La V" République est-elle encore en état de fonctionner ? Cette « monarchie républicaine » n'était forte que de sa monarchie. La dégradation de la fonction du chef de l'État est le signe avant-coureur d'une fin prochaine.
Le ressort essentiel de la machine institutionnelle est, pour ainsi dire, cassé. Dans l’état actuel des choses, personne ne le restaurera. L'institution est définitivement brisée. Le meilleur homme, la meilleure femme du monde, même en déployant toutes les ressources de l’intelligence et de la volonté politiques, ne saurait rétablir, dans le cadre actuel, la force primordiale et transcendantale – même laïque ! - de l'éminente autorité régalienne - l'étymologie exprime bien la signification profonde du mot - qui dominait l'ensemble de nos institutions.
LA FRANCE N’EST PLUS GOUVERNEE
Malgré la lettre, elle relevait d'un esprit d'un autre ordre que constitutionnel ; elle venait d'ailleurs ; elle était historique et reflétait pour la France et pour le monde, bien ou mal selon les cas, l'âme de notre pays qui a, peut-être plus qu'aucun autre, toujours besoin d'un chef, et d'un chef souverain. C'était ainsi, senti plus encore que réfléchi, et souvent même en dépit des hommes qui se trouvaient investis de cette charge suprême et qui, d'ailleurs, n'en usaient bien que quand ils se conformaient eux-mêmes à la tradition qu'elle représentait.
Aujourd'hui, ce qui devrait être un trône et qui aurait dû l'être, n'est plus qu'une place à prendre offerte à la vulgarité des enchères, objet de toutes les convoitises, cause des luttes fratricides les plus inexpiables, but de toutes les stratégies politiciennes, incessant aiguillon d'ambitions démesurées autant qu'inassouvies, car personne, à la vérité, n'est à la hauteur d'une telle fonction qui ne saurait être remise, comme elle l‘est, au hasard d'une loterie électorale, d’un jeu de roulette indéfiniment relancé où le calcul qui a échoué, se reporte aussitôt sur le prochain tour. Ainsi la politique française se vit dans une ambiance frelatée de casino et les mises sont d'un rapport si considérable qu'elles justifient toutes les prévarications. Le contraire est impossible ; les habitués le savent.
En raison du quinquennat qui a faussé jusqu'à l'esprit de l'institution en lui retirant la durée, en raison pareillement de la criminelle mécanique partisane qui empêche à tous les niveaux - et d'abord au sommet - jusqu'à l’appréhension même du bien commun, la plus haute magistrature est vidée de toute substance sérieuse et solide. C'est un vide, conçu comme tel par tous, qui, à peine rempli, n'est imaginé incessamment que comme un prochain vide à remplir. Cette clef de voûte qui est censée tenir toute notre architecture institutionnelle, n'est en réalité qu'une béance qui fragilise l'ensemble de la construction : le risque est désormais de la voir s'effondrer sous les chocs répétés qui s'annoncent, économiques, financiers, sociaux et politiques. L'art des titulaires de la fonction suprême en est réduit, depuis deux ou trois mandats, à faire croire qu'ils existent : d'où beaucoup de discours, beaucoup d'agitation, beaucoup d'effets d'annonce et de communication et, par moments, soudain, des décisions aussi rapides qu'irréfléchies et qui aboutissent à des catastrophes. La confiance est définitivement perdue ; elle ne reviendra plus.
LA FRANCE N'EST PLUS REPRÉSENTÉE
Les conséquences d'un tel avilissement de la magistrature suprême se font sentir non seulement dans l'exercice national et international de la fonction, mais également sur l'ensemble des pouvoirs publics. La représentation nationale ne représente plus ; du fait de la tournure de l’élection présidentielle, elle devient de plus en plus l'expression, non de la nation, mais du régime des partis dans sa malfaisance essentielle. La loi n'est plus qu'idéologique, aussi prolixe qu'inintelligente et barbare, et les représentants sérieux se demandent à quoi ils servent. Éüdemment à rien. Ce qui rend le système absurde. La représentation est faussée à tous les niveaux, local et social. La décentralisation elle-même s'est totalement fondue dans le régime des partis qui accapare l'État tout entier. Tout se pèse en terme de pouvoirs... mais en faveur des partis, jusqu'à la moindre commune, jusqu'au moindre article du budget. L’administration et l'organisation de la puissance publique, depuis les ministères jusqu'aux échelons prétendument décentralisés, sont affectées en conséquence de ce dévoiement de l'État d'un double phénomène de déliquescence qui s'explique parfaitement : d'une part, un zèle idéologique exigé par la pression partisane permanente, d'autre part et parallèlement, une inertie dans Ia décision souveraine, elle-même marquée par l’incohérence et la stupidité d'un système d'irresponsabilité.
Est-ce à dire que plus rien ne marche dans notre pays ? Non. Les Français sont gens de qualité, mais ils connaissent intuitivement les limites de leurs possibilités dans un tel régime, y compris chez les fonctionnaires qui s'efforcent de remplir leur tâche au mieux. Que faire quand tout est dépendant d'un système général devenu, lui, totalement défectueux ? Chacun pressent qu'il entraînera, un jour ou l'autre, dans sa perte ceux qui se flattent d'en détenir le pouvoir et qui seront mis tôt ou tard devant la réalité de leur incapacité. Comme leurs prédécesseurs dans des situations pareilles, ils ne penseront plus alors qu'à esquiver leur responsabilité. Les Républiques, en France, se sont toutes terminées par des désastres ; la Vème n'y échappera pas.
LA CONDITION DU SALUT
En cas d'événement de ce genre, il serait souhaitable qu'une nouvelle génération, intéressée à la chose politique, appréhende la condition essentielle du salut national français : créer, recréer, au sommet de l'État une institution indépendante par nature des partis et des luttes électorales - c'est ainsi qu'à travers les siècles la France s'est tirée elle-même des pires crises ou elle risquait son existence ; et donner à cette institution toute la majesté et toute la puissance - ce qui est la contraire de la tyrannie - que requiert son exercice légitime. Créer, recréer, les libertés essentielles qui ont été confisquées, territoriales, provinciales, professionnelles, éducatives, patrimoniales ; et bâtir enfin une représentation véritable des territoires et des intérêts français, ce qui n'a jamais été fait depuis 1789, le régime des partis s'étant en France constamment substitué à un vrai régime représentatif à la française, toujours désiré des Français et jamais advenu.
Enfin, donner à l'administration générale l'efficacité qui suppose l'impartialité, la compétence, la cohérence, la durée, la souplesse et la légèreté, bref le contraire du modèle actuel. La France sera alors gouvernée, représentée et correctement administrée. En très peu de temps, tout le monde aura du travail et de la joie sans qu'il y ait besoin d'administration pour en compliquer les règles et la France retrouvera sa place et son rang dans le monde. C'est évidemment la grâce qu'il faut nous souhaiter !
POLITIOUE MAGAZINE – N°I3I