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Zemmour, les vivants et les morts, par Aristide Renou.

À propos de la dernière polémique déclenchée par les propos d’Éric Zemmour (en attendant la prochaine, qui ne saurait tarder), j’aimerais ajouter une pièce au dossier.

Je rappelle l’acte d’accusation :

« La famille de Mohammed Merah a demandé à l’enterrer sur la terre de ses ancêtres en Algérie, on a su aussi que les enfants juifs assassinés devant l’école confessionnelle à Toulouse seraient eux enterrés en Israël. Les anthropologues nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré. Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure en France ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France, étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort. »

Pour ce passage de son dernier livre (pas encore paru et déjà en tête des ventes…), La France n’a pas dit son dernier mot, Zemmour est accusé d’avoir « franchi les limites de l’ignominie » de « mettre sur le même plan l’assassin et ses victimes », de « s’arroger le droit de dire qui est Français et qui ne l’est pas » ; et puis aussi, pour faire bonne mesure, de raconter n’importe quoi.

Puisque Zemmour appuie ses dires sur l’anthropologie, certains médias se sont en effet empressés de trouver un anthropologue pour déclarer : « Si les anthropologues enseignent quelque chose, c’est précisément la pluralité des perspectives, en l’occurrence des façons d’appartenir à une communauté ou à un lieu » (Nicolas Adell, pour France 3). Autrement dit, l’anthropologie enseigne le relativisme et surtout, surtout, ne fait pas le jeu de l’esstrême-droâte. Ce qui ne surprendra personne.

Est-il vrai qu’on est du pays où nos morts sont enterrés ?

Laissons donc les anthropologues à leur « pluralité de perspectives » qui les rend aussi inutiles, dès lors qu’il s’agit de délibérer sérieusement de sujets sérieux, que le proverbial paysan normand – « P’têt bin que oui, p’têt bin que non » –, et revenons au fond du sujet : est-il vrai qu’on est du pays où nos morts sont enterrés ?

Même si « les anthropologues » ne peuvent rien nous dire de solide sur cette question, parait-il, d’autres n’ont pas cette pudeur de gazelle ou cette étrange paralysie intellectuelle. Je trouve par exemple sous la plume de Michel Aubouin, haut fonctionnaire, la réflexion suivante :

« Les Français originaires du Maghreb ou de Turquie avaient, entre-temps, pris l’habitude de rapatrier dans leur pays d’origine la dépouille de leurs défunts. Cette incapacité à conserver les morts fut l’une des causes du défaut d’intégration des populations musulmanes en France. J’ai reçu, en 1995, deux universitaires russes spécialistes d’une science que l’on n’enseigne pas chez nous, qu’ils nomment ‘conflictologie’. Ces deux universitaires travaillaient sur « nos » banlieues. Leur première question fut : « Où sont les morts ? » D’abord interloqué, je finis par répondre que les morts étaient enterrés de l’autre côté de la Méditerranée. Leur réponse fut brutale : « Là où sont les morts sont les vivants. » Cette phrase m’a marqué pour de longues années. Beaucoup auraient dû la méditer. » (40 ans dans les cités, p. 204)

« Où sont les morts ? »

Voilà donc déjà trois témoins de moralité pour Éric Zemmour (les deux universitaires russes, et Michel Aubouin), ce qui devrait suffire à dissiper l’idée que l’opinion émise par ce dernier serait purement idiosyncratique, pour ne pas dire le produit d’un esprit malade en proie aux « passions tristes ». En fait, cette idée n’est pas difficile à comprendre, et à défendre. Elle signifie juste que l’attachement à une communauté politique ou à une terre est, le plus souvent, inséparable des attachements familiaux et que la patrie pousse des racines dans notre cœur dans la mesure où, précisément, elle est le pays du père, c’est-à-dire de nos ancêtres. Comme le dit à peu près Rousseau, et beaucoup d’autres éminents esprits avec lui, l’amour qu’on a pour ses proches est le principe de celui qu’on doit à l’État et c’est par la petite patrie, qui est la famille, que le cœur s’attache à la grande. Par conséquent, de même que l’endroit où nous choisissons de nous faire enterrer en dit en général très long sur nos attachements personnels, le pays dans lequel nous voulons être enterrés, ou dans lequel nous voulons faire enterrer ceux qui nous sont le plus chers, en dit en général très long sur nos attachements politiques.

Tout cela est trivial, évident même, et la seule chose qui nous empêche de le reconnaitre est justement que nous ne voulons plus de ce genre de liens que l’on ne choisit pas. Nous, qui avons pour projet de devenir de purs individus, nous voudrions pouvoir choisir tout ce qui nous constitue. Nous prétendons, par exemple, pouvoir choisir notre « identité de genre » et modifier notre corps en conséquence, de même que nous réclamons de la science qu’elle nous permette de satisfaire notre « désir d’enfant » comme et quand nous le voulons. Nous affirmons parallèlement que la seule adhésion volontaire (et donc nécessairement révocable, au gré des fluctuations de la volonté) à des « valeurs » évanescentes et universelles pourrait constituer une communauté politique fonctionnelle. Dès lors, comment pourrions-nous n’être pas choqués par l’idée que le cœur des vivants est enterré à côté de la dépouille des défunts, générations après générations ?

Nous la repoussons donc avec véhémence et, pour en avoir meilleur marché, nous affectons de confondre ce qui se présente comme une vérité générale (vraie la plupart du temps dans la plupart des cas) avec une vérité universelle, qui serait vraie dans tous les cas. Et comme, en matière d’affaires humaines, la seule vérité universelle, peut-être, est qu’il n’existe pas de vérités universelles, il est facile de montrer que notre adversaire se trompe – puisque son affirmation souffre des exceptions !

 

« plus Israéliens que Français »

Les parents des enfants assassinés par Merah se sentaient-ils « plus Israéliens que Français », comme le dit à peu près Zemmour ? La vérité est, bien sûr, que nous n’en savons rien, car nous n’avons pas d’accès direct à l’âme de nos semblables. Il est donc possible que le fait d’avoir enterré leurs enfants en Israël ne nous apprenne rien sur leurs attachements politiques. L’honnêteté commande de le reconnaitre. Mais l’honnêteté commande aussi de reconnaitre que c’est peu probable. Il est raisonnable de supposer que leur choix du lieu de sépulture de leurs enfants dise quelque chose de leurs sentiments envers la France, de même que, par exemple, il est raisonnable de supposer que quelqu’un qui vous insulte est en colère contre vous. Et lorsque ce choix individuel est répété par un grand nombre de personnes, il est encore plus raisonnable d’y voir le symptôme d’un problème politique. L’incertitude, qui s’attache aux cas individuels, disparait à mesure nous atteignons le royaume des grands nombres.

Il est d’ailleurs frappant de voir que certains contestent les propos d’Éric Zemmour en affirmant que, si les parents des victimes de Merah ont choisi de faire enterrer leurs enfants en Israël, c’est parce qu’ils craignaient qu’en France les tombes soient profanées. J’ignore si c’est vrai (et ceux qui le disent l’ignorent aussi sans doute), mais, si tel est le cas, cela me semble une confirmation du constat zemmourien et non une réfutation. Car cela revient à dire que ces parents ne croyaient plus en la France, qu’ils ne croyaient plus en la capacité de la France d’assurer à ses citoyens juifs une vie paisible et sûre, et que, par conséquent, ils considéraient déjà, obscurément, que leur destin individuel et familial allait devoir se séparer de celui de la France.

Je ne saurais les en blâmer. Il est devenu difficile de croire en la France de nos jours, à moins d’avoir la foi du charbonnier, et je comprends fort bien ceux qui désespèrent et cherchent une porte de sortie. Peut-être est-ce, en effet, la chose raisonnable à faire. Particulièrement pour des juifs, pour des raisons évidentes. Il n’en reste pas moins que, comme en amour, celui qui commence à « faire son petit système à part », comme le dit Rousseau, a déjà commencé à se détacher sentimentalement, qu’il se l’avoue ou non.

Français de cœur et pas seulement de papier.

Quant au fait que Zemmour mettrait ignominieusement « sur le même plan l’assassin et ses victimes », il ne peut s’agir que d’un sophisme, ou d’un paralogisme dicté par la colère. Car, bien sûr, il est toujours possible de mettre un assassin et sa victime « sur le même plan », puisque tous deux sont des hommes et ont donc des points communs. Tout dépend du « plan » en question. La seule comparaison vraiment inacceptable, c’est celle qui vise à relativiser ou à effacer la culpabilité de l’assassin. Ce qui n’est absolument pas le propos d’Éric Zemmour.

Alors, peut-on être pleinement Français, Français de cœur et pas seulement de papier, et faire enterrer ses enfants à l’étranger ? Si l’on adopte le point de vue sublime de l’observateur impartial à qui seule la vérité importe, la réponse est sans doute oui. Mais, si l’on adopte le point de vue de l’homme d’État, qui doit agir pour le bien du tout, et non pour celui de tel ou tel individu en particulier, et qui par conséquent doit accepter de guider son action par des vérités générales, imprécises mais étendues, la réponse doit être non. Elle doit être non, car elle est non dans la plupart des cas.

J’ignore si Éric Zemmour a les capacités d’un homme d’État – pour tout dire je suis un peu sceptique. Mais ce que je sais, c’est que ceux qui ne sont pas capables d’adopter le point de vue de l’homme d’État ne devraient pas se mêler de politique.

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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