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L'AF en 14 (2/2) : le "Journal" de Bainville - Page 4

  • 10 Novembre 1914 ... L'état-major du général Galliéni est composé de vaudevillistes, de ténors et d'impresarii

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    Grosclaude, dans Le Journal, a publié avant-hier un  excellent article qui gênera considérablement l'obscure intrigue qui se noue en faveur de la paix, intrigue pour laquelle Joseph Caillaux travaille et qui n'attend qu'une occasion pour sortir de l'ombre. L'article de Grosclaude nous est confirmé de première main : c'est une nouvelle Affaire Dreyfus qui s'annonce, avec les mêmes éléments.

    Aujourd'hui Les Débats donnent, comme venant de La Nouvelle Presse libre de Vienne, la traduction d'un article où Joseph Caillaux est présenté comme l'homme de la situation, celui qui sera le héros de la France de demain parce qu'il est le seul homme politique de la République qui n'ait pas de responsabilité dans la guerre, etc... Pavé de l'ours germanique, horriblement compromettant pour Joseph Caillaux. Or cet article avait paru le 17 octobre dans La Gazette de Francfort. Je l'avais traduit. Maurras l'avait commenté, et la censure avait interdit texte et commentaire. Le texte prohibé à L'Action française comme venant de Francfort a donc paru hier aux Débats, comme venant de Vienne. Chef-d'oeuvre de la censure dont l'étourderie et l'ignorance sont sans bornes et qui fait choir dans le ridicule les idées de salut public et d'autorité. L'état-major du général Galliéni est composé de vaudevillistes, de ténors et d'impresarii. La censure est recrutée parmi des coulissiers juifs, des habitués du café Weber*, des journalistes de bas étage (à deux ou trois exceptions près), bref parmi tout un monde totalement illettré.    

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    * Célèbre café, rue Royale, que fréquentait Marcel Proust.

  • 9 Novembre 1914 ... Le communiqué d'aujourd'hui

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    Le communiqué d'aujourd'hui a une expression bien malheureuse pour annoncer une nouvelle heureuse : il dit que "nous avons atteint, au nord-est de Soissons, le plateau Vregny, sur lequel nous n'avons pas encore pris pied".

    Il s'agirait du Palatinat ou de la Franconie qu'on ne parlerait pas autrement.   

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  • 8 Novembre 1914 ... « Le désordre et l'incapacité règnent partout. Que de comptes il y aura à régler plus tard !»

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    Etat d'esprit. Je coupe ceci dans la lettre d'un ancien député radical-socialiste, maire de sa ville située dans la zone envahie : « Je suis furieux contre tout le monde, aussi bien contre le gouvernement français que contre l'Allemagne (sic). Le désordre et l'incapacité règnent partout. Que de comptes il y aura à régler plus tard !» 

    Le service de santé, en particulier, était dans un état d'inorganisation, ou plutôt d'inexistence lamentable. A Tours, en apprenant la déclaration du guerre, le directeur s'est suicidé. A l'hôpital Bégin, à Vincennes, il n'y avait rien, ni pansements, ni le reste. «Comment ferez-vous ?» - demandait quelqu'un aux majors. Réponse : « Il y aura tant de blessés pour le peu de lits, de chirurgiens et de médicaments que nous avons, qu'on ne les ramassera même pas.» En effet, le jeune F... qui, en septembre, à la bataille de la Marne, avait reçu un éclat d'obus dans la cuisse, est resté quatre jours sans soins et est mort d'une blessure sans réelle gravité. 

      

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  • 7 Novembre 1914 ... Il se sera bien trouvé un espion pour aller le répéter à Von Kluck ...

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    C'est incontestablement un succès qu'a remporté sur l'Yser l'armée franco-anglo-belge. Mais c'est un succès en quelque sorte négatif : l'ennemi voulait aller à Dunkerque et à Calais. Il a fait à cette intention un effort énorme, il a sacrifié des milliers et des milliers de soldats dans cette nouvelle bataille des Dunes, et il n'a pas obtenu ce qu'il voulait obtenir. Cependant, de la part des Alliés, il n'y a pas eu de victoire au véritable sens du mot : on s'est opposé à la marche de l'ennemi, on a contrarié ses plans. Mais c'est tout. Aussi, mlême parmi les combattants dont le moral est le plus énergique, même parmi les officiers les plus instruits, beaucoup disent qu'on ne voit pas la fin de cette guerre et que, si l'on arrive à chasser les Allemands de France , ce sera déjà très beau.

    Et le Belgique alors?...

    Comme quelqu'un disait hier qu'on ne s'éterniserait pas face à face dans les tranchées et que Joffre ménageait à l'ennemi un tour de sa façon, quelqu'un répliqua : "Espérons qu'il ne l'a pas dit trop haut, sans quoi il se sera bien trouvé un espion pour aller le répéter à Von Kluck." L'espion, en effet pullule. On en fusille tous les jours en France. Mais les Allemands ont des indicateurs sur tous les points de la planète. L'autre jour, la flottille allemande qui est arrivée en vue des côtes d'Ecosse a été prévenue de l'approche des navires anglais. Dans un autre combat sur la côte américaine de l'Océan Pacifique, l'escadre allemande a été merveilleusement informée de tous les mouvements des Anglais.

    A Paris, il y a peut-être encore en ce moment 20.000 espions, quoiqu'on ait expulsé un grand nombre de suspects. J'apprends que le fameux Max Nordeau (1), l'auteur de Dégénérescence, qui écrivait en français aussi bien qu'en allemand que la France était malade et pourrie, a été reconduit à la frontière. Il avait ses deux filles ici dans une ambulance de la Croix-Rouge !

    ...Cette guerre de tranchées est si singulière, si imprévue ! Elle fait écrire à un anonyme, dans Le Matin, ces observations curieuses et justes :

    "La guerre souterraine permet de neutraliser les effets de l'artillerie moderne. Aussi arrive-t-il qu'on regrette les anciens armements. Certains chefs utilisent à nouveau ces mortiers périmés, si bas sur pattes qu'on les appelle des crapouillots, qui datent de Louis XIV et portent au plus à quatre cent mètres. Quel dommage qu'il n'y ait plus d'archers dans les armées ! Une flèche, par la vertu de sa parabole, pénétrerait plus profondément dans les tranchées proches qu'une balle de fusil Lebel.

    Il s'en faut guère que les Français et les Allemands, nez à nez, échangent des discours avant d'en venir aux mains, comme dans L'Iliade. Sans doute, Homère, entendant le langage que nos troupes tiennent parfois aux Boches, trouverait leurs propos un peu brefs. Il n'en reste pas moins qu'on voit aujourd'hui restaurer de tranchée à tranchée d'anciennes modes qui semblaient perdues pour toujours."

    Et, pourtant on avait bien raconté que, pendant la guerre de Mandchourie, Russes et Japonais, quand ils avaient épuisé leurs munitions, se lançaient quelquefois des pierres !

    D'ailleurs, dans ces tranchées où ils sont depuis deux mois, nos soldats s'installent. L'ingéniosité du troupier français a rendu ces terriers habitables. Lane humeur fait le reste. Gaston m'envoie ce fac-simile de la correspondance qu'on s'y adresse :

    "Commandant X... au capitaine d'artillerie Z...

    "On dansera à partir de 16h15. Si l'heure vous convient, faites-le moi dire. Tout est prêt. Nous avons les instruments de musique." 

    Réponse : "J'apporte mon violon."

    Il s'agit, opération grosse de risques, de détruire une tranchée allemande à la distance de 160 mètres.

    J'en reviens à la "décision" qui se fait tant attendre et dont personne n'entrevoit les moyens. Est-ce sur la Russie qu'il faut compter ? Peut-être, mais à la condition de ne pas montrer d'impatience. L'Invalide Russe n'écrivait-il pas ces jours-ci que, de son côté et sur son champ d'opérations, la Russie, en mettant tout au mieux et à condition qu'il n'y eût pas de contretemps, ne pouvait espérer que la guerre se termine à son avantage avant le mois de juillet ou d'août 1915 ?... Comme disent les Turcs : "La hâte vient du diable, mais le calme et la pondération viennent d'Allah !"

    Ces dons d'Allah sont ceux que possède le général Joffre, qui, d'ailleurs, est, paraît-il, en ce moment, de bonne humeur et très optimiste. On cite de lui ce beau mot de soldat à M. Poincaré, qui lui parlait de la victoire : "Monsieur le Président, nous serons vainqueurs quand nous serons en Allemagne." ♦  

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    * Max Nordau (1849-1923), médecin, journaliste et écrivain, était né à Pest, mais habitait Paris depuis 1880 où il était une figure de la vie littéraire. Dégénérescence parut en 1895. Compagnon de Herzl à la tête du mouvement sioniste, il avait couvert pour la presse allemande les procès de l'Affaire Dreyfus. Il avait en réalité quitté la France pour l'Espagne dès le 16  septembre. A Bordeaux, il avait donné une interview à La Petite Gironde qui le publia en octobre. Sa famille était resté&e en Bretagne. Bainville fait allusion ici à la décision de l'Association la presse étrangère de rayer, et donc d'expulser de France ses membres allemands et austro-hongrois. Ce sont ses deux belles-filles qui travaillaient à la Croix-Rouge. Il rentra d'Espagne en  France en 1919. Il mourut à Paris.

  • 6 Novembre 1914 ... Nous voici, à cette heure, en guerre avec la Turquie

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    Quelle absurdité ! Nous voici, à cette heure, en guerre avec la Turquie. Cela fait la troisième puissance avec laquelle en trois mois nous aurons rompu. Et quand on pense que la République est un gouvernement qui passait pour avoir la supériorité et le mérite de maintenir la paix !

    Cette guerre avec la Turquie montre bien que la France est entraînée par ses alliances dans un tourbillon qu'elle ne dirige pas. La Russie va prendre un bon morceau de l'Arménie. L'Angleterre a déjà annexé Chypre, pour commencer, et supprimé les derniers liens qui rattachaient l'île au sultan. Elle s'emparera probablement de l'Arabie. Les Italiens, avec leur art de gagner à tout coup, conserveront le Dodécanèse. Nous, j'espère bien que la Syrie ne nous échappera pas - puisque, plus que jamais, elle s'offre et se donne. Mais notre protectorat en Orient, ce magnifique héritage d'influence politique, religieuse et intellectuelle, comment survivra-t-il à ces partages et à la chute de l'Empire ottoman ?

    Tiraillée en sens divers, toujours empêchée de suivre une idée jusqu'au bout, la diplomatie républicaine avait cru bien faire, il y  a huit mois, en autorisant un prêt de 4000 millions à la Turquie. J'entends encore Ph..., un des négociateurs de l'emprunt, m'en expliquant le mécanisme ingénieux. Si nous semions l'or français en Turquie, c'était pour mieux récolter. Les commandes allaient affluer chez nos métallurgistes, etc... Cependant, c'est le général Liman Von Sanders et la mission militaire allemande installés à Constantinople qui ont eu le maniement de nos millions, tandis que la Russie et l'Angleterre, dont les visées sont bien différentes des nôtres dans l'Empire ottoman, forment des projets dont nous voici conduits à n'être que les serviteurs...  ♦  

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  • 5 Novembre 1914 ... Le grand-duc Nicolas, celui qui commande aujourd'hui les armées russes ...

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    Une personne qui a de nombreuses relations européennes me dit :

    "La lecture du Livre bleu, où le gouvernement de Sa Majesté britannique a recueilli tous les éléments diplomatiques qui le concernent depuis la crise austro-serbe jusqu'à la déclaration de guerre à l'Allemagne, cette lecture pose à l'esprit tout sorte de doutes et de questions. On finit par se demander si cette guerre a été tant que cela voulue et provoquée par l'Allemagne toute seule.

    Une chose dès l'abord évidente, c'est que cette fois la Russie était détermée à aller jusqu'au bout, à ne pas se laisser intimider par l'Allemagne, à ne pas subir un affront pareil à celui de 1909, lorsqu'elle avait reculé devant l'ultimatum allemand porté par M. de Pourtalès à Petrograd. Ensuite il est clair que le président Poincaré et M. Viviani, dangereusement novices en matière de politique extérieure, se sont laissé embobiner pendant leur voyage du mois de juillet en Russie. En sorte que, dès les premières complications austro-serbes, la France et la Russie se présentent d'accord, résolues à la résistance et envisageant le risque de guerre.

    Déjà en 1913, lorsque le grand-duc Nicolas, celui qui commande aujourd'hui les armées russes, était venu à Paris, il avait dit "Êtes-vous prêts ? C'est le moment." J'en avais été informé de la meilleure source. Et puis, à Nancy, le grand-duc et la grande-duchesse n'étaient-ils pas allés jusqu'à la frontière pour apercevoir Metz ? Ne s'étaient-ils pas fait photographier de ce point de vue, par un symbole translucide où la Russie offrait la revanche à la France ?...

    Dès le 24 juillet, en effet, Sir G. Buchanan, ambassadeur d'Angleterre en Russie, mande à son gouvernement qu'il a eu une conversation à l'ambassade de France, avec M. Sazonof et M. Paléologue, et que celui-ci lui a "donné à entendre que la France remplirait, si cela devenait nécessaire, toutes les obligations que lui imposait son alliance avec la Russie, outre qu'elle seconderait fortement la Russie dann toutes ses négociations diplomatiques".

    A la question de savoir si l'Angleterre se joindrait à la Russie et à la France, Sir G. Buchanan répond dans le sens de ses instructions et conformément aux principes de la politique anglaise, politique qui consistait à ne jamais engager l'Angleterre avec la Russie et la France à fond et sans conditions et à toujours conserver la liberté d'appréciation et d'action du Royaume-Uni. Et son rapport ajoute :

    "L'ambassadeur de France et M. Sazonof continuèrent tous deux à me presser pour une déclaration de solidarité complète du gouvernement de Sa Majesté avec les gouvernements français et russe, et j'ai, en conséquence, dit qu'il me semblait possible que vous voudriez, peut-être, consentir à faire de fortes représentations aux deux gouvernements allemand et autrichien, faisant valoir auprès d'eux qu'une attaque sur la Serbie par l'Autriche mettrait en question la paix entière de l'Europe. Peut-être pourriez-vous trouver moyen de leur dire qu'une telle action de la part de l'Autriche amènerait probablement une intervention russe qui impliquerait la France et l'Allemagne, et qu'il serait difficile à la Grande-Bretagne de rester à l'écart si la guerre devenait générale. M. Sazonof répondit que, tôt ou tard, nous serions entraînés à la guerre si elle éclatait : (nous (Anglais) aurions rendu la guerre plus probable si, dès le début, nous ne faisions pas cause commune avec son pays et avec la France... Il me semble, d'après le langage tenu par l'ambassadeur de France, que, même si nous déclinons de nous joindre à elle, la France et la Russie sont résolues à prendre fortement position.

    Ainsi voilà qui est bien clair : la Russie, décidée à reprendre son rôle de protectrice des Slaves en Orient et à ne plus subir d'humiliation comme en 1909 (annexion de la Bosnie) et en 1913 (démonstration contre le Monténégro), la Russie s'est assuré le concours absolu de la France. Comme il s'agit de résister à une nouvelle tentative de la politique d'intimidation pratiquée avec succès depuis si longtemps par l'Allemagne et l'Autriche, la Russie demande que l'Angleterre fasse connaître que la Triple-Entente tout entière sera unie. Autrement l'Allemagne, ayant la certitude de se retrouver en face de la Russie et la France seules, ira jusqu'à la dernière extrémité, elle aussi, et ne reculera pas devant la guerre.  

    Alors, on commence à comprendre, on craint de commencer à comprendre que l'Angleterre a affiché à dessein ses intentions pacifiques, qu'elle a joué de la réputation pacifiste de ses libéraux et, derrière ce paravent, laissé l'Allemagne s'engager à fond; puis, quand l'Allemagne a été engagée de façon à ne plus pouvoir se dédire, l'Angleterre s'est présentée. Elle aurait ainsi provoqué la guerre par une des plus profondes subtilités dont fasse mention l'histoire. Même le caractère pacifiste du ministère radical a été savamment exploité et donné comme une garantie de neutralité par les éléments qui, dans le cabinet, ont organisé ce piège que l'Allemagne appelle un guet-apens. Ce sont certainement Sir Edward Grey et Winston Churchill qui ont monté et mis en scène tout ce drame. Le récit de Sir Edward Goschen (l'ambassadeur anglais à Berlin), où la surprise, la déception, la rage de l'Empereur, du chancelier et de M. de Jagow, sont observées avec tant de sang-froid et peintes avec tant de talent, ce récit, sur lequel se ferme Le Livre bleu, permet de mesurer la profondeur de l'abîme dans lequel l'Allemagne officielle s'est sentie précipitée par la Perfide Albion."

    La lecture des documents diplomatiques donne avec force l'impression que les choses ses ont bien passées de cette manière. Ce n'est d'ailleurs pas une impression personnelle. M. de K...  a recueilli de la bouche d'un diplomate étranger que je ne puis nommer et qui voit beaucoup la reine Amélie de Portugal*, une version très sensiblement pareille des évènements. Ce n'est pas seulement à Berlin que l'on attribue au gouvernement britannique la pensée mère de ce vaste conflit.

    Si j'ajoute que l'ambassadeur de Russie en France, le remuant et entreprenant Isvolski, déclare à tout venant que cette guerre est "sa guerre", il reste à conclure que le gouvernement français a été manoeuvré par ses alliés, et il n'a pas donné le moindre symptôme de l'action de son libre arbitre. ♦  

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    * Amélie de Portugal (1865-1951), veuve du roi de Portugal Charles 1er assassiné en 1908, fille du comte de Paris, chef de la maison de France après la mort du comte de Chambord, soeur du prétendant le duc d'Orléans, arrière-petite-fille du roi Louis-Philippe.

  • 4 Novembre 1914 ... Je n'avais pas revu le général Mercier depuis le commencement des hostilité

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    Je n'avais pas revu le général Mercier* depuis le commencement des hostilités. L'ancien ministre de la Guerre, merveilleusement vigoureux et droit malgré son âge, allait à Nantes, et nous l'avons rencontré à la gare de Saint-Pierre-des-Corps. Nous lui avons dit :

    «C'est vous, mon général, qui avez été l'ouvrier de la victoire en donnant à l'armée le canon de 75

    Et le général de répondre, avec sa voix posée, sa parole précise et si calme :

    « Oh ! le canon de 75, je n'en ai été que l'éditeur. Mais ce qui est mon ouvrage, c'est la fusée que j'ai trouvée lorsque je commandais l'école de pyrotechnie.»

    Puis, toujours paisible, le général parle des perspectives de la guerre qu'il estime favorables. Il tient à la main quelques gâteaux qui composeront tout son repas. Et l'homme qui a donné à la France le plus formidable des instruments de guerre, dont la volonté prévoyante sauve en ce moment les nôtres et extermine l'ennemi, cet homme calme et modeste prend congé des femmes avec une exquise courtoisie et, toujours étonnamment droit, le pas ferme, retourne à son compartiment, où il prendra sa collation de grand travailleur sobre, tandis que là-bas, sur les champs de bataille, le canon de 75 et sa fusée fauchent les Allemands...

    Ce n'est pas sans une haute satisfaction que je puis me souvenir d'avoir pris la parole à Lyon, au mois de février de cette année, sous la présidence et aux côtés du général et d'y avoir montré l'orage montant sur la France et annoncé l'imminence de cette guerre. ♦  

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    * Auguste Mercier (1833-1921) était ministre de la Guerre de 1893 à 1895 lorsque fut condamné le capitaine Dreyfus.

  • 3 novembre 1914* ... Ce dont témoignent les mémoires de Bismarck ...

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    On commettrait une lourde erreur en allant espérer que l'idée libérale et révolutionnaire dissociera l'Empire allemand, puisque c'est d'elle, au contraire, que cet Empire est né, puisque l'unité s'est faite contre l'ancienne constitution, contre les anciennes lois et les anciennes mœurs de l'Allemagne et contre les dynasties réputées réactionnaires, puisqu'elle s'est même faite contre les conservateurs prussiens, comme en témoignent si éloquemment les mémoires de Bismarck.

    La seule manière d'empêcher l'Allemagne de nuire étant de la remettre dans son état de "mosaïque disjointe", ce n'est pas sur la révolution ni sur les conceptions du libéralisme et de la démocratie qu'il faut compter pour obtenir ce résultat, puisqu'en Allemagne ces conceptions sont inséparables de l'idée unitaire. C'est aux anciens éléments traditionnels, à ce que Bismarck appelait les "éléments centrifuges" de l'Allemagne qu'il faut s'adresser au contraire.  ♦ 

     

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    * Journal de Jacques Bainville (1901/1918) - Tome I - Plon 1948

     

  • 2 Novembre 1914 ... Ce que Maurras a exprimé admirablement dans une de ces pages où il étend la pensée du ciel jusqu'à la terre et transpose en vérités mystiques les données du sens commun

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    Jour des morts. Toute la France a communié au pied des tombes dans le souvenir de ceux qui sont tombés pour la patrie. Dans la France envahie et ravagée, le sentiment et l'intelligence du "national" retrouvent toute leur forte réalité. Il faut bien, devant l'ennemi, sentir que ce qui réunit par-dessus tout, c'est le fait de vivre ensemble sur la même terre et de la même terre, avec les mêmes biens spirituels et matériels à défendre. Ainsi, dans cette méditation de novembre, tous les grands intérêts, tout ce qui touche l'homme dans son âme et dans sa vie, ont parlé à la fois à sa raison et à son coeur. C'est ce que Maurras a exprimé admirablement dans une de ces pages où il étend la pensée du ciel jusqu'à la terre et transpose en vérités mystiques les données du sens commun :

    "La fête des morts a été célébrée hier avec décence par le gouvernement et l'administration; elle le sera de même aujourd'hui. Surmontant toutes les forces de son principe, au rebours de toutes les pentes qui l'induisent aux manifestations oratoires et aux pompes déclamatoires, le personnel de la République a très bien compris qu'il importait de se taire et de se recueillir. De grandes palmes fleuries ont été silencieusement déposées, au nom de l'Etat et de l'Armée, dans nos trois principaux cimetières, avec l'inscription : "Aux morts pour la Patrie." Tout le monde a pu s'associer à ce digne hommage. On n'aurait supporté ni la voix des rhéteurs ni le geste des baladins. L'émotion est trop forte pour être mise en phrases et subir de lourdes figures. L'action même est trop grave pour qu'il soit permis d'accorder trop de complaisance aux signes de notre deuil.

    C'est au lendemain de la victoire définitive qu'il faudra avoir soin de mêler constamment aux cris de notre joie les larmes longtemps contenues. Ces larmes, rendues plus cruelles par la pensée de tout le beau sang qu'elles représentent, couleront alors librement. Elles couleront pour couler. Elles couleront pour soulager les poitrines, mais aussi pour faire sentir à tout le pays délivré le prix, le poids sacré, le terrible coût du bonheur de sa délivrance, la dette immense contractée envers la générosité de nos morts. Pour tant de vies données dans l'ivresse de l'héroïsme, que sauront rendre les survivants ?  Quel effort d'activité, quel élan de prospérité nationale, quelle merveille de concorde, de discipline et d'amour ? Quelle France plus belle referons-nous sur des tombeaux presque aussi vénérables que des autels ? Pensons aux bienfaits à répandre sur les familles de ces officiers, sous-officiers et soldats. Pensons aux réformes sociales, à l'union des classes, à la concorde religieuse et civique, à l'organisation de la paix intérieure, de la sécurité extérieure, à la mise en valeur des forces, de toutes les forces, à la constriction des éléments diviseurs, à l'usage attentif, scrupuleux et juste des autres, à la suppression des éléments parasites et des exploiteurs ! Le deuil universel sera alors entre nous le plus grand des intercesseurs et, pour chacun de nous, le meilleur, le plus noble des stimulants. Tant d'autres ayant répandu le pur sang de leurs veines pour la patrie, qui pourra hésiter à se tuer de dévouement, de travaux et de peines, pour satisfaire un jour à ce que pourront exiger ces ombres magnanimes de héros décharnés, meurtris et sanglants ? Hier, c'est au nom d'une patrie un peu abstraite que nous sollicitions les sacrifices désirés par la vigilance et la prévoyance. Le grave cortège des morts, appuyant et motivant nos adjurations, sera irrésistible demain."  ♦ 

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  • 1er Novembre 2014 ... Ainsi le roi de Prusse aurait fait battre l'empereur d'Allemagne.

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    Rencontré par grand hasard Henry de Cardonne* dans son centre de Blois, il recueille bien des échos qui n'arrivent pas jusqu'à Paris. C'est ainsi qu'il m'apprend que Joffre et Casttelnau ont, depuis les premiers jours de la guerre, mis en réforme, pour incapacité constatée, éprouvée, soixante-dix-sept officiers généraux et officiers supérieurs qui sont à Limoges, où ils observent comme des arrêts.

    D'après des renseignements fournis par un officier d'état-major, la victoire de la Marne aurait été rendue possible par le fait que Guillaume II avait retiré 200.000 hommes à l'armée d'invasion de l'Ouest pour les envoyer en Prusse orientale contre les Russes qui menaçaient Koenigsberg, la capitale sacrée, la Moscou des Hohenzollern. Ainsi le roi de Prusse aurait fait battre l'empereur d'Allemagne.

    Aujourd'hui encore, le transfert rapide de troupes d'un front à l'autre paraît être un des moyens d'action de l'Allemagne. En ce moment, ils semblent ramener vers la France, et surtout vers Nieuport-Dixmude une grande quantité d'hommes et vouloir se tenir sur la défensive vis-à-vis des Russes. Ce procédé peut aussi bien achever leur perte. La trop grande perfection même de leur appareil de guerre et les facilités qu'il leur fournit les incitent à commettre des imprudences.  

    Cependant nous n'avons pas encore partie gagnée. Le quatrième mois de la guerre est commencé. Les Allemands sont encore en territoire français et ils attaquent encore, nous sommes toujours en réalité sur la défensive, comme en fait foi cette lettre datée du 28 octobre que je reçois du front et où je lis : "Ne soyons pas trop optimistes. La machine de guerre allemande est formidable. Je crois seulement qu'elle finit de donner son plus grand effort... J'espère que bientôt les Allemands seront immobilisés (ils sont donc encore "mobiles") et que bientôt aussi nous les verrons reculer..."

    On se plaint que les renforts anglais n'arrivent qu'au compte-gouttes. "Le million d'hommes promis par Lord Kitchener viendra, nous n'en doutons pas, me dit quelqu'un.  Mais en combien de temps ?" D'autre part, il se confirme que le gouvernement de la République a éprouvé les plus grandes difficultés dans ses rapports avec l'Angleterre. Il en éprouvera encore. Lorsqu'il voulait conclure la paix avec l'Allemagne, après la défaite de Charleroi (où 9.000 Anglais s'étaient fait hacher), on raconte que Sir Francis Bertie fit savoir que, la France se faisant par cette paix ignominieuse l'auxiliaire de l'Allemagne, le gouvernement de Sa Majesté britannique lui déclarerait sur-le-champ la guerre... Vraie ou fausse, l'anecdote a le mérite de montrer à quel point, entre l'Allemagne et l'Angleterre, la situation de la France est inconfortable. C'est Charybde et Scylla - Fachoda et Tanger.

    On apprend que la Turquie entre en mouvement. Nous voilà en guerre non pas avec le Grand Turc, mais avec les Jeunes Turcs, libéraux et quasi-républicains, fils de 1789 et admirateurs de notre Révolution, arrivés au pouvoir il y a six ans et dont la niaiserie démocratique en France se promettait les félicités d'une alliance éternelle. Quelle pitié ! Il y a huit mois, le gouvernement permettait à la Turquie d'emprunter 400 millions à notre épargne. Quelle ignorance ! Quel aveuglement ! Tout fait craindre que cet évènement ne soit la fin de notre influence en Orient. A cette guerre absurde et qui n'est pas si maladroitement machinée, quoi qu'on en dise, de la part de l'Allemagne, gagnerons-nous au moins la Syrie, que nous promet Gustave Hervé ?... ♦ 

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    * Henry de Cardonne, journaliste royaliste à L'Avenir du Loir-et-Cher.

  • 31 Octobre 1914 ... où peut-on être mieux qu'au fond d'une tranchée, en automne, en attendant les canons qui n'arrivent pas ?

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    Le troisième mois de la guerre s'achève sur une impression favorable. Les Allemands font des efforts violents et régulièrement infructueux pour percer les lignes des alliés. Leurs efforts dans la direction de Dunkerque et de Calais paraissent avoir définitivement échoué. Le soulagement est immense, mais le sentiment général, c'est que nous l'avons échappé belle, qu'il est miraculeux que la France s'en soit tirée avec l'invasion de sept ou huit départements et surtout que Paris ait été épargnée. L'état de non-préparation du pays à la guerre saute aux yeux. Le Temps a publié sur ce sujet (en s'attachant principalement à l'insuffisance des munitions de notre artillerie, insuffisance venue d'économies démocratiques) un article que la censure a fort mutilé. Par contre une lettre de notre ami X..., officier d'artillerie, dans L'Action française, sur la même question, n'a pas eu une seule ligne retranchée. 

    En somme, il va devenir clair que l'électeur a payé de son sang et de sa chair, pendant ces trois mois, de longues années d'appropriation du "mieux-être". Où peut-on "être mieux" qu'au fond d'une tranchée, en automne, en attendant les canons qui n'arrivent pas et qui n'ont pas assez de mitraille pour arroser l'ennemi ?...  ♦ 

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  • 30 Octobre 1914 ... Bombardement au château de Tilloloy ...

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    Des hommes courageux sont restés en très grand nombre dans les pays envahis et ont attendu l'ennemi de pied ferme. Leur courage n'a pas toujours eu la récompense qu'il eût mérité. M. d'Hinnisdal, demeuré avec ses filles dans son château de Tilloloy, dut se mettre, au sous-sol, à l'abri d'un bombardement dirigé par l'artillerie allemande. Quand il devint possible de sortir, il se trouva en tête à tête avec des soldats à nous qui avaient cru inhabité ce château assailli par des rafales de feu et à qui le propriétaire, qu'ils regardaient d'un air soupçonneux, eut toutes les peines du monde à faire reconnaître son identité. M. de Resnes, à Beaumetz-lès-Loges, a vu son château devenir le centre d'une véritable bataille et il a dû se retirer avec Mme de Resnes, laissant tout en flammes, meubles, tableaux, papiers, archives. D'autre part, le Dr Lesage apprend que son beau-frère, ingénieur à Lille, a été fait prisonnier (bien qu'il fût civil) par les Allemands, et enrôlé dans l'armée allemande sous menace de mort. Ces faits sont soigneusement cachés au public, ainsi que toutes les atrocités et toutes les violations du droit de la guerre que les Allemands commettent depuis leur entrée en France. On ne sait rien de ce qui se passe à Lille, Valenciennes, Maubeuge et dans toutes les parties du territoire encore envahies.  ♦  

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  • 29 Octobre 1914 ... Arthème Fayard raconte cette "chose vue"

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    Arthème Fayard* raconte cette "chose vue" :

    "A Nevers, un convoi de prisonniers allemands descend du train. Il y a là un officier, jeune et arrogant. Il refuse d'entrer dans le rang avec ses hommes et exige d'être conduit à la citadelle en voiture. Le chef du détachement français qui conduit les prisonniers est un sergent de la territoriale, un Parisien avec le bagout et l'accent faubouriens. Il s'approche de l'officier et lui parle ainsi :

    - Allons, mon vieux. Fais-toi une raison. Nous sommes en république ici. On est tous égaux. Faut marcher avec tes hommes, Allons, un bon mouvement...

    Silence dédaigneux du Prussien. L'autre reprend :

    - Oh ! Tu m'fais d'la peine. A quoi ça sert tout ça. Dieu de Dieu ! Puisque t'es prisonnier, puisque t'es vaincu, puisque t'a pas d'armes, à quoi bon de la résistance. Faudra qu'tu marches, mon vieux. Marche tout de suite de bonne volonté. Autrement il faudra en venir aux extrémités. A quoi ça sert ?

    L'officier allemand ne bouge pas plus que s'il était de marbre. Le monologue du sergent continue :

    - Allons, je vois que tu ne veux rien entendre. (Faisant le geste d'atteindre sa baïonnette, avec une immense lassitude et un accent de faubourg de plus en plus prononcé) Alors, quoi ? Les grands moyens du sang, de la tragédie, des chichis..."

    Devant la menace de la baïonnette, le Prussien cède, sans avoir rien saisi du haut goût de cette scène qui avait réuni cinq cents spectateurs, parmi lesquels des officiers français qui mouraient de rire.  u  

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    * Arthème Fayard (1866-1936), ami et éditeur de Jacques Bainville à partir de La Guerre et l'Italie (1916). Bainville créera chez Fayard avec son Histoire de France (1924) la collection des Grandes Oeuvres historiques.

  • 28 Octobre 1914 ... Calais : "Tout irait bien si seulement nous avions du fromage."

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    Les Allemands échouent dans leur marche sur Calais, d'où ils méditaient on ne sait quelle menace contre l'Angleterre. Et Calais demeure bien tranquille. Mon frère Paul* écrit flegmatiquement de  son bastion :

    "Tout irait bien si seulement nous avions du fromage."   

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    * Paul Bainville (1866-1925), artilleur, passa la guerre dans al place forte de Calais.

  • 27 Octobre 1914 ... Le parti Caillaux

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    Une lassitude de la guerre se révèle par instants en France jusque chez les combattants les plus courageux. Cette guerre de tranchées est épuisante... On peut penser qu'un grand mouvement pour la paix éclatera dès que les Allemands seront rejetés hors de France, résultat que fait augurer la tournure de plus en plus favorable que prend la bataille de la mer du Nord. Le parti Caillaux n'attend que cette occasion pour agir et La Gazette de Francfort désigne Joseph Caillaux (qui a été sifflé avec sa femme il y a trois jours sur les boulevards et a été suivi par cinq cents manifestants hostiles de la Madeleine à l'Opéra) comme l'homme d'Etat de l'avenir parce qu'il est "le seul homme politique républicain qui n'ait pas de responsabilité dans la guerre et parce qu'il a  toujours été partisan d'une politique de bons rapports avec l'Allemagne". J'ai donné une traduction de cet article de La Gazette de Francfort que la censure a supprimée avec le commentaire très modéré qu'y avait ajouté Maurras.

    Les manoeuvres allemandes pour donner du corps à l'opinion favorable à la paix sont d'ailleurs nombreuses et diverses. On signale surtout des lettres que trouvent dans leur courrier des commerçants, les familles qui ont des enfants sous les drapeaux. L'anonyme démontre que les Français n'ont aucun intérêt à continuer la guerre, que la guerre fait tuer des hommes et paralyse les affaires inutilement, etc...

    Mais il y a le pacte de Londres qui lie la France et l'empêche de conclure une paix qui laisserait l'Allemagne capable de recommencer la guerre d'ici quatre ans ou six au plus. Avec ce pacte de Londres, la démocratie s'est lié les mains à elle-même. Quelle démonstration par l'absurde de l'inexistence de la souveraineté populaire : voilà une République démocratique dont la destinée dépend désormais, jusqu'au point d'engager la vie et la mort des électeurs eux-mêmes, d'un contrat signé par qui ? Nul ne saurait le dire au juste. Au surplus, le président Poincaré a eu l'impression de l'énormité de la chose à ce point qu'au dernier moment il aurait voulu empêcher la publication du pacte au Journal officiel. On s'arrangea, à Paris, de telle manière que, par la publication dans les journaux, de l'irréparable fût créé. Mais je me souviens parfaitement qu'à Bordeaux la censure arrêta pendant une demi-journée la nouvelle donnée par l'agence Havas.

    Si, en dépit du pacte de Londres, un parti favorable à la conclusion de la paix entreprenait une action sérieuse (ce que redoute Poincaré et ce qui le démoralise d'avance), alors on verrait très probablement l'Angleterre intervenir de nouveau dans nos affaires intérieures, comme dans les journées critiques du mois d'août. Voilà les couleurs sous lesquelles peut apparaître l'avenir. Mais qui se hasarderait à la moindre conjecture au milieu de la confusion à laquelle nous assistons ? Cette campagne de France achevée, il faudra une autre campagne pour reprendre la Belgique aux Allemands, une troisième pour passer le Rhin ! Ce n'est pas trop de compter six mois pour une pareille besogne. Et la ténacité n'est pas une qualité qu'on puisse dénier aux Allemands. u  

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