UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Vive le Roi : interview avec l'Action française, par Ciaran Brennan.

    Un aliment de base de la droite française depuis sa genèse en 1899 Action française est (AF) un groupe nationaliste largement dirigé par des étudiants, connu pour son activisme de jeunesse bruyant et ses amarres philosophiques. Souvent décrit comme un taon par le Rassemblement National (RN) de Le Pen, il a gagné une place respectée au sein de la société française inhabituelle pour les groupes de droite ailleurs. À l'occasion de l'anniversaire du martyre du roi Louis XVI, nous nous sommes entretenus avec Francis Venciton, sous-secrétaire général du groupe, pour discuter de l'activisme, des leçons apprises, ainsi que des perspectives du nationalisme français à l'aube d'une nouvelle décennie.

    19.jpgPour certains lisant cette interview, AF peut sembler être un nom un peu archaïque des livres d'histoire, et qui a connu son apogée à l'époque de Maurras et du régime de Vichy, comment répondriez-vous à ces critiques?

    En politique, les aspects du fauteuil ne doivent pas être vilipendés. Jusqu'à l'année dernière, beaucoup de gens expliquaient que les frontières étaient un archaïsme inutile, avec la pandémie, ils se rendaient compte que les frontières étaient comme des peaux. Une protection très importante contre les dangers étrangers. Et si vous suivez ce genre de logique, nous ne sommes autorisés à parler du Congo à son apogée qu'au XVe siècle, ce qui est un peu court. 

    Non, il y a plein de bonnes raisons de parler de AF et pas seulement de parler du passé. Fondamentalement, l'Action française est toujours en place et fonctionne, nous sommes toujours le mouvement royaliste le plus important en France, et une école intellectuelle respectée pour le domaine conservateur. 

    Un trotskyste radical de gauche, Edwyn Plenel, directeur de Mediapart, a déclaré que l'AF est le «talentueux laboratoire de la réaction». L'actuel ministre de la Sécurité {Gérald Darmanin} est un ancien journaliste d'un magazine AF. 

    Donc, parler d'AF n'est pas une sorte de sottise, et je saute l'héritage intellectuel du mouvement, de nombreux présidents étant conscients des pensées de Maurras ou étant eux-mêmes d'anciens Maurrassiens. Même chose pour beaucoup à l'Académie française ou pour les écrivains, philosophes et historiens.

    Au centre de AF se trouvent la figure et la philosophie de Charles Maurras, un penseur malheureusement presque inconnu dans le monde anglophone en raison du manque de traduction, brièvement quels sont les principes fondamentaux du maurrassisme et en quoi cela différerait de l'exemple des écoles plus familières. de la pensée catholique comme le distributisme?

    Contrairement à ce que disent des journalistes anglais ignorants, Maurras n'est pas le fondateur d'AF. Mais c'est lui qui a créé une doctrine nationaliste cohérente et qui a converti le fondateur original d'AF au royalisme. 

    Les deux fondateurs du mouvement, Henri Vaugeois et Maurice Pujo, étaient tous deux à l'origine républicains patriotes. Maurras leur a donné la clé de l'alternative politique: le nationalisme intégral (intégralisme national)

    Comme attendu d'un mouvement appelé Action française, Maurras n'a montré aucun intérêt à traduire son propre travail en anglais. Un fait amusant est que durant sa vie, sa poésie a été plus souvent traduite que ses œuvres politiques ou journalistiques (qui représentaient la plupart de ses écrits). Et c'était bien dommage, car TS Eliot dans une revue pour Criterion était proche d'être un Maurrassien comme Hilaire de Belloc, TE Hulme et Chesterton étaient également tous deux lecteurs de la publication Action française.

    Lorsque Chesterton a lancé sa Ligue des distributeurs, il a tenté d'imiter l'Action française. En Irlande, Denys Gwyn a participé aux travaux de Maurras. Nous avons donc de brillantes racines Maurrassiennes dans le monde anglophone et sommes plutôt proches des catholiques anglais, des Canadiens et des Irlandais plutôt que des types John Bull.

    Cependant, nous travaillons actuellement sur une version anglaise du texte le plus célèbre de Maurras intitulé Mes idées politiques. Nous pensons modestement que la question du nationalisme dans le monde intellectuel anglais, par exemple avec la polémique autour du livre de Hazony «Les vertus du nationalisme», pourrait être élargie par les travaux de Maurras. On peut concevoir le nationalisme sans suivre l'alt-right ou le vieux livre de jeu libéral conservateur.

    Répondre au cœur de la pensée de Maurras est une question très difficile, car vous avez de nombreuses façons d'entrer dans Maurras. Mais je pense que la meilleure façon de comprendre la recherche Maurras est de commencer par la décentralisation. Maurras aimait le système politique d'une nation pleine de liberté débridée, qui en France est du royalisme mais pourrait être une république pour la Suisse ou l'Irlande. 

    Il est important de trouver un système politique adapté à l'histoire du pays et à ses institutions sociales. Nous pouvons voir le résultat de la poussée du système démocratique libéral au Moyen-Orient. Nous perdons des milliers de millions d'euros et de nombreuses vies pour de faux régimes, qui ne servent pas le bien-être commun et n'accordent qu'un crédit et une illusion aux libéraux. Les nations de l'Occident ont répandu la guerre pour l'intérêt économique et pour l'éblouissement politique. Nous devrions plus souvent être sidérés par cela. 

    Mais ce genre de nation pleine de liberté débridée pourrait travailler en France avec «l'autorité au sommet et la liberté du bas». La nation française a besoin de «Anarchie + 1» au lieu de «Anarchie au Royaume-Uni». Le royalisme français en France est un régime politique de liberté et d'unité. 

    Il est évident pour de nombreux analystes que Maurras partage beaucoup avec le distributisme. Dans les années vingt, Maurras rencontre Hilaire Belloc par l'intermédiaire de leur ami commun Yvon Eccles. Et au fond, ils ont beaucoup en commun: ils ont reconnu la majesté de l'Église catholique, ils se sont opposés à l'opposition entre l'État et les individus et pour suivre la voie d'une troisième voie, ils sont très intéressés par le corporatisme, ils sont des critiques de la sainte démocratie et ils sont anti-modernistes. 

    Mais, ils ont quelques points de divergence: Belloc, un catholique était un vrai croyant et Maurras est resté toute sa vie sous le porche de la foi en attendant d'entendre l'Être. (Maurras était sourd et ses derniers mots étaient "Je crois avoir entendu quelqu'un venir"

    Belloc a plus de sympathie pour la Révolution française que Maurras en raison du contexte différent. Et pour être honnête, Belloc a un doute sur la monarchie. Mais ce sont de petites différences. Ils s'accordent tous les deux sur l'importance de critiquer la modernité, pour montrer comment l'homme du XXe siècle est une sorte de barbare. 

    Comme beaucoup d'étudiants français, la droite AF s'est fait un nom par son agitprop ainsi que par son activisme comme l'occupation des immeubles du Groupe Latécoère suite à leur rachat américain. Quels types d'activisme les sections de votre organisation mèneraient-elles?

    Je ne suis pas d'accord avec vous. La plupart de la droite étudiante française est beaucoup plus impliquée dans les élections, les syndicats, la politique française, etc. que l'agitprop. Pour la plupart des étudiants de droite français, l'agitprop est pour les gauchistes.

    Agitprop est un élément essentiel de la AF. A partir de sa genèse, les étudiants de l'AF ont mené des agitpropres concernant l' affaire Thalamas . En 1904, Amédée Thalamas était un professeur d'histoire qui déclara sainte Jeanne d'Arc une fraude avec une brutalité inutile. 

    Après le scandale, il a été protégé et nommé professeur d'université. L'Action française a perturbé toutes ses classes pendant trois mois. Amédée Thalamas a fini par se faire gifler par Maurice Pujo puis même fesser. L'auteur Georges Bernanos et d'autres futurs sommités ont également participé à cette agitation.

    Fondamentalement, nous considérons qu'il n'y a pas d'action sans instruction et pas d'instruction sans action. Maurras a dit que nous devrions être à la fois intellectuels et actifs. Nous voulons former un homme d'action élevé d'esprit. Henri Lagrande, l'un des premiers jeunes militants de l'AF, a déclaré que nous avons «un bâton dans une main et un livre de Maurras dans la poche». 

    Maintenant, nous avons encore l'habitude de faire de l'agitprop comme l'action contre la prise de contrôle américaine de Latécoère ou le 20 novembre, lors du lock-out, nous brandissons une banderole contre les terroristes islamiques et le laxisme républicain. 

    En 2019, nous avons détourné une marche pro-UE avec une bannière Frexit et des pièces pyrotechniques. La section toulousaine d'AF a été mise en vedette dans les médias pour avoir accroché une marionnette Marianne (une icône de la République française) au-dessus d'un pont. 

    Sur le plan politique, nous sommes une partie importante des Gilets jaunes, un mouvement populaire pour la justice économique et une vraie démocratie (démocratie locale et directe) pour une partie de la population qui a été trop longtemps laissée de côté et qui a l'impression de ne pas l'être. entendu par leur gouvernement en exemple, en 2005 le référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe a eu lieu, malgré le vote d'une majorité de Français contre, la constitution a été adoptée.

    Sur le plan sociétal, nous étions en 2013 en première ligne lors des manifestations de La Manif Pour Tous contre les lois sociétales qui changeraient profondément l'anthropologie classique (mariage homosexuel, adoption d'enfants pour les couples homosexuels, MAP, maternité de substitution, etc.). 

    Nous sommes évidemment très actifs dans les universités et souhaitons lutter contre l'idéologie progressiste qui subvertit les universités depuis près de cinquante ans.

    Ces actions sont complétées à l'aide de flyers, d'articles, de communiqués de presse et de conférences. L'activisme est pour nous une extension de la réflexion.

    1.png

    Au-delà des cascades, quelles sont les activités organisées par AF à la fois sur les campus et socialement entre les membres?

    Action française est désignée comme un complot à ciel ouvert contre le gouvernement. L'action clé est d'expliquer au peuple français pourquoi la République est si mauvaise et la politique derrière elle si stupide. 

    Vous avez donc deux niveaux : grande explication théorique ou parler directement avec les gens ou colportage de notre propagande (nous avons un magazine nommé «Le Bien Commun») car Action française est interdite comme titre de presse et un journal «L «insurgé» (The Rebel) pour les étudiants avec un ton plus effronté). 

    Autour de ce noyau, nous avons l'agitprop comme expliqué précédemment et 4 événements majeurs en un an : le 21 janvier pour commémorer la mort de Louis XVI. Le deuxième dimanche de mai, nous avons un rassemblement pour la Sainte Jeanne d'Arc. Fondamentalement, Jeanne d'Arc est devenue sainte grâce au travail d'Action française. Les militants de l'AF ont passé plus de 1000 jours en prison pour forcer la République à la reconnaître comme une figure française majeure. 

    Elle est toujours le symbole que la France est un pays en particulier et que nous devrions refuser d'être vendus à l'étranger. Et aussi que les fichus Anglais devraient rester sur leur île sanglante et oublier leurs rêves d'impérialisme. La veille, nous avons des conférences et un grand banquet avec toutes les générations d'AF. 

    Comme le disait Jeanne d'Arc à propos des Anglais: «De l'amour ou de la haine de Dieu pour les Anglais, je ne sais rien, mais je sais qu'ils seront tous expulsés de France, sauf ceux qui y meurent». J'espère qu'il pourra faire de même pour les Anglais en Irlande.

    Le troisième événement important est le camp d'été. Pendant une semaine, les gens assistent à des conférences, des séminaires (comment être graphiste, journaliste ou un bon leader…) et ont un grand dîner avec beaucoup de vin et des chansons folkloriques traditionnelles. 

    Le concept est de créer un esprit d'équipe, d'organiser l'année prochaine et d'enseigner les bases du maurrassisme aux nouveaux. Le dernier grand événement est la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale.C'est un moment très important car lorsque la France a capitulé face à l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Action française a organisé de grands événements pour célébrer la défaite du régime prussien même si les nazis ont désapprouvé . 

    Mais entre ces moments, on peut réagir au jour le jour par exemple, s'opposer à la destruction d'une ancienne église à Lille ou Bordeaux ou célébrer d'autres événements comme le 6 janvier 1934   ou simplement prendre une bière pour un match de rugby. Surtout quand la France écrase les trèfles irlandais. 

    En ce qui concerne la structure d'AF, pourriez-vous entrer dans les détails sur l'organisation, ses différents moyens de propagande et son fonctionnement, en particulier les cercles étudiants pour lesquels elle est célèbre? 

    Une section est essentiellement construite autour de deux piliers: l'action et l'éducation. Notre action hebdomadaire régulière comprend le colportage de rue, la distribution de dépliants, l'organisation d'événements et l'agitprop. Notre formation se construit avec la lecture d'écrivains maurrassiens (Maurras, Bainville, Léon Daudet, Marcel Proust, Georges Ber

  • La Fabrique du crétin. 2e livraison, par Jean-Paul Brighelli.

    Apprentissage de la lecture à Clamart, 2006. SIPA. 00537617_000005

    Jean-Paul Brighelli partage avec nous l'introduction de son prochain livre. 2e livraison

    Chers lecteurs, je profite de ces vacances pour écrire mon dernier livre sur l’état de l’Ecole, à paraître en janvier prochain. L’idée m’est venue de vous en soumettre les chapitres essentiels, afin de tenir compte de vos réactions. Aujourd’hui, La question de la langue, 1ère partie. Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter, même avec férocité, cette analyse dernière, après 45 années passées dans un système éducatif désormais exsangue.

    5.jpgQuand on entre dans le corps principal de bâtiment rue de Grenelle, un escalier s’offre à vous, sur votre gauche. Montez quelques marches, et sur le mur sont accrochés les portraits de tous les ministres de l’Education depuis les débuts de la IIIème République. On y conserva longtemps le portrait de l’infâme Abel Bonnard, avant que François Bayrou ne le fasse décrocher et renvoyer aux poubelles de l’Histoire.

    Le bras armé du ministère

    De tous ces visages qui vous regardent monter, il est bien difficile d’en identifier plus d’une quinzaine — même pour un spécialiste de l’Education. C’est un ministère où l’on est rarement nommé pour ses compétences spécifiques. Qui se souvient par exemple de Lucien Paye (1961-1962), de Pierre Sudreau (d’avril à octobre 1962), ou même de Christian Fouchet (1962-1967) ? Qui se rappelle qu’Alain Peyrefitte, passé de l’Information à l’Education, était rue de Grenelle en 1968 — et que François-Xavier Ortoli lui succéda durant deux mois, le temps d’expédier les affaires courantes avant l’arrivée d’Edgar Faure, qui ne resta qu’un an mais marqua réellement de son empreinte la vie éducative ?

    Et d’ailleurs, quelle importance ? Le bras armé du ministère, là où se fait vraiment le travail, c’est la DGESCO — Direction Générale de l’Enseignement Scolaire. Une Direction que l’on ne connaît guère, mais qui assure l’essentiel du travail, quand le ministre — et cela est souvent arrivé — se cantonne dans des activités de représentation. Par exemple sous le règne de Najat Vallaud-Belkacem, c’est Florence Robine, ex-professeur de Physique, qui fut le bras armé du ministère. ON la récompensa en la nommant rectrice de l’Académie de Nancy-Metz, puis ambassadeur de France en Bulgarie — elle avait enfin atteint son niveau d’incompétence, comme dit Peter Lawrence…

    Quelle langue française ?

    De 1962 à 1965, c’est un certain René Haby, ex-instituteur et agrégé d’Histoire, qui la dirigeait, et qui assura la continuité des services sous trois ministres aussi peu compétents les uns que les autres. Le même qui sera Ministre de l’Education sous Giscard, de 1974 à 1978. Le collège unique, la promesse de la « réussite pour tous », c’est lui. Mais pas seulement.

    Pendant que De Gaulle défendait le France et le franc, soutenait le Concorde et faisait des misères au grand frère américain, René Haby lança deux commissions qui visaient l’une et l’autre à étudier une importante question : quelle langue française voulait-on transmettre aux enfants dans les écoles de la République ?

    Comment, me direz-vous ? Il n’y en a pas qu’une ?

    Tout dépend du point de vue. On avait gardé longtemps les mêmes programmes de Français — en 1945 on reprit les programmes de 1923, très normatifs, qui consacraient à l’apprentissage de la grammaire, étudiée en soi, de larges créneaux horaires. Vers la fin des années 1950, l’arrivée en Primaire de la première fournée du baby-boom et la prolongation de la scolarité obligatoire, décrétée par le ministre Berthoin (qui ça ?) en 1959, amenèrent le ministère à reconsidérer (prudemment) la question. On chargea donc un Inspecteur général, Marcel Rouchette, de diriger une Commission pour réfléchir à la question : quelle langue voulait-on / devait-on enseigner aux élèves ? On a appelé cette période la Rénovation. A posteriori, le mot a quelque chose de profondément ironique. Il s’agissait, pratiquement, d’une subversion de la langue et de son apprentissage.

    La commission Rouchette travaille donc la question de 1963 à 1966. Une ère d’expérimentation s’ouvre en 1967 — jusqu’en 1972. Les Instructions officielles sont publiées à la fin de cette dernière année. Pompidou, qui lorsqu’il était Premier ministre avait sérieusement freiné les ambitions réformatrices, n’est déjà plus en état de s’y opposer.

    Dès le début, deux conceptions s’affrontent. Pour Michel Lebettre, directeur des enseignements élémentaires et complémentaires, la fonction de l’école primaire est de fournir des bases solides pour la poursuite de la scolarité en renforçant les deux disciplines fondamentales, le français et les mathématiques. L’enseignement de la grammaire est central et presque autonome car il permet d’aborder l’apprentissage du latin qui commence au collège. C’est une approche logique de la langue qui vise l’efficacité et repose sur la mémorisation, prélude à toute activité d’expression orale et écrite. Ainsi, on acquiert les connaissances en français en répétant et en appliquant les règles, comme le rappelle Michel Lebettre dans sa circulaire : « Il est donc recommandé instamment aux maîtres des classes élémentaires de consacrer tous leurs efforts à fixer de manière durable, dans ces diverses matières [les disciplines fondamentales, français et calcul], les connaissances prévues par les programmes. Ils n’y parviendront qu’au prix de répétitions fréquentes et d’exercices nombreux. La réhabilitation du rôle de la mémoire, qu’amorçaient déjà les instructions du 20 septembre 1938, devra donc être reprise car il n’est pas douteux que, pour de jeunes enfants, le « par cœur » ne soit la forme la plus authentique et la plus durable du savoir. »

    Traduisons. Rien ne remplacera jamais le « par cœur » ; la grammaire et l’orthographe doivent être étudiées en soi et pour soi — l’apprentissage de la langue est donc normatif ; et la formation reçue en Primaire doit préparer à l’excellence au lycée — rappelons que les sections « classiques », avec latin, sont alors préférées aux sections « modernes ». Lebettre s’inscrit donc dans la lignée exacte des Instructions de 1923 à 1938, les dernières à avoir été visé par Jean Zay, ministre (de gauche) de l’Education depuis juin 1936 — et assassiné en juin 1944 par des miliciens venus le quérir dans sa prison de Riom où l’avait enfermé la justice de Pétain — aménageant une peine initiale de condamnation au bagne, comme Dreyfus.

    Je précise cela à l’intention de ceux qui s’imaginent que la Gauche a toujours été du côté des « réformateurs ». Franc-maçon, Jean Zay a fait des études de Droit, il a adhéré jeune aux Jeunesses laïques et républicaines, il est à l’aile gauche du Parti Radical. Il a déjà prolongé l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Et l’une de ses circulaires interdit le port par les élèves de tout signe politique ou religieux. « L’enseignement public, dit-il, est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. » On mesure ce qui s’est perdu, à gauche et plus généralement dans la société française, avec nos débats actuels sur le voile, le burkini et les horaires dissociés pour les femmes musulmanes dans les piscines.

    Construire son savoir tout seul

    À la conception traditionnelle de Lebettre s’oppose la conception « novatrice » des partisans de la pédagogie Freinet, soutenus au ministère par Roger Gal, chef de la recherche pédagogique à l’Institut Pédagogique National, qui sera toujours le fer de lance des réformistes — ou le ver dans le fruit, comme vous voulez.

    L’idée est que grammaire et orthographe sont communs à toutes les disciplines, et n’ont pas à être étudiées en soi. « Refusant la seule mémorisation des règles, la commission réclame un apprentissage reposant sur « l’activité intelligente des élèves », c’est-à-dire proposant des observations des faits de langue », résume très bien Marie-France Bishop dans un article publié dans Le Télémaque en 2008. Ou si l’on préfère, c’est à l’élève de relever les règles et les particularités de la langue, au hasard de ses lectures. De cette opposition naîtra un peu plus tard l’affrontement entre les partisans de la grammaire de phrase, qui s’appuient sur un apprentissage systématique des règles, et ceux de la grammaire de texte, où l’on fait de la grammaire à l’occasion de la lecture, mais jamais en soi. Et où les élèves découvrent par eux-mêmes les règles qui régissent les mots qu’ils lisent. Ils construisent déjà leurs savoirs tout seuls…

    Le rapport remis à René Haby en 1963 concluait pourtant à « consolider l’acquisition des trois connaissances fondamentales : lecture, écriture, calcul. » Mais le directeur des services d’enseignement ne l’entend pas de cette oreille. Il veut réformer « les programmes et les horaires », mais aussi « les méthodes et l’esprit même qui anime cet enseignement. »

    Arrêtons-nous un instant sur ce lien entre « horaires » et méthodes ». Rien de gratuit ni de fortuit, jamais, dans les décisions ministérielles. Ce qui se dessine dans les instructions de René Haby, c’est la possibilité, qui sera exploitée à partir des années 1980, de réduire drastiquement des horaires dédiés au français sous prétexte que c’est la langue utilisée en maths ou en Histoire, et que donc on peut considérer que tout ce qui se dit ou s’écrit en français est… du français : de ce qui était l’étude systématique de la langue on fera donc une discipline transversale. On pourra donc, à partir de cette observation fallacieuse, diminuer les horaires consacrés à la discipline, et, partant, les postes d’enseignants. La commission Rouchette transforme l’apprentissage du Français en apprentissages des situations de communication. D’où l’accent mis sur l’oral — c’est pratique, on n’y voit pas les fautes d’orthographe — et spécifiquement la langue orale des élèves. Se faire comprendre (« Moi Tarzan… Toi Jane… ») l’emporte désormais sur la qualité de l’expression.

    Le bon usage

    On parlait alors de « démocratisation ». Plus tard on utilisera le mot « massification ». Le quantitatif détrône le qualitatif. On ouvre la chasse à l’élitisme, bête noire des pédagogies de masse. Ce n’est pas anecdotique. Notre langue est traversée depuis l’origine par la question du « bon usage » — ce n’est pas par hasard que le dernier des grammairiens normatifs, Maurice Grévisse, intitule ainsi sa Grammaire en 1936 — et régulièrement mise à jour dans les décennies suivantes. L’expression vient de Vaugelas, qui en 1650, dans ses Observations sur la langue française, notait que le bon usage était « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. » Il entendait proscrire le « gascon », comme on appelait uniformément tous les patois, et les bizarreries et créations verbales osées par certains littérateurs. En 1650, le « bon français » est parlé par cent mille personnes, tout au plus, sur 12 millions d’habitants. Aujourd’hui, quel serait le pourcentage de gens s’exprimant avec une vraie correction, sur 67 millions de Français ?

    Il s’agissait donc de décomplexer les nouveaux arrivants en Sixième, en baissant drastiquement le seuil d’exigences. Un exemple entre mille : le mot « réaction » disparaît des programmes, replacé par celui d’« expression écrite », qui est tout autre chose. L’oral, en bon français, est encore de l’écrit. Mais l’expression écrite suggère d’inverser les termes, de façon à faire de l’écrit un mime de l’oral le moins maîtrisé. À terme, c’est la prépondérance du « français banlieue » dont nous voyons aujourd’hui la déferlante. La montée en puissance, dans les années 1960, de la linguistique dans les études universitaires explique les choix faits par la commission — et les options ultérieures. La linguistique saussurienne met en avant la communication, considérée comme la principale fonction du langage. Et la linguistique transformationnelle chomskienne, qui déboule à l’orée des années 1970, explique les délires de « génétique de la langue » qui amèneront des maîtres un peu dépassés à imposer aux élèves des « arbres » germinatifs et génératifs censés expliquer le fonctionnement de la phrase.

    Atout supplémentaire et non négligeable pour les idéologues qui s’imposent alors : les parents, peu au fait du langage et du fonctionnement de ces modèles linguistiques, ne pourront pas aider leurs enfants — ce qui égalise les chances, paraît-il. De même les « maths modernes » sont incompréhensibles pour des « géniteurs d’apprenants » qui avaient appris les maths « à l’ancienne ». Et parmi les méthodes d’apprentissage du Lire / Ecrire, la méthode dite « idéo-visuelle » (improprement appelée « semi-globale », elle consiste à associer une image et un mot) est préférée au B-A-BA qui avait fait ses preuves depuis deux siècles, parce qu’elle permet aux classes défavorisées d’augmenter rapidement leur sac de mots — sac que les privilégiés avaient empli en famille. Le souci permanent, en ces années réformatrices, est l’égalisation des conditions — ce qui ne fera que renforcer leurs différences.

    Un plafond de verre… opaque

    Parce qu’il faut être clair. En se livrant à cette inversion des valeurs, le ministère choisissait, sous prétexte de « démocratisation », la mise à l’écart des Français appartenant aux couches les plus populaires, et préservait ceux qui étaient issus des classes les plus favorisées. Si l’on cesse d’apprendre le « bon » français à ceux qui n’en savent rien, on les condamne de fait à rester dans leur médiocrité, alors même qu’ils pouvaient s’en extraire. Sous prétexte d’uniformiser, on a réalisé ce qui, chez Bourdieu et Passeron, n’était encore qu’une prédiction : la conservation des « héritiers », leur « reproduction », et à terme la prédominance de la « noblesse d’Etat » telle qu’elle se perpétue à travers les grandes écoles — qui avaient pourtant permis, entre les années 1940 et 1970 au petit Bourdieu, fils de paysans ( et reçu à l’ENS-Ulm en 1951) et au petit Brighelli, de souche tout aussi humble (reçu à l’ENS-Saint-Cloud en 1972) d’aller au plus haut de leurs capacités. Les disciples de Bourdieu et Passeron (les Héritiers remonte à 1964, c’était l’actualité des membres de la commission Rouchette) ont œuvré en toute innocence, je préfère le croire, à contrarier les tendances lourdes dénoncées par les deux sociologues — et ce faisant, ils les ont renforcées. En 1972, la proportion d’élèves des Grandes Ecoles issus des classes défavorisées ne dépassait pas 10%. Elle est aujourd’hui, après tous les programmes de discrimination positive et d’aide aux boursiers, de moins de 2%.

    Pourquoi ?

    Parce qu’on a cessé de donner aux déshérités les codes du bon langage et de la culture bourgeoise (et si j’en crois Marx, il n’y en a pas d’autre, parce que la culture est celle de la classe au pouvoir : parler de « culture jeune » ou de « culture banlieue est une sordide plaisanterie). Parce que le plafond de verre qui les empêchait souvent d’accéder aux emplis supérieurs s’est opacifié. Et la décision de supprimer l’épreuve de culture générale dans divers concours a renforcé la sélection sociale : il faut être singulièrement ignorant de la langue pour croire qu’on ne repère pas instantanément, à sa façon de parler, un élève qui ne sort pas de la cuisse de Jupiter. La sélection sociale, qui était réelle, s’est renforcée dès lors qu’elle est devenue diffuse, et non sanctionnée par des épreuves spécifiques. On a lentement épuré le système de tous les exercices qui en constituaient l’ossature — ainsi la dissertation française, remplacée en 1998 par le « résumé-discussion », qui impliquait plus

  • Sur le site officiel de l'Action française : une leçon d’unité nationale, l’éditorial de François Marcilhac.

    Le comte et la com­tesse de Paris ont hono­ré de leur pré­sence les céré­mo­nies du bicen­te­naire de la mort de Napo­léon, le 5 mai, en assis­tant à la messe à Saint-Louis des Inva­lides, en sa mémoire et en celle des sol­dats de la Grande Armée. 

    françois marcilhac.jpgDans sa tri­bune du 28 avril der­nier au Figa­ro, le pré­ten­dant au trône de France avait dit le prin­ci­pal en décla­rant : « Quoi qu’on pense de lui, il est une des grandes figures de notre his­toire. […] Napo­léon, c’est aus­si l’un des noms fran­çais les plus connus dans le monde avec celui de Vic­tor Hugo ou de Jeanne d’Arc, un nom dont la puis­sance nous aide encore à rayon­ner mal­gré notre déclin rela­tif. C’est aus­si un nom admi­ré par les peuples même qui l’ont vain­cu. Le com­mé­mo­rer, c’est s’unir. Lui rendre hon­neur, c’est rendre hon­neur au peuple fran­çais, se rendre hon­neur à soi-même. » Les pro­pos du Prince tran­chaient avec la médio­cri­té du débat qui a entou­ré les com­mé­mo­ra­tions de ce bicentenaire.

    Ce même 28 avril, cette fois sur Cau­seur [1], inter­ro­gé par Fré­dé­ric de Natal, il avait encore décla­ré : « Il faut accep­ter le fait que nous sommes les héri­tiers d’une his­toire com­plexe, héri­tiers de la Gaule romaine, de nos 40 rois de France, mais aus­si de la Révo­lu­tion fran­çaise ou des cinq répu­bliques. L’épopée napo­léo­nienne fait par­tie de notre his­toire et a contri­bué à for­ger notre conscience natio­nale, quelles que soient ses zones d’ombres. » Ajou­tant, à pro­pos de Louis-Phi­lippe, qui avait fait rame­ner par son fils Join­ville les cendres de Napo­léon de Sainte-Hélène, en 1840 : « La volon­té poli­tique du roi Louis-Phi­lippe a tou­jours été moti­vée par l’unité natio­nale et la néces­si­té d’une syn­thèse entre deux modèles, pré-révo­lu­tion­naire et post-révo­lu­tion­naire. Je pense que ce retour des cendres pro­cède du même état d’esprit. […] N’oublions pas que Louis-Phi­lippe a fait entiè­re­ment res­tau­rer Ver­sailles, qu’il en a fait le châ­teau que l’on connaît aujourd’hui et qu’il l’a doté d’une gale­rie des batailles qui est dédiée à toutes les gloires de la France y com­pris celles de Napoléon. »

    Oui, c’est bien dans les traces de son aïeul que se situe le comte de Paris, comme, du reste, éga­le­ment dans celles de Louis XVIII qui, en 1815, se fit trans­por­ter sur le pont d’Iéna que les « Alliés » vou­laient faire sau­ter comme évo­ca­tion d’un mau­vais sou­ve­nir. On sait avec quel cou­rage il sau­va le pont face au géné­ral Blü­cher. Aver­ti par Decazes, qui raconte la scène, Louis XVIII lui répon­dit : « Vous, mon­sieur le pré­fet, faites savoir aux sou­ve­rains que dans peu d’instants je serai sur le pont qu’on veut détruire, et qu’il sau­te­ra, moi des­sus, si cette odieuse vio­la­tion du droit des gens et des trai­tés n’est pas arrê­tée à temps. » Et Decazes de pré­ci­ser : « Le roi ren­tra aux Tui­le­ries aux accla­ma­tions d’un foule immense que son héroïsme avait élec­tri­sée. » C’est que, avant d’être une vic­toire napo­léo­nienne, Iéna était aux yeux de Louis XVIII une vic­toire française.

    On ne sera pas éton­né non plus que le petit-fils de Louis-Phi­lippe, Phi­lippe VIII, fasse la syn­thèse de ce XIXe siècle de troubles en décla­rant, à la Jeu­nesse roya­liste de Paris, le 9 juin 1897, qui lui avait appor­té un dra­peau : « Ce dra­peau mar­qua au siècle der­nier l’union de la Mai­son de France et de la ville de Paris. Il est entre mes mains le sym­bole de l’apaisement social et de la concorde civique ; nous nous incli­nons tous devant lui. […] toutes les vic­toires fran­çaises me sont éga­le­ment chères, dra­pées aux cou­leurs de Rocroi, ou à celles de Val­my, ou à celles d’Iéna. » Rocroi, vic­toire de la monar­chie ; Val­my, vic­toire pré­cé­dant de peu l’instauration de la Ière Répu­blique, vic­toire, aus­si, à laquelle par­ti­ci­pa le jeune Louis-Phi­lippe d’Orléans, futur roi des Fran­çais (comme il par­ti­ci­pe­ra à Jem­mapes) ; Iéna, enfin, vic­toire impé­riale. Phi­lippe VIII ne pou­vait pas mieux mon­trer sa volon­té d’incarner l’histoire de France dans son ensemble, à la suite de Louis XVIII et de Louis-Philippe.

    C’est dans cet héri­tage que s’inscrit Jean IV, décla­rant tou­jours sur Cau­seur : « L’unité du pays ne peut se main­te­nir sans l’attachement à cet héri­tage mil­lé­naire qui nous apprend à regar­der vers l’avenir en le façon­nant pas à pas, dans un esprit de civi­li­sa­tion et avec un sens pro­fond de l’homme. Si le génie de la France est de tendre à l’universel, comme le veut notre pacte natio­nal, alors célé­brons avec nos dif­fé­rences la fier­té et la joie d’être fran­çais, et don­nons à nos enfants le goût de la vie et la foi en l’avenir. Oui, nous devons com­mé­mo­rer Napo­léon. Oui, le chef de l’État, chef des armées, doit aller s’incliner sur la tombe du vain­queur d’Austerlitz. C’est le des­cen­dant d’un com­bat­tant de Jem­mapes qui vous le dit, mais aus­si de Bou­vines et de bien d’autres batailles. La pre­mière bataille que doit livrer notre France aujourd’hui est un com­bat sur elle-même, c’est le désir d’ÊTRE… »

    Quelle belle leçon d’unité natio­nale, tour­née vers l’avenir, nous donne ain­si le Prince. Com­bien elle est loin, aus­si, du dis­cours de Macron à l’Institut, moins ver­beux, certes, que d’ordinaire, mais dont la gran­di­lo­quence, mani­fes­te­ment nom­bri­liste, a, par­fois, frô­lé le ridi­cule : « De l’Empire, nous avons renon­cé au pire, de l’Empereur nous avons embel­li le meilleur. » Il était bien la peine d’évoquer juste aupa­ra­vant Hugo. Mais lais­sons au poète Macron la res­pon­sa­bi­li­té de ses faux alexan­drins et de ses rimes si riches. Tout en mar­chant sur des œufs, vou­lant en même temps satis­faire tout le monde, les décons­truc­teurs, les nive­leurs, les des­truc­teurs de sta­tues, comme un public patriote qu’il ne veut pas frois­ser dans la pers­pec­tive de 2022, il a, semble-t-il, tou­te­fois, per­çu l’essentiel du per­son­nage, dans lequel il se retrouve : « La vie de Napo­léon est d’abord une ode à la volon­té poli­tique. » Il a rai­son : c’est bien le volon­ta­risme qui carac­té­rise l’idéologie impé­riale, de l’oncle comme du neveu, un volon­ta­risme qui s’est affran­chi de la réa­li­té, et de la pre­mière d’entre elles, celle du pré car­ré, pour le plus grand mal­heur de la France et de l’Europe. Comme le disait encore Louis-Phi­lippe, oppo­sant la sagesse capé­tienne, « sachant rai­son gar­der », au volon­ta­risme qui carac­té­rise le bona­par­tisme : « La poli­tique qui a pour fin la conser­va­tion de la paix, ou en d’autres termes, la poli­tique de la paix, abs­trac­tion faite de la ques­tion de droit, est en soi la plus haute et la plus vraie ; car elle pour­suit un but qui est cer­tain, pré­cis. Au contraire, la poli­tique des conquêtes tend vers un but qui s’é­loigne à mesure qu’on l’ap­proche. C’est un mirage trom­peur. Un peuple conqué­rant voit s’a­gran­dir sa tâche sou­vent au-delà de ses res­sources. Ses conquêtes sont un abîme qui l’appelle. »

    C’est une leçon que reprit Hen­ri VI : « L’empire veut la domi­na­tion uni­ver­selle mais, faute de pou­voir tout étreindre, finit par suc­com­ber sous le poids de ses conquêtes. […] L’empire est bel­li­queux par nature, la nation par acci­dent. L’empire ne connaît pas de bornes, la nation peut se savoir ache­vée, et sait se don­ner des limites. » Mali­cieu­se­ment, il notait aus­si : « André Mal­raux, qui n’était pas roya­liste, fai­sait remar­quer au géné­ral de Gaulle qu’aucune défaite mili­taire n’avait détruit la légi­ti­mi­té monar­chique. On sait ce qu’il advint de nos deux empires, et de la IIIe République… »

    C’est une leçon que reprend éga­le­ment l’actuel comte de Paris. Tout d’abord, dans Un Prince fran­çais : « Je ne crois pas que la France soit un empire. C’est l’erreur de Napo­léon. Il a dit, d’ailleurs, qu’il n’avait pas suc­cé­dé à Louis XVI mais à Char­le­magne. Pas aux Capé­tiens mais aux Caro­lin­giens. C’est dire qu’il ne conce­vait pas la France comme une nation patiem­ment édi­fiée, mais comme le centre d’un conglo­mé­rat qu’elle aurait domi­né. Or les empires sont des colosses aux pieds d’argile : ils ne durent pas et, quand ils s’effondrent, les peuples mettent des années à s’en rele­ver. » Aujourd’hui : si le Prince accorde la gloire à Napo­léon, il ajoute : « D’après moi, la France est plus un royaume qu’un empire et le modèle monar­chique capé­tien me semble plus per­ti­nent. » C’est pour­quoi, en effet, à ce volon­ta­risme, il convient, avec « le des­cen­dant d’un com­bat­tant de Jem­mapes […], mais aus­si de Bou­vines et de bien d’autres batailles », d’opposer « le désir d’ÊTRE ».

    On pense alors à ce mot de Bain­ville, que cha­cun connaît : « Sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût pro­ba­ble­ment mieux valu que Napo­léon n’eût pas exis­té. » Aujourd’hui, on pour­rait dire : « Sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il n’y avait pro­ba­ble­ment aucune bonne rai­son de com­mé­mo­rer ce bicen­te­naire. » Mais à condi­tion d’ajouter aus­si­tôt, pour répondre aux détrac­teurs de la France : « Il n’y en avait, en revanche, que de mau­vaises de ne pas le faire. »

    Ce « désir d’ÊTRE », le comte de Paris l’exprimera de la façon la plus haute en se ren­dant, ce same­di 8 mai, avec la com­tesse de Paris, à la céré­mo­nie reli­gieuse célé­brée chaque année à Orléans en l’hon­neur de Jeanne d’Arc, la sainte de la Patrie. C’est la pre­mière fois que le pré­ten­dant au trône de France assiste à cet office reli­gieux, remarque l’As­so­cia­tion uni­ver­selle des amis de Jeanne d’Arc, qui l’a invité.

    FRANÇOIS MARCILHAC

    [1] https://www.causeur.fr/prince-jean-orleans-napoleon-bicentenaire-197628

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (75)

     

    (retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

     

    lfar espace.jpg

     

    Aujourd'hui : Éloge de Charles Maurras, par le duc de Lévis-Mirepoix, son successeur à l'Académie...

    "Il connut sans fléchir les pires vicissitudes et la plus cruelle de toutes. Un nom vient naturellement à mes lèvres. Il eût à subir, comme Socrate, la colère de la cité." Comment mieux dire, plus habilement et plus élégamment, que, comme Socrate, Maurras était - évidemment... - innocent du crime que lui reprochait les tenants de la sinistre et vulgaire "re-Terreur" (le mot est de Léon Daudet, parlant de la Commune) que fut l'Épuration terroriste, qui dénatura et souilla la libération du territoire...

    1A.jpg

    Le 18 mars 1954, Réception du duc Antoine de Lévis Mirepoix

    M. le duc de Lévis Mirepoix, ayant été élu par l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Charles Maurras, y est venu prendre séance le jeudi 18 mars 1854, et a prononcé le discours suivant :

     

    Messieurs,

    Quand je songe à toutes les gloires dont l’Académie française reste dépositaire, à la mission qu’elle a reçue et qu’elle n’a cessé de remplir, en maintenant, à travers les orages de trois siècles, et dans l’infinie variété des pensées, des œuvres et des actions, l’harmonieuse unité du langage et de l’âme, je sens bien que, pour élever la voix sous cette coupole, il me faut demander aux vivants et aux morts une sorte de grâce d’état.

    Cependant, nier tout motif de vous appartenir, ne serait-ce pas manquer de respect à votre sagesse et mal vous remercier du grand honneur que vous m’accordez ? Oubliant que je fus téméraire, je me réfugie, si je puis dire, dans cette fierté que seul peut me donner votre choix.

    Mais, comment en demeurer là ?

    Ce jour est d’action pour votre élu. Il a un devoir à remplir, une mémoire à faire revivre : celle d’un écrivain aussi célèbre par la maîtrise de son verbe que par les tempêtes de sa vie publique.

    Comment capter quelques reflets d’un si grand art ?

    Comment évoquer sans trouble cette carrière pathétique ?

    Qu’attendez-vous de moi ? Sinon qu’ayant vécu, par tradition et par goût, loin des partis, et tant soit peu pratiqué cette sorte d’histoire qui, sans s’arrêter à ce qui divise, poursuit sa marche vers ce qui rassemble, j’aborde ma haute et redoutable tâche sans forfanterie et dans la sérénité.

    La sérénité, Messieurs, c’en doit être ici le temple !

    Ses murs abritent, comme un feu sacré, la continuité de la civilisation française. Le seuil en est ouvert à toutes les idées, mais elles ne doivent le franchir que sous une tunique de lin.

    Si Charles Maurras n’avait tenu dans sa main une plume d’or, ce n’est point le seul polémiste que vous eussiez choisi, mais il était un haut écrivain et c’est celui-là que vous avez appelé à siéger parmi vous.

    Vous savez quel était, de son côté, son éloignement des honneurs. Le seul auquel il se soit attaché fut celui d’être des vôtres. Il a aimé l’Académie française, non seulement dans son origine, mais dans le prestige continu de sa mission.

    Cependant, en dehors des ouvrages de jeunesse qui se relient aux autres par une logique intérieure, presque tous ses livres ont un objet politique. On ne soulignera jamais assez que la matière en est principalement fournie par les articles donnés aux revues et à la presse quotidienne. La plus grande part de son œuvre et de son temps relève du journalisme.

    De tout son cœur, il a soutenu cette branche de nos lettres dont l’importance n’a cessé de s’accroître au XIXème et au XXème siècle. Et il compte parmi ceux qui ont prouvé et continuent d’affirmer ici qu’un tel genre littéraire, grandi dans les tourmentes politiques, a de quoi s’égaler aux talents les plus affirmés.

    De telle sorte que cet implacable adversaire de la Révolution française lui doit, au moins, une chose issue d’elle : sa profession !

    Il n’a donc pas construit son système dans la retraite, à la manière de Descartes ou de Spinoza, mais il l’a martelé sur l’enclume de la discussion.

    Ainsi jetées dans la mêlée, tantôt en ordre dispersé, tantôt resserrées en des formules rapides, qui n’ont leur plein sens que par les développements qu’elles rappellent, ses idées n’en forment pas moins un corps de doctrine tel qu’on ne peut ni l’adopter, ni le combattre sans s’imposer — comme l’a dit, au milieu de vous, M. Jules Romains — l’ascétisme de pensée qui a veillé à sa construction.

    Et pourtant, au point de départ, se sont affrontés beaucoup de possibles et beaucoup de contraires.

    « Pourquoi fais-tu cela ou ne le fais-tu pas ? »

    Question que s’est posée, à vingt ans, le jeune Maurras qui ajoute : « Cela n’aurait pas fait difficulté pour nos parents. Leur vie se tenait ordonnée et claire. »

    La lutte dans laquelle il va s’acharner contre les autres, il la livre d’abord à lui-même, étouffant ces effluves de romantisme qui baignent sa génération inquiète — et cela, grâce à l’autorité de son horizon natal, étendu à l’Hellade, et à la clarté de ses premières années.

    Notre histoire littéraire offre peu de contrastes aussi saisissants que l’enfance de Charles Maurras et celle de Chateaubriand. C’est la clé de leur opposition d’esprit.

    Votre pensée m’a déjà précédé, Messieurs, dans cette sombre galerie de Combourg, où M. de Chateaubriand, le père, devant la muette contemplation de sa femme et de ses enfants, faisait retentir ses pas. La crainte révérencielle, une interprétation tragique de la vie, favorisée par le poids des murailles, les hallucinations de la forêt, la houle impitoyable de l’Océan. Voilà les inspirations de René !

    Puis, écoutons Charles Maurras :

    « S’il m’était offert, écrit-il, de revivre l’une de mes heures passées, je n’hésiterais pas à choisir ma petite enfance. Un mot dira tout, mes yeux s’ouvrent et le monde visible verse, en se révélant, je ne sais quelle fête de surprise enchantée... Mon père me prenait par la main : — Allons, viens, disait-il, nous sommes des hommes ! ... — ... Il me faisait sauter et rire. Tels ont été mes premiers pas dans les jardins et dans les vergers de Martigues, grâce, à l’humeur ingénieuse et gaie que me montrait mon père.

    « De condition modeste et de profession sédentaire, il formait un type accompli de petit fonctionnaire, très appliqué à des devoirs que l’amour du bien public ennoblit, mais non moins passionné pour les livres, les arts et tous les autres délassements de l’esprit. »

    Charles devait le perdre dès sa sixième année.

    Il demeurait sous l’égide de sa mère, elle aussi, délicate et tendre, mais dont la volonté se faisait sentir davantage ne fût-ce que par l’obligation d’accoutumer ses fils à la modeste économie du foyer où elle maintenait, grâce à de sages efforts, une atmosphère d’indépendance.

    Avec un accent aussi direct, aussi personnel que celui de père et mère, la Provence agissait sur sa très vive sensibilité.

    C’est Martigues, au bord de l’étang de Berre, avec ses collines nues, ses champs de pierres plantés d’oliviers, auxquels s’adresse cette invocation :

    « Petit arbre nerveux et pâle, vous n’interrompez d’aucun dissentiment la courbe déliée des collines de nos pays. Non, vous faites corps avec elles. Sans vous presser l’un l’autre, sensibles rameaux, vous aimez vous toucher en rendant un son qui ressemble aux discours de la mer.

    « Le paysage, dit-il ailleurs, a des formes calmes, précises, pourtant passionnées. Nos bâtiments couleur d’or roux, aiment à montrer leur dédain du soleil et du vent. Beaucoup s’opposent, seuls et nus sur une éminence, au ciel dur ; les autres se contentent de l’ombre aérienne, spirituelle, abstraite de l’unique cyprès, planté sur le flanc de la maison et qui, bien orienté, dessine l’aiguille du cadran solaire. »

    On peut déjà reconnaître chez Maurras, dans la contemplation de ce décor, son penchant pour les idées claires, les situations nettes et même tranchées. Il y trouve aussi son goût de la règle et de la cadence :

    « Jamais les défilés de la nuit et du jour ne me sont apparus dans un ordre si beau. »

    Après avoir montré que, devant la petite maison parfaitement orientée, le soleil, dans son majestueux arc de cercle, donne une idée des règles du monde, Maurras salue la nuit méditerranéenne :

    « Ainsi, sous la tenture de cet air sombre, la campagne se soulevait avec moi : je la sentais monter comme si elle n’eût rien été que la suite de mon regard... Cette large nuit de printemps dut remuer quelques-unes des semences de poésie dont rien ne m’a plus délivré, probablement versa-t-elle un peu de raison... Le soleil est là-haut que nous ne créons pas, ni ses sœurs les étoiles. C’est à nous de régler au céleste cadran, comme au pas de nos idées-mères, la démarche de notre cœur et de notre corps ! Nous ne possédons qu’à la condition d’acquérir la notion de nos dépendances pour conserver un sens de la disproportion des distances de l’univers.

    « Si, en présence de ce vaste éloignement, il nous était permis de nous contenter de nous-mêmes, ne serions-nous pas nos premières dupes ? Rien ne contente et ne rassasie que le ciel ! »

    C’est dans ces dispositions, éminemment favorables, que ce fils de la petite cité gréco-romaine est allé recevoir au collège d’Aix, selon les bonnes règles, le bienfait des humanités. Il a parlé en connaisseur de ses excellents maîtres, au premier rang desquels il n’a cessé de vénérer le grand humaniste chrétien que fut Mgr Penon.

    Nous avons eu sous les yeux, remis par ce prélat à l’un de ses derniers élèves, l’archiprêtre Léon Côte, un cahier d’une juvénile écriture, qui ne laisse point prévoir les mystérieux hiéroglyphes des manuscrits fameux, et qui, pourtant, est signé Charles Maurras, à l’âge de seize ans.

    Rencontré au hasard, voici le commentaire d’une fable de La Fontaine : Le chat, la belette et le petit lapin. Et le jeune élève d’écrire : « La question sociale, l’origine de la propriété, tels sont les graves problèmes soulevés dans cette fable. Et l’on traite le genre de frivolités ! »

    Voilà quelles étaient déjà ses préoccupations.

    La surdité complète dont il fut atteint, avant même cette époque, lui fit traverser une double détresse. Il se sentit comme séparé de son corps, et la vocation de la mer, dont il avait rêvé, lui fut à jamais interdite.

    Ce sera vraiment la poésie, la musique intérieure, qui lui apportera son plein réconfort. Il a dit :

    « J’ai gardé la poésie comme une prière qui empêche mon âme de se dessécher. »

    Mais, bientôt, un autre choc se produisit, et celui-là dans son âme. Il perdait la foi de son premier âge. La privation du secours spirituel, assez fièrement cachée, ne cessera, dès lors, de le hanter silencieusement.

    Nous le retrouvons à Paris où il aborde, par le journal, l’activité, qu’il ne quittera plus jamais. Lui-même a évoqué le tourbillon d’anarchie intellectuelle où sa génération s’agitait et dans lequel il se précipita.

    Alors, il sent que va lui échapper cette concentration d’esprit — le seul bien qui lui reste — et qu’il tient de ses humanités et de ses contemplations méditerranéennes. Il n’admet pas sa défaite. Il a besoin d’attaquer quelque chose ou quelqu’un. Découvrant que le romantisme a failli l’entraîner, c’est à lui qu’il s’en prend. Il le charge de tous ses maux. Et cette bataille littéraire sera le prologue de sa politique.

    Le voilà aux prises avec le fantôme de Chateaubriand !

    Il l’accuse d’avoir renversé toutes les positions intellectuelles des lettres françaises. Et, pour mieux l’atteindre, il drape ses invectives dans une magnificence digne des périodes de l’autre :

    « Race de naufrageurs et de faiseurs d’épaves, oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers, Chateaubriand n’a jamais cherché, dans la mort et dans le passé, le transmissible, le fécond, le traditionnel, l’éternel ; mais le passé comme passé et la mort comme mort furent ses uniques plaisirs. À la cour, dans les camps, dans les charges publiques comme dans ses livres, il est lui, et il n’est que lui, ermite de Combourg, solitaire de la Floride. Il se soumettait l’univers. »

    Il y a dans cette éloquence furieuse, le tracé, en lettres de feu, d’une attitude que Chateaubriand ne se fût peut-être pas déplu à reconnaître. Mais il aurait pu justement se plaindre qu’on eût oublié quelques services éclatants, rendus au gouvernement de la Restauration et aussi l’hommage porté dans l’exil au vieux Charles X et au petit duc de Bordeaux.

    Laissons un instant, face à face, ces deux illustres tenants de la monarchie. Et demandons-nous, par rapport à elle, ce qui les rapproche et ce qui les oppose.

    Et d’abord, on ne saurait voir en eux des serviteurs faciles, mais ils n’ont jamais accepté d’un autre régime aucune compromission, toujours prompts à offrir leur vie à leur cause et à lui sacrifier les honneurs et les biens. Chacun d’eux est mort pauvre et solitaire, fier, ombrageux et fidèle.

    Seulement le gentilhomme breton a monté, près de la monarchie, une sorte de garde funèbre, tandis que le petit bourgeois de Provence en a ranimé la flamme dans l’histoire.

    Venons au grand débat qui opposait le vivant au mort : le Romantisme !

    Maurras n’attaque pas la sensibilité, le mal du siècle, à la manière de ces gens qui, n’ayant jamais péché, ignorent la faiblesse humaine, ou de ces bien portants qui, jetant un regard froid sur les malades, se bornent à leur dire : « Portez-vous mieux ! »

    Il a participé à leur inquiétude. Sur son front a passé le vent de leur détresse. Il ne propose pas à la littérature de s’enfermer, du jour au lendemain, ni jamais, dans le genre didactique.

    Ce qui l’irrite, c’est le renversement des normes, c’est le caprice individuel érigé en principe, la sensation faite règle. C’est cette hypocrisie qui transforme l’humeur en loi.

    Il ne s’est jamais refusé ni à comprendre la volupté, ni à regarder vers les pentes où glisse l’humaine nature. Il demande seulement que l’intelligence mesure les passions et que le dernier mot lui reste.

    Avec quelle sollicitude le voit-on se pencher sur Les amants de Venise. Sans doute va-t-il condamner l’amour romantique, l’amour prétendu de droit divin. Mais quelle tendre condamnation ! Quel beau roman compréhensif, avec tant de sympathie pour Alfred de Musset, dont le bien dire — plus classique que romantique — et la naïveté généreuse ont ému, sous toutes les réserves que l’on voudra, le cœur de Maurras.

    Même, à ses yeux, « n’avoir pas déliré avec le poète des Nuits n’est pas très bon signe ».

    Ce qui est grave, pour l’auteur des Amants de Venise et de l’Avenir de l’Intelligence, ce n’est pas un délire momentané. Les classiques n’ont point supprimé la sensation, mais ils l’ont maintenue sous le gouvernement de l’intelligence.

    Avec les romantiques, cette royauté est renversée, comme l’autre. Il suffit de sentir et il n’est plus nécessaire d’expliquer ni de comprendre.

    Maurras considère que les tendances du romantisme se sont singulièrement aggravées sous l’influence des philosophes et des poètes allemands — Goethe excepté, auquel il attribue une mystérieuse origine provençale — et il ne cessera de cribler le germanisme de ses flèches et de le repousser comme incompatible avec la tradition du génie français.

    Le per

  • Archives • Quand Jean Raspail répondait aux questions de François Davin et Pierre Builly (1978)

    Jean Raspail aux Baux de Provence en 1983. À ses côtés, Pierre Chauvet, Pierre Pujo, Gérard de Gubernatis 

     

     

    Jean Raspail répond aux questions de François Davin et Pierre Builly 

    Nous l'avons connu d'abord par ses livres. Aux Baux 76, nous l'avons entendu nous dire sa confiance dans une certaine remise en cause des conformismes intellectuels régnants. Et son espérance rejoignait la nôtre sans qu'il fût besoin que Jean Raspail appartînt à l'Action Française : ce discours figure dans Boulevard Raspail, son dernier livre. 

    On appréciera le tour très libre, très peu formel, de l'entretien qu'il a accordé à François Davin et Pierre Builly. 

    Si Jean Raspail laisse des questions sans réponse c'est que notre famille d'esprit n'a que peu de goût pour les idéologies et les systèmes. Sur les réalités à défendre, l'accord ne va-t-il pas de soi ? 

     

    2271914902.jpg• Une de vos anciennes chroniques du Figaro m'a particulièrement marqué. Elle date d'environ deux ans, s'intitulait « les signes noirs » et me paraissait assez bien refléter ce que vous pensez, ce que vous dites, ce que vous avez mis dans le « Camp des Saints » ce que vous avez exprimé dans la « Hache des Steppes » et dans le « Jeu du Roi ». Au-delà de la péripétie électoraliste, au-delà du jeu des forces politiques proprement dites, ce que nous pourrions appeler le pays légal, il y a un danger, un risque de déliquescence pour la société française dans toutes ses composantes qui étaient jusque-là restées organisées : par exemple l'éducation, la justice, l'armée, etc. ... 

    Jean Raspail - Si ma mémoire est bonne, j'ai écrit à ce moment-là, et je le crois toujours, que peu à peu des hiérarchies parallèles se sont établies au sein de toutes les organisations sociales : l'armée, l'enseignement, la Justice, l'Eglise. Il me semblait que personne ne le disait à ce moment-là. J'ai eu un petit peu d'avance sur les autres. Pas tout seul d'ailleurs. 

    En effet, vos livres et vos chroniques ont fait irruption dans le marécage, pratiquement les seuls à l’époque. Aujourd'hui il y a beaucoup de monde qui évoque ces sujets. 

    Actuellement les signes dont j'ai parlé me semblent connus de l'opinion, qu'il s'agisse de l'opinion modérée ou majoritaire, comme vous voudrez, ou même, peut-être, d'une partie de la gauche. Ce qui est étonnant aujourd'hui, c'est qu'il n’y a pas de réaction réelle. Tout se passant au niveau politique, plus rien ne se passe au niveau - comment dirais-je ? - des âmes, comme si les pouvoirs en place ne prenaient pas en compte l'âme de la nation. Et cela c’est ce qu’il va falloir essayer de dire. Je prétends par exemple que la jeunesse est complètement abandonnée à elle-même. Il y a des tas de gens qui s'occupent d'elle, les sports, par exemple, ne sont pas mal gérés, l’Education nationale représente un budget énorme … Je me souviens qu'Herzog me disait, alors qu'il était Secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, que l'argent ne lui manquait pas pour construire des piscines ou des stades, qu'il y en avait partout mais que c'était l'âme qui manquait pour y aller. Il en est ainsi dans tous les domaines. Or, à moins de ne plus être en démocratie libérale, est-ce qu'un gouvernement pourrait avoir un pouvoir sur les hommes ? 

    Est-ce que la nature de la démocratie libérale n'est pas de susciter autour d'elle des contre-pouvoirs ? 

    Certainement cela tient à la nature de la démocratie libérale. D'ailleurs, j'en parle dans les chroniques que j'écris actuellement. J'en ai déjà fait trois. Il en paraît une par mois. J'ai écrit « jeunesse et démocratie », « rites et démocratie », « patrie et démocratie ». Après je ferai « races et démocratie », « Famille et Démocratie », etc. ... toute une série pour savoir où la démocratie peut être bonne... Personnellement, je ne suis pas fasciste, je ne considère pas qu'une démocratie est forcément mauvaise. 

    Tout dépend de ce que vous entendez par démocratie. 

    C'est ce que j'essaie de définir. Pour clarifier ma pensée, disons simplement que je ne suis pas du tout un théoricien, que j'essaie d'être un écrivain qui réfléchit sur les problèmes de ce temps. 

    Vous ne résolvez encore rien. Vous dites : on connaît les signes mais il y aura une nouvelle étape à franchir. Connaîtrait-on les causes de ces signes, que l'on connaîtrait le remède. Mais le remède ne sera connu que lorsqu'on aura une version claire des causes. Que faire pour en sortir ? Jusqu'à présent vous ne voyez pas le comment. 

    Ce qui est embêtant. Il semblerait qu'en ce moment la fameuse distinction de Maurras entre le pays réel et le pays légal n'est plus vraie. Le pays profond ou réel n'est pas du tout traversé par les mêmes courants de sentiment, d'enracinement. On se trouve devant un pays, il n'est pas le seul d'ailleurs, qui était jusqu'à il y a, au fond, peu de temps, industrialisé à 5%. Aujourd'hui le pays réel ou profond, ça ne veut plus dire grand-chose quand on voit par exemple Sarcelles ou n'importe quoi d'autre, toutes ces immenses banlieues ou cette région parisienne où vivent quand même 25% des Français. Je connais bien mon village en Provence que j'habite six mois de l'année. Je suis certain que c'est le pays réel. J'entends mes socialistes au bistrot. Ils feraient rougir Rocard et Mitterrand. Quant au pays profond, il n'est plus tellement profond. Il est devenu d'une effroyable superficialité; on ne sait plus trop par quel bout le prendre. 

    Oui, mais vous dites que la solution ne paraît pas résider dans le libéralisme avancé. 

    Probablement pas. 

    Vous dites je vois les signes, j'étudie les signes ... 

    Je crois que c'est le privilège de l'écrivain. Comme il n'a pas d'œillères, il a plus de liberté pour juger les choses d'un peu haut. Il n'est pas obligé de rédiger un article de journal tous les jours. 

    Votre héros du « Jeu du Roi » en vient à sortir du monde et à se créer un royaume intérieur. Je crois percevoir en lui un fond de découragement ou de pessimisme. Est-ce un peu vous ou uniquement un personnage ? 

    Il y a une certaine : ambiguïté du personnage. Tous les romanciers vous le diront, il y a une part probablement de l'auteur, on ne sait pas très bien où elle est, elle peut se trouver un peu partout. Ce n'est pas explicable. D'autre part un romancier n'écrit pas une histoire que mène uniquement un désir démonstratif. Vous avez vu Dutourd dernièrement. Vous lui avez parlé de Mascareigne. Eh bien ! Il a répondu la même chose. 

    Je ne pense pas que mon héros soit pessimiste dans cette histoire. Je pense que l'univers qu'il trouve ne lui convient pas : il s'en est fabriqué un autre et comme en l'occurrence ce jeune garçon puis cet homme était comme une espèce de romantique d'épopée, habité par la notion, le souci dont sont animés ce que j'appelle, moi, tous hommes bien nés sans aucune référence, bien sûr, à l'aristocratie, il a en définitive une attitude de dépassement qui est la réalisation de la part du divin dans chacun d'entre nous. Or, ne trouvant pas cela dans la société où il vivait, il s'est bâti un univers à part. Ce n'est pas une idée fondamentale­ment originale. Il y a d'autres romanciers qui ont décrit des choses de ce genre. Je ne sais pas politiquement où en est Julien Gracq. Peu importe. Mais dans « Le Rivage des Syrtes », il y a un peu le même souci de dépassement qu'on ne peut plus trouver dans le monde où nous sommes. 

    L'important n'est-ce pas la transmission du flambeau ? 

    Une transmission c'est la flamme qui passe. A la fin du « Jeu du Roi », Jean-Marie parle aussi à l'adolescent : « le jeu s'emparera de ta vie ». Tant que la flamme brûle, l'idée n'est pas morte, l'espoir non plus. 

    Dans votre livre la révolution s'est installée. 

    On me l'a reproché. Certains critiques ont écrit : c'est dommage, il a démoli une partie de son livre en faisant redescendre le lecteur du rêve à la réalité. C'est un reproche qui est presque justifié mais je voyais le livre de cette façon.  

    Votre héros pense peut-être que la contre-révolution exige une réaction sur soi-même. 

    Il faut le comprendre:ce n'est pas un politique. C'est un homme qui réagit. Je crois pourtant qu'il a des justifications politiques; il est dans une situation telle qu'il doit bâtir l'arche et transmettre le flambeau. C'est un peu ce que fait cette droite qu'on appelle extrême. Qui disait qu'il y avait dans l'extrême-droite la fascination du flambeau à transmettre et ce sentiment de l'infime minorité qui détient la vérité ? Je suis certain qu'il y a beaucoup de Français non-engagés politiquement qui éprouvent la même impression. 

    La morosité. le marasme ? 

    Non, mais l'idée de celte pérennité de l'homme et de la part merveilleuse qu'i! doit assumer. Je suis certain que beaucoup le pensent. Seulement comme dans la société moderne c'est de plus en plus difficile à réaliser, il reste le repliement à l'intérieur de soi-même ; qui ne veut pas dire du tout renoncement. En fait, c'est un enrichissement personnel. 

    Cette attitude ne suppose-t-elle pas un minimum de lutte, de présence dans le monde ? 

    Cela veut-il dire quelque chose à ce moment-là ? On m'a posé la même question à propos du « Camp des Saints » qui se termine de façon catastrophique. Tous mes livres ont, c'est vrai, un certain fondement politique. Mais ce sont des romans, non pas des messages, ni des encouragements. Au fond c'est peut-être ce que les gens recherchent, surtout les jeunes gens. Je n'ai pas à le faire pourtant. 

    Votre vocation est plutôt d'attirer l'attention. A propos du « Camp des Saint » justement j'ai vu à la télévision votre tribune avec Max Gallo. Je crois qu'il vous a demandé : « Que préconisez-vous contre cette masse qui arrive ? Envoyer une bombe ou quelque chose d'approchant? Et vous vous êtes un peu réfugié dans : « Moi, je suis écrivain ». Au fond vous avez fait disparaître encore un peu votre responsabilité. 

    Je n'ai pas voulu me laisser entraîner sur ce terrain. Le « Camp des Saints » est une histoire. Ce n'est pas non plus une réponse. Quand on me dit : faut-il les tuer tous, les passer au napalm ou leur envoyer la bombe atomique ? Je ne peux pas répondre oui. C'est quand même plus subtil. Alors j'ai essayé de dire que le « Camp des Saints » est un livre symbolique. Dans l'introduction je dis : ça se passera mais ça ne se passera pas exactement comme ça. En tout cas c'est un problème qui est de plus en plus précis et présent. Qui doit assumer cette responsabilité ? Ils sont là. Ils sont de plus en plus nombreux. Nous le sommes de moins en moins. En ce moment c'est une idée qui commence à passer. 

    185747113.pngVous ne trouvez pas qu'il y a une sorte de réveil de cette « droite », terme assez difficile à définir et très ambigu ? 

    Sur le plan des idées, oui. A l'heure actuelle il y a un réveil exceptionnel de la pensée dite de « droite » à telle enseigne qu'on est en train de se demander, Dutourd l'a écrit d'une façon très amusante il y a quelques semaines : y aura-t-il encore des intellectuels de gauche dans deux ans ? C'est très étrange à voir. Nous parlions du pays profond tout à l'heure : peut-être les écrivains, grâce au seul privilège de leur détachement, anticipent-ils ? Et peut-être le pays dit profond, même dans ses H.L.M. ou ailleurs, comprend-il déjà confusément ces choses. 

    Ils sont allés trop loin: Le projet socialiste sur l'éducation en créant une éducation inégalitaire défavorise le fils de famille bourgeoise. Et quand on évoque le réveil de la droite intellectuelle, disons aussi qu'elle ne s'est jamais endormie. Jusqu'à présent, elle ne voulait pas s'assumer pleinement. C'est chez nous, dans notre famille de Français que la confiance vient car on s'aperçoit que nos écrivains, nos intellectuels reprennent du poil de la bête, ont du succès, qu'on les écoute, qu'on ne leur crache plus dessus et qu'au contraire on les rejoint de plus en plus. Mais ce progrès est significatif à l'intérieur de notre famille de pensée qui commence à être confortée comme on dit. Mais si elle reprend du poil de la bête cela ne veut pas dire du tout qu'elle ait la moindre influence dans le camp adverse. Je suis persuadé qu'elle n'en a aucune. 

    Nous en sommes aux premiers pas d'un renouveau. 

    Et l'on sera victime du phénomène de récupération des idées qui sont les nôtres et qui commencent à compter maintenant. 

    Récupération électoraliste ? 

    Non, pas électoraliste. La guerre se situe au plan des idées. Pour moi, Revel est une espèce de sous-marin qui vient rejoindre une famille de pensée pour jeter une sorte de pont. 

    Vous n'y croyez pas pour Revel, mais pour les nouveaux philosophes ? 

    Les nouveaux philosophes, à mon avis c'est terminé. On ne les a pas attendus pour savoir que penser du marxisme. Leur itinéraire, la publicité faite autour d'eux me paraissent tellement excessifs      et extraordinaires   ! On s'en est servi en fait pendant six mois. Maintenant il faut leur régler leur compte parce qu'il faut faire très atten

  • Islam et féminisme (2/3), par Annie Laurent

     

    Annie_Laurent.jpgLe jeudi 16 juin dernier, nous donnions ici-même le premier texte de cette série de trois que consacre Annie Laurent au thème Islam et féminisme. Vous pouvez le retrouver ici :

    Islam et féminisme (1/3), par Annie Laurent

    Voici, aujourd'hui le deuxième texte de la série, que viendra conclure celui que vous pourrez lire demain...

    François Davin, Blogmestre

    1A.jpg

    Nayla Tabbara, Zeina El-Tibi et Asma Lamrabet constatent la stagnation et le déclin de la condition féminine en Islam, mais elles refusent d’en imputer la responsabilité aux textes fondamentaux de cette religion.

     

    HOMME ET FEMME : MÊMES DROITS, MÊMES DEVOIRS ?

    N. Tabbara : « Si l’on prend la peine de revenir aux sources de l’islam, on constate que le Coran s’adresse aussi aux femmes à une époque et dans un contexte où elles avaient rarement une voix » (L’islam pensé par une femme, Bayard, 2018, p. 88). L’auteur cite un verset coranique où Dieu parle « aux croyants et aux croyantes » en énumérant les pratiques vertueuses qui vaudront à chacun « un pardon et une récompense sans limites » (33, 35). Sur ce plan, il y a effectivement égalité entre hommes et femmes, les uns et les autres étant appelés à « gagner » le paradis (cf. aussi Coran 4, 124 ; 9, 72 ; 16, 97).

    Cependant, souligne l’islamologue libanais Ghassan Ascha, la description coranique du paradis réserve les jouissances sexuelles aux seuls hommes qui y disposeront de « houris ». Il cite plusieurs versets explicites sur ce thème (78, 31-33 ; 40, 54-58 et 70-74 ; 56, 10-22 et 35-38 ; 52, 19-20 ; 37, 48-49 ; 44, 51-55 ; 38, 49-53 ; 2, 25 ; 3, 15 et 4, 57). Mais rien n’est prévu dans ce domaine pour les femmes qui accèderont au paradis. Cet auteur mentionne aussi un hadîth attribué à Mahomet, selon lequel « l’enfer est surtout peuplé de femmes » (Du statut inférieur de la femme en Islam, L’Harmattan, 1987, p. 31-33).

    Qui sont les houris ? « Au sein de l’exégèse classique, on trouve une pléthore de représentations fantasmagoriques des hûr décrites comme des femmes belles, chastes et jeunes, dont la seule fonction est l’accouplement continuel avec des hommes venus au paradis dans le seul but d’avoir des relations sexuelles éternelles » (A. Lamrabet, Islam et femmes. Les questions qui fâchent, Gallimard, 2017, p. 125-129).

    Peut-on dès lors approuver Z. El-Tibi lorsqu’elle écrit : « Aucune religion ne s’est préoccupée de la femme et ne lui a donné autant d’importance que l’Islam » (La condition de la femme musulmane, Cerf, 2021,p. 46) ? Ou encore : « Le Coran fait l’éloge de nombreuses personnalités féminines » (ibid., p. 51) ? Comment comprendre alors la marginalisation des femmes dans le texte sacré de l’islam ? A l’exception notable et mystérieuse de Marie dont une sourate, la XIXème, s’intitule Mariam, toutes les femmes dont il y est question sont anonymes. Par exemple : l’épouse du pharaon (66, 11), la reine de Saba (27, 32), dont les noms, Assia et Bilqîs, ne sont indiqués que par des historiens.

    Z. El-Tibi : « Pour l’Islam, les droits et les devoirs sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes, et toute la question est de savoir comment ces prescriptions sont respectées dans la pratique » (ibid., p. 21).

    Elle appuie son affirmation sur deux intellectuels musulmans contemporains :

    • Qassim Amîn, juriste égyptien du XIXème siècle, pour lequel « la charia a été la première loi à donner l’égalité à l’homme et à la femme », cet auteur affirmantque « la corruption [est venue de l’extérieur], avec des pratiques tirées des usages coutumiers » (ibid., p. 41).
    • Mustapha Cherif, universitaire algérien, pour qui « l’essentiel des dérives relatives à la condition de la femme a des causes sociologiques et non point religieuses » (ibid. p. 41).
    •  

    L’héritage, un exemple d’inégalité juridique

    La question de l’héritage fait l’objet d’une prescription coranique précise : « Quant à vos enfants, Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles » (4, 11).

    Pour Z. El-Tibi, cette disposition ne doit pas être comprise comme inégalitaire. « Il est notable que cette situation résulte d’un esprit d’équité, c’est-à-dire de la juste appréciation de ce qui est dû à chacun selon ses devoirs ». S’appuyant sur le juriste Ghazali (1058-1111), elle précise : « Il est normal que la femme n’ait que la moitié de la part d’un homme dans la mesure où son époux doit subvenir à ses besoins et lui offrir un douaire (dot) » ; puis elle commente : « Les textes doivent toujours être lus en tenant compte des finalités supérieures ». Elle admet cependant la nécessité de réformer cette règle pour tenir compte des situations réelles (op. cit., p. 88-92), imitée en cela par N. Tabbara (op. cit., p. 118-123).

    Telle est aussi la position d’A. Lamrabet qui, pour sa part, va jusqu’à affirmer qu’« avec la révélation du Coran, les femmes ont eu pour la première fois le droit à l’héritage […]. En octroyant ce droit, inconnu dans les autres civilisations, l’islam a initié la reconnaissance des droits juridiques des femmes, une première dans l’histoire de l’humanité » (op. cit., p. 143). Or, selon le sociologue marocain Mohammed Ennaji, aucune preuve historique n’atteste cette affirmation (Le corps enchaîné. Comment l’islam contrôle la femme, éd. La croisée des chemins, 2018, p. 50).

    L’universitaire tunisienne Hela Ouardi relate une situation d’exception qui suscite le doute sur l’authenticité de l’inégalité successorale : le calife Omar, premier successeur de Mahomet, a réservé à sa fille Hafsa l’intégralité de son patrimoine, au détriment de ses fils. L’auteur s’interroge : « Omar enfreint-il la loi coranique ? […] Ce serait tout de même bizarre de sa part, lui qui est si intraitable sur l’application des lois divines ! Dès lors, de deux choses l’une : soit ce verset n’existait pas du temps d’Omar et donc il serait apocryphe, soit la loi divine concernant l’héritage des filles n’était pas du tout considérée comme un impératif absolu mais plutôt comme une règle par défaut, susceptible d’être modulée par le testament du légataire » (Les Califes maudits, t. III, Albin Michel, 2021, p. 91).

    Quoi qu’il en soit, en 2017, El-Azhar s’est formellement opposée à un projet de loi tunisien prévoyant la reconnaissance de l’égalité successorale (cf. PFV n° 84). L’institution égyptienne, qui prétend assumer une fonction magistérielle, a ainsi rejoint les adeptes de ceux pour lesquels le caractère explicite de la mesure relative au partage de l’héritage interdit qu’elle soit abolie ou amendée, observe Razika Adnani, philosophe franco-algérienne, citant le téléprédicateur Youssef El-Qaradaoui, militant influent des Frères musulmans, pour lequel annuler ou remplacer la charia reviendrait à « donner à l’être humain le droit de corriger Dieu et de critiquer ses règles » (« Égalité dans le partage successoral, qu’est-ce qui gêne les musulmans ? », Econostrum-Info, 3 septembre 2018).

    R. Adnani rappelle cependant que « l’abrogation est une pratique qui n’est pas étrangère à l’islam. Elle a été pratiquée dès le début de son histoire ». Alors, poursuit-elle, pourquoi ne pas y recourir lorsque des principes adaptés à la culture des premiers siècles de l’islam posent problème aujourd’hui ? La complaisance de certaines musulmanes en ce domaine inspire cette réflexion à la philosophe : « N’est-ce pas que le dominé [la femme] se rallie parfois au dominant [l’homme], souvent pour obtenir quelques privilèges personnels ? », ce qui « renforce ainsi sa propre domination » (ibid.).

     

    HOMMES ET FEMMES DANS LE MARIAGE

    Le mariage est le cadre approprié pour l’exercice de la supériorité masculine, comme le précise le Coran : « Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité ; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent » (4, 34).

    En outre, une fois mariée, la femme ne s’appartient plus ; elle doit se tenir en permanence à la disposition de son époux. « Vos femmes sont pour vous un champ de labour. Allez à vos champs comme vous le voudrez » (2, 223). Ce verset renvoie au sens premier du mariage en islam, tel que l’exprime le mot arabe nikâh d’où a été forgé le verbe « niquer » en français. « Le nikâh, c’est le coït transcendé », écrit l’islamologue tunisien Abdelwahab Bouhdiba (La sexualité en islam, PUF, coll. Quadrige, 1975, p. 24). Le mariage est un contrat juridique qui a pour objet de rendre licite l’acte sexuel. Sur ces sujets, cf. A. Laurent, L’Islam, pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore), Artège, 2017, p. 150- 153 et 159-165.

    Tout cela n’empêche pas A. Lamrabet d’assurer : « Le Coran décrit le mariage comme un pacte solennel “lourd de sens” entre deux partenaires égaux » (op. cit., p. 70). Il n’est pourtant valide que si le consentement de l’épouse est donné par son tuteur légal (walî) qui ne peut être qu’un homme, condition qui n’est pas requise de l’époux.

    D’après elle, ce sont les compilations du fiqh (droit jurisprudentiel) classique qui ont inscrit le mariage dans « une logique de domination », reflet de la culture patriarcale. « C’est au nom d’une lecture de la religion asservie à l’autoritarisme politique qu’on a fait croire aux musulmanes qu’elles devaient être asservies à leurs époux […]. Accepter ces notions d’obéissance et de soumission des femmes dans le mariage c’est accepter de cautionner l’instrumentalisation idéologique du message spirituel dont la principale finalité est de libérer l’être humain, homme ou femme, et de lutter contre les oppressions quelles qu’en soient les origines » (ibid., p. 72).

    Permission polygamique

    Après avoir affirmé que « la polygamie a été pratiquée dans la plupart des sociétés anciennes », Z. El-Tibi souligne que le Coran limite cette forme de mariage à quatre femmes, à condition de les traiter avec équité (4, 3 ; 4, 129), et elle la justifie par la nécessité de ne pas abandonner les orphelins qui avaient perdu leur père à la guerre (4, 3). « C’est, dans ce contexte précis que le verset tolère l’ancienne coutume de la polygamie pour des raisons exceptionnelles et d’intérêt général. S’il n’y a pas de telles raisons, la polygamie n’est pas admise car elle ne doit pas chercher à satisfaire des convenances personnelles. Mais elle peut aussi répondre à des situations précises, par exemple si l’épouse est victime d’une maladie qui la rend incapable de mener une vie conjugale normale ou d’avoir des enfants » (op. cit., p. 70-71). Quant à Mahomet, s’il « prit, souvent symboliquement, plusieurs épouses [c’était] pour des raisons de haute politique », raisons que cet auteur n’explique pas (ibid., p. 107).

    Un réformiste contemporain, Mahmoud Taha, philosophe soudanais (cf. PFV n° 66), présente ainsi, dans son livre Le second message de l’islam (1967), la raison historique invoquée par les musulmans qui ont recours à une interprétation contextuelle du Coran sur ce sujet : « Si la monogamie n’a pas été immédiatement imposée par l’islam, c’est parce qu’à l’époque le nombre de femmes excédait nettement celui des hommes à cause des guerres qui décimaient les rangs de ces derniers. En autorisant la polygamie limitée, le Coran assurait une protection aux femmes qui seraient autrement demeurées sans protection faute d’un mari » (cité par Jean-René Milot, Égalité hommes et femmes dans le Coran, Médiaspaul, 2009, p. 117).

    Cette localisation dans le temps et l’espace ne permet pas de considérer la polygamie comme un progrès dans l’histoire humaine. Selon la Bible et le Coran, le premier couple était d’ailleurs monogame.

    Tout cela n’empêche pas Z. El-Tibi d’assurer que « l’islam a permis le passage de la famille patriarcale, dans laquelle la femme n’avait aucun droit, à la famille conjugale, dans laquelle elle est une moitié du couple » (op. cit., p. 45). Or, observe le journaliste franco-algérien Slimane Zéghidour, « en admettant la polygamie (polygynie devrait-on dire car seul l’homme peut disposer de plusieurs conjointes) à l’instar du judaïsme – jusqu’à quatre épouses concomitantes -, et en autorisant le mari à répudier unilatéralement les indésirables, l’islam ignore tout simplement la notion de conjugalité, si fondamentale dans le christianisme » (Le voile et la bannière, Hachette, 1990, p. 13).

    C’est en effet l’enseignement du Christ qui a institué le mariage monogame et sacramentel, comme cela est rapporté dans l’Évangile (cf. Mt 19, 4-6 ; Mc 10, 6-9).

    Tout en exprimant leur préférence pour la monogamie, les trois intellectuelles musulmanes justifient la pratique du mariage polygame ou portent sur elle des regards accommodants,

    A. Lamrabet : « Le verset qui parle de la polygamie est l’exemple type des versets conjoncturels spécifiques au contexte de l’époque et qui ont accompagné, en douceur, la révolution des mœurs sociales de l’Arabie au moment de la révélation coranique […]. Il s’agit là non point d’un verset législatif éternel mais d’une permission donnée afin de remédier à une situation sociale contraignante ». Pour elle, l’évidence saute aux yeux : « La peur de l’iniquité interdit la polygamie et comme l’équité entre épouses y est inapplicable, celle-ci devient de fait très improbable à concrétiser » (op. cit., p. 75-77).

    N. Tabbara : « Pour ne pas introduire une rupture radicale insurmontable dans les habitudes sociales du temps de la Révélation, le Coran aurait usé de psychologie en limitant la pratique polygame et par le nombre et par les conditions pour, graduellement, faire comprendre que Dieu veut la monogamie » (op. cit., p. 109-110).

    Sur ce point, G. A

  • L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (168), 1962 : L'Algérie française, un essai de Bilan...

    1AC.JPG

    (Source : le Site de Jean Sévillia. Les vérités cachées de la guerre d'Algérie, article de Jean Sévillia, paru dans Le Figaro Magazine - 10/03/2012) 

    Le 18 mars 1962, la signature des accords d'Evian allait mettre fin à 130 ans de souveraineté française en Afrique du Nord. Un demi-siècle plus tard, il est temps de raconter le conflit qui a conduit à l'indépendance de l'Algérie sans occulter une part de la réalité.

    1 L'Algérie, une création française...


    "L'Algérie heureuse" : dans la mémoire des Français nés "là-bas", l'expression évoque un art de vivre, des couleurs, des odeurs et des saveurs dont le souvenir, un demi-siècle après, les hante encore. Mais de quand dater cette Algérie heureuse ? D'avant 1954, année de l'insurrection déclenchée par le FLN ? D'avant la Seconde Guerre mondiale quand, dans la foulée du centenaire du débarquement français en Algérie (1930) et de l'Exposition coloniale (1931), l'idée d'« Empire » faisait rêver les Français ?
    Historiquement, l'Algérie est une création de la France. Au début du XIXe siècle, le pays n'est qu'une juxtaposition de territoires peuplés de tribus hétérogènes (Arabes, Kabyles, Chaouias, Touareg...) et de contrées inhabitées. Ce sont les colonisateurs qui, après les dures guerres de conquête menées jusqu'en 1870, dessinent des frontières, tracent des routes, bâtissent des villes et créent des institutions, conférant une unité à un espace organisé en trois départements français.
    A côté des "indigènes" (mot d'époque), l'Algérie devient une colonie de peuplement. Aux habitants venus de métropole s'ajoutent des Espagnols, des Italiens ou des Maltais qui, au fil du temps, acquièrent la nationalité française. Français, les Juifs d'Algérie, eux, le sont depuis 1870. Tous ceux-là, qu'on appelle les Européens, constituent une communauté originale, nourrie par les idéaux de la IIIe République : patriotisme, instruction publique, morale civique, promotion sociale. Les colons proprement dits, parmi eux, ne sont qu'une poignée : moins de 20 000 vers 1950. La plupart sont des citadins dont beaucoup exercent de petits métiers : songeons à l'enfance pauvre d'Albert Camus.

    Cette société est mêlée. Européens et musulmans vivent côte à côte, fréquentant les mêmes bancs d'école. Cependant, alors que les élites indigènes aspirent à l'intégration (voir le parcours de Ferhat Abbas), les milieux dirigeants coloniaux sont hostiles à toute réforme politique. Aussi apparaît-il, à côté d'un authentique loyalisme indigène nourri par la fraternité des batailles de 1914-1918 et de 1943-1945, un courant autonomiste qui se transforme bientôt en courant indépendantiste. Le 8 mai 1945, à Sétif, une émeute aboutit à l'assassinat d'une vingtaine d'Européens, drame qui provoque une impitoyable répression. Vers 1950, deux populations coexistent en Algérie. D'un côté 900 000 Européens, citadins en majorité, jouissant de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté. De l'autre 8 millions de musulmans, majoritairement ruraux, et souffrant du sous-équipement hors des trois grandes villes, Alger, Oran et Constantine.
    « L'assimilation de l'Algérie à la France avait déjà échoué en 1954, avant même le déclenchement de l'insurrection », estime Guy Pervillé, un spécialiste de l'Algérie coloniale (1). L'Algérie heureuse ? La formule est donc vraie, mais ne traduit pas la fragilité de la situation.

    2 Une violence extrême dans les deux camps...


    L'insurrection éclate à la Toussaint 1954. Le 31 octobre, le FLN a annoncé son intention de parvenir à l'indépendance « par tous les moyens ». Les attentats s'enchaînent alors. Le 20 août 1955, à El-Halia, dans le Constantinois, 71 civils européens sont massacrés. De 1955 à 1957, on passe de 5 Européens tués à 50 par mois. De la part des indépendantistes, cette stratégie vise à creuser le fossé entre les communautés. Mais les rebelles exercent également la terreur sur leurs frères musulmans : notables, caïds, anciens combattants ou gardes champêtres sont les premières cibles, victimes d'abominables sévices (mutilations faciales, émasculations, égorgements, éviscérations). En 1956, une moyenne de 16 musulmans pro-français sont assassinés chaque jour. En ville, le FLN pratique le terrorisme aveugle, posant des bombes dans les cafés, les stades, les autobus ou les cinémas. Le 30 septembre 1956, à Alger, on relève 60 blessés ; le 10 février 1957, 9 morts et 45 blessés ; le 3 juin 1957, 8 morts et 90 blessés...

    Le FLN se présente par ailleurs comme un parti révolutionnaire qui a pour vocation, ses buts atteints, d'exercer seul le pouvoir. Dès lors que le Mouvement national algérien de Messali Hadj refuse cette logique, le FLN mène contre lui une lutte féroce, appliquant à ses concurrents les mêmes méthodes que celles utilisées contre les Européens ou les indigènes loyalistes. En 1957, 315 musulmans du village de Melouza, réputé fidèle à Messali Hadj, sont liquidés par le FLN. La violence de ce dernier s'exerce aussi en métropole, tant contre les forces de l'ordre que contre les travailleurs algériens rétifs à ses mots d'ordre.
    Le 3 avril 1955, l'état d'urgence est proclamé en Algérie. Le 12 mars 1956, à Paris, l'Assemblée approuve l'attribution des pouvoirs spéciaux à l'armée, mesure demandée par le chef du gouvernement, le socialiste Guy Mollet, et obtenue grâce au soutien des députés communistes. A Alger, en janvier 1957, les « pleins pouvoirs civils et militaires » sont encore confiés par Guy Mollet au général Massu, commandant de la 10e division parachutiste. Afin de mettre les poseurs de bombes hors d'état de nuire, les soldats remontent les filières, arrêtent les coupables et leurs soutiens musulmans ou européens. Les uns après les autres, les chefs sont capturés : 122 attentats ont été commis à Alger en décembre 1956, 6 en août 1957, aucun en novembre 1957.
    Pour parvenir à ce résultat, quelles méthodes ont été utilisées ? Hélie de Saint Marc, dans ses Mémoires, évoque la bataille d'Alger qui, « dans la suite d'épreuves que ma génération de soldats a eue à affronter, reste sûrement la plus amère : au paroxysme du terrorisme, la France a répondu par le paroxysme de la répression ». Il est aujourd'hui établi que, dans la traque aux terroristes, des interrogatoires violents ont été pratiqués, sans qu'on puisse incriminer globalement toute l'armée française d'avoir utilisé la torture.
    A la guerre, la fin justifie-t-elle les moyens ? Non, répondent la morale et l'honneur. Mais la guerre révolutionnaire bouscule les codes habituels, puisque le terrorisme ignore lui-même la morale et l'honneur. C'est le FLN qui a revendiqué, en 1954, le droit d'employer « tous les moyens ». Chronologiquement, c'est lui qui porte la première responsabilité dans la montée aux extrêmes qui a caractérisé la guerre d'Algérie.

    3 Une guerre gagnée par l'armée française...


    C'est seulement le 5 octobre 1999 que le Parlement français a rétroactivement reconnu l'existence d'un « état de guerre » en Algérie de 1954 à 1962. Une mesure qui a pris en compte la réalité : ce conflit, tous bords confondus, a provoqué environ 300 000 victimes militaires ou civiles.
    A leurs débuts, le FLN et sa branche militaire, l'Armée de libération nationale (ALN), représentent quelques centaines d'hommes, sans prise sur la population. En 1956, l'extension de la rébellion conduit Guy Mollet à faire appel au contingent. Afin de répondre à la stratégie indépendantiste visant à séparer les communautés, la doctrine politique et militaire de la IVe République, a contrario, obéit à deux principes : intégration et pacification. La dimension civile et la dimension militaire de ces deux objectifs étant intimement liées, l'armée se trouve chargée par le gouvernement de la République de missions qui, en métropole, relèvent de l'autorité civile.

    Pour les militaires, les opérations dans les départements algériens font suite à la guerre d'Indochine. Elément capital. D'une part, parce que les officiers ne veulent pas subir une nouvelle défaite. D'autre part, parce qu'ils vont appliquer en Afrique du Nord des recettes expérimentées au Tonkin ou en Annam, en tentant de mettre les autochtones de leur côté. Dans le djebel, pendant que les unités d'élite, légionnaires et parachutistes, traquent les maquisards, la troupe quadrille le pays. De leur côté, les Sections administratives spéciales (SAS) organisent l'autodéfense des musulmans contre les terroristes, et édifient des écoles et des dispensaires là où l'incurie administrative avait délaissé la population rurale indigène.

    En octobre 1956, un détournement d'avion couvert par le gouvernement permet l'arrestation des chefs extérieurs du FLN. L'organisation terroriste urbaine des indépendantistes est anéantie, en 1957, lors de la bataille d'Alger. A partir de 1957, la construction d'une ligne fortifiée le long de la frontière entre l'Algérie et la Tunisie isole de leurs bases les bandes de l'ALN. Privées d'armes et de renforts, celles-ci sont progressivement mises hors de combat. En 1959, de Gaulle étant président de la République, un nouveau dispositif militaire, le plan Challe, s'emploie à pacifier définitivement le territoire ; 400 000 hommes, contingent compris, et 210 000 supplétifs musulmans servent sous le drapeau français. Au printemps 1960, l'armée a gagné : sur 46 000 fellaghas, l'ALN a perdu 26 000 tués et 10 000 prisonniers.
    Cette indéniable réussite est aujourd'hui occultée. Christophe Dutrône, un historien qui vient de lui consacrer un livre, observe néanmoins que « la victoire militaire acquise sur le terrain n'aurait pu être pérennisée qu'en allant jusqu'au bout de la logique d'intégration amorcée en 1958 (2) » . Le vrai tournant de la guerre d'Algérie sera donc politique.

    4 L'indépendance : un choix politique de De Gaulle...


    Georgette Elgey, auteur d'une Histoire de la IVe République, déplore de voir certains jeunes chercheurs se demander pourquoi, après la « Toussaint rouge », Pierre Mendès France, le président du Conseil, n'avait pas parlé de « guerre d'Algérie ». L'historienne dénonce cet anachronisme : en 1954, personne, en France, n'avait idée qu'une guerre commençait sur le territoire national. Car pour tous, de la gauche à la droite, l'appartenance de l'Algérie à la France relevait de l'évidence.
    Après le déclenchement de l'insurrection, le radical Pierre Mendès France tient en effet un discours très ferme : « On ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre la paix intérieure de la nation, l'unité, l'intégrité de la République : les départements d'Algérie constituent une partie de la République française. » Un point de vue corroboré par le ministre de l'Intérieur, un certain François Mitterrand, qui rappelle que « l'Algérie, c'est la France ».
    Jusqu'en 1958, même à gauche, ceux qui songent à l'indépendance sont très minoritaires. Comment en serait-il autrement, dès lors que la IVe République engage des moyens militaires et financiers considérables en Algérie ?

    En vue de ramener le général de Gaulle au pouvoir, ses partisans exploitent le sentiment Algérie française. Le 13 mai 1958, dans une étonnante ambiance de fraternité franco-musulmane, un comité de salut public constitué à Alger engage un bras de fer avec Paris, appelant de Gaulle au gouvernement. Le 29 mai, le président de la République, René Coty, nomme le Général à la présidence du Conseil.
    Le 4 juin 1958, à Alger, devant une foule enthousiaste, le Général lâche sa célèbre phrase : « Je vous ai compris. » En apparence, tout donne à penser qu'il poursuivra la politique algérienne de ses prédécesseurs. En octobre 1958, le plan de Constantine prévoit un programme d'investissements économiques sur cinq ans. Et le Général soutient l'armée dans sa lutte contre la rébellion : « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l'Algérie », affirme-t-il encore en août 1959.

    La population européenne, les militaires et les musulmans loyalistes sont dès lors convaincus que la France restera en Algérie. Cruel malentendu. Car le 16 septembre 1959, de Gaulle proclame le droit des Algériens à l'autodétermination.

    A quel moment s'y est-il résolu ? Ce débat divise les historiens. La plupart, aujourd'hui, estiment que le Général est arrivé au pouvoir en sachant qu'il allait donner l'indépendance à l'Algérie. De Gaulle - il le dira à Alain Peyrefitte - ne croit pas à l'intégration des musulmans et il nourrit de grands projets qui, à ses yeux, supposent de tourner la page coloniale de l'histoire de France. Le chef de l'Etat sait de plus que l'opinion métropolitaine le suivra, comme le prouvera le référendum de janvier 1961 (79 % de voix pour l'autodétermination). L'Algérie française est condamnée.

    5 Pieds-noirs et harkis : les drames de l'après-19 mars...


    Ni l'insurrection des pieds-noirs algérois lors de la semaine des barricades (janvier 1960), ni le putsch des généraux (avril 1961), ni l'irruption brutale de l'OAS dans un jeu désespéré ne feront obstacle au processus enclenché par les discussions ouvertes entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Au terme de multiples péripéties, ces négociations conduisent à la signature des accords d'Evian, le 18 mars 1962, et au cessez-le-feu proclamé le lendemain, acte ratifié par référendum, en France métropolitaine, par 90 % des suffrages, le 8 avril suivant.

    Cependant ni Ahmed Ben Bella, prisonnier en métropole depuis 1956, ni le colonel Houari Boumediene, chef de l'ALN basée en Tunisie et au Maroc, n'ont été associés aux pourparlers d'Evian. Ces deux pionniers de l'indépendance, récusant le GPRA, videront de leur contenu les rares clauses de sauvegarde prévues par les négociateurs français à propos des Européens d'Algérie.

    Le 26 mars 1962, une manifestation de pieds-noirs, interdite mais pacifique, est mitraillée par la troupe française, rue d'Isly, à Alger, dans des circonstances controversées : le bilan est de 49 morts et de près de 200 blessés. Dans les villes ou dans le bled, à cette époque, les rapts d'Européens se multiplient. L'historien Jean-Jacques Jordi, qui vient d'étudier ce drame occulté, recense 1 630 personnes enlevées qui n'ont jamais été retrouvées, dont 1 300 entre le 19 mars et la fin de l'année 1962 (3). Selon la formule célèbre, les Français d'Algérie ont le choix entre la valise et le cercueil. Pendant qu'une bataille sans issue entre l'OAS et le FLN embrase les villes d'Algérie, 700 000 pieds-noirs, en quatre mois, franchissent la Méditerranée afin de gagner un pays qu'ils ne connaissent pas et qui ne les attend pas, laissant derrière eux leur véritable patrie, leurs tombes et leurs biens. Le 5 juillet, premier jour de l'indépendance algérienne, 700 Européens sont tués à Oran, sans que l'armée française intervienne (4).

    Parallèlement, une autre tragédie se déroule. A partir du 19 mars, les 150 000 supplétifs musulmans de l'armée française sont désarmés. Pour le FLN, les harkis sont des traîtres. Afin de protéger leurs hommes, certains officiers français les font passer en métropole avec leurs familles. Le 12 mai, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes et négociateur d'Evian, ordonne de les renvoyer en Algérie. A partir de juillet 1962, les anciens harkis, abandonnés par la France, sont systématiquement assassinés par les vainqueurs, dans des conditions d'une horreur inimaginable. L'historien Maurice Faivre évalue le nombre de victimes de ce massacre entre 60 000 et 80 000 hommes, femmes et enfants (5).

    Cent trente ans de souveraineté française sur l'Algérie ont pris fin dans les larmes et le sang. Ce désastre pouvait-il être évité ? En retracer les tenants et aboutissants, en tout cas, nécessite de dire toute la vérité : dans l'histoire des peuples, le bien ou le mal sont rarement d'un seul côté.

    Jean Sévillia

    (1) La France en Algérie, 1830-1954, de Guy Pervillé, Vendémiaire. 
    (2) La Victoire taboue. Algérie, la réussite tactique de l'armée française, de Christophe Dutrône, Editions du Toucan. 
    (3) Un silence d'Etat. Les disparus civils européens de la guerre d'Algérie, de Jean-Jacques Jordi, Editions Soteca. 
    (4) Oran, 5 juillet 1962. Un massacre oublié, de Guillaume Zeller, Tallandier. 
    <

  • GRANDS TEXTES (18), ou ANTI GRAND TEXTE : Discours de Maximilien de Robespierre (première intervention, le 3 décembre 17

    Il y a 18 ans, le jeune Maximilien de Robespierre avait eu à féliciter le roi Louis XVI rentrant à Paris après son couronnement à Reims, le 15 juin 1775 (Maximilien avait alors 17 ans accomplis). C'était rue Saint-Jacques, devant le Collège Louis-le-Grand. Le professeur de rhétorique avait rédigé pour la cérémonie un compliment superbe en vers, que Robespierre fut chargé de dire, comme étant l'un des élèves les plus doués et les plus méritants. Il pleuvait à seaux ce jour-là, mais le jeune Maximilien était infiniment fier d'avoir eu «l'honneur» de saluer ce jeune roi qui incarnait aux yeux de la nation toute entière les espérance d'un avenir prometteur pour la France.

     

    robespierre1.jpg

    Robespierre, avant...

     

    Aujourd'hui, dix-huit ans plus tard, ce 3 décembre 1792, il prononce les mots terribles que l'on va lire ci-dessous, dans ce véritable discours fondateur de tous les Totalitarismes modernes. C'est à l'ouverture du pseudo-procès de Louis XVI : c'est toujours le même Robespierre et, pourtant il n'est plus le même : le jeune élève brillant et prometteur est devenu un idéologue endurci, sec et froid.

    C'est à lui que s'adressera quelques jours plus tard le courageux De Sèze: "Français, la révolution qui vous régénère a développé en vous de grandes vertus ; mais craignez, qu’elle n’ait affaibli dans vos âmes le sentiment de l’humanité, sans lequel il ne peut y en avoir que de fausses !".

    De Sèze a courageusement et intelligemment démasqué les idéologues, se voulant régénérateurs et purificateurs, persuadés d'oeuvrer pour l'Homme, mais n'ayant aucune forme de pitié ou de considération pour les hommes.

    Mais Robespierre et la Convention n'entendront évidemment pas le message. Comment Robespierre et ses affidés, un Saint Just par exemple, pourraient-il l'entendre, ce message, lorsque le même Saint Just osait proférer (toujours lors du pseudo-procès de Louis XVI): "Je ne juge pas, je tue... Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavres"...

    C'est trop tard : Robespierre est mort, du moins le jeune et brillant élève qui recevait et complimentait le Roi lors de son retours de Reims. L'a remplacé un idéologue aveuglé par sa confiance en lui-même et en ses principes, qu'il croit supérieurs et qu'il veut appliquer à tout prix, ne se rendant absolument pas compte, absolument plus compte, qu'il est devenu la parfaite incarnation de la terrible prophétie de Frédéric II à Voltaire : « Nous avons connu le fanatisme de la foi. Peut-être connaîtrons-nous, mon cher Voltaire, le fanatisme de la raison, et ce sera bien pire »...

    Oui, c'est bien un fanatique, sec et froid, qui s'exprime d'une façon presque métallique, pourrait-on dire, ce 3 décembre, lors de l'ouverture du pseudo-procès de Louis XVI. Et qui prononce les paroles monstrueuses que l'on va lire, et que reprendront mot pour mot les Staline, Hitler, Mao, Pol Pot et autres monstres secs et froids des Totalitarismes modernes, qui ont tous pour père et modèle le même et unique Maximilien de Robespierre.

    Oui, l'on entend déjà, en lisant ce monstrueux discours et cette aberrante logique, ce que diront les enfants de Robespierre plus tard, bien plus tard, eux qui auront bien compris et bien assimilé cette infernale logique:

    A quoi bon juger ces Juifs, dira Hitler, la race aryenne ne saurait être soupçonnée d'erreur(s) dans ses pensées, ses jugements ou ses actes, puisqu'elle est "supérieure" (!). Ces juifs doivent donc mourir, sinon c'est admettre l'idée que la race aryenne a pu se tromper, ce qui est impossible... A quoi bon juger ces dissidents, dira Staline, la classe ouvrière est l'avant-garde consciente qui a reçu pour mission de faire éclore l'Histoire et de l'achever. Elle marche dans le sens de l'Histoire, et l'idée même de juger quelqu'un qui s'oppose à elle -et qui ne peut donc être qu'un traître ou un malade- serait admettre l'idée que la classe ouvrière pourrait se tromper, ce qui est impossible.....

    Donc, on ne juge pas, on tue, pour reprendre telle quelle la formule de Saint Just, ce grand ami de Robespierre, et l'un de ses alter ego...

    ROBESPIERRE.JPG

    ...Robespierre

               

    On le voit, le tout de la mécanique infernale est contenu dans le discours de Robespierre, qui est une vraie bombe, insuffisamment lu, insuffisamment étudié. Ce discours est bien l'acte fondateur, la parole fondatrice de tous les procès nazis ou staliniens de l'histoire, de tous les Totalitarismes, de tous les Génocides....

    Discours sur le jugement de Louis XVI (1ère intervention)
    prononcé à la tribune de la Convention le 3 décembre 1792

     

     

    L'assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n'y a point ici de procès à faire. Louis n'est point un accusé. Vous n'êtes point des juges. Vous n'êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État, et les représentants de la nation. Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer.

     

    Un roi détrôné, dans la république, n'est bon qu'à deux usages : ou à troubler la tranquillité de l’État et à ébranler la liberté, ou à affermir l'une et l'autre à la fois.

     

    Or, je soutiens que le caractère qu'a pris jusqu'ici votre délibération va directement contre ce but. En effet, quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la république naissante ? C'est de graver profondément dans les coeurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi.

    LOUIS XVI BUSTE PAR PAJOU.jpg
    Louis XVI, buste de Pajou
     

     

    Donc, présenter à l'univers son crime comme un problème, sa cause comme l'objet de la discussion la plus imposante, la plus religieuse, la plus difficile qui puisse occuper les représentants du peuple français ; mettre une distance incommensurable entre le seul souvenir de ce qu'il fut, et la dignité d'un citoyen, c'est précisément avoir trouvé le secret de le rendre encore dangereux à la liberté.

    Louis fut roi, et la république est fondée : la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes : Louis dénonçait le peuple français comme rebelle : il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères ; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé : il est déjà condamné, ou la république n'est point absoute.

    Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c'est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c'est une idée contre-révolutionnaire, car c'est mettre la révolution elle-même en litige.  

    En effet, si Louis peut être encore l'objet d'un procès, il peut être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? il est présumé l'être jusqu'à ce qu'il soit jugé : mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ?

    Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs ; les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l'innocence opprimée ; tous les manifestes des Cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a subie jusqu'à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l'empire français sont coupables: et ce grand procès pendant au tribunal de la nature, entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie.

     

    louis xvi conduit a la convention.jpg 
    Louis XVI conduit à la Convention pour son procès, gravure du temps
     
     

                

    Citoyens, prenez-y garde ; vous êtes ici trompés par de fausses notions, Vous confondez les règles du droit civil et positif avec les principes du droit des gens ; vous confondez les rapports des citoyens entre eux, avec ceux des nations à un ennemi qui conspire contre elles. Vous confondez aussi la situation d'un peuple en révolution avec celle d'un peuple dont le gouvernement est affermi.

    Vous confondez une nation qui punit un fonctionnaire public, en conservant la forme du gouvernement, et celle qui détruit le gouvernement lui-même. Nous rapportons à des idées qui nous sont familières an cas extraordinaire, qui dépend de principes que nous n'avons jamais appliqués.

    Ainsi, parce que nous sommes accoutumés à voir les délits dont nous sommes les témoins jugés selon des règles uniformes, nous sommes naturellement portés à croire que dans aucune circonstance les nations ne peuvent avec équité sévir autrement contre un homme qui a violé leurs droits ; et où nous ne voyons point un juré, un tribunal, une procédure, nous ne trouvons point la justice. 

    Ces termes mêmes, que nous appliquons à des idées différentes de celles qu'elles expriment dans l'usage ordinaire, achèvent de nous tromper. Tel est l'empire naturel de l'habitude, que nous regardons les conventions les plus arbitraires, quelquefois même les institutions les plus défectueuses comme la règle absolue du vrai ou du faux, du juste ou de l'injuste.

    Nous ne songeons pas même que la plupart tiennent encore nécessairement aux préjugés dont le despotisme nous a nourris. Nous avons été tellement courbés sous son joug que nous nous relevons difficilement jusqu'aux éternels principes de la raison ; que tout ce qui remonte à la source sacrée de toutes les lois semble prendre à nos yeux un caractère illégal, et que l'ordre même de la nature nous paraît un désordre.

     

    louis xvi interroge convention 26 DECEMBRE 92.jpg
    26 décembre 1792 : Louis XVI interrogé à la Convention (salle du Manège), gravure du temps
     
     

               

    Les mouvements majestueux d'un grand peuple les sublimes élans de la vertu, se présentent souvent à nos yeux timides comme les éruptions d'un volcan ou le renversement de la société politique ; et certes ce n'est pas la moindre cause des troubles qui nous agitent que cette contradiction entre la faiblesse de nos moeurs, la dépravation de nos esprits, et la pureté des principes, l'énergie des caractères que suppose le gouvernement libre auquel nous osons prétendre.

    Lorsqu'une nation a été forcée de recourir au droit de l'insurrection, elle rentre dans l'état de la nature à l'égard du tyran. Comment celui-ci pourrait-il invoquer le pacte social ? Il l'a anéanti : la nation peut le conserver encore, si elle le juge à propos, pour ce qui concerne les rapports des citoyens entre eux ; mais l'effet de la tyrannie et de l'insurrection, c'est de les constituer réciproquement en état de guerre. Les tribunaux, les procédures judiciaires ne sont faites que pour les membres de la cité.  

    C'est une contradiction trop grossière de supposer que la Constitution puisse présider à ce nouvel ordre de choses : ce serait supposer qu'elle survit à elle-même. Quelles sont les lois qui la remplacent ? celles de la nature ; celle qui est la base de la société même, le salut du peuple : le droit de punir le tyran et celui de le détrôner, c'est la même chose : l'un ne comporte pas d'autres formes que l'autre. Le procès du tyran, c'est l'insurrection ; son jugement, c'est la chute de sa puissance ; sa peine, celle qu'exige la liberté du peuple.

    Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant : et cette justice vaut bien celle des tribunaux. Si c'est pour leur salut qu'ils s'arment contre leurs oppresseurs, comment seraient-ils tenus d'adopter un mode de les punir qui serait pour eux-mêmes un nouveau danger ?

    Nous nous sommes laissé induire en erreur par des exemples étrangers qui n'ont rien de commun avec nous. Que Cromwell ait fait juger Charles Ier par une commission judiciaire dont il disposait ; qu'Elisabeth ait fait condamner Marie d'Ecosse de la même manière, il est naturel que des tyrans qui immolent leurs pareils, non au peuple, mais à leur ambition, cherchent à tromper l'opinion du vulgaire par des formes illusoires : il n'est question là ni de principes, ni de liberté, mais de fourberie et d'intrigue. Mais le peuple, quelle autre loi peut-il suivre que la justice et la raison appuyées de sa toute-puissance ?

    barere.jpg 

    Face à l'argumentation de Robespierre, les "pour" et les "contre" :

    Bertrand Barère (1755-1841) est "pour". Avocat au parlement de Toulouse, il est élu par le tiers-état aux Etats Généraux de 1789. Il préside la Convention pendant le procès de Louis XVI et plaide pour la peine de mort...

     

               

    Dans quelle république la nécessité de punir le tyran fut-elle litigieuse ? Tarquin fut-il appelé en jugement ? Qu'aurait-on dit à Rome si des Romains avaient osé se déclarer ses défenseurs ? Que faisons-nous ? Nous appelons de toutes parts des avocats pour plaider la cause de Louis XVI ; nous consacrons comme des actes légitimes ce qui, chez tout peuple libre, eût été regardé comme le plus grand des crimes ; nous invitons nous-mêmes les citoyens à la bassesse et à la corruption : nous pourrons bien un jour décerner aux défenseurs de Louis des couronnes civiques, car, s'ils défendent sa cause, ils peuvent espérer de la faire triompher : autrement vous ne donneriez à l'univers qu'une ridicule comédie. Et nous osons parler de république !

    Nous invoquons des formes parce que nous n'avons pas de principes ; nous nous piquons de délicatesse, parce que nous manquons d'énergie ; nous étalons une fausse humanité, parce que le sentiment de la véritable humanité nous est étranger ; nous révérons l'ombre d'un roi, parce que nous ne savons pas respecter le peuple ; nous sommes tendres pour les oppresseurs, parce que nous sommes sans entrailles pour les opprimés.

    Le procès à Louis XVI ! Mais qu'est-ce que ce procès, si ce n'est l'appel de l'insurrection à un tribunal ou à une assemblée quelconque ? Quand un roi a été anéanti par le peuple, qui a le droit de le ressusciter pour en faire un nouveau prétexte de trouble et de rébellion, et quels autres effets peut produire ce système ? En ouvrant une arène aux champions de Louis XVI, vous renouvelez les querelles du despotisme contre la liberté, vous consacrez le droit de blasphémer contre la république et contre le peuple ; car le droit de défendre l'ancien despote emporte le droit de dire tout ce qui tient à sa cause.

    Vous réveillez toutes les factions, vous ranimez, vous encouragez le royalisme assoupi ; on pourra librement prendre parti pour ou contre.

    Quoi de plus légitime, quoi de plus naturel que de répéter partout les maximes que ses défenseurs pourront professer hautement à votre barre et dans votre tribune même ! Quelle république que celle dont les fondateurs lui suscitent de toutes parts des adversaires pour l'attaquer dans son berceau ! Voyez quels progrès rapides a déjà faits ce système.

    saintjust.jpg

    ...Tout comme Louis-Antoine-Léon de Saint Just :

    "Les hommes qui vont juger Louis ont une République à fonder; ceux qui attachent quelque importance au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une République... Pour moi je ne vois point de milieu, cet homme doit régner ou mourir"

     

               

    A l'époque du mois d'août dernier, tous les partisans de la royauté se cachaient : quiconque eût osé entreprendre l'apologie de Louis XVI eût été puni comme un traître. Aujourd'hui ils relèvent impunément un front audacieux ; aujourd'hui les écrivains les plus décriés de l'aristocratie reprennent avec confiance leurs plumes empoisonnées ou trouvent des successeurs qui les surpassent en impudeur.

    Aujourd'hui des écrits précurseurs de tous les attentats inondent la cité où vous résidez. les 83 départements, et jusqu'au portique de ce sanctuaire de la liberté.

  • Vient de paraître : Michel Mohrt - Portrait, par Yves Loisel

    michel mohrt.jpg

    Editions Coop Breizh, 160 pages, 15 euros

     

    Yves Loisel vient de publier un livre sur l'académicien Michel Mohrt, aux éditions Coop Breizh (basées à Spézet dans le Finistère) : "Michel Mohrt - Portrait". Beaucoup, parmi nos lecteurs, se souviendront que, du temps du mensuel Je suis Français, Pierre Builly et François Davin avaient intérrogé Michel Mohrt, ainsi qu'une bonne trentaine d'autres inetllectuels et écrivains, et que l'ensemble de ces entretiens avait constitué une sorte de collection de grand intérêt... 

    Yves Loisel a rencontré Michel Mohrt une dizaine de fois lorsqu'il était journaliste au Télégramme, et l'a longuement interviewé. Son livre retrace les grandes lignes de sa vie et constitue surtout un portrait intellectuel et psychologique.

    Voici l'entretien qu'il a accordé, lors de la sortie de l'ouvrage, au blog des éditions Coop Breizh :

    Originaire de Morlaix, Michel Mohrt (1914-2011) était un écrivain discret. Académicien français, romancier de premier ordre, fin connaisseur de la littérature américaine, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont une quinzaine de romans où s’entremêlent, pour l’essentiel, des épisodes liés à la Seconde Guerre mondiale et les amours, souvent tourmentées, que vivent ses personnages.

    Pour autant, bien que se réclamant de la France conservatrice et même traditionnelle, Michel Mohrt n’a pas écrit des romans à thèse, un genre qu’il désapprouvait : il entendait être, avant tout, un témoin de son temps et un raconteur d’histoires. Qui était donc cet homme élégant à l’allure si britannique ? Un réactionnaire inflexible ? Un anticonformiste ? Un anarchiste désabusé ? Au lecteur de se forger une opinion à travers ce portrait où se révèlent une personnalité riche et un caractère bien trempé.

    L’auteur : ancien journaliste au Télégramme, Yves Loisel est l’auteur de trois ouvrages : * Xavier Grall – Biographie (éditions Jean Picollec, 1989 ; réédition Le Télégramme, 2000);

    *  Louis Guilloux – Biographie (éditions Coop Breizh, 1999);

    * Voix et Visages – Rencontres avec 32 écrivains de Bretagne (Coop Breizh, 2000).

     

    Coop Breizh. Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Michel Mohrt ?

    Yves Loisel.  Quand il est mort au mois d’août 2011, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait un livre à écrire sur sa vie et son œuvre, tant l’une et l’autre avaient été riches et, par certains côtés, très originales. J’ajouterai que l’homme lui-même était passionnant. Il y avait chez lui des convictions fortement ancrées et, dans le même temps, on le sentait traversé par de nombreux doutes et interrogations.
    Tout en relisant ses romans et ses essais – une trentaine d’ouvrages au total -, je me suis donc replongé dans mes dossiers et me suis aperçu que je disposais d’une abondante documentation. J’avais notamment de nombreux articles de presse le concernant : les premiers remontent à 1989. Pourquoi les avais-je conservés dès cette époque-là, alors que je ne connaissais pas encore Michel Mohrt et que j’ignorais, bien entendu, que j’écrirai un jour un livre sur lui ? Mystère… J’avais aussi de très nombreuses notes personnelles : au total, en effet, je l’ai rencontré – et longuement – à dix reprises, en Bretagne et à Paris. J’avais donc là une mine d’informations, souvent inédites, qu’il me paraissait intéressant de faire connaître au public.

    C.B. N’est-il pas un peu oublié aujourd’hui ?

    Y.L. Michel Mohrt était assurément un homme discret, réservé, qui ne recherchait pas les micros et les caméras ! Il avait été très marqué par la Seconde Guerre mondiale, en particulier par la défaite de 1940 quand l’armée allemande a enfoncé, en quelques semaines, les lignes françaises avant d’occuper le pays. Je crois qu’à ce moment-là, quelque chose s’est brisé en lui. Il n’avait pourtant que vingt-six ans à cette époque mais cette défaite a été le drame de sa vie : il  ne s’en est jamais remis. En outre, elle a influé de façon radicale non seulement sur ses idées mais aussi sur sa personnalité, sa façon de regarder son pays, et même d’envisager la vie. D’où, sans doute, un certain repli sur lui-même et sur des valeurs appartenant à la France d’avant-guerre, ce qui explique sa discrétion et son absence sur le devant de la scène littéraire.

    C.B. Comment définir son œuvre ?

    Y.L. C’est un écrivain talentueux, un excellent romancier. Lui-même se définissait comme « un raconteur d’histoires », et il est vrai que lire Michel Mohrt est un régal ! Son style est léger – dans le bon sens du terme -, ses romans sont vifs, enlevés, bien menés. Ils contiennent beaucoup de dialogues, se lisent très facilement et ses personnages sont finement dessinés. Il n’y pas de longueurs : on y trouve peu de descriptions et encore moins d’analyses psychologiques. Il a cherché à placer ses personnages dans certaines situations et à les faire vivre, évoluer, en fonction des événements, sans jamais les juger ni commenter leur attitude. Mais c’est là une simplicité apparente : d’un roman à l’autre, apparaissent en filigrane des questions récurrentes qui sont autant d’allusions autobiographiques : comment se comporter face aux événements de son temps ? Faut-il s’engager ? Bref, comment vivre ? Surtout, comment être heureux ? A cet égard, les femmes occupent une grande place dans son œuvre car ses héros vivent des amours souvent compliquées !

    C.B. Michel Mohrt était un grand connaisseur de la littérature américaine contemporaine. Pourquoi ?

    Y.L. Aussitôt après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’est volontairement exilé aux Etats-Unis. Il était écœuré par les événements auxquels il assistait à Paris à cette époque : l’épuration, les règlements de comptes personnels, les retournements de vestes… Michel Mohrt  se rendait compte aussi que se mettait en place ce qu’il a appelé « une vérité officielle » à laquelle il ne pouvait adhérer : le mythe d’une France qui aurait été résistante dès le début du conflit, unie contre l’occupant, une France qui se serait libérée seule… Tout cela était contraire à ce qu’il avait vu et vécu, et il a donc préféré partir aux Etats-Unis, où il a enseigné et donné des conférences dans plusieurs universités. D’où le thème de l’émigration et du départ, que l’on trouve partout dans ses livres. C’est au cours de ce séjour de sept ans outre-Atlantique qu’il s’est familiarisé avec la littérature américaine, un domaine qu’il a considérablement développé aux éditions Gallimard pour qui il a travaillé pendant près de cinquante ans après son retour en France en 1952. Il a d’ailleurs écrit deux essais, remarquables de finesse, sur les écrivains américains.

    C.B. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur son rapport à la Bretagne.

    Y.L. « La Bretagne ne m’a jamais quitté » : je crois que c’est une des premières phrases qu’il a prononcées devant moi quand je l’ai rencontré pour la première fois à Paris en 1997. Michel Mohrt éprouvait un attachement très fort et sincère pour la Bretagne. Chez lui, ce n’était pas une pose. Du reste, quand on lit ses œuvres, qu’il s’agisse de ses romans ou de ses essais, on s’aperçoit qu’elle est partout présente – par ses paysages, à commencer par la mer, les ports, la navigation à la voile, etc. ; et aussi bien sûr par ses célébrités littéraires, en premier lieu Chateaubriand.
    Dans le même temps, Michel Mohrt était gêné par rapport à la Bretagne : académicien français, lecteur chez Gallimard, il habitait à Paris depuis de longues années, et cette situation ne lui laissait pas la conscience tranquille. Bien sûr, il revenait chaque été dans la maison de famille qu’il possédait à Locquirec, non loin de Morlaix, la ville où il était né. Mais malgré cela, il avait le sentiment d’avoir trahi sa région d’origine en la quittant à l’âge de vingt ans pour aller faire son service militaire dans le Midi. Il était jeune alors et il avait envie de voir du pays…

    C.B. Après vos deux ouvrages sur Xavier Grall et Louis Guilloux, c’est votre troisième biographie d’écrivain. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ce genre d’ouvrages ?

    Y.L. Les écrivains sont des êtres complexes, fragiles, d’une sensibilité à fleur de peau. Leur personnalité est souvent une mosaïque composée de tours et de détours, de contradictions. De vrais labyrinthes, souvent ! Ce qui m’intéresse, c’est de retracer leur parcours, de suivre le cheminement de leurs pensées, d’observer l’enchaînement des événements dans leur vie, de cerner au plus près leur caractère et leur façon d’être, sans porter de jugement sur tel ou tel aspect de leur existence ou de leur caractère.
    S’agissant de mon livre sur Michel Mohrt, on ne peut pas à proprement parler dire qu’il s’agit d’une « biographie ». C’est un portrait – mot qui est du reste le sous-titre qu’on trouve sur la couverture. Rédiger une biographie de Michel Mohrt aurait demandé à rencontrer des témoins (famille, amis, confrères écrivains, collègues de l’Académie française, critiques littéraires, etc.). Ce n’est pas le projet que j’avais en tête. Je pensais plutôt à un livre assez bref où apparaitraient certaines lignes de force, un ouvrage  mettant en lumière les principaux événements de la vie de Michel Mohrt, ses idées sur la société ainsi que les traits marquants de sa personnalité.

  • Le n° 34 de la Nouvelle Revue universelle vient de paraître : ”A nos amis, à nos abonnés, Ex praeterito spes in futurum”

    C’est du passé qu’on tire l’espoir en l’avenir. Au cours de cette année 2013, bien des anniversaires, centenaires ou autres, auront été célébrés.

    Pas question, ici, de tomber dans la « commémorationnite » qui sert à notre Etat républicain de substitut à son amnésie fondamentale.

    Pourtant, honorer les hommes ou les événements qui, à leur manière, ont fait la France, reste une occasion de rappeler comment s’est écrite au long des siècles, et continue de le faire tous les jours, notre aventure collective.

    Sans jamais oublier que la vraie tradition est critique : elle distingue ce qui construit de ce qui détruit. 

     

    NRU 34.jpg

    CAMUS, DIONYSOS ET APOLLON

     

    Mais une revue trimestrielle comme la Nouvelle Revue universelle est contrainte de faire des choix. Parmi les sujets que le sort a écartés, nous aurions pu dire en quoi Albert Camus, dans la grande dérive de notre époque, constitue un pôle non seulement de référence mais de résistance. D’autres l’ont fait, comme Jean Monneret, dans son livre Camus et le terrorisme (éd. Michalon), où il restitue la véritable réponse de Camus à un sympathisant du FLN algérien, après la remise du prix Nobel de littérature en 1957 : « En Camus_01.jpgce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. » Déformée par Le Monde, la phrase avait déclenché les hurlements des loups. Six ans plus tôt, Camus avait publié L’Homme révolté, une sorte de manuel d’histoire des idées, alors fort moqué par les meutes sartriennes, et qui a gardé toute sa justesse de vue, en particulier quand il évoque la Terreur et Louis XVI. Jean-François Mattéi, dans le numéro de décembre de Politique magazine, comme dans le remarquable petit essai qu’il lui a consacré, Comprendre Camus (éd. Max Milo), nous fait saisir comment ce pied-noir a pu résister aux pires déviations de son époque : au fondement de sa culture de pur Méditerranéen, imprégné de pensée grecque, il y eut le besoin – vital – d’assumer l’absurde du monde et la nécessité de la révolte tout en maîtrisant l’hubris barbare par un sens instinctif de la mesure. Dionysiaque et apollinien. Sa vie interrompue interdit de savoir jusqu’où l’aurait mené sa quête. Mais il ne nous est pas interdit de l’imaginer.

     

    NAPOLéON à LEIPZIG

     

    Dans un autre ordre de préoccupations, nous aurions pu évoquer un bicentenaire pratiquement passé sous silence en France, mais pas en Allemagne : la bataille de Leipzig, dite bataille des Nations, en 1813. « La bataille de Leipzig est une sorte de jugement dernier où se venge le passé, où se mêlent les vivants et les morts, et où apparaît ce qui était caché : la faiblesse du Grand Empire construit sur du prestige et des illusions » écrit Jacques Bainville dans son Napoléon, très heureusement cité par son biographe Dominique Decherf dans France catholique (du 15 octobre). Le Napoléon de Bainville, livre admirable ! On y comprend notamment comment, à cette bataille du 19 octobre 1813, les monstres que Napoléon avait imprudemment éveillés se sont retournés contre lui, faisant définitivement sombrer le mythe de la Grande Nation libératrice des peuples. Le rideau déchiré, les masques tombés, se découvraient sur la scène européenne les ruines de la paix de Westphalie, l’œuvre de Richelieu et Mazarin réduite en poussière. Et parmi les ombres, on aurait pu apercevoir, fantômes hallucinés, les deux guerres mondiales qui se profilaient. Car la grande leçon de Leipzig, c’est que les responsabilités allemandes dans les tragédies du XXe siècle ne sauraient en rien occulter celles de la France, de la France républicaine et impériale.

     

    L’OMBRE CHINOISE

     

    Pour en terminer avec les anniversaires, nous allons exhumer une très curieuse citation. Peu à peu, cela se voit, l’Europe décline – avec la France à l’avant-garde, si l’on ose dire, de cet effacement. à l’autre bout de l’espace eurasiatique, la Chine, en dépit de nombreux problèmes, ne cesse de progresser. Au moment même où elle s’offre une expédition lunaire, on apprend que le « PISA », programme de l’OCDE pour l’évaluation des niveaux scolaires, hissait sur le podium Shanghai et Hong-Kong, tandis que la France rétrogradait au 25e rang. Encore au même moment, on apprenait que la Chine venait de se voir confier la modernisation complète de la ligne ferroviaire Belgrade-Budapest. Deux capitales où les amis que devrait avoir la France auraient pu l’aider à gagner cet appel d’offres. Serbes et Hongrois ont préféré le dragon chinois… N’y a-t-il pas là de quoi nous rappeler cette étonnante réflexion, vieille de plus d’un siècle, du général Hamilton, attaché militaire anglais à Pékin en 1905, que rapportait Jacques Bainville : « Sous des conditions de paix perpétuelle où prévaudrait l'égalité industrielle et sociale de tous les hommes, le Chinois est aussi capable de détruire le travailleur blanc du type actuel et de le faire disparaître de la surface du globe que le rat brun fut capable de détruire et de chasser d'Angleterre le rat noir, moins énergique, moins dévorant, qui l'avait précédé. »

     

    FRANçOIS, « CARITAS ET RATIO »

     

    Le magazine américain Time a fait du pape François l’homme de l’année 2013. On ne saurait lui donner tort. François bouscule tout le monde. A commencer par nous-mêmes, mis face à nos responsabilités. Mais au-delà de ce qui touche à nos consciences personnelles, c’est tout le champ politique qui se voit brutalement labouré par le discours pontifical. Il vient rappeler que la doctrine sociale de l’Eglise n’est pas une bibine un peu tiède à consommer avec circonspection, un grimoire à ne consulter que quand ça nous pape-francois-time-magazine.jpgarrange mais pas quand ça nous dérange. Secousse salutaire qui, cependant, ne doit en rien nous empêcher de soulever toutes les questions nouvelles que pose notre époque. Notamment celle du phénomène d’ampleur universelle que constituent les migrations : si la pastorale de l’accueil des migrants a été largement développée, les questions soulevées par les effets des flux migratoires sur l’équilibre des nations souffrent d’un grave déficit de réflexion et d’interprétation chrétiennes. La question est urgente. Qu’on se souvienne qu’au XIXe siècle, pour la question ouvrière, l’encyclique Rerum novarum (1891) n’est intervenue que quarante ans après le Manifeste de Marx et cinquante après les premières interventions, en France, des royalistes sociaux (Villeneuve-Bargemont). Et vingt-cinq ans après la Lettre sur les Ouvriers du comte de Chambord…

     

    Concernant ce pape, une chose apparaît, ni rassurante, ni inquiétante, mais importante à comprendre : François – comme une bonne part de la catholicité sud-américaine – est resté très marqué par son prédécesseur Paul VI. Rappelons que ce pontificat, en plus d’avoir placé Vatican II sur ses rails, a donné lieu à deux encycliques majeures : Populorum progressio en 1967 – sur le développement des peuples à l’heure de la mondialisation – et Humanae vitae en juillet 1968 – sur le respect absolu dû à la vie humaine. Deux pôles inébranlables, deux pôles en tension, qui expriment en quelque sorte le « Caritas et ratio » de François. 

     

    Il est vrai qu’en écoutant ce pape, certaines approximations verbales – qu’on ne rencontrait guère chez Benoît XVI…– peuvent nous désarçonner. Hâtons-nous alors de remonter sur nos arçons et de nous y tenir ferme : par sa spontanéité et son franc-parler, François sert étonnamment l’image de l’Eglise, tout en assumant l’intégralité de la fonction pétrinienne. N’est-ce pas le cœur de la tâche qui lui est dévolue dans un monde comme le nôtre ? C’est si vrai que déjà, on le sait, les couteaux s’affutent dans l’ombre. Le jour venu, on jettera en pâture aux médias, qui adorent ça, des dossiers sur Jorge Mario Bergoglio. À quelques faits exacts seront habilement mêlées informations tronquées, imputations biaisées, insinuations calomnieuses et questions venimeuses, sur fond de médisance délicatement pimentée. On sait déjà qu’ils porteront notamment sur ses liens avec Peron et son attitude vis-à-vis des théologiens dits de la « libération ». Sans préjudice d’autres thèmes à découvrir. Eh bien, ce jour-là, nous nous mobiliserons, une fois de plus, comme auxiliaires bénévoles de la garde suisse… Mais en attendant, une seule consigne : le pape Francesco, si vous prononcez son nom,… pensez toujours qu’il rime avec Poverello…

     

    POUTINE : DéCERNEZ-LUI LE PRIX NOBEL DE LA PAIX !

     

    poutine chien.jpgN’y eût-il eu ce pape argentin, un autre candidat aurait sans difficulté emporté nos suffrages pour le titre d’homme de l’année : Vladimir Poutine. Quatre articles, et même cinq, de ce numéro le mettent à l’honneur.

     

    Votre revue s’ouvre en effet sur une analyse d’ensemble de la situation au Proche-Orient qui ne manquera sans doute pas de surprendre. Gilles Varange émet l’hypothèse – il n’est pas en peine d’arguments – qu’un axe Washington-Téhéran s’apprête à se substituer à l’actuelle alliance américaine avec les monarchies pétrolières wahhabites de la péninsule arabe. Ce serait un véritable renversement des alliances. Pendant ce temps-là, que fait la France ? Rien, elle suit comme un toutou. A une tout autre époque, celle de Louis XV et de son ministre Choiseul, c’est elle qui prit l’initiative d’un renversement d’alliance. C’était en 1762. « La diplomatie française en ce temps-là, note Bainville, n'était pas bégueule. Elle allait à l'urgent et à l'essentiel, c'est-à-dire à l'intérêt de la France. Et puis elle n'aimait pas se laisser surprendre ou dépasser par les événements. »(L'Action française, 30 juillet 1908). Exactement ce que fait aujourd’hui la Russie. L’intervention de Vladimir Poutine dans l’affaire syrienne, en amenant Washington à ne plus appuyer le bellicisme de l’Arabie séoudite et du Qatar, a manifestement accéléré le processus. Gilles Varange rend hommage à sa maestria diplomatique. Il ne le dit pas mais le pense sûrement comme nous : qu’on lui décerne le prix Nobel de la paix !

     

    C’est avec notre ami libanais Antoine Joseph Assaf que nous fixons ensuite notre regard sur la Syrie. Il en connaît fort bien l’histoire, dont il nous montre la grandeur. Il adjure Bachar el-Assad de renoncer définitivement aux visées impérialistes qui furent les démons de son père, et de redonner à la Syrie le destin apaisé qu’elle mérite. Avec l’appui de la Russie de Poutine, qui a prouvé qu’elle était prête à lui apporter son aide, ainsi que sa protection aux Syriens chrétiens. 

     

    Comment et pourquoi Vladimir Poutine peut-il agir avec autant de détermination ? Où puise-t-il cette énergie, quels sont les ressorts de sa stratégie ? Patrick Brunot a confié à la Nouvelle Revue universelle l’enquête qu’il a menée sur cette question. Au passage, sa « radioscopie » de la diplomatie russe éclaire parfaitement les tenants et aboutissants de la crise ukrainienne. Une grave question taraude cependant les autorités politiques et médiatiques occidentales : Poutine est-il démocrate ? Leur réponse est non. Pour y voir clair, Yvan Blot a retourné la question : la démocratie française elle-même est-elle… démocrate ? Ce qui amène à se demander au préalable ce que l’on entend par démocratie… Quand Yvan Blot se pose des questions de fond, il sort son Aristote. Ce qui le conduit à penser qu’entre les institutions françaises et les institutions russes, les plus démocrates ne sont peut-être pas celles qu’on pense…

                      &

  • Le terrible 20ème siècle et les génocides. Tous les génocides sont-ils égaux ou certains sont-ils plus égaux que d’autre

    Ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce terrible XXème siècle que la dénonciation des génocides, et parfois leurs jugements, appréhendés comme une absolution dont il s’est fait une obligation, ne s’accompagne pas de l’inventaire aussi précis que l’on pourrait légitimement attendre. Les moyens ultrarapides d’échanges et d’acquisition de l’information, d’accès aux bibliothèques et aux archives, qui sont ceux d’aujourd’hui ne devraient pas laisser dans l’ombre, le moindre assassinat de masse.

    genocides.jpg

    Ce n’est pas non plus la moins effrayante des interrogations que le terme même de génocide, création de circonstance, soit l’objet de dissertations sans fin, tant de la part de juristes, que d’historiens et d’universitaires, quelques soit l’atrocité des chiffres. On découvre alors que le mot de génocide n’est pas figé dans une définition immuable. Jusqu’à oser contester la nature du massacre de la Vendée. Et donc malgré le titre de ce billet, nous resterons autant que possible à l’écart de ce vocable.

    joel kotek.jpgOn trouve par exemple sous la plume d’un politologue belge bardé de titres pompeux, Joël KOTEK (photo, ndlr), maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles, directeur de la formation au centre de documentation juive contemporaine (CDJC), un des responsables du mémorial de la Shoah, que le XXème siècle compte quatre génocides, au sens propre du terme (disons plus précisément, tel que défini par lui-même) :

    - 1904 - 1907 : l’éradication du peuple nomade des Hereros, en Namibie, par les troupes coloniales allemandes du général Von Trotha qui donne un Vernichtungsbefehl (Ordre dit d’extermination).

    - 1915 : le génocide des Arméniens par les Turcs (près de 2/3 des Arméniens (plus d’un million de personnes) périssent victimes de massacres planifiés) ;

    - 1941 - 1945 : la Shoah, destruction des Juifs d’Europe (6 millions de morts dont 1,5 millions d’enfants) ;

    - 1994 : génocide des Tutsis au Rwanda : un million de morts en 100 jours.

    Pas un de plus, à la limite de l’imposture ! Et selon son axiome, toutes les souffrances se valent, tous les crimes, non ! On réalise la difficulté d’appréhender l’assassinat de masse avec la création de néologismes : mémoricide, génocide (Raphael Lemkin, juif polonais installé aux Etats Unis, qui chercha le premier dès 1921 à installer la pénalisation des crimes de masse commis par un État), démocide (Rudolph Joseph Rummel).

    Vyshinsky.jpgQuelle gradation instaurer dans l’assassinat de populations sur un mode industriel ? L’ONU s’y est essayée en 1948, à la rédaction de la charte universelle des droits de l'homme. Une précédente définition du génocide, adoptée lors de la première assemblée générale de l'ONU le 11 décembre 1946, intégrait la destruction d'un groupe politique, à côté des groupes raciaux, religieux et autres. En 1948, le groupe politique disparait de la définition onusienne : l'URSS, représentée par le procureur Vychinski (photo, ndlr) a fait retirer la référence au politique en raison de ce qu'elle pouvait se reprocher. On reste médusé de cette complaisance et du rôle autorisé au premier tueur de masse du siècle, le procureur de Staline, Andrej Vychinski. Il avait déjà donné sa mesure au procès de Nuremberg, où agissant dans la coulisse sur ordre de Staline, il s’assura que les actes d’accusation ne viseraient bien que les nazis et leurs complices, sous l’œil bienveillant des Américains et des Britanniques. Or ceux-ci n’ignoraient rien de son activité meurtrière pendant les années trente, les plus sanglantes de la dictature stalinienne.

    Mais les limites de l’exercice devinrent évidentes 50 ans plus tard, à la création de la Cour Pénale Internationale, dont les États Unis refusèrent de faire partie, car un citoyen américain ne peut être jugé que par une juridiction américaine … S’en suivent aussi de multiples contorsions pour décréter unique l’assassinat des juifs par les nazis. Quelle est donc cette unicité ? Les historiens les mieux disposés n’en voit qu’une, le lien direct du peuple élu avec Dieu. Ce qui laisse sans rédempteur plusieurs dizaines de millions de victimes au long de ce cruel 2Oème siècle.

    En outre quand on tente un inventaire des assassinats de masse au long du siècle, on découvre des inexplicables approximations, des silences et d’invraisemblables oublis, mystères qui heurtent l’historien, même quand ils sont dictés par un parti pris idéologique. Trouve-t-on des auteurs qui ont tenté d’établir une liste ? Ce lien vers un article touffu permet tout juste d’avoir un aperçu : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_massacres .

    On notera qu’une nouvelle fois (nous y reviendrons), le désastre humain que fut dans la Chine de Mao « le grand bond en avant », n’est pas mentionné.

    Ainsi à défaut d’être plus précis il n’est pas vain de dégager quelques sordides dénominateurs communs aux tueries qui émaillent le siècle.

    Abba Eban.JPG* C’est d’abord la monstruosité des chiffres, insupportable nouveauté dans l’Histoire de l’Humanité. Dans ses mémoires le diplomate israélien Abba Eban (photo, ndlr), se livre à la comparaison suivante : « Entre Waterloo, 1815, et le début de la Grande Guerre, cent ans se sont écoulés, avec 2.5 millions de soldats tombés sur des champs de bataille, en outre sans que la population civile ne soit particulièrement touchée. Sur les trois décades de 1914 à 1945, on compte 100 millions de morts militaires et civils »

    * C’est aussi, malgré l’horreur des chiffres, une invraisemblable approximation dans des proportions inacceptables dont on n’appréhende plus l’incongruité.

    * Puis vinrent les tentatives de faire juger par des tribunaux ; il s’est alors appliqué une loi aussi ancienne que la guerre du Péloponnèse, ou antérieure, celle du plus fort, car ces juridictions sont toujours entre les mains des vainqueurs.

    Avec son corollaire, l’idée de criminaliser la guerre.

    Reynald secher du genocide au memoricide.jpg* Et enfin un tri mémoriel s’est instauré, qui est entretenu, et que l’on essaie de justifier. La France cultive un triste privilège en la matière piétinant allègrement la liberté de recherche historique …

    Une lecture chronologique est la plus conforme mais elle montre qu’à l’évidence chaque massacre n’a jamais dissuadé de perpétrer le suivant. C’est la leçon à retenir.

    Par ailleurs l’objet de ce billet n’est pas de ressasser des faits régulièrement relayés dans les mass media, avec objectivité ou non, sous forme de documents d’archives, ou par les films d’Hollywood. Il s’agit ici de rappeler des évènements peu connus, ou jamais cités, ayant impliqué des massacres de masse, où l’unité de comptage est la dizaine de milliers de martyrs.

    Sans éviter l’écueil de l’arbitraire dans le choix des drames, nous nous arrêterons plus précisément sur la liste suivante :

    *La guerre des Boers

    *Le massacre des Arméniens

    *La révolution bolchevique

    *Le Japon contre la Chine

    *La réunion de Wannsee et la « solution finale »

    *La partition de l’Inde

    *La révolution chinoise

    *Le grand bond en avant

    *Indonésie 1965

    *Cambodge 1975

    *Rwanda Avril 1994

    *Et très près de nous depuis 1991, la série d’opérations militaires lancées par les États Unis d’Amérique contre le monde arabo musulman.

     

    Pour commencer avec le siècle, la guerre des Boers

    En Mai 1902, se termina la seconde guerre contre les Boers. Ce conflit dans lequel les Britanniques mirent en œuvre toutes les techniques du terrorisme comme la terre brulée, la destruction de 30.000 fermes, et d’une 40aine de petites villes, vit l’apparition des camps de concentration, répertoriés comme tels (personne âgées, femmes et enfants, environ 120.000 détenus et en final autour de 45.000 morts).

     

    Le massacre des Arméniens

    arnold toynbee.jpgL’ensemble des évènements qui se sont déroulés en 1915 et 1916 dans l’empire ottoman, fut rassemblé sans retard par celui qui sera un des grands historiens du 20ème siècle, le britannique Arnold Toynbee (photo, ndlr) dès 1916 (vingt six ans à l’époque), dans une première édition à Londres (Meurtre d’une nation). À cette date les évènements étaient connus et largement médiatisés comme une centaine d’articles dans le New York Times. Dès Janvier 1915, et tout au long de cette année tragique la presse des pays de l’Entente (France, Angleterre, Russie) et des « Neutres » (Etats Unis et Suisse) a rendu compte en direct des déportations et de l’extermination des Arméniens de l’Empire Ottoman. Témoins oculaires des faits, les diplomates, les missionnaires, les voyageurs qui écrivent sur « l’extermination d’une race » ou « l’assassinat de l’Arménie ». Est répertorié tout le spectre de la sauvagerie dont le trou noir de l’Humanité est capable. En profitant cyniquement du conflit mondial qui empêche une ingérence extérieure. Un document accablant diffusé sur la chaine Histoire, montre que la camera commençait à entrer en action, et que donc les tueries ou leurs résultats étaient filmées.

    Et cent ans plus tard, les historiens se heurtent à des portes fermées par Ankara sur des archives dont on connait l’existence, perpétuant un déni consubstantiel aux crimes, dès le début. Beaucoup plus tard, Sécher inventa le terme de « mémoricide » pour qualifier les efforts déployés à effacer le massacre de la Vendée. Et c’est ainsi que le massacre des Arméniens est approximativement chiffré à 1,2 millions (les deux tiers de la population) en Anatolie et les hauts plateaux de l’Arménie. Ne tenant pas compte que deux séries de tueries avaient déjà frappé ces chrétiens d’Orient, connus comme les massacres hamidiens (entre 80.000 et 300.000 morts ; comment peut on oser produire une telle évaluation ?) et les massacres de Cilicie (ou d'Adana), 30.000 morts.

    robert fisk.jpgEt jusqu’à une date récente, décembre 2005, où le britannique Robert Fisk (photo, ndlr), résidant à Beyrouth, consacre 35 pages sur 950 dans son ouvrage, titré par dérision « La grande guerre pour la civilisation. L’occident à la conquête du Moyen Orient » au « Premier holocauste » (ch. 10). Avec sa collègue Isabel Ellsen photographe à The Independent, ils découvrent en Syrie, sur la colline de Margada, région de Alep, à l’époque Arménie turque, un charnier qu’ils évaluent à 50.000 martyrs, liés les uns aux autres. Et 90 ans après le drame, ils entament leur enquête en bons journalistes. Pour finir par ce que Fisk appelle un négationnisme, en premier lieu aux États Unis, consistant à nier la tuerie. Impensable de faire de la peine à Ankara. (à suivre)

  • Le terrible 20ème siècle et les génocides. Tous les génocides sont-ils égaux ou certains sont-ils plus égaux que d’autre

    Le Japon contre la Chine. Le massacre de Nankin. Décembre 1937.

    En septembre 1931, l'armée impériale japonaise envahit la Mandchourie.

    En 1937, Hirohito donne son accord à l'invasion du reste du territoire chinois, ce qui conduit à la seconde guerre sino-japonaise. En août 1937, l'armée japonaise investit Shanghai où elle rencontre une forte résistance et subit de lourdes pertes. La bataille est sanglante pour les deux camps qui se livrent à un corps à corps en milieu urbain. À la mi-novembre, les Japonais prennent possession de Shanghai. L'État-Major à Tokyo décide dans un premier temps de ne pas étendre la guerre à cause des pertes sévères et du faible moral des troupes. Toutefois, le 1er décembre, il ordonne à l'Armée du centre de la Chine de capturer Nankin, alors capitale de la République de Chine. Le 13 décembre Nankin tombe aux mains des Japonais. 

    JAPON MANDCHOURIE.jpg

    Les rapports des témoins occidentaux et chinois présents à Nankin déclarent que dans les six semaines qui ont suivi la chute de la ville, les troupes japonaises ont perpétré viols, meurtres, vols, incendies volontaires et autres crimes de guerre. Certains de ces témoignages proviennent des étrangers qui ont choisi de rester afin de protéger les civils chinois. D'autres récits sont les témoignages à la première john Magee.jpgpersonne de survivants du massacre, des rapports de journalistes (à la fois occidentaux et japonais), mais également les journaux intimes des militaires. Le missionnaire américain John Magee réussit à tourner un film documentaire en 16 mm et les premières photographies du massacre (photo, ndlr).

    Le tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient estime à plus de 200 000 le nombre de victimes des événements. Les chiffres officiels chinois font état de 300 000, se basant sur l'évaluation du tribunal des crimes de guerre de Nankin (Le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient — TMIEO — fut créé le 19 janvier 1946 pour juger les grands criminels de guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale).

    Opérations de « la Politique des Trois Tout »

    Durant cette Seconde Guerre sino-japonaise, conflit militaire qui dura de 1937 à 1945, l’attaque japonaise provoqua une trêve dans la guerre civile qui opposait depuis dix ans le Guomindang et le Parti communiste chinois, ces deux mouvements réalisant une alliance contre l’envahisseur. Le Japon décréta alors les Opérations de la Politique des Trois Tout « tue tout, brule tout, pille tout », une stratégie de la terre brûlée amorcée en mai 1942 par l'armée impériale japonaise et ayant entraîné selon l'historien Mitsuyoshi Himeta la mort d'environ 2,7 millions de civils chinois.

     

    La réunion de Wannsee et « la solution finale » (20 Janvier 1942)

    Réunion ayant formalisé l’assassinat des juifs par moyens industriels, dans toutes les zones occupées par l’Allemagne nazie. Tous les documents de cette réunion ont été détruits sauf l’exemplaire détenu par un haut dignitaire nazi Martin Luther. Retrouvé en 1947 par des enquêteurs américains dans les archives du ministère des Affaires étrangères du raoul hilberg.jpgReich il reste le seul document attestant des discussions tenues lors de cette conférence. Mais à cette date le camp d'extermination de Chełmno fonctionne déjà depuis 1941 (camions à gaz itinérants).  Six camps d’extermination nazis sont répertoriés : Belzec, Chelmno, Majdanek, Sobibor, Auschwitz, Treblinka. La référence la plus fiable sur l’étendue de la catastrophe (Shoa) est l’immense travail de l’américain Raoul Hilberg (dit le greffier de la Shoa) dans son livre « La destruction des juifs d’Europe » (photo, ndlr).

     

    La partition de l’Inde Août 1947

    Les négociateurs britanniques qui tracèrent de leurs bureaux à Londres des frontières à l’intérieur du sous-continent indien, selon des schémas aberrants, pour satisfaire tant l’hindou, le pandit Nehru, que le musulman Mohamed Ali Jinnah, ne se doutaient pas qu’ils déclencheraient une catastrophe humanitaire ayant abouti à la mort d’un million de personnes, là encore, chiffre approximatif.

    Autour de un million de morts dans l’été 1947, massacres qui ont accompagné un gigantesque déplacement de populations de l’ordre de 20 millions de personnes.

     

    La révolution communiste chinoise. Guerre civile entre 1927 et 1950.

    Les évaluations du nombre de victimes sont très variables. Les chiffres, tous camps confondus, de 2 000 000 de pertes Rummel.jpgmilitaires entre 1928 et 1936, puis de 1 200 000 entre 1946 et 1949, ont été avancés. Le professeur américain Rudolph Joseph Rummel (photo, ndlr), en cumulant les pertes militaires avec les massacres de populations commis par le Kuomintang (qu'il estime à 2 645 000 victimes) et ceux commis par les communistes (2 323 000 victimes estimées), en arrive à une évaluation de 6 194 000 victimes environ, dont environ 4 968 000 pour la période post-1945 (lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_chinoise )

     

    Le grand bond en avant

    Doctrine économique maoïste entre 1958 et 1960, mettant en œuvre intense propagande et coercition. Ce n’est que plus tard que la catastrophe humanitaire fut découverte par des géographes et des démographes. Au point qu’elle est très souvent oubliée dans les malheurs du siècle. Elle fut à l’origine d’une gigantesque famine,  

    Ce n’est que dans le milieu des années 1980 que des démographes américains ont pu avoir accès aux statistiques de la population après la politique d’ouverture de la Chine de 1979. Leurs conclusions étaient stupéfiantes : au moins 30 millions de personnes étaient mortes de faim durant cet épisode de l’histoire de la République populaire – un chiffre jamais envisagé avant cette date.

    Les chiffres varient encore en fonction des ouvrages et des historiens, ce qui traduit bien le mystère entourant cet événement. John Fairbank, qui qualifie le GBA d’« un des plus grands cataclysmes de l’histoire de l’humanité », voire le plus grand, avance les chiffres de 20 à 30 millions de morts imputables à la famine et à la malnutrition. Au moins 15 millions de morts précise quant à elle Marie-Claire Bergère, sinologue française de réputation internationale. En milieu rural, la famine a provoqué la mort de 18 à 23 millions de personnes.

     

    Indonésie 1965

    Des militaires liés au parti communiste se révoltaient contre le président Sukarno, au pouvoir depuis 1945. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1965, six généraux du haut état-major de l'armée de terre indonésienne sont enlevés par des groupes de soldats. Ils sont emmenés à la base aérienne de Halim près de Jakarta, puis abattus.

    Le 1er octobre à 7 heures du matin, un officier de la garde présidentielle, le lieutenant-colonel Oentoeng, annonça à la radio être à la tête d'un « mouvement du 30 septembre » qu'il définit comme « intérieur à l'armée, et dirigé contre le "conseil des généraux" ... qui projetait un coup contre-révolutionnaire... ». L'après-midi, un deuxième communiqué annonça qu'un « conseil de la Révolution » allait assumer l'autorité suprême. Puis la radio diffuse une déclaration de soutien du chef de l'armée de l'air, le général Omar Dhani.

    suharto_indonesian president.jpgC’est alors qu’un général inconnu, Mohammed Suharto (photo, ndlr), réagit violemment et débuta une répression. En quarante-huit heures, les rebelles furent arrêtés. Lors de cette réaction Suharto, l'Armée indonésienne, et le Parti national indonésien commettent des exécutions sommaires contre les communistes, les athées, les hindous, des musulmans modérés et des immigrants chinois.

    L'éradication du puissant PKI, troisième parti communiste au monde en nombre d'adhérents, accusé d'avoir fomenté le mouvement du 30 septembre est achevée après quelques mois, à la suite d'une série de tueries qui entraine la mort de 500 000 à un million de personnes.

     

    Cambodge 1975

    Le mouvement communiste désigné sous le nom de Khmers rouges, qui contrôla le Cambodge de 1975 à 1979 et dont le chef principal était Pol Pot, dirigèrent un régime connu sous le nom officiel de Kampuchéa démocratique, qui soumit la population à une dictature d'une rare violence et dont la politique causa au minimum deux millions de morts. Il n'existe pas de consensus sur le nombre total de victimes ; les estimations allant jusqu’à 3 100 000 morts entre avril 1975 et janvier 1979, soit 40 % de la population.

    Entre avril 1975 et janvier 1979, une petite faction de révoltés dirigés par des "intellectuels" ayant souvent étudié en France, met en œuvre un assassinat de masse contre la population du Cambodge sur une population d'environ 7, 5 millions d'habitants.

    kmer rouge.jpgLe pays devint un vaste camp de concentration. Les Khmers vident les villes et d’abord Phnom Penh, au prétexte d’éradiquer tout noyau d’une éventuelle contre révolution.

    Ce fut l’absurde érigé en système.

    Au début du XXIème siècle, plus de vingt ans après leurs crimes, la plupart des chefs khmers rouges vivent en toute liberté au Cambodge, sans avoir jamais été jugés pour les crimes qu'ils ont commis

     

    Rwanda : les Hutus massacrent les Tutsis

    Du 6 avril au 4 juillet 1994 au Rwanda, un massacre de masse fut commis dans le cadre d'une guerre civile opposant le gouvernement rwandais, constitué de Hutus au Front patriotique rwandais (FPR), accusé par les autorités d'être essentiellement « tutsi ». Le 1er octobre 1990, des Rwandais exilés et regroupés au sein du FPR décidèrent de revenir au pays à partir de l'Ouganda, et de prendre le pouvoir par les armes. En réponse, les autorités rwandaises menèrent une double stratégie : se défendre avec l'armée contre l'agression militaire du FPR et « liquider » tous les Tutsis de l'intérieur du Rwanda. Les autorités rwandaises perdirent la guerre civile au profit du FPR mais atteignirent en revanche leur objectif génocidaire contre les Tutsis.

    L'ONU estime qu'environ 800 000 Rwandais, en majorité Tutsis, ont trouvé la mort durant ces trois mois. Ceux qui parmi les Hutus se sont montrés solidaires des Tutsis ont été tués comme traîtres à la cause hutu.

     

    En parcourant ainsi le siècle, on se sent tristement coupables de ne pas être exhaustifs. Où classer les guerres américaines entreprises depuis 1991 contre l’ensemble arabo-musulman et dont le coût humain n’est pas réellement évalué. Bien que l’on sache que l’on est dans la zone de plus d’un million de victimes, pour les seuls Irak et Afghanistan, la plupart étant des non combattants.

    En filigrboris Souvarine_2369.jpgane de notre énumération, nous pensons avoir montré une nouvelle fois que tous les massacres de masse ne sont pas regardés avec la même réprobation par ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale ».

    Progrès de la civilisation ?

    L’historien russe, Boris Souvarine, ex compagnon de Staline, victime d’une chasse aux sorcières quand il passa à l’Ouest, eut ce jugement cinglant : « Les Lumières progressent en raison inverse des conquêtes de l’électricité ». (fin)

  • La seconde mort de Jean Jaurés . Ou : De Jaurès à Closer et au FMI...

            (Rédigée avant "l'affaire", cette note devait être envoyée dans la semaine, jeudi ou vendredi. Nous l'envoyons donc dès aujourd'hui, sans pourtant rien y changer.....)

             Ou, encore : les livres d'Histoire diront-ils, un jour, que Jaurès est mort en 2012 ?....

            Quand on voit ce que ses héritiers ont fait, et continuent de faire, de ce qui fut, malgré tout, une grande idée, autrefois... Nous ne prendrons que deux exemples de ce grand effondrement - alors qu'il serait possible d'en prendre tant d'autres !... -, chez l'ex couple Hollande et, surtout, in fine, chez Dominique Strauss-Kahnn.....

    strauss kahn,jaures,closer,parti socialiste,françois hollande,segolene royal,maurras,action française,fabius

            Autrefois, il y a très, très longtemps, à des années lumières du FMI, du tout à l'égo qui déchire jusqu'au sang les différentes chapelles du PS, ou des déchirements de l'ex-couple Hollande-Royal etc...etc...., le Parti Socialiste c'était, donc, Jaurès.

            On aimait ou on n'aimait pas, on adhérait à ses envolées lyriques ou - comme Maurras et l'Action Française - on y voyait, dans le meilleur des cas, des illusions, peut-être généreuses mais fort optimistes, en tout cas annonciatrices de réveils douloureux, comme ce fut d'ailleurs le cas. Assassiné en 1914, il prédisait que jamais les travailleurs allemands n'attaqueraient les travailleurs français; en tout cas, il le croyait, ou il faisait semblant de le croire; c'était juste avant que, dans cette Grande Guerre qui fut héroïque autant qu'elle fut monstrueuse, les travailleurs français et allemands ne s'étripassent avec allant, les réalités, là comme ailleurs, étant nationales, et non idéologiques.

            Cependant, il faut bien reconnaître qu'il y avait malgré tout du souffle, de l'épaisseur, chez le personnage; il y avait quelque chose qui faisait que l'on respectait un véritable engagement politique, même si on ne le partageait pas. On pouvait apprécier ses moments d'honnêteté lucide -comme quand il reconnaissait "le charme séculaire de la Monarchie", tordant ainsi le cou aux mensonges d'une certaine gauche qui prétendait que les masses laborieuses gémissaient sous les tyrans !...-; on pouvait être frappé aussi de son engagement chrétien et catholique jamais renié: c'est une chose que beaucoup ignorent: mais dans une gauche où, à l'époque, l'anti catholicisme frisait souvent l'hystérie (on était à peine neuf ans après l'extraordinaire déferlement de haine anti chrétienne de 1905...), et où l'on bouffait du curé comme aujourd'hui on défend la forêt amazonienne, il n'a jamais cessé de pratiquer (baptême des enfants etc...), ce qui lui conférait malgré tout une certaine originalité dans ce milieu politique; bref, la personne de Jaurès, restait au dessus et à l'abri de toutes critiques personnelles stricto sensu...

    I : de dirigeants "tristes sires".....

            Les choses ont bien changé aujourd'hui au PS: les mondanités ont remplacé les envolées lyriques, l'épaisseur des dirigeants a fondu comme neige au soleil, et l'élévation des idéaux a laissé la place à de désolantes ou ridicules histoires personnelles, dont la banalité et la médiocrité rappellent certains mauvais feuilletons venus des Etats-Unis... Juste avant la campagne électorale de 2007, Laurent Fabius avait déjà épinglé Ségolène Royal en ces termes, peu amènes on en conviendra: "Il vaut mieux dire: "Voici mon programme !" que "Mon programme c'est "Voici" !" (ambiance...). Puis il y eut la parution du livre "La femme fatale", consacré à Ségolène. On rasait les pâquerettes, on mettait le cap droit sur le caniveau...

            Ensuite, "son ex" (comme on dit parfois aujourd'hui, avec une grande vulgarité....) s'afficha sur une plage avec sa nouvelle conquête; mais, on se demande bien pourquoi, il attaqua un journal mondain (Closer, pour ne pas le nommer), et lui fit infliger une amende de 15.000 euros par la justice, à défaut d'obtenir le retrait de la vente de ce magazine; motif ?: "atteinte à la vie privée", pour avoir publié des photos de lui, et d'elle, sur une plage publique marocaine !; l'argument était en soi, d'un point de vue juridique, recevable, puisqu'il s'agissait de faire respecter le droit à l'intimité, à la vie privée... mais on ne voyait pas trop où François Hollande voulait en venir: il voulait être respecté ? par les journalistes de Closer, comme hier son ex-compagne par les auteures de La Femme Fatale" ? Mais pour être respectés, la première des choses à faire pour les hommes politiques, au lieu d'aller pleurer devant les tribunaux n'est-elle pas, tout simplement, d'être respectables; de ne pas avoir les comportement stéréotypés de monsieur-tout-le-monde; d'être, au moins un peu, ne serait-ce qu'un tout petit peu, au-dessus de ce qui se fait partout: si on prétend avoir des salaires, des conditions d'existence et un environnement exceptionnel, c'est aussi parce que l'on est aussi soi même - ou du moins que l'on essaye de l'être... - un peu exceptionnel; sinon, si l'on est en tous point semblable aux autres, au vulgum pecus" (qui est ce qu'il est, mais qui, lui au moins, ne demande pas à "être à la tête de..."), quelle justification y a-t-il à cette débauche d'avantages en tous genre dont jouit la classe politique en général, l'ex couple Hollande en particulier ?

            Et pourquoi aller devant les tribunaux ? en espérant y trouver une respectabilité ? Mais celle-ci ne se décrète pas, et pas par un Tribunal: elle vient des personnes elles-mêmes, et de leurs attitudes...Quand on n'a pas un comportement irréprochable et exemplaire, quand on est coincé entre ses actes (ordinaires...) et ses exigences (extra-ordinaires...), pourquoi se plaindre d'être traité sans trop d'égards et de révérence, comme tout le monde, puisqu'on est dans la pratique comme tout le monde ? Et il faudrait qu'en plus l'ex couple se drape dans les plis de la vertu outragée, lui qui donne un exemple de vie privée somme toute assez conforme à la désolante médiocrité qui s'étale un peu partout ?  

             On est donc bien loin, très, très loin, à des années-lumières, de Jean Jaurès ! L'ex couple Royal-Hollande ferait mieux de commencer par le commencement: se tenir mieux et renvoyer une meilleure image de lui; le reste, c'est à dire le respect que l'on va demander aux tribunaux, ne viendrait-il pas alors tout seul, tout naturellement ?.....

    II : ...à d'autres, non moins "tristes sires"....

    strauss kahn,jaures,closer,parti socialiste,françois hollande,segolene royal,maurras,action française,fabius 

     Paris, 3 mai 2011, le Parisien publie cette photo : propriétaire du plus luxueux ryad de Marrakech, époux de la richissime Anne Sinclair, DSK et son épouse sortent de la Porsche Panamera S de son ami Ramzi Khiroun (120.000 euros, tout de même...) pour se rendre dans son non moins luxueux domicile de la Place des Vosges.

    Qu'on nous comprenne bien : ce n'est pas le succès, ni la fortune que nous reprochons, ni à DSK ni à personne : on sait bien que, acquis honnêtement, par le travail, succès et fortune ne sont en rien critiquables. C'est l'hypocrisie qui est critiquable : celle des hommes, et celle des discours et programmes....        

            Mais que dire, maintenant que l'on a suffisamment épinglé lemanque d'épaisseur (comme on est polis !...) de deux personnalités phares du PS dans leurs misérables comportements humains, alors qu'ils persistent à se présenter comme des  descendants du grand PS d'autrefois ; que dire, donc, de ce qui est encore infiniment plus grave, pour l'idée et pour la croyance socialiste : le positionnement de l’actuel PS, en général, et de Dominique Strauss-Kahn, en particulier.

            Jacques Julliard aura sans doute été le plus cruel, mais le plus juste, des observateurs de cette évolution/trahison de son propre camp, dont on sait combien il en souffre.....

             Dès le 2 août 2007, donc juste après la défaite de Ségolène Royal à la Présidentielle, et dans un article retentissant du Nouvel Observateur, il a envoyé à toutes les composantes de la Gauche, mais surtout à son Parti socialiste, la volée de bois vert amplement méritée.

             Quelques extraits :

             "Socialistes, croyez-vous encore à vos mythes ?.... le mal est plus profond qu'une défaite conjoncturelle..;...c'est une défaite intellectuelle et morale. Il y a longtemps que le PS a cessé de penser et de croire ce qu'il raconte...."   

             Et encore :

            "...les socialistes croient-ils encore à leurs mythes tels que la lutte des classes..., le prolétariat, la nationalisation des moyens de production et j'en passe ? Si l'on n'y croit plus, alors qu'on le dise, et surtout que l'on en tire les conséquences. Trop longtemps on a cru pouvoir gagner la partie au moyen d'un logiciel que l'on savait faux. Pour un parti qui se veut le parti de l'intelligence, quel mépris de l'intelligence ! Quelle dénégation du réel ! Quel mépris de l'électeur ! Et l'on voudrait que celui-ci ne s'en aperçut pas ?.... Le plus grave, c'est que cette démission de l'intelligence a produit ce qu'il faut bien appeler une imposture morale. Au propre comme au figuré, les socialistes n'habitent pas où ils militent, ils ne mettent pas leurs enfants dans les écoles qu'ils défendent, la plupart ne vivent pas comme ils sont censés vivre. L'écart entre l'être et le paraître est devenu le principal handicap social du parti...."

              Et voici le tour des éléphants, et du premier d'entre eux, peut-être :

             "Quels masques de cire que ces éléphants ! La preuve, c'est leur débandade actuelle. Les mêmes qui multipliaient les réserves à l'égard du rapprochement de Ségolène avec Bayrou entre les deux tours de la présidentielle ne trouvent pas mauvais un mois plus tard de se jeter dans les bras de Sarkozy. Sans parachute ! Tel qui déclarait il y a quelques jours vouloir se consacrer entièrement à la rénovation du socialisme décide tout à trac de partir à New York rénover le FMI !".

             Ainsi arrivés au cas Strauss-Kahnn, dans cette réflexion désabusée sur l'évolution/trahison du PS, notre boucle est pour ainsi dire bouclée. Car, enfin, si Dominique Strauss-Kahnn, l'Américain, le financier, plus fédéraliste européen encore que Sarkozy; si DSK, donc, devenait le candidat du PS en 2012 - mais le simple fait qu'on en parle et que certains le souhaitent, au PS, pose déjà problème, en soi... -; et si d'aventure il devait l'emporter, serait-ce le candidat de la gauche, ou de la droite qui l'aurait emporté ? A très peu de choses près - nous parlons évidemment de choses fondamentales, pas des apparences... - un Sarkozy n'en remplacerait-il pas un autre ?..... 

              Mais Jaurès, lui, mourrait une seconde fois. Et, cette fois, ce serait la bonnne, si l'on peut dire......

  • L’Espagne à la croisée des chemins. Espagne, où vas-tu ?

     

    par Pascual Albert*

     

    espagne,catalogne,pays basqueEn moins de deux mois, des élections régionales se seront tenues en Galice, au Pays Basque et en Catalogne, les trois Communautés qui, les premières, ont obtenu l’autonomie et qui ont le plus de compétences, dans leurs Statuts d’Autonomie.

    Si les élections au Pays Basque et en Galice étaient prévues et ont eu lieu parce que c’était le moment qu’elles se tiennent, les élections catalanes seront anticipées, le président Mas (1) ayant dissous le parlement, par une manœuvre opportuniste, résultat de la manifestation indépendantiste massive du 11 septembre, à Barcelone. Il prétend élargir sa majorité – jusqu’à la rendre absolue, si c’est possible – pour ne pas dépendre de l’appui parlementaire du Parti Populaire.

    Dans les trois Communautés Autonomes (2), les partis d’implantation nationale sont présents : Parti Populaire ; socialistes et communistes ; ainsi que, bien sûr, tous les groupes nationalistes anti-espagnols de tous poils : Bloc Nationaliste de Galice, Parti Nationaliste Basque, Convergencia i Unio, Bildu, ERC, etc.

    Les positions politiques des uns et des autres, quant au sens de la nation et quant aux structures de l’Etat, sont clairement différentes.

    Le Parti Populaire (Droite « homologuée »), actuellement au pouvoir, en charge du gouvernement national, comme dans la plus grande partie des Communautés Autonomes et des Municipalités, défend catégoriquement la structure et les institutions actuelles, se refusant, dans les circonstances présentes, à faire des réformes qui, nécessairement, incluraient celle de la Loi Fondamentale : la Constitution. La priorité absolue du Parti Populaire est de tenter de surmonter la crise économique, en suivant les recommandations des institutions européennes et mondialistes. Malgré ses efforts, et la rigueur des mesures prises, malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

    Le Parti Socialiste apparaît beaucoup plus ambigu et confus ; l’un de ses courants aurait une position assez proche du Parti Populaire, l’autre a commencé à demander la transformation de l’Espagne en un Etat fédéral. Cette ambiguïté fait qu’il lui est difficile de pouvoir profiter de l’importante usure gouvernementale dont la situation (crise, mesures sociales, corruption) fait supporter la conséquence à ses rivaux du Parti Populaire.

    L’extrême-gauche communiste, qui est, par surcroît, écolo-pacifiste et « genderiste », recueille, en général, les désenchantés du socialisme et correspond, et même davantage, à la devise qu’elle porte, dans son âme, écrite en lettres de feu : « tout ce qui est anti-espagnol est nôtre ».

    Les nationalistes de différentes tendances : bourgeois, prolétaires, modérés, radicaux, etc. ont fini par donner du lustre à leurs positionnements maximalistes et demandent des référendums d’autodétermination et autres processus qui puissent les conduire vers leur eldorado indépendantiste.

    Les résultats électoraux sont conformes aux prévisions des enquêtes : en Galice, où, heureusement, le nationalisme ne parvient pas à se développer, le Parti Populaire, comme il était très probable, a validé sa majorité absolue, bien qu’il ait perdu un certain nombre de voix. Le Parti Socialiste a subi, comme prévu, une déroute complète.

    Le Pays Basque, c’est une autre histoire et - quoique l’information distillée par les médias, tant nationaux qu’internationaux, se soit surtout concentrée sur la Catalogne, comme conséquence des derniers événements : le virage stratégique brutal de ce que l’on appelle le « nationalisme catalan modéré », et sa suite, la manifestation « indépendantiste » de Barcelone - il est certain que le plus grand problème institutionnel et politique que l’Espagne a connu ces dernières années a été le terrorisme de l’E.T.A. avec son sanglant cortège de morts, de blessés et de souffrances.

    BILDU, parti ou coalition clairement inspirée et certainement dirigée par l’E.T.A., s’est présenté aux élections régionales dans le nouveau contexte quasi pacifique, l’E.T.A ayant annoncé, il y a déjà quelque temps, qu’elle renonçait à la « lutte armée », sans, pour autant, qu’elle se soit dissoute.

    Lors des élections précédentes – sous différents noms – les radicaux se présentaient aux élections au milieu des bombes et des coups de feu. Déjà, lors des dernières élections municipales et « forales » – tenues dans ce contexte d’armistice ( ?) – ils avaient obtenu des résultats très inquiétants, remportant, entre autres, la mairie de Saint-Sébastien et la présidence forale du Guipúzcoa – avec la complicité du Parti Nationaliste Basque qui n’avait pas accepté l’offre, des partis constitutionnalistes, d’un pacte pour l’empêcher.

    Quant aux dernières élections, les sondages prévoyaient ce qui s’est réalisé : une consolidation de l’espace nationaliste – modéré et radical – et une chute des partis espagnols (nationaux) ; le Parti Socialiste, qui gouvernait la Communauté Autonome Basque, avec l’appui parlementaire du Parti Populaire, a subi, ainsi que ce dernier, de fortes pertes en voix et en sièges.

    Enfin, en Catalogne, le processus étant très en retard – en raison de son caractère imprévu et soudain – il n’y a pas encore une perception très nette du contexte électoral à venir. Ce qui, toutefois, est certain, c’est que si le président nationaliste Arturo Mas a franchi le pas qu’il a franchi (convocation d’élections anticipées), c’est parce qu’il espère renouveler et conforter sa majorité ; l’ampleur indéniable de la manifestation indépendantiste de Barcelone rend assez prévisible que la situation électorale soit plus ou moins similaire à celle du Pays Basque.

    Que s’est-il passé pour qu’en un si court espace de temps, moins de dix ans, le label de l’Espagne, laquelle apparaissait tellement consolidée, avec ses réussites économiques, politiques, sociales, sportives, etc., au point d’être montrée comme un exemple à suivre, dans le même temps qu’ apparaissaient dans le monde des situations nouvelles « compliquées » : par exemple, la chute de l’empire soviétique, les Balkans, etc.

    Naturellement, de nombreux éléments se sont conjugués, parmi lesquels, sans aucun doute, les facteurs de crise économique brutale et la perte de prestige accélérée de la caste politique ne sont pas les moins importants. Mais se conjuguent, aussi, d’autres causes, de différents ordres, qui rendaient prévisible que cette situation se produise, un jour ou l’autre.

    Je vais tenter de les expliquer le plus brièvement possible :

    I. Des raisons qui sont profondément liées au processus historique de formation de la nation Espagne 

    Le processus de formation de l’Espagne est très différent de celui de la France (où, à partir de la « centralité » d’une dynastie, les Capétiens, se construit, peu à peu, empiriquement, une nation, à travers des conquêtes et/ou des alliances, à la recherche des frontières du « pré-carré »).

    espagne,catalogne,pays basqueL’invasion arabe et le processus  de reconquête chrétienne qui l’a suivie, font naître et se développer une série de royaumes et principautés, qui confluent, finalement, vers deux grandes couronnes : la Castille et l’Aragon, accompagnées d’un Portugal qui, progressivement, s’auto-affirmera et fera son chemin séparément, et d’un royaume de Navarre qui, quoique avec une beaucoup plus grande assise territoriale et incidence historique initiale dans la péninsule ibérique, sera porté, par les avatars de l’Histoire, à n’être qu’un appendice de la France. La Castille et l’Aragon s’unissent, en la personne de leurs rois, Ferdinand et Isabelle. Les Rois Catholiques conquièrent Grenade – le dernier bastion musulman ; avec eux commence la découverte et la colonisation de l’Amérique et, en s’immisçant dans les querelles internes de la Navarre, ils annexent la partie ibérique de ce royaume, et, en quelque manière, ils atteignent leurs frontières naturelles. Mais cette union se réalise à travers la personne des Rois Catholiques et chacun de ces peuples conserve ses lois, usages, coutumes et sa langue : en conclusion, ses « Fueros » (3). Les langues parlées sont : le galicien portugais, le catalan et le castillan, d’origine latine et la langue basque préromane. 

    La modernité a rogné progressivement ces « Fueros » et libertés : la vision « régalienne » de Charles premier d’Autriche en a presque fini avec les libertés castillanes et le « centralisme » du premier Bourbon, Philippe V, abroge les fueros d’Aragon, de Catalogne, de Valence et des Iles Baléares (couronne d’Aragon). Par parenthèse, il serait peut-être intéressant d’approfondir, un jour, le thème de la guerre de succession d’Espagne, origine des mythes les plus enracinés du nationalisme catalan et du pan-catalanisme.

    Mais tout cela – quoique grave – est sans aucune comparaison avec l’authentique agression centraliste et, plus encore, uniformisatrice  (dont, vous, les Français, êtes paradoxalement, à la fois, les « coupables », les victimes et le modèle paradigmatique) que les « fils des Lumières » et leurs héritiers, les Jacobins enragés, ont impulsé avec le libéralisme. Mais, en Espagne, cela ne leur fut pas facile et, en l’espace de cinquante ans (1830-1880), ils se sont retrouvés face à un peuple en armes, pour défendre jusqu’à la mort ses traditions.

    On a appelé cela les guerres carlistes et – quoique perdues – celles-ci ont rendu possible qu’au moins les Basques et les Navarrais conservent de nombreuses particularités « forales » dans leurs Statuts, parmi lesquelles la « Concertation Economique » qui consiste en ce qu’ils perçoivent l’impôt et, ensuite, payent à l’Etat le montant « pacté » (qui, naturellement, est toujours inférieur en pourcentage à la contribution directe des autres régions).

    En conclusion, nous pourrions dire qu’en Espagne le changement de l’ « Ancien Régime » au nouveau n’a pas été bien achevé. De fait, l’actuelle fièvrecatalane a pour excuse le refus du gouvernement central de négocier une « Concertation Economique ». D’un autre côté, il faut dire que le gouvernement ne peut faire autre chose, parce que la Constitution ne le permet pas. Auparavant, il faut la réformer. 

    2. Des raisons qui sont liées à la structuration de l’Espagne actuelle et à sa Constitution

    Ici, nous pourrions commencer par la fin. Ce qui a été la première tentative de résoudre les problèmes signalés au point précédent, à partir de positions pacifiques et en recherchant des accords entre les forces politiques, n’a pas donné de résultat ; le modèle semble épuisé. Les causes sont nombreuses ; on va le voir ci-après.

    Dans les années dites de la Transition (1970-1990), il y avait un sentiment de « différence » et une mobilisation pour cette différence, en Catalogne, à Valence,  aux Baléares,  au Pays Basque et en Navarre, et, dans une bien moindre mesure, en Galice.

    Ce sentiment que j’appellerai « différentialiste » se centrait fondamentalement sur les questions culturelles et linguistiques, sans que l’on méconnaisse d’autres aspects de la revendication : politiques, économiques, administratifs.

    Il est logique que ce soient les territoires signalés qui aient été les plus motivés, parce qu’y survivaient, avec une plus ou moins grande intensité, une langue et une culture propres, partageant l’espace, de manière inégale avec le castillan, langue de la culture officielle ; elles étaient généralement maltraitées. Mais ces langues étaient très vivantes (rien à voir avec la situation des langues régionales en France) et utilisées habituellement par des millions de personnes.

    Il faut dire que, dans ces années-là, l’immense majorité des gens mobilisés le faisaient par AMOUR de ce qui était leur ; il y en avait très peu qui le faisait en HAINE de l’Espagne et de ce qui est es

  • Terres de sang : l’Europe entre Staline et Hitler, par Champsaur

    Sur un livre. Entre 1933 et 1945, Soviétiques et nazis ont tué quatorze millions d'êtres humains en Europe de l'Est.

    TERRES DE SANG.jpgCette traduction récente chez Gallimard de l’ouvrage de l’historien américain Timothy Snyder (Yale), « Terres de sang », paru en Octobre 2010 aux États Unis sous le titre « Bloodlands : Europe between Hitler and Staline », vient combler un vide. On ne trouve pas en France un ouvrage aussi documenté (et accusateur) sur la collusion objective, historiquement incontestable, et la complicité entre Staline et Hitler pour avoir procédé au cœur de l’Europe à l’assassinat industriel de populations à une échelle jamais rencontrée jusque-là dans l’histoire de l’humanité. Mao et ses séides feront mieux 15 ans plus tard. Le sujet lui-même a contraint l’auteur à ne commencer son étude qu’après l’installation ferme de Staline au pouvoir, c’est-à-dire, 1930 environ (décembre 1934, assassinat de Serguei Kirov). Et donc ne sont pas considérées les périodes précédentes de Lénine et Trotsky, elles aussi horriblement jonchées de cadavres d’innocents. La géographie des Terres de sang comprenait la Pologne, les pays Baltes, la Biélorussie soviétique, l’Ukraine soviétique, et la frange occidentale de la Russie soviétique. 

    ( Traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 705 p., 32 € : http://mediabenews.wordpress.com/2012/06/14/timothy-snyder-terres-de-sang-l-europe-entre-hitler-et-staline/ )

    Les ouvrages sur le sujet sont tous britanniques et américains. Quand Snyder s’interroge sur l’absence de référence française, il apporte une réponse qui n’est pas inexacte mais notoirement incomplète. Selon lui, tout ce qui aurait ressemblé à une mise en accusation trop poussée du stalinisme, aurait été assimilé à une apologie du nazisme. C’est oublier comment le communisme s’est installé en France à partir du congrès de Tours, et l’action de l’organisation internationale qui ordonnait. Seuls quelques chercheurs historiens ou journalistes consacrèrent leurs études à ce que Stéphane Courtois vient d’appeler « Le bolchevisme à la française ». Une autre pièce de base est son « Eugène Fried », en collaboration avec sa directrice de recherche, la regrettée Annie Kriegel, biographie excellemment documentée de l’officier traitant de Maurice Thorez, juif slovaque de la IIIème Internationale et du kommitern, installé en France et vivant dans l’ombre, collé à sa marionnette.

    C’était difficile à relater en France avant 1939. Snyder décrit les mises en scène autour du voyage d’Edouard Herriot en Août 1933 à Kiev, d’où il revint enthousiasmé et bouleversé par les réussites du socialisme soviétique. À cette date il avait déjà été 3 fois Président du conseil en France. Il ne fut pas le seul à avoir été ainsi abusé. Mais la mise en cause devint tout à fait impossible après la fin de la guerre et un PCF labellisé grand résistant. Comme le dit très bien Snyder le rideau de fer tomba aussi sur ces Terres de sang, au risque d’engloutir la mémoire.

    hitler,staline,goulag,totalitarisme,revolutionLes quelques témoignages qui furent tentés furent sauvagement combattus, comme celui de Margaret Buber – Neumann. Communiste allemande, née à Postdam, épouse d’un haut responsable communiste allemand Heinz Neumann, ils fuient le nazisme, pensant trouver refuge en URSS. Un jour Neumann est arrêté, disparait à jamais, et Margaret Buber est envoyée en camp. Pour montrer sa bonne volonté à Hitler, Staline renvoie en Allemagne nazie, tous les communistes allemands réfugiés chez lui. Margaret Neumann est envoyée à Ravensbruck, où elle survit. Elle est vilipendée en voulant témoigner au procès Kravchenko en Janvier 1949.

    Avec juste raison Snyder relève que les 50 années de guerre froide bloquèrent l’accès aux archives. Mais autant la documentation sur la terreur stalinienne devint progressivement accessible, autant il ne faut pas exagérer une autorisation d’accès aux archives de l’appareil clandestin. Qui touche directement la France, partiellement la Grande-Bretagne, et un peu les États Unis.

    Le livre se divise à peu près par moitié en une première partie consacrée aux crimes de Staline, et une seconde à ceux des nazis, après le 22 Juin 1941 (agression de l’Allemagne contre l’URSS, Barbarossa). Et l’horreur changea de camp. Un lecteur français n’apprendra rien sur les assassinats de masse perpétrés par les nazis, car déjà objets de dizaine de livres, d’articles de presse et de kilomètres de bobines de films. Tout en étant surpris qu’aucune mention ne soit faite de la réunion de Wannsee en Janvier 1942, où fut décidée « la solution finale ». On en apprend en revanche beaucoup sur les génocides organisés par Staline, avec la famine comme instrument de tuerie. Il est souvent de bon ton en France, chez les chercheurs prétendant étudier la terreur stalinienne d’argumenter sur le nombre des victimes. Après avoir failli participer à cette sordide polémique, le chercheur Nicolas Werth rétablit des vérités, en particulier sur les travaux de l’historien britannique Robert Conquest (Sanglantes moissons et la Grande Terreur, écrits en 1968 et 1985, sans accès aux archives soviétiques). Snyder et ses étudiants avancent le chiffre de 6 millions, dont 4 millions sur les Terres de sang. Chiffres qui concordent avec ceux de Werth dans un de ses derniers livres « L’ivrogne et la marchande de fleurs, autopsie d’un meurtre de masse, 1937 - 1938 ». Mais curieusement Snyder ne retient pas le mot ukrainien de Holodomor. Et cynisme illimité de l’université, probablement au nom de la liberté, il s’est trouvé des intellectuels pour benoitement se demander si la tuerie en Ukraine pouvait être cataloguée comme génocide.

    Snyder nous propose aussi quelques formules que nous tenons pour justes, mais que l’on entend peu en France « La (grande) guerre fit éclater les vieux empires d’Europe, tout en nourrissant les rêves de nouveaux empires. Elle remplaça le principe dynastique du pouvoir impérial par l’idée fragile de la souveraineté populaire … Dans les années 1930 l’URSS fut le seul état d’Europe à mettre en œuvre des tueries de masse. Dans les six premières années qui ont suivi l’accession d’Hitler au pouvoir, le régime nazi ne tua pas plus de 10.000 personnes environ. Dans le même temps le régime stalinien en avait fait mourir des millions et en avait exécuté 1 million …«.

    Il remarque que l'URSS n'a jamais tué autant que lorsqu'elle n'était pas en guerre, alors que ce fut exactement le contraire pour l'Allemagne nazie, qui se surpassa durant le conflit, détruisant plus de vies humaines qu'aucun autre État dans l'histoire - avant la Chine maoïste. Mais on est de nouveau surpris quand Andrej Vychinski, le procureur de Staline, n’est cité qu’une fois, alors qu’il fut le sinistre pourvoyeur des lieux de mort.

    La coopération entre les deux démons atteint son paroxysme pour procéder à la destruction de la Pologne.

    Dans l’un des beaux ouvrages sur la diplomatie européenne au 20ème siècle (Diplomatie, Fayard), Henry Kissinger nous dit dans le style glacé d’une dépêche diplomatique « Jusqu’en 1941, Hitler et Staline avaient poursuivi des buts non traditionnels par des voies classiques. Staline attendait le jour où il lui serait possible de gouverner un monde communiste depuis l’enceinte du Kremlin. Hitler avait tracé dans Mein Kampf les grandes lignes de son projet d’empire racialement pur, régi par la race aryenne. On aurait difficilement pu imaginer deux desseins plus révolutionnaires. Or les moyens que Hitler et Staline mirent en œuvre et qui trouvèrent leur pleine expression dans leur pacte de 1939, aurait pu figurer dans un traité du XVIIIème siècle sur l’art de gouverner. Sur un point le pacte germano-soviétique répétait les partages de la Pologne effectués par Frédéric le Grand, la Grande Catherine et l’impératrice Marie-Thérèse en 1772. A la différence de ces trois monarques, toutefois, Hitler et Staline s’opposaient par leur idéologie. Mais pendant un moment, leur intérêt national commun, en l’occurrence la mort de la Pologne, prit le pas sur leurs divergences idéologiques.» 

    hitler,staline,goulag,totalitarisme,revolution

    "...tant qu'il y a une Pologne à partager, Berlin c'est Moscou, Moscou c'est Berlin..." (Jacques Bainville) 

     

    Snyder décrit dans le détail le martyr de ce malheureux pays. Des pages insoutenables. On peut reprocher de quasiment se limiter à un décompte, sans analyse politique plus large. Mais est elle réellement nécessaire ? On ne peut échapper à l’accumulation de chiffres, ce qui rend le développement parfois confus, et la lecture difficile. Mais l’énorme référence bibliographique donne un résultat incontestable.

    Parvenu à la dernière ligne de ce travail, on reste perplexe avec plusieurs questions.

    1. La première est la connaissance que l’on avait « à l’Ouest » de ce qui se passait depuis 1930. Que savait-on et quel pays était susceptible de détenir le plus d’informations ? Snyder cite beaucoup de journalistes, américains et anglais, et toutes les tentatives de témoignages, restées lettres mortes. Nicolas Werth détaille (op. cité) les précautions de secret qui entouraient les ordres des tueries donnés au NKVD. Comme il démontre comment la Grande Terreur fut organisée et suivie dans son détail par Staline lui-même. Une France qui aurait cherché à savoir depuis 1930 aurait pu se poser des questions sur les pays baltes, la Biélorussie et l’Ukraine. On ne peut dès lors qu’être profondément troublé et consterné par l’acharnement mis à incriminer notre pays dans la déportation des juifs pendant l’occupation. Tous les témoignages concordent pour confirmer que la destination finale des malheureux n’était connue de personne, pas plus que l’existence de centres d’assassinats industriels de populations.

    2. La seconde interrogation concerne aussi la France. Pays où toute tentative de travail d’historien ou universitaire de démontrer la complicité entre Staline et Hitler, se heurte invariablement à un barrage. Alors que nous sommes 80 ans après les évènements. Chaunu a fixé le parallèle avec ses «jumeaux hétérozygotes». Pour se convaincre du blocage intellectuel dans l’université et ailleurs, il n’est que de ressortir les hurlements que sa formule a déclenchés. Dans une série traitant des grands évènements du 20ème siècle, les Echos conclut l’année 1999 avec plusieurs pages sur le communisme. Et il titre le 22 octobre 1999 : « Le communisme : une idée généreuse dévoyée en dictatures sanglantes ». Imagine-t-on semblable titre pour parler du nazisme ?

    Snyder rappelle que dans la période de la visite d’Herriot, beaucoup d’informations commençaient à circuler sur le drame qui se jouait en Ukraine (ukrainiens de Pologne, organisations féministes ukrainiennes … etc). Mais Roosevelt ne voyait que son projet d’établir des relations diplomatiques avec Moscou.

    Et troisième question : les choses ont-elles réellement changé quant à l’utilisation de la propagande par la puissance qui la contrôle le mieux aujourd’hui ? Certes nous ne parlons plus de génocide planifié, mais il suffit de trouver la bonne formule, avec la puissance des mots. Comme celle de «conflits à basse intensité», selon la trouvaille de feu Robert McNamara …