Par Jacques Trémolet de Villers
Dans ces deux jours, des 13 et 14 mai 2017, se sont déroulés deux événements étonnamment et absolument contraires. Comme un contraste destiné à éclairer. Y-a-t-il une leçon ?
Le premier évènement est la prise de fonction du nouveau président de la République.
Forte majorité électorale. Fort consensus, malgré les débuts de fronde. Grand espoir suscité par une allure délibérément sérieuse, presque majestueuse, pleine de respect envers la fonction. Une fonction républicaine qui s’inscrit dans l’histoire de la Ve République.
Chef des Armées. Command-car. Visite aux soldats blessés.
Mais aussi, invitation du « compagnon » du policier tué sur les Champs-Elysées. Le « compagnon » est comme le veuf et la veuve.
Emmanuel Macron avait placé sa campagne sous le signe de Jeanne d’Arc « Comme une flèche, sa trajectoire est nette, Jeanne fend le système et porte un rêve fou qui finit par s’imposer comme une évidence ».
Il saluait en elle son « intuition de l’unité », alors que la France déchirée était « coupée en deux ».
Dans son premier discours de Chef de l’Etat – le 14 mai, jour officiel de la Fête de Jeanne d’Arc – il dit « sa volonté constante de réconcilier et de rassembler l’ensemble des Français... ».
On ne peut qu’adhérer à l’intention… mais la question vient « les réconcilier et les rassembler sur quoi ? »
Sur Emmanuel Macron ?
En Marche (Emmanuel Macron) … la République En Marche (Emmanuel Macron).
C’est dans la droite ligne du fondateur de la Ve République, qui se considérait comme « l’incarnation de la légitimité » française... et s’était toujours fait « une certaine idée de la France ».
Emmanuel Macron, est-il ce « centre de pureté, de vérité, autour duquel les énergies latentes viennent se grouper ? » ; est-il ce « peu, mais ce peu sera tout, un souffle, une lumière, une doctrine, une direction, une voix venue du fond de la conscience de la France et qui aille au-delà du présent ? »…
Et sera l’analogue de ce que Jeanne fut ?
Emmanuel Macron est-il, comme il l’a laissé entendre à Orléans, une Jeanne d’Arc pour notre temps ?
Second événement, tout en contraste.
Dans un local de la rue de Cléry « l’espace Cléry » ... deux à trois cents personnes, de tous âges, mais avec beaucoup de jeunes gens, débattent « du bien commun ».
Le colloque est organisé par l’Action Française.
Un invité de marque : le Prince Jean d’Orléans, héritier des quarante rois. L’intervention du Prince, comme celle des autres d’ailleurs, est sous la forme moderne d’un entretien « questions / réponses ».
Le Prince évoque sa famille, sa femme, ses enfants, le prince Gaston, sept ans, à qui il apprend à bien planter ses radis… car la ligne n’est pas toujours droite… mais il est obligé de composer entre la nécessité de « planter bien droit les radis et aussi le désir de voir son fils y parvenir par lui-même, et donc, accepter que la ligne ne soit pas toujours impeccable… », car l’attention et la volonté propre, comme la satisfaction – et aussi le résultat – sont plus éducatifs pour l’enfant. C’est, bien sûr, une petite parabole sur la méthode capétienne.
Après les radis, il parlera des poules et des poussins, puis du Domaine de Dreux, puis de la ville de Dreux, avec leurs expériences quotidiennes et modestes… dans le seul désir « d’améliorer l’entente entre les habitants, et de désamorcer les possibles explosions de haine. ».
Après deux autres interventions, je dois conclure.
Je dis en substance que notre « bien commun », aujourd’hui, dans cet espace Cléry, c’est le Prince, et sa famille, sa descendance … que le bien commun, nous ne l’avons ni choisi, ni élu, qu’il nous est donné par la nature et par l’histoire, c’est-à-dire par Dieu, et que notre honneur est de le servir.
Je souligne le contraste entre « la campagne Macron », tirée au cordeau du marketing le plus moderne, et le Prince qui apprend à son fils à planter des radis…
Le royaume de France, bien sûr, est du côté des radis… Mon neveu à qui je raconte l’anecdote me fait observer que radis, c’est la racine, celle dont se nourrissaient les serfs selon l’histoire officielle, au Moyen-âge « les paysans mangeaient les racines ».
C’est aussi la racine d’un royaume dont « labourage et pâturage sont les deux mamelles ». Le contraste est absolu entre l’élu triomphant d’un monde hors-sol et l’héritier des quarante rois qui enseigne à son fils le plant de radis.
Je ne peux pas rester au Banquet du soir où le Prince restera, mangeant, buvant et chantant avec les militants, après avoir téléphoné à la Princesse et dit en souriant « je reste, j’ai la permission ».
Quelque soixante nervis « anti-fa » se présentent, armés de coups de poing américain et de barres de fer pour « casser la réunion ». Ils sont vigoureusement repoussés, avec les mêmes armes. Un blessé grave chez eux.
L’organisateur, inquiet, s’excuse auprès du Prince, de ce trouble, mais le Prince, souriant, répond... « C’est normal, je m’y attendais. ».
Le lendemain à 10h, défilé, de la place de l’Opéra à la statue de Jeanne. Un gros millier de personnes… les organisateurs pourraient le multiplier, mais je ne pense pas qu’on puisse dépasser ce chiffre.
Des drapeaux de l’Action française, des portraits de Maurras, Bainville, Daudet … Des slogans, brutaux, comme tous les slogans, « A bas la ruine publique… ».
Arrivée à Jeanne – Silence – Rassemblement – Discours.
Je dis qu’à ce moment où, dans la cour de l’Elysée, la République triomphante installe son nouveau président, nous sommes au pied de Jeanne pour lui dire notre espérance.
Notre espérance, c’est le petit prince de Dreux, qui apprend à planter ses radis et à élever ses poules. C’est notre histoire aussi simple et aussi pure qu’elle est humble et féconde. Elle est sainte aussi. Car Jeanne, c’est la sainteté là où on ne la trouve pas, dans la politique, dans la guerre et dans les tribunaux.
Orléans, pour la guerre, Reims pour la politique, Rouen pour la justice et le martyre.
La sainteté de Jeanne, dans la vie politique est dans un seul geste, à genoux devant le Dauphin, à Chinon, puis à genoux devant le Roi à Reims. « L’envoyée du Ciel met un genou à terre devant le Roi désigné », sans regarder à sa qualité personnelle – à sa prestance, à sa puissance matérielle, à ses chances de l’emporter.
La sainteté en politique, c’est de servir … non seulement le royaume, la France… l’Etat… de entités abstraites, mais de servir celui qui incarne le bien commun de ces entités, le Roi.
A qui ne sert pas quelqu’un, on ne peut pas faire confiance, car il ne sert que lui-même.
Je regarde mes auditeurs. Ce n’est pas l’ENA, ni Polytechnique… c’est plutôt artisans, ouvriers, employés, smicards ou étudiants…Ce n’est pas « le peuple » des discours. C’est le peuple, en vrai.
En puissance, c’est dérisoire.
Dans l’instant, Macron est tout. Le Prince n’est rien.
Mais, aujourd’hui, Macron est sans descendance. Sa postérité n’est que politicienne, par l’énarchie et les autres grandes écoles.
Le Prince a deux fils et deux filles.
Si ce n’est pas lui, comme il me l’a dit, il y a quinze ans, ce sera mon fils, ou mon petit-fils… mais cela sera, car « nous autres les rois, nous avons le temps avec nous… ».
Entre les deux images, l’hésitation n’est pas permise. L’honneur, la joie, la beauté et la fécondité sont du coté du Prince et de son fils, de la poule au pot et des racines.
Si c’était, comme dans la vie mystique, la méditation sur les Deux Etendards, celui de Jésus-Christ et celui du Prince de ce Monde, on ferait un choix absolu.
Mais c’est dans la vie temporelle, tout est mélangé. On peut voir que l’espérance temporelle est du côté du Prince de l’enfance et des jardins, mais il n’est pas interdit d’y joindre une nécessaire compromission pratique avec le monde électoraliste et technologique, tel qu’il est.
Encore que … ça se discute.
Macron peut compter sur la République pour le paralyser, ou, au moins le canaliser… sauf à ce qu’il devienne dictateur… Auguste. ? ou Caligula. ?
Ou autre chose … un bon intendant en attendant le maitre de maison ?
Ou, malheureusement, un jeune homme trop doué, trop avenant, trop chanceux … que les médiocres s’acharneront à détruire.
De toutes les façons, la seule issue, c’est le rien ou le royaume.
Continuons le royaume. L’avenir est dans le jardin, comme le bonheur est dans le pré. •