M. Bernard Guetta, journaliste spécialisé dans la géopolitique (sa chronique matinale sur France Inter, même quand elle est critiquable sur le fond – et c’est assez souvent le cas – est toujours d’un très grand intérêt) nous serine depuis des mois que les pays arabo-musulmans sont en marche vers l’oméga démocratique. Si vous lui faites remarquer que le prétendu printemps arabe a de fait débouché sur un hiver islamique, ou pis islamiste, il vous répondra que vous vous trompez car il n’y a pas à proprement parler d’islamisme, il n’y a que des musulmans qui ont librement voté. Si vous avancez que le facteur religieux reste de toute façon dangereusement prépondérant au Maghreb et au Proche-Orient, il n’hésitera pas à faire le parallèle – insoutenable - avec l’Europe d’avant guerre ou même les Etats-Unis d’aujourd’hui. Ne reculant devant aucun sacrifice intellectuel « tactique », il cite volontiers – lui, l’homme de gauche - l’exemple dela Turquie où la « démocratie-musulmane » (comme il existe une démocratie-chrétienne) de M. Erdogan permettrait au pays de se distinguer en matière d’économie de marché avec un taux de croissance toujours proche de 5%. Et il n’est pas loin de voir dans le Qatar une sorte de compromis plus ou moins tolérable, puisque cet émirat se démarque de la rigoriste et honnie Arabie Saoudite par un projet fondé sur l’alliance du libéralisme économique et d’un simple conservatisme socio-religieux.
M. Bernard Guetta est une sorte de croyant, aveuglé par sa foi démocratique. Fagoté qu’il est dans son idéologie, aucune critique ne le perturbe et il ne recule devant aucun paradoxe. L’intérêt de la France ne semble pas déterminant à ses yeux – tout au moins pour ce sujet-là. Après tout, c’est (ou ce n’est qu’) un journaliste…
Mais que penser de M. Hollande qui, chef de l’Etat, vient, par une double annonce sur la Syrie (reconnaissance du contre-gouvernement formé par l’opposition et échange imminent d’ambassadeurs), de donner à la politique étrangère dela Francedans la région un cap sinon dangereux, du moins douteux. Il se peut en effet qu’in fine les événements de Syrie tournent de la façon manifestement souhaitée par M. Hollande : c’est même plausible. Il se peut aussi que la France y trouve son compte : c’est seulement possible, mais franchement peu plausible. Au fond, la bonne question est de savoir en quoi nous importe – et que nous rapporterait - l’avènement (si avènement il y a) d’un régime dit « démocratique » en Syrie. Faute d’explication(s), l’emballement actuel est bien risqué.
M. Hollande n’est plus Premier secrétaire du Parti socialiste et il ne peut légitimement compromettre la France et ses intérêts pour des motifs idéologiques en fait identiques à ceux de M. Guetta.