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L'Action Française dans la Grande Guerre [3] L’Union Sacrée : un ralliement ?

Le Café du croissant où Jaurès fut assassiné 

 

 

L'Union Sacrée : un ralliement ? 

« Les dernières espérances que l’on pouvait concevoir en faveur d’une solution pacifique se sont évanouies l’une après l’autre. L’Allemagne aura laissé les puissances épuiser tous les moyens de conciliation, en dissimulant ses préparatifs de guerre derrière le paravent des négociations diplomatiques. »           

maurras2_300x250.jpgDans son éditorial du 1er août 1918, Charles Maurras accuse l’Allemagne d’être responsable du déclenchement des hostilités et nie toute implication de lʼAction Française dans l’assassinat du leader socialiste Jean Jaurès par Raoul Villain, à qui il était arrivé de fréquenter les réunions du cercle royaliste. 

Face à l’Allemagne, réconciliation nationale 

Avec l’attentat mortel perpétré contre Jaurès, c’est tout espoir de paix qui meurt. Le camp pacifiste français a perdu son champion. LʼAction Française s’attendait à cette guerre. C’est sans hésiter une seconde que Maurras et les siens rejoignirent le camp de ceux qui prennent « la décision spontanée d’oublier toutes les divisions et toutes les querelles au bénéfice d’une cause qui, très soudainement, apparaît comme la plus haute de toutes : la défense de la patrie »[1]

poincare_raymond.jpgSoit lʼUnion Sacrée – expression utilisée par le président Poincaré (photo) dans son message au Parlement où il proclame que la nation « sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant lʼennemi lʼUnion Sacrée »[2]. Les Français, à lʼété 1914, ces « représentants éminents et peut-être seuls de la race chevaleresque »[3] selon les mots de Charles Péguy, ne forment plus quʼun seul corps, dont les parties sont unanimement prêtes, la « fleur-au-fusil », à bouter le « Hun », ou le « Teuton », hors de la mère-patrie.           

Le président de la Chambre des députés, Paul Deschanel loue, le 4 août, lʼunisson trouvé au sein de la nation républicaine : « Y a-t-il encore des adversaires ? Non, il nʼy a plus que des Français. »[4] Les réfractaires sont à cet égard peu nombreux : seulement 1,5 % des conscrits. L’état-major s’attendait à dix fois plus. 

220px-Pujo,_Maurice.jpgL’unité est là. Du député S.F.I.O. du Nord, Jules Guesde, du socialiste Gustave Hervé, qui dirige un journal, La Guerre sociale, à la ligne résolument antinationaliste et pacifiste dont la une du 1er août 1914 est : « Ils ont assassiné Jaurès ! Ils n’assassineront pas la France », jusqu’à Maurice Barrès, qui début 1914 avait succédé à Paul Déroulède en tant que président de la Ligue des Patriotes, et Maurice Pujo de lʼAction Française (photo), toutes les couches de la population, toutes les sensibilités politiques, répondent à lʼappel de la « République française » qui appelle ses fils à la destruction de lʼennemi, à la violence, à les buter tous... quand sa Loi proscrit tout usage de la coercition, puisqu’elle revendique la jouissance du monopole exclusif de ladite coercition, comme lʼavait posé le sociologue allemand Max Weber quand il sʼétait, au moment dʼailleurs de la Première guerre mondiale, ingénié à définir l’État, quand son compatriote Friedrich Nietzsche dépeignait ce concept majeur du politique dans Ainsi parlait Zarathoustra en monstre froid qui ment froidement, avec pour mensonge qui rampe de sa bouche : « moi l’Etat, je suis le peuple »

Le 7 août à la Sorbonne Maurice Pujo participe à la fondation d’un Comité de secours national présidé par le doyen de la faculté des sciences, avec notamment Ernest Lavisse, le représentant de l’archevêque de Paris Mgr Odelin, le leader de la C.G.T. Léon Jouhaux et le secrétaire général de la S.F.I.O. Louis Dubreuilh. « De parti à parti on ne sait quelles politesses se faire : on présente les adversaires de la veille les uns aux autres et on se serre la main »[5], note Jacques Bainville. 

Le 26 août un gouvernement dʼUnion Sacrée est formé, qui penche plutôt à gauche. La droite est sous-représentée car, sous la pression des radicaux, la proposition du président Raymond Poincaré de faire entrer MM. Albert de Mun et Denys Cochin est rejetée. En dépit de cela, lʼAction Française reste loyale au régime honni, à la République, à la « gueuse ». Maurras juge que, puisque lʼennemi est aux portes, « une seule chose importe, la victoire. »[6]                  

Ralliement et donc trahison ? Pour Maurras la vraie trahison serait la désertion. Voici comment, confronté à ce dilemme cornélien, il justifie son choix : « Nous ne vaincrons pas par les dissensions intestines, en nous faisant les complices du désordre, de lʼincohérence, de la scandaleuse instabilité gouvernementale qui était lʼessence du régime ; cela peut et doit être surmonté vu la présence de lʼennemi. »[7] 

CCQn2bRWAAE78_w.jpgCette décision aurait pu décevoir lecteurs et militants de lʼAction Française – rappelons que la IIIème République est née de la défaite militaire de Sedan –, qui désormais soutenait les mesures liberticides du pouvoir républicain, par exemple en sʼen prenant à la Ligue des Droits de lʼHomme qui battait campagne contre la censure de la presse. Mais peu considérèrent que lʼAction Française était devenue un opposant « trop modéré ».[8]

14-18-au-dela-de-la-guerre.jpgLʼélan patriotique était tel, comme l’a montré lʼhistorien Jean-Jacques Becker dans ses travaux, que chacun ou presque à lʼintérieur du mouvement royaliste accepta ce changement de cap, nouvelles circonstances obligent, et sʼengagea pour la France, avec comme armes la plume pour lʼintelligentsia, minoritaire, et le fusil pour la base, majoritaire.           

Parmi les premiers, Léon Daudet, qui est très actif dans le soutien à lʼeffort de guerre, pointe du doigt les entreprises allemandes implantées sur le sol français quʼil accuse dʼêtre une cinquième colonne. En particulier, les laboratoires et les magasins Maggi, qui commercialise les célèbres bouillons Kub, sont violemment attaqués. Daudet sʼacharne aussi à débusquer les traîtres supposés, comme lʼami du radical Joseph Caillaux, le banquier juif Émile Uhlman. 

Des organisations annexes, de surcroît, sont créées par lʼAction Française. Dʼabord, en juin 1917, la Ligue de Guerre dʼAppui, puis, quelques mois plus tard, la Ligue de Défense Anti-Allemande, qui publie un organe appelé On les aura, dont la durée de vie fut brève. Raymond Poincaré peut se féliciter de cette fidélité à toute épreuve. En 1917, il dit à propos des militants royalistes quʼils « ont oublié leur haine de la République et des républicains, et ils ne pensent plus quʼà la France. »[9]   (A suivre)  ■ 

[1]  Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français, Paris, Perrin, 2002, p. 48.
[2]  Cité par ibid., p. 49.
[3]  Cité par ibid., p. 48.
[4]  Cité par ibid., p. 49.
[5]  Cité par ibid., p. 56.
[6]  Cité par Eugen Weber, LʼAction Française, Paris, Stock, 1964, p. 113.
[7]  Idem.
[8]  Idem.
[9]  Idem. 
Articles précédents ...
L'Action Française dans la Grande Guerre [1] La guerre sans l'aimer
L'Action Française dans la Grande Guerre [2] Un prescripteur d’opinion de plus en plus important 
 

lafautearousseau

Commentaires

  • Il était impossible de se tenir à l'écart de l'élan national, la France étant impliquée irrémédiablement dans une guerre qui se déroulerait rapidement sur le territoire national. Cependant, on peut reprocher à Maurras d'avoir renoncé à conserver une vision autonome de la guerre, en se fermant à toute information non validée par le régime qu'il était censé combattre. En acceptant, par exemple, l'article "secret" de la triple entente qui interdisait toute paix séparée, Maurras négligeait un principe élémentaire de la diplomatie royale selon lequel la France ne doit jamais être liée à une alliance militaire sans porte de sortie. Comme l'écrivait Clausewitz, "la guerre, c'est la politique par d'autres moyens". On peut soupçonner Maurras d'avoir, dans sa décision de devenir un "gendarme supplémentaire", d'avoir fait passer sa haine de l'Allemagne avant ses principes contre-révolutionnaires. Un indice à cet égard est son obstination à vouloir faire juger-et fusiller- Guillaume II par un tribunal international en 1919. Mis à part le fait que l'empereur d'Allemagne ne fut pas réellement un belliciste, on peut à a rigueur accepter de le tuer quoique innocent, mais le juger, c'est la négation absolue de tous nos principes. Robespierre se montrait plus royaliste que Maurras, lui qui disait: "on peut décapiter le roi, mais il est impossible de le juger."

  • Antiquus, pose des questions qui méritent réflexion. J’en poserai d’autres qui me tarabustent… Défendre le territoire oui, Une question quand même, les royalistes par leur loyauté ont sauvé, consolidé le régime républicain né de la défaite de Sedan en 1870 dont l'esprit de revanche , la sainte alliance des bonapartistes et des républicains est totalement responsable, pas les royalistes A quel prix 44 ans après ont-ils payés ce ralliement , N'ont-ils pas été à terme les "harkis " de cette république, qui les a comme les catholiques traité indignement au début de la guerre en n'accordant qu’un strapontin à Deny Cochin, alors qu’ils représentaient la large majorité du pays « réel », -( il ne fallait pas, guerre ou non, l’accepter, désolé de contredire Maurras sur ce point, Deny Cochin, qui a d’ailleurs dû démissionner en 1917 devant le sectarisme épais d'un Ribot. Ce sont ces vieillards chenus, tous plus ou moins franc maçons , en tous cas républicains purs jus, incapables de préparer la défense du pays, de sortir du guêpier de Sarajevo,- Poincaré a joué un rôle peu clair en allant en Russie- , incapable de voir autre chose que la victoire totale qui s'est soldé par la grande défaite de 40, l’Europe livré à l’arbitrage américain, partie au conflit et se voulant arbitre, d'examiner sérieusement les tentatives délicates mais parfois sincères de paix de l'ennemi qui envoyaient au feu les jeunes gars de nos provinces, cette jeunesse en fleur ( en étaient –ils jaloux ?) rayonnant des promesses de la vie, les ôtant à leur femmes ou amies, éradiquant la Bretagne et l'Ouest avec plus de succès que pendant les guerres sanglantes de Vendée et autres. Un seul a sauvé l'honneur pendant la guerre Briand, (après on peut en rediscuter) et peut être un peu secrètement Painlevé, mais les autres. !...A la décharge de Maurras, il a toujours soutenu valeureusement le pape Benoit XV et ses efforts pour nous faire prendre de la hauteur, car il en savait en prendre, lui aussi, mais n'est -il pas un peu tombé dans le piège du ralliement, se voulant vigile de notre pays ? ( J’ignorai que ce grand esprit voulait faire fusiller Guillaume II, ce qui n’aurait en rien arrangé nos affaires, et puis à ce compte il aurait fallu demander rétrospectivement le même sort à l’homme du retour de l’ile d’Elbe !)
    Je sais que Viguerie fait frémir, mais il faut avoir le courage de répondre aussi à ses questions, s’interroger sur la véritable nature du patriotisme, qui s'est installé en France, patriotisme de piété filiale ou patriotisme idolâtre du sang de tous et de notre propre mort? Ne parlons pas des clercs pendant la grande guerre qui ont assimilé le sacrifice et la mort, certes héroïque de nos soldats, au martyre chrétien, ces clercs n’étant pas en rupture avec leur mission et bien sûr incapable de comprendre les appels désespérés du pontife voulant sauver l’Europe de son auto destruction ?.
    Jamais nous n’aurons assez de piété et de recueillement pour ces combattants et pensons aussi à la secrète fraternité qui a pu les réunir.

  • Cher Henri, vos questions sont les miennes. Vous parlez de la tentative de conciliation de Benoît XV et vous avez raison, mais les papes sont toujours soupçonnés, à tort ou à raison, de faire de l'angélisme. Il faut donc aussi parler de la tentative de paix de Sixte de Bourbon-Parme, qui fut torpillée par Ribot et Clemenceau avec, hélas, l'approbation de Maurras qui croyait sans la mettre en doute la version présentée par le "tigre" malheureusement plus féroce pour la France traditionnelle que pour les ennemis. Cette version consistait à dire que ces tentatives de paix étaient téléguidées par l'Allemagne. Pourtant, lorsque Clemenceau alla, chose criminelle, jusqu'à publier dans la presse une lettre de l'empereur Charles de Habsbourg demandant la paix, Maurras, non seulement ne s'indigna pas contre cette trahison, mais fit un article déplorable dans l'AF dans lequel il parlait de faire éclater en mille morceaux l'Autriche Hongrie. Evidemment, en 1920, Bainville parla un tout autre langage dans "les conséquences politiques de la paix", mais c'étaient des figues après Pâques. Il faut être lucide, même avec ses amis, même avec ses maîtres.

  • Cher Antiquus,
    merci de vos réflexions et de vos rappels, que ma foi j’ignorais pour certains. .Le débat continue et il est toujours actuel.

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