Il est perspicace, il est futé, Hervé Morin ! Faut-il pleurer ou bien en rire ?
Cette déclaration-découverte nous est révélée par Valeurs actuelles.
UA-147560259-1
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Cette déclaration-découverte nous est révélée par Valeurs actuelles.
À trop confondre “république” et civilisation, on risque de ne rien comprendre aux enjeux de notre époque.
Depuis les attentats du mois dernier à Paris, l’invocation aux “valeurs républicaines” tourne au moulin à prières. Gauche et droite s’en gargarisent pour légitimer leur mise au rebut du FN, mais Marine Le Pen ne s’en réclame pas moins.
Tous les éditos, tous les sermons politiques soulignent la nécessité de resserrer les rangs sur les “valeurs républicaines”, talisman pour nous prémunir du communautarisme, panacée pour forger l’armature morale de notre jeunesse. Or, n’en déplaise à la gent prédicatrice, les “valeurs républicaines”, ça n’existe pas. On confond indûment valeur et principe.
L’honneur, la liberté, l’altruisme, le courage, la probité, la pudeur, l’équité, le respect de soi et d’autrui, la bonté, le discernement, la générosité sont des valeurs, et il serait opportun qu’on les inculquât à l’école. À la fois universelles et modulées par la culture de chaque peuple, elles ne sauraient être l’apanage d’un régime politique déterminé.
Elles sont aussi enracinées dans les monarchies européennes que dans notre République. Les sujets de Sa Majesté la reine d’Angleterre jouissent de la même liberté que les citoyens français. Ceux des républiques d’Iran, du Soudan, du Pakistan ou de l’ancien empire soviétique en sont privés. Bref, le mot “république” ne recèle en soi aucune “valeur”, et en conséquence il n’a pas la moindre vertu morale.
Les aléas de notre histoire ont abouti pour l’heure à un consensus sur la forme républicaine de nos institutions et personne n’en conteste la légitimité. Mais c’est juste un principe, héritage lointain de Rome, recyclé à partir de la Révolution et pas très assuré sur ses bases, car enfin, depuis la fin de l’Ancien Régime, la France a déjà consommé cinq républiques, plus deux empires, deux restaurations et deux régimes bâtards imputables à deux défaites face aux Allemands. Notre attachement à la Marseillaise ne doit pas occulter dans notre imaginaire collectif l’oeuvre patiente des Capétiens, des Valois et des Bourbons. Faute de quoi la promotion d’inexistantes “valeurs républicaines” se résumerait à une propagande sectaire visant à éradiquer nos racines.
À cet égard, le baratin ambiant sur “l’esprit du 11 janvier” inspire quelque suspicion. Le pouvoir socialiste a usé et abusé de l’émotion populaire pour se refaire la cerise. C’est de bonne guerre, et la droite a donné dans le panneau d’une “unité nationale” téléguidée par des idéologues à l’enseigne de “Je suis Charlie” et pimentée à la “laïcité”, autre principe (louable) confondu avec une valeur.
Ces confusions sont pernicieuses, et pas forcément innocentes. Ce qui manque à tous les étages de la société française, depuis l’école jusqu’aux “élites”, c’est bel et bien une architecture morale reposant sur un socle de valeurs. Des vraies. Les velléités pédagogiques que l’on voit poindre ici et là ne s’y réfèrent nullement, on n’y distingue en filigrane qu’un catéchisme “républicain” de gauche, autant dire une fiction maquillant un déni de mémoire à des fins bassement partisanes. Rien de probant n’en résultera.
Dans une société aussi matérialiste, où tout incite la jeunesse à ne convoiter que des choses consommables, où les politiques nous parlent exclusivement de taux de croissance, où la vulgarité médiatique menace d’engendrer des fauves amoraux, amnésiques et avides, il serait urgent de renouer avec les valeurs cardinales. Elles ont toutes en commun une exigence d’élévation, comme c’était le cas dans toutes les civilisations quand les modèles du saint, du héros ou du sage équilibraient les pulsions inhérentes à la nature humaine. Aussi longtemps qu’on mettra la barre des aspirations à l’altitude zéro du mercantilisme, “républicain” ou autre, on lâchera dans une jungle sans foi ni loi des êtres intellectuellement, psychiquement, spirituellement invertébrés. Et on verra surgir de partout des candidats au djihad. •
A droite : caricature du député Henri Alexandre Wallon, célèbre pour avoir été à l'origine de l'amendement instaurant le mot « république ».
Franck Ferrand réagit à l'adoption d'un amendement de la loi Macron qui prévoit le remplacement de certaines fêtes catholiques dans les DOM. Il rappelle les précédentes lois qui, dans l'histoire, ont été votées en catimini: la mort de Louis XVI et l'instauration de la République.
Franck Ferrand est historien, écrivain et journaliste. Toutes les semaines il tient une chronique sur FigaroVox.
Il y a quelques jours -le samedi 13 février- dans un hémicycle déserté, a été voté un simple amendement à la loi Macron, déposé par la Socialiste réunionnaise Ericka Bareigts, et permettant aux départements d'Outre-mer de remplacer cinq jours fériés de tradition catholique par d'autres, afin de tenir compte «des spécificités culturelles, religieuses et historiques» locales. Évidemment, au-delà d'un certain nombre de cas folkloriques, le débat cristallise autour de l'introduction de fêtes musulmanes, comme l'Aïd el-Kebir, dans le calendrier de la République. Les auteurs de cette réforme ont beau vouloir en minimiser la portée, c'est évidemment une brèche que certains tenteront d'élargir...
Sans entrer ici dans un débat qui promet d'être aussi vif que stérile -puisqu'il intervient a posteriori- j'aimerais revenir sur le mode extrêmement discret - quasi-accidentel - de cette adoption législative. Et rappeler que ce n'est pas la première fois, en France, qu'une décision importante est prise en catimini.
N'oublions pas que c'est de manière similaire qu'a été voté le fameux amendement Wallon, instituant pour de bon la République. Nous sommes le 30 janvier 1875; quatre ans et demi plus tôt, dans le tumulte de l'après-Sedan, a été proclamée la République, sur les décombres du Second Empire. Mais l'assemblée élue en février 1871 est nettement conservatrice, et même favorable à la Monarchie -n'en déplaise au chef de l'Exécutif, Adolphe Thiers, qui du reste a dû céder la place au maréchal de Mac-Mahon, ouvertement favorable au petit-fils de Charles X, héritier du trône des Bourbons. C'est alors qu'à Versailles, où siège l'Assemblée, commence, en janvier 1875, l'examen de projets de loi «relatifs à l'organisation des pouvoirs publics». Le 30, en fin d'après-midi, le député Henri Wallon, de l'Institut, historien pourtant conservateur, propose un amendement ainsi rédigé: «Le président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est élu pour sept ans. Il est rééligible.» Cela revient à nommer clairement le régime en vigueur, et donc à instituer la République -ce qui est fait à 18h45, ce 30 janvier 1875, et par 353 voix contre 352. Soit une voix de majorité, une seule !
Que ceux qui seraient tentés de relativiser l'importance de l'amendement Bareigts, en arguant simplement des circonstances modestes de son adoption, méditent simplement sur l'exemple de l'amendement Wallon ! Et qu'ils admettent qu'une loi, même votée en catimini, peut avoir de grandes conséquences. •
Jean Raspail répond aux questions de François Davin et Pierre Builly
Nous l'avons connu d'abord par ses livres. Aux Baux 76, nous l'avons entendu nous dire sa confiance dans une certaine remise en cause des conformismes intellectuels régnants. Et son espérance rejoignait la nôtre sans qu'il fût besoin que Jean Raspail appartînt à l'Action Française : ce discours figure dans Boulevard Raspail, son dernier livre.
On appréciera le tour très libre, très peu formel, de l'entretien qu'il a accordé à François Davin et Pierre Builly.
Si Jean Raspail laisse des questions sans réponse c'est que notre famille d'esprit n'a que peu de goût pour les idéologies et les systèmes. Sur les réalités à défendre, l'accord ne va-t-il pas de soi ?
• : une de vos anciennes chroniques du Figaro m'a particulièrement marqué. Elle date d'environ deux ans, s'intitulait « les signes noirs » et me paraissait assez bien refléter ce que vous pensez, ce que vous dites, ce que vous avez mis dans le « Camp des Saints » ce que vous avez exprimé dans la « Hache des Steppes » et dans le « Jeu du Roi ». Au-delà de la péripétie électoraliste, au-delà du jeu des forces politiques proprement dites, ce que nous pourrions appeler le pays légal, il y a un danger, un risque de déliquescence pour la société française dans toutes ses composantes qui étaient jusque-là restées organisées : par exemple l'éducation, la justice, l'armée, etc. ...
Jean Raspail : Si ma mémoire est bonne, j'ai écrit à ce moment-là, et je le crois toujours, que peu à peu des hiérarchies parallèles se sont établies au sein de toutes les organisations sociales : l'armée, l'enseignement, la Justice, l'Eglise. Il me semblait que personne ne le disait à ce moment-là. J'ai eu un petit peu d'avance sur les autres. Pas tout seul d'ailleurs.
• : En effet, vos livres et vos chroniques ont fait irruption dans le marécage, pratiquement les seuls à l’époque. Aujourd'hui il y a beaucoup de monde qui évoque ces sujets.
J. R. : Actuellement les signes dont j'ai parlé me semblent connus de l'opinion, qu'il s'agisse de l'opinion modérée ou majoritaire, comme vous voudrez, ou même, peut-être, d'une partie de la gauche. Ce qui est étonnant aujourd'hui, c'est qu'il n’y a pas de réaction réelle. Tout se passant au niveau politique, plus rien ne se passe au niveau - comment dirais-je ? - des âmes, comme si les pouvoirs en place ne prenaient pas en compte l'âme de la nation. Et cela c’est ce qu’il va falloir essayer de dire. Je prétends par exemple que la jeunesse est complètement abandonnée à elle-même. Il y a des tas de gens qui s'occupent d'elle, les sports, par exemple, ne sont pas mal gérés, l’Education nationale représente un budget énorme … Je mesouviens qu'Herzog me disait, alors qu'il était Secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, que l'argent ne lui manquait pas pour construire des piscines ou des stades, qu'il y en avait partout mais que c'était l'âme qui manquait pour y aller. Il en est ainsi dans tous les domaines. Or, à moins de ne plus être en démocratie libérale, est-ce qu'un gouvernement pourrait avoir un pouvoir sur les hommes ?
• : Est-ce que la nature de la démocratie libérale n'est pas de susciter autour d'elle des contre-pouvoirs ?
J. R. : Certainement cela tient à la nature de la démocratie libérale. D'ailleurs, j'en parle dans les chroniques que j'écris actuellement. J'en ai déjà fait trois. Il en paraît une par mois. J'ai écrit « jeunesse et démocratie », « rites et démocratie », « patrie et démocratie ». Après je ferai « races et démocratie », « Famille et Démocratie », etc. ... toute une série pour savoir où la démocratie peut être bonne... Personnellement, je ne suis pas fasciste, je ne considère pas qu'une démocratie est forcément mauvaise.
• : Tout dépend de ce que vous entendez par démocratie.
J.R. : C'est ce que j'essaie de définir. Pour clarifier ma pensée, disons simplement que je ne suis pas du tout un théoricien, que j'essaie d'être un écrivain qui réfléchit sur les problèmes de ce temps.
• : Vous ne résolvez encore rien. Vous dites : on connaît les signes mais il y aura une nouvelle étape à franchir. Connaîtrait-on les causes de ces signes, que l'on connaîtrait le remède. Mais le remède ne sera connu que lorsqu'on aura une version claire des causes. Que faire pour en sortir ? Jusqu'à présent vous ne voyez pas le comment.
J.R. : Ce qui est embêtant. Il semblerait qu'en ce moment la fameuse distinction de Maurras entre le pays réel et le pays légal n'est plus vraie. Le pays profond ou réel n'est pas du tout traversé par les mêmes courants de sentiment, d'enracinement. On se trouve devant un pays, il n'est pas le seul d'ailleurs, qui était jusqu'à il y a, au fond, peu de temps, industrialisé à 5%. Aujourd'hui le pays réel ou profond, ça ne veut plus dire grand-chose quand on voit par exemple Sarcelles ou n'importe quoi d'autre, toutes ces immenses banlieues ou cette région parisienne où vivent quand même 25% des Français. Je connais bien mon village en Provence que j'habite six mois de l'année. Je suis certain que c'est le pays réel. J'entends mes socialistes au bistrot. Ils feraient rougir Rocard et Mitterrand. Quant au pays profond, il n'est plus tellement profond. Il est devenu d'une effroyable superficialité; on ne sait plus trop par quel bout le prendre.
• : Oui, mais vous dites que la solution ne paraît pas résider dans le libéralisme avancé.
J.R. : Probablement pas.
• : Vous dites je vois les signes, j'étudie les signes ...
J.R. : Je crois que c'est le privilège de l'écrivain. Comme il n'a pas d'œillères, il a plus de liberté pour juger les choses d'un peu haut. Il n'est pas obligé de rédiger un article de journal tous les jours.
• : Votre héros du « Jeu du Roi » en vient à sortir du monde et à se créer un royaume intérieur. Je crois percevoir en lui un fond de découragement ou de pessimisme. Est-ce un peu vous ou uniquement un personnage ?
J.R. : Il y a une certaine : ambiguïté du personnage. Tous les romanciers vous le diront, il y a une part probablement de l'auteur, on ne sait pas très bien où elle est, elle peut se trouver un peu partout. Ce n'est pas explicable. D'autre part un romancier n'écrit pas une histoire que mène uniquement un désir démonstratif. Vous avez vu Dutourd dernièrement. Vous lui avez parlé de Mascareigne. Eh bien ! Il a répondu la même chose.
Je ne pense pas que mon héros soit pessimiste dans cette histoire. Je pense que l'univers qu'il trouve ne lui convient pas : il s'en est fabriqué un autre et comme en l'occurrence ce jeune garçon puis cet homme était comme une espèce de romantique d'épopée, habité par la notion, le souci dont sont animés ce que j'appelle, moi, tous hommes bien nés sans aucune référence, bien sûr, à l'aristocratie, il a en définitive une attitude de dépassement qui est la réalisation de la part du divin dans chacun d'entre nous. Or, ne trouvant pas cela dans la société où il vivait, il s'est bâti un univers à part. Ce n'est pas une idée fondamentalement originale. Il y a d'autres romanciers qui ont décrit des choses de ce genre. Je ne sais pas politiquement où en est Julien Gracq. Peu importe. Mais dans « Le Rivage des Syrtes », il y a un peu le même souci de dépassement qu'on ne peut plus trouver dans le monde où nous sommes.
• : L'important n'est-ce pas la transmission du flambeau ?
J.R. : Une transmission c'est la flamme qui passe. A la fin du « Jeu du Roi », Jean-Marie parle aussi à l'adolescent : « le jeu s'emparera de ta vie ». Tant que la flamme brûle, l'idée n'est pas morte, l'espoir non plus.
• : Dans votre livre la révolution s'est installée.
J.R. : On me l'a reproché. Certains critiques ont écrit : c'est dommage, il a démoli une partie de son livre en faisant redescendre le lecteur du rêve à la réalité. C'est un reproche qui est presque justifié mais je voyais le livre de cette façon.
• : Votre héros pense peut-être que la contre-révolution exige une réaction sur soi-même.
J.R. : Il faut le comprendre:ce n'est pas un politique. C'est un homme qui réagit. Je crois pourtant qu'il a des justifications politiques; il est dans une situation telle qu'il doit bâtir l'arche et transmettre le flambeau. C'est un peu ce que fait cette droite qu'on appelle extrême. Qui disait qu'il y avait dans l'extrême-droite la fascination du flambeau à transmettre et ce sentiment de l'infime minorité qui détient la vérité ? Je suis certain qu'il y a beaucoup de Français non-engagés politiquement qui éprouvent la même impression.
• : La morosité. le marasme ?
J.R. : Non, mais l'idée de celte pérennité de l'homme et de la part merveilleuse qu'i! doit assumer. Je suis certain que beaucoup le pensent. Seulement comme dans la société moderne c'est de plus en plus difficile à réaliser, il reste le repliement à l'intérieur de soi-même ; qui ne veut pas dire du tout renoncement. En fait, c'est un enrichissement personnel.
• : Cette attitude ne suppose-t-elle pas un minimum de lutte, de présence dans le monde ?
J.R. : Cela veut-il dire quelque chose à ce moment-là ? On m'a posé la même question à propos du « Camp des Saints » qui se termine de façon catastrophique. Tous mes livres ont, c'est vrai, un certain fondement politique. Mais ce sont des romans, non pas des messages, ni des encouragements. Au fond c'est peut-être ce que les gens recherchent, surtout les jeunes gens. Je n'ai pas à le faire pourtant.
• : Votre vocation est plutôt d'attirer l'attention. A propos du « Camp des Saint » justement j'ai vu à la télévision votre tribune avec Max Gallo. Je crois qu'il vous a demandé : « Que préconisez-vous contre cette masse qui arrive ? Envoyer une bombe ou quelque chose d'approchant? Et vous vous êtes un peu réfugié dans : « Moi, je suis écrivain ». Au fond vous avez fait disparaître encore un peu votre responsabilité.
J.R. : Je n'ai pas voulu me laisser entraîner sur ce terrain. Le « Camp des Saints » est une histoire. Ce n'est pas non plus une réponse. Quand on me dit : faut-il les tuer tous, les passer au napalm ou leur envoyer la bombe atomique ? Je ne peux pas répondre oui. C'est quand même plus subtil. Alors j'ai essayé de dire que le « Camp des Saints » est un livre symbolique. Dans l'introduction je dis : ça se passera mais ça ne se passera pas exactement comme ça. En tout cas c'est un problème qui est de plus en plus précis et présent. Qui doit assumer cette responsabilité ? Ils sont là. Ils sont de plus en plus nombreux. Nous le sommes de moins en moins. En ce moment c'est une idée qui commence à passer.
• : Vous ne trouvez pas qu'il y a une sorte de réveil de cette « droite », terme assez difficile à définir et très ambigu ?
J.R. : Sur le plan des idées, oui. A l'heure actuelle il y a un réveil exceptionnel de la pensée dite de « droite » à telle enseigne qu'on est en train de se demander, Dutourd l'a écrit d'une façon très amusante il y a quelques semaines : y aura-t-il encore des intellectuels de gauche dans deux ans ? C'est très étrange à voir. Nous parlions du pays profond tout à l'heure : peut-être les écrivains, grâce au seul privilège de leur détachement, anticipent-ils ? Et peut-être le pays dit profond, même dans ses H.L.M. ou ailleurs, comprend-il déjà confusément ces choses.
Ils sont allés trop loin: Le projet socialiste sur l'éducation en créant une éducation inégalitaire défavorise le fils de famille bourgeoise. Et quand on évoque le réveil de la droite intellectuelle, disons aussi qu'elle ne s'est jamais endormie. Jusqu'à présent, elle ne voulait pas s'assumer pleinement. C'est chez nous, dans notre famille de Français que la confiance vient car on s'aperçoit que nos écrivains, nos intellectuels reprennent du poil de la bête, ont du succès, qu'on les écoute, qu'on ne leur crache plus dessus et qu'au contraire on les rejoint de plus en plus. Mais ce progrès est significatif à l'intérieur de notre famille de pensée qui commence à être confortée comme on dit. Mais si elle reprend du poil de la bête cela ne veut pas dire du tout qu'elle ait la moindre influence dans le camp adverse. Je suis persuadé qu'elle n'en a aucune.
• : Nous en sommes aux premiers pas d'un renouveau.
J.R. : Et l'on sera victime du phénomène de récupération des idées qui sont les nôtres et qui commencent à compter maintenant.
• : Récupération électoraliste ?
J.R. : Non, pas électoraliste. La guerre se situe au plan des idées. Pour moi, Revel est une espèce de sous-marin qui vient rejoindre une famille de pensée pour jeter une sorte de pont.
• : Vous n'y croyez pas pour Revel, mais pour les nouveaux philosophes ?
J.R. Les nouveaux philosophes, à mon avis c'est terminé. On ne les a pas attendus pour savoir que penser du marxisme. Leur itinéraire, la publicité faite autour d'eux me paraissent tellement excessifs et extraordinaires ! On s'en est servi en fait pendant six mois. Maintenant il faut leur régler leur compte parce qu'il faut faire très attention à ces sous-marins qui récupèrent certaines de nos idées parce qu'elles commencent à s'imposer. Les gens se disent ah ! ah ! ces idées-là sortent. Et voilà que les petits cloportes veulent nous arracher tout cela. On nous a fait le coup bien souvent : la nature, le régionalisme; et pour quantité de choses, on va nous faire le coup aussi. Il faut se méfier drôlement.
• : Une dernière question. Dans « Boulevard Raspail » vous publiez votre discours des Baux de 1976. Vous l'accompagnez d'une introduction où vous marquez la sympathie que vous nous portez. Comment la définissez-vous ?
J.R. : J'avais l'impression d'être chez moi quand je suis allé aux Baux. J'étais dans ma famille, tout au moins dans une partie de ma famille. Moi, un Roi me conviendrait parfaitement. •
En republiant aujourd'hui l'entretien de Jean Raspail avec Pierre Builly et François Davin, paru dans Je Suis Français en février-mars 1978, nous ne pouvons pas manquer d'évoquer ce qu'a été ce mensuel. D'autant qu'entre l'équipe qui le réalisait, qui a organisé aussi pendant quelques 36 ans les rassemblements royalistes de Montmajour et des Baux de Provence et celle qui a aujourd'hui la responsabilité - et la charge ! - de Lafautearousseau, il y a pour partie continuité. Il se trouve que le site Action Française Provence a mis en ligne (le 16 janvier 2015) un historique bien conçu de ce que fut Je Suis Français. A quelques modifications de détail près, c'est cet historique, accompagné d'une vidéo, que nous publions ici.
Au lieu de l’inscription « Je suis Charlie », certains auraient préféré « Je suis Français », à l’instar du chanteur M. Pokora qui a déclaré dans "Le Parisien" :
"Je n'ai pas mis "Je suis Charlie" sur Twitter mais "l'union fait la force" accompagné d'un carré noir. Pour moi, c'est même plutôt "Je suis français" parce que c'est mon pays qui est touché à travers ces victimes, citoyens français symboles de liberté ; [...] c'est triste qu'il faille attendre un événement comme celui-là ou une victoire en Coupe du monde pour qu'on se dise tous : "On est français" et qu'on défende nos valeurs".
Telle est exactement notre position. Dès le 8 janvier !
Mais certains militants d’Action Française se souviennent aussi que ces trois mots ont servi de titre à un mensuel royaliste à l'époque de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et du premier mandat de François Mitterrand.
Alors que l’AF, à la suite de la scission de la NAF, était divisée, quatre unions royalistes du Sud de la France regroupèrent leurs publications (« Action-Sud », « Aspects du nationalisme », « L’Ordre Provençal » et « L’Union Nationale du Midi ») pour fonder un journal commun à vocation nationale appelé « Je Suis Français ».
Le numéro 0 parut en mai 1977. La présentation se modifia en mai 1979. (Photos).
L’Action Française s’était alors réunifiée et « Aspects de la France » (devenu ensuite « Action Française 2000 ») était le journal autour duquel il fallait se rassembler.
La rédaction de « JSF » était située à Marseille, au siège de l’Union Royaliste Provençale. Ses rédacteurs en chef étaient Gérard POL et Jean-Louis HUEBER. Paul LEONETTI s’occupait de la maquette.
L’éditorial du dernier numéro fit le bilan de l’entreprise :
« Nous pensons avoir accompli, pendant près de 10 ans, un travail utile et de qualité, reconnu de tous. La permanence de Je Suis Français a d'abord été possible grâce aux efforts constants d'un petit groupe de militants d'un remarquable dévouement à l'Action Française. Mais sa rectitude de pensée est provenue aussi d'une parfaite fidélité aux idées maurrassiennes hors desquelles aucune réflexion politique globale n'est menée en France par quiconque. Quant à la qualité parfois exceptionnelle de Je Suis Français, on la doit à quelques-uns de ses collaborateurs les plus réguliers et les plus fidèles :
- Christian PERROUX et Pierre DEBRAY tout d'abord, le premier nous ayant apporté, jusqu'à sa mort trop tôt survenue, le bénéfice de son immense culture et de son talent, le second n'ayant cessé, jusqu'à cet ultime numéro, de prolonger pour nous ses études et sa réflexion politique entamées il y a plus de trente ans dans "Aspects de la France" et dont tant d'entre-nous se sont nourris.
- Mais au-delà de ces deux collaborateurs exceptionnels, les éditoriaux de Jacques DAVIN, les réflexions de Jean-Charles MASSON, les critiques de livres de Pierre LAMBOT, les points de vues nationalistes de François DAVIN, les articles de politique religieuse de Yves CHIRON et François LEFRANC, les chroniques régionalistes de Dominique POGGIOLO ou de politique intérieure de Franck LESTEVEN composaient un ensemble dynamique et cohérent.
- S'y sont ajoutés longtemps, grâce à Pierre LAMBOT et François DAVIN, d'éblouissants "dialogues" avec une pléiade de personnalités romanciers, historiens, journalistes - dont les réflexions venaient enrichir les nôtres voire les contester permettant ainsi une discussion toujours digne d'intérêt : il faudra bien un jour en publier le recueil. »
On peut ajouter, en plus des rédacteurs cités, les contributions (plus ou moins fréquentes) de Pierre BECAT, Jacques DAUPHIN, Pierre de MEUSE, Louis-Joseph DELANGLADE, Daniel ESCLEINE, Daniel LAROUMAN, Philippe LE GRAND, Jean NAZEL, Robert OBERDORFF, Béatrice SABRAN, Philippe SCHNEIDER, François SCHWERER, Gustave THIBON, Gérard WETZEL, et d’autres encore.
Plusieurs sont décédés mais tous les autres, sous leur véritable identité ou sous pseudonyme, continuent à travailler pour la France et le Roi.
De plus, « JSF » publiait chaque été les textes des principaux discours prononcés lors des rassemblements royalistes des Baux de Provence.
Le diaporama ci-dessous présente une sélection de couvertures de « Je Suis Français ». On pourra remarquer que certaines sont toujours d’actualité.
Et, ce qui est bien actuel, c'est que nous devons toujours dire et proclamer « JE SUIS FRANÇAIS ». •
« Je suis Français », ne pas l’oublier (16 janvier 2015)
Philosophe, professeur des universités, membre de l’Institut, Chantal Delsol vient de consacrer une livre au “populisme", un courant d’opinion qu’il est convenu de vilipender, mais qui mériterait davantage de considération à ses yeux.
L’Action Française 2000 – Considérant qu’il est difficile d’évoquer une catégorie qui relève davantage de l’injure que de la politique, vous procédez à une généalogie du populisme qui vous conduit tout droit en Grèce antique. Peut-on dire que le populiste est à la démocratie moderne ce que le démagogue était à la démocratie athénienne ?
Chantal Delsol – On peut dire que l’un et l’autre représentent le même symptôme : un problème que l’élite rencontre avec le peuple, dans un régime où, précisément, c’est le peuple qui est souverain. D’ailleurs ces catégories n’émergent que dans les démocraties. Mais tout mon livre consiste à montrer qu’il y a un abîme entre la démagogie antique et le populisme contemporain, parce qu’il y a eu un glissement à l’époque des Lumières, qui a transformé qualitativement les choses. Aujourd’hui, on traite les chefs populistes de démagogues, mais ; justement ; ils ne le sont pas du tout.
Selon vous, ce « saut qualitatif » qu’est « le passage de la grande particularité » (la cité, le royaume) « à l’universel » (devenir un citoyen du monde devient un impératif catégorique) s’accomplit entre Rousseau et Kant. Quelle est la responsabilité des Lumières dans ce passage de la politique à la morale ?
Le moment des Lumières est crucial. C’est le moment où le monde occidental se saisit de l’idéal émancipateur issu du christianisme, et le sépare de la transcendance : immanence et impatience qui vont ensemble – le ciel est fermé, tout doit donc s’accomplir tout de suite. C’est surtout vrai pour les Lumières françaises. Ce qui était promesse devient donc programme. Ce qui était un chemin, lent accomplissement dans l’histoire terrestre qui était en même temps l’histoire du Salut, devient utopie idéologique à accomplir radicalement et en tordant la réalité. Pour le dire autrement : devenir un citoyen du monde, c’était, pour Socrate (et pour Diogène, ce Socrate devenu fou), un idéal qui ne récusait pas l’amour de la cité proche (dont Socrate est mort pour ne pas contredire les lois). Être citoyen du monde, pour les chrétiens, c’était une promesse de communion, la Pentecôte du Salut. Mais pour les révolutionnaires des Lumières, dont nos gouvernants sont les fils, être citoyen du monde signifie tout de suite commencer à ridiculiser la patrie terrestre et les appartenances particulières – la famille, le voisinage, etc. Lénine a bien décrit comment s’opère le passage dans Que faire ? – il veut faire le bien du peuple, mais il s’aperçoit que le peuple est trade-unioniste, il veut simplement mieux vivre au sein de ses groupes d’appartenance, tandis que lui, Lénine, veut faire la révolution pour changer le monde et entrer dans l’universel : il va donc s’opposer au peuple, pour son bien, dit-il. C’est le cas de nos élites européennes, qui s’opposent constamment au peuple pour son bien (soi-disant). Pour voir à quel point l’enracinement est haï et l’universel porté aux nues, il suffit de voir la haine qui accompagne la phrase de Hume citée par Le Pen « Je préfère ma cousine à ma voisine, ma sœur à ma cousine, etc. », pendant qu’est portée aux nues la célèbre phrase de Montesquieu : « Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. » Or nous avons besoin des deux, car nous sommes des êtres à la fois incarnés et animés par la promesse de l’universel.
La catégorie de l’« idiotie » est centrale dans votre réflexion : le goût pour l’enracinement n’est pas forcément criminel, dites-vous, et ne conduit pas directement au nazisme...
Oui, la démagogie antique, qui est en quelque sorte un crime lèse-démocratie, commence par la rencontre avec l’idiot. Celui-ci, au sens grec, est un particulier englué dans sa particularité. Il ne s’occupe que de sa famille et ne pense qu’à cela ; les affaires de la cité ne l’intéressent pas : aussi, il n’est pas un citoyen – car le citoyen, c’est celui qui s’élève à l’universel pour vouloir le bien commun. Le chef démagogue est celui qui flatte les penchants de l’idiot. Aujourd’hui, un chef de parti démagogue serait celui, par exemple, qui exhorterait les gens à ne pas payer leurs impôts, ou à ne pas aimer la France. Mais les chefs de partis populistes exhortent à aimer les entités proches et particulières, comme la France justement, et c’est tout à fait différent. Ils cultivent les penchants des citoyens pour l’enracinement, alors que les élites sont dans l’émancipation sans frein. Nous sommes dans un cas de figure très différent de celui de l’antiquité. Dans l’antiquité, les démagogues étaient susceptibles de détruire la démocratie (car lorsque les gens ne se comportent plus en citoyens, ils se mettent en situation de tyrannie). Mais aujourd’hui, les chefs populistes réclament que la démocratie prenne davantage en compte les valeurs d’enracinement et réfléchisse aux limites de l’émancipation tout azimut. Le besoin d’enracinement et le besoin d’émancipation font partie peut-être du destin humain, en tout cas certainement du destin occidental – l’enracinement est un besoin spécifiquement humain, l’émancipation répond au temps fléché judéo-chrétien. On pourrait même dire, mais ce serait un autre sujet, qu’au fond l’invention de la démocratie répond à la nécessité de trouver à chaque époque un équilibre entre les deux, car ils se contredisent. Mais il est tout à fait faux de dire, comme le disent nos élites, que l’enracinement est une faute contre l’esprit, une faute contre la démocratie, et s’apparente au nazisme. Le nazisme a été la perversion de l’enracinement, comme le communisme a été la perversion de l’émancipation. Mais assimiler constamment un besoin (ce que Simone Weil appellerait un besoin de l’âme) à sa perversion, c’est une imposture.
Pour Sartre, dans Réflexions sur la question juive (1954), « si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait » ; il ajoutait que, finalement, « c’est l’antisémite qui crée le Juif », du moins tant que celui-ci ne revendique pas son authenticité. Ne pourrait-on pas dire, parallèlement, que ce sont les membres d’une élite mondialisée, déconnectée du pays réel, qui créent, parce qu’ils en ont besoin pour asseoir moralement leur pouvoir sur le peuple, cette « France moisie » dont le populiste serait le représentant politique ? Comment dès lors rendre la parole au peuple ?
Je ne dirais pas cela, de même, d’ailleurs, que je tiens les paroles de Sartre pour de l’exagération. Il est de toute façon difficile de créer une réalité de cette manière ! Le peuple de l’enracinement décrit par nos élites haineuses existe bien, et on le rencontre ici ou là dans les médias où il s’exprime. Personnellement, je n’aimerais pas qu’il parvienne au pouvoir tel quel (on me confisquerait aussitôt mon stylo, en tant que femme !), et d’ailleurs je n’ai jamais voté pour ces partis. Mais je pense qu’il faut travailler à élever ces gens, à les civiliser en quelque sorte, et pour cela cesser d’abord de les injurier. De même qu’il faut travailler à élever l’élite en lui faisant comprendre les nécessités de l’enracinement. Je ne dirais pas que les dits populistes sont une invention de l’élite qui aurait besoin d’un ennemi, mais qu’ils sont grandis et radicalisés par l’élite qui tente de biffer des composantes essentielles de l’humain. •
Propos recueillis par François Marcilhac
Chantal Delsol, Populisme – Les demeurés de l’Histoire, Le Rocher, 220 p., 17,90 euros.
Fréquentation en janvier 2015
La récurrence fortement médiatisée des interrogations, parfois empreintes d’angoisse, sur l’euro est un signe quasi clinique. On relèvera, comme emblématique, le « docu-fiction » diffusé mardi dernier par la chaîne France 5 intitulé « Bye bye l’euro ». On en retiendra le point d’orgue : M. Attali pontifiant sur l’apocalypse que déclencherait une sortie de l’euro, alors que lui-même avait, dans un élan de volontarisme idéologique négateur des réalités régaliennes les plus élémentaires, prophétisé avec d’autres un avenir radieux (« L’euro, une chance pour la France, une chance pour l’Europe », Le Monde 28/10/1997). Et on sera évidemment d’accord avec M. Ardinat (Boulevard Voltaire) qui dénonce une « émission militante […] une véritable opération de propagande européiste ».
Cependant, même s’il s’agit d’un « reportage anxiogène » qui reprend avec une mauvaise foi évidente « tous les clichés éculés sur la fin de l’euro », cette émission aura eu quelques mérites. D’abord, sa diffusion prouve bien que désormais, et de façon indéniable, l’euro constitue un problème reconnu en tant que tel. Ensuite, il a bien fallu faire une (petite) place à une voix discordante, en l’occurrence celle de M. Sapir qui, même minoritaire, a pu défendre son point de vue. Enfin, on aura compris, malgré les outrances, que renoncer à la monnaie unique ne saurait être une partie de plaisir.
Prenant l’exemple grec, M. Giscard d’Estaing, malgré tout assez compétent en matière financière et économique, vient d’affirmer que la Grèce doit sortir de l’euro (pour régler ses problèmes grâce àune monnaie désormais dévaluable) et d’expliquer comment elle doit le faire (de manière consensuelle et non conflictuelle). On comprend, en creux, que ce serait aussi l’intérêt des autres pays européens (qui pourraient peut-être alors envisager le recouvrement d’une partie de leurs créances - 55 milliards tout de même pour la seule France, sur un total proche de 250). Certes, la Grèce vient d’obtenir une sorte de sursis (quatre mois) bien fragile tout de même car encore susceptible d’être remis en cause dès cette semaine. Mais tout cela tient à si peu que le bon sens politique commande d’envisager calmement ce que pourraient être les modalités d’une exfiltration réussie.
D’autant que d’autres pays que la Grèce connaissent de très grosses difficultés. M. Sapir voit déjà dans l’Italie le prochain maillon faible, assez fort toutefois pour poser un problème insurmontable à la zone euro tout entière dès l’été 2015. Donc, l’apocalypse version Attali ? M. Chevènement (Le Figaro, 31/01/2015) est ici dans le vrai qui met en garde contre « un éclatement sauvage de la zone euro ». Ce scénario du pire serait forcément, en ce qui concerne la France, disons-le ici, le résultat d’une faute politique, celle d’un gouvernement refusant jusqu’au bout de renoncer à son aveuglement idéologique en faveur de la monnaie unique, alors que la sagesse commande de préparer un scénario fondé sur la « concertation entre pays européens et d'abord un accord entre la France et l’Allemagne ». •
France-Afrique, une histoire compliquée
Signé Nicolas VIAL - Figaro magazine
Que la réalité est atroce ! Je ne parle pas seulement du sang qui coule et des pistolets-mitrailleurs qui crachent la mort ! Je parle de l’incroyable décalage, de la fracture que cet événement révèle soudain entre les projets, les plans, les réformes, les ronrons des ministères, et puis la vie telle qu’elle est et qu’on ne voulait pas la voir.
Le massacre de Charlie Hebdo, c’est la faillite, non seulement de notre ministère de l’Intérieur ou, encore, de notre ministère de la Justice. C’est la faillite de ce que nous appelons notre démocratie !
Depuis près de trente ans, les efforts législatifs et réglementaires, les « politiques pénales » ou judiciaires sont allés dans le même sens d’un soi-disant respect inconditionnel de l’individu, de ses droits à la liberté, ce qui s’est caractérisé par l’éclatement du lien familial et une attention toujours plus compréhensive pour les malheurs du délinquant. On a multiplié les structures d’assistance, de reclassement, de prévention et, après avoir privé, solennellement, la justice de son droit d’infliger la peine de mort, on s’est acharné à réduire le plus possible son droit de punir.
La formule, encore usitée, dans les jugements, « déclare M. X coupable des faits qui lui sont reprochés, et en répression, le condamne… », en est arrivée à paraître incongrue.Tout devait se dérouler aisément, en écoutes, entretiens, suivis psycho-judiciaires, assistance à la personne, procédures d’insertion et cellules socio-éducatives, avec force subventions, RMI, RSA, aide à ceci, aide à cela,
Et puis voilà ! Allahou akbar ! et la réalité cagoulée rappelle à tous, et d’abord aux rieurs professionnels dont les crayons ridiculisaient, à longueur de « unes » provocantes, la religion, la famille, l’armée, la police, la justice, l’ordre et la loi, que d’elle – la terrible réalité – on ne se moque pas.
« Dieu », disait le professeur Lejeune, « pardonne toujours. L’homme quelquefois, la nature jamais ». Il parlait de la nature physique, celle dont, en homme de science, il cherchait les lois. Il existe, aussi, une physique sociale. Elle a ses lois, beaucoup plus simples, plus accessibles à la connaissance que celles de la génétique fondamentale. L’assez grossier bon sens des proverbes les décline dans des formules à la portée du plus simple : « Qui sème le vent récolte la tempête ! »…« Oignez vilain, il vous poindra »…« La raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Et puis, montons d’un cran, en restant simple, et tournons nos regards vers le modèle humain et royal des juges transmettant à son fils le fruit de son expérience. « Sois raide dans ton jugement, sans tourner à droite, ni à gauche, et « sans écouter d’autre voix que celle que te dictent l’évidence et la facilité du bon sens ».
La première leçon est de Saint Louis, la seconde de Louis XIV.
Des juges dont on nous dit aujourd’hui, dans une incontinence verbale qui donne la nausée, qu’ils fondèrent la sainte laïcité – cette super-religion qui nous sauvera de tous les fanatismes – ont coupé la tête à leur descendant, en le condamnant sous son patronyme d’origine Louis Capet.
Et puis, au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la tolérance et de la suppression de la peine de mort, ils ont génocidé la Vendée et tout ce qui, à Lyon, à Marseille, à Nîmes ou à Paris, pouvait lui ressembler.Vont-ils aujourd’hui recommencer ? Réveillés en sursaut par l’assassinat de leurs maîtres à ne plus penser, après avoir processionné sur leurs reliques, vont-ils abreuver, du sang impur des extrémistes, ce qui reste de sillons républicains ?
Je redoute, comme la peste, une volte-face absolue dont le dérèglement dans la répression sera aussi néfaste que le laxisme qui l’a précédé. Capet ! Reviens ! Ils sont devenus fous. •
Ces deux recensions de deux ouvrages importants, en particulier dans le contexte actuel, sont reprises des toujours excellentes - aussi bien qu'abondantes - notes de lecture de Georges LEROY, dans chaque livraison du Réseau Regain. Ici, celle de février 2015. Nous en recommandons la lecture.
Quelle histoire pour la France ?
Dominique Borne
Gallimard, 350 p., 22,50 €.
Certains annoncent la mort de l’histoire de France. En ces temps de mondialisation, et surtout d’arrivée massive de populations issues de pays anciennement colonisés, le récit purement national serait à mettre au rebut. D’autres voudraient le retour d’un âge d’or, avec ses histoires saintes, monarchiques ou républicaines.
Dans cet essai qui peut faire débat, l’auteur, inspecteur général de l’Éducation nationale, propose de dépasser l’une et l’autre attitudes. À le suivre, il est possible de (re)construire une histoire à partir de moments d’histoire. Ces récits portaient en eux une espérance eschatologique qui a déserté quand la croyance au progrès s’est enfuie.
Faut-il pour autant abandonner toute histoire de France ? Ce livre répond par la négative : « Le besoin d’histoire nationale, dit l’auteur, est d’autant plus grand que les incertitudes contemporaines sont nombreuses. »
Une telle histoire, pluraliste et discontinue, serait tissée avec celle de l’Europe et du monde et prendrait en compte toutes les composantes de la société. Se prêtant lui-même à l’exercice, l’auteur en propose quelques facettes qui redessinent un paysage national, suggèrent de possibles héros et donnent même des raisons d’espérer en l’avenir. •
Esthétique de la liberté
Philippe Nemo
PUF, 200 p., 18 €.
Il y a comme un arrière-goût dandy dans ce titre. En effet, quel rapport entre l’esthétique et la liberté ? En quoi la liberté pourrait-elle être esthétique ou pas ? Comment créer du lien entre l’esthétique et la liberté ? Est-ce un pur exercice intellectuel réservé à un homme de grande science ou bien en quoi cela peut-il concerner les millions de petits bourgeois français en cet hiver 2014 ? Livre de circonstance, petit plaisir, livre de fond ?
Dans la fable de La Fontaine « Le chien et le loup », la vie du loup est présentée comme plus belle que celle du chien, parce que l’un est libre, alors que l’autre est attaché. Le propos du livre est de savoir si La Fontaine a raison. Beauté et liberté sont-elles indissociables ? Si tel est le cas, quelles conclusions politiques peut-on en tirer ? Existe-t-il un enjeu plus profond, métaphysique, dans l’alternative d’être « chien » ou « loup» ?
Le livre esquisse d’abord les contours d’une anthropologie philosophique où les places respectives de la beauté et de la liberté dans la structure de l’esprit humain sont précisées sont interrogés à cet égard de nombreux auteurs, de Platon à Plotin, de Grégoire de Nysse à Pic de la Mirandole, de Kant à Proust.
On voit que beauté et liberté sont « des idéaux qui doivent être cherchés de façon inconditionnelle », à l’instar de « la vérité et du bien ». Ainsi « le lien entre liberté et beauté a été formellement affirmé dans l’histoire des idées et des arts ». Pour les Grecs, « excellence physique et excellence morale sont donc étroitement mêlées et que l’on passe facilement de kalos à agathos ». Ce qui est beau est bon. Pour les Grecs, « beauté veut dire noblesse et l’aristocrate par excellence est un homme libre ». À l’inverse, le christianisme reconnaît un Dieu qui sonde les reins et les coeurs et donc « notre valeur objective n’est ni augmentée ni diminuée par le regard positif ou négatif que les autres portent sur nous ; il n’en pas ainsi chez les Grecs anciens. Leur souci, c’est ce que les autres pensent d’eux ».
Le lien entre société de liberté et beauté morale est établi au moyen des vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité, mais aussi d’autres vertus chrétiennes comme la justice, la véracité, la libéralité, l’esprit de paix, la tolérance, la prudence, la tempérance, la force et l’orientation positive des activités.
Puis il montre comment la servitude enlaidit les existences humaines, ce qui n’est pas vrai seulement de la servitude absolue des totalitarismes, mais aussi de la demi-servitude instaurée par les socialismes dits modérés.
Il examine enfin ce qu’est une vie libre et créatrice de beautés, en soulignant le rôle qu’y jouent la contingence, l’imprévu, et la possibilité qu’y survienne du nouveau, comme dans un voyage. Sur ces bases, il montre que seule une vie libre peut avoir un sens. Le voyage permet de découvrir les facettes du monde qui lui était inconnue, de se découvrir lui-même. Il en appelle à Balzac pour le voyage social, mais aussi à Baudelaire dans son célèbre poème des Fleurs du mal.
En conclusion, nous sommes invités à « revivre en oeuvre d’art » notre propre existence. Ce livre est donc une magnifique médiation sur l’invitation au voyage que suppose une vie libre dans une société librequi repose elle-même sur la propriété privée d’une part, et la mise en action des vertus chrétiennes, au premier rang desquelles se trouve la charité, don gratuit, qui n’est rien d’autre que la beauté d’un geste libre. •