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L'AF en 14 (2/2) : le "Journal" de Bainville - Page 7

  • 21 septembre 1914 ... "cette guerre était inutile et pouvait être évitée ..." ?

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    D'une nouvelle conversation de X... avec Denys Cochin (1), il résulte que celui-ci aurait pu être ministre dans le cabinet de réconciliation nationale s'il n'avait déclaré que cette guerre était inutile et pouvait être évitée. Denys Cochin affirme que le baron de Schoen a cherché à joindre toutes sortes d'hommes politiques français pour arriver à empêcher l'alliance franco-russe de jouer. 

    Paul Souday m'apprend la mort du musicien Albéric Magnard, survenue dans les circonstances suivantes. Magnard se trouvait à la campagne, dans le Valois, avec sa famille. On apprend que les Prussiens approchent. Il déclare qu'il veut rester seul pour empêcher le pillage de la maison. Un matin, deux uhlans se présentent : Magnard, qui avait un fusil, les vise et fait coup double. Quelques instants après, d'autres uhlans arrivent en force, s'emparent du musicien et le fusillent... Albéric Magnard - le fils du célèbre Magnard du Figaro - était un homme de grand talent, mais un méditatif, un doux. Pourtant il n'a pas pu supporter ça. Et ça, c'était de voir les Prussiens chez lui.

    Le Temps quitte Bordeaux demain. Nous aussi. Mon ami Capus est reparti déjà. Le gouvernement va rester seul dans sa  capitale provisoire ayant l'air de ne pas avoir confiance dans les nouvelles favorables qu'il donne et qui, officieuses, sont encore meilleures qu'officielles. Il semble cependant que les Allemands, avec des forces accrues,  et des troupes fraîches ou reposées, tentent un suprême effort pour revenir sur Paris. u   

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    1. Denys Cochin (1851-1922), député de Paris de 1893 à 1919, catholique libéral, entrera au gouvernement comme sous-secrétaire d'Etat en novembre 1915 jusqu'à sa démission en juillet 1917.

     

  • 20 septembre 1914 ... Mort héroïque au champ d'honneur de Charles Péguy et destruction de la cathédrale de Reims

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    Nous avons appris presque en même temps la mort héroïque au champ d'honneur de Charles Péguy et la destruction de la cathédrale de Reims.

    Ce Péguy !

    Il était avant-hier une espèce de dreyfusard tout à fait vulgaire, un professeur radical-socialiste qui faisait une littérature forcenée. Il ressemblait à Jean-Jacques Rousseau par l'insociabilité, par la farouche vertu.

    Et puis la mystique du nationalisme l'avait saisi. Il s'était retrouvé paysan de France, tout près de la terre, de la glèbe, du sillon. Cet universitaire s'était mis à vénérer Sainte Geneviève et Sainte Jeanne d'Arc avec la ferveur et la simplicité d'un homme du Moyen-Âge. Il était devenu un des mainteneurs et un des exalteurs de la tradition. Il a été de ce mouvement profond, de ce mouvement de l'instinct qui, dans les mois qui ont précédé la guerre, a replié les Français sur eux-mêmes, a conduit l'élite intellectuelle et morale de la nation à des méditations, souvent d'un caractère religieux, sur les origines et l'histoire de la nation...

    Chose étrange que Péguy soit mort d'une balle au front au moment où commençait à brûler la cathédrale où Jeanne d'Arc, pour le sacre de Charles VII, avait mené son oriflamme à l'honneur.

    La guerre de 1914 a fait de beaux symboles. Péguy aura dans notre histoire littéraire et nationale la place de ces poètes soldats de l'Allemagne d'il y a cent ans qui tombaient dans la guerre d'indépendance

    En s'acharnant contre la cathédrale de Reims, les Allemands savent bien ce qu'ils font. Nul peuple n'a plus qu'eux l'esprit historique et le sens de la symbolique historique. Détruire la cathédrale où étaient sacrés les rois de France, c'est une manifestation de même nature que la proclamation de l'Empire allemand dans le palais de Louis XIV à Versailles.   u   

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  • 18 septembre 1914 ... D'ici quarante-huit heures nous aurons certainement quitté Bordeaux

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    Il y a une affaire Castelnau. Une dépêche de félicitations adressée le 10 septembre au général de Castelnau par le général Joffre n'a été communiquée à la presse qu'aujourd'hui et arrêtée par la censure de Bordeaux aussitôt qu'elle a été communiquée. Elle a paru pourtant dans L'Homme libre de Clemenceau, qui s'imprime à Toulouse et a pu être reproduite après cela partout. La vérité est que le gouvernement a peur du général de Castelnau, peur de sa popularité, de son influence, de ses idées. On m'assure que le président Poincaré ne cache pas ses alarmes à ce sujet : il a peur d'être fusillé par la réaction. Le personnel républicain, les gens de la rue de Valois ont la même crainte. Il est cependant parmi eux des hommes qui ont du bon sens. Comme on disait l'autre jour devant le sénateur Perchot, un des chefs du parti radical-socialiste que les généraux seraient bien dangereux pour la République après la victoire, Perchot répondit : "Ayons d'abord la victoire."   

    En passant tout à l'heure rue Vital-Carles, j'ai vu Millerand qui sortait à pied, sans aucune cérémonie, du ministère de la Guerre. A..., un de nos confrères de la presse parisienne, l'a abordé au même moment et lui a demandé des nouvelles de la guerre. Le ministre a confirmé que la situation était bonne, autorisait l'espérance. 

    D'ici quarante-huit heures nous aurons certainement quitté Bordeaux. Le décret qui ordonne la révision des exemptés et réformés et la retraite de l'ennemi me donnent l'espoir d'être employé à l'administration militaire des territoires ennemis occupés par nos armées. A la lecture quotidienne des admirables faits d'armes dont nos soldats sont les héros, le non-combattant, l'oisif, a un sentiment de honte qui va, comme me le disait très justement tout à l'heure Vaugeois, jusqu'au sentiment de la culpabilité. 

    Lawrence Jerrold, correspondant du Daily Telegraph, un des plus grands journaux anglais, qui arrive d'Angleterre par mer, m'assure que la plus grande partie du cabinet libéral était hostile à la guerre. Ce sont sir Edward Grey, un patricien whig qui a les vieilles traditions politiques anglaises dans le sang, et Winston Churchill, un descendant des Marlborough, un conservateur fraîchement rallié au radicalisme, qui ont décidé Asquith et LLoyd George. Sans ces deux aristocrates comme sans le roi des Belges, la démocratie française était abandonnée, livrée à elle-même en face de l'impérialisme allemand.  

    D'ailleurs les démissions de sir John Morley, vieux, très vieux radical gladstonien, et de John Burns, le ministre "travailliste", plus doux, en disent long à cet égard. u   

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  • 17 septembre 1914 ... Le général Joffre a de l'estomac et de l'autorité

     

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    Encore une journée de flottement. On m'assure que, de nouveau, pendant ces dernières vingt-quatre heures, le gouvernement a été démoralisé, le président Poincaré lui-même donnant de mauvaises nouvelles à ses visiteurs. Le général Joffre a de l'estomac et de l'autorité pour conserver son sang-froid et sa méthode, et ne pas se laisser influencer par les alarmes d'en haut - à moins qu'à ses yeux le gouvernement ne compte plus.

    La vérité sur la situation est, dit-on, que les Allemands avaient préparé des retranchements très sérieux derrière eux et qu'ils ont pu se mettre à l'abri des lignes puissamment fortifiées après avoir dû battre en retraite. En ce moment, ils prépareraient dans les mêmes conditions d'autres défenses (ils y feraient travailler de force nos populations), en sorte qu'il faudra livrer plusieurs batailles pour les chasser de France. L'insuffisance de notre grosse artillerie rendrait cette suite d'opérations plus lente et plus pénible. 

    En somme, nous nous trouvons toujours en présence d'un ennemi que sa longue et minutieuse préparation à la guerre et s préparation rendent redoutable et qui par là réussit à tenir en échec une armée d'une qualité infiniment supérieure. La preuve est faite et refaite désormais.

    Il est évident aussi que nous n'avons échappé à la catastrophe complète que grâce à la résistance de la Belgique. Le plan de l'Allemagne en a reçu un coup dont il ne s'est pas relevé, parce que l'Allemand ne sait pas improviser, parce qu'il n'a pas de génie. Il supplée à ces lacunes par l'ordre, l'autorité, la régularité, l'action de l'autorité. Mais, que les projets préparés de longue main soient dérangés, personne n'y est plus. Jusqu'ici cette guerre de 1914 aura consisté, de leur part, dans une irruption en France, accompagnée de la dévastation de dix ou douze départements; dans une marche sur Paris subitement détournée vers le sud-est; dans une retraite sur l'Aisne et la Meuse; enfin ils en sont à l'heure qu'il est à faire une guerre défensive - dans l'Argonne : une "promenade militaire" qui a coûté à l'Allemagne des milliers et des milliers d'hommes et son prestige de peuple invincible.  

    Ce soir, dans un groupe, le sénateur Lintilhac, dont le visage rasé, puissant et expressif d'Auvergnat fait songer au masque de Guitry, citait ce mot d'un commandant qui à un combat de ces derniers jours, voyant son bataillon hésiter, avait prononcé, le révolver au poing, ces paroles dignes de Tacite : "Ici, la gloire; là, la honte. Ici et là, la mort si vous reculez."

    Parmi beaucoup d'autres choses, le sénateur Lintilhac expliquait encore que notre aile droite et notre aile gauche faisaient al manœuvre dite du volet, en se refermant sur el centre allemand, qui allait être obligé de reculer. Il affirmait que, aujourd'hui 17 septembre, le nombre des blessés français soignés en France était de 85.000 et que nos pertes avaient été si importantes à la bataille de la Marne qu'il avait fallu ensevelir à la hâte une grande quantité de nos morts sans retirer leur médaille d'identité. Enfin il ajoutait que le gouvernement de la République était résolu à ne pas faire la paix que la bête allemande ne fût abattue.

    Lintilhac confirme les nombreuses défaillances des municipalités et des autorités civiles dans les régions envahies. C'est autour de leurs évêques et de leurs curés que se sont groupées les populations, à Meaux notamment où Mgr Marbot, resté seul, a été admirable. A Soissons, c'est une femme, Mme Macherez, qui a pris les fonctions de maire. Maurras a fait à ce propos un article très fortement intitulé : "Récit des temps mérovingiens". En effet nous avons fait un bond de plus de mille ans en arrière dans l'histoire. Et une dépêche des Catalans espagnols félicite le général Joffre d'avoir vaincu les barbares aux champs catalauniques. u   

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  • 16 septembre 1914 ... J'ai aperçu aujourd'hui le président Poincaré au fond d'une automobile

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    Il faudra attendre encore longtemps avant de connaître l'histoire de cette guerre. Sur la bataille de la Marne, nous n'avons pour ainsi dire pas d e détails et nous ne savons qu'une chose, c'est que nos soldats l'ont gagnée. Au prix de quels sacrifices, on l'ignore, mais ils ont du être énormes à en juger la proclamation que le général Joffre avait adressée aux combattants : "Il s'agit du salut du pays... Il faudra se faire tuer sur place plutôt que de reculer... Aucune défaillance aujourd'hui ne peut être tolérée." Cet ordre du jour est sublime : toute la France le sait par cœur. D'autre part, le haut commandement allemand avait donné le même mot d'ordre aux armées ennemies. Et ce sont les nôtres qui l'ont emporté. Tout cela est d'une grandeur qui passe ce qu'on a vu même, je crois, en 70, par la simplicité, le calme, le sang-froid dans l'héroïsme. Heureux ceux qui auront vécu ces batailles, remporté ces victoires. Et quelle élite cela nous prépare, pour quel peuple trempé" comme un acier !  

    La vie à Bordeaux est d'une insupportable platitude pour tout ce qui garde un peu de sang dans les veines. Le gouvernement est invisible et muet : il est sûr que la vie s'est retirée de là et le personnel en a lui-même conscience. J'ai aperçu aujourd'hui le président Poincaré au fond d'une automobile : il a vieilli de dix ans depuis la guerre. La fuite à Bordeaux a été une faute énorme dont les effets ne se répareront pas. Mais de quelles angoisses la fuite n'a-t-elle pas dû être précédée !

    On ne songe qu'à regagner Paris : les journaux ni les journalistes n'ont plus rien à faire ici. Nous aurons eu raison de ne publier aucune édition de L'Action française à Bordeaux. D'ici huit à dix jours, le gouvernement restera seul, ne pouvant, par décence, à moins de se déjuger, revenir avant le mois d'octobre - s'il revient !  u   

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  • 15 septembre 1914 ... Albert 1er se dresse au milieu des médiocrités

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    Avec un admirable sang-froid, le pays s'est gardé d'illuminer, de pavoiser et même de manifester pour la victoire de la Marne. Sans émotion il apprend aujourd'hui que la défaite des Allemands est peut-être un peu moins complète qu'on ne l'avait cru d'abord et que l'ennemi se reforme plus près qu'on n'avait pensé. Ce n'est pas encore la libération du territoire, et il va sans doute falloir une autre bataille victorieuse pour que l'envahisseur soit définitivement chassé. N'importe. L'esprit public est admirable. On est résolu à tout.

    Il est extrêmement peu vraisemblable que les Allemands soient désormais en état de reprendre leur marche sur Paris. Toutefois il faut croire que tout péril n'est pas écarté, car on continue à mettre en défense le camp retranché. Rien n'avait été fait ou bien peu de chose : j'apprends ici qu'on a, dans ces tous derniers jours, envoyé des canons de l'île d'Aix et des fils de fer barbelés pour les forts de la région parisienne. La négligence est certaine et a failli nous coûter cher. Nous sommes passés à deux doigts d'une catastrophe...

    Il est à remarquer que le roi Albert de Belgique devient une figure de premier plan. J'écrivais il y a quelques jours que l'Europe officielle est un désert d'hommes. Albert 1er se dresse au milieu des médiocrités. Il a eu la décision magnanime et il a le mot heureux. Il a l'autorité aussi. Clemenceau l'appelle "le Roi", tout simplement.

    Qui sait si on ne songera pas bientôt à lui pour régner sur la France ? C'était le rêve de Léopold II (1)... Et cette solution qui déplairait certainement à la Cour de Saint James, à cause d'Anvers, mais qui ne déplairait pas à l'empereur de Petrograd (car il faut dire Petrograd !) arrangerait bien des choses et aurait des chances de plaire à bien des gens. "Comme nous sommes peu en République !" s'écriait hier le vieux communard Vaillant (2), qui s'y connaît et qui a le flair républicain.

    Ce soir, après une rapide enquête dans plusieurs milieux, je me rends compte que mon intuition quant à la possibilité d'une intrigue pour la candidature d'Albert 1er n'avait rien de personnel. L'idée en est venue en même temps à des centaines de personnes, elle est un produit des évènements. Les hommes les mieux renseignés sur ce qui se dit à Bordeaux dans les cercles de la politique et du journalisme m'affirment que partout on parle d'Albert 1er roi des Français, ou, du moins, consul, ou proconsul, ou "conseil" de la République française. Il paraît en tout cas probable à beaucoup de personnes, que, de son contact étroit avec les Alliés, le gouvernement républicain sortira transformé non moins que par l'effet des évènements. Cela est déjà sensible au ministère anglais, d'où se sont retirés le vieux radical gladstonien John Morley (3) et le socialiste John Burns (4), deux éléments surannés qui représentent avec exactitude  tout ce que la guerre a brutalement chassé du champ des idées vivantes, éliminé de l'action politique. u  

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  • 14 septembre 1914 ... L'on ne compte plus sur la paix pour les vendanges

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    On annonce que Gabriel Hanotaux écrira une histoire de la guerre de 1914. De 1914-19... combien ? Car ce n'est pas encore fini, et l'on ne compte plus sur la paix pour les vendanges. u

     

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  • 13 septembre 1914 ... Oui, aujourd'hui nous voyons tout en beau...

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    Victoire ! Nous pouvons enfin écrire ce beau mot puisqu'ila  été prononcé au ministère de la Guerre devant les représentants de la presse. La victoire de la Marne a sauvé Paris et la France. Si nous avions été battus, la partie n'était pas encore perdue, puisque le commandement avait pris des mesures assez habiles pour que la route restât libre derrière nos armées intactes. Mais il fallait nous replier jusqu'à Lyon, et c'étaient encore sept ou huit départements dévastés, sans compter Paris qui tombait aux mains des Allemands.

    A tous les points de vue, ce succès est venu à son heure. Voilà les Russes qui semblent arrêtés en Prusse orientale (1). Le fameux "rouleau compresseur", comme disait naguère un journal anglais, et le mot avait fait fortune, ne comprime plus guère quand il se trouve en présence d'une armée allemande sérieuse. On me dit d'ailleurs qu'au grand état-major français on estime que les Russes ne peuvent pas mettre sur pied plus de deux millions d'hommes vraiment exercés et armés. Les huit millions de soldats dont on parle sont une fable à l'image du public. En somme, c'est surtout sur nous-mêmes que nous devons compter. Mais la situation se présente ainsi : les Russes ont battu les Autrichiens; les Allemands battent les Russes; les Français battent les Allemands. Nous sommes au sommet de l'échelle... Oui, aujourd'hui nous voyons tout en beau...  

    D'un milieu où l'on connaît les choses d'Autriche, on me dit qu'il est vain, du moins pour l'instant, d'espérer que Vienne renonce à son alliance même malheureuse avec Berlin. Il faudrait pour cela que le vieil empereur François-Joseph, qu'on dit très malade, vînt à disparaître - consentît à disparaître. Son petit-neveu, marié à une Bourbon (2), n'a que très peu de sympathies pour l'Allemagne. Mais il y  a le parti militaire, très puissant encore, quoique battu, qui est associé avec la presse et la finance juives, très antirusses là-bas comme en Allemagne. Pourtant il ne faut pas désespérer que, le prestige militaire de l'Empire allemand étant atteint, la défection de l'Autriche se produise. A Munich, à Dresde, à Stuttgart, il y aura ensuite du beau travail diplomatique à faire. On peut gager que, depuis quelques jours, le roi Louis III de Bavière sent se rouvrir la blessure qu'une balle prussienne lui a faite en 1866...

    On raconte que Guillaume II a envoyé ces jours-ci à Victor-Emmanuel III (3) le télégramme suivant : "Vainqueur ou vaincu, je n'oublierai jamais ta trahison." A qui le roi d'Italie aurait répondu : "Et moi, je ne veux pas trahir mon peuple." Si ce n'est vrai, c'est assez bien imaginé. Cependant l'Italie reste neutre. C'est un baromètre à consulter. Le jour où l'aiguille se déplacera pour de bon dans notre sens, nous pourrons dire : "Beau temps." Jusqu'à présent, ce n'est que le variable. Cependant, si l'Italie laisse passer, sans intervenir, le moment psychologique, ce sera encore le mieux. Les neutres sont toujours sacrifiés quand vient la paix, et nous n'aurons pas besoin d'agrandir l'Italie. Cavour (4) calculait peut-être mieux quand il envoyait quelques régiments piémontais en Crimée pour avoir le droit de s'asseoir à la table du congrès de Paris. Mais les leçons de Cavour sont-elles perdues pour les Italiens comme celle de Bismarck le sont, et définitivement celles-là, pour les Allemands ? Ou bien l'Italie parvenue, et en présence de problèmes difficiles, hésite-telle à compromettre son capital et à courir les aventures ?  u

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  • 12 septembre 1914 ... L'armée du général Von Kluck s'en va...

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    C'est le succès. C'est même la victoire. Les Allemands battent en retraite et l'armée du général Von Kluck, la plus redoutable, s'en va... Nos chefs et nos troupes sont venus à bout de la horde... Quelle meilleure preuve que le caractère de nos institutions et notre désorganisation politique nous avaient mis jusqu'ici en état d'infériorité ! "De toute façon, cette expérience suprême condamne la République", m'écrit quelqu'un avec raison...

    Le plus gros du péril passé, chacun avoue ses craintes. Albert de Mun lui-même, qui a tenu vaillamment le coup depuis le début et affirmé un optimisme inébranlable, convient aujourd'hui qu'il a cru pendant quelques jours à la catastrophe sans remède. On pouvait le craindre, quand on voyait les populations du Nord et du Nord-Est fuir devant l'invasion. Il est vrai que l'ennemi arrêté, ayant même dû reculer sur certains points de 40 à 75 kilomètres, rien n'est fini. Il faudra le forcer à la retraite, le "bouter hors de France" et le poursuivre sur son propre territoire. C'est une nouvelle campagne qui commence et qui, si elle n'est pas moins dure, sera plus encourageante et plus exaltante à mener que la première. Toutefois, en se retirant, les Allemands vont encore faire chez nous de terribles ravages. Auguste Avril, le rédacteur parlementaire du Figaro, remarquait l'autre soir que le département de la Marne souffrait cruellement de la guerre (une récolte magnifique y a été saccagée) et que pourtant, il y a six mois, tous les députés du cru étaient à la conférence franco-allemande, à la fameuse duperie de Berne... Souvenir lamentable à évoquer !

    On pense que le gouvernement aura à cœur de rentrer à Paris le plus tôt possible. Son hégire a produit un effet déplorable. A Bordeaux même, tout ce qui l'a suivi par nécessité, non seulement les journalistes, comme nous, demande un prompt retour. Bordeaux finit par prendre l'aspect d'une cité de carnaval, d'une vaste foire aux célébrités, des célébrités dont les unes sont douteuses, dont les autres s'amusent sans vergogne. La presse parisienne dénonce les petits scandales du Chapon fin. Dans un restaurant plus modeste, mais à ce point rempli de dîneurs que je n'ai pu me faire servir qu'une soupe et du fromage, j'ai dîné avant-hier soir entre Camille Pelletan (1) et un comédien du Palais-Royal. Tout à l'heure, un autre pitre, des comédiennes étaient table à table avec des dignitaires. Il est temps que ce spectacle prenne fin et que le ruisseau parisien retrouve son lit.

    Cependant la crise économique se fait sentir, et le tapeur est devenu une des sept plaies de Bordeaux. u  

     

    (1) : Camille Pelletan (1846-1915), rédacteur en chef de La Justice, organe de Clemenceau, ministre de la Marine sous Combes puis président du parti radical depuis 1902. A la fin du Second Empire le père de Jacques Bainville avait soutenu la candidature d'Eugène Pelletan, père de Camille, ancien ministre.  

      

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  • 11 septembre 1914 ... D'après les militaires, c'est de la grande guerre, de la plus grande guerre

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    Journée décisive. En haut lieu, on nous dit d'espérer. Tout promet que l'invasion sera arrêtée, l'offensive allemande brisée sur les bords de la Marne. D'après les militaires, c'est de la grande guerre, de la plus grande guerre, selon les plus hautes lois de l'art, qui s'est faite, dans les deux camps, depuis l'ouverture des hostilités. Et l'on croit que Von der Goltz aurait repris à notre usage le mot que Napoléon avait prononcé en 1813 après Leipzig, ne reconnaissant plus les Prussiens qu'il avait battus à Iéna : "Ces animaux-là ont tout de même appris quelque chose !" Telle est l'étonnante vanité de ces Allemands, ces parvenus du monde moderne...   u

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  • 10 septembre 1914 ... Journée d'espoir

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    Journée d'espoir et, pour les moins optimistes, de confiance renaissante. On se bat sur l'Ourcq, sur la Marne, c'est vrai. Mais on se bat avec les meilleures chances de succès de notre côté. Joffre cunctator a eu raison. Les Allemands, qui ont reculé hier de quarante kilomètres, essaient bien de renouveler la tactique de l'écrasement et, quand dix-mille de leurs hommes ont échoué ou même ont été anéantis quelque part, d'en envoyer aussitôt quarante. Mais leurs réserves s'épuisent, leurs munitions aussi. Toutes les voies de communication ont été détruites (chemin de fer et routes) devant eux, et, au contraire, nos armées se ravitaillent avec la plus grande facilité, le reste de la France étant intact derrière elles. Voilà la très grande raison d'espérer... Il y a sans doute encore de grandes batailles en perspectives et de durs combats à affronter. Une nouvelle campagne sera nécessaire pour rejeter l'envahisseur au-delà de la frontière quand son échec sera confirmé. Et, en se retirant, il fera le désert derrière lui, comme nous-mêmes l'avons déjà fait. De nouvelles ruines s'entasseront dans l'Est et le Nord-Est. Dure nécessité. Mais le salut est à ce prix.

    D'ailleurs, l'espérance qui revient peint tous les aspects de la situation des couleurs les plus favorables. Il n'est plus vrai, aujourd'hui, que tant de villes aient été brûlées. Senlis, notamment, n'a pas souffert de la présence de l'ennemi. "J'y étais voilà quatre jours", confirme un réfugié. Un autre dit que Fourmies n'est nullement détruite de fond en comble. Un troisième assure que l'incendie de Compiègne est une fable. Le bruit avait couru que les Allemands (pour donner une preuve de leur goût) avaient mis la main sur les incomparables pastels de La Tour à Saint-Quentin : Guillaume II, conformément à la tradition frédéricienne, se pique d'être amateur de l'art français du XVIIIème siècle. On annonce maintenant que les La Tour sont en lieu sûr. De même Lille, occupée à peine quelques heures, s'en est tirée avec une contribution de guerre de 500.000 francs, le bénéfice moyen d'un seul de ses grands industriels...  

    Devant cette marée de nouvelles heureuses, le gouvernement est un peu honteux de sa retraite précipitée sur Bordeaux. Marcel Sembat prépare ostensiblement son bagage pour retourner à Paris. Les autres ministres se tournent les pouces ou bien font la fête. Seuls Delcassé et Millerand travaillent quatorze heures par jour. "Millerand prend la figure du grand Carnot" me disait hier soir Alfred Capus... Oui, sans doute, on voit bien les Conventionnels. Mais on ne voit ni l'épuration ni la guillotine...  

    A la dernière heure, il paraît que la situation militaire est encore plus favorable que les communiqués officiels ne le disent. Le général Pau a totalement rétabli nos affaires sur l'aile gauche. Un combattant, revenu du front en mission, que j'ai rencontré hier, rapporte ceci : le général Pau aurait réussi à attirer l'ennemi dans les tourbières autour d'Amiens. 15.000 Allemands, cernés, exposés au feu de notre artillerie, demandent à se rendre à la tombée de la nuit. "Il est trop tard. Je n'ai plus le temps de parlementer", répond le général Pau. Et la canonnade continue.

    Quant à Paris, dont les barbares se sont détournés, Paris, sauvé par miracle, Le Temps en donne cette image :  

    Paris, lundi 7 septembre. 

    Le brusque départ du Président et du gouvernement a surpris la population parisienne que rien n'avait préparée à cet évènement. Les commentaires les plus divers se produisent, mais on se dit que la victoire finale justifiera tout.

    Les administrations civiles sont en plein désarroi, les fonctionnaires qui sont restés à Paris ayant été laissés sans ordres. Nulle instruction ne leur a été donnée. Mais la vie administrative est, pensons-nous, concentrée à Bordeaux.

    A Parsi, il n'est plus question de politique.

    Plus de couloirs ni d'antichambres d'où puissent sortir des bruits alarmants; partout le calme, la dignité, la confiance.

    Gallieni travaille, on le sent, on le voit.

    C'a même été une déception d'apprendre que les Prussiens négligeaient de nous faire une visite..."

    Ces vingt lignes, tout en épigrammes, et qui ont paru dans Le Temps, donnent la mesure du discrédit dont les institutions sont frappées.      

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  • 9 septembre 1914 ... Un fait certain, c'est que le Nord et le Nord-Est de la France sont dévastés

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    La grande bataille continue de se livrer sur l'Ourcq et sur la Marne, et - l'imagination se refuse encore à le croire - l'on se bat de Nanteuil-le-Haudouin à Verdun, en pleine France. Notre centre résiste, et c'est l'essentiel : qui qu'il arrive, dit-on ce matin, nos armées ne peuvent plus être cernées. Fussent-elles battues, elles ont la voie libre derrière elle et pourraient se retirer vers Lyon ou la Franche-Comté. Di omen avertant... Au gouvernement, on respire, on est sans craintes quant à l'issue de la bataille. On eût peut-être mieux fait de ne pas quitter Paris si vite, car ce départ est sévèrement jugé dans le pays et, si les pouvoirs publics doivent regagner bientôt la capitale, ce sera sous les risées sinon sous les sifflets de Bordeaux.

    Un fait certain, c'est que le Nord et le Nord-Est de la France sont dévastés. Ce matin, La Dépêche de Toulouse annonce que Valenciennes est aux mains des Allemands, et que le député socialiste de l'endroit, un certain Henri Durre, pris par l'ennemi comme otage est allé sur parole à Paris demander de l'argent. On dit que Senlis est en cendres, que nos troupes ont brûlé la forêt de Compiègne, où elles aveint cerné une division allemande, et que, par représailles, les Allemands ont incendié la ville de Compiègne. Tous ces bruits sont, pour le moment, invérifiables, mais il n'est pas douteux que la partie la plus riche et la plus industrieuse de la France a été dévastée, de sorte que la ruine et la faillite menacent l'Etat français, si, à l'issue de la guerre, et après la victoire, nous n'obtenons pas de l'Allemagne une énorme indemnité.

    Quoi qu'il arrive, le gouvernement de la République aura la responsabilité de l'envahissement et de la dévastation de toute la partie la plus peuplée et la plus opulente de la France. Et c'est une responsabilité lourde à porter. Dans la bibliothèque de l'hôte qui a bien voulu m'accueillir et me reçoit avec la bonne grâce bordelaise, j'ai pris Montesquieu, comme il sied à Bordeaux. L'Esprit des lois se donne bien du mal pour définir le meilleur des gouvernements. En vérité, la définition est aussi simple que celle du véritable Amphitryon, d'après Molière : le meilleur des gouvernements, c'est celui qui agit en sorte que le territoire ne soit pas envahi. Hier, au café, je causais avec Parsons, un ancien secrétaire de Briand, demeuré le confident du garde des Sceaux. Je lui ai dit : "La République n'avait qu'un seul titre à la reconnaissance des esprits sérieux : c'était d'avoir conservé la paix et de ne s'être pas lancée dans les entreprises guerrières pour lesquelles elle n'est pas faite. Elle n'aura même plus cela." Mon interlocuteur m'a répondu : "Mais, si la République n'avait pas soutenu la Russie, elle ne trouvait plus d'alliances en Europe. - Croyez-vous, ai-je repris, qu'elle en trouve beaucoup après qu'elle a laissé écraser la Belgique ?"

    Nul n'ignore plus, en effet, qu'Albert 1er a fait les plus violents reproches au gouvernement de la République pour n'être pas intervenu plus vite et pour avoir laissé ravager son royaume. La scène avec Klobukowski (1), notre ministre à Bruxelles, a été pénible.

    On apprend à l'instant que, des cinq armées qui se proposaient d'envahir la France, une seule est entrée jusqu'au cœur du territoire, celle du général Von Kluck, un roturier anobli. Une autre a réussi à avancer sérieusement : celle du général Von Hausen. Les trois armées qui restent à peu près contenues à nos frontières sont celle du Kronprinz, du prince héritier de Bavière et du prince héritier de Wurtemberg (2). Toutefois, Von Kluck n'est pas une figure bien marquante. Ce qui frappe, dans cette vaste bataille des nations, c'est la médiocrité persistante des protagonistes. Ni parmi les chefs d'Etat, ni parmi les militaires, ni parmi les diplomates - Albert 1er, presque un jeune homme, excepté - on ne voit se lever de génie. Nulle part on n'entend une voix qui domine les autres, nulle part on ne sent une intelligence ni une volonté directrice. Les hommes de 40 à 70 ans qui gouvernent le monde ne sont peut-être pas tout à fait les imbéciles dont Oxenstiern (3) parlait à son fils, mais c'est en tout cas une génération très ordinaire. Il me semble tous les jours plus évident que les gouvernements ont été entraînés, les uns comme les autres, par leurs systèmes d'alliances, qu'ils n'ont plus été les maîtres de la mécanique qu'ils avaient montée. "A la fin nous devenons les esclaves des créations que nous avons faites." Goethe l'a dit. Et son mot s'applique à l'alliance austro-allemande, à l'alliance franco-russe, à l'Entente cordiale.      

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  • 8 septembre 1914 ... La cinquième partie de la France est envahie et dévastée

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    La situation est la suivante : la cinquième partie de la France est envahie et dévastée. On se bat aux portes de Paris, sur l'Ourcq et la Marne, et cette bataille décidera peut-être de la ruine ou du salut de la capitale... Cependant la confiance est universelle. La presse donne un mot d'ordre d'optimisme qui prévaut contre toutes les lamentations. Il faut que cela dure, d'autres revers dussent-ils nous atteindre. Si la France venait à se démoraliser, tout serait perdu quand tout peut encore être sauvé. On a le sentiment que Guillaume II a escompté cette démoralisation, qu'il l'attend, que, si elle ne se produit pas, une partie de ses plans tombe. La France a très bien compris que toute la politique allemande était fondée sur une mauvaise opinion de notre pays, gouvernement, armée, peuple. Et les Français se font un plaisir de déjouer les calculs de l'empereur barbare dont ils imaginent avec plaisir les déceptions et les fureurs. Ainsi les Athéniens se moquaient de Xerxès faisant battre la mer indocile dont les flots avaient dispersé sa flotte.    

    Le pacte de Londres, qui a été signé avant-hier, nous est une garantie non moins précieuse. Voilà les Français protégés contre les faiblesses possibles, les découragements et les sautes d'humeur de l'opinion et du gouvernement. La France, l'Angleterre et la Russie se sont solennellement engagées à ne pas conclure de paix séparée. C'est probablement la détermination la plus grave qui ait été prise depuis le commencement des hostilités. L'avenir des belligérants s'en trouve engagé pour des mois, peut-être des années. Pour ce qui concerne la France seule, un changement de régime ou une transformation du régime, qui n'étaient pas certains avec une guerre courte, même malheureuse, deviennent plus probables avec une guerre prolongée qui bouleversera tout l'état social et entraînera  de profondes révolutions dans les idées.

    Le gouvernement de la République va de plus en plus à la dérive, entraîné par des évènements qui dépassent ses capacités de prévision et ses moyens d'action. "Une certaine entente des choses de la guerre est indispensable à la direction politique des Etats", a dit Clausewitz (1)... Je n'ai qu'à voir, tous les soirs, sur les coups de cinq heures, Aristide Briand qui se promène la cigarette aux lèvres dans la rue Sainte-Catherine, pour me rendre compte que l'entente des choses de la guerre est totalement absente des manières de penser et de vivre des chefs de l'Etat républicain. En réalité, le véritable gouvernement de la France est en ce moment aux mais du grand état-major.     

    Le nouvel ambassadeur d'Espagne, général de Los Esteros, vient de présenter ses lettres de créance au Président. On me dit confidentiellement, de source espagnole, que l'ambassadeur précédent, marquis de Villa-Urrutia, a été rappelé par Alphonse XIII, qui a désapprouvé l'attitude de son représentant au mois d'août. Le marquis de Villa-Urrutia se serait chargé d'apporter au gouvernement de la République de la part de l'Allemagne des propositions de paix au moment où les armées allemandes approchaient de Paris. Ces propositions - ignominieuses et dont le premier point était l'abandon de nos alliés - étaient soutenues par Joseph Caillaux et ses amis (2). Elles auraient été repoussées dans un grand conseil de gouvernement auquel prenaient part, avec le général Joffre, plusieurs anciens ministres et parlementaires en vue.  

    C'est à la suite de ce conseil, où la résistance fut décidée, que s'est reconstitué le ministère. On dit aussi que le voyage de Lord Kitchener (3) à Paris eut pour objet de peser sur le gouvernement de la République, de l'empêcher de faiblir et de débarquer Messimy. Ces rumeurs sont encore invérifiables.

     

    (1) : Karl von Clausewitz (1780-1831), général prussien et célèbre stratège. Son ouvrage fondamental De la guerre (1832) a été redécouvert par Raymond Aron.

    (2) : Joseph Caillaux (1863-1944) était président du Conseil en 1911 au moment de l'affaire d'Agadir qu'il conclut par un arrangement franco-allemand. Dès le début de la guerre, il est partisan d'une paix de compromis. Après une campagne de L'Action française, Clemenceau le fera arrêter en 1918. Il sera condamné à trois ans de prison en 1920. 

    (3) : Lord Kitchener (1850-1916), le vainqueur de Khartoum et chef d'état-major de la guerre des Boers avait été appelé en 1914 comme ministre de la Guerre.   

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  • 7 septembre 1914 ... Bordeaux transformée en capitale

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    Arrivé à Bordeaux après un voyage de quarante-huit heures, je suis venu, partie en automobile, partie en chemin de fer, par Rennes, Redon, Nantes et Saintes. L'Ouest de la France témoigne à lui seul de l'invasion. Partout des familles d'émigrants fuient nos provinces dévastées. Silencieux, un immense étonnement peint sur leur visage, tous ces habitants du Nord, de l'Aisne, de la Meuse, de la Somme, de l'Oise, pensent à leur maison brûlée ou dévastée, à leurs industries ruinées. Une âpre colère, qu'ils n'expriment pas, brûle dans leur poitrine. "Je suis de Sedan, mon usine n'est plus qu'un monceau de cendres", me dit un homme dont les traits longs, calmes et austères, font penser à ces figures de jansénistes ou de religionnaires que Philippe de Champaigne peignait. "Je suis de Fourmies, la ville n'existe plus", dit un autre. Un troisième, farouche, qui est de Soissons, écarte de la parole et du geste le souvenir de ce qu'il a vu. Des femmes, des Parisiennes de moyenne bourgeoisie, fuient Le Tréport, où elles prenaient les bains de mer. Elles y soignaient les blessés de la Croix-Rouge. Un matin, elles trouvent l'ambulance vide... Elles comprennent que le danger est prochain et préparent leurs valises en hâte : le maire les a devancées dans la fuite. A Rouen, elles ont lu une proclamation de la municipalité invitant les habitants au calme, et avertissant que quiconque tirerait sur l'ennemi, lorsque l'ennemi entrerait dans la ville, exposerait ses concitoyens à de terribles représailles...   

    Est-il vrai que Soissons et Fourmies soient en cendres, qu'à Sedan notre artillerie ait surpris et cerné l'ennemi, que sept cents de nos bouches à feu braquées sur la ville aient fait un massacre d'Allemands, exterminé 35.000 d'entre eux, mais, en même temps, détruit la ville ? Est-il vrai que l'ennemi est à Rouen, dans vingt autres cités ?...  Tout cela est pour le moment incontrôlable. Ce qui est sur, c'est que les populations du Nord de la France refluent vers l'Ouest et que, jusqu'en Bretagne, les trains et les gares sont remplies de réfugiés.

    Il y a aussi des blessés en grand nombre, et dont le moral est admirable. Un jeune lieutenant d'artillerie, blessé à la hanche, se soulevait encore de la banquette du wagon par un mouvement d'enthousiasme, pour rendre l'effet prodigieux de notre canon de 75. "Naguère, disait-il, les Allemands s'en moquaient, l'appelaient la petite seringue. Ils trouvent aujourd'hui que la petite seringue ne plaisante pas."

    Dois-je croire le récit de ce jeune fantassin, sous-officier de réserve, également rencontré dans un train ? Le voici, tel qu'il me l'a fait :

    - Notre régiment campait depuis quelques jours à Aulnay, près de Paris, et nous pensions qu'on nous emploierait à la défense de la capitale. Soudain l'ordre nous vient de partir. Quelques heures plus tard le chemin de fer nous dépose dans le Pas-de-Calais, près d'Arras. Nous nous mettons en marche pour rejoindre la division que nous étions destinés à renforcer. Impossible de la trouver... Nous étions vraiment égarés... Un beau matin, nous défilons paisiblement, par rang de quatre, tant nos chefs se croyaient en pays sûr. Tout à coup une fusillade éclate. Nous étions tombés sur des cantonnements de l'ennemi, entourés de tranchées. Notre avant-garde avait été cueillie sans bruit, en douceur... Voilà la quart de notre effectif par terre, nos convois confisqués en l'espace de quelques minutes, et les débris de notre brigade battent en retraite... Nous avons marché neuf jours, sans arrêt, harcelés par les uhlans, arrivant à peine à manger une fois toutes les quarante huit heures, dormant debout, dévorant des mûres, des pommes de terre crues, des racines... Nous avons rejoint, au-dessous de la Somme, des Anglais qui avaient terriblement souffert... On eût dit que les Allemands s'étaient acharnés sur eux... Ils n'étaient guère plus brillants que nous, et pourtant il y avait parmi les nôtres des hommes qui succombaient à la fatigue au point qu'ils tombaient à terre, que l'approche même de l'ennemi ne les tirait pas de leur sommeil et qu'ils dormaient sous la fusillade..."

    - Comment appelez-vous les opérations auxquelles vous avez pris part ?

    Je pose la question sans malice à l'adjudant qui, recru de fatigue, a droit à un congé de convalescence.  

    - C'est la pile, impossible de le dissimuler, me répond ce jeune homme. Pourtant nous étions joliment bien partis, et avec de l'entrain, je vous le promets. Mais la faute de tout cela est aux généraux politiques...

    Les généraux politiques : j'ai retenu l'expression. Partout, sous des formes diverses, la même accusation s'élève. Percin, d'Amade, Godart, Valbrègue, Michel, Sauret sont déclarés responsables de nos revers...

    Je retrouve toutes ces rumeurs à Bordeaux, mais amplifiées, aggravées, et à quel point ! Bordeaux est l'image réduite de Paris et, le soir, au restaurant, au café, les Parisiens sont comme chez eux. Il n'y a pas seulement ici le président de la République, les ministres et les fonctionnaires. Il y a les journalistes, il y a le boulevard, il y a des comédiennes. Paris qui ne peut pas être "assiégé", qui ne peut même pas être investi (du moins on l'assure), Paris s'est transporté à Bordeaux. Pourquoi ?... Et, si les Allemands sont rejetés loin de Paris, ou bien s'il n'est pas dans leur plan d'y entrer, cet exode, déjà si mal jugé par la population pour ce qu'il a eu de hâtif, ne sera-t-il pas un incident ridicule ?...    

    Les Bordelais sont irrités du sans-gêne avec lequel les ministres et les fonctionnaires ont exercé le droit de réquisition. Les meilleurs hôtels, les plus belles maisons particulières ont été pour les "officiels" qui, avec cela, même sur les bords de la Gironde, ne sont pas très rassurés, le laissent voir : deux mitrailleuses ont été placées dans les tours de la cathédrale pour protéger le gouvernement  contre une agression des "Taubes" (1) ! Cependant la Chambre est à l'Apollo et le Sénat à l'Alhambra : la municipalité a trouvé que des cirques convenaient fort bien à l'une et l'autre de ces assemblées. Avec les brillants dîners du Chapon fin et la foule qui se voit aux cafés de la place du Théâtre, on a l'image de la vie à Bordeaux transformée en capitale et servant de retraite au gouvernement et à tout ce que ce gouvernement traîne derrière lui d'aventuriers, d'histrions et de filles...

    Les promeneurs d'ici auraient besoin d'entendre ce qui se dit ailleurs et de connaître les sentiments des Français qui ont quitté leurs toits pour des raisons beaucoup plus pressantes que celles qui ont déterminé le ministère et les Chambres à abandonner les palais officiels de Paris.  

    (1) : Pigeon, en allemand; nom donné aux avions allemands.   

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  • 4 septembre 1914 ... Quel anniversaire pour la Troisième République !

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    Quel anniversaire pour la Troisième République !... Le gouvernement quitte Paris et se réfugie à Bordeaux. Une proclamation du général Gallieni aux Parisiens annonce que la capitale sera défendue jusqu'au bout... Comme impression, c'est l'équivalent du premier communiqué de Millerand à son arrivée au ministère : "De la Somme aux Vosges..." Jusqu'à quel bout Paris sera-t-il défendu ? Jusqu'à quelle extrémité ? Et cela veut-il dire qu'avant Gallieni Paris ne devait pas être défendu ?  

     

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