, op. cit., p. 118.
    Articles précédents ...
    L'Action Française dans la Grande Guerre [1] La guerre sans l'aimer
    L'Action Française dans la Grande Guerre [2] Un prescripteur d’opinion de plus en plus important 
    L'Action Française dans la Grande Guerre [3] L’Union Sacrée : un ralliement ?
     

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  • Cinéma • Un homme pressé

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Un homme pressé, un film d’ Hervé Mimran, avec Fabrice Luchini, Leïla Bekhti et Rebecca Marder, inspiré du livre J'étais un homme pressé : AVC, un grand patron témoigne de Christian Streiff, ex PDG d'Airbus et de PSA Peugeot Citroën.


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    Un homme pressé, nous avons pris du temps pour aller voir cette tragi-comédie, à l’affiche maintenant depuis près de deux mois, qui vaut néanmoins le déplacement pour autant que l’on accepte de rire d’un drame…

    Le drame c’est l’histoire d’un homme, un bourreau de travail – « je ne me reposerai que quand je serai mort » - victime d’un AVC.

    Gaumont-Distribution-2-854x480.jpgLe comique, c’est qu’il n’en continue pas moins à vouloir vivre comme avant, sans entendre, quand il parle, qu’il emploie un mot pour un autre ou qu’il les déforme.

    Ainsi, par exemple, un « médecin » devient un «  pèlerin », son « orthophoniste » est une « psychopathe », et à une jeune fille qui veut parler avec lui, il répond « je vous épouse » au lieu de « Je vous écoute »… 

    I4413565.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgmaginez ce lapsus dans la bouche de Macron, Edouard Philippe et leurs ministres quand ils s’adressent aux Gilets jaunes…  Ce serait un vrai « mariage pour tous » !    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Saumur : Réunion d’information et de mise en place d’une section samedi 24 novembre... C'est aujourd'hui !

     

    Le Cercle Jacques Cathelineau organise une réunion d'information pour le Maine et Loire qui débouchera sur la mise en place d'une nouvelle section, le samedi 24 novembre à 15h00 à l'hôtel Best Western Adagio, 94 avenue Général de Gaulle, 49400 SAUMUR.

     

    Renseignement : 06 87 25 07 28

  • Revers de fortune

     

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    Ce que l'affaire Carlos Ghosn nous rappelle de plus clair ce sont trois réalités simples. 

    La première est l'extrême amoralité et l'inextinguible rapacité de la race des très grands patrons d'entreprises de taille mondiale, à laquelle Carlos Ghosn appartient. Cet homme-là gagne 45 000 € par jour, soit 16,5 millions par an. Et il semble assez probable qu'il ait en plus voulu en dissimuler une partie aux autorités fiscales nipponnes.

    Renault-Nissan-Mitsubishi-alliance-2017-global-sales.jpgIl serait certes vain de contester son exceptionnelle compétence ni les résultats que sa gestion a produits pour le groupe automobile qu'il avait savamment construit et dont il a fait le premier du monde. Comme de méconnaître que son niveau de rémunération n'est pas exceptionnel parmi ses pareils dans le monde. Mais est-ce une référence ? 

    On a tremblé à Boulogne-Billancourt et dans tous les ateliers, tous les services Renault du monde, lorsqu'est tombée la soudaine nouvelle de son arrestation à Tokyo. On s'est ému palais Brongniart ; les cours de l'action Renault ont dans l'instant chuté. Carlos Ghosn était considéré comme un dirigeant à peu de choses près indispensable. 

    On s'est inquiété dans le monde industriel, boursier, mais aussi jusque dans les hautes sphères gouvernementales comme les colonnes des temples de l'oligarchie mondiale avaient vacillé en 2011 lorsqu'on avait appris l'incroyable arrestation à New-York du président du Fond Monétaire International ; un économiste exceptionnellement doué, assurait-on, membre éminent de la communauté juive internationale la plus fortunée et de l'univers financier mondial, socialiste de surcroît et candidat classé favori à la présidentielle française de 2012.

    Peut-on-montrer-DSK-menotte.jpgOn avait vu cet homme intouchable mal rasé et menotté, emmené vers son lieu de détention sans égards particuliers et l'on avait alors mesuré la fragilité existentielle des puissants. Débordements de l'appétit sexuel pour Dominique Strauss-Kahn, boulimie de revenus pour Carlos Ghosn, les deux cas se ressemblent. Une même descente aux enfers les a détruits au zénith de leur puissance. Pour l'heure, voici qu'à son tour, Carlos Ghosn est en prison. 

    Les libéraux professent la régulation du marché par lui-même. Mais l'immoralité foncière des très grands patrons est l'un des symptômes qui infirment cette thèse fort douteuse. 

    Ce que nous rappelle en deuxième lieu l'affaire Carlos Ghosn, c'est le caractère démesurément inégalitaire des sociétés modernes, malgré leurs prétentions et leurs principes hérités de la révolution française. L'on sait - toutes les études le montrent - qu'un nombre infime de personnes détiennent une part de la richesse du monde proche de 80% ... L'ampleur des inégalités modernes est sans analogue dans l'Histoire. Elles n'ont jamais été aussi grandes ni aussi illégitimes. Car elles ne se fondent plus que sur des comptes en banque et ne sont plus liées comme jadis à un ensemble de codes, de valeurs et de services utiles à la communauté, dispensatrices de qualité et protectrices des plus modestes. On voudra bien désormais lorsque nous discutons des sociétés d'Ancien Régime, nous épargner les habituels : « Ah oui, mais les inégalités ! »   ... 

    Ce que l'affaire Carlos Ghosn nous confirme enfin, c'est la permanence des nationalismes et leur prégnance, même en matière économique, en l'occurrence, industrielle. Sans-doute ont-t-elles pu échapper à Carlos Ghosn, dont, quoique triple, la nationalité est fort incertaine et les racines d'on ne sait où ; mais pas à ses partenaires japonais, pas aux cadres et aux personnels de chez Nissan, ataviquement patriotes. Les bilans du groupe Nissan-Renault font apparaître - les chiffres sont publics - que les profits sont produits par Nissan, tandis que Renault, via Carlos Ghosn, dirige l'ensemble... De quoi attenter à la fierté nationale et â la susceptibilité des nippons. Comme d'ailleurs à leurs intérêts. Ainsi, l'arrestation de Carlos Ghosn à Tokyo a - au moins pour partie - des airs de revanche. Sans-doute a-t-il fauté. Mais, le Japon ne l'a pas raté. Ce quasi apatride d'esprit cosmopolite ne leur correspond guère. Le Japon, lui aussi, a changé. Le gouvernement dont il s'est doté est passé aux mains des nationalistes. Peut-être, dans l'affaire, s'agit-il surtout pour Nissan de reprendre sa liberté, abandonnée pour un temps à la veille d'une faillite, tout en maintenant avec Renault une coopération libre, un partenariat stratégique, rendus nécessaires et utiles par les années passées de vie commune et les imbrications industrielles crées. Sans-doute Carlos Ghosn faisait-il obstacle à ce type d'évolution. Comme Strauss-Kahn à New-York, il est tombé de son piédestal à Tokyo. 

    XVM46c30718-eccd-11e8-b93d-63abecea4c88.jpgL'affaire Carlos Ghosn apporte une pierre de plus à la masse des méfaits d'un certain capitalisme, que l'on se gardera de confondre avec le capitalisme patrimonial, qualificatif dont l'étymologie le distingue radicalement de l'autre, celui, de M. Carlos Ghosn.

    Les princes de la Maison de France étaient décidément bien clairvoyants lorsqu'ils dénonçaient en avance sur leur temps « la fortune anonyme et vagabonde ». De nos jours, il lui arrive d'avoir de sérieux revers.  ■ 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques En deux mots (107 à ce jour) en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • D'accord avec Arnaud Guyot-Jeannin : Soljenitsyne n’était pas un conservateur libéral, mais un antimoderne radical !

    Discours du samedi 25 septembre 1993, aux Lucs-sur-Boulogne en Vendée 

     

    Par Arnaud Guyot-Jeannin

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgIl nous a semblé indispensable de reprendre cette utile mise au point de notre excellent confrère Arnaud Guyot-Jeannin [Boulevard Voltaire, 20.11] à propos de la pensée vraie d'Alexandre Soljenitsyne, que Chantal Delsol a malheureusement annexée au courant libéral actuel dans un récent article du Figaro. Nous partageons l'analyse de notre confrère qui considère cette interprétation manifestement contraire à la vérité. Aux textes qu'il cite très opportunément, il aurait du reste pu ajouter le discours de Soljenitsyne aux Lucs-sur-Boulogne en commémoration du martyre de la Vendée et condamnation de la Révolution. (cf lien ci-dessous).  LFAR

     

    129769268.9.jpgÀ l’occasion d’un colloque international à l’Institut et à la Sorbonne – se déroulant du lundi 19 au mercredi 21 novembre à Paris – consacré à Alexandre Soljenitsyne, l’une des organisatrices, Chantal Delsol, déclare dans les colonnes du Figaro : « Soljenitsyne n’est pas réactionnaire, c’est un conservateur libéral. » 

    Pardon ? Que lis-je ? Si, si, j’ai bien lu. Mais rien n’est plus faux ! La philosophe ne récupère-t-elle pas l’auteur de L’Archipel du goulag dans sa perspective ordo-libérale ? Une perspective hybride et oxymorique qui ne date pas d’aujourd’hui… Certes, Soljenitsyne n’est pas « à rattacher à la lignée des slavophiles russes, contempteurs de l’Occident décadent ». Certes, il n’était pas un « défenseur de l’autocratie ». Certes, « il admirait les systèmes décentralisés ». Et alors ? En quoi cela en fait-il un « conservateur libéral » ? Il fut certainement un conservateur, au sens de « traditionaliste ». Mais il n’était en aucun cas « libéral ».

    En 1978, Soljenitsyne émet son fameux Discours de Harvard. Ayant pourfendu le totalitarisme communiste, il fustige également le totalitarisme marchand-spectaculaire : « Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d’oppression, l’âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd’hui par les habitudes d’une société massifiée, forgées par l’invasion révoltante de publicités commerciales, par l’abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable. » Un discours antimoderne radical. Assez peu « libéral » aussi…

    Soljenitsyne rejette la sous-culture occidentale américanomorphe. Il étrille le relativisme indifférencié et l’hédonisme consumériste provenant de l’Ouest. Il a une perception unitaire du libéralisme : libéralisme religieux, philosophique, culturel et économique. Il inscrit ainsi généalogiquement le libéralisme dans la dynamique révolutionnaire des philosophes des Lumières. Le 13 décembre 2000, il prononce un discours à l’ambassade de France à Moscou où communisme et libéralisme sont associés dans une même réprobation : « À cette époque, je m’en souviens, les bolcheviks annonçaient littéralement : “Nous, les communistes, sommes les seuls vrais humanistes !”. Non, ces éminentes intelligences n’étaient pas si aveugles, mais elles se pâmaient en entendant résonner les idées communistes, car elles sentaient, elles avaient conscience de leur parenté génétique avec elles. C’est du siècle des Lumières que partent les racines communes du libéralisme, du socialisme et du communisme. C’est pourquoi, dans tous les pays, les socialistes n’ont montré aucune fermeté face aux communistes : à juste titre, ils voyaient en eux des frères idéologiques ou si ce n’est des cousins germains, du moins au second degré. Pour ces mêmes raisons, les libéraux se sont toujours montrés pusillanimes face au communisme : leurs racines idéologiques séculières étaient communes. »

    Anticommuniste et antilibéral, Alexandre Soljenitsyne préconisait une société enracinée et communautaire où les corps intermédiaires reprendraient leur droit (familles, communes, provinces, corporations professionnelles). Il soutenait une démocratie des petits espaces héritée du principe de subsidiarité. Réactionnaire vomissant la (post)modernité, il était à la fois réactionnaire et visionnaire. Il s’appuyait sur le passé pour entrevoir le présent et l’avenir. Il y est parvenu.  

    Arnaud Guyot-Jeannin 
    Journaliste et essayiste
    Lire sur Lafautearousseau ...
    Grands textes [I] • Discours intégral d'Alexandre Soljenitsyne en Vendée
  • L'Action Française dans la Grande Guerre [3] L’Union Sacrée : un ralliement ?

    Le Café du croissant où Jaurès fut assassiné 

     

     

    L'Union Sacrée : un ralliement ? 

    « Les dernières espérances que l’on pouvait concevoir en faveur d’une solution pacifique se sont évanouies l’une après l’autre. L’Allemagne aura laissé les puissances épuiser tous les moyens de conciliation, en dissimulant ses préparatifs de guerre derrière le paravent des négociations diplomatiques. »           

    maurras2_300x250.jpgDans son éditorial du 1er août 1918, Charles Maurras accuse l’Allemagne d’être responsable du déclenchement des hostilités et nie toute implication de lʼAction Française dans l’assassinat du leader socialiste Jean Jaurès par Raoul Villain, à qui il était arrivé de fréquenter les réunions du cercle royaliste. 

    Face à l’Allemagne, réconciliation nationale 

    Avec l’attentat mortel perpétré contre Jaurès, c’est tout espoir de paix qui meurt. Le camp pacifiste français a perdu son champion. LʼAction Française s’attendait à cette guerre. C’est sans hésiter une seconde que Maurras et les siens rejoignirent le camp de ceux qui prennent « la décision spontanée d’oublier toutes les divisions et toutes les querelles au bénéfice d’une cause qui, très soudainement, apparaît comme la plus haute de toutes : la défense de la patrie »[1]

    poincare_raymond.jpgSoit lʼUnion Sacrée – expression utilisée par le président Poincaré (photo) dans son message au Parlement où il proclame que la nation « sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant lʼennemi lʼUnion Sacrée »[2]. Les Français, à lʼété 1914, ces « représentants éminents et peut-être seuls de la race chevaleresque »[3] selon les mots de Charles Péguy, ne forment plus quʼun seul corps, dont les parties sont unanimement prêtes, la « fleur-au-fusil », à bouter le « Hun », ou le « Teuton », hors de la mère-patrie.           

    Le président de la Chambre des députés, Paul Deschanel loue, le 4 août, lʼunisson trouvé au sein de la nation républicaine : « Y a-t-il encore des adversaires ? Non, il nʼy a plus que des Français. »[4] Les réfractaires sont à cet égard peu nombreux : seulement 1,5 % des conscrits. L’état-major s’attendait à dix fois plus. 

    220px-Pujo,_Maurice.jpgL’unité est là. Du député S.F.I.O. du Nord, Jules Guesde, du socialiste Gustave Hervé, qui dirige un journal, La Guerre sociale, à la ligne résolument antinationaliste et pacifiste dont la une du 1er août 1914 est : « Ils ont assassiné Jaurès ! Ils n’assassineront pas la France », jusqu’à Maurice Barrès, qui début 1914 avait succédé à Paul Déroulède en tant que président de la Ligue des Patriotes, et Maurice Pujo de lʼAction Française (photo), toutes les couches de la population, toutes les sensibilités politiques, répondent à lʼappel de la « République française » qui appelle ses fils à la destruction de lʼennemi, à la violence, à les buter tous... quand sa Loi proscrit tout usage de la coercition, puisqu’elle revendique la jouissance du monopole exclusif de ladite coercition, comme lʼavait posé le sociologue allemand Max Weber quand il sʼétait, au moment dʼailleurs de la Première guerre mondiale, ingénié à définir l’État, quand son compatriote Friedrich Nietzsche dépeignait ce concept majeur du politique dans Ainsi parlait Zarathoustra en monstre froid qui ment froidement, avec pour mensonge qui rampe de sa bouche : « moi l’Etat, je suis le peuple »

    Le 7 août à la Sorbonne Maurice Pujo participe à la fondation d’un Comité de secours national présidé par le doyen de la faculté des sciences, avec notamment Ernest Lavisse, le représentant de l’archevêque de Paris Mgr Odelin, le leader de la C.G.T. Léon Jouhaux et le secrétaire général de la S.F.I.O. Louis Dubreuilh. « De parti à parti on ne sait quelles politesses se faire : on présente les adversaires de la veille les uns aux autres et on se serre la main »[5], note Jacques Bainville. 

    Le 26 août un gouvernement dʼUnion Sacrée est formé, qui penche plutôt à gauche. La droite est sous-représentée car, sous la pression des radicaux, la proposition du président Raymond Poincaré de faire entrer MM. Albert de Mun et Denys Cochin est rejetée. En dépit de cela, lʼAction Française reste loyale au régime honni, à la République, à la « gueuse ». Maurras juge que, puisque lʼennemi est aux portes, « une seule chose importe, la victoire. »[6]                  

    Ralliement et donc trahison ? Pour Maurras la vraie trahison serait la désertion. Voici comment, confronté à ce dilemme cornélien, il justifie son choix : « Nous ne vaincrons pas par les dissensions intestines, en nous faisant les complices du désordre, de lʼincohérence, de la scandaleuse instabilité gouvernementale qui était lʼessence du régime ; cela peut et doit être surmonté vu la présence de lʼennemi. »[7] 

    CCQn2bRWAAE78_w.jpgCette décision aurait pu décevoir lecteurs et militants de lʼAction Française – rappelons que la IIIème République est née de la défaite militaire de Sedan –, qui désormais soutenait les mesures liberticides du pouvoir républicain, par exemple en sʼen prenant à la Ligue des Droits de lʼHomme qui battait campagne contre la censure de la presse. Mais peu considérèrent que lʼAction Française était devenue un opposant « trop modéré ».[8]

    14-18-au-dela-de-la-guerre.jpgLʼélan patriotique était tel, comme l’a montré lʼhistorien Jean-Jacques Becker dans ses travaux, que chacun ou presque à lʼintérieur du mouvement royaliste accepta ce changement de cap, nouvelles circonstances obligent, et sʼengagea pour la France, avec comme armes la plume pour lʼintelligentsia, minoritaire, et le fusil pour la base, majoritaire.           

    Parmi les premiers, Léon Daudet, qui est très actif dans le soutien à lʼeffort de guerre, pointe du doigt les entreprises allemandes implantées sur le sol français quʼil accuse dʼêtre une cinquième colonne. En particulier, les laboratoires et les magasins Maggi, qui commercialise les célèbres bouillons Kub, sont violemment attaqués. Daudet sʼacharne aussi à débusquer les traîtres supposés, comme lʼami du radical Joseph Caillaux, le banquier juif Émile Uhlman. 

    Des organisations annexes, de surcroît, sont créées par lʼAction Française. Dʼabord, en juin 1917, la Ligue de Guerre dʼAppui, puis, quelques mois plus tard, la Ligue de Défense Anti-Allemande, qui publie un organe appelé On les aura, dont la durée de vie fut brève. Raymond Poincaré peut se féliciter de cette fidélité à toute épreuve. En 1917, il dit à propos des militants royalistes quʼils « ont oublié leur haine de la République et des républicains, et ils ne pensent plus quʼà la France. »[9]   (A suivre)  ■ 

    [1]  Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français, Paris, Perrin, 2002, p. 48.
    [2]  Cité par ibid., p. 49.
    [3]  Cité par ibid., p. 48.
    [4]  Cité par ibid., p. 49.
    [5]  Cité par ibid., p. 56.
    [6]  Cité par Eugen Weber, LʼAction Française, Paris, Stock, 1964, p. 113.
    [7]  Idem.
    [8]  Idem.
    [9]  Idem. 
    Articles précédents ...
    L'Action Française dans la Grande Guerre [1] La guerre sans l'aimer
    L'Action Française dans la Grande Guerre [2] Un prescripteur d’opinion de plus en plus important 
     

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  • Sylvain Tesson, un écrivain libre qui parle de la Syrie

     

    Par Antoine de Lacoste 

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    Incroyable ! Le Figaro a décidé de diversifier ses sources et ses analyses sur la guerre en Syrie. Confiné depuis 7 ans dans le politiquement correct, à quelques exceptions près, notre quotidien bien-pensant donne la parole à Sylvain Tesson.

    Cet écrivain-voyageur hors norme a roulé sa bosse en Sibérie, sur les traces des évadés du Goulag, le long de la Berezina, à la recherche de la Grande Armée, au bord du Lac Baïkal, dans le silence et la solitude. Et même en France « Sur les chemins noirs » de la ruralité, condamnée par la mondialisation.

    Et notre écrivain-voyageur, une fois de plus, ne nous déçoit pas.

    site_1229_0032-1200-630-20151104161908.jpgIl a arpenté la Syrie où il a vu Damas, Palmyre, Alep, Homs. Il s’est arrêté à Maaloula, le village chrétien martyr. Il a bivouaqué au Crac des Chevaliers, le plus beau château des croisades (photo). C’est l’occasion de rétablir la vérité. Alors que les médias occidentaux nous serinaient que « les rebelles » (appellation commode pour éviter de les appeler islamistes) avaient conquis le Crac, il interroge le conservateur, Hazem Hanna : « Huit-cents terroristes occupaient le Crac. Des Tunisiens, des Tchétchènes, des Algériens, arrivés par le Liban. C’était une plate-forme d’accès vers Homs, comme au temps des croisades ! Ils furent tués au corps à corps. »

    Evidemment, quand on écoute les Syriens eux-mêmes et non l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), c’est autre chose.

    2297913162.jpgA Palmyre, il a contemplé les destructions des terroristes de l’Etat Islamique, rappelant opportunément qu’ils n’ont fait qu’appliquer le « 59è verset de la 18è sourate. » Les Russes reconquirent « la perle du désert », donnèrent un concert symbolique dans le théâtre antique et Sylvain Tesson observe que « les puissances occidentales ne pouvaient se contenter d’applaudir Vladimir Poutine et son orchestre. L’OTAN se trouva contrainte de s’engager davantage dans la lutte contre l’Etat Islamique. »

    Il aurait pu ajouter que c’était aussi l’occasion pour les Américains d’occuper illégalement un tiers de la Syrie, mais ne soyons pas trop gourmands.

    Surtout, Sylvain Tesson nous livre le précieux témoignage de l’archevêque gréco-melkite d’Alep, Monseigneur Jeanbart : « J’ai six chantiers [de reconstruction] en cours. Le monastère de Saint Basile est déjà relevé. Je veux aller vite. Pour l’exemple. Les exilés font une erreur pour eux-mêmes de rester en Europe. L’exil n’est une solution pour personne. »

    Comme l’observe finement Tesson, comment lui expliquer que l’Occident aujourd’hui a institué « une mystique du déplacement » : « Elle est davantage célébrée que l’éthique de la résistance ou l’esthétique ulyssienne du retour…Jacques Julliard disait que l’immigré était devenu le prolétaire de substitution pour une classe politique qui ne s’intéresse plus aux petites gens. »

    Le vent a tourné. N’en déplaise à Laurent Fabius, le Front al-Nosra n’a pas fait « du bon boulot » et sera vaincu. N’en déplaise à Donald Trump, « l’animal » Bachar est toujours en place.

    Et contrairement à la doxa journalistique, c’est la civilisation qui a gagné. ■

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.