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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1155

  • « La décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. »

     

    Rencontre avec un élu local qui cherche à animer son territoire en défendant une véritable proximité entre les décideurs, les relais et les habitants. 

    Vincent You, quels sont vos mandats locaux ?

    Je suis directeur d’hôpital dans le nord de la Charente, à Confolens, c’est-à-dire un hôpital de proximité avec un Ehpad. C’est important parce que beaucoup de mes convictions opérationnelles, je me les forge dans cet exercice. C’est un hôpital de 300 personnes. Je suis adjoint au maire d’Angoulême depuis 2014, en charge des finances et depuis peu du civisme et de l’engagement citoyen, et je suis vice-président du Grand Angoulême en charge de l’urbanisme et de la stratégie agricole. J’ai des journées très différentes et c’est ça qui est passionnant.

    Vous êtes l’inventeur de la clause Molière, qui vise à empêcher la venue des travailleurs détachés dans le secteur du BTP et qui a fait couler beaucoup d’encre.

    C’est en tant que directeur d’hôpital que j’y ai été amené. J’étais missionné pour reconstruire un hôpital dans la ruralité charentaise et je voulais que cet appel d’offres, qui engageait une dépense publique, avec quinze millions d’euros à la clé, bénéficie à l’emploi local. Je construis l’appel d’offres en zigzaguant au milieu du code des marchés pour que cela profite aux entreprises locales, ce que j’ai fait, et j’ai eu une surprise : entre le marché, son attribution, le choix des entreprises et le chantier, je me suis rendu compte que bon nombre d’entreprises allaient chercher des travailleurs détachés et que cela ne profitait que marginalement aux habitants, aux jeunes du coin. Quand ensuite j’ai dû rénover un Ehpad, avec un autre appel d’offres, j’ai voulu éviter le recours massif aux travailleurs détachés. Il faut bien se rendre compte que je gère l’argent de la Sécurité sociale et qu’avec les travailleurs détachés, cet argent va bénéficier aux entreprises qui payent ailleurs cette sécurité sociale, ce qui est délirant ! Je me suis rappelé qu’à Angoulême j’avais passé un marché “alimentation + pédagogie” : j’achetais des légumes à des agriculteurs qui acceptaient de recevoir sur leurs fermes les classes d’Angoulême. Avec ça, l’Espagnol était un peu trop cher, avec un trajet prohibitif ! et nous avons pu acheter local. Les professionnels du BTP, avec qui j’ai travaillé pour chercher une solution adaptée à leur secteur, m’ont dit que les conditions de travail était le problème majeur : on ne sait pas si les Polonais ou les Roumains comprennent les normes imposées. Nous avons donc mis en forme, avec des amis juristes, ce qui est devenu la clause Molière et qui a été au départ extrêmement bien accueillie : tous les élus locaux, quelle que soit leur couleur politique, espèrent des retombées locales. Elle s’est étendue tranquillement de ville en ville et de régions en régions (la Normandie, par exemple, l’a votée à l’unanimité moins une voix).

    Cette clause n’est pas une clause de préférence nationale mais une clause de préférence locale, en fait.

    De préférence francophone, plutôt. Si l’entreprise angoumoisine va chercher des gens qui parlent très bien français et qui veulent s’installer en France, la clause Molière n’empêche rien. Elle permet d’éviter l’absurde. Les opposants faisaient valoir qu’il y aurait bientôt une clause Shakespeare ou une clause Vaclav Havel, etc. : mais à y bien réfléchir, c’est normal qu’il y ait des clauses protectrices. Benoit Hamon a dit que c’était une clause Tartuffe parce que nos pères ont accueilli des Italiens, des Espagnols, des Marocains, etc., qui se sont installés en France : mais ça n’a rien à voir ! Bien sûr des travailleurs étrangers sont venus en masse et ont fini par apprendre la langue. Mais aujourd’hui le fonctionnement est totalement différent : les travailleurs détachés viennent trois semaines ou trois mois, et ils repartent chez eux avec un petit pactole. Il n’y a aucune démarche d’intégration ou d’assimilation à la société française – et je ne leur en veux pas : pour eux, c’est une occasion magnifique. C’est donc une clause de préférence francophone et aussi de respect des ouvriers : on a perdu énormément d’emplois industriels, comment accepter que dans un secteur non délocalisable les marchés se gagnent avec un low cost fondé sur la délocalisation administrative des emplois, au détriment du tissu local ?

    Mais alors, pourquoi la polémique ?

    La première étape de la clause Molière, c’est d’abord la « révolte » d’un petit élu local qui, dans son cadre professionnel, tente une expérience bien accueillie par les autres élus. C’est ensuite devenu une polémique quand Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez ont voulu se l’approprier : avec des grands leaders visibles, la gauche n’a pas voulu suivre et la presse a expliqué que c’était de la discrimination. Alors que la gauche locale, jusqu’alors, se contentait de s’abstenir au moment des votes : c’était compliqué, pour elle, de voter contre une mesure qui améliorait le sort des ouvriers… Au final, la clause Molière version Wauquiez, qui l’avait durcie, a été annulée mais la clause Molière version Retailleau a été validée par le Conseil d’État. La mienne était plus proche de celle de Retailleau, qui l’a un peu améliorée. Donc, aujourd’hui, tout élu local qui veut éviter la prolifération du travail détaché peut utiliser une clause parfaitement licite. Si les élus n’en veulent pas, c’est un choix politique, qu’ils doivent assumer.

    Cette absurdité d’une action locale bénéfique qui rencontre, en devenant un sujet national, des oppositions purement idéologiques, l’avez-vous rencontrée par ailleurs ?

    Pas de manière aussi palpable : on ne crée pas tous les jours une solution d’envergure nationale ! Ce qui me marque, plutôt, c’est que les élus locaux sont très dépendants de l’approche juridique de leurs services, qui leur conseillent toujours d’être très prudents. Cette angoisse de la prise de risque juridique paralyse beaucoup d’initiatives. Tout le monde, ici et là, a de bonnes idées, aimerait les tester et les raconter, mais les analyses amont ont tendance à étouffer dans l’œuf les expériences. Mais le plus gros problème, et c’est mon expérience d’élu et de directeur de petit hôpital, c’est la foi qu’on met dans le gigantisme administratif : en changeant d’échelle, en mutualisant, on arriverait comme par miracle à résoudre tous les problèmes locaux. Mais c’est plutôt l’inverse. Je vois des marchés qui regroupent de nombreux acteurs hospitaliers et qui, en définitive, ne sont pas plus bénéfiques et même, avec l’échelle territoriale très vaste qu’ils supposent, arrivent à tuer les petites entreprises qui ne peuvent pas répondre localement, faute de taille critique. Il n’y a donc pas toujours des gains et il y a une casse économique importante. C’est d’autant plus problématique que les entreprises locales ont intérêt à bien travailler pour avoir d’autres marchés plus tard. Les grandes entreprises de passage se moquent assez souvent de savoir comment va vivre le bâtiment qu’elles livrent, elles ne seront plus là s’il y a un problème. À l’échelle du Grand Angoulême, nous sommes passés de seize à trente-huit communes (ce qui n’est pas énorme, certaines communautés en regroupent cent). On délégitime les maires ruraux. Si la moitié d’entre eux veut arrêter, c’est à cause de ça plus que des difficultés de gestion ou du manque d’argent public. Le maire est encore celui qui gère les problèmes quotidiens des habitants mais il n’a plus les clés… On ne sait plus quels sont les contours, quelles sont les responsabilités. Les politiques successives nous imposent de passer du modèle communes – départements – nation au modèle agglomérations – régions – Europe mais ce n’est pas rentré dans la réalité des citoyens français. Le maire, dernier élu respecté des Français, est délégitimé – sans qu’il y ait, là non plus, de gains économiques : on tue la commune et son petit périmètre, avec ses élus qui sont quasiment bénévoles et qui gèrent tout en direct, à l’économie, pour créer des services avec des périmètres élargis qui obligent à embaucher des techniciens. En transférant les compétences communales aux services, on améliore sans doute l’ingénierie en renonçant à la proximité de gestion. Et avec treize départements, la Région est un échelon désormais très éloigné…

    Votre côté expérimentateur, c’est aussi d’avoir développé la méthode Montessori dans votre Ehpad – autre test local ?

    Nous ne sommes pas les seuls. Mais justement, Montessori, c’est « aide-moi à faire seul. » Tout le système des maisons de retraite est construit sur la mesure de la dépendance des gens accueillis. On oublie que les personnes âgées, si elles ont des fragilités, gardent des capacités. Montessori consiste à maintenir ces capacités pour les faire vivre. Participer à la vie sociale nous constitue en tant qu’être humain. Maintenant, les résidents ont un rôle social, participent à la vie commune et voient leurs capacités reconnues et utilisées. Avec Montessori, en ritualisant certains gestes, la mémoire procédurale du résident, même très atteint par Alzheimer, peut reproduire ces gestes et continuer à participer à la vie collective. Montessori, au-delà de la marque, c’est du bon sens : respecter la personne humaine dans sa vieillesse, lui donner une place qui corresponde à ses passions, à son histoire et à ce qu’elle peut encore faire. Les premiers résultats de l’expérience sont très positifs : les consommations de psychotropes ont diminué d’un tiers, sans que cela ait été un objectif, et les équipes sont mobilisées parce que le projet a du sens. Et les personnes âgées retrouvent de l’initiative à un point inimaginable. Chez nous, elles ont organisé, toutes seules, au mois de septembre, un rallye auto ! Pour retourner sur les lieux où elles avaient grandi. Ce n’est pas nous qui pouvions l’imaginer, ni imaginer l’aide qui leur a été apportée, et ça n’a été possible que parce que nous leur avons donné les clés de la maison.

    Une vraie parabole par rapport à ce que vous racontiez de ces échelons toujours plus vastes et plus lointains…

    La centralisation va tuer la créativité locale. Les bonnes recettes parisiennes ne sont pas généralisables. Et avec la disparition de la taxe d’habitation, le maire n’a plus la main sur les recettes locales, l’habitant ne contribue plus aux services mis en place dans sa commune, il n’y a plus de lien entre le citoyen et le décideur. C’est aujourd’hui compensé financièrement mais, sur le fond, la décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. 

    Propos recueillis par Philippe Mesnard
    le 21 novembre
  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [3]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Plutôt quʼen un Créateur, en Dieu, Jacques Attali semble croire en un esprit du monde, une anima mundi, dont la substance pourrait être affectée par une modification totale, radicale, une transsubstantiation en quelque sorte, au fil dʼune évolution qui ne serait pas moins que révolutionnaire. 

    Il fait sienne la loi de lʼHistoire déterminée par Marx où à la fin le bonheur est promis à lʼhumanité ; une humanité unie car disparaîtraient classes et nations. On nʼoserait pas dire races et sexes, mais cʼest bien le dessein de ceux qui entendent, à gauche, prolonger par dʼautres moyens le projet marxiste, soutenus par des chrétiens (certains se disant « de droite ») qui détachent lʼesprit de lʼépître aux Galates de Paul (désormais il nʼy a ni Juifs ni Grecs, ni maîtres ni esclaves, ni homme ni femmes, nous sommes tous un en Jésus-Christ) de la nécessité de faire subsister un ordre naturel, ordre voulu par Dieu. 

    Dʼoù les mutations sociétales récentes, promues par New York et la Californie, putains babyloniennes de notre temps, qui vont du mariage homosexuel à la théorie du genre en passant par lʼapologie du multiculturalisme et du métissage. Toutes ces ruptures civilisationnelles, Attali les défend bec et ongle. 

    maxresdefault.jpgCe dernier montre ainsi quʼil espère lʼirruption dʼune révolution mondiale, dans la continuité du communiste Trotsky auquel Staline opposa la voie du socialisme dans un seul pays. Attente dʼune disparition à terme des États-nations quʼil partage avec Marx et Trotsky et qui tire sa source moderne de lʼilluminisme dʼun Emmanuel Kant (photo). Lʼauteur de la Critique de la raison pure développa lʼidée selon laquelle lʼhumanité, au niveau interétatique, est restée au stade de lʼétat de nature, ce qui explique le déclenchement régulier de guerres. Mais celles-ci auront in fine un effet vertueux sur lʼhomme : le forcer à construire une Société des Nations, un état social géopolitique. 

    Dans Idée dʼune histoire universelle dʼun point de vue cosmpolitique (1784), Kant détaille cette thèse, où il remplace Dieu par le concept spinoziste de « nature », et annonce que lʼeffacement des États produira un jour une ère de paix universelle caractérisée par lʼavènement de lʼhomme moral, sorte de surhomme kantien. Le progrès touche, en somme, autant lʼhomme dans son individualité que dans sa « collectivité ». 

    La fin de lʼhistoire dessinée par Kant est une réponse, comme il le signale explicitement, au problème du millénarisme, vecteur de tant de tumultes et de violences durant les XVIème et XVIIème siècles. Il tente de résoudre séculairement, rationnellement, sans appui aucun de la foi, une question éminemment religieuse, qui fut très importante, déterminante même, au sein du protestantisme naissant[1]. Car sʼappuyant en particulier sur les écrits de saint Augustin, lʼÉglise de Rome rejette le millénarisme depuis le Moyen Âge. 

    Le millénarisme protestant ne se distingue du messianisme juif que sur un point : le Messie gouvernant le monde avec ses saints à la fin des temps, à la tête du Cinquième royaume promis par le prophète Daniel, est Jésus-Christ. Pour le reste le millénarisme protestant est identique à la vision dʼIsaïe dʼun monde où coexisteront pacifiquement loups et agneaux, et où les armes seront transformées en instrument de labourage, à laquelle croient aussi les Juifs. 

    minutenews.fr-donald-trump-reconnait-jerusalem-comme-la-capitale-disrael-2017-12-06_19-07-04_441501-1728x800_c.jpgCe Cinquième royaume, sur le plan politique, est caractérisé par la paix, lʼharmonie entre les hommes, et, au niveau économique, par la prospérité, lʼabondance. Voilà lʼhorizon que regardent avec tant dʼémerveillement Kant, Marx, Trotsky et Attali. 

    Le Messie des Juifs, Attali en est persuadé, a vocation à diriger un gouvernement planétaire depuis Jérusalem, comme il lʼa déclaré sur la chaîne de télévision Public Sénat le 6 mars 2010. 

    Ainsi il nʼest pas seulement le tenant du socialisme de Marx et de Trotsky qui est censé réaliser à terme lʼannihilation des édifices politiques dʼéchelle stato-nationale (dʼoù les guerres successives contre la Yougoslavie, lʼIrak, la Libye, la Syrie, etc., et plus près de nous la politique de privatisation du post-trotskiste Lionel Jospin entre 1997 et 2002, que lʼex-Premier ministre exprima par ses mots : « LʼÉtat ne peut pas tout », ce qui lui coûta sans doute sa qualification au 2ème tour du scrutin présidentiel de 2002, certains de ses électeurs préférant voter pour un trotskyste pur et dur comme Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, qui à eux deux obtinrent près de 10 ¨% des suffrages exprimés). 

    Un amoureux du judaïsme 

    Mais Attali est aussi lʼépigone de lʼilluminisme de Kant, lʼilluminisme puisant dans le Zohar (le « livre des Splendeurs », ou « des Illuminations »), ce qui signifie quʼil est un amoureux du judaïsme, quʼil comprend à la lumière (cʼest le terme idoine !) du Zohar et plus largement de la kabbale, dont le maître incontesté fut Isaac de Louria. Ce nʼest pas tant, en fait, le « talmudisme » que la kabbale lourianique qui inspire Jacques Attali. 

    613rQer8ihL.jpgDans son Dictionnaire amoureux du judaïsme, il reprend en utilisant un langage cryptique, ésotérique, la conception propre à Louria de la messianité : elle ne correspond pas à un homme supérieur, à un « Sauveur », mais à lʼensemble de la communauté juive. 

    Cette « version collectivisée » du Messie, on la retrouve chez ce Karl Marx si cher à Attali, à une différence près : à lʼethnique est substitué le social, à un peuple est substituée une classe, aux Juifs est substitué le prolétariat. « Karl Marx, loyal à ses ancêtres sans le savoir ou du moins sans le reconnaître, […] désigne la classe ouvrière comme le Messie et parle, lui aussi, […] de ʽʽpériode de transitionʼʼ, de monde parfait, de gouvernement mondial, […] reprenant ce qui était et reste aujourd’hui la plus belle posture humaine, la seule capable de rendre compatible l’utopie avec l’action politique : peut-être viendra-t-Il, mais je ne dois pas y compter, et agir plutôt comme si j’étais lui…[2] »  (A suivre)  ■

    [1]  Et le demeure dʼailleurs dans une large mesure sous le vocable dʼadventisme.
    [2]  Jacques Attali, Dictionnaire amoureux du judaïsme, Paris, Plon / Fayard, 2009, p. 324.

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

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  • La crise reste ouverte

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLe président de la République était attendu comme le Messie. Depuis l'annonce de son intervention, l'impatience de sa parole était universelle. Preuve qu'elle conserve aux yeux de tous et peut-être aux siens propres ce caractère suprême revenant à celui qui détient ou est censé détenir la souveraineté de la nation. Qui est censé incarner le destin de la France en crise. 

    Chacun - journalistes, spécialistes, élus de tous rangs, de tous bords, et même ses ministres et ses collaborateurs - avait passé son temps à supputer ce qu'il allait dire. Ce que  d'ailleurs il devait dire. Et même en quelque sorte à le lui dicter. L'autorité du Chef de l'État demeure dans son principe et son essence. Elle se reforme comme par nécessité aux instants cruciaux. Dans la pratique quotidienne il est clair qu'elle est singulièrement affaiblie, dépendante, restreinte et même craintive. On l’a vu, on l’a senti, hier soir, dans le ton, les gestes, les attitudes du Chef de l’Etat. 

    Emmanuel Macron a parlé, fait contrition, pris acte de la contestation populaire, affirmé sa légitimité, et reconnu les injustices - dont certaines qu'il a lui-même organisées.  

    La révolte qui gronde depuis quatre ou cinq semaines avait soulevé de grandes questions, mis en cause jusque dans ses profondeurs le modèle économique, social et finalement politique qui est aujourd’hui le nôtre. 

    Les grands axes de la politique présidentielle échouent, sont utopiques, se heurtent au mur des réalités de l'Europe et du monde et à la réaction des Français. Mais ce sont des dogmes aussi intangibles qu'une sourate du Coran. 

    Emmanuel Macron a distribué une douzaine de milliards qui deviendront assez vite quinze ou vingt et creuseront la dette. Le malaise perdurera. La crise reste ouverte pour longtemps. 

    D’ailleurs, en même temps, hier, 10 décembre, la France a signé à Marrakech le pacte mondial de l’ONU sur les migrations …   Lafautearousseau

  • Gilets jaunes : Les hommes et les idées de demain seront sans-doute à rechercher hors du Système

    Publié le 7.12.2018 - Actualisé le 11.12.2018 

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    Voici que la crise des Gilets jaunes, soudaine et pourtant venue de très loin, peu à peu gonflée jusqu'à l'éclatement par une extraordinaire accumulation d'infidélités à l'être de la France, à sa souveraineté, aux conditions de sa puissance, de laxisme, d'abus, de mépris, d'injustices et d'excessives ponctions sur le fruit du travail des Français, sur leur patrimoine, petit ou grand, voici donc que cette crise plonge les observateurs les plus avisés de la vie politique française et même ses acteurs les plus désintéressés et les plus clairvoyants dans un océan de perplexité. 

    On chercherait en vain, à cette heure, dans la presse et les médias, l'article, la réflexion, qui entreverrait une solution concrète à cette crise, ni, globalement, les remèdes à apporter aux problèmes de fond qu'elle pose. Car par-delà leurs soucis terre-à-terre, c'est un autre système économique, politique, et social, que postulent plus ou moins consciemment le mouvement de fond des gilets jaunes et le sentiment des quelque 70 ou 80% de Français qui les approuvent.  Un modèle plus « conservateur » que révolutionnaire, plus traditionnel que « progressiste » - au sens revendiqué d'Emmanuel Macron. 

    L'épuisement du Système dont Macron est apparu tour à tour comme l’adversaire et comme le continuateur ultime, semble désormais complet, sans rémission. Et, secondairement, l'autorité du président de la République apparaît ruinée. Radicalement. Le charisme a fait long feu. Le temps du Kairos est clos. Le quinquennat, dit-on parfois, est terminé. Mais de quelque côté qu'on tourne son regard, on ne voit pas à ce jour qui ou quoi pourrait émerger de cette crise. 

    Gaulle00210.jpgOn a dit aussi, il nous semble à juste titre, que les événements auxquels nous assistons s'apparentent davantage à mai 1958 qu'à mai 1968, c'est à dire que nous assistons, certes à une contestation globale du Système dans toutes ses dimensions, mais aussi à la fin d'un régime politique qui s'effondre sur lui-même, sans homme de rechange crédible et sans recours évident comme ce fut le cas en 1958, qui rappela De Gaulle (photo, en mai 58), de même que, incapable face au désastre, le parlement de Vichy en 1940 s'en était remis à Pétain. La France d'aujourd'hui ne dispose pas de tels recours. 

    1173130-manifestation-des-gilets-jaunes-a-la-tour-du-pin-38.jpgLa mondialisation a détruit les enracinements traditionnels, tué les métiers, anéanti notre agriculture, dépeuplé la France profonde, vidé les villes petites et moyennes de leurs habitants et de leurs commerces ; l'envahissement migratoire a créé une inquiétude identitaire sans précédent et un sentiment profond d'insupportable désappropriation ; des inégalités d'ampleur sans égale dans notre histoire ont creusé un fossé infranchissable entre l'ensemble des Français et quelques très riches sans légitimité parce que déconnectés d'un quelconque souci du bien commun ;  la financiarisation sans frein de la société moderne a dévalorisé le travail et réduit le citoyen à la condition de consommateur réifié, sans qualité et au bout du compte sans argent ; sans compter les fantaisies sociétales qui ont fini d'atomiser le corps social et choqué le bon-sens de nombre de Français :  mariage homo, négation des sexes, des peuples, des races, féminisme totalitaire, négation de l'autorité des parents sur leurs propres enfants etc. Tout ce qui vient d'être dit, à des titres divers, a séparé les Français quelconques de la minorité des « modernes ». D'où la révolte des premiers. 

    Qu'elle soit objet de tentatives de récupération - notamment des mélenchoniens - ou que vienne s'y greffer la violence extrême des casseurs de l'ultragauche et le surgissement des racailles de banlieue qui sont de simples pillards - choque naturellement une large majorité de Français, qui ont toujours fini par rejeter la chienlit. De sorte que si cette dernière devait s'installer, s'aggraver encore, le besoin d'un retour à l'ordre, comme toujours, ne manquerait pas de monter des profondeurs du peuple français. 

    Remise en cause et remise en ordre, là encore comme toujours, doivent aller de pair. Encore faut-il que la remise en cause soit cohérente et structurée. Et que la remise en ordre trouve à s'incarner dans des principes, des institutions et, finalement, dans des hommes, dont un prééminent, un chef digne de ce nom, qui conduisent la France à se retrouver elle-même. Il ne nous semble pas qu'elle les trouvera au sein des partis, décrédibilisés et méprisés comme jamais, ni dans les appareils syndicaux par manque absolu de représentativité, donc faiblesse extrême, ni, bien-sûr, parmi les hommes de communication et de médias, en qui toute confiance a disparu. Les hommes et les idées de demain seront sans-doute à rechercher hors du Système.  ■ 

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    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [2]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Dans les cénacles néolibéraux dont le credo est le gel des salaires, on considérait que la gauche pouvait faire en mieux ce que la droite nʼavait jamais été capable dʼaccomplir. On se souvient de la hausse importante des salaires accordée par Georges Pompidou, alors Premier ministre, lors des accords de Grenelle en 1968. Attali était le maître dʼœuvre de cette gigantesque tromperie.

    En dépit de cela, il sʼest toujours considéré comme un homme de gauche. Être néolibéral et de gauche, ce nʼest en réalité pas contradictoire. Car le néolibéralisme vient du gauchisme, de lʼextrême-gauche, des anarsʼ, trotskos et maos...[1] Dʼautant plus que, comme lʼécrivit Dostoïevski dans Les frères Karamazov, « le socialisme nʼest pas seulement la question ouvrière, ou celle de ce quʼon appelle le ʽʽquatrième étatʼʼ, non, cʼest essentiellement la question de lʼathéisme, la question de la tour de Babel qui se construit, justement sans Dieu, non pour atteindre les cieux depuis la terre, mais pour faire descendre les cieux sur terre. »[2]

    91NpDl4STfL.jpgAttali ne renie pas en effet lʼétiquette de socialiste, lui qui a consacré un livre au père du « socialisme scientifique », Karl Marx, car pour lui cette idéologie nʼest pas tant le soin apporté aux exploités et la volonté du partage équitable des richesses, cʼest-à-dire la prise en compte de la « question sociale », problème crucial à partir de la Révolution industrielle au XIXème siècle, que lʼédification de la Cité juste, dʼun Éden terrestre où le bonheur devient la règle, par le truchement dʼune réparation du monde – ou tiqoun olam –, concept kabbalistique sʼil en est, où toute idée dʼintervention de Dieu dans la vie des hommes, appelée Providence, est totalement écarté, car il sʼest retiré du monde, dʼaprès un autre concept kabbalistique, le tsimtsoum.

    Ce qui intéresse Attali chez Marx, cʼest son cosmopolitisme athée, sa croyance dans le dépassement des nations au profit de lʼavènement dʼune humanité-monde sans foi, si ce nʼest en elle-même. La vision attalienne du monde se situe dans la continuité du socialisme « éthique », néo-kantien, des marxistes allemands Cohen, Natorp et Vörlander. Ce dernier organisa en 1904 une conférence en Allemagne intitulée « Kant et Marx ». Sur ce thème, le passage suivant qui clôture la biographie de Marx « écrite » par lʼancien conseiller de Mitterrand est fort éclairante. 

    La synthèse des pensées de Kant et de Marx 

    104771054_o.jpg« Demain – si la mondialisation nʼest pas une nouvelle fois remise en cause – le maintien de la rentabilité du capital ne pourra pas passer par une socialisation mondiale des pertes, faute dʼun État mondial ; […] Lorsquʼil aura ainsi épuisé la marchandisation des rapports sociaux et utilisé toutes ses ressources, le capitalisme, sʼil nʼa pas détruit lʼhumanité, pourrait aussi ouvrir à un socialisme mondial. Pour le dire autrement, le marché pourrait laisser place à la fraternité. […] Comme il nʼy a pas dʼÉtat mondial à prendre, cela ne saurait passer par lʼexercice dʼun pouvoir à lʼéchelle planétaire, mais par une transition dans lʼesprit du monde – cette ʽʽévolution révolutionnaireʼʼ si chère à Marx. […] Tout homme deviendrait citoyen du monde et le monde serait enfin fait pour lʼhomme. »[3] 

    Jacques Attali suggère quʼune fois la décomposition du capitalisme achevée, à sa place pourrait apparaître une nouvelle ère quʼil nomme socialisme mondial. Convaincu que le système capitaliste dégrade tant lʼenvironnement que les relations humaines, ce qui pourrait lʼamener, dans le cas le plus extrême, à anéantir le monde, Attali ne considère pas que ce système soit indépassable. Il avance que la solution idéale serait la naissance dʼun État socialiste mondial quʼil feint dʼenvisager comme autre chose quʼun ordre global, quʼun pouvoir à lʼéchelle planétaire, afin de rassurer son lecteur.

    À lʼimperium du marché succéderait le règne de la fraternité. Tout un programme... qui fleure lʼesprit maçonnique. Ce sentiment de fraternité se manifesterait par lʼexistence dʼune citoyenneté mondiale. Ce qui présuppose la constitution préalable dʼun État mondial. Attali se plaît à user de formules creuses dans le but dʼembrouiller son lecteur. Comme quand, notamment, il dit quʼà lʼère socialiste le monde serait enfin fait pour lʼhomme 

    2159544436.jpgEn vérité, pour les sociétés chrétiennes, dont la nôtre, le monde, entendu comme la création, a été fait pour lʼhomme par le Créateur. Grégoire de Nysse, philosophe du christianisme primitif (IVème siècle), souligne quʼau regard de la création, « dans sa richesse, sur terre et sur mer »[4], lʼhomme, cette « grande et précieuse chose »[5], est « celui dont elle est le partage »[6]. Contrairement à ce quʼaffirme Attali, depuis toujours le monde est fait pour lʼhomme. Mais sous lʼeffet de lʼantique ennemi il est devenu espace de labeur et de souffrances, suite au péché originel.

    Lʼhomme doit être le miroir de Dieu, celui sur lequel se reflète Son infinie bonté et Son incomparable magnificence. « Alors Dieu fait paraître lʼhomme en ce monde, pour être des merveilles de lʼunivers et le contemplateur et le maître : il veut que leur jouissance lui donne lʼintelligence de celui qui les lui fournit, tandis que la grandiose beauté de ce quʼil voit le met sur les traces de la puissance ineffable et inexprimable du Créateur. »[7]   (A suivre)  ■

    [1]  Gérard Mauger, « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme : pour une histoire de la ʽʽgénération de Mai 68ʼʼ, dans Jacques Chevallier (dir.), Lʼidentité politique, Paris, PUF, 1994.
    [2]  Paris, Gallimard, 61-62.
    [3]  Jacques Attali, Karl Marx ou lʼesprit du monde, Paris, Fayard, 2005, p. 502-3.
    [4]  Grégoire de Nysse, La création de lʼhomme, Paris, Cerf, 1943, p. 88.
    [5]  Ibid., p. 90.
    [6]  Ibid., p. 89.
    [7]  Ibid., p. 90-91.  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • On ne saurait penser à tout

     

    par Louis-Joseph Delanglade
     

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    On sait bien aujourd’hui que l’arrivée à l’Elysée  de M. Macron ne relève pas du conte de fées mais a bien été voulue, décidée et programmée par la confluence d’intérêts financiers relayés par l’ensemble de médias forcément aux ordres.

    Même si, complexité des choses et des gens oblige, M. Macron a pu faire illusion par certains propos et comportements de début de mandat, on ne peut que constater, pour le condamner, que sa politique actuelle répond aux voeux des élites mondialisées et des oligarques qui l’ont porté au pouvoir,  pour qui la France en tant que telle n’est qu’un pion parmi d’autres. Sa décision d’apposer sa signature au bas du pacte mondial sur les migrations n’en est que le dernier exemple. L’élection en mai 2019 des soixante-dix-neuf députés français au Parlement de Strasbourg constitue à l’évidence une prochaine étape, essentielle, de son engagement en faveur de la (dés)Union européenne. Une rhétorique binaire oppose déjà explicitement mais grossièrement les auto-proclamés « progressistes », dont M. Macron serait le héraut, aux « nationalistes » et autres stigmatisés et vilipendés de tout poil que sont populistes et eurosceptiques.

    une-macron_co_web.jpgLa ficelle est un peu grosse, aussi M. Macron a-t-il besoin pour l’emporter de ratisser large, ce que montre le repas secret à l’Elysée, mardi 20 novembre, auquel assistaient le gratin des européistes (MM. Bayrou, Juppé, Raffarin, Moscovici, etc.) ; ce que prouve aussi son entêtement, jusqu’ à ces derniers jours, à conduire au pas de charge une « transition écologique » au plus près des moindres délires et exigences du clan écolo-européiste. 

    Tarbes-Manifestation-GiletsJaunes-24Novembre-Nov18.jpgMais le rationalisme technocratique des équipes de M. Macron, qui devaient penser avoir tout prévu, s’est heurté à l’inimaginable, à l’impondérable, à l’imprévu : le facteur humain. Et voici nos ploucs de la France profonde (des territoires de l’hexagone diront certains) qui entrent en rébellion. Les premières reculades en forme d’annonces n’ont pas pour l’instant vraiment calmé les esprits. L’honnêteté intellectuelle conduit à dire qu’un mouvement aussi diffus, aussi foisonnant, aussi désidéologisé, un mouvement aussi contradictoire même dans ses revendications peut conduire à tout ou à rien : essoufflement d’une réaction minée par les violences, contre-attaque victorieuse du gouvernement sous prétexte de restaurer l’ordre, récupération politicienne par les boutefeux de M. Mélenchon, crise politique et dissolution de l’Assemblée, etc. Analystes et commentateurs se perdent en conjectures, de la jacquerie à la crise de régime : le vrai est qu’on n’en sait rien. 

    Salvini-Macron-elections-europe.jpgReste quand même que la position de M. Macron sur la scène internationale, européenne surtout, semble pour l’instant plutôt affaiblie. Et pour un moment. Son ambition européenne, fortement liée au succès de ses réformes intérieures, risque de pâtir de ces scènes d’émeute et de ces reculades gouvernementales qui ternissent son image. « Macron n’est plus un problème pour moi, c’est le problème des Français » a ironisé M. Salvini.  Quelle que soit l’issue du mouvement des Gilets jaunes, il faudra du temps pour restaurer les images conjointes du président en France, de la France en Europe. On peut même espérer que soit mise en sourdine son agressivité verbale à l’égard de ceux qui ne confondent pas Europe et Union européenne. M. Macron, pour avoir privilégié le schéma idéologique euro-mondialiste et du coup ignoré la colère populaire contre ce même schéma, serait alors en situation d’échec au niveau européen. Si c’était le cas, on pourrait remercier les Gilets jaunes.  

  • Jacques Attali : autopsie métaphysico-politique [1]

    Par Rémi Hugues 

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    Intellectuel, idéologue, esthète, homme de culture et homme d'influence, conseiller des princes et banquier... Auteur prolifique. Jacques Attali a été, est ou a voulu être tout cela. Homme politique, homme des combinaisons obscures, aussi. Ses idées, ses aspirations, ses songes, qui sont ceux d'une certaine modernité ou post-modernité, Attali a rêvé de les voir se réaliser. Rémi Hugues au fil d'une série de quatre articles dont celui-ci est le premier, tente son autopsie.

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    Pour les 75 ans d'Attali ... 

    Si Jacques Attali, qui a fêté le 1er novembre ses 75 ans, appliquait à lui-même les idées quʼil prescrit pour la société, il aurait demandé il y a quinze ans de se faire euthanasier. Car Jacques Attali souhaite de tout son cœur que lʼeuthanasie devienne une pratique de masse destinée aux personnes du « troisième âge », comme dans lʼunivers dystopique mis en images par Richard Fleischer, le réalisateur de Soleil vert (1973). Il nʼy a donc rien de moins naturel que de procéder à lʼautopsie de celui qui est le mentor dʼEmmanuel Macron, et plus largement, qui est conseiller du Prince en titre depuis 1981 et lʼélection de François Mitterrand. Et même, diraient certains, depuis Vercingétorix[1]. 

    Ayant dépassé en âge le seuil quʼil a lui-même fixé, Jacques Attali est donc prêt à être autopsié. Cette autopsie nʼest pas physique mais intellectuelle, vous lʼaurez évidemment compris.

    Juillet-1967.-Vive-le-Quebec-libre-!.jpgNé le 1er novembre 1943 à Alger, il est passé par Sciences-Po, Polytechnique et lʼE.N.A. Étudiant brillant, plus enclin à aimer la ratiocination que les travaux physiques, Attali ambitionne de devenir, une fois diplômé, une figure intellectuelle du socialisme français. Sa référence est lʼauteur de LʼOpium des intellectuels, un pamphlet de 1955 qui vise lʼintelligentsia française accusée dʼêtre illusionnée par la religion marxiste, Raymond Aron, un atlantiste anti-communiste développant une pensée libérale-conservatrice largement inspirée dʼAlexis de Tocqueville. Il soutint le gaullisme avant de sʼen détacher en 1967, suite aux prises de position clairement anti-nord-américaines de De Gaulle. (« Vive le Québec libre ! », et surtout dénonciation de lʼhégémonie du dollar) et anti-israéliennes (« un peuple dʼélite, sur de lui-même et dominateur »).

    ARON-Raymond_NB.jpgJuif comme lui, Attali entend être le Raymond Aron de la gauche. Il rejoint le Parti socialiste (P.S.) de François Mitterrand dans les années 1970. Ce dernier lui confie, au tout début de sa campagne victorieuse de 1981, la mission de rencontrer Coluche, lʼhumoriste qui sʼest engagé dans la course en entonnant le refrain populiste du « tous pourris », pour mieux connaître ses intentions. Car une candidature effective de Michel Colucci, craint le camp socialiste, pourrait faire perdre de précieuses voix à son champion.

    Mais, menacé de mort, le clown se retire. Mitterrand lʼemporte finalement et, avec son sherpa, entre à lʼÉlysée. Les débuts au cœur du pouvoir sont difficiles pour Attali. Le journaliste « FOG », sur un ton moqueur, met en lumière la nouvelle vie du jeune conseiller du président. Lʼadaptation nʼest pas évidente. « Chaque fois que François Mitterrand ouvre une porte, Jacques Attali est là, empressé et inquiet. Ce nʼest pas un hasard si le conseiller spécial sʼest installé dans un bureau contigu à celui de président. Moitié salle dʼattente, moitié hall de gare, ce nʼest évidemment pas le meilleur endroit pour travailler. Mais quʼimporte puisque, pour Attali, lʼessentiel est de pouvoir surveiller les entrées et les sorties...

    Il est si fébrile quʼil ne peut se servir son café sans tacher son costume. Il est si émotif quʼil somatise pour un rien : un mauvais regard du président et, aussitôt, la grippe le ravage. Cʼest son caractère qui gâche son intelligence, qui, à lʼévidence, est immense. […] Tel est Attali : possessif, exclusif et pathétique. […] Pour se trouver quelques secondes de plus avec François Mitterrand, Jacques Attali est prêt à changer de masque comme de rôle. Il fait donc tour à tour office de concierge, de gourou, de dame de compagnie ou bien de professeur dʼéconomie. Il sʼest même mis au golf pour pouvoir jouer, tous les lundis matin, avec le président et André Rousselet. »[2]      

    ob_fbb0e2_attali-et-tonton.jpgProtégé par des soutiens puissants, par des réseaux de pouvoir très influents, Jacques Attali joue un rôle majeur, malgré ses déboires. Les dossiers qui lui sont confiés traitent des questions économiques et des relations avec le monde anglo-saxon. Sa tâche principale est de préparer le tournant de la rigueur, qui nʼa pas été décidé par la nécessité du moment vers 1983, mais était dans les cartons avant même lʼélection de François Mitterrand. La politique réellement socialiste, consistant notamment à nationaliser un certain nombre de grandes entreprises françaises, nʼétait quʼun leurre censé attirer une part substantielle du vote communiste. Embrasser le Parti communiste français (P.C.F.) pour mieux lʼétouffer : la stratégie fonctionna à merveille.

    Ceci nous est révélé par Benoît Collombat : à partir de « mars 1983, cʼest une politique économique de « rigueur » qui sʼimpose, après lʼavis « déterminant du conseiller élyséen Jacques Attali, selon les mots du président lui-même : maintien dans le serpent monétaire européen, blocage des salaires, etc. »[3] Or « la rigueur socialiste est bien la conséquence dʼun choix idéologique, non dʼun impératif économique. Une histoire secrète dans laquelle Jacques Attali a joué un rôle décisif. »[4] Au même moment que la signature du Programme commun de gouvernement par le P.S. et le P.C.F, lui « qui ambitionne de devenir le ʽʽRaymond Aron de la gaucheʼʼ, met en place à lʼuniversité Paris-Dauphine un groupe dʼéconomistes et de polytechniciens rassemblés au sein de lʼInstitut de recherche et dʼinformation socio-économique (IRIS). »[5] Un membre de cette coterie dʼexperts a déclaré que « les nationalisations devaient servir à renflouer des entreprises... avant de les rendre au secteur privé »[6], comme Rhône-Poulenc ou Pechiney. Un autre ancien de lʼI.R.I.S., qui le quitta en 1979, explique que « lʼarrière-plan idéologique de lʼIRIS était évident : il sʼagissait de ʽʽréussir ce que la droite était en train de rater. Casser les salaires pour créer un capitalisme modèleʼʼ. Il fallait que la gauche devienne néolibéraleʼʼ, résume Léo Scheer, autre membre de lʼIRIS embauché en 1981 dans le groupe Havas. Une conversion silencieuse, qui ne devait pas entraîner de rupture avec les communistes... »[7]

    75b6abdf216a17b9172daefe89d.jpegCʼest pourquoi un rapport sur les effets de la politique de relance par la consommation initiée par le pouvoir socialiste est passé sous silence... car il montre que celle-ci est une réussite : « Le ministre du Plan, Michel Rocard, demande à Dominique Strauss-Kahn, alors au Commissariat au Plan, de commander un rapport à lʼéconomiste américain Robert Eisner, afin de justifier ce tournant. Problème : Eisner aboutit à la conclusion inverse ! Le président de la très respectée Association américaine dʼéconomie estime que la politique de relance produit ses premiers effets, et que le pouvoir socialiste doit continuer sur sa lancée de 1981. Son rapport restera dans un tiroir. »[8] 

    En dépit de ce qui nous est habituellement dit, la relance de type keynésien – ou « choc de demande » – amorcée par le gouvernement Mauroy ne fut pas un échec économique. Ni une entrave à la construction européenne : les partenaires de la France au sein de la Communauté économique européenne (C.E.E.), République fédérale dʼAllemagne (R.F.A.) et Italie en tête, voyaient dʼun bon œil cette politique économique qui dynamisait leur industrie. Les gains de pouvoir dʼachat dus à la politique de relance incitaient les Français à consommer plus, à acheter plus de berlines allemandes et de canapés italiens !   (A suivre)  ■  

    [1]  Pour reprendre une saillie drolatique du spectacle La guerre de Dieudonné (2017).
    [2]  Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, Paris, Seuil, 2011, p. 384.
    [3]  Benoît Collombat, « Jacques Attali : dans les affaires du Prince, prince des ʽʽaffairesʼʼ » in Benoît Collombat, David Servenay (dir.), Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 340.
    [4]  Ibid., p. 341.
    [5]  Ibid., p. 342.
    [6]  Ibid., p. 343.
    [7]  Idem.
    [8]  Ibid., p. 340. 

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

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  • Paris aujourd'hui 11 décembre, aux Mardis de Politique magazine, une conférence du professeur Xavier Martin

     

    Rendez-vous à partir de 19 h 00 - Conférence à 19 h 30 précises
    Participation aux frais : 10 euros -  Etudiants et chômeurs : 5 euros

    Salle Messiaen, 3 rue de la Trinité  Paris 9° - Métro La Trinité, Saint-Lazare

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    Renseignements : Politique magazine, 1 rue de Courcelles Paris 8° - T. 01 42 57 43 22

  • D'accord avec ces Gilets jaunes...

     Nos 8 doléances

    "Nous rentrerons chez nous quand ces mesures seront appliquées

    1. Nous voulons de la démocratie directe à tous les niveaux. Nous voulons un gouvernement d’union nationale avec une régence d’exception pour éviter que les partis politiques, qui sont disqualifiés, n’instrumentalisent notre détresse et notre colère.

    2. Nous voulons une baisse de 20% de toutes les taxes et les charges touchant la classe moyenne, les travailleurs pauvres et les entrepreneurs. Baisser ces taxes, c’est monter nos salaires. Nous voulons une action immédiate pour taxer ce qui vaut la peine d’être taxé : les GAFA et les transactions financières.

    3. Nous voulons que la France arrête de vivre au-dessus de ses moyens et arrête d’accueillir la misère du monde parce qu’elle et déjà dans la misère avec ses millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous voulons une immigration choisie, qui ne nous détruise pas culturellement. Nous demandons ainsi un retrait du pacte de l’immigration de l’ONU.

    4. Nous voulons une relocalisation de toutes les décisions dans les régions, les villes et les communes. L’Etat et ses fonctionnaires à Paris ne sont pas qualifiés pour décider de l’avenir de nos communes.

    5. Nous voulons une sortie de la PAC qui corrompt nos agriculteurs en n’allouant ses aides qu’aux productivistes et aux empoisonneurs répandant le cancer en France. Nos impôts ne doivent en aucun cas servir à financer Bayer-Monsanto.

    6. Nous voulons la création de barrières commerciales pour empêcher l’Allemagne de nous vendre des produits fabriqués en Roumanie, sous le label "Deutsche Qualität" et d’ainsi détruire nos emplois.

    7. Nous voulons le retrait de toutes les aides à la presse pour une vraie séparation des pouvoirs médiatiques et politiques.

    8. Nous voulons une action immédiate pour arrêter l’intégration dans l’Europe car elle ne se construit que sur la ruine des petites gens.

     

    lafautearousseau approuve, et signe des deux mains...

  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Histoire & Actualité • Mathieu Bock-Côté : « Philippe de Villiers et l'histoire de France »

    Par Mathieu Bock-Côté 

    Dans Le Mystère Clovis, Philippe de Villiers renoue avec la question la plus fondamentale, celle des origines, et plus exactement, des origines de l'identité française, qu'on mutilerait si on en effaçait la marque chrétienne [Le Figaro, 7.12]. LFAR

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    Philippe de Villiers, l'homme du Puy-du-Fou, sait depuis longtemps qu'un peuple sans légendes est condamné à la sécheresse existentielle. Il avait aussi affirmé dans Les cloches sonneront-elles encore demain? que c'est la beauté qui sauvera une France hantée par la possibilité de sa dissolution, pour peu qu'elle sache renouer avec ses traditions les plus intimes. C'est peut-être pour cela qu'il a aussi entrepris, il y a quelques années, de raconter lui aussi l'histoire de la France en faisant le choix de s'y immerger, de l'habiter totalement, pour la faire revivre comme s'il nous chuchotait une épopée. D'un livre à l'autre, Philippe de Villiers s'identifie aux personnages historiques qu'il met de l'avant, au point d'écrire leur histoire à la première personne du singulier.

    C'était d'abord le cas avec Le Roman de Charette , le Vendéen abordant d'abord l'histoire de son pays à la lumière de sa petite patrie, qui incarne à la fois la dissidence la plus héroïque et la résistance au nom de l'enracinement contre une modernité qui peut être tentée d'éradiquer de la surface du globe les catégories sociales qui ne veulent pas s'y laisser dissoudre. Ce fut ensuite le cas avec Le Roman de Saint Louis , illustrant la part de la charité dans l'action des grands rois de France, ainsi qu'avec Le Roman de Jeanne d'Arc, illustrant à sa manière la figure du recours dans l'histoire de France, le désespoir ne devant jamais l'emporter même dans la pire situation, puisqu'une figure providentielle pouvant prendre le visage d'une improbable jeune fille peut toujours surgir du peuple pour renverser le cours des choses.

    Une nation est aussi un mystère

    3805053255.jpgIl était inévitable que Philippe de Villiers en arrive à Clovis, pour renouer avec la question la plus fondamentale, celle des origines, et plus exactement, des origines de l'identité française, qu'on mutilerait si on en effaçait la marque chrétienne. Ce retour est une authentique transgression dans une époque qui ne veut justement rien savoir des origines, sauf à la repousser dans des temps si lointains qu'elles en deviennent insaisissables, comme on l'a vu dans l'Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, qui la reportait jusqu'à la grotte Chauvet, ce qui n'était qu'une manière de la neutraliser. Il faut dire que la théorie dominante en sciences sociales présente l'identité comme un flux insaisissable, qu'on ne saurait caractériser sous le signe de la continuité historique sans immédiatement la muséifier. Le désir qu'a un peuple de demeurer lui-même, on le nomme «rispation identitaire ».

    Une certaine pratique de l'histoire académique, qui se croit absolument scientifique, alors qu'elle n'est qu'inconsciente de ses préjugés idéologiques, a cru pour cela nécessaire de déconstruire l'histoire des nations, comme s'il fallait aboutir à leur désagrégation. Le progressisme médiatico-universitaire a la fâcheuse tendance de confondre l'émancipation humaine avec l'annihilation du déjà-là, comme si l'homme ne devait advenir à lui-même qu'en faisant table rase. Chaque réalité historique est présentée comme un système discriminatoire à faire tomber.

    Au terme de la déconstruction, il prétend fabriquer en suivant une maquette diversitaire un monde idéal. Mais c'est un monde en contre-plaqué idéologique, certifié par des sociologues patentés, certes, mais aussi aride qu'inhabitable. La modernité radicale artificialise l'existence et la rend glaciale. C'est une construction sociale déconstruite et reconstruite sans fin : un monde en toc. C'est peut-être ce que savent les gens simples et que ne savent plus les esprits sophistiqués : il est bon d'avoir une demeure et un chez-soi. Et pour cela, il faut y croire, et plus encore, croire qu'on doit poursuivre le monde qu'on nous a laissé.

    Retour à Philippe de Villiers. Ce n'est pas son moindre mérite d'avoir compris qu'une nation est aussi un mystère, qui ne se laisse jamais entièrement décrypter ou dévoiler. Un peuple n'est jamais absolument transparent à lui-même. Et c'est pour cela que Philippe de Villiers nous livre en fin de compte une histoire poétique de France, qui touche les cœurs et les âmes. Un pays peut traverser des années sombres mais si, à chaque génération, il trouve quelques hommes pour entendre son chant intérieur et réveiller ses légendes, pour ensuite le reprendre et le faire connaître, il pourra toujours renaître, résister aux plus grands périls ou reconquérir sa part perdue.

    En faisant revivre Clovis, Philippe de Villiers voulait rappeler à son peuple que ses origines demeurent une source de vie. Du Puy-du-Fou à son histoire poétique de France, il réveille en l'homme la disposition à l'émerveillement, qui n'est pas le privilège de l'enfance mais bien la capacité qu'a l'homme de poursuivre l'histoire du monde, et l'immense privilège qu'ont les Français de poursuivre l'histoire de la France.   

    Mathieu Bock-Côté 

    Le-nouveau-regime.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politiqueaux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017). 
  • Société • Gilets jaunes : « À contresens »

      

    Par  

    De cet excellent éditorial, nous distinguerons les deux réflexions qui suivent : « Le tournant que demande la classe moyenne avec ou sans jaune fluo est social, mais il n'est pas comptable » et encore : « Ballottée par les vents violents de la mondialisation et du multiculturalisme, elle crie pour ses fins de mois, mais l'angoisse qui l'étreint est celle de la fin d'un monde : le sien. » [Le Figaro, 6.12] LFAR

     

    XVMe57eea5a-f8cd-11e8-b708-809203d3fe49.jpgEn France, tout s'achève par des impôts. À entendre certaines voix de la majorité, même une révolte fiscale peut déboucher sur un nouveau prélèvement. Depuis que le gouvernement a annoncé qu'il était prêt à annuler la fameuse taxe, le concours Lépine des idées folles bat son plein. Rétablissons l'ISF, lance Marlène Schiappa (sans doute parce que sa disparition participe de l'inégalité femmes-hommes qu'elle est chargée de combattre)! Ajoutons une tranche supplémentaire à l'impôt sur le revenu, propose ingénument un député LaREM ! Encore un peu et le revenu universel reviendra sur la table…

    Même si elle s'affuble désormais du masque hideux de la fièvre robespierriste, il faut, pour comprendre cette révolte fiscale, remonter aux sources profondes qui l'ont fait jaillir. Confuse, contradictoire, indiscernable parfois, elle a toutefois pour premier slogan une phrase limpide : « Laissez-nous vivre de notre travail.» Rien dans une telle supplique ne contient la revendication d'un statut, d'une subvention, d'un impôt. La contradiction même soulignée par Emmanuel Macron entre la double exigence de service public et de baisse des impôts n'est qu'apparente. Elle dit plutôt que le contribuable ne s'y retrouve pas entre ce qu'il donne à la collectivité et ce qu'elle lui procure.

    Le tournant que demande la classe moyenne avec ou sans jaune fluo est social, mais il n'est pas comptable. Il a pour cause, c'est évident, l'inquiétude économique, mais, plus profondément, il exprime, et jusque dans son nihilisme destructeur, la nécessité d'un projet de civilisation. Si la « France moche », celle qu'on traverse dans les romans de Houellebecq, celle des quartiers périurbains, se réfugie, du pavillon au centre commercial, dans la consommation, elle cherche désespérément l'amitié du monde qui humanise la vie quotidienne : la sécurité, la sociabilité, la communauté d'expérience, les fêtes collectives, le foyer, la beauté. Ballottée par les vents violents de la mondialisation et du multiculturalisme, elle crie pour ses fins de mois, mais l'angoisse qui l'étreint est celle de la fin d'un monde: le sien.  

    Vincent Tremolet de Villers
    Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du FigaroVox 
     
    A lire dans la rubrique En deux mots de Lafautearousseau ...
    Gilets jaunes : Les hommes et les idées de demain seront sans-doute à rechercher hors du Système
  • Patrimoine cinématographique • L'exercice de l’État

     

    Par Pierre Builly

    L'exercice de l’État de Pierre Schoeller (2011)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgLes prochaines années s'annoncent brillantes 

    Déjà, le titre, magnifique et absolument juste. Par nunucherie consensuelle et goût du clinquant, on aurait pu appeler ça Les coulisses du Pouvoir, L'envers de l’État ou quelque chose de ce genre. Le nom d'Exercice est ce qui est de plus adapté à ce quotidien fiévreux qui décrit quelques semaines, quelques jours même de la vie d'un ministre et de son Cabinet. 

    Je n'ai pas souvenir d'avoir vu traiter ce quotidien avec autant d'exactitude et - pour en faire la confidence - je puis dire que je suis particulièrement bien placé pour en juger. Cette impression d'urgence perpétuelle, cette obligation de penser plus vite que la norme, de décider, de trancher, d'arbitrer, ces deux milliards de choses à faire dans la même heure, le téléphone qui sonne sans cesse, le fâcheux qui vient prendre quelques minutes d'un temps précieux, les heures passées à relire des textes ardus, l'engagement entier de toute une équipe qui fait ses trente-cinq heures en deux jours... 

    156_1eXx_l-exercice-de-l-etat-de-pierre-schoeller-extrait_x240-0cK.jpgEntre l'importun qui appelle son vieux camarade pour lui demander l'accélération de la délivrance d'un passeport et la prise de décisions stratégiques, la marge est à la fois considérable et ténue. La vie d'un Directeur du Cabinet, c'est vraiment ça : le travail acharné, les nuits sacrifiées, la mobilisation permanente, continue, de toute son énergie. 

    Pour qui ? Pour quoi ? La belle affaire ! Il y a, dans L'exercice de l’État, une scène formidable entre Gilles, le Directeur du Cabinet (Michel Blanc, fantastique) et son vieux camarade de l'ENA, Woessner (Didier Bezace) qui quitte la Direction du Cabinet d'un des ministères de Bercy pour aller pantoufler dans le privé (la direction internationale de Vinci), conversation qui porte sur l’État, la nature du Pouvoir, la capacité d'agir. Nous avons encore le Pouvoir, mais il n'y a plus la Puissance dit Woessner pour expliquer son geste à son ami dépité qu'on puisse abandonner le Service Public pour les facilités de l'Entreprise. J'aurais dit l'inverse, mais tout est affaire sémantique... 

    exercice-etat-2011-6yol3-39ooai-1-.jpgLa puissance publique est encore là, pour nommer à des postes éminents, réprimer des manifestations, accorder des faveurs. Mais il y a longtemps que le Pouvoir a déserté ses allées, égaré par les conventions internationales, les déclarations de droits réels ou prétendus, les injonctions des traités, les ukases bien-pensants, l'omnipotence de la fortune anonyme et vagabonde, l'arrogance des ONG et tout le tremblement. La qualité de L'exercice de l'État est de montrer cela dans sa nudité, dans sa cruauté, dans son évidence. 

    Et peut-être davantage encore aujourd'hui qu'hier, aujourd’hui où des peuples exaspérés découvrent que leurs gouvernants, quels qu'ils soient, ne peuvent pas grand chose, ne sont que les conducteurs nominaux d'une machine qui s'est emballée depuis longtemps... 

    maxresdefault.jpgRevenons au film, qui est d'un rythme et d'une efficacité remarquables. Ôtons-en quelques fautes de goût : le dîner incongru et alcoolisé de Saint-Jean, le ministre (Olivier Gourmet, impressionnant de maîtrise) avec son chauffeur (Sylvain Deblé) et sa compagne (Anne Azoulay) ; le trop long plan sur la jambe arrachée dudit chauffeur après l'accident de voiture ; l'accentuation un peu trop forte qui montre Gilles, serviteur de l’État jusqu'à la moelle se passer en boucle l’admirable discours d'André Malraux accueillant au Panthéon les cendres de Jean Moulin, le 19 décembre 1964...

    Cela dit est véniel et ne concerne que les yeux particulièrement exercés. Tout le reste est remarquable, dès la séquence d'ouverture, l'affreux accident d'un car d'enfants dans les Ardennes, (On songe forcément à l'accident de Beaune, le 31 juillet 1982 : 53 tués). Tout ce qui se met en place sonne véridique : les gendarmes et les pompiers affairés, le préfet dépassé par l'événement, la presse avide de déclarations aussi définitives que creuses... 

    Un film un peu désespérant, aussi, parce qu'il montre l'impuissance évidente, l'incapacité à résister au tourbillon de ceux que nous élisons, quels qu'ils soient, pensant qu'ils maîtrisent notre Titanic, alors qu’ils sont aussi impuissants que nous, simplement un peu mieux placés, sur la proue du navire. 

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    DVD aux environs de  10 € .

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    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR