Mi-fiction mi-réalité, le récit d’espionnage garanti rbati publié par un Français de Salé, fait soudain basculer la tranquille capitale du royaume dans un univers inquiétant… Où l'on verra que cette recension de Péroncel-Hugoz, vue du Maroc, concerne la France et même la Famille de France et les royalistes français. LFAR
D’abord expert en café puis en finances russes, ensuite historien du Maroc protectoral, Guillaume Jobin, installé en Chérifie depuis moins de dix ans, peut-il, comme une divinité hindoue, revêtir successivement plusieurs avatars ? On a tendance à le penser en sortant de sa «Route des Zaërs», récit publié en ce début d’été 2015 et qui nous empoigne et nous plonge d’autorité dans un monde où tout bouge à 200 à l’heure, sur le rythme endiablé et diabolique d’un James Bond allié pour une fois à un Gérard de Villiers tempéré par Tintin, avec un brin de littérature Art déco, le tout bien mixé, bien pimenté jusqu’à nous rappeler certains bouquins « services secrets-polar-jolies femmes » d’un autre Français du Maroc, feu le pied-noir érudit Jean-Pierre Koffel, le « romancier de Kénitra ». Ce n’est pas tout, « Route des Zaërs » rappelle certains films faciles mais excellents du XXe siècle, type « Salonique nid d’espions » ou « Danger à Tanger ». Oui, ça fait beaucoup de références mais lisez et vous comprendrez : ce monsieur ultra-moderne a lu et voyagé et il nous en fait profiter. En plus il connaît la bonne orthographe française, traits d’union compris, même s’il abuse parfois des anglo-américanismes…
Donc, un faux journaliste européen, beau mec hédoniste et dynamique, devient espion franco-russe dans le Maroc de 2014-2015, sur fond de (réelle) tension entre Paris et Rabat (sans parler des tripotages états-uniens), manigancée par l’omnipotent lobby algéro-socialiste que le régime hollandiste, tout en multipliant les risettes à l’endroit du Makhzen, laisse agir à sa guise sur les bords de Seine... Où cela nous ménera-t’il ? Allah seul le sait sans doute mais, ici ou ailleurs, au final ça risque de laisser de douloureuses cicatrices. Sur ce thème sérieux, voire tragique, l’auteur fait rouler ses billes colorées dont certaines pourraient être des balles maquillées…
La célèbre route des Zaërs est un lieu si on peut dire prédestiné car il fut, dans les troubles années 40, le fief du prétendant royaliste français, Henri, comte de Paris (1908-1999), alors politiquement interdit de séjour en France mais ayant ses entrées dans les maisons alaouites en tant que « cousin », en vertu de la tradition, rappelée volontiers par Si Mohamed Cherkaoui, l’un des beaux-frères (et le plus savant) d’Hassan II, selon laquelle la reine Blanche de Castille, avait apporté du sang arabe chérifien dans la dynastie française… Sur cette fameuse voie rbatie, Jobin fait donc défiler de nos jours hauts flics et diplomates toutes pointures, chauffards et journaleux, personnages inventés, recomposés ou bien réels comme la gastronome de haut vol Fatima Hal ou la styliste intercontinentale Fadila El Gadi – une partie de ces « beautiful people » se retrouvant du Grand-Comptoir, au Balima et surtout dans de discrètes et moelleuses demeures du Souissi.
Cependant, et c’est sans doute l’un des attraits de cette intrigue, l’action se déplace sans cesse, au Maroc ou à l’étranger, progressant par sauts ou séquences rapides et courtes, tantôt à Moscou ou Malaga, à Feucherolles (Ile-de-France), en Seine-Saint-Denis ou à New-York, Londres etc. Et bien sûr à Paris où on assiste même à un aparté détonnant entre les deux ministres de la Justice les plus contrastés du monde : Christiane Taubira et Mustapha Ramid…
Tous ces lieux et ces gens volent et virevoltent tant que le lecteur moyen finit par s’égarer un peu dans ce labyrinthe géopolitique, le tournis le prend voire la panique car il finit par confondre fiction et réalité et s’imaginer que le sort des relations franco-marocaines est vraiment entre les mains de ces messieurs et dames « zaëristes » peu rassurants, souvent entre une vodka « Samir Nof » ou un whisky « Réda Label »… A la fin, qui est un peu une queue de poisson pour le lecteur trop cartésien (tant pis pour lui !), celui-ci parvient quand même à se tirer sain et sauf de ces méandres diplomatico-politico-policiers ; et il est satisfait car, outre les distractions poivrées rencontrées le long de cette « Route des Zaërs », il a échappé un moment aux rengaines « droitsdelhommistes », « democratoïdes » et « laïcardes » et même il a vu l’auteur oser égratigner cathos de gauche, snobs et bobos mondialisés voire tel ex-sportif marocain intrigant en quête de prébendes…
Pour Ramadan, que vous soyez jeûneurs ou pas, vous pouvez vous reposer le cerveau en empruntant cette « Route des Zaërs » (ou bien des romans de Mohamed Nédali, Jean-Pierre Koffel ou Réda Dalil). Et en tout cas rendez-vous sur « le360 », Inchallah, le 30 juillet, après l’Aïd-Srir ! •
Guillaume Jobin au bord du Nil, à Zamalek
* G. Jobin, « Route des Zaërs », Ed. de Talents, Casablanca-Paris, 190 p. 100 dh.
Péroncel-Hugoz - Le 360