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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • Discrédit de l’élite politique, par Philippe Germain.

    La technocrature, maladie sénile de la démocratie  : 9/11

    Résumé  : En 2017 la technocrature  à pris le pouvoir  pour sauver la démocratie disqualifiée par son élite politique. Insatisfaite de l’explication par le complotisme d’ultragauche et celle du référentiel populiste, l’Action française  analyse la technocrature comme un phénomène de physique sociale. Utilisant la loi historique «  du développement d’oligarchies nouvelles  », elle découvre que Bonaparte a crée une nouvelle classe de privilégiés. Ce «  pays légal  » est un système oligarchique circulaire où trois élites financière, politique et médiatique se completent pour s’épanouir dans la République. Avec la V° République la Technocratie se constitue en quatrième élite. Avec dépérissement de la société industrielle sous Giscard et Mitterand, la technocratie surmonte son conflit avec l’élite politique et fait prendre le virage mondialiste au pays légal.

    philippe germain.jpgRépartition de l’élite politique

    Les grandes familles républicaines, l’Etablissement, préfèrent que la France soit gouvernée au centre. Le jeu de bascule entre un centre droit et un centre gauche leur permet d’imposer le pouvoir de l’argent. 

    L’observation historique de la nouvelle classe des privilégiés issue du Directoire, montre une élite politique effectivement  divisée : «  Disons pour simplifier que le centre-droit est composé d’anciens royalistes et de catholiques ralliés, le centre gauche de maçons. Certes, les cartes ont été brouillées. Il y a de nos jours, des maçons de centre-droit, ralliés à Giscard, et des chrétiens de gauche… Mais, en gros, la démocratie chrétienne.. est demeurée fidèle à Giscard tandis que la maçonnerie, par ses gros bataillons fournissait à Mitterand la victoire.  »

    Nul pacte secret entre ce centre-droit et ce centre-gauche. Ils se combattent durement, pour une basse mais simple raison. La faction victorieuse s’empare des postes les plus juteux, ne laissant à l’autre que les miettes du festin républicain.

    Depuis la présidentielle de 1974, la répartition droite-gauche de l’élite politique s’équilibrait. Giscard puis Mitterand ne l’emportèrent que d’une faible marge. Il suffisait de 1  % pour que la victoire change de camp avec tous ses avantages. 

    Elite politique et souci nationaliste 

    D’où l’idée de Mitterand d’introduire le gravier nationaliste dans le soulier de la droite, comme De Gaulle avait mis le caillou communiste dans la chaussure de la gauche. Il offre donc à  l’orateur Jean-Marie Le Pen le tremplin médiatique d’une émission de grande écoute, un peu avant les élections européennes de 1984. Le Front National y obtient un spectaculaire 10,95 % des voix. Succès pour Mitterand mais symptôme électoral d’une démocratie affaiblie.

    C’était jouer à l’apprenti sorcier. Le pseudo feu de paille d’un minuscule parti nationaliste ayant fait 0,44  % des voix aux législatives de 1973, va se transformer en une force populiste de 33,94  % à la présidentielle de 2017. Le virage mondialiste et européiste soutenu par la Technocratie n’est pas pour rien dans ce phénomène.

    C’est sous le pied de l’élite politique au complet et non de la seule droite que le caillou a été mis. Ce petit caillou est devenu grand, au point que le Front National va être le principal, sinon l’unique souci de l’élite politique pendant les vingt-deux années des mandats de Jacques Chirac (1995-2007), de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017). Un souci pouvant d’ailleurs aussi être utilisé comme Joker «  plafond de verre  » pour gagner la présidentielle. Ce que fait Chirac en 2002 pour obtenir un score de 82,21 % et transformer la Ve République, de fausse république-monarchiste en véritable république bananière.

    La lutte contre le nationalisme devient l’objectif principal et le souci permanent de l’élite politique à partir de 1986. Année où le Front National obtient trente-cinq députés au Palais-Bourbon et un groupe parlementaire. Un simple exercice de physique sociale mené par Pierre Debray permet de comprendre que «  les exclus du Système  » sont la conjonction des victimes du mode de gestion technocratique, née de la rencontre des classes moyennes et des couches de la classe ouvrière qui se savent condamnées par les mutations technologiques. Ces exclus, justement qualifiés par Pierre-André Taguieff de nationaux-populistes, deviennent les empêcheurs d’oligarcher en rond. D’exclus du Système, ils en deviennent les ennemis objectifs. La situation se dégrade pour le pays légal, déjà perturbé par l’apparition de la Technocratie comme élite supplémentaire grippant la quadrature du cercle de l’oligarchie démocratique. 

    Dans la répartition des rôles, le règlement du problème populiste relève de l’élite politique soutenue par l’élite médiatique. En revanche, malgré la diversité des stratégies utilisées, légales, judiciaires, front républicain, découpage électoral, immunité parlementaire, diabolisation… l’élite politique prouve son incapacité chronique à régler le caillou nationaliste. Pour l’élite financière, l’élite politique échoue dans son rôle essentiel. Pire, le national-populisme est devenu une pièce majeure du grand échiquier de la révolte des peuples contre les élites mondialisées. Pendant ce temps, la Technocratie continue de servir les intérêts de l’Etablissement en s’appuyant sur le virage mondialiste pris sous Giscard et Mitterand. Tout comme les trois métastases de la démocratie continue de se développer  : la désindustrialisation, la société multiculturelle et la perte de souveraineté.

    Echec du centre-droit identitaire

    La plus sérieuse tentative de l’élite politique fut de relancer un clivage droite-gauche, par un bipartisme sachant digérer le populisme. Une élite politique alternant une Droite et une Gauche avec une politique économique proche mais bien séparées idéologiquement. C’était aller un peu dans le sens de la stratégie pour «  sauver la République  », préconisée par Pierre-André Taguieff à la place de la diabolisation.

    La tentative du centre-droit va échouer derrière un Sarkozy (2008-2012) tentant de revenir idéologiquement sur l’identité nationale, cornaqué par le «  sulfureux  » Patrick Buisson, connaisseur des travaux de Raoul Girardet et Philippe Ariès. Les électeurs lepénistes tentés à la présidentielle de 2007 par une droite sachant redevenir elle-même se sentent rapidement trompés par un Sarkozy qui s’aligne immédiatement sur la doxa du gauchisme culturel synthétisée par Jean-Pierre Legoff  : antiracisme de nouvelle génération à tendance ethnique et communautaire, histoire revisitée à l’aune pénitentielle, écologie punitive, féminisme et homosexualité transformés en ayants droit, sans oublier le pédagogisme libertaire, la provocation comme nouvelle marque de distinction, l’art contemporain devenu art officiel. 

    Echec du centre-gauche social

    En 2012 les populistes trompés retournent vers le lepénisme et les conservateurs, boudant leur tigre de papier, lâchent Sarkozy. C’est la chance d’un centre gauche qui derrière Hollande (2012-2017) veux tenter de revenir à la lutte contre les inégalités et s’exclame :  «  Mon adversaire, c’est le monde de la finance  ».

    Coupée depuis Mitterand de la classe ouvrière, la gauche n’a aucune chance de revenir au social. Il ne lui reste donc comme marqueur que le libéralisme sociétal. D’où l’importance démesurée prise par la libéralisation des mœurs  : mariage «  pour tous  », avortement, homosexualité, gender. Pour cela le gouvernement centre-gauche va «  mettre le paquet  » et revenir aux fondamentaux de la IIIe République. Il va même friser la caricature, tant sa capillarité avec la franc-maçonnerie s’affiche criante auprès de l’opinion et provocatrice vis-à-vis du monde catholique. Hollande se rend même au siège du Grand Orient de France, ce qu’aucun président de la République n’avait fait ni sous la Ve ni sous la IVe. Gouvernement de centre-gauche appuyé sur la franc-maconnerie ; gouvernement de clan, despotisme de coterie disait Maurras avant 1914. Gouvernement méprisé par Berlin et Washington humiliant la Ve République par la suspension de la livraison à la Russie des fleurons de notre industrie de défense navale, les bâtiments de classe Mistral (combien d’emplois ouvriers à la clé  ?). Déconfiture sociale total du centre-gauche masquant son échec par la guerre au Mali et la répression ahurissante des familles catholiques de La Manif Pour Tous.

    Alternance de façade ou Système  ?

    Oui, le double échec de l’élite politique à relancer un clivage droite-gauche met le système oligarchique circulaire à nu. L’opinion ne distingue plus de différence entre le centre-droit et centre-gauche. L’élite politique est discréditée par la prise de conscience du faux-semblant de l’alternance entre une Droite et une Gauche, pratiquant la même politique économique derrière la même doxa culturelle.

    L’alternance de façade fait écrire à Alain de Benoist : «  Le tarissement de l’offre électorale, le recentrage des programmes, la fin des clivages traditionnels, l’abandon du socialisme par la gauche, et l’abandon de la nation par la droite, la conversion de la social-démocratie à l’axiomatique du marché, le fait que les élections ne débouchent jamais sur une véritable alternative, mais seulement sur une alternance (avec de surcroît des gouvernements de droite qui font une politique de gauche et des gouvernements de gauche qui font une politique de droite), bref tout ce qui fait que le Système apparaît désormais nettement comme un système…  ». Ce Système malade c’est la démocratie  ; la démocratie réelle, pas la démocratie rêvée. Un système démocratique pourrissant par son élite politique, par sa tête comme le poisson.

    Le mensonge comme mentalité

    L’ampleur du discrédit de l’élite politique devient paroxysmique avec la succession des scandales ponctuant ces années-là. L’affaire Bettencourt de 2010  contraint le ministre du Travail Eric Woerth à quitter ses fonctions ; découverte en 2011 de la sordide réalité sexuelle de Dominique Strauss-Kahn, favori pour l’élection présidentielle, président du Fonds monétaire international, l’un des hommes les plus puissants au monde. Arrive 2012, avec les comptes cachés du ministre du Budget Jérôme Cahuzac, qui, lâché par les loges maçonniques, quitte le gouvernement en clamant son innocence mais finit par avouer ; exhumation de la liaison dangereuse Sarkozy-Kadhafi au tarif de 5 millions d’euros. En 2013, information judiciaire pour «  blanchiment de fraude fiscale » visant Patrick Balkany. Puis 2014 voit la vie médiatico-amoureuse de François Hollande étalée publiquement entre une actrice et une journaliste. La fraude aux fausses factures de l’affaire Bygmalion percute Sarkozy et Jean-François Copé démissionne de la tête du parti. 

    Est-ce le retour de la « République des copains et des coquins  » dénoncée par Michel Poniatowsky  ? C’est plutôt pour l’opinion la mise en évidence la culture du mensonge comme socle de la mentalité de l’élite politique démocratique.

    Désaffection au consentement démocratique

    Cette culture du mensonge sur laquelle repose l’élite politique, accentue le discrédit «  du dégoût  » se traduisant par la désaffection du pays réel vis-à-vis de la démocratie représentative. Cette désaffection est sensible électoralement depuis 1978, où la participation aux législatives était de 82  % et ne cesse de décliner pour passer maintenant sous la barre fatidique des 50  %. Cette sourde désaffection  inquiète l’élite financière. Elle demande aux technocrates de Sciences-Po la mise en place d’un  baromètre annuel de la confiance politique (CEVIPOF), reposant sur le consentement du gouverné. En votant, le citoyen ne choisit pas seulement un candidat, il soutient la démocratie. Cet indicateur reposant sur les inscrits des listes électorales, donc attachées à la démocratie, révèle le phénomène de «  fatigue démocratique  ».  L’abstention va atteindre la taux record de 57,3  %. Méfiance et dégoût concrétisent le rejet de l’élite politique dont les responsables sont perçus comme indifférents, éloignés et corrompus à 74 %. Le réel percute l’élite financière car  61  % des sondés ne font plus confiance aux politiques de  gauche comme de droite et c’est à l’égard de leurs élus, que les citoyens expriment le plus de doutes et de colère à 88  %. D’ailleurs 72  % d’entre eux considèrent les élus comme  plutôt corrompus.

    En 2016 l’inquiétude de l’élite financière est totale car le discrédit de l’élite politique commence à s’étendre aux deux autres élites historiques. Les Français ne font plus confiance aux médias à 73  % et 70  % ne font pas confiance aux banques. L’élite financière commence à induire une hypothèse sombre. Certes, l’élite politique est parvenue à maintenir hors du jeu les mouvements se voulant «  hors Système  » mais si le pays réel, après avoir essayé la Droite et la Gauche, se laissait tenter par le populisme… Une opinion totalement écœurée ne serait-elle pas prête à tout  ? 

    L’élite financière, ces dynasties républicaines envisagent alors de rompre le système circulaire d’origine en substituant l’élite technocratique à l’élite politique. 

    Germain Philippe

    (A suivre )

    Pour suivre les 8 précédentes rubriques de la  série «  La Technocratie, maladie sénile de la démocratie  »

    Hold-Up démocratique
    Complotisme d’ultra-gauche intéressant
    Comment analyser les élites du pays légal
    Intérêt du référentiel populiste
    Oligarchie-Nomenklatura-Pays légal
    Les élites du pays légal
    Origine de la Technocratie
    Mutation-mondialiste-du-pays-legal

  • Vient de paraître : Michel Mohrt - Portrait, par Yves Loisel

    michel mohrt.jpg

    Editions Coop Breizh, 160 pages, 15 euros

     

    Yves Loisel vient de publier un livre sur l'académicien Michel Mohrt, aux éditions Coop Breizh (basées à Spézet dans le Finistère) : "Michel Mohrt - Portrait". Beaucoup, parmi nos lecteurs, se souviendront que, du temps du mensuel Je suis Français, Pierre Builly et François Davin avaient intérrogé Michel Mohrt, ainsi qu'une bonne trentaine d'autres inetllectuels et écrivains, et que l'ensemble de ces entretiens avait constitué une sorte de collection de grand intérêt... 

    Yves Loisel a rencontré Michel Mohrt une dizaine de fois lorsqu'il était journaliste au Télégramme, et l'a longuement interviewé. Son livre retrace les grandes lignes de sa vie et constitue surtout un portrait intellectuel et psychologique.

    Voici l'entretien qu'il a accordé, lors de la sortie de l'ouvrage, au blog des éditions Coop Breizh :

    Originaire de Morlaix, Michel Mohrt (1914-2011) était un écrivain discret. Académicien français, romancier de premier ordre, fin connaisseur de la littérature américaine, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont une quinzaine de romans où s’entremêlent, pour l’essentiel, des épisodes liés à la Seconde Guerre mondiale et les amours, souvent tourmentées, que vivent ses personnages.

    Pour autant, bien que se réclamant de la France conservatrice et même traditionnelle, Michel Mohrt n’a pas écrit des romans à thèse, un genre qu’il désapprouvait : il entendait être, avant tout, un témoin de son temps et un raconteur d’histoires. Qui était donc cet homme élégant à l’allure si britannique ? Un réactionnaire inflexible ? Un anticonformiste ? Un anarchiste désabusé ? Au lecteur de se forger une opinion à travers ce portrait où se révèlent une personnalité riche et un caractère bien trempé.

    L’auteur : ancien journaliste au Télégramme, Yves Loisel est l’auteur de trois ouvrages : * Xavier Grall – Biographie (éditions Jean Picollec, 1989 ; réédition Le Télégramme, 2000);

    *  Louis Guilloux – Biographie (éditions Coop Breizh, 1999);

    * Voix et Visages – Rencontres avec 32 écrivains de Bretagne (Coop Breizh, 2000).

     

    Coop Breizh. Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Michel Mohrt ?

    Yves Loisel.  Quand il est mort au mois d’août 2011, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait un livre à écrire sur sa vie et son œuvre, tant l’une et l’autre avaient été riches et, par certains côtés, très originales. J’ajouterai que l’homme lui-même était passionnant. Il y avait chez lui des convictions fortement ancrées et, dans le même temps, on le sentait traversé par de nombreux doutes et interrogations.
    Tout en relisant ses romans et ses essais – une trentaine d’ouvrages au total -, je me suis donc replongé dans mes dossiers et me suis aperçu que je disposais d’une abondante documentation. J’avais notamment de nombreux articles de presse le concernant : les premiers remontent à 1989. Pourquoi les avais-je conservés dès cette époque-là, alors que je ne connaissais pas encore Michel Mohrt et que j’ignorais, bien entendu, que j’écrirai un jour un livre sur lui ? Mystère… J’avais aussi de très nombreuses notes personnelles : au total, en effet, je l’ai rencontré – et longuement – à dix reprises, en Bretagne et à Paris. J’avais donc là une mine d’informations, souvent inédites, qu’il me paraissait intéressant de faire connaître au public.

    C.B. N’est-il pas un peu oublié aujourd’hui ?

    Y.L. Michel Mohrt était assurément un homme discret, réservé, qui ne recherchait pas les micros et les caméras ! Il avait été très marqué par la Seconde Guerre mondiale, en particulier par la défaite de 1940 quand l’armée allemande a enfoncé, en quelques semaines, les lignes françaises avant d’occuper le pays. Je crois qu’à ce moment-là, quelque chose s’est brisé en lui. Il n’avait pourtant que vingt-six ans à cette époque mais cette défaite a été le drame de sa vie : il  ne s’en est jamais remis. En outre, elle a influé de façon radicale non seulement sur ses idées mais aussi sur sa personnalité, sa façon de regarder son pays, et même d’envisager la vie. D’où, sans doute, un certain repli sur lui-même et sur des valeurs appartenant à la France d’avant-guerre, ce qui explique sa discrétion et son absence sur le devant de la scène littéraire.

    C.B. Comment définir son œuvre ?

    Y.L. C’est un écrivain talentueux, un excellent romancier. Lui-même se définissait comme « un raconteur d’histoires », et il est vrai que lire Michel Mohrt est un régal ! Son style est léger – dans le bon sens du terme -, ses romans sont vifs, enlevés, bien menés. Ils contiennent beaucoup de dialogues, se lisent très facilement et ses personnages sont finement dessinés. Il n’y pas de longueurs : on y trouve peu de descriptions et encore moins d’analyses psychologiques. Il a cherché à placer ses personnages dans certaines situations et à les faire vivre, évoluer, en fonction des événements, sans jamais les juger ni commenter leur attitude. Mais c’est là une simplicité apparente : d’un roman à l’autre, apparaissent en filigrane des questions récurrentes qui sont autant d’allusions autobiographiques : comment se comporter face aux événements de son temps ? Faut-il s’engager ? Bref, comment vivre ? Surtout, comment être heureux ? A cet égard, les femmes occupent une grande place dans son œuvre car ses héros vivent des amours souvent compliquées !

    C.B. Michel Mohrt était un grand connaisseur de la littérature américaine contemporaine. Pourquoi ?

    Y.L. Aussitôt après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’est volontairement exilé aux Etats-Unis. Il était écœuré par les événements auxquels il assistait à Paris à cette époque : l’épuration, les règlements de comptes personnels, les retournements de vestes… Michel Mohrt  se rendait compte aussi que se mettait en place ce qu’il a appelé « une vérité officielle » à laquelle il ne pouvait adhérer : le mythe d’une France qui aurait été résistante dès le début du conflit, unie contre l’occupant, une France qui se serait libérée seule… Tout cela était contraire à ce qu’il avait vu et vécu, et il a donc préféré partir aux Etats-Unis, où il a enseigné et donné des conférences dans plusieurs universités. D’où le thème de l’émigration et du départ, que l’on trouve partout dans ses livres. C’est au cours de ce séjour de sept ans outre-Atlantique qu’il s’est familiarisé avec la littérature américaine, un domaine qu’il a considérablement développé aux éditions Gallimard pour qui il a travaillé pendant près de cinquante ans après son retour en France en 1952. Il a d’ailleurs écrit deux essais, remarquables de finesse, sur les écrivains américains.

    C.B. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur son rapport à la Bretagne.

    Y.L. « La Bretagne ne m’a jamais quitté » : je crois que c’est une des premières phrases qu’il a prononcées devant moi quand je l’ai rencontré pour la première fois à Paris en 1997. Michel Mohrt éprouvait un attachement très fort et sincère pour la Bretagne. Chez lui, ce n’était pas une pose. Du reste, quand on lit ses œuvres, qu’il s’agisse de ses romans ou de ses essais, on s’aperçoit qu’elle est partout présente – par ses paysages, à commencer par la mer, les ports, la navigation à la voile, etc. ; et aussi bien sûr par ses célébrités littéraires, en premier lieu Chateaubriand.
    Dans le même temps, Michel Mohrt était gêné par rapport à la Bretagne : académicien français, lecteur chez Gallimard, il habitait à Paris depuis de longues années, et cette situation ne lui laissait pas la conscience tranquille. Bien sûr, il revenait chaque été dans la maison de famille qu’il possédait à Locquirec, non loin de Morlaix, la ville où il était né. Mais malgré cela, il avait le sentiment d’avoir trahi sa région d’origine en la quittant à l’âge de vingt ans pour aller faire son service militaire dans le Midi. Il était jeune alors et il avait envie de voir du pays…

    C.B. Après vos deux ouvrages sur Xavier Grall et Louis Guilloux, c’est votre troisième biographie d’écrivain. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ce genre d’ouvrages ?

    Y.L. Les écrivains sont des êtres complexes, fragiles, d’une sensibilité à fleur de peau. Leur personnalité est souvent une mosaïque composée de tours et de détours, de contradictions. De vrais labyrinthes, souvent ! Ce qui m’intéresse, c’est de retracer leur parcours, de suivre le cheminement de leurs pensées, d’observer l’enchaînement des événements dans leur vie, de cerner au plus près leur caractère et leur façon d’être, sans porter de jugement sur tel ou tel aspect de leur existence ou de leur caractère.
    S’agissant de mon livre sur Michel Mohrt, on ne peut pas à proprement parler dire qu’il s’agit d’une « biographie ». C’est un portrait – mot qui est du reste le sous-titre qu’on trouve sur la couverture. Rédiger une biographie de Michel Mohrt aurait demandé à rencontrer des témoins (famille, amis, confrères écrivains, collègues de l’Académie française, critiques littéraires, etc.). Ce n’est pas le projet que j’avais en tête. Je pensais plutôt à un livre assez bref où apparaitraient certaines lignes de force, un ouvrage  mettant en lumière les principaux événements de la vie de Michel Mohrt, ses idées sur la société ainsi que les traits marquants de sa personnalité.

  • (Communiqué) Courrier reçu du Carrefour des Acteurs Sociaux (CAS)...

    2014 COMMEMORATION 1914.jpgMadame, Monsieur, 

    Sans doute êtes-vous au courant de l’affaire évoquée dans le document que vous trouverez ci-dessous. Il m’est l’occasion d’une réflexion en lien avec les commémorations prévues en 2014. Je signale au passage que nous venons de prêter la main aux actions ayant visé à reclasser en France (logement, emploi, formation)  les Afghans qui ont été au service de l’Armée français pendant les opérations en Afghanistan. 

    Chez les militaires c’est la première fois depuis les années 60 que la grogne prend un tour politique et je m’en suis aperçu en prenant contact avec les organisateurs des commémorations qui auront lieu en 2014 (commémoration de la guerre 14/18).

    J’ai notamment pris contact au nom de certaines associations franco-africaines qui gravitent dans l’orbite du Partenariat Eurafricain et qui commémorent annuellement les Tirailleurs Sénégalais.

    Les manifestations commémoratives de 2014 verront le budget dégagé par l’Etat au quasi seul service du 14 juillet 2014. Mais le plus important est ailleurs ; ces commémorations n’échapperont pas au maelstrom « sociétal » qui va s’y engouffrer. Déjà, les informations qui nous viennent des « allées du pouvoir médiatique » permettent de discerner  quelques points forts qui seront montés en épingle :

    - Evidemment l’apologie du pacifisme;

    - La réhabilitations des condamnés par les tribunaux militaires;

    - Une campagne baptisant les combattants d’Afrique « les engagés involontaires »;

    - Le reformulation du débat sur l’identité nationale;

    Les points d’applications seront multiples et notamment dans les écoles et les collectivités locales.

    Il n’est pas dans la vocation du CAS d’aller sur ces terrains où du moins de s’y déployer. En revanche il ne lui est pas interdit de sensibiliser son réseau aux enjeux historique et culturel qui se joueront en 2014. J’ai déjà des demandes émanant d’associations africaines gravitant dans l’orbite du Partenariat Eurafricain, de sociétés savantes et d’associations civiques agissant dans les zones difficiles. 

    Je recherche donc quelqu’un disposé à piloter les initiatives que prendront nos membres et d’autres  (choix de conférenciers dans les écoles et les associations ; recension des colloques vers lesquels orienter nos amis ; mise en relation localement avec des autorités militaires ou des associations d’Anciens Combattants, par exemple le Service Historique de l’Armée.

    Bien cordialement, 

    Joël Broquet

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    COMITE VALMY.jpgQuestion au Premier Ministre sur la Syrie :

    Le gouvernement a-t-il présenté un faux à la représentation nationale ?  

    samedi 28 septembre 2013, par Comité Valmy 

    Le comité Valmy recherche un député susceptible de briser l’omerta en posant cette question au 1er Ministre. Quand le gouvernement viole la loi en tentant d’obtenir un consensus du Parlement au moyen d’un faux document dans le seul but d’entraîner la France dans un conflit au bénéfice des auteurs du crime qu’on prétend combattre, les députés sont face à une responsabilité historique : doivent-ils se coucher et accepter honteusement cette manipulation, ou, au contraire, demander des comptes, laver l’honneur de la République, et mettre sous la tutelle des élus de la Nation ce gouvernement qui a fait la démonstration de son irresponsabilité ?

     

    Question au Premier Ministre sur la Syrie :
     Le gouvernement a-t-il présenté un faux à la représentation nationale ?

     

    Monsieur le Premier Ministre,

    Le 2 septembre dernier, avant le débat à l’Assemblée nationale visant à obtenir un consensus sur une intervention militaire en Syrie, vous rendiez public un document déclassifié des services DRM et DGSE, document censé établir la preuve que l’armée régulière syrienne serait l’utilisatrice des armes chimiques contre le peuple syrien, le 21 août 2013.

    Les lecteurs de ce document ne pouvaient qu’être frappés par l’absence de fait précis et la médiocrité de son contenu : après une présentation scolaire laborieuse de l’histoire de l’armement syrien, l’auteur pense pouvoir deviner l’identité des criminels de la seule nature des armes... Comme si toutes les utilisateurs de six coups étaient américains et russes les utilisateurs de Kalachnikov !

    De l’affirmation non étayée que seule l’armée régulière serait en capacité technique de manipuler de telles armes, la représentation nationale devait conclure comme un seul homme à la responsabilité du gouvernement syrien. Pourtant, seuls les "rebelles" avaient intérêt à fournir le prétexte requis par le président Obama pour intervenir militairement. Par ailleurs, ce document occultait la présence d’éléments non syriens parmi les "rebelles", dont certains étaient armés, formés et épaulés par de nombreux services étrangers capables de leur fournir la capacité d’utiliser des armes chimiques, ce qui ruinait le raisonnement précité.

    Depuis le renoncement des États-Unis à l’attaque contre la Syrie, aucun service occidental et anti-syrien n’a été capable d’apporter la moindre preuve tangible de la responsabilité du gouvernement syrien dans les drames du 21 août. A l’inverse, nombre de documents, de témoignages et de faits incontestables tendent à établir la culpabilité d’éléments de la rébellion.

    Sans un salvateur vote à la Chambre des Communes britannique, suivi d’un accord russo-américain, la France aurait été entraînée dans une agression militaire aux risques incalculables, très certainement pour soutenir les utilisateurs des armes chimiques, sur la seule foi de ce document.

    Nous découvrons maintenant que ce document [1] présenté comme émanant des services secrets français porte la signature électronique de M. Sacha MANDEL [2] (« smandel »)et semble bien, en réalité, avoir été concocté par ce conseiller en Communication du Ministre de la Défense.

    L ’introduction précise que « Ce document est constitué de renseignements déclassifiés issus des sources propres françaises. Il repose également sur l’analyse technique approfondie des sources ouvertes réalisée par nos services. » Force est de constater qu’aucun avis de Commission Consultative du secret de la défense nationale n’a été publié au Journal Officiel, seule preuve de déclassification légale de renseignements. [3] La Commission n’a donc pas été saisie, la procédure [4] n’a donc pas été respectée.

    ( "le ministre ne peut déclassifier sans avoir préalablement demandé cet avis, même s’il est favorable à la demande." [5]) L’introduction du document étant mensongère, la question se pose : ces « renseignements déclassifiés » n’existent t-il que dans l’imagination d’un communicant du ministère de la Défense ?

    De quel droit le gouvernement prétent-il présenter aux parlementaires des renseignements déclassifiés sans qu’aucune procédure de dé-classification n’ait existé ? Quelle est la véritable origine de ces pseudo « renseignements déclassifiés » sur la base desquels il fallait déclencher de toute urgence un conflit au conséquences planétaires ?

    Pouvez-vous, monsieur le Premier Ministre, désigner le véritable auteur de ce document ?

    S’agit-il de M. Sacha MANDEL, responsable en communication de M. le Drian ou des services de renseignement, dont la DGSE qui a vu la prise de fonction d’un nouveau directeur [6] la veille de la parution de ce document ?

    S’il s’agit de M. Mandel, les services précités ont-ils accepté d’en porter malgré tout la responsabilité ?

    S’il s’agit des services officiels, pourquoi M. Mandel n’a t-il pas démenti ? Et dans ce cas, des sanctions ont-elles été prises ? Les services ont-ils été appelé à fournir des renseignements de meilleure qualité, au minimum pour que la France ne se trouve pas entraînée dans un conflit en se trompant d’adversaire, sur la base de renseignements erronés ?

    Enfin, en prétendant que ce document essentiel émanait des services DRM et DGSE, qu’il contenait des « renseignements déclassifiés », le gouvernement a t-il présenté un faux à la représentation nationale ?

     

    Notes

     

    [1] -Document sur le site du Premier Ministre

    [2] -Organisation du cabinet du ministre de la Défense

    [3] -CODE DE LA DÉFENSE : Commission consultative du secret de la défense nationale

    [4] -Rapport de la CCSDN, procédure page 73

    [5] -"Secret Défense" sur le site du Secrétariat Général pour l’Administration

    [6] -Décret du 22 août 2013 portant nomination d’un directeur à la direction générale de la sécurité extérieure - M. BIGOT (Christophe)

    Appel du Comité Valmy :
    > Construire un front républicain, patriotique, anti-impérialiste et de progrès social !

  • A lire dans L’Express : Des Hommes et des dieux: ”C'est autant un film sur la foi que sur le doute”

                 Michel Eltchaninoff (1), philosophe et rédacteur en chef adjoint de Philosophie magazine a décrypté le succès du film de Xavier Beauvois ( 2.114.868 entrées au 14 octobre !...).

                 Morceaux choisis....

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    La Une du Figaro Magazine du samedi 16 octobre 

    Gillou : Des Hommes et des dieux semble ne rien imposer et se contenter de proposer à réfléchir... La recette du succès ?

    Vous avez mille fois raison. C'est autant un film sur la foi que sur le doute. On assiste, au plus près des différents moines de ce monastère, au cheminement personnel de chacun. Il y a les convaincus, comme Christian, qui veut seulement recevoir le plein assentiment de ses "frères". Mais il y a ce vieux médecin merveilleusement joué par Michael Lonsdales, qui veut continuer à faire son devoir. Il y a celui qui doute dans la douleur, le frère Christophe incarné par Rabourdin... Il y a ceux qui se cachent au moment où ils devraient être courageux... Ceci répond, il faut bien le dire, au message religieux du christianisme. On sait que l'apôtre Pierre a renié le Christ. Et que Jésus lui-même, sur la croix, a demandé à son père pourquoi celui-ci l'avait "abandonné". Bref, ce film montre que dans tout acte "héroïque", il y a une part de doute, d'incertitude. C'est, je pense, cet équilibre très subtil entre courage et doute, où l'un et l'autre ne s'excluent pas, qui a plu aux spectateurs fatigués des messages simplistes.  

    Mami : Les catholiques ont-ils contribué au succès du film de Xavier Beauvois ?

    D'après ce que je sais, le film a été montré, en amont, aux autorités religieuses catholiques. Les chrétiens, plus largement, ne peuvent qu'être intéressés par le film. Mais son succès dépasse considérablement une communauté de croyance. Ce qui fait sa force, c'est qu'il peut être vu avec un oeil croyant comme avec un oeil agnostique, ou même athée. Des Hommes et des dieux est un film sur la religion, ses rituels, sa pratique, la croyance qui la soutient. Mais ce n'est pas à proprement parler un film religieux. On n'y voit pas de miracle - comme dans Ordet de Dreyer ou Stromboli de Rossellini. On y voit des hommes faire ce qu'ils peuvent avec leur engagement et leur foi. Ils font beaucoup. C'est pourquoi ce film intéresse à mon avis, et touche, tous ceux qui ne peuvent se satisfaire d'une vision matérialiste ou intéressée de l'homme et des rapports humaines.  

    On y voit des hommes faire ce qu'ils peuvent avec leur engagement et leur foi

    Lilou : Est-ce, selon vous, un film "providentiel" ?

    On peut prendre le terme de "providentiel" dans plusieurs sens. C'est sans doute un film providentiel dans le paysage de la culture d'aujourd'hui. Qu'un film "d'art et d'essai", parfois austère, parfois difficile, en tout cas pas racoleur, soit vu par deux millions de personnes en France et apprécié, on peut dire que c'est providentiel. Cela signifie que nous ne nous contentons pas de programmes télévisuels débilitants ou de films à grand spectacle. Dans un autre sens, ce n'est pas un film sur la Providence avec un grand P car le divin n'intervient guère. Ce sont les hommes, leurs croyances, leurs doutes et leur courage qui sont mis en avant.  

    Gui2om : Au sujet du film, vous parlez d'un "courage de proximité". C'est-à-dire ?

    Le courage était une grande vertu dans l'Antiquité. Elle était réservée aux "beaux et aux bons", aux guerriers, aux aristocrates, aux "âmes bien nées". C'est le courage d'Achille combattant les Troyens. Bref, c'était très beau, mais un peu, disons, "excluant" pour les gens comme tout le monde. C'était un courage réservé aux héros. Or, à partir du XVIIIe siècle, des âges démocratiques, des âges de masse, l'héroïsme à l'ancienne paraît bien nobiliaire, bien inégalitaire, bien masculin aussi. Dans une société démocratique, on préfère ceux qui aident et participent à ceux qui se parent avec orgueil de la vertu du courage. Mais une société sans courage risque de devenir une société sans idéal, sans force, sans saveur. C'est pourquoi il est si vital de concilier la vieille vertu du courage et la vie ordinaire. C'est ce que font ces moines. Ils ne se prennent pas pour Lancelot du Lac ou De Gaulle. Ils ne sont pas des guerriers. Mais ils savent, au moment où il faut, dire qu'ils ont le choix de refuser ce qui leur paraît inacceptable. Sans effets de manche, ils savent se montrer fermes dans les situations les plus quotidiennes : soigner ou protéger quelqu'un, ne pas baisser la tête. Bref, ils n'incarnent ni un courage de la supériorité et de la distance, ni une indifférence molle à l'autre, mais un courage de proximité. C'est aussi la redécouverte de cette vertu qui explique peut-être le succès du film. Entre le cerveau et le sexe, il existe une faculté qui consiste ni à réfléchir ni à désirer, mais à s'indigner de ce qui est scandaleux ou médiocre. Les Grecs appelaient cette faculté le thumos, un souffle qui vient du coeur. Le mot courage vient du mot "coeur". Des Hommes et des dieux est à mon avis un film sur ce courage du coeur.  

    Des Hommes et des dieux est un film sur ce courage du coeur.

     

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    Les chrétiens, plus largement, ne peuvent qu'être intéressés par le film. Mais son succès dépasse considérablement une communauté de croyance.  

     

    Hortensia : S'agit-il, en allant voir ce fim, d'une recherche de spiritualité? D'une manière de s'extraire de notre quotidien ?

    Il s'agit à coup sûr d'une recherche de spiritualité, du refus d'une vision purement matérialiste et intéressée du monde. Mais cette spiritualité n'a rien de dogmatique ni d'intolérant. Ces frères sont fermement ancrés dans leur foi. Cela ne les empêche pas d'exprimer leur spiritualité par la pratique - le travail, le service, des exercices quotidiens. Cela ne les empêche pas de discuter, de rechercher un consensus. C'est une spiritualité authentiquement démocratique. Du coup, ils ne refusent pas le quotidien - et c'est là où je suis en désaccord avec votre seconde formulation. Ils réorganisent un quotidien cohérent, empli de sens, à partir de priorités bien définies, notamment le service à autrui. Ils donnent sens au quotidien à partir de valeurs.  

    Karolina : Pourquoi à votre avis, les Français ont préféré Des hommes et des dieux à Hors-la-loi ? Cela ne marque-t-il pas le fait que la France n'a pas envie de s'intéresser aux travers de son histoire coloniale ?

    Il est probable que le rôle de la France dans son histoire coloniale est encore très douloureuse, et que nous avons parfois du mal à la regarder en face. Surtout lorsque les politiques s'en mêlent et veulent confisquer aux historiens et à la société le regard sur les méfaits de la colonisation. Mais Des Hommes et des dieux n'est pas non plus un film complaisant. Ces moines sont des exceptions. Les autorités leur conseillent, au nom de la raison, de partir. Ils décident de rester. Et leur acte de courage révèle, en creux, l'attitude raisonnable mais moins admirable de tous les autres. Enfin, c'est un film qui permet plusieurs lectures quant à la vérité sur le massacre des moines de Tibéhirine. S'agit-il d'une manipulation? d'une bavure? D'un acte terroriste de la part des GIA? On sait que cette affaire empoisonne encore les relations entre la France et l'Algérie. Bref, je ne pense pas du tout qu'il s'agisse d'un film réconfortant. C'est plutôt une oeuvre qui nous invite à nous poser cette difficile question: et moi? Qu'aurais-je fait à leur place. Le courage de ce film est moral, donc universel.  

    Laurence : Pourquoi cherche-t-on absolument à faire décrypter le succès du film Des hommes et des dieux par des sociologues, philosophes et autres intellectuels. N'est ce pas tout simplement d'abord et avant tout un bon film ?

    C'est un excellent film. Mais il y a malheureusement beaucoup de très bons films, de très bons livres, qui ne rencontrent aucun succès. J'adore personnellement les films de Sokhourov ou de Iosseliani, mais il faut bien dire qu'on ne trouve guère 2 millions de personnes pour aller les voir. A l'inverse, il y a énormément de navets qui marchent du tonnerre. Ce qui est l'exception davantage que la règle, c'est lorsqu'un "excellent film", avec une mise en scène rigoureuse qui ne joue pas mécaniquement sur les émotions, avec des acteurs qui n'en font pas des tonnes, rencontre un large succès public. Du coup, cela m'intéresse aussi comme philosophe de comprendre, même un tout petit peu, le sens de cette belle rencontre entre un film exigeant et un large public. Et ce que je crois voir, c'est non seulement une vague "quête de sens" dans un monde déboussolé par la mondialisation, mais l'aspiration à un spirituel renouvelé et à une vertu antique, souvent oubliée dans les âges démocratiques: le courage.  

    Le courage de ce film est moral, donc universel

    Petit malin : Je n'ai pas encore vu Des Hommes et des dieux. Trois bonnes raison d'aller le voir ?

    1. C'est un film qui va au fond de ce qui fait que nous sommes des hommes: à quoi croyons-nous? Qu'est-ce qui pourrait nous pousser à nous sacrifier, à risquer la mort ? Quelle est la force qui nous anime et qui fait que nous sommes, peut-être, capables de faire de grandes choses ? C'est film qui fouille ce qu'il y a de plus vital, de plus précieux dans l'homme.  

    2. C'est un grand film d'amour : amour de cette nature qui entoure les moines, amour de leur humble vie quotidienne, amour des populations musulmanes qui entoure les moines et qu'ils ne cherchent pas à convertir, mais à comprendre et aider, amour de ce dieu qui leur a tout fait quitter. A noter que cet amour n'exclut pas a priori l'amour "ordinaire", notamment charnel. Avant d'avoir été des moines, ils ont été des hommes : eux aussi sont tombés amoureux et ont connu le plaisir sensible. C'est ce que rappelle très subtilement la séquence du dernier repas des moines ; eux aussi peuvent aimer le plaisir.  

    3. Michael Lonsdale est à mourir de rire (et très très émouvant).  

    Je ne sais pas si je vous ai convaincu, mais vraiment je vous conseille d'y aller.  

    (1) : Michel Eltchaninoff est philosophe et rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine. Il a notamment publié L'Expérience extrême (2010, éditions Don Quichotte).  

  • L'unité du genre humain, notamment par les mouvements migratoires, est-elle pour demain ? (2/2).

                La croyance dans l’unification de l’humanité et l’enthousiasme d’une partie non-négligeable de l’Eglise Catholique pour cette perspective hasardeuse ne datent ni l’une ni l’autre d’hier.

    Le texte que nous versons au débat est de Charles MAURRAS. Il a été publié dans l’Action française du 21 octobre 1932, en réponse au cardinal VERDIER, archevêque de Paris.

    Nous n’alourdirons pas le texte de MAURRAS par des commentaires superflus, car, qu’on l’approuve ou non, il est rédigé de façon claire. Il se suffit à lui-même. Chacun jugera.

    Il faut, bien-sûr, un certain effort de transposition de cette époque dans la nôtre. Mais cet effort ne sera pas très grand tant la profession de foi du Cardinal VERDIER dans l’unification prochaine de l’humanité et son bonheur à venir, tant ses certitudes ressemblent aux raisonnements d’aujourd’hui.

    Ajoutons seulement, sans aucune malice, mais avec la claire conscience de l’aveuglement engendré par les utopies, que 7 ans, à peine, après cet échange d’idées, se déclenchait la seconde guerre mondiale, la plus grande et la plus destructrice que l’humanité ait jamais connue.

    De quel côté était donc la clairvoyance ?

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    Vieilles nuées philosophiques

                On lit, dans la Semaine religieuse de Paris, sous la signature de Mgr Verdier :

                Le commerce, l'industrie, la finance et donc la politique elle-même ne peuvent plus s'abandonner, sans restriction, à la libre concurrence, ou organiser leur activité dans un "superbe isolement". Les conditions faites au monde moderne ne le permettent plus.

                .... Jusqu'à ce jour, l'humanité n'était que la somme des unités nationales. Elle n'avait pas d'existence propre.

                Demain elle SERA une réalité distincte, agissante, liée très explicitement au bien-être et au bonheur de tous les hommes.

               Demain, nos devoirs envers la patrie ne POURRONT plus se séparer de nos devoirs envers l'humanité.

               ... Chose étrange, en présence de cette compénétration universelle qui demain s'imposera à eux, les nationalismes s'inquiètent et s'irritent.

               Mais les faits sont plus forts que les hommes. Les découvertes modernes et les conséquences de la grande guerre ont mis l'humanité sur une pente raide où elle NE PEUT PLUS s'arrêter. Oui, redisons-le, d'un pas continu et que les évènements peuvent accélérer, ELLE VA à cet ordre nouveau où S'ATTÉNUERONT les frontières de toutes sortes, où la compénétration directe de tous les intérêts SERA la condition normale de la vie et de l'activité de tous les hommes.

               Ces perspectives créent des devoirs immédiats.

               Il va de soi que je ne conteste les droits d'aucun esprit. Chacun peut croire avec le romantisme que le progrès conduit à l'unité des races humaines.

                Le monde en s'épurant s'élève à l'unité,

                disait Lamartine en 1843. Depuis quatre-vingt-dix ans bien près d'être écoulés, l'histoire du monde, si elle comporte deux grandes unifications en Italie et en Allemagne, montre au contraire l'atomisation, la pulvérisation d'une Europe à qui manque l'unité autrichienne, l'unité ottomane, l'unité suédo-norvégienne, même l'unité du Royaume-Uni : l'effort désintégrateur ayant au moins égalé l'effort intégrateur. Ce passé récent peut être jugé sans force ni valeur devant la foi à l'unité proche et fatale, mais ce témoignage de fait établit tout au moins que la discussion reste ouverte et que, si l'on peut parler pour l'unité et croire mordicus à cette unité, il n'y a  pas lieu de mettre au futur certain des conditionnels pleins de risques....   

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    "Depuis quatre-vingt-dix ans bien près d'être écoulés, l'histoire du monde, si elle comporte deux grandes unifications en Italie et en Allemagne, montre au contraire l'atomisation, la pulvérisation d'une Europe à qui manque l'unité autrichienne, l'unité ottomane..."

                 Chacun peut rêver à sa fantaisie et, encore une fois, croire à son aise la matière enseignée par Victor Hugo dans Plein Ciel: la facilité et la fréquence des communications, particulièrement aériennes, pousserait fatalement les humains à fraterniser; nous avons reçu sur la tête assez de marmites venues de tous les points du ciel allemand pour maintenir les réserves assez formelles sur les fatalités de cet acabit.

                 Chacun peut adhérer à ce dogme, pas très frais, du romantisme saint-simonien, d'après lequel une civilisation industrielle comme la nôtre devra être forcément pacifique. Mais il suffit d'ouvrir un journal pacifiste pour y lire que les pires ennemis de la paix sont aujourd'hui les métallurgistes, parce qu'ils fabriquent et vendent des canons. L'industrie, en s'incorporant à la vie des hommes, est devenue guerrière comme eux.   

                 Nouveau refrain, nous ne donnons pas ces vues pour des révélations qu'il faille imposer : une liberté spacieuse est ouverte à tous les lieux communs de la poésie et de la philosophie révolutionnaires. Il n'est cependant pas un esprit un peu critique et cultivé qui ne sache de quelles objections de fait et de droit ces formules restent passibles. 

                  La dure expérience des "guerres d'enfer" nées avec la Révolution française a parlé. La raison analytique avait parlé avant elle.

                  L'éminent anticipateur insinue bien que ces objections proviennent de "l'inquiétude" et de "l'irritation" des nationalismes. Pas du nationalisme français, toujours ! Il est bien tranquille, le pauvre. Il n'y a personne de moins inquiet !

                 Seule existe ici une irritation de l'esprit, parfaitement légitime, celle que note Pascal : "D'où vient qu'un esprit tortu vous irrite ?..."

                 L'esprit tortu de la philosophie révolutionnaire et romantique irrite, j'en conviens, par son obstination à nier les réalités. Il y a vingt-sept ans, un des maîtres du pacifisme, M. Marc Sangnier, nous soutenait que la monarchie était devenue inutile parce que les deux éléments essentiels du régime royal, une diplomatie, une armée, étaient déjà périmées : pures "survivances", comme disait alors Anatole France ! C'était en 1905, juste à la veille de l'éclat de Tanger. La menace de l'empereur Guillaume II montra clairement que ni la politique extérieure ni la politique militaire n'étaient inutiles. La grande guerre est venue dix ans plus tard.

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    1905 : En vue de prévenir la mainmise de la France sur le Maroc, Guillaume II débarque théâtralement à Tanger, au nord du sultanat, traverse la ville à cheval, à la tête d'un imposant cortège, et va à la rencontre du sultan Abd-ul-Aziz pour l'assurer de son appui....

                 Le cardinal-archevêque de Paris écrit tranquillement que "les faits sont plus forts que les hommes". Qu'est-ce qu'il en sait ? Notre poids nous attache au sol, c'est un fait : les êtres qui inventent et pratiquent l'aviation ne sont pas des singes ; ils sont plus forts que ce fait-là. L'histoire du monde est tissue de ces victoires des hommes sur les faits. Est-il je ne dis pas d'un esprit informé, mais d'un esprit raisonnable, de méconnaître ou d'oublier ce primat ?

                 La brusque anticipation du cardinal-archevêque de Paris est fondée tout entière sur l'ensemble des intérêts matériels qu'il appelle le commerce, l'industrie, la finance ("et donc la politique", comme si la politique n'était que leur somme !)  : ces faisceaux d'intérêts matériels offrent des caractères de solidarité qu'il lui plaît d'appeler universels. Mais d'abord, répondrait le vieux Brunetière, c'est la solidarité de la gazelle et du lion. De plus, cette solidarité n'est pas d'hier, elle ne date ni de la grande guerre, ni de l'avènement du monde moderne, elle a été, dans tous les temps, exercée dans des cercles plus ou moins vastes, toujours fort étendus, débordant toujours, et de beaucoup,  les frontières des nations. Enfin, les intérêts industriels et commerciaux n'ont pas la seule vertu d'unir, ils séparent aussi : ils partagent, parce qu'ils se partagent, ils divisent parce qu'ils sont divisibles, et c'est justement leur aptitude à la division qui engendre inévitablement les conflits. On se bat pour eux, à cause d'eux, comme on s'embrasse et comme on s'aime également pour eux. Comment le Cardinal ne le voit-il pas ? Il y a là plus qu'une erreur de raisonnement, c'est l'erreur de jugement qui est flagrante, mais d'autant plus surprenante que nous la trouvons sous la plume d'un membre élevé de la hiérarchie catholique. Comment dix évêques, cent prêtres, mille séminaristes n'ont-ils pas déjà répondu à Son Éminence par le magnifique chant de la Divine Comédie où se trouve expliquée la distinction scolastique entre ces biens matériels, si essentiellement divisibles (et diviseurs), et les biens spirituels qui, au rebours du pain quand on le coupe, se multiplient quand on les partage ?

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    Domenico di Michelino, cathédrale de Florence
    Dante présente son ouvrage ouvert et se tientdevant le paysage symbolique de la divine comédie.
    A gauche, il y a
    l'Enfer, au fond, le Paradis à droite, la ville de Florence

                 Ce sont précisément les biens de l'unité spirituelle qui sont en baisse dans le monde moderne. Ils ont baissé avec Photius au IXème siècle, ils ont baissé encore avec Henri VII, Luther et Calvin, ils ont diminué encore avec la Révolution française et la propagande de la maçonnerie universelle, si vive, si profonde, que le sens des mots du langage, ce dernier lien des hommes, est allé s'obscurcissant, à peu près comme aux jours de Babel, - et c'est devant l'immense diminution de tout ce qui est lien spirituel qu'un prince de l'Église nous propose, non comme un désir, non pas même comme un espoir, mais comme certaine et prochaine la perspective de l'unité du genre humain !

                 Encore une fois, libre à lui ! Ce dont il ne me semble pas qu'il puisse âtre libre, c'est d'user d'autorité pour imposer de telles offenses aux plus sanglants résultats de l'expérience, aux plus amers retours de la réflexion désintéressée. Les intérêts publics les plus sacrés doivent en souffrir.

                 Je repense souvent à un petit livret d'histoire de l'Église qui me fut remis entre les mains il y a plus de cinquante ans. Je vois encore la page où l'épiscopat du XVIIIème siècle est blâmé d'avoir substitué, dans l'œuvre pastorale, aux instructions sur le dogme et sur la morale, les développements physiocratiques sur l'agriculture et sur l'économie. L'auteur, un jésuite, déplorait comme une déchéance cette fâcheuse transposition des fonctions et louait même un archevêque de Paris de s'être soustrait à la mode. Il s'appelait Christophe de Beaumont, si je ne me trompe.

    (Action française, 21 octobre 1932).

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  • Echéances sans surprise

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le numéro d'été de Politique Magazine - juillet/août 2011, n°98)

     

     

    La vie politique française a l’art de créer des « suspenses » dérisoires. Martine Aubry va-t-elle présenter sa candidature ? Et Jean-Louis Borloo ? Etc… À quand la vraie, la divine surprise ?

     

     

            Les échéances républicaines se succèdent. Elles revêtent l’apparente consistance d’attentes qui en réalité n’en sont pas. Faux suspenses ! Il se crée ainsi des angoisses collectives fictives qui provoquent des halètements journalistiques dont le rythme saccadé suggère une plénitude de vie et d’action chez les héros de ces imaginaires décisions. Le monde politique et médiatique s’enivre de cette effervescence artificielle que lui- même suscite et qui n’est qu’agitation dans le néant.

     

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            Ainsi Martine Aubry. Elle ne pouvait faire autrement que de se présenter aux primaires du Parti socialiste. Si c’est Hollande qui les gagne et qui l’emporte lors des élections présidentielles dans moins d’un an, elle sera au moins ministre. Tel est le jeu. Dans le cas inverse, eh bien, ce sera tout simplement l’inverse. Hollande aura sa place toute trouvée dans le gouvernement désigné par Aubry ! Quelle attente dans cette comédie de pouvoir ? Aucune. Et qu’est-ce qui changera dans la vie politique ? Assurément rien.

            Il est probable que Martine Aubry, malgré ses airs résolus et tragiques, ne sait même plus si elle désire la présidence, ni même si elle souhaite vraiment un haut poste dans une fonction gouvernementale. Elle est assez intelligente et informée pour, en dépit de sa violence idéologique, savoir que le programme de son parti, concocté par elle-même, n’est qu’une théorie qui n’aura rien à voir avec la réalité de la faillite certaine qui s’annonce dès aujourd’hui, qu’il faudra bien « gérer » et que l’application dudit programme socialiste ne ferait, en tout état de cause, qu’aggraver.

     

    Où est la surprise ?

     

            Tous les socialistes d’Europe, les Grecs en premier, ont été condamnés à programmer eux-mêmes la rigueur économique la plus draconienne et à brader les richesses nationales au « gros argent » international et, encore, au prix bas du marché dans un contexte de liquidation générale. C’est là qu’ils se révèlent être ce qu’ils ont toujours été depuis presque deux siècles dans toute l’Europe : de médiocres bourgeois qui, pour eux-mêmes, n’ont jamais connu la misère ni cette privation du nécessaire qui est le lot de la classe populaire et des pauvres gens sans feu ni lieu. La politique n’est pour eux qu’un enjeu de carrière où la démagogie est la règle. Cette démagogie politicienne a toujours été le prélude à des désastres inéluctables, financiers, économiques, politiques, militaires et finalement sociaux, qu’elle entraîne immanquablement. Faut-il, pour le passé, rappeler les faits et les dates ? Et, pour l’avenir, faut-il imaginer le prévisible enchaînement des terribles conséquences des fautes accumulées depuis tant d’années ?

            Mais rien ne sert de rien : ils ne tirent même pas les leçons de l’histoire que l’Éducation nationale a réécrite à leur intention et à leur gloire. Ils sont tellement convaincus que, par principe et par nécessité, en vertu du dogme central de leur doctrine, ils sont les vainqueurs de l’histoire ! Avec pareille conviction, il leur est facile d’oublier qu’ils furent très concrètement les artisans des catastrophes.

            Aubry, Hollande, deux bourgeois, fils et fille de bourgeois – privilégiés de la nature, de l’éducation et même au départ de la grâce, comme tant d’autres de leurs « pareils » –, pourraient-ils échapper à leur sort ? La « normalité » recherchée de Hollande, si caractéristique de l’extraordinaire banalité de sa vie personnelle, ne fera que le jeter avec plus d’imprévoyance et de sottise dans le drame fatal. Mais, il est vrai, ce Chirac au petit-pied pourrait, tel un Albert Sarraut de la Ve République, traverser les pires crises sans même les voir venir et s’en sortir toujours indemne… Cependant, Chirac et Sarraut étaient des habitués des gouvernements républicains, expérience qu’Hollande n’a pas et qui peut lui faire défaut pour surnager à tout. Là où des Sarraut, des Chirac et tant de leurs congénères s’en sortent en flottant entre deux eaux, un Hollande se noiera ! 

    Pari pris.

     

     

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     "...Le drame financier qui se noue de plus en plus nettement et qu’aucune astuce de rééchelonnement réel, artificiel ou supposé, ne saura dissimuler longtemps, se doublera en 2012 d’une crise institutionnelle...."

     

     

            Et le reste à gauche ? C’est du même tabac. Chacun revendique sa place, même et surtout dans l’Écologie. Il n’y a là que des politiciens qui tous raisonnent en politiciens avec des mots de politiciens, y compris les Montebourg et les Mélenchon. Gagner des voix, voilà le but, et les voix seront ensuite monnayées et à bon prix ! Que de vains discours, que d’attitudes inconséquentes qui ne trouvent leur raison que dans ces marchandages pitoyables. Le malheur français peut être propice, n’est-ce-pas, aux avancées électorales…. Alors, pas de scrupule, politique politicienne oblige : le régime commande. Personne n’en est maître, surtout pas ceux qui en vivent et qui, de plus, s’imaginent gouverner. Ils jouent une partition. Grotesque. Et, plus elle approche de la fin qui s’annonce, de plus en plus grotesque. Et, eux, plus ils se prennent au jeu, plus ils perdent conscience de la sinistre réalité de ce jeu dérisoire. Et si l’intérêt du jeu faiblit, les voilà les premiers à dénoncer ces ridicules chansons politiciennes qui leur sont si familières.

            Qu’aurait pu être la bonne surprise ? S’il y avait eu surprise ! Eh bien, que Martine Aubry, ou l’un quelconque de ses autres camarades, expliquât la dure réalité française, avec des sentiments de gauche si c’était son tempérament, mais qu’elle ou qu’il eût aussitôt le courage de dire que la situation était si grave qu’aucune formule politicienne, même de gauche, ne pourrait y pourvoir. Qu’en conséquence elle ou lui prenait le risque de n’annoncer sa candidature que pour mieux dire aux Français qu’il n’y avait plus de solution dans le régime tel qu’il fonctionnait. Qu’il convenait, dans l’intérêt de tous, de remettre la charge suprême de l’État dans les seules mains légitimes de celui qui n’a d’autre finalité dans son être, sa nature, sa famille, son avenir, que de continuer l’histoire parce qu’il s’identifie à l’histoire elle-même. Et il serait facile d’ajouter, pour rassurer les esprits incertains, que non seulement la représentation nationale n’en souffrirait pas, mais que, sortie de l’ornière de la lutte stérile des partis, elle pourrait enfin trouver dans les réalités précises des populations, des territoires et des intérêts concrets des Français avec qui elle est censée être en adéquation, une nouvelle et heureuse légitimité. Dans son ordre à elle ! Ce serait si simple, ce serait si clair.

            Et à droite ? Il en est de même. Nicolas Sarkozy réfléchit-il ? Perpétuel acteur du rôle qu’il s’est lui-même créé ! Tant d’énergie dépensée pour quoi ? Finalement pour quoi ? Il va nous expliquer à partir de maintenant qu’il a sauvé la situation en

    2008 et qu’il ne peut y avoir que lui pour la sauver encore en 2011-2012. Que les réformes sont à moitié faites et qu’il faut donc les finir et qu’il sait, lui, où il convient de porter les efforts et de placer l’argent public. A aucun moment il ne conçoit que les finances qu’il croit sauver, ne s’en portent que plus mal par la suite par un effet mécanique dont aucun volontarisme – même le sien – n’est le maître. Ni, non plus, il ne comprend que, par les mêmes effets mécaniques, le régime qu’il essaye d’améliorer ne connaîtra, en fait, de ces prétendues améliorations qu’un état empiré de fonctionnement. Même avec les meilleures réformes et les meilleures intentions ! C’est le constat que tous les esprits libres portent aujourd’hui. Y compris dans la majorité présidentielle… Mais, de là à le dire… Eh bien, là aussi, ce serait la vraie surprise : un discours de vérité qui irait enfin à l’essentiel et non plus ces boniments de foire électorale où Jeanne d’Arc invoquée, comme il se doit, pour rallier les voix de droite viendrait sauver… la République ! La chose publique en France, répond la vraie Jeanne d’Arc, l’éternelle Française, a besoin du Roi. Et, elle, elle l’a fait ; c’est même l’essentiel politique qu’elle a fait…. Alors, la surprise ? …Ce serait enfin d’entendre sa vraie, son unique leçon !

            Et le centre introuvable ? Les centristes sans centre de gravité ? Tous ceux qui ne se veulent ni de droite ni de gauche mais qui, pourtant, par esprit partisan impénitent, ne sont capables que de concevoir un parti de plus ! Tout ça pour satisfaire leur envie qui n’est jamais, pour eux tous, qu’ils le veuillent ou non, qu’une ambition personnelle. Comme les autres. Ni de droite, ni de gauche, soit, mais alors qu’ils fassent le Roi ! Chiche ! Ça, ça serait la vraie surprise… Sinon, c’est d’une effroyable banalité. Et l’échec est assuré.

            Reste Marine Le Pen. Ça ne sert à rien de la traiter de « populiste ». Elle engrange des voix, beaucoup plus que les officiels ne le disent. Elle seule, avec le pugnace Dupont-Aignan, s’offre le plaisir et offre le plaisir aux Français de dire aux journalistes du monde officiel leurs quatre vérités. Elle décrit la crise. Et les autres, en ce domaine, ne font que la répéter. Mais pas plus que les autres, elle n’a de solution. Entendons : de solution de fond. La vivacité de la répartie ne saurait combler le défaut institutionnel. Ah, la vraie, l’heureuse surprise serait d’entendre un jour dans un discours électoral l’aveu simple et honnête de l’inefficacité du régime et, à la vérité, de son imposture et de sa malfaisance.

            Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, il ne pourra pas gouverner. Il n’en aura ni les moyens ni la possibilité. 

    Que seront les législatives qui suivront ?

            Le drame financier qui se noue de plus en plus nettement et qu’aucune astuce de rééchelonnement réel, artificiel ou supposé, ne saura dissimuler longtemps, se doublera en 2012 d’une crise institutionnelle. C’est écrit dans ces colonnes de manière précise et régulière depuis quatre ans et même depuis huit ans. 

            Cette crise sera telle que le pouvoir en sera ébranlé. Avenir, justice, unité, sûreté, voilà les mots-clefs de leur campagne électorale à tous – quel qu’il soit –, déjà commencée. Or, ces mots qui répondent à un besoin pressant, appellent autre chose que le régime actuel. Dans leur arrière-cortex, tous ces futurs candidats doivent bien en avoir quelque idée !

            Ah, si une heureuse surprise, une « divine surprise », comme disait le poète… Est-ce trop demander ? ■

  • L'identité française, par Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars (texte intégral, non censuré.....).

               Golias s'est déchaîné contre le texte que Mgr Bagnard a publié sur le site de l'évêché de Belley-Ars. Le qualifiant de "propos scandaleux" la revue renvoie ses lecteurs à son n° 107, dans lequel un petit billet traitait de l'identité nationale. Dans le-dit billet on retrouve tous les poncifs les plus éculés d'une gauche et d'une extrême-gauche qui n'inventent plus rien depuis bien longtemps, et qui vivent sur la rente de situation qu'elles ont hérité en 1945: d'un côté, c'est rassurant....

               Dans ce billet fourre-tout, on tape sur "les centres de rétention et expulsions par charter", la "vision utilitariste de l’immigration, version relookée de l’esclavage, et le recul du droit d’asile", on prétend que les écoles sont "en danger" et qu'avec "son"débat le président Sarkozy "abolit la République et les principes qui la fondent"! Rien que ça ! Bref, du grand délire et du grand n'importe quoi, qui devient carrément du grand Barnum lorsque la revue ose écrire Et si l’histoire se répétait sous une autre forme ?, en évoquant Vichy et la collaboration, référence passéiste obligée de ceux dont les horloges mentales se sont arrêtées en 1945.

                Dans son innommable fourre-tout, chef d'oeuvre de mauvaise foi et de mauvais esprit, Golias feint évidemment de ne pas savoir ce que tout le monde sait: qu'il y a eu autant, voire plus, de collabos à gauche qu'ailleurs, et qu'il y a eu autant, voire plus, de résistants -et plus tôt...- ailleurs qu'à gauche.... Mais bon, on ne va pas chercher à convaincre ceux qui vivent depuis si longtemps sur le mensonge et du mensonge.

                Par contre, puisque Golias qualifie de "scandaleux" l'article de Mgr Bagnard, il est juste et honnête de lui donner la parole, et de laisser les lecteurs juges: qui est scandaleux ?.... 

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    L'identité française, par Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars

     

    Si l’on s’interroge sur l’identité nationale, c’est que l’on ne sait plus ce que l’expression recouvre exactement. La cause en est due d’abord à l’impact de l’Europe sur notre pays ! En devenant membres de l’Union européenne, les Français voient plus ou moins s’effacer le sentiment de leur appartenance à la nation. De ce fait, la notion de nationalité, sans vraiment disparaître, passe au second plan. On se dit facilement citoyen de l’Europe et même parfois, plus radicalement encore, « citoyen du monde ». Que devient alors le lien qui unit à son propre pays ?

    L’une des autres causes qui entoure d’un brouillard l’identité nationale, c’est l’arrivée dans notre pays d’un grand nombre d’« étrangers ». Un seul exemple : quand l’équipe de football qui défend les couleurs de la France se présente avec une majorité de joueurs d’origine africaine dans ses rangs — ce qui n’est en rien critiquable, bien entendu ! — on se pose la question : « Que veut dire exactement l’expression : “équipe de France” ? »

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    On "appréciera" l'obligatoire réserve/précaution indispensable face au conformisme ambiant et à la police de la pensée, qui veille:

    "ce qui n’est en rien critiquable, bien entendu !"

     

    Or c’est au moment où se brouille la conscience de ce que l’on croyait être jusqu’alors, que l’on s’interroge sur la réalité de ce que l’on était vraiment ! Qu’est-ce qui fait que l’on est français ?

    L’histoire se reçoit

    À n’en pas douter, l’un des chemins qui ouvre à l’identité nationale passe par l’histoire. C’est dans l’héritage reçu des siècles que se reflète le visage d’une nation. « Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu ? » Que pourrions-nous dire de nous-mêmes et de notre pays si, faute de mémoire, nous ne parvenions pas à nous situer dans le prolongement d’une histoire ? Ce serait le silence ou l’arbitraire d’une parole tirée de l’immédiat !

    Ainsi, comme évêque de Belley-Ars, je ne peux pas ignorer que la présence d’un évêque, identifiée avec certitude par l’histoire dans la ville de Belley, remonte à l’an 412. Il s’appelait Audax. L’évêque actuel est le centième d’une lignée qui en compte quatre-vingt-dix-neuf avant lui. Ainsi, depuis seize siècles, le christianisme est présent — de façon organisée — sur notre région. Comment, sur une aussi longue durée, l’Évangile n’aurait-il pas façonné le comportement de ses habitants, leur mode de pensée, leur culture, leur vision de l’existence ?

    Une donnée de fait

    On peut discuter sur le bien fondé de cet impact, mais on ne peut contester les données objectives de l’histoire. Les traces de cet héritage sont là sous nos yeux. Il suffit de voir « ce long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays pour comprendre que les valeurs chrétiennes ont dû quand même y jouer un rôle », déclarait Nicolas Sarkozy, le 13 décembre 2007. Pourquoi s’en excuser ? Pourquoi s’en défendre puisque nous sommes tout simplement devant une donnée de fait ?

    La culture issue de cette imprégnation des siècles est si profondément enracinée qu’elle est devenue comme une seconde nature ; elle fait si bien corps avec chacun d’entre nous qu’elle a ce grave inconvénient de ne plus s’interroger sur les origines où elle a puisé sa sève.

    Jean-Paul II avait justement osé dire au Bourget, le 1er juin 1980 : « On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont là des idées chrétiennes. » S’interroger sur l’identité nationale, c’est donc retrouver le chemin des origines et les assumer comme un creuset qui, au fil des siècles, a forgé l’identité de notre pays.

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    Double CD contenant les discours des 6 Voyages Pastoraux de Jean-Paul II en France,
    entre 1980 (Le Bourget) et 1997 (JMJ)


    Cette interrogation conduit à reconnaître que l’un des facteurs majeurs de cette identité, c’est bien le christianisme. Nicolas Sarkozy avait dit au Latran : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes... Une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux, de son histoire commet un crime contre sa culture. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. »

    Un référentiel fondamental

    Il est vrai que le siècle des Lumières a contesté cet héritage, mais il en est resté, malgré lui, profondément imprégné. Le cadre mental dans lequel il exprimait ses « idées nouvelles » continuait à s’alimenter souterrainement à la Source qu’en surface il rejetait !

    Sans ce référentiel fondamental, il n’aurait pas pu élaborer la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’un des principes fondamentaux est le respect dû à tout être humain. Car tous les hommes sont égaux en dignité. Chacun a donc le droit d’être reconnu pour lui-même, qu’il soit croyant, non croyant, libre penseur, etc.

    Et justement, l’esprit de la laïcité s’engage à réunir les conditions permettant aux croyants et aux incroyants de vivre ensemble, la base de cette convivialité étant le respect de la conscience de chacun. Nous sommes typiquement devant la version séculière du message évangélique !


    Interroger l’islam

     

     

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    Aussi quand, sur l’horizon qui nous est familier, surgissent d’autres cultures — issues d’autres religions — nous nous interrogeons légitimement sur leur compatibilité avec notre propre identité nationale. Et c’est aussi l’occasion d’avoir une plus claire conscience de ce que veut dire être français. Au nom de cette identité, nous interrogeons l’islam. Accepte-t-il, dans les faits, la liberté de conscience ? Intègre-t-il, dans le champ social, l’égalité entre l’homme et la femme ? Le respect des consciences va-t-il jusqu’à accueillir le changement de religion sans crainte de représailles ? Peut-on être tranquillement adepte d’une autre religion dans un pays musulman ? Si la réponse est « oui » pour tel pays, et « non » pour tel autre, alors y a-t-il un organisme officiel qui définit la juste pensée de l’islam ? Où se trouve la véritable interprétation ? Le Français a besoin de le savoir au moment où son pays accueille cette culture sur son territoire et cela au nom de l’identité nationale.

    Car voici, par exemple, ce que je lis sous la plume d’un père jésuite égyptien, le Père Boulad, bon connaisseur de l’islam : « Quand un musulman me dit : l’islam est la religion de la tolérance, je lui réponds : parmi les 57 pays musulmans de la planète, cite m’en un seul où la liberté religieuse existe. Si bien que le non-musulman n’a pas sa place. Il est toléré, tout juste, comme dhimmi, mais à part ça, non. La tolérance, pour l’islam, c’est que vous êtes toléré comme citoyen de deuxième zone en tant que chrétien ou juif. Mais en dehors de ça, si vous êtes bouddhiste ou hindouiste, vous n’êtes plus toléré. Vous êtes un kafir, c’est-à-dire carrément un apostat, un impie. [...] »

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    N’est-ce pas le rappel de l’exigence d’un dialogue en vérité, au moment où l’on s’interroge sur l’identité nationale ? Et cette exigence dépasse largement la discussion sur la hauteur des minarets, même si celle-ci est à prendre aussi en considération.

    + Guy-Marie Bagnard,
    évêque de Belley-Ars

     

     

     

    17 décembre 2009.

  • La reconnaissance de l’identité française, par Jean-François Mattéi

                Dans la livraison de janvier de Magistro ( www.magistro.fr ) Jean-François Mattéi revient sur le thème de l'identité française. Vous avez été nombreux à apprécier les extraits que nous avons proposé sur ce Blog de son ouvrage magistral (puisqu'on parle de Magistro !...), Le Regard vide. Essai sur l'épuisement de la Culture européenne.

                Vous retrouverez la même hauteur de vue, et la même profondeur de l'analyse, dans le texte qu'il a confié à Magistro, et que nous reproduisons ci-dessous...

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    Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.

    La reconnaissance de l’identité française, par Jean-François Mattéi

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                Commençons par écarter les malentendus et dissiper les hypocrisies.

                Les adversaires du débat sur l’identité française dénient toute pertinence à la question posée en la jugeant infondée, illusoire ou dangereuse. Ils ne font ici que justifier doublement ce même débat. D’une part, en y participant par leur opposition, ce qui relève de la définition du débat d’idées. D’autre part, en montrant, par leurs réticences, sinon leurs craintes, que ce débat est d’autant plus nécessaire qu’ils ne savent plus ce qu’est l’identité française, ou, plus encore, qu’ils s’en désintéressent. Or, l’identité d’un peuple manifeste l’acte politique par excellence, celui que Rousseau appelait, dans une formule précisément identitaire, "l’acte par lequel un peuple est un peuple". Que cet acte fondateur et permanent soit aujourd’hui oublié par ceux qui, pourtant, tirent leur identité de citoyen de l’identité nationale, témoigne, par son paradoxe, de la nécessité de s’interroger sur lui.


                Aux yeux des censeurs, il est interdit de soulever la question de l’ "identité nationale" comme si l’alliance de ces mots était blessante pour les autres identités. On notera pourtant que ceux-là mêmes qui dénient aux Français le droit d’affirmer leur identité, ou simplement de s’interroger sur elle, se montrent plus tolérants à l’égard de l’identité des autres. On salue avec respect la culture des peuples différents des Français pour mieux critiquer la culture française qui sert de repoussoir avant d’être niée. Ainsi entendait-on récemment Madame Martine Aubry tancer le Président de la République qui "fait honte à la France" parce qu’il aurait instauré un "débat malsain". Or, selon Mme Aubry, "l’identité de la France n’est pas ethnique, pas religieuse, pas culturelle", mais c’est "l’appartenance à des valeurs communes". C’est déjà admettre qu’il y a bien une identité de la France. Mais d’où proviendraient ces valeurs partagées si elles ne sont ni naturelles, c’est-à-dire données par la race, ni culturelles, c’est-à-dire acquises par une histoire commune ?


                Il est vrai que la notion d’identité est délicate à appliquer aux sociétés humaines. Venues des mathématiques où elles se révèlent d’autant plus remarquables qu’elles résolvent les équations du second degré, les identités semblent concerner le seul monde des nombres. Dans l’ordre anthropologique, comme le montrait Lévi-Strauss dans son cours du Collège de France de 1975, l’utilisation de l’identité commence par "une critique de cette notion". La question "qui suis-je ?", en effet, pour un homme comme pour une civilisation, est aussi indécise que la question "que sais-je ?" En posant la dernière question, Montaigne n’avait pas d’autre prétention que de peindre en lui, non pas l’être, mais le passage. Il reste pourtant que Montaigne n’a jamais confondu son identité avec celle de La Boétie – "parce que c’était lui, parce que c’était moi" - et que Lévi-Strauss a reconnu que l’identité est "une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses". Ces choses ne sont pas minces si elles concernent l’être d’un homme, d’une société ou d’une civilisation.


                Il suffit de ne pas penser ce foyer comme une identité crispée, refermée sur elle-même, pour éviter qu’elle se fourvoie dans l’exclusion des autres. S’il nous est "indispensable", en revanche, de partager une identité sereine, c’est parce que, seule, la distinction de notre identité avec celle des autres peut assurer leur reconnaissance mutuelle. En d’autres termes, et c’étaient ceux de Montesquieu : à la question comment peut-on être Français ?, la réponse est nécessairement : comment peut-on être Persan ?  L’interrogation sur l’identité d’un peuple, et de sa culture, s’avère indissociable de l’interrogation sur l’identité des autres peuples, et des autres cultures. C’est une chose en effet bien extraordinaire pour un Français que d’habiter ce "foyer" identitaire qui s’est forgé à travers l’histoire à partir d’une myriade d’identités disparates, celte, romaine, franque, sarrasine, italienne, plus tard algérienne, portugaise, espagnole ou polonaise. La mosaïque française est formée de tesselles de diverses formes et de diverses couleurs dont chacune assure l’unité d’un dessin identique en s’intégrant en lui. Ce que ne reconnaissent pas les critiques de l’identité française, c’est que toute société, ou toute culture, est contrainte, du seul fait de son existence, à affirmer son être par opposition à celui d’autrui. C’est moins là un processus d’exclusion de l’autre qu’un processus d’inclusion de soi, lequel, paradoxalement, a besoin de l’altérité de l’autre pour assumer sa propre identité.

                Nul ne l’a mieux vu que Jean-Jacques Rousseau. En annonçant déjà Lévi-Strauss, il soulignait que toute société partielle, précisément parce qu’elle n’est pas totale, ce qui la rendrait totalitaire, se révèle différente de la grande, c’est-à-dire du genre humain. Et Rousseau d’énoncer cette phrase décisive qu’il justifie en mettant en cause ceux qui la récusent : "Tout patriote est dur aux étrangers ; ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux". Tout en notant que l’essentiel est d’être bon envers ceux avec qui l’on vit tous les jours, l’auteur de l’Émile concluait par ce conseil : "Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins". L’identité d’un peuple est donc réelle, lorsqu’elle est vécue librement sans se figer sur elle-même, à la condition, non pas d’exclure l’altérité, mais de la reconnaître comme une identité différente. Telle est l’étrangeté de la reconnaissance identitaire qui a besoin du regard de l’autre pour le tourner vers soi. Ce n’est pas là une identité de négation de l’étranger, mais bien une identité d’affirmation du national. La véritable négation serait plutôt celle de cette haine de soi, en laquelle Constantin Castoriadis, dans un article du Monde  du 9 janvier 1999, voyait "la forme la plus obscure, la plus sombre et la plus refoulée de la haine". Elle croit bon de nier son identité pour exalter celle d’autrui au détriment de leur reconnaissance réciproque.

                La polémique à propos de l’entrée au Panthéon d’Albert Camus est un nouvel avatar de ce déni d’identité. Il suffit que le Président de la République propose un transfert des cendres de l’écrivain pour que l’épouvantail d’une récupération politique soit brandi. Récupération de qui ? De l’extrême droite ? Le rédacteur en chef de Combat  aurait-il partagé les thèses du Front national ou d’un autre parti extrémiste ? L’homme de gauche serait-il devenu, parce qu’il préférait sa mère à la justice, c’est-à-dire la vie de sa mère à la justice du terrorisme, un homme d’extrême droite ? Cela ne tient guère. D’où viendrait alors la récupération ? Des Européens d’Algérie dont il faisait partie et qu’il n’a jamais reniés même quand ils l’ont critiqué, sifflé et exclu de leurs rangs ? Ce serait alors exclure, en même temps que Camus, toute une catégorie de Français dont on ne reconnaîtrait pas l’identité. En fait, le débat sur l’entrée de Camus dans un temple consacré à tous les dieux, en termes modernes, à l’universel, est révélateur de la méfiance à l’égard de l’identité française. Né d’un père d’origine bordelaise et d’une mère d’ascendance espagnole, Camus incarnait charnellement, par la générosité de son engagement comme par la fidélité de son enracinement, l’universalité de la culture française. Ce serait une amère ironie de l’histoire que l’auteur de L’Étranger qui vivait de toutes ses fibres l’étrangeté native de l’existence humaine ne puisse incarner, en reposant au Panthéon, l’identité de la France qui est celle de ses œuvres.

                Qu’est-ce que l’identité d’un Français ? Non pas seulement la connaissance de son passé et de ses traditions, comme il en va de toutes les sociétés et de tous les peuples, mais son identification quotidienne à ce qui mérite d’être identifié comme Français. C’est-à-dire son paysage (Vidal de la Blache disait que "la France est un être géographique"), son humanité (Michelet soulignait que si l’Angleterre est un empire et l’Allemagne un pays, "la France est une personne", et, par-dessus de tout, sa culture. La culture n’est pas un dépôt intellectuel, scientifique et artistique assoupi dans les bibliothèques, mais, comme l’indique son étymologie latine, du verbe colere, "prendre soin" (ainsi l’agricultura est le « soin de la terre »), le soin que l’on porte à ce qui est digne d’être soigné afin d'en d'en produire les fruits. Et les fruits de l’identité française sont, avec sa langue, ses œuvres auxquelles chaque Français s'identifie à tout instant, dès qu’il parle et qu’il agit. L’acte par lequel un peuple est un peuple, une personne une personne, et un citoyen un citoyen, n’est autre que ce processus constant d’identification aux œuvres que d’autres Français ont créées avant nous et que d’autres Français, s’inscrivant dans cet héritage, feront plus tard fructifier.
    "Comment peut-on être Français ?", s’étonnent ceux qui, pour se détacher de tout enracinement, n’acceptent plus de l’être. En évitant d’être le seul peuple qui, pour exalter l’identité des autres, croit nécessaire de répudier la sienne.

  • « Le procès de l’Europe » de Jean-François Mattéi, par Pierre de Meuse

    PdM AG DREUX 026.jpgJean-François Mattéi nous a donné il y a déjà trente mois un nouveau sujet de réflexion avec un livre intitulé « le procès de l’Europe ». La lecture de cet ouvrage est, comme toujours, pleine d’enseignements et même dispensatrice de plaisir. Jamais, en effet, on n’y trouve d’austères périodes, ni surtout de langage obscur ou ampoulé comme malheureusement de nombreux philosophes nous en infligent trop souvent le déchiffrement. Non, Mattéi parle en clair, dans un français hellénique, nous donnant sans cesse à penser avec le jeu des étymologies, un exercice que nous ont transmis les grecs, et qui révèle le sens des mots cachés sous l’acception commune. Parler avec élégance et naturel des choses graves et essentielles est le propre des grands esprits. Ils ne sont pas très nombreux par les temps qui courent. A l’érudition et la clarté, Mattéi ajoute le courage, puisque le sujet de son livre est  la culpabilisation de l’Europe et sa mise en accusation par la pensée dominante. A-t-on le droit de vouloir que l’Europe soit autre chose qu’un marché ou une expression géographique ? Peut-on être fier de son identité européenne alors que tant de penseurs, de Julien Benda à Bédarida, en passant par Frantz Fanon, pointent du doigt les crimes qui jalonnent l’Histoire de notre vieux continent, simple excroissance à l’extrémité de l’Asie ? Mattéi, non seulement se refuse à plaider coupable, mais réclame le non-lieu.  

    Avec sa connaissance exceptionnelle de la philosophie, notamment celle de Platon, mais aussi des sciences et de la musique, le philosophe montre comment la connaissance et la mesure du monde ont été possibles, non seulement par l’expérience de la main, comme l’ont fait toutes les cultures humaines, mais par deux inventions des grecs : la logique et l’abstraction, qui procèdent par généralisation et progression dialectique. Ainsi les Européens ont accumulé des inventions permettant de dominer la nature comme personne ne l’avait fait avant eux. Grâce à eux, selon Mattéi, le monde est devenu intelligible. De sorte qu’aujourd’hui, s’il existe encore des sciences et des musiques propres à certaines cultures, personne ne conteste que LA science et LA musique sont celles que les Européens ont conçues. Les fils de l’Europe ont créé un modèle universel de la raison et l’ont offert à l’humanité. Leur société, ouverte sur les autres et sur l’extérieur, a permis l’invention de l’humanisme. En effet, c’est l’Europe et l’Europe seule, éclairée par la pensée grecque et le christianisme, qui a imaginé que l’homme, l’homme en soi, pouvait exister. Et Mattéi d’égrener les étapes de cette naissance : de la Magna Carta à la controverse de Valladolid et aux bills of Rights, jusqu’à la déclaration des Droits de l’homme de 1948.mattei en attente.jpg

     

    Bien sûr, l’Europe a déraciné des cultures, au cours de ses conquêtes, mais elle ne fut pas la seule à le faire, ce qui est indiscutable, car toutes les cultures ont prospéré sur la ruine de celles qu’elles avaient dominées. De plus, ces cultures ne pouvaient pas survivre à  l’irruption d’une abstraction qu’elles n’étaient pas en mesure d’assimiler : « La vie de l’anthropologie européenne signe, quoi qu’on fasse, la mort des cultures indigènes. La voix de la nature s’éteint quand les signes de l’écriture apparaissent : le monde ne résiste pas à la prise du concept » (p.91). D’autre part, l'auteur estime que beaucoup ne méritaient pas de se perpétuer, à cause de leur cruauté ou leur brutalité, comme les Aztèques ou les Incas. Mattéi écarte donc l’accusation, qu’elle concerne la colonisation ou la traite, dont il souligne que ce n’est pas l’Europe qui a inventé l’esclavage, mais que c’est elle qui l’a aboli. Enfin, il montre que c’est aussi l’Europe qui a fait des autres cultures les objets d’un regard neutre et attentif, grâce à la distanciation, le « regard éloigné » dont parle Lévi-Strauss. A mesure que les langues et les légendes des pays conquis disparaissaient, les savants, plus tard les ethnologues les recueillaient pieusement et même amicalement.                                              

    Reste la question ultime, et la seule à notre avis, qui mérite qu’on la pose, car elle concerne notre survie : nous reste-t-il, à nous Européens, une identité qui nous soit propre ? Pouvons-nous espérer transmettre à nos enfants quelque chose qui n’appartienne à personne d’autre qu’à nous ? Mattéi répond, formellement oui, mais son argumentation attend encore quelques précisions pour être vraiment convaincante.  

    Le philosophe passe en revue les critiques de ceux qui refusent d’admettre que l’Europe possède une identité exprimée par une culture propre, qui la distinguerait radicalement des autres cultures. Ainsi, il donne l’exemple d’Alain Badiou, pour qui « l’Europe vide ou évide la pensée », Denis Guenoun : « le vide est son avenir positif » ; Ulrich Beck : « vacuité substantielle et ouverture absolue ». En bref, tous proclament que l’identité de l’Europe est impossible et que le seul destin de l’Europe est de devenir étranger à soi. On pense immanquablement à Lévi-Strauss qui se demandait ironiquement « comment nous métisser nous-mêmes ? ». Citant  Pierre Manent, Mattéi constate la permanence et la nocivité de cet interdit jeté sur l’identité de l’Europe.   

    Pourtant, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Si, comme le dit Mattéi, « la raison européenne s’est toujours identifiée à son ouverture vers l’Universel » (p.182), si la culture européenne n’est pas une culture mais une métaculture, alors elles ne nous appartiennent pas, et c’est à bon droit que les philosophes précités, quelle que soit parfois leur médiocrité, nous emprisonnent dans nos promesses inconsidérées. Si l’Europe est une Idée offerte aux autres hommes, de quel droit voulons nous l’accaparer dans notre chair ? En somme, le modèle universel de la rationalité peut il encore avoir une identité ? L’universalité du droit édifiée sur les modèles des Lumières est-elle compatible avec l’affirmation de ce qui nous est propre ? Et pour finir : peut-on encore se considérer comme une culture si l’on s’affirme comme une « culture supérieure », surtout si cette affirmation est acceptée par les autres cultures ? Les historiens savent que le peuple qui impose sa vision à l’empire qu’il a conquis perd toujours son particularisme.  

    Afin de répondre à cette question restée sans réponse valable, quelle que soit la forme sous laquelle on l’énonce, il convient de se demander si l’Europe ne s’est pas empoisonnée avec ses propres concepts. Elle a, nous dit l’auteur, créé le modèle d’une « société ouverte ». Peut-être trop ouverte, au point de détruire toutes les légitimes différences ? Elle a, poursuit-il, osé l’ouverture à l’ « homme ». Mais qu’est-ce que l’homme ? Croit-on qu’après avoir fabriqué un tel concept, il va rester sagement limité aux passions humaines communes, à la littérature ou aux fins dernières ? Et laisser intacts traditions, langues, religions et particularismes ? Et les Droits de l’Homme dont le Pape Pie IX disait qu’ils étaient « une monstruosité », non pas parce qu’ils sont des droits, mais parce qu’ils se prétendent attachés à l’homme. Souvenons nous enfin de ce fameux quolibet de Maistre : « l’homme, je ne l’ai jamais rencontré ! » 

    Osons nous demander, en espérant que notre éminent ami ne nous en tiendra pas rigueur, s’il ne conviendrait pas, au lieu d’accepter sans réserve tout l’héritage accumulé depuis l’École  de Salamanque jusqu’aux Lumières, de faire sécession de cette Europe mentale, incompatible avec notre survie, et de nous demander à quel moment les choses ont commencé à déraper. Une telle démarche nous permettrait, comme disent les juristes, d’accepter la succession « sous bénéfice d’inventaire ». Après tout avons-nous toutes les raisons de nous glorifier de notre cadeau de la raison universelle offert au monde ? Le voyageur peut constater aisément en visitant les pays de tous les continents,  que  le monde s’enlaidit à mesure et à proportion de son européanisation. C’est le visage hideux de la modernité, certes, mais comme le montre Mattéi, c’est notre œuvre.                      

    Or, de Vico à Herder, à Maistre, Donoso Cortès et Spengler, nombreux furent les penseurs qui contestèrent et rejetèrent « l’idée d’une intelligibilité qui régirait aussi bien le monde que l’homme », refusèrent «  l’idée de raison universelle » et espérèrent « en finir avec l’idée linéaire menant l’humanité vers le progrès » (p.121). Avaient-ils tort, ou n’étaient-ils pas européens ?  

    mattei,europe,moderniteOsons aussi regretter que notre Europe contemporaine n’ait pas conservé comme les grecs classiques, à côté de leur philosophie, une poésie épique, qui façonnait les esprits et les volontés vers les vertus vitales. Osons déplorer encore que notre société ait perdu le sens du tragique, dont Mattéi nous dit qu’il « s’enracine dans le théâtre des Grecs plus que dans leur philosophie », ajoutant que «  c’est toujours cette dernière qui donne le la ».  

    N’allons pas jusqu’à souhaiter, comme Platon qui exigeait que les poètes restassent en dehors de la cité, réserver le même sort aux philosophes, afin que l’Europe, telle Ulysse « abandonne son nom de « Personne », Ουτις, lorsque le fils de Laërte aura retrouvé, avec la terre natale, son identité (p.93). 

    ___________________

    Jean-François Mattéi, Procès de l’Europe, Grandeur et misère de la culture européenne, PUF, 22 €, 264 p.

  • Société • « La grille idéologique des nouvelles féministes les empêche de se saisir des vrais combats »

     

    Par Eugénie Bastié 

    Le 8 mars a été célébré la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Simone de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens ? La philosophe Bérénice Levet déplore - dans un fort intéressant entretien donné à Figarovox [08.03] - qu'il soit devenu aveugle aux nouveaux dangers qui guettent la femme, et notamment le communautarisme islamique.      

     

    2960413950.jpgNous célébrons le 8 mars la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens, ou a-t-il au contraire accompli ses promesses ?

    Si le féminisme a encore un sens, ce n'est surtout pas celui que lui attachent les néo-féministes, tributaires d'une grille idéologique qui les empêche de se saisir des seuls vrais combats qu'il y aurait encore à mener. L'égalité et la liberté sont acquises pour les femmes en France. Comment peut-on encore parler, ainsi que le font certains, d'un fondement patriarcal de notre société ? Qu'est-ce qu'une société patriarcale ? Une société où la femme dépend entièrement de l'homme, une société où la femme est assignée à résidence et vouée aux tâches domestiques. Or, si ce monde n'est pas tout à fait derrière nous, si patriarcat il y a encore en France, il se rencontre exclusivement dans les territoires perdus de la République. Là, en effet, les principes d'égalité, de liberté, d'émancipation des femmes sont foulés au pied par les hommes. Là, en effet, certaines femmes sont maintenues dans un état de minorité. Mais ce ne sont pas nos mœurs qui sont coupables mais bien l'importation, sur notre sol, de mœurs étrangères aux nôtres. En sorte que si le féminisme a encore un sens, c'est en ces territoires qu'il doit porter le fer or les femmes qui ont le courage de se dresser contre le patriarcat, contre les interdits prescrits par les autorités religieuses, et dont les frères, les fils se font les implacables sentinelles, se retrouvent bien seules.

    En dehors d'Elisabeth Badinter, qui sait faire prévaloir l'exigence de vérité et le principe de réalité sur toute idéologie, qui ose nommer les seuls ennemis des femmes aujourd'hui en France ?

    Les statistiques sont là pour nous montrer que les inégalités salariales subsistent entre hommes et femmes. La lutte contre les stéréotypes permet-elle selon vous de réduire les inégalités réelles ?

    Ne nous laissons pas intimider par le discours ambiant et ces statistiques qu'on ne manque jamais d'exhiber - la seule arme capable d'impressionner à notre époque, disait Hannah Arendt - qui voudraient nous faire croire que les femmes restent d'éternelles victimes de la domination masculine. Vous parlez des inégalités réelles, mais en dehors des inégalités salariales qui en effet persistent, mais dont les femmes triompheront sans tarder et sans qu'il soit nécessaire qu'une quelconque loi intervienne, quels autres exemples pourriez-vous invoquer ? Aucun. Les dernières élections municipales à Paris mettaient aux prises trois femmes et c'est Anne Hidalgo qui dirige la capitale. Qui a été élu à la tête de l'île de France lors des élections départementales de décembre 2015 ? Valérie Pécresse. Le seul parti politique qui puisse s'enorgueillir de gagner des électeurs est dirigé par une femme, Marine Le Pen et a pour figure montante sa nièce, Marion Maréchal Le Pen. Qui préside à la destinée de France-Culture, de France 2 télévision ou de la Ratp ? Respectivement, Sandrine Treiner, Delphine Ernotte, Elisabeth Borne. Qui vient d'être nommé à la direction du Centre Européen de Recherche Nucléaire ? Fabiola Gianotti. Il faut donc en finir avec cette rhétorique féministe de l'assujettissement.

    L'expression « inégalités réelles » que vous avez employée m'évoque la dernière trouvaille sémantique de notre président de la République qui excelle en ce domaine. A la faveur du dernier remaniement ministériel, le chef de l'Etat a ainsi créé un secrétariat d'Etat à l'égalité réelle - on se croit revenu au temps du marxisme et du combat contre l'égalité formelle, il est vrai que François Hollande doit donner des gages à l'aile gauche de son parti et à ses satellites.

    Il semble que l'objectif primordial des féministes soit de « mettre la femme au travail » et de lui faire réussir sa carrière. La femme qui n'exerce pas de profession pour éduquer ses enfants appartient elle au passé ?

    Tout porte à le croire tant la femme au foyer est aujourd'hui dévalorisée socialement. Les femmes y ont-elles gagné en troquant une injonction contre une autre ? Hier, assignées au foyer, aujourd'hui sommées de travailler…Qu'on me comprenne bien, je ne milite en aucune façon pour un retour des femmes dans la sphère domestique, l'indépendance économique est une immense conquête, elle est la condition même de la liberté. Mais cela ne doit pas nous interdire de nous interroger sur les conséquences quant à l'éducation des enfants, de ce désinvestissement par les deux sexes de l'espace familial.

    Avec la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils font entrer l'enfant dans un monde, c'est-à-dire dans un monde vieux, qui le précède, un monde de significations qu'il faut lui transmettre, lui donner à aimer. Il convient donc de l'y escorter, or, requis par leur carrière, leur épanouissement personnel, les parents se sont délestés de cette tâche. « Les parents modernes, écrit le grand sociologue Christopher Lasch, tentent de faire en sorte que leurs enfants se sentent aimés et voulus ; mais cela ne cache guère une froideur sous-jacente, éloignement typique de ceux qui ont peu à transmettre à la génération suivante et qui ont décidé, de toute façon, de donner priorité à leur droit de s'accomplir eux-mêmes ».

    La crise de la transmission est telle et la déréliction d'une jeunesse abandonnée à elle-même devient si éclatante, que peut-être y aura-t-il un retour de bâton. Que les parents renoueront avec leur responsabilité de parents. Sinon mieux vaut renoncer à mettre au monde des enfants.

    Sous l'impulsion de l'idéologie du genre, il semble que désormais l'horizon du féminisme ne soit plus l'égalité mais l'interchangeabilité…

    Le féminisme s'est égaré en adoptant les postulats du Genre. En ratifiant ce petit vocable, en apparence inoffensif, qui s'est imposé afin de marquer une scission parfaite entre le donné biologique et anatomique (que prend en charge le mot sexe) et l'identité sexuée et sexuelle, qui serait purement culturelle (que désigne le mot Genre), le féminisme s'est littéralement désincarné. Rappelons en un mot l'enjeu de cette théorie. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir. Le Genre considère que l'auteur du Deuxième sexe est demeurée comme en retrait de sa propre intuition et en poursuit la logique à son terme : si l'on ne naît pas femme, pourquoi le deviendrait-on ? Si l'identité sexuée et sexuelle est sans étayage dans la nature, dans le corps, dans l'incarnation, bref si tout est culturel, pourquoi ne pas s'essayer à tous les codes, jouer de toutes les identités. Les partisans du Genre se grisent ainsi de l'obsolescence de l'identité ou de la « flexibilité sexuelle » (le Gender fluid) dont les grandes marques de luxe seraient les promoteurs au travers de leur collection de mode.

    Partant, éduquer différemment son enfant selon qu'il naît dans un corps féminin ou un corps masculin, transmettre les normes, les codes que notre civilisation attache à chacun des deux sexes est assimilée à de l'assignation identitaire, du « formatage ». Que l'humanisation de l'homme ait partie liée avec l'inscription dans une humanité particulière nous est devenu inintelligible, que ces codes, ces significations partagées cimentent une société, nous est indifférent. Le Genre travaille assurément à l'interchangeabilité des deux sexes mais plus énergiquement encore, à la désidentification. La nov-éducation, acquise aux postulats du Genre et promue par notre ministre de l'Education nationale, entend parachever un processus commencé dans les années 1970. Après la désidentification religieuse et la désidentification nationale, il s'agit désormais d'accomplir la désidentification sexuée et sexuelle.

    Les féministes ont tardé à s'indigner pour le scandale de Cologne. Au moment où éclatait l'affaire en Allemagne, elles se mobilisaient contre l'absence de femmes dans la sélection du festival d'Angoulême. Que révèle selon-vous ce deux-poids deux mesures ?

    Elles ont plus que tardé, elles sont demeurées muettes et quand elles sont sorties de leur silence, elles ont pris le parti de ne pas s'indigner, comme Clémentine Autain, ou alors à front renversé, à l'instar de Caroline de Haas qui a rageusement invité ceux qui avait l'outrecuidance de rendre publics les faits, à aller « déverser leur merde raciste ailleurs ». Ce deux-poids deux-mesures - qu'on se souvienne également du traitement réservé à Dominique Strauss-Kahn - révèle la déroute du féminisme, son incapacité à être au rendez-vous, son inutilité et son irresponsabilité. Une chasse ouverte aux femmes se produit au cœur de l'Europe, - 766 plaintes sont déposées à la police, dont 497 pour agression sexuelle - et les égéries du néo-féminisme restent impassibles.

    Leur mutisme tient d'abord, mais la chose a suffisamment été dite, au fait que les prédateurs étaient musulmans et qu'entre deux maux - la violence faite aux femmes et le risque d'alimenter le racisme, de « faire le jeu du Front National », - les néo-féministes n'hésitent pas un instant. Elles sacrifient les femmes. La barbarie peut croître, leur conscience est sauve : elles restent du côté de ceux qu'elles ont définitivement rangés dans le camp des opprimés, des réprouvés, des damnés de la terre.

    Leur résistance vient aussi, et ce point me semble décisif bien qu'il ait été peu ou pas relevé, de ce que ces faits les obligeraient à se désavouer elles-mêmes. De quel récit vivent-elles ? De celui de l'éternelle domination des femmes par les hommes. A les suivre, tout resterait à faire, l'égalité, la liberté ne seraient que formelles. Lorsque Kamel Daoud écrit: « Ce que je jalouse dans l'Occident, la seule avance qu'il a comparé à nous, c'est dans le rapport des femmes », elles doivent s'étrangler. Or, si ces événements nous révoltent, c'est pour leur sauvagerie, naturellement, mais non moins pour l'offense faite à nos mœurs en matière de relation homme/femme, des mœurs taillées dans l'étoffe de l'égalité et de la liberté, et notre art de la mixité des sexes : les femmes habitent l'espace public sans hantise de voir les hommes se jeter sur elles comme de proies.

    D'aucuns, comme Kamel Daoud ou Claude Habib, ont vu dans le réveillon cauchemardesque de Cologne le symbole d'un choc des civilisations. Partagez-vous ce constat ?

    Il faut le dire, ces pratiques barbares ne sont pas même d'un autre âge. L'Occident n'a jamais connu de telles mœurs. Jusqu'au XXe siècle, les femmes étaient certes en état de minorité juridique par rapport à leur époux, mais elles n'étaient pas de la chair livrée à l'hallali des hommes. Les hommes ont été « polis » par les femmes, ils ont appris à dompter le désir que l'autre sexe leur inspire, à emprunter tours et détours. Ils n'ont pas exigé que l'objet de leur concupiscence se voile de la tête au pied pour ne pas céder sans délai à la tentation, ils ont appris les règles de la galanterie. Et dans notre imaginaire, il n'est rien qui évoque les scènes décrites par les victimes de Cologne sinon L'Enlèvement des Sabines tel que peint par Poussin qui a su rendre magistralement les sentiments que les femmes allemandes ont dû éprouver le soir de la Saint-Sylvestre, cette peur panique qui s'empare des femmes prises au piège, dans un guet-apens. Bref, ces actes portent atteinte à l'un des biens les plus précieux de notre civilisation, la condition des femmes.

    Nos féministes ne veulent y voir qu'une version, paroxystique certes, d'une menace qui pèserait en permanence sur les femmes. Autrement dit la différence ne serait que de degré, nullement de nature. Or, si ces actes nous terrorisent au sens fort, c'est parce que nous savons qu'ils ne sont pas le fait de quelques hommes particulièrement brutaux et/ou avinés en cette nuit de Saint-Sylvestre, mais qu'ils sont pratiques communes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient dont ces hommes sont originaires. Ce type d'agression sexuelle de masse a un nom en arabe, Taharrush gamea .Le procès en islamophobie intenté à Kamel Daoud pour avoir eu le courage d'établir un lien entre les agressions sexuelles de Cologne et les mœurs dans lesquelles les agresseurs ont grandi est hautement significatif de la cécité et de l'irresponsabilité à laquelle l'idéologie confine.

    Oui il s'agit bien d'un choc des civilisations, et, ce qui me semble capital, rappel de ce que nous sommes une civilisation et une civilisation qui, après avoir été accablée de tous les maux, accusée de tous les péchés, n'a guère à rougir d'elle-même. Rappel également et spécialement sur ce chapitre des relations entre les hommes et les femmes, de ce que toutes les civilisations ne se valent pas.   

    Eugénie Bastié   

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie à l'Ecole Polytechnique et au Centre Sèvres. Son essai La Théorie du genre, ou le monde rêvé des anges, préfacé par Michel Onfray, vient de paraître en livre de poche.         

  • Culture & Société • Luchini : « Péguy, Zola, Marx et moi... Des cimes de la littérature aux mornes plaines de la politiq

     

    Par Vincent Trémolet de Villers    

    ENTRETIEN - Fabrice Luchini pose sur notre époque [Figaro - 31.01] le regard ébahi d'un exilé dans son propre monde. Tout l'accable, tout l'amuse et, quand il joint aux bonheurs de l'esprit l'acuité du moraliste, notre langue retrouve, comme par miracle, sa pureté cristalline et son propos nous captive. Luchini est un membre éminent de la cohorte grandissante des antimodernes. Et cela n'est pas indifférent pour l'évolution des idées, des esprits de la France contemporaine en crise aigüe. Quant au sujet de son prochain spectacle qui tourne autour de l'argent, est-il utile d'en souligner l'actualité ?  LFAR  

    Est-ce du théâtre, un spectacle, une conversation ? C'est une forme unique : la sienne. Depuis vingt-cinq ans, Fabrice Luchini monte en scène avec pour seule troupe les ombres de nos grands écrivains. Elles lui tiennent compagnie pour une profonde et jubilatoire polyphonie. Poésie ? *, son spectacle construit autour du Bateau ivre, triomphe depuis deux ans et vient d'être récompensé par un Globe de cristal. Au Théâtre du Montparnasse, ils sont près de huit cents, chaque soir, à venir l'écouter dire Rimbaud, Labiche et Céline.

    À la fin du mois de mars, en parallèle de ce spectacle, il débute une lecture autour de l'argent. Péguy, Zola, Marx, Bruckner tracent le profil de l'âme humaine sur le revers d'une pièce de monnaie. Ce sera au Théâtre des Déchargeurs**. Nommé aux César (catégorie meilleur acteur) pour son rôle de bourgeois burlesque dans Ma loute, le film de Bruno Dumont, le comédien poursuit inlassablement son travail sur la puissance du verbe.

     

    Vous entamez à la fin du mois de mars une lecture de textes autour de l'argent. Pourquoi l’argent ?

    La crise des subprimes est à la base de cette lecture. C'était en 2008. J'étais totalement traumatisé par cette crise financière. Je regardais C dans l'air quatre fois par semaine : on nous disait que c'était la guerre, qu'on était en 1929. Dans ce désastre, on voyait apparaître les économistes. On ne les avait jamais vus avant. Depuis, ils sont devenus des stars sublimes : Élie Cohen, Philippe Dessertine, Christian Saint-Étienne, Michel Didier, Bernard Maris. Ils disaient des mots incompréhensibles : « Fonds toxiques », « effet dominos » … Je voulais comprendre.

    Êtes-vous parvenu à comprendre ?

    Pas vraiment. J'appelle Philippe Dessertine, je l'invite à déjeuner. C'était rue de l'Abbaye. Dessertine me dit : « Tout se joue ce week-end » puis, il ajoute : « Heureusement, on a Musca. » Musca ? Je lui demande qui est Musca. C'est un génie, me dit-il, le secrétaire général de l'Élysée, il vole entre Berlin, Londres, Hongkong. Hongkong ! Je le relance sur les fonds toxiques. Il me dit : « Prenons un exemple, la Société générale. » Je blêmis. Je lui demande pourquoi il choisit cette banque. Il me répond que c'est un exemple. Je m'inquiète. Je sors de table pour appeler ma banque, la Société générale. Mon envie de compréhension de la macroéconomie disparaît : je ne pense plus qu'à mon assurance-vie. Je veux vider mon compte tout de suite, maintenant ! Si tous les Français avaient réagi comme moi, nous aurions eu une émeute. « L’argent rend fous les gens », c'est par ces mots de Jules Romains que je commence ma lecture. C'est une vérité indiscutable.

    Comment avez-vous construit cette lecture ?

    Pendant ces année-là, j'ai passé du temps avec Dominique Reynié et d'autres économistes à parler de ces sujets. Je voulais résolument faire un spectacle sur l'argent mais je ne savais pas par quel bout l'aborder.

    Pourquoi ?

    Un spectacle sur l'argent, c'est la fausse bonne idée. On ne peut pas circonscrire le problème. J'ai abandonné le projet. Je l'ai repris il y a quelques mois, en sélectionnant des écrivains qui abordent la question : Péguy, Guitry, Pagnol, Bruckner, Jean Cau… Il y a aussi un texte de Marx qui explique que l'argent vient compenser les impuissances. « Je suis laid », dit Marx, mais je peux avoir la plus belle dans mon lit, donc je ne suis pas laid. Ce qui est terrifiant pour Marx dans l'argent, c'est qu'il réconcilie tous les contraires et donc il déréalise toutes les vraies substances de la personnalité, de l'identité.

    Quel est votre rapport à l’argent ?

    Je n'arrête pas d'essayer d'objectiver ce que gagnent les gens que je vois. Ce qu'ils ont en TVA, en masse salariale. « Masse salariale » : c'est un mot que j'adore. « T’en es où au niveau de la masse salariale ?» Ça crée un contact, ça enclenche une conversation. On manque souvent de sujet de conversation. Si je déjeune avec Finkielkraut et qu'il me renseigne sur Heidegger, je ne lui parle pas « masse salariale ».

    Vous gagnez beaucoup d'argent…

    Je gagne très bien ma vie. J'ai certainement dû être très inquiet jusqu'à 35 ans. Pas tellement généreux. Je viens d'un milieu où le soir mon père terminait ses quinze heures de travail en comptant la caisse. C'était un acte ritualisé. Tout était éteint, il était 9 heures du soir et mon père comptait les pièces que lui avaient rapportées les salades, les pommes de terre, les carottes et les fruits. La caisse était au centre de notre vie. Je ne suis pas du tout né dans une famille de professeurs qui voteraient à gauche et qui trouveraient que l'argent est sale. Pour mon père, l'argent n'était pas sale. Nous habitions rue Bachelet et le soir il lisait en se collant à la fenêtre pour avoir la lumière du lampadaire de la rue, ce qui lui évitait d'allumer nos lampes. Ça faisait des économies.

    Et vous ?

    Je n'ai aucun mythe de l'abondance, du généreux qui invite. En revanche, je ne suis absolument pas avare. J'aimais énormément mon père, il avait tous les droits, mais aujourd'hui je suis allergique à l'avarice. C'est trop violent. Mon père avait une vraie cohérence dans l'avarice. Il ne voyait personne. Il n'avait aucun ami. Une fois, je lui montre deux personnes dans la rue et je lui dis : « Évidemment, vous ne vous invitez pas, mais tu leur parles au square, quand même ?» Il me répond : « Oh oui, c'est les seuls », et arrive cette phrase : « Ils sont aussi cons que nous. » Un silence. Il poursuit : « Ou disons qu'on est aussi cons qu'eux. » C'est du Schopenhauer !

    Au cœur de cette lecture, il y a un long extrait de L'Argent, de Charles Péguy…

    Péguy est la matrice de cette lecture. Pourtant, il était très loin de moi, Péguy. À tort. Je le plaçais à côté de Léon Bloy : le chrétien exalté complètement dément. J'avais une vague référence qui me revenait et qui disait que sa maman empaillait des chaises. Mon professeur Jean-Laurent Cochet répétait : « La paille en dessous était faite comme les cathédrales. » À part cela, je n'avais pas de rapport à Péguy.

    Alors pourquoi Péguy ?

    Pourquoi Péguy ? Parce que dans l'écriture de Péguy, il y a des ressemblances avec Bach. Pourquoi Péguy ? Parce qu'il y a chez lui une haine de la modernité et j'y suis toujours assez sensible. Il y a une langue, de la répétition : il faut aller dans le secret. Dans la tête de quelques-uns, Péguy, c'est poussiéreux, c'est la France moisie. Pour d'autres, c'est le socialiste, le catholique, l'héroïque défenseur de Dreyfus. Mais moi, je me fous des commentaires. L'écume, c'est le travail des intellectuels. Le mien consiste à rejoindre les courants profonds. J'essaye de remonter à l'origine. Comment on arrive à cette écume ? L'acteur doit être dans une innocence qui frise la bêtise. Avant de chercher à commenter Péguy, je cherche à retrouver ses rythmes, son humeur.

    Mais il y a une vision du monde chez Péguy…

    Disons qu'il n'est pas très « revenu universel », le Péguy. C'est même l'anti-Benoît Hamon puisqu'il ne cesse de dire que « travailler, c'est prier ». Alors que je n'ai ni la grâce ni la joie d'avoir la foi, je continue, par Nietzsche, de tourner autour du christianisme ; mais avec Péguy je reconnais qu'on entre dans quelque chose qui est de l'ordre du mystère. Écoutons cette voix qui remonte du fond des âges : « Nos vieux maîtres, nos bons maîtres n'étaient pas seulement des hommes de l'ancienne France. Ils nous enseignaient au fond la morale, je dirai même l'être de l'ancienne France. » Il continue : « Ils nous enseignaient la même chose que les curés et les curés nous enseignaient la même chose qu'eux. » Quand il décrit Paris, on dirait de la sociologie contemporaine : « La population est coupée en deux classes si parfaitement séparées que jamais on n'avait vu tant d'argent rouler pour le plaisir, et l'argent se refuser à ce point au travail. Et tant d'argent rouler pour le luxe et l'argent se refuser à ce point à la pauvreté. » En 1910, Péguy voit l'horreur de la financiarisation du réel !

    Qu'est-ce qui distingue une lecture d'un spectacle ?

    Une lecture n'impose aucune obligation de représentation théâtrale. L'exercice que je vais commencer sera un exercice austère, dans une salle minuscule, à peine 70 personnes. C'est une lecture écologique. Je minimise les émissions de CO2, je réduis mon bilan carbone.

    Vous en êtes à près de 300 représentations pour Poésie ? Comptez-vous arrêter le spectacle ?

    Je ne vais pas arrêter Poésie ? pour une raison simple : depuis une vingtaine de jours, je crois être un peu moins incorrect sur Le Bateau ivre. Tant qu'il y a de la demande, je n'arrête pas, et la demande continue. Manifestement, un certain public a encore le goût des textes de Molière, Rimbaud ou Céline. Et j'éprouve une grande joie à aller au Théâtre du Montparnasse.

    Comment expliquez-vous ce succès phénoménal ?

    Qui sait ce qui motive celui qui réserve son billet pour Poésie ? Si je suis optimiste, je songe à la belle formule de Yasmina Reza, qui me confiait à la fin du spectacle : « J’ai compris pourquoi je suis française. » Si je suis pessimiste, j'imagine que les spectateurs se disent : « Bon, il y a de la culture mais on ne s'ennuie pas. » Pourquoi les gens adhèrent-ils ? C'est un mystère. Dans le spectacle, j'essaye simplement de mêler ma petite vie à la grandeur de nos textes. Le miracle, c'est de faire un spectacle qui a de la drôlerie sans céder au fascisme de l'obligation du divertissement.

    Les spectateurs sortent enthousiasmés !

    Peut-être avaient-ils besoin de se retrouver dans notre langue…

    N'êtes-vous pas lassé ?

    Pas du tout. J'ai la chance de servir Rimbaud, Nietzsche, Molière. Est-ce qu'un interprète se lasse de jouer les Partitas de Bach ?

    Les politiques viennent vous voir. Comment jugez-vous la parole politique ?

    Délicat, comme question. Devenir orateur ou maîtriser l'art du récit demande des décennies. Cela fait trente-cinq ans que j'y travaille. La restitution d'un texte englobe une obsession quasiment mystique. Ce n'est pas avec quatre séances qu'un homme politique peut trouver son médium (qu'il m'arrive moi-même de perdre). Les rythmes, les sons, l’amplitude : là sont les vrais problèmes. Comment être ample sans être grandiloquent ? Comment être entendu pour produire l'écoute et comment ne pas crier pour ne pas produire l’inconfortable ?

    Vous lirez aussi du Jean Cau…

    Les portraits écrits par Jean Cau, ça frôle le Saint-Simon.

    Toujours antimoderne ?

    Toujours aussi insensible au concept de progrès. Quand il y a des discours merveilleusement emphatiques sur l'horreur de cette cochonnerie de société, j'y souscris. Notre société est absurde. L'Amérique a fait gagner un président simplement parce qu'il a fait le buzz sur une coupe de cheveux. Moi, en tant que coiffeur, la présence de Trump, avec sa mèche, ses cheveux qu'il a piqués à des singes en voie d'extinction, cela me pétrifie. Comment voulez-vous croire à la société ?

    Êtes-vous inquiet ?

    Entre le Chinois qu'a pas l'air marrant, Trump et ses cheveux délirants, Poutine et ses airs impénétrables, disons que je ne suis pas optimiste. Mais je ne l'ai jamais été. La seule question, dit Cioran, est la suivante : « Est-ce que l'homme était utile ?» Il raconte que dans les dîners mondains il partait toujours le dernier « parce que celui qui partait en premier, tout le monde le massacrait ». Ce n'était pas des gens méchants, c'était des gens gentils. Mais c'est comme ça, dès que quelqu'un part, « on se le fait ».

    C'est sombre…

    Il faut se méfier du pessimisme aussi. Il peut devenir une convention et un autre conformisme comme l'enthousiasme mécanique. Le pessimisme des écrivains que j'aime tourne parfois à la posture. C'est une autre doxa, un politiquement correct inversé.

    Il vaut donc mieux être Philinte qu'Alceste…

    Mon éthique de 2017 ? C'est pas la faute des autres et je ne juge personne

  • Culture • Quand Alexandre Astruc dialoguait avec Pierre Builly pour Je Suis Français ...

     

    Alexandre Astruc est mort le 19 mai dernier, il y a un mois ... En décembre 1981, il avait donné un long entretien au mensuel d'Action française Je Suis Français. Nous le reprenons aujourd'hui. Nous ne nous doutions pas, alors, qu'il était aussi proche de l'Action française, aussi lié aux milieux maurrassiens qu'on pourra - pour certains - le découvrir ici, dans ce dialogue avec Pierre Builly.  Lafautearousseau  

     

    Je Suis Français : Alexandre Astruc, je ne vous connaissais, comme tout le monde, que pour être un cinéaste connu, un des Pères de la Nouvelle Vague, et puis, un jour, en lisant votre roman « Quand la chouette s’envole », je suis tombé sur une page qui m'a étonné, dans laquelle vous écriviez, en parlant de votre héros, « il n’avait jamais lu une ligne de Maurras mais, bizarrement, c'était toujours avec les maurrassiens qu’il s’entendait le mieux ». Ces lignes m'ont mis la puce à l’oreille : j'ai lu vos autres livres, j’y ai trouvé la même résonance, le même son, les mêmes tendances. Je ne sais si votre fascination - ou, peut-être, votre tendresse - pour Maurras est marquée d'une stricte orthodoxie mais, en tout cas, j’ai trouvé en vous lisant un personnage dont je ne savais pas qu'il était tel, mais qui était … intéressé ? amusé ? fasciné ? par la Monarchie.

    Alexandre Astruc : Il s'est passé dans ma vie une chose extrêmement curieuse. J'ai été élevé dans un milieu de gauche : ma mère dirigeait un journal qui faisait partie des publications de Lucien Vogel, qui était le beau-père de Marie-Claude Vaillant-Couturier. Bizarrement, pendant l’occupation, je me suis mis à lire « Je suis partout » ; je n'adhérais évidemment pas aux idées de ce journal puisque je souhaitais ardemment la défaite de l’Allemagne. Un jour, en remontant la rue Soufflot, quelqu'un s'approche de moi et me dit : « Vous lisez Je Suis Partout ? ». Je lui réponds oui assez agressivement. Il me dit : « Nous sommes si peu ». Je lui indique qui il se trompe, que je ne suis pas un lecteur engagé. Je ne sais s'il m'a cru, mais cette petite aventure m'a marqué !

    Qu'est-ce qui vous intéressait dans « Je Suis Partout » ? La qualité de ses rédacteurs, les idées qu'ils développaient ?

    C'était d'abord la qualité littéraire - Brasillach. Rebatet - ­mais c'était aussi ... Comment dire ? La « forme » de gauche ne me séduit pas : je suis attiré vers la « forme » de droite. A la Libération, j’ai travaillé dans des journaux qui étaient — automatiquement — des journaux de gauche, comme « Combat ». On m'a envoyé couvrir le procès de Brasillach. J'ai été scandalisé, je l’ai dit et j’ai reçu une lettre d’Isorni qui m’a dit que Brasillach avait lu mon article dans sa cellule et qu'il me remerciait.

    Aujourd'hui, quand je fais le point, je m'aperçois que les amis qui me restent sont tous des gens qui viennent du maurrassisme, comme Michel Déon. Jacques Laurent ou Roland Laudenbach, mon ami le plus cher.

    En fait, mes réactions - que je ne peux justement pas dire ataviques — sont toujours des réactions classées à droite : j’ai réagi contre la perte de l’Indochine, contre la perte de l’Algérie ; je n'ai jamais été gaulliste. Actuellement, nous sommes dans un régime socialiste qui me fait peur. Vraiment, je réagis à droite.

    Votre attitude est due au mélange d'un droitisme épidermique et d'amitiés maurrassiennes.

    L'un et les autres sont évidemment liés. Mais je ne dois pas cacher qu'au cours de ma vie, j’ai eu, par moments, des attitudes d'extrême-gauche : lorsque Marcellin a interdit « La Cause du peuple », j'ai trouvé ça absurde et scandaleux. J’ai protesté dans la rue arec Sartre et je me suis fait arrêter — pour quelques heures.

    Avez-vous « conceptualisé » - quel mot pédant – ces « pulsions » - quel mot idiot - ou êtes-vous resté au stade viscéral ? Comment pourrait-on définir en quelques mots votre attitude et votre pensée politique ?

    Je pense que je suis un anarchiste de droite.

    Comme beaucoup d’écrivains ou d'artistes que nous avons rencontrés !

    Mais il faut que j'insiste sur le fait que, pour moi, la Révolution française n'est pas du tout positive.

    Il y a plusieurs acceptions du terme « droite ». Pour reprendre les thèses de René Rémond, il y a la droite orléaniste — qu'on pourrait assimiler, aujourd'hui, au giscardisme - la droite bonapartiste — est-ce le chiraquisme ? — et la droite légitimiste — le royalisme.

    J'hésite entre la droite légitimiste — dont je ne vois malheureusement pas comment elle pourrait accéder au pouvoir — et la droite orléaniste. J'ai soutenu Giscard et j’ai été atterré par son échec.

    Avez-vous soutenu Giscard ou plutôt combattu Mitterrand ?

    J'ai soutenu Giscard. Et j'ai été très choqué qu'une partie de la droite, dont mon ami Pierre Boutang, ait appelé à voter Mitterrand.

    Autrement dit, non seulement Mitterrand vous apparaissait comme quelqu'un de très dangereux mais, de plus, vous aviez de la sympathie pour Giscard. L'homme Giscard ? Les idées défendues par Giscard ?

    C’est difficile à démêler. J'ai une certaine sympathie pour l’homme, bien que je lui reproche beaucoup de choses, mais il y avait plus.

    Nous vivons dans une République. Je ne pense pas que le retour à la Monarchie soit possible. Dans cette République, moi qui n'étais pas gaulliste, qui n'ai jamais été socialiste, ni communiste, j'ai rencontré dans le giscardisme quelque chose qui me convenait.

    Plus que le chiraquisme ?

    Chirac représente effectivement ce qu'on peut appeler la droite bonapartiste. Or je crois que le bonapartisme conduit automatique­ment au fascisme, à la tyrannie. Tocqueville dit très bien cela. Je ne crois pas à l’égalité. Je crois à la liberté, qui était certainement plus protégée sous la Monarchie qu'elle ne l’est dans un régime issu du suffrage universel.

    Changeons de sujet. Je voudrais vous poser une question plus directement en rapport avec votre notoriété : vous n’avez plus tourné de films de cinéma depuis 1968. Est-ce là une décision ou un état de fait ?

    Ce n’est pas une décision. Faire un film est très difficile, vous savez ! J'ai eu la chance de faire un premier film, « Le Rideau Cramoisi » qui a eu un très grand succès de prestige. J'ai fait d'autres films qui ont eu un succès d'estime, mais dont aucun n'a réellement marché, et je me suis trouvé en face d'un vide : ayant du mal à faire un film, je me suis mis à écrire, chose à laquelle j'ai toujours pensé.

    Votre premier roman est d'ailleurs antérieur à votre premier film.

    Oui, mon premier livre date de 1945 et s'appelle « Les vacances ». Mais — nous quittons là complètement la politique — je me suis aperçu que j’étais trop jeune pour écrire, qu'il fallait que j'attende. Bernanos dit qu'on ne peut pas écrire avant 40 ans. Cet ainsi que pour moi c’est venu. J’ai commenté à rédiger « Ciel de cendres »...

    Qui a obtenu le Prix Roger Nimier. Mais vous avez tout de même continué à tourner, sinon pour le cinéma, du moins pour la télévision. Avez-vous rencontré dans ce domaine plus de facilités matérielles ?

    C'est un engrenage. J'avais envie de faire un « Louis XVI » — c'est certainement un penchant monarchiste — et j'ai proposé cette idée à Marcel Jullian, qui l’a acceptée. Puis, sur la lancée, j'ai fait plusieurs autres choses.

    Votre désengagement du cinéma ne concerne-t-il que vous ? Quelles sont les possibilités de créations d'un cinéaste français par rapport aux multinationales du cinéma ?

    Quand on voit le nombre de films de jeunes metteurs en scène qui sortent, on ne peut pas dire que le cinéma français soit étouffé par les multinationales.

    Sans doute. Mais vous faisiez un cinéma particulièrement français. Le fait même d'avoir adapté « Le rideau cramoisi », puis « Une vie » ou « L'Education sentimentale », c'est-à-dire de vous être référé à Barbey d'Aurevilly à Maupassant ou à Flaubert, d'avoir choisi des œuvres imposantes de notre littérature me parait une réaction très particulière. D'autres auteurs vont aller choisir des thèmes très cosmopolites — le roman policier, par exemple - qui peuvent se tourner pratiquement partout. Puis, vous avez été un créateur d'école, avec la caméra-stylo. La Nouvelle Vague...

    Il est certain que, lorsque j’ai décidé de faire du cinéma, automatiquement et tout naturellement, je me suis tourné vers la littérature française.

    Par goût, mais aussi, sans doute, parce que vous étiez Français.

    Oui, c'est vrai. A un moment, je me suis demandé si je n'allais pas essayer d'émigrer aux Etats-Unis. Je ne pense pas que ce soit pour moi possible. Je crois que je suis —bizarrement — trop français.

    Vous avez tourné Louis XI pour la télévision. Si vous alliez voir un producteur de cinéma en lui proposant un tel sujet, il ne marcherait pas. Or, la télévision l'accepte. Le cinéma permet-il aujourd'hui à un créateur de faire une œuvre profondément enraci­née ?

    Désormais, il faut faire des films à bon marché et prendre des sujets « dans le vent ». Tout ça ne me dit rien.

    Vous êtes plus ambitieux.

    C'est vrai. Mais attention ! J'ai la plus grande admiration — et sur ce point je suis en désaccord avec la pensée de droite — pour l'Amérique et le cinéma américain.

    Je ne vous cache pas que, dans nos colonnes, nous écrivons volontiers que si l’URSS est l’ennemi n°1, les Etats-Unis sont l'ennemi n°1 bis — on pourrait même intervertir cet ordre. Pour nous, le plus grand danger est la dépersonnalisation, l'homogé­néisation du monde, le règne des Mc Donald's, du Coca-Cola et de la planche à roulettes.

    C'est une discussion que j'ai déjà eue avec des royalistes. Pour moi, on ne peut mettre en balance le danger soviétique et le danger américain. Je crois que c'est absurde. Il y a d'un côté un danger réel, absolu, un danger de colonisation complète de notre territoire, un danger d’asservissement, et de l'autre côté, quelque chose qui se traduit dans des manières d'être sans doute agaçantes, mais finalement peu graves. J'irai plus loin : je trouve malhonnête de comparer les deux dangers.

    Nous pensons que l’impérialisme culturel américain a une très lourde part de responsa­bilité. Il est évident que ce que nous reprochons aux Etats-Unis n'est pas d'être les Etats-Unis, bien au contraire ; ce n'est pas d'avoir inventé le western, d'avoir Faulkner, Steinbeck ou Hemingway, Dos Passas, Lovecraft ou Edgar Poe. Ce que nous reprochons, c'est le cosmopolitisme exporté —    qu’ils le veuillent ou non — par les Américains. Car l'Amérique ne nous exporte pas Faulkner, mais la drogue, les sectes et la musique pop.

    Je crois que c’est là un petit bout du problème. J'adore l'Amérique et les Américains. Vous ne me convaincrez pas !

    Alors, abordons un autre thème. Dans vos livres, vous mettez dans la bouche d'Hector, un de vos héros favoris, ancien camelot du Roi, un peu cagoulard, giraudiste et antigaulliste, des paroles sur lesquelles je voudrais avoir votre sentiment : « les Allemands se trouveront muselés, mis en état de liberté surveillée, enserrés dans un réseau d'alliances et de traités militaires qui leur ôteront l'envie de recommencer de jouer les guignols. Enfin, il faut faire l'Europe ». C'est la conclusion d'Hector. Est-ce également la vôtre ?

    Si vous me demandez quel est le plus grand danger que court l'Occident, je répondrai que c'est la réunification de l'Allemagne avec la bénédiction russe.

    Nous sommes entièrement d'accord sur ce point-là !

    La pensée d'Hector, qui est de réarmer l'Allemagne, s'inscrit dans cette obsession.

    Vous parait-il absolument nécessaire que ! Allemagne devienne une alliée privilégiée, mais tellement enserrée dans des traités qu'elle ne puisse se réunifie

  • Histoire • Michel De Jaeghere par Mathieu Bock-Côté : un historien méditatif vu du Québec

     

    Par Mathieu Bock-Côté           

    A quoi sert l'histoire ? s'interroge Michel De Jaeghere dans La Compagnie des ombres. Le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté a lu le dernier essai du directeur du Figaro Histoire, une méditation autour de la permanence de l'homme à travers les siècles. Et il en tire lui-même une ample méditation d'où ni le legs de l'Histoire, ni le tragique de notre condition et de notre actualité ne sont absents. Mathieu Bock-Côté, parce qu'il nous paraît être, au sens de Baudelaire ou d'Edgar Poe, un antimoderne, nous est absolument proche.  LFAR 

     

    3222752275.jpgJournaliste de profession et historien de vocation, Michel De Jaeghere est une des plus belles plumes de la presse française. Auteur de nombreux ouvrages, parmi ceux-là, Enquête sur la christianophobie, La repentance, et plus récemment, du magistral Les derniers jours, qui revenait sur la chute de l'empire romain d'Occident, le directeur du Figaro-Histoire nous propose, avec La compagnie des ombres (éd. Belles Lettres, 2016), une méditation d'une érudition exceptionnelle sur un thème qui, manifestement, l'habite : à quoi sert l'histoire ? Au-delà de la simple passion encyclopédique qui pousse l'homme à accumuler les connaissances, que cherche-t-il en se tournant vers les époques passées, qu'elles soient très éloignées ou non dans le temps ? Qu'est-ce qui le pousse, inlassablement, vers des temps révolus qu'il ne connaîtra jamais que grâce au travail de son imagination ?

    Michel De Jaeghere nous souffle la réponse dès le début de l'ouvrage mais il y reviendra sur 400 pages : l'histoire nous « fait lever des ombres venues de la profondeur des âges pour nous faire partager les leçons tirées de la pratique de notre condition » et nous permet « d'enrichir nos âmes blessées au milieu des vivants par un fructueux colloque en compagnie des ombres » (p.18). Mais cela implique de reconnaître une chose : d'un siècle à l'autre, l'homme demeure le même, même si chaque époque ne cultive pas les mêmes passions ou les mêmes facettes de l'âme humaine. Il y a une telle chose que la permanence de l'homme, quoi qu'en pensent les modernes. L'histoire est un réservoir d'exemples : elle montre à l'humanité ses grandeurs et ses misères et l'homme d'État, quoi qu'on en pense, ne maîtrisera jamais l'art de gouverner s'il ne sait pas entretenir un riche dialogue avec ceux qui se sont posé des questions semblables aux siennes. Quant au philosophe, quelle sera la valeur de son œuvre, s'il s'imagine ne rien devoir à la grande enquête qu'il reprend à son tour ?

    Dans la première partie, consacrée à « la profondeur des âges », Michel De Jaeghere revient sur le monde antique, qu'il s'agisse de l'Égypte, du peuple juif, de la Grèce ou de Rome. Ces vieilles civilisations nous fascinent encore et on sait que Michel De Jaeghere a longuement médité sur le destin de la dernière, qu'on croyait éternelle et qui finalement, ne l'était pas. C'était longtemps la grande question des historiens : comment expliquer la grandeur et le déclin des civilisations ? Les choses humaines sont appelées à périr, même les plus belles, même si elles peuvent atteindre la relative immortalité qui vient avec leur remémoration. Autrement dit, à travers des formes historiques périssables, l'homme peut toucher certaines aspirations éternelles. Si une civilisation dure, nous dit-il, c'est parce qu'elle s'ouvre à certaines vérités éternelles qu'elle sait contempler. Cela, les Anciens le savaient, nous dit Michel De Jaeghere. Il n'en demeure pas moins qu'il y a là une réalité tragique : les hommes s'attachent à des réalités passagères, qu'ils voudraient immortaliser, et pour lesquelles ils sont prêts à donner leur vie, tout en sachant que le temps réduira à rien l'objet de leur sacrifice.

    La chute de Rome obsède les hommes depuis toujours et ils ne cessent de se tourner vers ses causes pour comprendre le sort qui attend la leur. Que se passe-t-il quand un empire ne parvient plus à défendre ses frontières et tolère que des peuples s'installent chez lui sans s'assimiler à la civilisation qu'ils rejoignent ? Michel De Jaeghere, à sa manière, renouvelle notre rapport aux invasions barbares. Les barbares avaient beau s'installer dans l'empire pour des raisons humanitaires, ils n'en demeuraient pas moins des envahisseurs. D'ailleurs, c'est un des charmes de ce livre : si à plusieurs reprises, en lisant un chapitre, on est frappé par la ressemblance entre une époque et une autre, jamais Michel De Jaeghere ne pousse la comparaison jusqu'à dissoudre la singularité de chacune : la permanence de la condition humaine n'est pas simplement l'éternel retour du même. Deux situations semblables ne sont pas deux situations identiques. L'homme tel que le peint Michel De Jaeghere est libre, même s'il n'est pas tout puissant. Il peut faire dévier le cours des événements : il y a un « prix à payer pour la défaillance des volontés humaines » (p.72). Si on étudiait encore la biographie des grands hommes, on le saurait. On ne se surprendra pas que Michel De Jaeghere nous y invite.

    Les civilisations meurent, mais d'autres naissent, comme le démontre éloquemment Michel De Jaeghere, dans la partie consacrée à « l'invention de l'Occident ». Évidemment, une civilisation naît dans la douleur, et par définition, pourrait-on dire, dans des temps sombres. La chute de Rome a créé les conditions d'un retour à la barbarie mais son souvenir a permis la naissance d'un nouveau monde, qui trouvera son « unité spirituelle » (p.124) dans le christianisme, notamment grâce à l'œuvre de Charlemagne. La leçon est forte : une civilisation qui ne s'ouvre pas à sa manière à la transcendance n'en est pas une. Un monde qui arrache ses racines et se ferme au ciel n'est pas un monde, mais un néant qui broie l'âme humaine. À plusieurs reprises, Michel De Jaeghere y revient : la civilisation européenne, et plus particulièrement, la nation française, sont indissociables de la religion chrétienne.

    L'histoire a longtemps été liée à l'art du gouvernement. Machiavel avait relu Tite-Live pour en tirer une philosophie politique faite d'exemples à méditer. La compagnie des ombres s'inscrit à cette école, principalement dans la section consacrée aux « grands siècles ». On sent une tristesse chez Michel De Jaeghere : en passant d'Aristote à Machiavel, la politique moderne aurait renoncé à la quête du bien commun pour devenir une pure technique de domination (p. 176-179). La modernité marque l'avènement de la rationalité instrumentale. Mais la cité risque alors de mutiler l'homme, en renonçant à l'élever, à cultiver sa meilleure part. Disons le autrement : la cité a quelque chose à voir avec l'âme humaine et le fait de former une communauté politique traversée par l'élan du bien commun permet à un groupe humain de se civiliser en profondeur. La philosophie politique de Michel De Jaeghere croise ici celle d'un Pierre Manent, qui demeure lui aussi attaché à une forme d'aristotélisme politique.

    De quelle manière gouverner les hommes ? En acceptant qu'ils ne sont ni anges, ni démons, et que la civilisation est d'abord une œuvre de refoulement de la barbarie. On aime chanter aujourd'hui les temps révolutionnaires : l'homme s'y serait régénéré en devenant maître de sa destinée. Après Soljenitsyne, Michel De Jaeghere nous met en garde contre cette illusion en revenant notamment sur les pages les plus sombres de la Révolution française : lorsqu'on fait tomber les digues qui contenaient les passions humaines les plus brutales et que le « fond de barbarie remonte » (p.221) au cœur de la cité. L'homme décivilisé n'est pas joyeusement spontané mais terriblement brutal. En fait, délivré de la culture, il s'ensauvage. Et il arrive aussi que le mal radical surgisse dans l'histoire, broie les hommes et pulvérise les peuples. Le vingtième siècle fut un siècle diabolique, qui a dévoré l'homme, le nazisme et le communisme étant chacun monstrueux et meurtriers.

    Historien méditatif, Michel De Jaeghere, disions-nous. On pourrait aussi dire de l'histoire méditative qu'il s'agit d'une histoire philosophique, qui entend retenir quelques leçons. J'en retiens une particulièrement : une cité n'en est pas vraiment une si elle ne se présente pas comme la gardienne de quelque chose de plus grand qu'elle, si elle ne cherche pas à exprimer une culture touchant aux aspirations fondamentales de l'âme humaine. Il nous parle ainsi de « l'incroyable capacité de résistance que peut avoir la culture lorsqu'elle est enracinée dans l'âme d'un peuple, lorsqu'elle est parvenue à une maturité qui lui donne d'atteindre à l'expression de la beauté avec une efficacité singulière » (p.29). Un peuple peut mourir politiquement. Il pourra renaître s'il n'a pas renié son âme, nous dit Michel De Jaeghere, en prenant l'exemple du peuple juif, qui a survécu à sa disparition politique et à sa dispersion il y a deux mille ans en se consacrant « à l'étude de la Torah, à l'observation des commandements et au recueil de la tradition orale, afin de maintenir la pérennité de la culture juive à travers les siècles » (p.83).

    Michel De Jaeghere comprend bien que l'homme ne comprendra jamais parfaitement le monde dans lequel il vit, que celui-ci n'est pas et ne sera jamais transparent. Le rationalisme militant des modernes prétend expliquer le monde mais l'assèche. Ils ont oublié la sagesse des Grecs qui « avaient compris que le mystère de la condition humaine laissait place à des questions auxquelles la réponse ne pouvait être donnée que sous le voile du mythe » (p.35). Que serait le travail de l'historien sans l'art de la métaphore, sans l'art du récit ? Il n'y a pas de transparence absolue du social, et une société n'est pas qu'un contrat rationnel à généraliser à l'ensemble des rapports sociaux. Son origine demeure toujours un peu mystérieuse, ce qui explique peut-être qu'on puisse toujours y revenir pour chercher à la comprendre et y trouver quelque inspiration.

    Le crépuscule des ombres est un livre splendide qui invite à considérer l'homme dans sa grandeur propre, en ne cherchant plus à le réduire à ses petits travers quotidiens. C'est un grand bonheur que d'admirer ceux qui sont dignes d'admiration. En creux, on y retrouvera aussi une critique aussi sévère que nécessaire de la stupide ingratitude des modernes, qui se croient appelés à dissoudre le monde pour le recommencer à leurs conditions et le formater idéologiquement. La modernité laissée à elle-même veut abolir l'ancienne humanité pour en faire naître une autre, délivrée de ses vieilles entraves, à partir du vide. En cela, il y a une barbarie moderne qui s'alimente d'un fantasme d'autoengendrement qui pousse l'homme à détruire l'héritage. Il ne s'agit pas, dès lors, de se tourner vers le passé pour se réfugier dans un musée, mais pour découvrir les invariants, les permanences, et peut-être surtout, les questions existentielles que l'homme ne peut esquiver sans finalement se déshumaniser. 

    « De quelle manière gouverner les hommes ? En acceptant qu'ils ne sont ni anges, ni démons, et que la civilisation est d'abord une œuvre de refoulement de la barbarie. »

    Michel De Jaeghere, La Compagnie des ombres. À quoi sert l'histoire?, éd. Les Belles Lettres, 2016. 

    Mathieu Bock-Côté 

    XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.

  • L’Union européenne à la recherche de l’inflation perdue

     

    par Olivier Pichon

     

    Quand Mario Draghi se prend pour Indiana Jones 

    Tous les plus de trente ans se souviennent que l’inflation, jusqu’en 1985, était présentée comme le fléau économique par excellence – « Ce pelé de galeux d’où nous vient tout le mal !» – et toutes les politiques économiques s’employaient à la combattre. On verra par la suite que le phénomène n’avait pas que des inconvénients. Néanmoins, toute la politique monétaire de l’Union européenne fut bâtie sur l’idée qu’il fallait à tout prix éviter les facilités monétaires et, en France par exemple, qu’il ne fut plus possible à la banque de France de racheter des actifs bancaires. En bref, de permettre aux français d’emprunter aux Français.

    Mieux encore les institutions monétaires européennes, la Banque centrale européenne fut construite, à l’origine, sur le modèle de la Buba (Bundesbank) allemande, indépendante des pouvoirs publics. Ce, afin de se soustraire à la tentation des facilités monétaires génératrice d’inflation. Et patatras ! Voilà que cette politique de désinflation compétitive porta à ce point ses fruits que le mauvais génie inflationniste des Etats fut anéanti. Le règne de l’euro pouvait commencer. Sauf que, sous la protection de celui-ci, les États s’endettèrent, son prestige aidant, il devint un pousse-au-crime de l’endettement et du déficit public. La Grèce étant la forme hyperbolique de cette logique, néanmoins suivie par la majorité des États.

    Ainsi, les deux piliers de la théorie dominante, le keynésianisme, se trouvent désormais infirmés, la politique budgétaire crée des déficits qui ne font pas repartir la croissance et la politique monétaire (cheap money) crée des bulles spéculatives sans que la croissance, non plus, soit au rendez- vous, le tout aggravé par la mondialisation.

    Depuis quelque jours, Mario Draghi, formé à l’école de Goldman Sachs, a fait passer le taux directeur de refinancement de la BCE de 0,05 % à 0 %. Dès le 16 mars, le taux de dépôt s’établissant à –0,4% et le taux d’escompte est, quant à lui, encore positif à 0,25%. Quelle signification à cette mécanique des baisses ? Faire à tout prix, c’est le cas de le dire, de la « cheap money », idée keynésienne selon laquelle la monnaie à bon marché permet de retrouver le chemin de la croissance. On aura compris qu’il s’agit de lutter contre la déflation – tardivement reconnue – cette langueur de l’économie qui fait que les prix ne remontent pas et que l’espérance d’un peu d’inflation n’est pas au rendez-vous. Pour l’heure, l’Europe est à 0,1% de dérive des prix, autrement dit : inflation nulle. C’est pourquoi Mario Draghi a sorti la grosse artillerie, de l’arsenal du QE (Quantitative easing).

    Insurmontables contradiction de la politique économique européenne

    Donc l’inflation c’est bon, nous dit-on, mais toutes les institutions monétaires européennes ont été établies pour lutter contre ce mal qu’elles combattaient et qui a disparu. Pire encore, les traités de Maastricht et d’Amsterdam ont été violés pour faire face au nouveau contexte économique. Nous avons donc des institutions créés contre un mal qui a disparu et violées pour lutter contre son contraire. Nous sommes dans la logique du pharmacos grec. Remède et poison, la désinflation fut un remède à l’inflation et l’inflation est un remède à la déflation. Le moins que l’on puisse dire, est que le médecin européen ressemble fortement à ceux de Molière et que ces aller-retours discréditent non seulement la science économique mais compromettent gravement la crédibilité de la BCE et les outils traditionnels de la politique dite monétaire. Cela doit nous conduire à repenser radicalement la discipline et les dogmes qui ont prévalus jusqu’à nos jours. Empêtrée institutionnellement par une Commission non élue, voilà maintenant l’UE en faillite intellectuelle dans ce qui constituait le champ privilégié de ses compétences : la monnaie !

    La découverte de l’Amérique et… de l’inflation

    Qu’est-ce, au fond, que cet objet tant désiré par nos dirigeants ? S’est-t-on suffisamment interrogé sur sa nature ? Ce grand angevin du XVIe siècle qu’était Jean Bodin, fut le premier à émettre ce que l’on appelle la théorie quantitative de la monnaie. Observant les arrivées d’or et d’argent des Amériques au XVIe siècle, il avait rapproché l’évolution du stock d’or – permettant l’augmentation du monnayage – et le prix du setier de blé en forte hausse. Il en avait déduit génialement sa théorie dans une Réponse au paradoxe de M. de Malestroit touchant l’enchérissement de toutes choses, et le moyen d’y remédier. Alors que Malestroit avait publié un rapport sur la hausse des prix en France, en l’attribuant principalement aux mutations qui modifient la valeur des monnaies – généralement voulues par le monarque -, Jean Bodin estime, au contraire, que l’inflation résulte essentiellement de l’afflux d’or et d’argent en provenance du Nouveau Monde.

    Les délices perdus de l’inflation

    On peut dire que les eurocrates sont dans la position du sire de Malestroit et qu’ils ne voient guère plus loin que la technique de manipulation monétaire dont était coutumier le pouvoir. En réalité, l’inflation n’est pas seulement la croissance de la masse monétaire, comme le prouve d’ailleurs la situation d’aujourd’hui où le QE n’en produit pas. L’inflation est un phénomène de course prix/salaires typique des années 60-70. Mais, dès lors que, aujourd’hui, les dirigeants politiques ont accepté la mondialisation, ils ont accepté la concurrence, voire l’hyper concurrence. L’ouverture inconsidérée des frontières a été la vraie cause de la chute des prix et de la stagnation des salaires. La mondialisation est, par nature, hyper concurrentielle, et ce n’est pas un hasard si l’on observe que la courbe des prix s’infléchit en raison inverse du degré d’ouverture des économies à partir de 1985/ 1990. Voilà pourquoi Mario Draghi a peu de chances de voir revenir l’inflation. On ne peut vouloir le beurre de l’inflation et l’argent du beurre de la mondialisation. L’économie européenne s’emploie déjà, depuis deux ans, à faire remonter les prix sans succès, un peu comme si l’on voulait faire avancer une voiture au démarreur, avec des chances certaines de vider la batterie. Ainsi, de nouveaux programmes de refinancement seront proposés aux banques pour une durée de quatre ans au taux de 0%. Si le volume des prêts d’une banque est supérieur à un certain niveau, celui-ci pourra bénéficier de taux négatifs jusqu’à -0,40%. Les banques toucheront ainsi de l’argent de la BCE pour prêter ! Quoiqu’il en soit, l’Europe est gagnée par un réflexe déflationniste typique, à savoir que les prix baissent parce que les agents économiques attendent qu’ils baissent encore et, pendant ce temps, ni d’embauche, ni d’investissement, ni d’achat. L’inflation des Trente Glorieuses, il faut s’en souvenir, permettait de contourner le mécanisme psychologique des salaires nominaux en faisant baisser les salaires en termes réels.

    Les taux négatifs, un phénomène jamais vu dans l’histoire

    On a affaire à un phénomène totalement nouveau hors inflation. En effet, en situation d’inflation, le taux de l’emprunt nominal peut être inférieur au taux de l’inflation : c’est le taux d’intérêt réel (= nominal moins inflation). En revanche, en situation de baisse des prix, cela ne s’est jamais observé. Une situation tout à fait inédite qui incite, encore une fois, à se poser la question de la pertinence des dogmes économiques et, partant, de ceux qui prétendent s’y conformer. La BCE a d’ailleurs révisé, à la baisse, ses prévisions d’inflation et de croissance jusqu’en 2017, en prenant acte, par la même occasion, d’un autre phénomène : celui de la baisse du pétrole qui, décidément, ne fait rien pour aider à « reflater »les prix. Dans ce dernier cas, on peut se demander, aussi, si la pénurie n’a pas été artificiellement organisée – pour faire remonter les prix – et que le désordre et l’anarchie concurrentielle n’ont pas, eux aussi, contribué à empêcher la remontée des prix dudit pétrole. Ainsi, par exemple, pour la première fois, l’Arabie Saoudite, dont la contribution quantitative au marché du pétrole est significative, n’a pas fermé le robinet du pétrole, participant peu ou prou au phénomène déflationniste en cours, préférant vendre son pétrole à 40 dollars maintenant qu’à 20 dollars demain. En situation déflationniste le vendeur fait le contraire de l’acheteur, il veut précipiter la vente tandis que l’acheteur préfère attendre une nouvelle baisse.

    Quid du déposant lambda en situation de taux négatifs ?

    En bonne logique, tous les épargnants sont pénalisés par l’inflation qui ronge les rentes, c’est la fameuse euthanasie des rentiers (Keynes). Avec l’ampleur des dettes publiques, l’inflation aurait le grand avantage de les faire fondre. C’est la véritable raison de l’appétence de l’oligarchie européenne pour la hausse des prix. Mais les taux négatifs sont une punition pour les épargnants. On peut parler de taux punitifs, même s’ils sont une récompense pour l’emprunteur. Les premiers, en Allemagne (Bayerische Sparkassen Verbank, union des caisses d’épargne bavaroises) par exemple, lassés des taux négatifs, ont fait pression sur les banques pour qu’elles stockent du cash, donc moins de dépôts à la banque centrale et moins de taux négatifs. C’est une des raisons pour laquelle l’UE essaye de lutter contre le cash, sous couvert de lutter contre l’argent des mafias. Mais, en l’occurrence, la morale à bon dos. Beaucoup de crimes contre la liberté de disposer de ses biens sont commis en son nom. L’épargne est très malmenée dans ce contexte européen. La banque commerciale, où vous avez votre compte, devra-t-elle vous rendre moins que le dépôt initial avec le taux négatif ? Le volume de l’épargne, en France, est d’environ 2 500 milliards d’euros. Une somme totalement dépendante des taux directeurs fixés par la BCE. On peut s’amuser à faire le calcul d’une nouvelle spoliation !

    Bref, voilà qui laisse mal augurer de l’UE, elle qui a déjà démontré largement qu’elle était une chimère institutionnelle et économique. Maintenant qu’elle touche au portefeuille, cela peut constituer un argument décisif, une claire raison d’en finir avec l’oligarchie eurocratique. 

  • Bioéthique : La France confrontée à une culture de mort (16), par François Schwerer

    Le sénat va connaître dans les jours à venir le projet de loi de bioéthique. Notre ami François Schwerer nous a adressé - avec un message de sympathie - l'ensemble des textes qu'il été amené à écrire sur cette question.

    Cet ensemble constitue une véritable somme, aussi bien par son importance que par son intérêt.

    Nous en avons commencé la publication le vendredi 10 janvier, et nous la poursuivrons du lundi au vendredi inclus, comme nous l'avons fait, par exemple, pour l'étude de Pierre Debray, Une politique pour l'an 2000.

    Et, pour suivre et retrouver ces textes plus commodément, nous regrouperons la totalité de cette étude, vu son importance, dans une nouvelle Catégorie : François Schwerer - Bioéthique : culture de mort : vous pourrez donc retrouver donc l'ensemble de cette chronique en cliquant sur le lien suivant :

    François Schwerer - Bioéthique : culture de mort...

    Voici le plan de l'étude (hors Annexes et textes divers, qui viendront ensuite); nous le redonnons chaque jour, afin que le lecteur puisse correctement "situer" sa lecture dans cet ensemble :

     

    1. Les étapes de la décadence
    • Un processus téléologique

    1/. « Qui n’avance pas recule »

    2/. De la pilule à la GPA : l’asservissement des femmes

    3/. La révolte des femmes et les mouvements féministes

    4/. Le transhumanisme, stade ultime de la destruction

    • La stratégie progressiste

    1/. La campagne médiatique préalable

    2/. La modification de la loi

    3/. Le recours à une novlangue

    4/. Le discrédit de l’adversaire

    5/. La politique des petits pas

    6/. Le viol de la conscience des enfants

    1. « Pour une nouvelle croisade »

    A - Une faible résistance

    1/. Des hommes politiques sans conviction

    2/. Des manifestations apparemment inefficaces

    3/. Un refus de mettre en danger son propre confort

    4/. Un faux respect de l’apparente liberté d’autrui

    5/. Si le Seigneur ne bâtit pas, c’est en vain que s’agitent les bâtisseurs

    B – Un combat dont l’enjeu dépasse le fonctionnement de la vie sociale

    1/. Il est plus facile de descendre une pente que de la remonter

    2/. Un combat ayant une dimension eschatologique

    Schwerer.jpg5/. Si le Seigneur ne bâtit pas, c’est en vain que s’agitent les bâtisseurs

     

    Lorsqu’elle fut adoptée par le Parlement, la loi Veil fut soumise à une révision au bout de cinq ans ; ce fut la loi Pelletier. En 1979, le député-maire de Blois, ancien ministre, était Pierre Sudreau, qui avait fortement soutenu Simone Veil et qui était grand ami de Monique Pelletier.

    Avec les autres responsables de l’Association des familles catholiques du Loir-et-Cher, nous avons beaucoup discuté avec lui pour lui demander de ne pas voter cette loi qui devait pérenniser la première. Mais lorsqu’il a quitté Blois pour se rendre au Parlement, nous savions que nous ne l’avions pas convaincu. Et pourtant, la veille au soir, en désespoir de cause, je lui avais apporté le « Livre blanc des évêque de France » relatif à l’avortement.

    C’était sans compter sur le fait que l’évêque de Blois, Monseigneur Goupy, avait convoqué ses prêtres et diocésains pour une messe qu’il avait décidé de célébrer pendant le vote en l’église saint Vincent, pour demander à l’Esprit Saint d’éclairer la conscience des parlementaires, et plus particulièrement de l’élu blésois. Au moment du vote la foule qui priait avec ferveur, était si nombreuse qu’elle débordait jusqu’au pied du château. Le soir même, nous avons appris, qu’à la surprise générale, Pierre Sudreau n’avait pas voté la loi. Que se serait-il passé si une telle démarche avait été généralisée, que ce fut au moment de ce vote ou lors des réformes sociétales suivantes ?

    Souvenons-nous de Josué combattant pendant que Moïse, les bras levés, intercédait auprès de Dieu pour qu’il obtint la victoire.

    L’exemple donné, relatif au vote de la loi Pelletier par le député-maire de Blois, montre que s’il ne faut pas se tromper sur les enjeux, il ne faut pas se tromper non plus sur les moyens à disposition. Tout combattant sait qu’un moyen doit toujours être adapté à l’adversaire et qu’en présence de plusieurs moyens il faut choisir celui qui est adapté au terrain et au moment. Un chrétien sait en plus que tous les moyens ne sont pas moralement bons. Il sait aussi que dans tout combat pour la civilisation, aucun moyen matériel ne saurait donner la victoire sans le soutien effectif d’un moyen spirituel fort.

    En l’occurrence, les manifestations ne sont pas adaptées aujourd’hui pour faire reculer le législateur. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille s’en passer. Elles sont insuffisantes. Elles ne peuvent avoir que deux effets pratiques : montrer au législateur – et aux médias – que ceux qui contestent ne sont pas que des personnes isolées et amener les « tièdes » à se positionner. Dans le meilleur des cas, elles peuvent servir à accompagner l’action ; en aucun cas elles ne peuvent permettre de triompher. Dans le pire des cas elles peuvent uniquement servir d’excuses pour ne pas se battre convenablement et sont donc alors la seule récompense déjà reçue par ceux qui en ont fait une fin visible et bruyante.

    Le saccage des permanences des élus qui, contre l’attente de leurs électeurs, ont fait passer des lois scélérates, comme ce fut le cas avec la ratification du CETA, n’est pas un moyen moralement acceptable. Il est inadapté et inefficace. Mis en œuvre après le vote, il intervient trop tard pour influencer l’élu concerné et apparaît dès lors soit comme une vengeance soit comme un chantage exercé sur les membres de l’autre assemblée (en l’occurrence le Sénat). Utilisé trop longtemps avant le renouvellement du Parlement, il ne peut servir d’avertissement pour les députés « fautifs » qui auront le temps de retrouver une nouvelle assise électorale, quitte éventuellement à changer d’étiquette. Ce type de réaction impulsive ne fait donc qu’ajouter du désordre au désordre. Il révèle aussi que l’ensemble de la population n’a pas su intervenir à temps faute de connaître réellement ses élus – et comment ils sont tenus par leur parti qui leur a permis de l’emporter aux élections précédentes –, d’avoir clairement identifié les enjeux et d’avoir réfléchi aux moyens.  

    Dans l’affaire qui nous préoccupe, quel est l’enjeu de la bataille au sein du combat global actuel ? Quels sont les moyens à utiliser pour cette bataille ? Quelle est l’arme principale de toutes les batailles (1) ?

    Celui que chacun doit donc convaincre c’est le législateur à qui il a donné mandat de le représenter ; c’est chaque parlementaire qui détient une parcelle de ce pouvoir. Il convient bien de convaincre et non de faire peser sur lui une pression intolérable. En effet, selon la Constitution en vigueur, le député ne reçoit de ses électeurs aucun mandat impératif. De ce point de vue, les électeurs ont moins de moyens de pression que les partis qui peuvent exercer sur eux un véritable chantage à la réélection et aux prébendes. Ce qui importe donc, c’est d’emporter la conviction de l’élu et non de l’acheter – c’est d’ailleurs pourquoi le lobbying est une activité immorale –. Si on ne fait que l’amener à reculer devant une menace, on aura peut-être gagné une bataille mais pas la guerre. A la bataille suivante, le même élu, ou son successeur, reprendra sa marche en avant d’une façon ou d’une autre et dans un esprit de revanche. Or, pour convaincre, il faut commencer par discuter.

    La phase de discussion n’est pas médiatique. Et, pour être efficace, chaque électeur doit s’occuper uniquement de son représentant. Il doit en faire le siège, en se coordonnant avec les autres électeurs de sa circonscription. Peu importe qu’il ait ou non des chances de le faire évoluer dans le sens qu’il souhaite car la victoire n’est pas et ne sera jamais celle d’un individu sur un autre individu mais celle d’une communauté solidaire. Il faut aussi que tout parlementaire comprenne qu’il s’agit là d’un sujet primordial et qu’il sera donc inutile de briguer à nouveau les suffrages de la population s’il continue à en violer la conscience et s’il continue ainsi à abuser de ses pouvoirs (2). Tout électeur qui, pour quelque motif que ce soit, ne se montrerait pas intraitable sur un sujet non négociable se montrerait un complice objectif de la dérive mortifère. Le ralliement d’un Parlement à la culture de mort doit être un sujet non négociable. Mais cela ne suffit pas.

    Les moyens à disposition ne sont pas obligatoirement spectaculaires. Ils ne sont pas bruyants. Ils doivent être ajustés à la fin et respectueux de l’adversaire. Ils doivent prendre en compte la situation du moment. En conformité avec ce principe, nombreux sont ceux qui, au-delà de la discussion, prônent le dialogue. En soi, cela est effectivement un moyen respectueux de l’autre. Mais le dialogue doit alors être véritable. Il faut que ceux qui échangent des arguments aient le souci réel d’entrer en relation et de s’écouter mutuellement. Il faut que les mots qu’ils prononcent aient la même signification pour les uns et pour les autres. Dans le cas contraire le dialogue ne serait qu’une mystification et pourrait servir à l’un pour imposer sa tyrannie, à l’autre pour excuser son absence de combativité. Dans un tel faux dialogue, les deux protagonistes deviennent alors complices du mensonge. Tout dialogue est un exercice d’autant plus difficile que les embûches qu’il recèle ne sont pas perçues au-delà du cercle de ceux qui y ont recours.

    Mais, discussions et dialogues sont devenus difficiles sur des sujets délicats, hautement médiatisés et qui nécessitent réflexion. Comme l’a fait remarquer l’abbé Jean-Baptiste Bienvenu, de la communauté de l’Emmanuel, « les mots du politiquement corrects s’assemblent […] comme un mur que même une réflexion apaisée ne permet pas de franchir ». C’est pourquoi il propose : « plutôt que de nous situer dans la confrontation conceptuelle qui est perdue d’avance pour la société médiatique, et peu performante pour la transmission pédagogique, pourquoi ne pas revisiter ce qui constitue l’être humain à travers d’autres formes du langage » ? Et, à l’imitation de Karol Wojtyla, il propose de recourir au théâtre et à la poésie. Derrière ces deux outils, ce qu’il recommande, c’est la contemplation. Cette contemplation, source d’humilité, qui permet à l’homme de laisser transparaître l’amour de Dieu. « A la veille d’une rentrée sociétale chargée » nous dit-il, mais cela est valable en tout temps sur tous les sujets, « nous avons la possibilité de choisir cette voie de préparation intérieure (3), de faire le détour par la beauté qui nous ouvre à la vérité sur l’homme et d’approfondir en nous ce que l’incarnation du Fils de Dieu dévoile de notre humanité ». Dans le même souci, Aude Markovic propose à chacun d’étudier le livret édité par pmagpa.fr mais il est aussi possible de méditer le petit livre de l’épiscopat français, « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? »  

    L’expérience des prêtres-ouvriers nous montre qu’aucune discussion, aucun dialogue, aucune négociation ne pourra aboutir si celui qui l’entreprend ne s’est pas armé spirituellement et formé politiquement.

     

    (1) : Guillaume de Prémare a écrit pour sa part : « En termes de combat général, il faut désigner l’adversaire principal : non pas le « lobby LGBT », mais les puissances techno-marchandes. Une fois l’adversaire désigné, il faut faire la cartographie de ses points faibles et de ses points forts ; et concentrer les forces sur ses points faibles ». Et d’ajouter, un peu désabusé : « A ma connaissance, personne n’a réalisé sérieusement une telle prospective ».

    L’enjeu, de la prochaine bataille est de conduire le législateur à arrêter de promulguer de nouvelles lois de mort.

    (2) : Aucun Parlement n’est mandaté pour imposer un changement de civilisation.

    (3) : Qui suppose de « se réapproprier les grands concepts de la philosophie ».