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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • Société • Gilles Kepel : « L'attentat de Westminster sonne le glas du rêve communautariste britannique »

     

    Répondant ici aux questions d'Alexandre Devecchio pour Figarovox [25.03] Gilles Keppel revient sur l'attentat de Londres. Pour lui, les attentats qui frappent le sol européen pourraient être annonciateurs d'une fracture sociale à grande échelle. On en retiendra l'aggravation des problèmes que pose la présence de fortes communautés musulmanes sur le sol français et européen. Et leur traduction du point de vue des nations et des Etats. Aurons-nous affaire à une reféodalisation de l'espace européen ? LFAR 

     

    1630167502.jpgUn attentat terroriste revendiqué par l'État islamique a fait trois morts à Londres ce mercredi. Après la France et l'Allemagne, c'est donc l'Angleterre qui est visée par Daech. Que cela dit-il de l'évolution du terrorisme islamiste en Europe ?

    Les Britanniques se sont un peu endormis sur leurs lauriers depuis les attentats de Londres de juillet 2005. À l'époque, les terroristes étaient passés par les camps de formation du Pakistan, mais étaient nés et avaient grandi en Angleterre. Cela marquait une rupture par rapport aux attentats du 11 septembre ou de Madrid commis par des étrangers ou des immigrés de passage. C'était le début de la transition entre la phase pyramidale du djihad et la phase indigène européenne. Bien qu'Ayman al-Zawahiri, le chef d'al-Qaïda, s'était réclamé de cette opération, elle s'était produite alors qu' Abou Moussab al-Souri venait de théoriser cette année-là le djihad de troisième génération à bas coût. Dans son « appel à la résistance islamique mondiale », ce dernier prévoyait de faire de l'Europe le ventre mou de l'Occident et la cible par excellence des attaques terroristes. Depuis lors, le Royaume-Uni a mené une politique de prévention, mais aussi de dévolution de quartiers entiers aux islamistes, tolérant notamment les tribunaux islamiques, dans le but d'acheter la paix sociale. Birmingham où vivait l'auteur de l'attentat de Wesminster, Khalid Masood, est l'illustration de cette politique.

    deux-tchadors.jpgLe fameux quartier de Small Heath, où près de 95% de la population est musulmane, se voulait le contraire absolu du modèle français laïque et universaliste. En confiant à des salafistes la gestion de l'ordre public et de la communauté, les autorités britanniques espéraient ne pas avoir à affronter un djihadisme qui en France serait, selon eux, exacerbé par une gestion laïque de la société. L'attentat de Wesminster sonne le glas de cette illusion comme les attentats de 2005 avaient sonné le glas de ce qui était à l'époque le Londonistan, c'est-à-dire la politique de refuge systématique à Londres de tous les dirigeants de la mouvance islamiste internationale arabe. La différence, c'est qu'à Birmingham, il y a peu d'arabes, mais essentiellement des Indo-Pakistanais. Khalid Masood lui était un jamaïcain converti à l'islam. L'âge de ce dernier, 52 ans, est frappant. Cela indique que son acte n'est pas le rite de passage par la violence d'un jeune non intégré, mais le geste de quelqu'un qui a été socialisé très longtemps par une contre-société. Khalid Masood s'est probablement construit contre la société britannique et a choisi de passer à l'acte. Ce qui frappe également, c'est le mode opératoire qui rappelle celui des attentats de Nice et Berlin : un véhicule à vive allure qui fauche des piétons. Il s'agit d'un djihadisme low-cost absolu qui peut passer sous les radars de la police. On remarque enfin que l'attentat visait le parlement symbole par excellence de la démocratie européenne. Ironie volontaire ou involontaire pendant la cession où le parlement discutait du Brexit. L'agenda terroriste est ainsi venu percuter l'agenda politique institutionnel contraignant le processus à s'interrompre, les députés à être enfermés et le Premier ministre à être évacué en urgence.

    Le fait que Londres soit dirigé par un maire musulman a-t-il joué un rôle dans cet dérive communautariste ?

    Les autorités britanniques ont considéré que le fait d'avoir un maire musulman, qui de surcroît a été proche par le passé d'organisations islamistes dans la mouvance des Frères musulmans, permettrait de mieux contrôler les réseaux et d'éviter la violence. Cependant Sadiq Khan apparaît comme un traître pour les plus radicaux. De manière générale, c'est une illusion que de penser que les accommodements raisonnables peuvent apaiser une société. Au contraire, ils favorisent la fracture. Le cas de la Hollande est paradigmatique puisqu'aux Pays-Bas l'exacerbation multiculturaliste s'est traduite en une xénophobie tout aussi virulente.

    La France n'a donc pas été visée spécifiquement à cause de son modèle universaliste et laïc…

    La laïcité, le passé colonial et le chômage de masse en France sont des facteurs aggravants, mais en aucun cas structurants. Et l'Allemagne, qui n'a pas de passé colonial, un modèle où la religion est reconnue, et le plein-emploi, pouvait sembler à l'abri, elle ne l'est plus, notamment parce que le modèle a changé du fait de l'afflux de migrants. On peut aussi penser qu'à l'avenir l'immigration turque, qui est bien intégrée depuis longtemps en Allemagne, ne pourra pas rester à l'abri des soubresauts que connaît son pays d'origine avec la politique d'Erdogan qui tente de mobiliser les foules en Europe.

    Il faut aussi noter qu'en France depuis le 26 juillet 2016 et l'assassinat du père Jacques Hamel, les services de renseignements ont fait des progrès considérables en cassant le réseau Télégramme, en arrêtant préventivement les gens susceptibles de passer à l'acte, en tuant le « contremaître des attentats » de 2016 Rachid Kassim abattu par un drone américain il y a deux mois. Cela a rendu plus difficile aujourd'hui la perpétration d'attentats sur le territoire français.

    La France est une cible plus difficile aujourd'hui comme on peut le voir sur les réseaux en ligne où les djihadistes français considèrent qu'ils subissent aujourd'hui une épreuve. Beaucoup décident ainsi de se renfermer dans l'étude en attendant que la situation soit meilleure. C'est ce qu'on appelle dans la stratégie islamique théorisée à l'époque du prophète: la phase de faiblesse par rapport à la phase de force pendant laquelle il faut se ressourcer et ne pas se lancer dans des opérations suicidaires qui se retournent contre elles. C'est ainsi que le bilan des attentats de 2016 a été fait par un certain nombre de dirigeants de l'État islamique comme le montre le testament très amer de Rachid Kassim qui incrimine la hiérarchie de l'État islamique pour ne pas l'avoir soutenu. De ce fait, Allemagne, Belgique, Hollande, Angleterre ou peut-être demain Italie où les services de renseignements sont beaucoup moins aguerris, car ils n'ont pas été confrontés aux attentats depuis 2012, apparaissent comme des cibles plus aisées aujourd'hui.

    Quid de l'attaque d'Orly ou de celle du Louvre ?

    L'attaque d'Orly n'a pas été revendiquée par Daech. Elle est symptomatique d'un terrorisme low-cost qui n'est même plus contrôlé par des réseaux. L'individu avait déjà été arrêté pour braquage et trafic de stupéfiants et a fréquenté des islamistes en prison. Ces derniers expliquent aux délinquants que leurs crimes crapuleux sont en réalité un combat contre l'impiété, un djihad. Ziyed Ben Belgacem, l'auteur de l'attentat raté d'Orly, a habillé de références religieuses son banditisme. Il agresse au nom d' Allah, se réclame de l'islam lorsqu'il passe à l'acte, a un Coran dans son sac à dos, mais aussi des cigarettes, est sous l'emprise de l'alcool et consomme de la cocaïne. Ziyed Ben Belgacem peut ainsi être considéré comme «un mélange individuel détonnant», le «produit dérivé» d'un djihadisme plus structuré. Ce type de djihadisme est d'autant plus dangereux pour la société qu'il est difficile à déceler, mais fait généralement moins de dégâts. Son attaque a été un échec. Il a été abattu comme le djihadiste du Louvre il y a quelque semaines.

    En outre ce type de terrorisme est inefficace politiquement car il ne permet pas la mobilisation des masses. Les défaites que subit «le califat» sur son territoire sont un facteur anxiogène et dépressif pour les djihadistes. Nous ne sommes plus dans la logique triomphaliste d'autrefois, dans la mascarade d'otages torturés, décapités, et qui donnait le sentiment que l'État islamique était dans une «marche triomphale» pour conquérir l'humanité, mais dans l'intériorisation d'une défaite inéluctable, perçue comme une épreuve envoyée par Allah. En conséquence, les djihadistes n'ont plus le temps pour planifier soigneusement des attentats en Europe et tente de mûrir leur réflexion pour après. Nous sommes entrés dans une phase transitoire. Les djihadistes sont en train de réfléchir à la phase suivante.

    « Comment peut-on éviter la partition ?» s'interrogeait Hollande dans un incroyable aveu rapporté par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre, Un président ne devrait pas dire ça. Plus que le risque terroriste, à terme le risque majeur est-il celui de la partition?

    C'est ce que j'explique dans mon livre La Fracture, (Gallimard 2016). Si rien n'est fait, la société française sera de plus en plus sujette à des rétractions identitaires que ce soit autour du salafisme ou autour de l'idéologie de l'extrême droite. L'acceptation d'une forme de séparatisme, d' « apartheid » comme c'est le cas à Birmingham avec des juges chariatiques qui prononcent des sentences, pose le problème beaucoup plus profond des valeurs. Doit-on insister sur le partage d'un bien commun ou sur nos différences comme c'est le cas au Royaume-Uni où le Brexit est une sorte d'exacerbation de ce phénomène ?

    Le Royaume apparaît plus désuni que jamais comme le montrent les velléités d'indépendance de l'Écosse ou de l'Irlande du Nord, mais aussi la sécession culturelle de certains quartiers ou le sentiment d'abandon de l'Angleterre périphérique. Cet enjeu se pose aussi en France : l'effondrement social et l'échec de l'école font que le processus est en cours. Malheureusement le sujet est tabou aujourd'hui et largement esquivé du débat de la présidentielle. D'un côté le FN dénonce le communautarisme sans voir qu'il exacerbe lui-même la question identitaire. De l'autre côté, la plupart des candidats cachent la tête dans le sable sans que le problème soit analysé comme il le devrait et sans qu'aucune mesure ne soit prise pour enrayer le phénomène. Personne ne veut avouer que la situation dans un certain nombre de quartiers n'est plus maîtrisée. Pourtant, celui qui sera élu devra nécessairement se confronter à cet enjeu. Il faudra poser le problème de l'éducation, de l'apprentissage et de l'emploi. Ce sont des causes structurantes de la désaffection aussi bien d'un grand nombre d'enfants d'immigrés que d'enfants de paysans ou d'ouvriers dits de souche envers ce qu'ils appellent « le système». La superficialité du débat présidentiel s'explique par l'explosion du clivage droite/gauche et l'émergence d'un clivage système/antisystème. C'est une recomposition très profonde dans notre paysage politique derrière laquelle se profile la fracture. 

     
    XVM3e9f2b06-10b6-11e7-9ba8-d43cdbef99cb-120x154.jpgProfesseur à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste internationalement reconnu du monde arabe et de l'islam, l'auteur de Terreur dans l'Hexagone (Gallimard, 2015) et de La Fracture (Gallimard, 2016) est aussi l'un des meilleurs connaisseurs des banlieues françaises, qu'il a arpentées durant de longues années. En 2010, avec une équipe de chercheurs, Gilles Kepel s'installe à Clichy-Montfermeil où sont nées les émeutes urbaines qui ont embrasé la France cinq ans plus tôt. Il en tire deux livres prophétiques, Banlieue de la République et Quatre-vingt-treize (Gallimard 2012), dans lesquels il montre la montée en puissance de l'islam politique dans les cités difficiles.
     
     
    Alexandre Devecchio           

    XVMd82e8388-f21c-11e6-a80c-3dc5aaa52285-120x184.jpg

    Al.exandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016)

  • Déchéance de nationalité : réalité et illusions

     

    par Jean-Baptiste DONNIER

     

    J.B. DONNIER 1.JPGLe projet de loi constitutionnelle dit « de protection de la Nation », présenté en Conseil des ministres le 23 décembre 2015, prévoit l’introduction, à l’article 34 de la constitution, d’une disposition qui permettrait de déterminer par voie législative « les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».

    Au-delà du tapage médiatique que ce projet avait sans doute pour but de provoquer et qui a effectivement fait déferler sur les ondes et dans les colonnes des journaux un flot d’approximations voire d’inepties, ce texte appelle quelques observations simples.

    Sur le principe, le projet de loi constitutionnelle ne fait qu’étendre aux bi-nationaux nés français et condamnés pour certains crimes la possibilité d’une déchéance de la nationalité française déjà prévue par l’article 25 du Code civil pour ceux qui ont acquis la qualité de Français qu’ils n’avaient pas à la naissance. En soi, cela ne devrait soulever aucune difficulté et ceux qui feignent de penser que ce projet introduirait une inégalité entre les nationaux dont certains – ceux qui possèdent en outre une autre nationalité – pourraient être déchus de la nationalité française alors que les autres ne le pourraient pas, se moquent du monde. En réalité, la disposition projetée permettrait à l’inverse de mettre un terme à une inégalité qui existe aujourd’hui bel et bien entre ceux des bi-nationaux qui, parce qu’ils sont nés français, ne peuvent être déchus de la nationalité française et ceux qui, ayant acquis la nationalité française, peuvent en être déchus. On relèvera en outre que l’innovation consistant à permettre la déchéance de la nationalité de tous les bi-nationaux ne bouleverserait pas notre droit de la nationalité qui connait déjà plusieurs cas de perte de la nationalité française applicables à tous les Français, aussi bien ceux à qui la nationalité française a été attribuée à la naissance que ceux qui l’ont acquise ultérieurement. C’est le cas par exemple des Français qui se comporteraient en fait comme les nationaux d’un pays étranger, qui peuvent, s’ils ont la nationalité de ce pays, être privés de la nationalité française par décret, selon l’article 23-7 du Code civil. Cette perte de la nationalité française, qui n’est certes pas une déchéance mais qui aboutit au même résultat, s’applique à tous les Français, de naissance ou par acquisition.

    Dans sa mise en œuvre, en revanche, le projet laisse perplexe

    Tout d’abord, depuis la loi du 22 juillet 1993, les règles relatives à la nationalité française ont réintégré le Code civil et l’on ne voit pas a priori pourquoi une disposition somme toute marginale devrait figurer dans la constitution, d’autant plus que la nouvelle disposition constitutionnelle devrait, pour être effective, être complétée par une loi modifiant le Code civil, ce qui est parfaitement possible sans changer la constitution puisque celle-ci prévoit d’ores et déjà, à l’article 34, que les règles relatives à la nationalité relèvent du domaine de la loi. En réalité, la seule explication de la nature constitutionnelle de la réforme voulue par le Gouvernement, outre les petits calculs partisans, tient sans doute à la volonté de se prémunir contre un éventuel recours en inconstitutionnalité de la mesure de déchéance qui serait prise en application d’une loi ordinaire. De la part d’un Gouvernement qui ne cesse de se draper dans les grands principes de « l’état de droit » et les « valeurs de la République », une telle volonté de faire obstacle au contrôle de constitutionnalité ne manque pas de sel…

    On relèvera ensuite le critère pour le moins étrange auquel le projet de loi constitutionnelle subordonne une éventuelle déchéance de nationalité. Celle-ci ne pourrait intervenir qu’après condamnation pour un crime « constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». L’ennui est qu’une telle catégorie de crimes n’existe pas dans le code pénal… et pour cause ! Cela supposerait qu’il soit possible de tuer la Nation, ce qui parait faire beaucoup d’honneur au crime… Quant à savoir ce que désignerait une atteinte « grave » à la vie, ce qui laisse entendre qu’une atteinte à la vie puisse être « bénigne », cela plonge l’exégète dans un abîme de perplexité qui ouvre toutes grandes les portes aux arguties les plus diverses qui pourraient fort bien réduire à rien la portée effective de la réforme projetée. Mais peut-être est-ce là le but inavouable : donner l’illusion d’agir pour « la protection de la Nation » tout en organisant, en réalité, l’ineffectivité de la mesure censée garantir une telle protection. Il n’est pas si étonnant, dans ces conditions, qu’un ministre notoirement connu pour son opposition de principe à la déchéance de nationalité défende le projet de réforme constitutionnelle… 

     

  • On discute ferme sur lafautearousseau, mais aussi sur notre Page facebook...

    capture d'ecran blog.jpgNous l'avons dit maintes fois : non seulement nous admettons les questions, voire les critiques, mais même nous les sollicitons, de façon à ouvrir des débats avec nos interlocuteurs, et arriver ainsi à toujours plus de clarification (dans les idées, dans le vocabulaire etc...). C'est la raison pour laquelle, sur notre quotidien, les "Commentaires" ne sont pas modérés, et paraissent instantanément. Ils animent et font vivre lafautearousseau, par les échanges souvent très intéressants qu'ils provoquent.

    C'est la même chose sur notre Page Facebook Lafautearousseau Royaliste :

    hier, Fabrice Bluszcz nous a envoyé un lien, un brin ironique, en commentaire de notre note De "larges sursis" au lieu de la "déchéance/expulsion" pour les "marchands de sommeil" : encore un signal fort envoyé aux voyous : vous pouvez y aller !... Il n'a semble-t-il pas aimé cette note, puisqu'il nous envoie un "...on invente des peines qui n'existent pas... Vous n'y voyez pas un problème ?"

    Il a fort bien fait de nous communiquer son désaccord, mais - comme nous le lui avons répondu aussitôt - nous sommes au regret de lui faire savoir qu'il se trompe. La déchéance de nationalité est bel et bien prévue par les lois de notre république (idéologique), et nous n'inventons donc pas "des peines qui n'existent pas". Sauf que, face à l'explosion exponentielle des délinquances, l'arsenal des lois actuelles en la matière est tout simplement dérisoire et totalement inadapté.

    Alors, c'est simple : ou bien l'on considère que tout va bien en France, qu'il n'y a ni délinquance ni délinquants, qu'il n'y a donc rien lieur de faire, et alors on laisse les choses en l'état; ou bien - et c'est notre cas - l'on pense que cela ne peut plus durer, qu'il faut en finir avec cette spirale infernale des violences qui montent, qui montent, qui montent; et - on est logique... - on demande un changement de nos lois, dans le sens d'un durcissement drastique, qui permettra de prononcer des diazaines de milliers de déchéances, et les expulsions qui iront avec...

    Pour l'information de Fabrice Bluszcz - et de toute autre personne qui l'ignorerait... - Voici ce que disent, pour l'instant, les textes. Nous disons bien "pour l'instant", car rien n'empêcherait le peuple souverain, s'il en sentait la nécessité, de demander à ses mandants (les députés) de modifier et durcir les actuelles lois et règlements.....

    * Source: Nathalie BRUNETTI et Carine DIEBOLT - "Droit pour Tous" - 2007 :

    - Pouvez-vous être déchu de la nationalité française ?

    - Oui, la déchéance est une sanction pour indignité ou manque de loyalisme applicable à une personne qui a acquis la nationalité française.

    - Quelles sont les conditions de la déchéance ?

    - Vous devez avoir acquis la nationalité française. Si vous êtes né français vous ne pouvez être déchu.

    - Vous devez avoir commis certains faits dans un délai de 10 ans qui a suivi l'acquisition de la nationalité française.

    - Quels sont les faits reprochés ?

    - Condamnation pour acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la France.

    - Condamnation pour acte qualifié de crime ou délit pour atteinte à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique.

    - Condamnation pour s'être soustrait aux obligations du service national

    - Actes commis au profit d'un état étranger incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France

    - Condamnation en France ou à l'étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et pour lequel la personne a été condamnée à une peine d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

    - La déchéance ne peut avoir lieu que dans un délai de 10 ans à compter de l'acquisition de la nationalité française. Pour organiser votre défense, vous disposez d'un délai d'un mois à compter de la notification vous informant de l'intention du ministre chargé des naturalisations de vous déchoir de la nationalité française.

  • Intérêts stratégiques : l'État met son veto au rachat de Photonis.

    Le groupe américain Teledyne souhaitait acquérir la société française spécialisée dans les instruments de vision nocturne pour l'armée.

    Le gouvernement a annoncé vendredi avoir bloqué l'offre de rachat de Photonis, une société spécialisée dans les instruments de vision nocturne pour l'armée, par le groupe américain Teledyne, au nom de la protection des intérêts stratégiques du pays. « L'État travaille avec des acteurs industriels et financiers français à une solution de reprise nationale permettant de préserver la souveraineté de Photonis, entreprise essentielle aux opérations militaires françaises », a expliqué la ministre des Armées, Florence Parly dans un communiqué.

    La société Photonis est basée à Mérignac près de Bordeaux (Gironde) et compte plus de 1 000 salariés. Elle travaille pour les secteurs de l'aéronautique, de la recherche et de la défense. La décision de l'État a été motivée « par la volonté forte du gouvernement français de protéger et garantir la souveraineté économique et industrielle française de défense », selon le ministère. « En l'occurrence, les conditions de reprise de l'entreprise Photonis ne répondaient pas à ces impératifs. »

    Protéger un actif stratégique

    Fin octobre, des élus s'étaient inquiétés des risques liés à un rachat de l'entreprise « hautement stratégique », dont le propriétaire, le fonds Ardian, souhaite se défaire. Un rachat par Teledyne « fait peser le risque d'une aspiration du savoir-faire technologique de Photonis, de surcroît sans garanties d'un maintien de l'emploi local », avaient dénoncé le député LR Julien Aubert ainsi que sept parlementaires et anciens parlementaires dans un courrier adressé au Premier ministre.

    L'État a « considéré que pour protéger un actif stratégique il était préférable de renoncer à un investissement étranger, c'est bien un investissement étranger et non l'entreprise Teledyne » qui est visé, a précisé vendredi le cabinet du ministère, rappelant que Teledyne « est un fournisseur du ministère de la Défense et emploie environ 850 salariés en France ». Aucune précision n'a été donnée sur les autres solutions étudiées par l'État. « On a plusieurs solutions identifiées ou en train d'être étudiées », a indiqué l'entourage de Florence Parly, « on ne se ferme aucune porte ». Le gouvernement français surveille de près ce dossier via le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France, grâce auquel il peut empêcher le rachat d'une entreprise française par un acteur étranger si elle revêt un intérêt stratégique pour le pays.

    « Photonis est une pépite » qui « doit rester française »

    Au printemps, le ministre de l'Économie, Bruno Le Mair,e avait déjà fait état de son opposition à ce rachat par le groupe américain, souhaitant que Photonis reste entre des mains françaises. Teledyne avait d'ailleurs retiré sa première offre de reprise fin septembre, avant d'en proposer une nouvelle en octobre. Début septembre, Florence Parly avait de son côté réaffirmé sa volonté de « consolider les filières souveraines » de l'industrie de défense.

    Photonis est spécialisée dans les technologies optroniques. Elle produit notamment des éléments d'intensification de lumière utilisés dans les jumelles de vision nocturne et des instruments utilisés par le Laser mégajoule, sur un site du Commissariat à l'énergie atomique destiné à tester par simulation des explosions nucléaires. « C'est une entreprise qui va très bien, qui a un plan de charge conséquent, et qui fait des marges importantes pour une industrie de défense », selon le cabinet de la ministre, pour qui « Photonis est une pépite » qui « doit rester française ».

    Source : https://www.lepoint.fr/

  • La pensée décoloniale est-elle coloniale? Pour une déconstruction du décolonialisme, par Vincent Tournier.

    Pendant que le « Mois décolonial1 » est à la fête à Grenoble, le Château des ducs de Bretagne organise la deuxième édition de son exposition « Expression(s) décoloniale(s) ». Las, les deux invités originaires d’Afrique ont tenu un discours bien différent de celui qui était attendu, révélant au passage une difficulté à laquelle les militants décoloniaux n’ont manifestement pas songé : se pourrait-il que la pensée décoloniale soit elle-même l’héritière de la pensée coloniale ?

    5.jpgL’accusation est maintenant bien rodée : notre mentalité à nous autres Européens, et plus particulièrement à nous autres Français, est conditionnée par une histoire coloniale qui ne passe pas, comme on disait naguère à propos de Vichy. Loin d’appartenir à un passé révolu, la colonisation continue de nous habiter et de nous déterminer. Elle a façonné nos esprits et nos cadres mentaux. Elle nous fait voir le monde à travers un regard binaire : les colons et les colonisés, les Blancs et les « racisés ». 

    Cette « pensée blanche » imprègne tout : les institutions, les lois, la pensée, la langue, les expressions culturelles, et même la science. Tout notre univers est marqué par cette matrice héritée du passé, tel un logiciel dont on ne peut pas se débarrasser. Colonisateur un jour, colonisateur toujours. Les Blancs sont d’éternels colons, et le pire c’est qu’ils l’ignorent ; ils forment une caste qui n’a pas conscience de ses privilèges car leurs titres de noblesse relèvent d’un habitus conditionné par le passé. D’où le racisme systémique : vous aurez beau avoir les meilleures lois et les meilleures intentions du monde, vous serez toujours des colons dans le sang. Tel père, tel fils. L’air de rien, le décolonialisme a remis au goût du jour la responsabilité collective et héréditaire des peuples.

    De l’avant-garde éclairée à l’avant-garde éveillée

    Une question vient cependant à l’esprit : si nos cadres mentaux sont à ce point conditionnés par l’histoire, par quelle grâce les militants décoloniaux ont-ils été capables de sortir du pot commun ? Par quel mystère sont-ils parvenus à échapper à la malédiction du colonialisme, eux qui ont finalement les mêmes caractéristiques que leurs compatriotes restés englués dans la gangue colonialiste ?

    Le problème n’est pas nouveau. Il s’est posé dans les mêmes termes aux militants révolutionnaires : si les idées de chacun sont déterminées par la position de classe, au nom de quoi certains esprits parviennent-ils à s’arracher à leur condition sociale et à prendre conscience de leur situation ? 

    Une contradiction aussi puissante aurait pu devenir gênante si elle n’avait été résolue par un tour de magie inspiré du mythe platonicien de la caverne : par miracle, une minorité particulièrement lucide a su s’émanciper de son déterminisme de classe. Ces heureux élus ont réussi à quitter l’univers mental du citoyen ordinaire et savent voir le monde tel qu’il est. Ils sont devenus l’avant-garde éclairé du prolétariat, ce qui leur permet de travailler à la conscientisation des masses. 

    Le même miracle se produit aujourd’hui avec les militants décolonialistes. Une minorité d’éveillés a pu sortir de l’idéologie coloniale et prendre la tête du combat post-colonial. Comme leurs prédécesseurs qui luttaient pour l’émancipation du prolétariat, dont ils revendiquent du reste la filiation2, ces nouveaux éveillés entendent faire prendre conscience des dominations cachées qui structurent le monde social – ou plutôt : racial, car la race a pris le relais de la classe sociale – dans le but de faire advenir un monde libéré de la domination blanche. 

    L’objectif du décolonialisme rejoint alors celui du communisme : de la même façon qu’il fallait autrefois déconstruire l’imaginaire bourgeois, il s’agit désormais de « déconstruire l’imaginaire colonial », pour reprendre la formule du Mois décolonial3, ou encore « décoloniser sa pensée, son regard, son imaginaire », comme l’indique le Musée d’histoire de Nantes4. Bref, il faut sortir de la fausse conscience coloniale comme il fallait jadis sortir de la fausse conscience de classe.  

    « S’il n’y avait pas eu de vendeur, il n’y aurait pas eu d’acheteur »

    Se pourrait-il toutefois que les éclairés décoloniaux se trompent sur eux-mêmes ? Se pourrait-il que leur pensée soit plus imprégnée de l’idéologie coloniale qu’ils ne se l’imaginent ? 

    Telle est la question qui vient à l’esprit en découvrant les interventions des deux invités de l’exposition nantaise « Expression(s) décoloniale(s) »5

    Bien que cet événement soit placé sous le signe du décolonialisme le plus ordinaire, les deux invités ont tenu des propos pour le moins détonants. L’artiste béninois Romuald Hazoumé a ainsi déclaré : 

    « Moi mon rôle en tant qu’artiste africain, c’est de dire aux miens : “nous, Africains, devons aussi assumer notre responsabilité dans l’esclavage ! S’il n’y avait pas eu de vendeur, il n’y aurait pas eu d’acheteur. Comme les Occidentaux, des Africains ont aussi profité de ce trafic ! Et il est important de parler de ce qui se passe aujourd’hui, de parler de ces enfants que l’on ‘place’ dans d’autres familles, qui font le ménage, la vaisselle, qu’on ne met pas à l’école… Nous devons nous regarder d’abord avant de regarder les autres.” » 

    De son côté, l’historien ivoirien Gildas Bi Kakou explique que, s’il s’est intéressé à la traite négrière, c’est parce qu’il a découvert que certains de ses ancêtres avaient été propriétaires d’esclaves. Il indique que ses recherches portent sur les opérations guerrières « nolo » (rapt d’un individu isolé) et « mvrakila » (razzia) menées au Congo pour fournir des esclaves aux négriers. Il étudie également le royaume esclavagiste Ashanti (1701-1874) qui exigeait chaque année la livraison de 2 000 esclaves. De ses recherches, il tire une conclusion décapante dans le milieu décolonial :

    « La responsabilité africaine dans l’esclavage est encore taboue. Que l’on soit descendant de parents réduits à la servilité ou de personnes possédant des esclaves, c’est encore très compliqué et honteux d’en parler ». 

    On comprend pourquoi cet historien, dont les recherches ont été récompensées en France par le prix du Comité national pour la mémoire et l’Histoire de l’esclavage en 2019, ne suscite guère l’enthousiasme de la part des universités ivoiriennes : de toute évidence, ses conclusions risquent de brouiller les demandes de réparation que les États africains tentent de promouvoir.

    Mais surtout, en écoutant ces deux personnalités, une question vient à l’esprit : quelle place le décolonialisme accorde-t-il à ce type d’analyse ? À quel moment permet-il à cette parole critique de s’exprimer ? 

    Un colonialisme qui s’ignore ?

    De ce fait, deux problèmes sont incidemment mis au jour. Le premier est que le décolonialisme est un discours clos sur lui-même, hermétique à toute information dissonante, ce qui n’est pas vraiment une surprise ; le second est que l’imaginaire décolonialiste ne conçoit l’histoire que du point de vue occidental, n’attribuant un rôle actif qu’aux peuples occidentaux. L’Occident a certes tous les défauts de la terre car c’est lui qui sème les maux de l’humanité (domination, exploitation, violence, barbarie), empêchant les autres peuples de s’exprimer, et pillant au passage leurs ressources et leur génie pour son seul profit. Mais c’est lui aussi qui est le seul acteur authentique de l’histoire,

    Se pourrait-il alors que le décolonialisme, par son refus d’intégrer dans son raisonnement la moindre responsabilité des Africains eux-mêmes, soit à son tour imprégné par l’idéologie colonialiste ? Le décolonialisme n’a-t-il pas finalement pour caractéristique, en figeant l’Afrique dans le rôle d’une victime éternelle et passive, de reprendre la même vision condescendante et paternaliste qui a justifié la colonisation ?

    Une phrase revient ici en mémoire : celle de Nicolas Sarkozy sur « l’homme africain [qui] n’est pas entré dans l’histoire », prononcée à Dakar en 2007. A l’époque, l’ancien président avait suscité des critiques virulentes, notamment à gauche. Pourtant, il est troublant de relever que, tout compte fait, cette phrase convient assez bien aux militants décoloniaux d’aujourd’hui, eux qui ne voient les peuples d’Afrique que comme des entités idéalisées et terriblement fragiles, incapables d’être des acteurs autonomes de l’histoire, surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer les pulsions négatives de l’humanité. 

    Colonial toi-même

    Loin de rompre avec la pensée colonialiste, le décolonialisme se présente ainsi comme l’un de ses rejetons ou, plutôt, comme l’une des variantes de la même matrice culturelle : celle qui aspire à faire le bien de l’humanité, à émanciper les peuples sur la base de droits universels, avec toutes les limites et les contradictions que suppose un tel programme. De ce fait, le décolonialisme se donne raison à lui-même : à son corps défendant, il est lui-même la preuve que l’idéologie coloniale imprègne toutes nos mentalités. Et ce faisant, il révèle son échec : on ne sort pas facilement de l’imaginaire colonial. 

    Il reste que le paradoxe n’est pas des moindres : d’un côté le décolonialisme entend rompre avec l’imaginaire colonialiste ; et de l’autre c’est précisément dans cet imaginaire qu’il puise l’essentiel de son argumentation. C’est la même difficulté que l’on observe chez les partisans de l’ouverture des frontières (européennes) dont les décolonialistes sont généralement issus : d’un côté ils idéalisent les individus qui viennent d’Afrique, mais de l’autre ils souhaitent inconsciemment les sauver de la barbarie qui règne chez eux. D’où leurs mobilisations pour aider les migrants à franchir les frontières ou empêcher les expulsions vers les pays d’origine. 

    Ce faisant, une lecture schizophrénique s’est constituée qui dissocie les individus et leur société, comme si les premiers n’avaient rien à voir avec la réalité collective à laquelle ils appartiennent. La contradiction saute pourtant aux yeux. Elle ne peut être résolue qu’en considérant que toute la responsabilité des malheurs du monde revient à l’Occident, ce qui est encore une manière de décrypter l’histoire à partir d’un centre unique.  

    Déconstruire quoi ?

    L’annonce du Mois décolonial grenoblois a été accompagnée d’un beau petit lapsus. On lit en effet sur un site associatif : « au travers d’un geste artistique et d’une parole intellectuelle, nous tenterons de déconstruire l’imaginaire post-colonial« 6

    Parler ici de l’imaginaire post-colonial est étonnant. Habituellement, les tracts et les affiches évoquent l’imaginaire colonial, ce qui est logique. Déconstruire d’imaginaire colonial, cela veut dire détruire l’héritage colonial qui est supposé être toujours présent dans nos esprits ; en revanche, déconstruire l’imaginaire post-colonial est moins clair puisque cette expression désigne la période qui suit la colonisation, et traite donc de l’imaginaire qui s’est constitué après la colonisation, dont le décolonialisme fait justement partie. 

    Ce lapsus gentillet ne mériterait pas qu’on s’y arrête s’il ne venait révéler une limite évidente du décolonialisme : l’absence de regard critique sur la nature même du mouvement décolonial. Si la déconstruction est une méthode d’accès à la connaissance authentique, pourquoi ne serait-elle pas appliquée à l’imaginaire post-colonial, donc au décolonialisme lui-même, pur produit du monde post-colonial ? 

    Il va de soi que les militants décoloniaux ne sont pas disposés à engager un tel travail. Le programme du Mois décolonial ne fait d’ailleurs guère mystère de son faible attrait pour le débat contradictoire, comme le reconnaît sans peine l’un de ses militants : « ce qui m’intéresse, c’est d’avoir des informations, de comprendre, pas de savoir si on doit déconstruire ou non, mais comment. Sinon, on se retrouve sur un débat sur CNews ! »7.

    Là où les choses sont plus compliquées, c’est que le mouvement décolonial n’est pas seulement un mouvement militant ; il s’est aussi fortement développé dans les universités et les centres de recherche où il gagne régulièrement du terrain. Or, si l’absence de débats chez les militants n’est pas étonnante, il en va différemment des universitaires, pour lesquels on attend un minimum de recul et de réflexivité. 

    Voilà qui pourrait constituer un beau projet pour le CNRS : pourquoi ne pas lancer un programme de recherche sur l’imaginaire décolonialiste dans le but d’en comprendre la nature et les ressorts, ainsi que les groupes et les réseaux qui la soutiennent ? L’enjeu n’est pas mince puisque cette idéologie semble prendre le relais du communisme comme projet d’émancipation, sans que l’on comprenne encore très bien quel type de société cette idéologie entend instaurer.

  • NI EXTRÊME GAUCHE, NI EXTRÊME DROITE ...

    Par Michel Maffesoli

    Une remarquable analyse parue sur Atlantico, le 24 décembre. A lire absolument.  LFAR 

    logo.pngLe sociologue Michel Maffesoli livre un texte consacré à la sécession du peuple à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes, et au désarroi des élites. En cette période troublée, conséquence inéluctable des profondes mutations à l’œuvre dans nos sociétés, peut-être n’est-il pas inutile de se souvenir de la distinction proposée par Nicolas Machiavel entre « la pensée du Palais » et « la pensée de la place publique ! »

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    Gilets jaunes en sécession : élites désemparées face à l’extrême-peuple

    Distinction, désaccord, écart, lorqu’on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, il est fréquent que le peuple fasse sécession. Secessio plebis d’antique mémoire, au cours de laquelle les plébeiens se « retirent sur l’Aventin ». De nos jours, plus prosaïquement, ils occupent les ronds-points de la France périphérique. Mais quels sont les patriciens pouvant ramener la concorde et le calme des esprits ?

    Voilà qui n’est pas évident, tant est grand le désarroi des élites. Les experts ne font plus recette, les politiques sont déconsidérés, les journalistes suscitent la méfiance. Ce qui fait que les belles âmes, pétries de bons sentiments, occupant les plateaux des étranges lucarnes et trustant les colonnes des principaux journaux ont peur. Il faudrait être Cervantès pour décrire ces « chevaliers à la triste figure » luttant contre des moulins à vent . En la matière, la condamnation, sans appel, de l’extrême gauche ou plus encore et d’une manière obsessive de l’extrême droite, automatiquement synonyme de danger fasciste. Rien de moins !

    Au-delà de ces supposés extrémismes, c’est de « l’extrême peuple » dont il s’agit. Il est amusant d’entendre tel bien-pensant, voir se profiler l’ombre de Hitler ou de Mussolini derrière l’anodine demande d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Amusant ? et quand on vient d’en rire, il faudrait en pleurer !

    Restons sur notre Aventin. Le conflit fut réglé, on s’en souvient, quand outre la remise des dettes, c’est la constitution d’une magistrature de la plèbe qui fut obtenue.

    Voilà un symbole instructif. Il y a dans toute lutte un côté que l’on peut nommer spirituel, que le matérialisme natif de nos élites marxisantes déphasées a du mal à comprendre. C’est cet aspect symbolique qui est le cœur battant de ces régulières révoltes des peuples, dont le phénomène des gilets jaunes est l’expression contemporaine. Cet aspect est la ressource indomptable de la force morale.

    La sécession du peuple, c‘est l’action de se séparer, de s’éloigner d’un État s’étant lui-même éloigné d’un peuple qu’il est censé représenter. Se retirer d’un état de fait où « le service public » a mis le public à son service.

    Dès lors, les révoltes expriment l’irrésistible besoin de revenir à la « place publique ». C’est-à-dire au lieu que l’on partage avec d’autres. L’on a par trop oublié que le « lieu fait lien ». Trop obnunilées par des projets politiques orientés vers le lointain et pensées pour le futur, les élites ont oublié l’importance du localisme et l’urgence d’une vie quotidienne vécue au présent.

    C’est bien cela qui s’exprime dans les révoltes en cours. Ces « Aventins » que sont les ronds-points contemporains redisent, tout simplement, le plaisir d’être ensemble pour être ensemble. Ce qui est une efficace manière de lutter contre une techocratie de plus en plus abstraite, considérant avec mépris un peuple débile, incapable de comprendre, comme le signalait il y a peu un dirigeant de la majorité politique « l’intelligence et la subtilité de l’action gouvernementale ».

    Or la sagesse populaire « sait » d’un savoir incorporé sur la longue durée qu’il faut se méfier des pratiques dilatoires du pouvoir surplombant. Qu’il convient de ruser vis-à-vis des tentatives de diversion d’une administration capable, toute honte bue, d’annuler sans coup férir les mesures prises en réponse à la fièvre populaire. Annulation, annulation des annulations, la violence propre au totalitarisme « doux » d’un État jacobin a plus d’une corde à son arc. Mais à certains moments ces ruses technocratiques se parant de justification ou de rationalisation plus ou moins sophistiquées ne font plus illusion. Pour le dire trivialement : la coupe est pleine ! Et aux sincérités successives, qui dès lors sont ressenties comme de réelles faussetés les peuples répondent : « cause toujours, tu m’intéresses ».

    A ces discours dissertant avec « intelligence », sur un ordre des choses dont ils ignorent l’alpha et l’oméga, les insurrections populaires rappellent que l’authentique socialité est celle d’une communauté de destin se vivant au plus proche. Ces insurrections en appellent à une décentralisation radicale acceptant, reconnaissant l’existence concrète, c’est-à-dire vécue au jour le jour, des fondamentales appartenances « tribales ».

    Car ce sont bien ces appartenances qui s’expriment au grand jour dans le phénomène des « gilets jaunes ». Au-delà ou en–deçà des classes sociales de la théorie marxiste ou des catégories socio-professionnelles (CSP) des habituels et lassants sondages fonctionnalistes, c’est une socialité de base, rassemblant ce qui est épars que l’on retrouve autour des feux ponctuant les ronds-points. Ces feux sont comme autant de foyers où l’on se tient chaud et où se concocte le renouveau des solidarités organiques, cause et effet de toute société.

    Il ne s’agit pas là, comme l’analysent les sociologues qui sont en retard d’un siècle d’une  « lutte de classe » ou de ces inconsistants « mouvements sociaux », tartes à la crème d’observateurs ou d’experts déphasés. Non, c’est tout autre chose dont il est question.

    Volens, nolens, et même si on ne veut pas le voir, ce que l’on nomme solidarité organique en gestation est cela même qui s’élabore autour des foyers de ces ronds-points. En la matière, au travers des problèmes soulevés par les retraités, c’est le respect des Anciens, la reconnaissance de leur autorité venue de l’expérience de la vie qui est en jeu.

    C’est aussi la solidarité dont il est question quand ces Anciens échangent avec ces jeunes, chômeurs ou entrepreneurs, ayant du mal à joindre les deux bouts ou à développer leur nouvelle entreprise. Il y est question de générosité, d’entraide, d’échange et autres valeurs essentielles. Ce qui reste incompréhensible, parce que quelque peu archaïque, à des élites purement rationalistes, ayant quelque mal à comprendre l’importance de l’immatériel.

    Du coup, il leur est aisé de stigmatiser cette réémergence d’une solidarité proxémique au moyen de ces grands mots quelque peu incantatoires, donc vides, dont la bien-pensance a le monopole. L’on est ainsi abreuvé jusqu’à plus soif de termes tels que : populisme, communautarisme, complotisme, racisme, antisémitisme, poujadisme, « boffitude » et autres noms d’oiseaux du même acabit.

    On a même pu entendre un soixante-huitard célèbre, devenu notaire à la place des notaires qu’il conspuait en 68, signaler avec componction que de par ses origines et en référence à « l’étoile jaune » de triste mémoire, il était allergique à cette couleur ! tout un programme ! En fait tout cela témoigne d’une profonde incompréhension. Des commentateurs patentés hantant les sempiternelles talk-shows télévisés ou radiophoniques dont la caractéristique est un « entre-soi » fondamental. N’aidant en rien la compréhension d’une révolte radicale, mettant en cause la rigidité d’un pouvoir dont la verticalité n’est plus acceptée.

    Voilà bien le paradoxe de la tempête soufflant avec la violence que l’on sait. Ces échanges entre ancienne et jeune générations, ce souci du partage et de la solidarité, en bref ce plaisir d’être ensemble trouve l’aide du développement technologique. Le sentiment d’appartenance « tribale » est conforté par la cyberculture. Les réseaux sociaux, les forums et autres blogs, voilà ce qui rend caduques les formes habituelles de la représentation syndicale ou partisane. Le refus d’une organisation verticale et hiérarchisée a pour corrélat l’irréfragable désir d’une horizontalisation des rapports sociaux.

    Fondamentalement, ce « Netactivisme » en cours traduit bien la mutation, tout à fait postmoderne, du vertical à l’horizontal. Il se trouve que c’est sur les réseaux sociaux que s’expriment au mieux ces incoercibles révoltes qui sont, certainement, loin de s’achever. Caricatures, photomontages et collages divers singent, parodiquement, les divers protagonistes des pouvoirs politiques, journalistes ou divers sachants. Ayant pris conscience de ce que Platon nommait la « théâtrocratie » d’une démocratie en déshérence, le peuple, à son tour, tourne en ridicule les faits et méfaits des élites décadentes.

    En réponse aux turlupinades ayant eu lieu, lors de la fête de la musique en juin dernier sur les marches de l’Elysée ou encore ayant à l’esprit les indécentes exhibitions lors d’un voyage présidentiel à St Martin, l’ironie, l’humour et la franche rigolade se répandent comme une traînée de poudre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur ce charivari nex look qu’est le phénomène des gilets jaunes. Car dans la foulée des réseaux sociaux, la parodie contre la théâtrocratie du pouvoir a sa place dans la théâtralisation des manifestations en cours. Cela rejoint les « fêtes des fous » médiévales et autres moments d’inversion où le peuple prenait sa revanche vis-à-vis des pouvoirs établis.

    On l’a dit, non pas extrême gauche et non plus extrême droite, mais « extrême peuple » qui, à l’image du « brave soldat » Chveïk popularisé par J. Hasek, manie la satyre, pratique l’humour et la dérision et, ainsi, met à mal le burlesque état des choses dominant. C’est bien quelque chose de cet ordre qui est en jeu dans la révolte du peuple qu’expriment les gilets jaunes : de la candeur et du courage. Courage, c’est, ne l’oublions pas, du cœur et de la rage. Mixte fécond, répondant au discours technocratique délayant d’une manière insipide toute une série de banalités. Ces discours n’accrochent plus, l’arrogance n’est plus de mise.  

    Michel Maffesoli
  • Le séducteur : Retour sur le discours d'Emmanuel Macron aux évêques

     

    Par François Reloujac

    Religion et politique. « Standing ovation » aux Bernardins pour le président de la République et beaucoup d’éloges dans la presse, avec ce qu’il faut de fureur mélanchonienne pour leur donner davantage de relief ! 

    Le 9 avril dernier, les évêques de France recevaient le président de la République au Collège des Bernardins. Le discours présidentiel se proposait de chercher à « réparer » le « lien abîmé » entre la République et l’Église… Sous des propos apaisants et amicaux qui donnaient à croire à une « ouverture », Macron le subtil incitait, en fait, l’Église à œuvrer avec lui  voire exigeait d’elle qu’elle se rallie à son action. Éternel recommencement. Discours qualifié d’intelligent par la plupart des observateurs mais qui pourrait aussi bien être considéré comme rusé, tant il semble en appeler à la cléricature pour mieux la détacher des dogmes et de la morale de la religion révélée.

    Reconnaître à l’Église un droit de « questionnement »

    Le président a commencé par afficher la volonté de « réparer le lien abîmé » entre l’État et l’Église catholique, ce que tout Français conscient ne peut que déplorer, mais sans dire jamais en quoi et pour quoi et par qui ce lien est ou fut abîmé, ce qui évite d’avoir à traiter les problèmes de fond. Que ce lien soit en particulier abîmé par les lois contre nature que la République s’ingénie à imposer, comme le meurtre des enfants dans le sein de leur mère, la dénaturation de ce que signifie l’institution millénaire du mariage, la « chosification » des enfants dont le droit à l’enfant est le prétexte et, pire la « chosification » des femmes dont la location d’utérus est le dernier avatar, ou, bientôt, la condamnation à mort des personnes qui souffrent ou qui sont âgées. Rien de ces sujets capitaux et qui engagent l’avenir d’une civilisation, n’est abordé sous son jour de vérité naturelle et surnaturelle. Le président se dit prêt à écouter « le questionnement » de l’Église. Pourvu qu’elle admette de rester « un questionnement ». S’il est des normes au-delà, il n’appartient pas au président de la République de le savoir. Le lien est donc rétabli à la condition que l’Église ne cherche pas à promouvoir la vérité qu’elle détient mais qu’elle en reste au simple « questionnement » qui permet à chacun d’apporter sa propre réponse. Autant dire aux catholiques qu’ils sont libres d’exprimer ce qu’ils veulent à condition qu’ils ne prétendent pas transmettre une Vérité qui ne vient pas d’eux mais qui a été révélée ; il en résultera que ce qu’ils diront ne sera plus qu’une opinion parmi d’autres et comme ils ne sont plus majoritaires, ils n’auront pas à se plaindre s’ils ne sont pas suivis puisqu’ils n’auront, en bons démocrates, qu’à se rallier à la loi de la majorité. Et chacun doit bien savoir qu’au-dessus de tout, incréée, éternelle autant qu’évolutive, s’impose comme unique absolu la loi de la République. C’est à cette République que les chrétiens se doivent d’apporter « leur énergie » et « leur questionnement ». Avec leurs bâtonnets d’encens !

    Citer des chrétiens pour se dispenser de suivre leurs exemples

    Pour mieux séduire ceux à qui ils demandent de renier ce qu’ils ont de plus précieux, il cite, dans une liste à la Prévert, quelques auteurs chrétiens choisis pour représenter toutes les tendances et dont on se demande si, comme tout bon élève d’aujourd’hui, il ne l’a pas constituée en consultant Wikipédia. Il nous dit cependant qu’il ne tient pas à remonter trop haut, ni aux cathédrales, ni à Jeanne d’Arc dont il oublie de dire que l’Église l’honore de la gloire des saints. Il ne s’agit plus que de travailler aujourd’hui à l’œuvre commune en y mettant ce zèle que les catholiques de France – comme ils l’ont montré – sont capables de mettre en œuvre pour faire vivre la société avec cet art admirable de ne jamais rien revendiquer pour eux ! Ce serait une erreur de la République de ne pas savoir se servir d’un tel supplément d’âme. Le Président reconnaît ainsi le rôle irremplaçable de l’Église de France.

    Le ralliement « au monde »

    Cette Église est tellement utile quand elle « met les mains dans la glaise du réel », là où l’État ne le peut plus – ou, en fait, ne le veut plus – pour aboutir à « un moindre mal toujours précaire » ! Pour arriver à obtenir de l’Église ce qu’il en attend, dans cette politique des « petits pas », il n’épargne aucune couche de jolie pommade. Il se fait une « haute opinion des catholiques » avec qui il veut dialoguer et dont il attend la coopération totale ainsi qu’une contribution de poids « à la compréhension de notre temps et à l’action dont nous avons besoin pour faire que les choses évoluent dans le bon sens ». Quel bon sens ? Et quelle évolution ? Et de quelles choses ? En un mot, il attend que les fils de Dieu se mettent purement et simplement au service « de ce monde ». Il ne faut pas que les chrétiens se sentent « aux marches de la République ». On croirait qu’il se souvient de l’encyclique du pape Léon XIII Au milieu des sollicitudes de la fin du XIXe siècle. Cependant il occulte ou il oublie qu’en écrivant cette encyclique, le pape souhaitait, en fait, que les catholiques de France « se rallient » à la République, dans l’espoir qu’ils pourraient alors influencer les institutions au point de les rendre respectueuses des droits de Dieu, comme les martyrs avaient réussi à « christianiser » l’empire romain. Il pensait que si les catholiques de France, alors persécutés, « investissaient » la République, ils pourraient la transformer de l’intérieur, empêcher de voter des lois antireligieuses et la rendre finalement fidèle à l’enseignement de l’Église. Force est de reconnaître que cette encyclique a totalement raté son objectif ! Cependant la même politique se continue aujourd’hui comme depuis plus d’un siècle avec le succès que l’on connaît. Notre président appelle donc directement l’Église de France à persévérer dans la même voie. Venez, prenez votre place, acceptez nos lois, donnez-nous votre dévouement et nous écouterons « votre questionnement » !

    Nature des trois dons exigés

    Dans cet état d’esprit il appelle l’Église à ce qu’elle fasse trois dons à la République : don de sa sagesse, don de son engagement, don de sa liberté. Nous sommes là bien loin, malgré les apparences, du don de la Sagesse demandé à Dieu par Salomon ! Salomon demandait à Dieu d’être habité par sa Sagesse et donc de la rayonner autour de lui et dans toutes ses œuvres. Le président de la République, en jouant avec les mots et inversant le sens de la demande, propose à l’Église de se dépouiller de ces trois attributs, donc de les sacrifier à son profit pour qu’il puisse s’en servir selon son bon plaisir, en fonction de sa volonté propre. Qu’elle les mette à son service !

    Car qu’est-ce que la sagesse de l’Église pour le président de la République, si ce n’est son « questionnement propre » qu’elle « creuse »… « dans un dialogue avec les autres religions » ? Elle est aussi cette « prudence » qui caractérise d’ailleurs « le cap de cet humanisme réaliste » qu’il a choisi comme norme. Il insiste sur ce point : là où il a besoin de la sagesse de l’Église, « c’est pour partout tenir ce discours d’humanisme réaliste » ; comprenons bien : non pas pour faire entendre la parole de Dieu.

    Face au « relativisme », au « nihilisme » à « l’à-quoi bon » contre les causes desquels il n’envisage pas de combattre, il requiert de l’Église le don de son engagement. Elle n’a pas à lutter contre les causes, non, mais son aide sera bienvenue en revanche pour atténuer les effets, autrement dit pour faire passer la pilule et endormir les consciences. Au même titre que « tous les engagés des autres religions » et ceux des « Restos du cœur », les fidèles de l’Église sont ainsi appelés à consacrer leur énergie « à cet engagement associatif » puisque cette énergie a été « largement soustraite à l’engagement politique ».

    Quant au don de sa liberté que l’Église est invitée à faire, elle qui n’a jamais été « tout à fait de son temps », – « mais il faut accepter ce contretemps » –, c’est de se montrer « intempestive ». Plus elle sera ainsi choquante, en particulier sur les migrants, plus elle aura l’impression d’être libre, mais moins elle sera suivie par la majorité de l’opinion. Plus elle sera inopportune, moins donc elle sera dangereuse. « Et c’est ce déséquilibre constant qui nous fera ensemble cheminer ». Ce don de sa liberté suppose que l’Église offre aussi sa liberté de parole, … cette liberté de parole qui inclut « la volonté de l’Église d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dont le monde a tant besoin ». Besoin de quoi ? Du dialogue ou de l’islam ? Le président est trop instruit pour ne pas savoir qu’il ne peut y avoir de dialogue qu’entre égaux, ce qui signifie qu’il met sur le même plan l’Église catholique et l’islam. 

    Intelligent ou malin ?

    La position du président conduit à fonder le dialogue entre la République et l’Église « non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge ». L’Église n’a donc pas à enseigner les dogmes, ses dogmes, c’est-à-dire sa foi. Sa foi en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Il n’est pas question d’indiquer un chemin de vérité. Elle peut simplement partager avec les politiques les inquiétudes et incertitudes des hommes, et de préférence des hommes mal ou non croyants. « C’est là que la nation s’est le plus souvent grandie de la sagesse de l’Église, car voilà des siècles et des millénaires que l’Église tente ses paris, et ose son risque ». Quelle manière de résumer l’histoire ! Que reste-t-il alors de l’Église ? Peut-on vraiment réduire l’Église à « cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas » ?

    Sûr de l’empathie qu’il réussit à manifester et à entretenir, il ajoute avec un certain cynisme :

    « C’est une Église dont je n’attends pas de leçons, mais plutôt cette sagesse d’humilité face en particulier à ces deux sujets que vous avez souhaité évoquer. »

    Il s’agit de la PMA – GPA et des migrants ! Vraiment du grand art pour rouler ses auditeurs dans la farine.

    Quant au mot de la fin, il rappelle la séduction du serpent qui entraîne à la transgression :

    « Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Église elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie ». Il eût été plus franc de dire : « Laissez les politiques ramper dans la fange sans les condamner, vous risqueriez de faire fuir les dernières ouailles qui vous restent. Mettez-les au service du monde que nous construisons. ! »

    Alors, intelligent, le discours du président ou simplement malin ?   

     

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques. Politique magazine

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques.  

    François Reloujac
     
  • Le vrai mal : la République jacobine et oligarchique

    Par Yves Morel

    Le mouvement des Gilets jaunes signe la déchéance représentative du pouvoir politique et, plus gravement, la faillite de nos institutions. Soubresauts violents et résignation contrainte se partagent le cœur des Français et des Gilets jaunes. 

    Les actes V, VI, VII, VIII et autres de la mobilisation des Gilets jaunes ont révélé un essoufflement incontestable du mouvement en même temps qu’un certain durcissement. Les annonces du président Macron ont relativement porté. La stratégie gouvernementale est parvenue à diviser le mouvement et à réduire le courant de sympathie dont il jouissait. Beaucoup de gens inclinent à croire que les mesures annoncées sont de peu de poids, n’auront aucune incidence positive réelle, et, de fait, seront annulées par d’autres initiatives gouvernementales, mais ils doutent que la prolongation du mouvement puisse avoir des retombées fastes et que l’exécutif puisse vraiment mettre en œuvre une politique alternative à celle qui a été la sienne jusqu’à présent. Les Français comprennent les Gilets jaunes, dont ils partagent les conditions de vie et les problèmes pécuniaires, mais ils ne croient pas que leur mouvement, prolongé sine die, puisse contribuer à améliorer leur quotidien. Et les Gilets jaunes eux-mêmes baignent dans cet état d’esprit. Devant les caméras, beaucoup d’entre eux, non convaincus par le discours présidentiel du 11 décembre dernier et par les vœux du 31 décembre, et déterminés à persévérer dans leur action, reprochent à Emmanuel Macron de rester muet sur les moyens de financement des mesures sociales qu’il vient d’annoncer et le soupçonnent, à terme, de vouloir “reprendre d’une main ce qu’il a accordé de l’autre”.

    Le fatalisme face à l’omnipotence du pouvoir économique et à l’impuissance du politique

    Les intéressés n’accordent donc aucune confiance au président de la République quant à l’application des mesures qu’il a énumérées. Et les Français en général partagent cette défiance.

    Fort bien. Mais une pleine et exacte compréhension du discrédit qui atteint ainsi le président, le gouvernement et la classe politique, exige l’élucidation de la nature profonde de cette défiance. En quoi consiste exactement cette dernière ? On peut l’entendre comme une accusation tacite contre ce « président des riches », qui applique une politique favorable aux détenteurs de capitaux et défavorable aux travailleurs, aux petits retraités et aux agriculteurs. Mais on peut également l’interpréter comme une absence de confiance en la capacité de l’État à pratiquer une politique qui ne répondrait pas aux exigences des « riches » et serait plus soucieuse des intérêts des salariés et des petits entrepreneurs. La défiance viserait alors surtout l’impuissance de l’État et du gouvernement – et, pour tout dire, l’impuissance du politique – face au pouvoir économique, qui est le vrai pouvoir, celui qui a la faculté d’imposer sa loi et la prévalence de ses intérêts ; et qui se trouve en mesure d’obliger les pouvoirs publics et toute la population à identifier ses intérêts propres à ceux de la nation… et aux intérêts mêmes des travailleurs, dont le sort dépend de la décision des capitalistes d’investir ou de ne pas le faire, de laisser vivre ou de fermer les entreprises, de maintenir l’emploi sur place ou de délocaliser. Ces deux manières de concevoir la défiance à l’égard de la politique économique et sociale de l’exécutif ne s’excluent d’ailleurs pas. Et les propos tenus par les Gilets jaunes eux-mêmes, et par les Français interrogés sur le mouvement et la situation actuelle, montrent que, dans la tête de la plupart des gens, elles vont de pair.

    8904178-14111076.jpgNos compatriotes inclinent à percevoir le président comme le représentant des maîtres du pouvoir économique, et ne pensent pas que, de toute façon, même s’il le désirait, ou même s’il était remplacé par quelque autre, il puisse mettre en œuvre une politique qui ne satisferait pas les intérêts des détenteurs de capitaux. Ils sont, au fond, pénétrés de cette conviction fataliste que la politique d’austérité est « la seule politique possible », comme disait Alain Juppé, au temps où il était Premier ministre, en 1995. À cette époque, les Français ne se résignaient pas à ce douloureux principe de réalité, et ils partaient en grève à la moindre annonce de réforme de la SNCF ou du régime des retraites. Puis, vaincus par le découragement et par l’expérience vécue de la dégradation continue de leurs conditions de vie, déçus par les mensonges et palinodies des partis (à commencer par le PS), ils ont accepté ce qu’ils refusaient quelque vingt ans plus tôt : la réforme du Code du Travail, la réforme de la SNCF, celle des études secondaires et de l’accès aux études supérieures, etc. Ils ont, certes, montré avec le mouvement des Gilets jaunes les limites de ce qu’ils pouvaient supporter. Mais ils sont néanmoins sans illusion. Et cela explique à la fois la résignation de ceux qui souhaitent un arrêt du mouvement, persuadés de l’inanité de la poursuite de cette action, et la détermination désespérée de ceux qui rechignent à lever le camp, refusant que tout continue comme avant. C’est la révolte de l’impuissance, de tous ceux qui sont écrasés par des forces économiques qui les asservissent, et qui ne voient pas comment s’en délivrer pour améliorer leur sort, et qui croient leurs dirigeants politiques aussi incapables qu’eux-mêmes de changer les choses (les socialistes, en 1981, disaient « changer la vie »), à supposer qu’ils en aient l’intention. Ce que révèle le mouvement des Gilets jaunes, c’est que les Français sont des victimes impuissantes, et qui croient leurs dirigeants eux aussi impuissants. Et ce ne sont pas les derniers événements qui vont infirmer ce jugement. Dernièrement, nous avons vu Ford refuser tout net le sauvetage de son usine de Blanquefort, malgré ses promesses, à la colère de notre ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui ne peut rien faire d’autre que se déclarer « indigné » et « écœuré », c’est-à-dire trépigner d’une rage impuissante. Certes, M. Le Maire, inspecteur des Finances, connaît très bien le monde de l’industrie et du business, et est donc peut-être moins surpris et indigné qu’il ne l’affirme. Mais cette hypothèse confirmerait alors l’idée d’une collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique (nonobstant certains accrocs), et cela n’est pas fait pour réconcilier les Français avec leurs représentants et dirigeants.

    La nocive illusion référendaire

    Nos compatriotes sont si mécontents de ces derniers qu’ils demandent l’institution d’un référendum d’initiative citoyenne. Ce référendum pourra être législatif (un citoyen ou un groupe propose une loi, soumise au vote national en cas d’approbation préalable par 700 000 signataires), abrogatoire (suivant les mêmes conditions, pour faire abroger une loi), constituant (pour proposer une modification constitutionnelle) ou révocatoire (visant à démettre tout élu de son mandat).

    Ce type de référendum irait beaucoup plus loin que ceux, de nature comparable, existant en d’autres pays, où ils restent encadrés par de strictes conditions d’application. Les partis « extrêmes » (RN, LFI) s’y montrent favorables, ceux « de gouvernement » (LREM, LR, PS) ne le sont guère. Mais, de toute façon, on se demande à quoi cela avancerait. Les grands problèmes demeureraient dans toute leur acuité, et leurs solutions, quelles qu’elles fussent, impliqueraient des sacrifices dont le refus par une majorité d’électeurs se révélerait une source de paralysie et d’enlisement. M. Macron envisage une grande consultation nationale sous les deux formes de cahiers de doléances et de plateformes en ligne, destinés à recueillir les attentes des Français dans tous les domaines. L’idée est nocive : l’exemple des cahiers de doléances de 1789 montre que le pouvoir recourt à ce type de consultation quand il a échoué dans tous ses essais de réforme, qu’il ne sait plus que faire, qu’il se sent acculé au point de s’en remettre à l’expression des desiderata de ses administrés. Et alors ? Soit cela n’avance à rien, soit c’est la porte ouverte à l’irruption des revendications les plus disparates, les plus contradictoires et les plus irréalistes. De là à penser qu’une révolution (avec toutes ses convulsions et ses misères) puisse se produire, comme en 1789, il y a peut-être un pas, mais plus court qu’on pourrait le croire. Un pouvoir qui demande leurs doléances à ses administrés est un pouvoir qui abdique parce qu’il ne se sent plus maître de la situation, ne sait plus gouverner, et sent vaciller son autorité. Tel est le cas de notre pouvoir actuel, coincé entre ce qu’il estime sans doute être « la seule politique possible » (mondialiste, européenne et néolibérale) et la nécessité que Macron reconnaît, depuis les derniers événements de « prendre le pouls de la France », sans conviction, sans savoir où il va, et en essayant de faire baisser la température par des mesures économiques auxquelles il ne croit pas, qu’au fond il réprouve, et qui, de toute façon, ne résoudront rien… si elles n’ont pas un effet délétère.

    Un pouvoir qui a perdu toute légitimité représentative

    1159295351.jpgÀ l’évidence, un tel pouvoir ne peut plus prétendre représenter la nation. Souvenons-nous, d’ailleurs, que M. Macron n’est que l’élu des deux tiers de 43% d’électeurs inscrits, autrement dit d’une très étroite minorité. L’affaire des Gilets jaunes aura aggravé ce déficit de légitimité. Il est d’ailleurs inquiétant de songer à la possible influence de ce mouvement sur notre vie politique. À quoi ressemblerait une république des Gilets jaunes ? À une sorte d’anarchie, sans dirigeants, sans hiérarchie, sans représentants élus. Quelle peut être l’influence des Gilets jaunes sur les élections ? Une phénoménale abstention, ou des listes ou candidatures individuelles de Gilets jaunes absolument dissonantes. Cela promet.

    En définitive, ce mouvement aura surtout fait apparaître en pleine lumière, mais en filigrane, l’inanité, l’épuisement et la faillite finale de notre République d’inspiration jacobine. Il conviendrait de voir là l’occasion d’une refondation de notre modèle politique.     

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • Dans le monde et dans notre Pays légal en folie : revue de presse et d'actualité de lafautearousseau...

     

    Parce que mieux vaut en rire...

    On lira ci-après, avec le plus grand intérêt, le Communiqué de presse publié - à propos de la Nouvelle Calédonie - par une Christiane Taubira que l'on ne savait pas si attachée aux moeurs, us et coutumes, traditions... de notre vieille France, héritière des Celtes et des Basques, vivant sur sa terre depuis largement plus de deux mille ans... 

    Et l'on se délectera d'apprendre qu'elle nous donne très clairement raison, à nous qui défendons l'identité française, héritée de notre Histoire plus que bi-millénaire, et menacée aujourd'hui - comme quasiment toute l'Europe, par la submersion migratoire.

    En effet, Christiane Taubira écrit - elle est rédigée pour nous ! - cette belle phrase :

    "Ils sont ainsi, les peuples, attachés à leurs racines, leurs cultures, leurs mythes, leurs histoires. Leur géographie."

    Franchement, à lafautearousseau, on n'en revenait pas, mais... si, si ! C'est bien elle, c'est bien Christiane Taubira qui a écrit cette sorte d'ôde aux racines de la France, qui sont, tout le monde le sait bien, gréco-romaines et judéo-chrétiennes...

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    1. "Quand la gauche combat le remplacement des Kanaks" : évidemment d'accord avec Eugénie Bastié (sur Europe 1) :

    "Les mêmes qui appuient le vote des étrangers aux élections locales en France refusent que des citoyens français puissent voter en Nouvelle-Calédonie. Les mêmes qui veulent sacraliser le droit du sol prônent le droit du sang à Nouméa.  Christiane Taubira, qui avait déjà on s’en souvient  en 2006 parlé de  « guyanais de souche » « en train de devenir minoritaires sur leurs sol » a fait un communiqué saluant dans le peuple kanak  Â« Un peuple qui  refuse de décliner, de dépérir, de s’éteindre. «  Ils sont ainsi les peuples : attachés à leur racines, leurs cultures, leurs mythes » . On dirait le sketch des inconnus: il y a le bon identitaire et le mauvais identitaire. Dans nos musées et dans nos livres d’histoire on nous apprend qu’il n’y a pas de « peuple » historique », que la revendication de racines conduit au massacre , que le brassage des cultures est formidable est qu’il faut ouvrir les frontières et refuser le repli. Le colonialisme du passé étant le seul grand péché absolu, seuls les anciens colonisés ont le droit de revendiquer leur identité. Les peuples européens, menacés par une immigration massive qui bouleverse leurs équilibres, n’ont pas le droit de défendre leurs cultures, leurs traditions. La créolisation est le destin des blancs, la souchisation celle des minorités. On fustige la préférence nationale, on défend la préférence kanak.  Le grand remplacement est un complot d’extrême droite en  métropole, il doit être combattu en Nouvelle Calédonie.    Vérité en deçà du Pacifique, erreur au-delà..."

    (extrait vidéo 3'30)

    https://x.com/EugenieBastie/status/1791362939418534369

    Le Figaro édition numérique du 16 mai 2024

    1 BIS. Réflexion générale sur la Nouvelle Calédonie...  Sur "le caillou", le noyautage et la manipulation par les trotskystes d'une partie totalement déboussolée de la jeunesse (mais qui ne représente qu’une fraction de la communauté Canaque) rejoint les intérêts étrangers : surtout ceux de la Chine, qui "veut le nickel" mais aussi et surtout, asseoir une présence de fait en plein milieu du Pacifique... Les Chinois ne veulent pas forcément annexer "le caillou", comme ils veulent annexer Taïwan, mais on imagine aisément le changement radical de situation qu'induirait une présence réelle et une influence politique de fait de la Chine, présente à Nouméa, sur tous les pays voisins : Australie et Nouvelle Zélande, Singapour, Philippines, Japon... Ce serait un séisme géo-stratégique mondial...

    Pour elle et pour nous, il est vital que la Nouvelle Calédonie reste Française, conformément aux vœux de la majorité des populations locales, à leur intérêt, à ceux de la France métropolitaine et des autres pays de la région, face à un expansionnisme chinois débridé et dangereux pour le monde entier, à commencer par ses voisins. Avec ses territoires d’outre-mer, la France possède le deuxième domaine maritime du monde, un espace plein d’avenir. N'allons pas perdre cet atout de tout premier plan, qui contribue largement à maintenir notre statut de grande nation sur la scène internationale.

    Plus d'un siècle de télécommunications internationales en Nouvelle-Calédonie

    Quelqu'un imagine Pékin "maître de fait" - par pantin ou fantoche interposé - à Nouméa ?

     

    1 TER Et, pour élargir encore le débat, avec Dimitri Pavlenko, toujours sur Europe 1... : Nouvelle-Calédonie : terrain de jeu des services secrets turcs et azerbaïdjanais... Le 1er mars dernier, des représentants kanaks se sont rendus à une conférence internationale sur la décolonisation en Turquie, frais de transport payés par les services secrets de l’Azerbaïdjan...

    https://www.europe1.fr/societe/nouvelle-caledonie-terrain-de-jeu-des-services-secrets-turcs-et-azerbaidjanais-4247214

    Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence étrangère en Nouvelle-Calédonie. (Photo de manifestants pro-indépendance en Nouvelle Calédonie avec un drapeau azéri au premier plan)
     
    En Nouvelle-Calédonie, l’ombre de la Chine, de l’Azerbaïdjan et de la Russie plane sur les émeutes (

    4. De William THAY :

    "Nos indicateurs économiques sont dans le rouge. Les français payent le plus d’impôt dans le monde et les services publics ne fonctionnent pas. Sous Emmanuel Macron, jamais l'État n'a eu des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires aussi élevés mais il manque de tout !"
     
    (extrait vidéo 4'58)
     

     

    5. Dans Front populaire (extrait de l'article de Laurent HERBLAY) : Rachat de Société Générale : la haute trahison verbale de Macron

    CONTRIBUTION / ANALYSE. Dans un entretien accordé en marge du sommet "Choose France", Emmanuel Macron s'est récemment dit ouvert à la possibilité d'un rachat de la Société générale par l'un de ses rivaux, l'espagnol Santander. Laurent Herblay, du blog Gaulliste libre, revient sur cette déclaration hallucinante, mais ô combien révélatrice.

    Interrogé par un journaliste de Bloomberg sur sa position si Santander voulait racheter Société Générale, Macron a répondu : « Oui bien sûr, c’est possible. Cela fait partie du marché. Agir en européens signifie avoir besoin de consolidation en tant qu’européens Â». Une réponse hallucinante et irresponsable qui en dit long sur ce président post-national qui se désintéresse à ce point du pays qui l’a élu.

    Le parti de l’oligarchie étrangère

    Même Le Figaro, pas le journal le plus hostile aux intérêts du monde des affaires, semble s’être étranglé à la nouvelle, titrant son papier sur le sujet par une citation guère indulgente pour le président : « c’est un peu irresponsable Â», rapportant aussi que « c’est comme si le président avait mis un panneau ‘à vendre’ sur la Société Générale Â». Après les innombrables rachats de nos champions (Péchiney, Lafarge, Alstom, Alcatel, Technip…), et le bilan assez calamiteux de ces opérations en matière d’emplois, de désindustrialisation ou de transferts de technologie, souvent à mille lieux des promesses des acheteurs, les Français sont de plus en plus hostiles au rachat de nos champions par des entreprises étrangères, ce qui avait même poussé l’exécutif à s’opposer au rachat de Carrefour par un distributeur canadien.

    Il faut dire que les conséquences sont claires aujourd’hui. Un rachat, ce sont des suppressions massives de postes en France. D’abord, le déplacement probable de nombreux emplois du siège dans le pays de la proie. Ensuite, des programmes d’économie encore renforcés (les « synergies » affichées aux marchés par les dirigeants), de manière à « créer de la valeur » pour les actionnaires, et également payer une partie du rachat. Cela signifierait une accélération des suppressions de poste dans la banque, et donc une destruction massive d’emplois et une fermeture accélérée des agences de la banque..."

    choose-france-macron-societe-generale
     

    6. Dans Le Figaro Société (extrait de l'article de: "Il m’a lu le Coran et a ordonné à mon copain de me dresser" : ces Français d’origine maghrébine qui vivent sous la pression des musulmans radicaux...

  • L’Eau, par Champsaur

    l'eauL’eau à l’origine de l’humanité

    Dès son origine l’Humanité a appréhendé l’intimité du lien entre l’eau et la vie de manière empirique. Élément précieux sujet de vénération dans la Génèse, il reçut logiquement tous les attributs du Sacré. Les trois thèmes dominant source de vie, purification, régénérescence se rencontrent dans les traditions les plus anciennes. « Tout était eau » disent les textes hindous, « les vastes eaux n’avaient pas de rives » dit un texte taoiste. Dans la Génèse « le souffle où l’esprit de Dieu couve à la surface des Eaux ». Le Rig Veda exalte les eaux qui apportent vie, force et pureté tant au plan spirituel que corporel.

    Du 12 au 17 mars 2012 Marseille a reçu le 6ème forum mondial de l’eau. Où l’on redécouvre après Istambul trois ans auparavant que la situation n’a évolué que très lentement. Sur 7 milliards d’habitants à la surface de la planète, autour de 800 millions n’ont aucun accès à l’eau potable, autour de 2,5 milliards n’ont pas d’installation sanitaire de base. Ces chiffres tellement démesurés ne peuvent être que des estimations.

    Le Conseil mondial de l'eau a été créé en 1996 en réponse aux préoccupations croissantes de la communauté internationale face aux problématiques de l'eau. Ses missions sont de sensibiliser, de favoriser une réelle mobilisation politique et d'inciter à l'action sur les questions essentielles liées à l'eau à tous les niveaux, y compris au plus haut degré décisionnel, afin de faciliter, sur une base durable, la gestion et l'usage efficaces de l'eau. Le CME a un statut consultatif auprès de l'UNESCO http://www.worldwatercouncil.org

    En France le cercle français de l’eau : depuis 1990, cette structure de réflexion, d’échanges et de concertation regroupe l’ensemble des partenaires institutionnels et professionnels autour des représentants des collectivités territoriales sous la présidence de parlementaires. Son objectif : promouvoir une politique volontariste et ambitieuse de l'eau et de l'assainissement des eaux usées qui réponde aux besoins qualitatifs et quantitatifs des générations actuelles et futures. http://www.cerclefrancaisdeleau.fr

     

    Généralités, fondamentaux et quelques définitions

    Une observation de simple bon sens souvent perdue de vue: la quantité d’eau à la surface de la planète bleue est invariable, car ni il en arrive du cosmos, ni il s’en échappe vers l’espace interstellaire. Seuls varient les répartitions de « l’or bleu » à la surface du globe, selon les changements de climat d’une planète dont l’âge est évalué d’après les astrophysiciens et les géologues à 4,5 milliards d’années

    La répartition étant très inégale à la surface du globe, les géographes et les techniciens ont ressenti très tôt la nécessité de créer des instruments de mesure.

    L’un d’eux est le stress hydrique.

    Par convention et référence internationale le seuil de stress hydrique est la quantité d’eau minimum nécessaire pour satisfaire l’ensemble des besoins domestiques, agricoles et industriels. Estimé à 1.700 M3 / habitant / an, pénurie et disette s’établissant à 500 M3

    La problématique de l’eau ne relève pas du volume disponible mais de l’accès local à la ressource, et à une ressource de qualité suffisante. L’eau prélevée a trois usages :

    - 70% pour l’agriculture, essentiellement à des fins d’irrigation.

    - 22% pour la production d’énergie, que ce soit de l’hydroélectricité ou de l’électricité thermique ou nucléaire qui utilise l’eau pour le refroidissement de la vapeur produite par les centrales, et pour la production industrielle

    - 8% pour les usages domestiques. La consommation domestique par an par personne est de 4 m3 au Mali, 106 m3 en France et 215 m3 aux USA (source : «Water for people, water for life», UNESCO 2003). Si, depuis 1900, la part de l’eau utilisée par l’agriculture a diminué de près de 30 %, en revanche l’industrie a quadruplé sa consommation pendant que les usages domestiques augmentaient de 4 à 11%

    900 millions d'habitants ne disposent pas d'accès à l'eau potable à proximité. 

    l'eau

     

    Plus de 3 milliards d'habitants n'ont pas d'eau au robinet à domicile et 2,6 milliards de personnes n'ont pas accès à un assainissement de base.

    La croissance rapide de la population mondiale, conjuguée avec les changements de modes de vie, a entraîné une augmentation tout aussi rapide des consommations d’eau: ramenée à l’habitant, la consommation moyenne, toutes activités confondues, est passée de 400 à 800 m3 par an. 4 500 litres d’eau sont utilisés pour produire un kilo de riz, il en faut 1 500 pour un kilo de blé.

    L'eau est une ressource naturelle renouvelable et finie: elle ne peut pas disparaître, mais il est aussi impossible de la créer. Elle recouvre environ 70 % de la planète. Mais derrière ce pourcentage se cache un problème: 97,5 % est en fait de l'eau salée. Il ne reste donc que 2,5 % propre à la consommation humaine, mais de ce pourcentage d'eau douce, une infime partie, soit 1 %, est présentement disponible. Les 99 % restant sont enfermés des calottes polaires, des glaciers, ou bien présent dans des aquifères ou nappes phréatiques inaccessibles.

    En 1950, six États souffraient de pénurie hydrique (hormis la Libye, tous les autres étaient des îles ou des micros États). En 1995, la situation est devenue beaucoup plus inquiétante: on retrouvait dix-neuf États en situation de pénurie hydrique, représentant environ 160 millions de personnes et principalement situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En outre, onze autres États avec une population de 270 millions de personnes sont victimes de stress hydrique. Les projections moyennes pour 2050 sont encore plus alarmantes : 2,3 milliards de personnes devraient souffrir de stress hydrique et 1,7 milliard se retrouveront dans un contexte de pénurie hydrique. Selon les données actuelles, il est intéressant de remarquer que pour 7 milliards d'humains, la demande est estimée à environ 760 m3 par habitant / année. C'est pourquoi il est nécessaire d'ajouter d'autres éléments d'explication qui permettent de mieux saisir la situation actuelle et celle de l'avenir.

    - Deux tiers des grands fleuves sont communs à plusieurs pays. Il existe 270 bassins fluviaux transfrontaliers. Le Nil, le plus long, traverse dix pays; le Mékong, six pays.

    - Outre les questions posées par les relations entre pays se partageant les rives, cette situation donne l’avantage aux États situés en amont. 15% des pays dépendent à plus de 50% des ressources en eau situées en dehors de leur territoire.

    - On dénombre 200 traités interétatiques relatifs à l’eau alors qu’on ne déplore que 37 conflits survenus ces cinquante dernières années, pour la plupart mineurs (dont 30 au Moyen Orient).

    Des exemples de tensions :

    - La répartition de l’eau du Jourdain constitue un enjeu géopolitique majeur entre le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Cisjordanie.

    - Les différends entre la Turquie, l’Irak et la Syrie quant à la construction de barrages.

    - Les tensions entre L’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie sur les volumes soutirés du Nil.

    Des exemples de coopération pour la gestion des fleuves transfrontaliers :

    - Le Traité des eaux limitrophes (1909)

    - le Traité du fleuve Columbia (1961)

    - l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands lacs (1978) entre les États-Unis et le Canada.

    - La Convention de la Save signée en 2002 par quatre des États issus de l’ex-Yougoslavie.

    - La Commission de l’Indus, 1960, entre l’Inde et le Pakistan, avec le soutien de la Banque mondiale. Elle a survécu à trois guerres entre les deux pays.

    - La Commission du Mékong (1957) avec l’aide de l’ONU. Elle a continué à fonctionner pendant la guerre du Viêtnam. Cependant seuls y participent le Viêtnam, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande. La Chine et la Birmanie n’en font pas partie.

    - Le Plan d’action pour le Zambèze (ZAC-Plan) en coopération avec les États riverains et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), avec le soutien du PNUE.

    L’objet de l’article n’est pas de faire un tour du monde exhaustif, mais d’évoquer quelques situations stratégiques: la gestion transfrontalière en Asie, la situation hydropolitique en Inde et en Chine, le partage du Jourdain entre le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Cisjordanie ; les différends entre la Turquie, l’Irak et la Syrie à propos de la construction de barrages ; la problématique des volumes prélevés du Nil par l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie.

     

    Un peu de géographie et ses conséquences politiques

    Le Nil, le Nil blanc, le Nil bleu. Un fleuve de 6.500 Kms

    L’Éthiopie fournit 86% du débit du Nil mais n’en consomme que 0.3 %. Son secteur agricole est prépondérant et représente la moitié de son PIB. Il fait vivre 80 % de la population, et représente 90 % des recettes à l’exportation. Or seuls 4,6% des surfaces arables sont irriguées. Le Nil bleu, fleuve mythique, appelé Abbay par les Ethiopiens, baigne de ses eaux un cinquième du territoire. Au passage, un des bassins historiques de la chrétienté d’Orient, dans un pays qui compte 30 millions de Chrétiens dans une église d’Ethiopie longtemps dépendante des coptes d’Egypte du patriarcat d’Alexandrie. Le Nil bleu rejoint le Nil blanc à Khartoum. Et on découvre vite qu’aucun aménagement hydraulique n’est réalisable en Ethiopie s’il risque de générer un changement du régime du fleuve en aval au Soudan et en Egypte. Dans ce dernier pays le Nil fournit 98%de l’eau consommée, 95% de la population vit sur ses rives, sur une bande de terre de 5 Kms de large environ, jusqu’au delta.

     

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    Le bassin du Nil couvre près de 10% de la superficie de l’Afrique, les Egyptiens anciens l’appelaient La grande rivière...

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    Israel

    Le pays vit en état de stress hydrique permanent. L’eau est un sujet de défense nationale et d’urgence absolue. L’agriculture accapare 72 % de l’eau consommée dans le pays. Israel reste un territoire aride où les pluies sont quasi inexistantes d’Avril à Septembre et où l’évaporation atteint à certains endroits 50% des précipitations reçues. Les trois principales sources sont le lac de Tibériade, les aquifères de Judée-Samarie situées sous la Cisjordanie, et ceux situés sous la bande de Gaza. Ces derniers sont soumis à une salinisation accrue en raison d’intrusion d’eau de mer dans la nappe. Comme d’autres états dans le même cas, Israel cherche des ressources alternatives, essentiellement le dessalement. L’Etat hébreux fort d’une expérience de plus de trente ans possède une expertise internationalement reconnue. Les besoins obligent à rechercher l’eau qui manque chez des voisins avec tout le contexte diplomatique difficile que cela entraine. En particulier difficile de ne pas lorgner sur la rivière Litani au sud Liban. Dès la déclaration Balfour, le président du congrès juif mondial Chaim Weizman demandait au Premier britannique que le foyer national juif ait le Litani pour limite nord. Il fut plus tard souvent rêvé de diriger une partie des eaux vers le lac de Tibériade.

    Prête à aller chercher l’eau très loin de ses frontières Israel signait en Juin 2004 un accord avec la Turquie pour construire une flotte de tankers géants destinés au transport de l’eau. Mais ce projet finit par capoter.

    Le projet le plus emblématique est certainement le lien avec la Jordanie. L’étude du canal Mer Morte –Mer Rouge (180 Kms) est financée presqu’en totalité par l’USAID

    La question stratégique de l’eau conduit Israel à miser largement sur le dessalement et un équipement à la pointe de la technologie, aujourd’hui exporté. 31 stations de dessalement (eau de la Méditerranée) et de traitement d’eau saumâtre sont opérationnelles. La réutilisation des eaux usées est systématisée, et couvre un fort pourcentage des besoins de l’agriculture avec la plus grosse station de réutilisation d’eaux usées au monde. Le total représente un quart des besoins en eau.

     

    Turquie

    Kemal Ataturk a lancé très tôt son pays dans la voie de l’exploitation de l’eau considérée comme un gage de modernité. Un siècle plus tard on peut considérer que l’eau a transformé le pays. Vers 1975 le projet de l’Anatolie du Sud Est, le programme GAP, aura permis de réaliser 22 barrages et 19 centrales électriques, pour dompter les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Les bienfaits attendus pour l’agriculture de l’Anatolie sont immenses, implantant une production nationale du coton qui n’existait pas. Le programme GAP a permis à la Turquie d’acquérir le statut « d’hydropuissance ». Cette maitrise de l’eau a assis l’autorité d’Ankara sur la région. Inévitablement, les Kurdes, peuple sans terre, se retrouvèrent au milieu de ces gigantesques travaux. Diaspora éclatée sur Iran, Irak, Syrie et Turquie, la tentation est grande d’utiliser la menace contre les bassins comme moyen de pression. Parallèlement le contexte de confrontation régionale incite Ankara à utiliser son possible contrôle sur le Tigre et l’Euphrate contre la Syrie, ou l’Irak selon les circonstances, en particulier lors de toute tentative de soutien aux séparatistes kurdes.

     

    Arabie Séoudite

    Vu de loin comment est résolue la question de l’eau pour l’immensité de la péninsule arabique ?

    Nous avons assisté à une marche en avant vers le dessalement, sans beaucoup d’autres solutions, plaçant ce pays au premier rang des producteurs d’eau par ce procédé, alors que nous assistons à un épuisement des nappes fossiles. Ce sont dix installations le long de la mer rouge, et sept le long du Golfe Persique.

    Malgré cette situation de disette la consommation per capita était la première du monde en 2004 ! Une des raisons étant la vétusté des installations de distribution générant un taux de fuite anormalement élevé. Depuis cette date des mesures draconiennes ont été mises en place, une des plus importantes étant la rénovation de la distribution.

     

    Chine - Inde

    Il existe une très forte inégalité dans la population chinoise par rapport à la ressource en eau, entre le sud (bien pourvu) et le nord.

    Plusieurs facteurs se conjuguent qui compliquent l’accès à l’eau. Une pollution très au-delà des normes acceptables, tant par les rejets industriels non traités (pétrochimie en premier lieu) que par l’utilisation extensive d’amendements agricoles chimiques, la pollution accidentelle de cours d’eau trop fréquente, un accroissement de population moins contrôlé que ce qui était souhaité.

    Les statistiques chinoises (quelle fiabilité en la matière ?) disent que 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau courante (pour 1,4 milliard d’habitants, donc 21%), chiffre en dessous de la réalité et dramatiquement élevé. Mais dans un tel contexte les collectifs antipollution et les associations environnementales se développent et parviennent à se faire entendre.

    Parmi les voisins avec lesquels la diplomatie chinoise doit compter, l’Inde est un des plus attentifs aux initiatives de Beijing. Pour faire face à son manque d’eau la Chine s’est lancée dans la construction d’ouvrages titanesques permettant un transfert d’eau sud – nord, avec l’idée de relier sur plus de 1.500 Kms le fleuve jaune asséché une grande partie de l’année au fleuve bleu (Yangtze) fréquemment confronté à d’importantes crues. Parmi les trois dérivations nécessaires, l’une est un exploit technologique consistant à prélever l’eau dans le Yangtze sur les hauts plateaux tibétains pour la diriger vers le fleuve jaune, non loin de sa source, le tout à 4.000 m d’altitude. Opération qui réaffirme la place essentielle du Tibet comme espace géostratégique. Projets qui inquiètent l’Inde à juste titre, les hauts plateaux tibétains étant considérés comme le château d’eau de l’Asie. Dix fleuves majeurs y prennent leur source, dont le Brahmapoutre et l’Indus pour l’Inde. Le Brahmapoutre traverse le Tibet sur 2.000 Kms, portion du cours où les Indiens ne contrôlent pas ce que décident les Chinois.

    Le Mekong

    Autre fleuve prenant sa source sur les contreforts de l’Himalaya, plus long fleuve d’Asie du sud-est (4.300 Kms) coulant nord - sud, il serpente dans la province chinoise du Yunnan, puis devient frontière commune entre Birmanie et Laos, puis entre Laos et Thaïlande, avant d’entrer au Cambodge et finir sa course au Vi

  • Sauvez des vies, restez chez vous, par Aristide Renou.

    Certes, nous ne pourrons porter un jugement définitif sur l’épidémie de Covid19 que dans quelques mois, voire quelques années. La mortalité globale, par exemple, est pour le moment difficile à estimer, pour tout un tas de raisons. À l’heure actuelle, on estime – mais cette estimation est provisoire - que le Covid-19 tue environ 5 % des malades diagnostiqués, ce qui est évidemment beaucoup moins que l’ensemble des personnes infectées.

    Mais tout de même, les grandes lignes du tableau commencent à se dessiner, et il est peu probable qu’elles varient beaucoup désormais.

    Voici les derniers chiffres donnés par Santé Publique France.

    Du 01 /03 au 06/04 : 3975 décès dus au Covid19, selon les certificats de décès rédigés par voie électronique. Dans 64% des cas le décès par Covid19 était associé à une comorbidité. 10% des personnes décédées avaient moins de 65 ans et 31% de celles-ci n’avaient pas de comorbidité, ce qui signifie que 2,97% des patients décédés avaient moins de 65 ans et aucune comorbidité. L’âge médian au décès était de 83 ans et 74% des personnes décédées avaient 75 ans et plus.

    On mentionne parfois, dans les médias, un chiffre de plus de 10 000 décès liés au Covid19 depuis début mars. Mais il s’agit des décès de patients atteints de Covid19, ce qui n’est pas la même chose, la cause de la mort n’étant pas nécessairement le virus.

    En tout état de cause ce nombre global des décès n’a pas grand sens étant donné que, à l’évidence, un nombre non négligeable de ceux qui sont officiellement morts du Covid19, ou même de ceux qui sont morts alors qu’ils étaient atteints du Covid19, seraient très vraisemblablement morts à court terme, même sans Covid19. Plutôt que de donner le nombre de décès dus à cette infection, il faudrait plutôt raisonner en termes de nombre d’années de vie perdues pour les personnes décédées. Je ne sais pas si un tel calcul est possible, mais je serais prêt à prendre le pari que le résultat serait plutôt de l’ordre de quelques mois que de quelques années.

    Pour rappel et afin de donner des points de comparaison, il meurt chaque année environ 600 000 personnes en France. La grippe et les maladies respiratoires ont tué un peu plus de 40 000 personnes en 2016, les cardiopathies environ 78 000 personnes et le cancer à peu près 150 000 personnes.

    On le voit, il parait difficile d’échapper à cette conclusion : à ce stade le Covid19 est une épidémie assez peu grave, mesurée à l’aune des grandes épidémies que l’humanité a pu connaitre et même simplement à l’aune des causes de mortalité en général.

    Ce qui a dicté notre réaction extrême, consistant à enfermer chez elles autoritairement et pour une durée indéterminée des dizaines de millions de personnes, n’est pas la dangerosité du Covid19, mais notre rapport à la maladie et à la médecine.

    Ce qui a changé, par rapport aux épidémies des siècles précédents, c’est que nous avons perdu l’habitude de mourir des maladies infectieuses. Ces maladies redoutées pendant presque toute l’histoire de l’humanité ne sont plus responsables aujourd’hui que d’environ 4% des décès annuels dans un pays comme la France. Nous avons la vaccination pour nous prémunir et nous considérons comme normal que la médecine nous guérisse de ce genre de pathologies lorsque nous en sommes atteints.

    C’est ainsi que les patients atteints du Covid19, même sous sa forme grave, apparaissent pour la plupart comme des malades guérissables et, paradoxalement, c’est ce qui nous a fait paniquer.

    Nous nous sommes affolés lorsque nous nous sommes rendus compte que le nombre de cas graves allait dépasser notre capacité de les traiter. Ce qui nous est apparu comme insupportable, c’est l’idée de mourir alors que la médecine aurait pu nous sauver, c’est la perspective de voir les médecins trier parmi les malades ceux qu’ils essayeraient de soigner. Bref, notre affolement est avant tout le résultat des progrès de la médecine et du fait que ces progrès, pour admirables qu’ils soient, nous désapprennent à mourir et érodent notre courage.

    Plus précisément, puisque la décision du confinement appartient au gouvernement, le gouvernement a pensé qu’il serait tenu pour responsable de tous les décès « évitables », de tous les gens qui seraient morts du Covid19 parce que les services de réanimation n’auraient pas pu les prendre en charge. Voyant les estimations de ce chiffre grimper très rapidement, il a pris peur et a ouvert le parapluie, c’est-à-dire qu’il a ordonné à tous les Français de s’enfermer chez eux jusqu’à nouvel ordre. Brusquement, toute la vie de la nation s’est mise à tourner autour des services de réanimation de nos hôpitaux, l’objectif suprême et éclipsant tous les autres est devenu d’éviter leur saturation. Ce qui est compréhensible, peut-être, mais pas raisonnable.

    Il est normal, il est bon que les médecins répugnent à l’idée de laisser mourir des gens qu’ils auraient pu sauver « s’il avaient eu plus de moyens ». Mais il est anormal que les responsables politiques se mettent à raisonner comme des médecins et se laissent obnubiler par une seule chose : les « vies qui auraient pu être sauvées ». Une telle manière de prendre des décisions est d’autant plus absurde qu’il y a et il y aura toujours des gens qui auraient pu être sauvés par la médecine « avec plus de moyens ». Il y a et il y aura toujours des gens qui mourront « à cause des choix budgétaires », parce qu’il y aura toujours des choix budgétaires à faire. Les « besoins » (c’est-à-dire en fait les désirs, et en l’occurrence notre désir de vivre) sont illimités et les ressources limitées, telle est la loi d’airain de la condition humaine.

    En fait, chaque vote du budget de la nation peut être considéré comme une condamnation à mort pour un certain nombre de malades, présents ou futurs, car chaque vote du budget opère des arbitrages entre les différents biens que nous essayons de nous procurer avec nos ressources limitées, parmi lesquels la santé. La vraie différence avec la situation actuelle, c’est que d’habitude ces choix sont implicites. Nous ne voyons pas les gens qui vont mourir à cause de la manière dont nous allouons nos ressources – le plus souvent nous n’y pensons même pas - alors qu’avec l’épidémie actuelle, nous avons les agonisants sous les yeux.

    Il est d’autant moins rationnel de se laisser obnubiler par les ressources actuelles des services de santé que, même si nous raisonnons en termes d’espérance de vie, même si nous considérons que la survie est un bien qui devrait avoir priorité sur tous les autres, la médecine n’est pas forcément la chose la plus importante. Je me souviens, du temps où je suivais des cours d’économie de la santé, avoir vu passer des études très sérieuses qui estimaient qu’environ 80% des progrès en matière d’espérance de vie à la naissance au 20ème siècle étaient dus à l’amélioration générale des conditions de vie (alimentation, hygiène, conditions de travail, etc.), et non aux progrès de la médecine pour guérir les maladies. Bien entendu il ne s’agit là que d’estimations, mais il est peu contestable que nous avons tendance à surestimer grandement les bénéfices de la seule médecine en matière d’espérance de vie.

    Cela signifie qu’il est erroné de présenter le confinement comme une manière d’échanger un peu de nos richesses et de notre confort contre « des vies », présentation qui clôt immédiatement tout débat et même toute réflexion. L’économie c’est aussi « des vies ». Le confinement induira une récession, et une récession ce sont des années de vies en moins pour un nombre indéterminé de personnes par la dégradation de leurs conditions de vie. Une récession aujourd’hui ce sont des ressources en moins demain, car même si le gouvernement ouvre actuellement en grand le robinet du déficit et de la dette, l’argent gratuit n’existe pas, tout fini par se payer. Donc ce seront des ressources en moins aussi pour financer toutes sortes d’investissements qui auraient pu « sauver des vies », y compris bien sûr des investissements dans le système de santé.

    Bien entendu, ces vies abrégées à cause du confinement ne seront pas comptabilisées, mais elles devraient figurer dans tout bilan honnête de cette mesure. Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.

    Allons plus loin : le problème n’est pas seulement que la comptabilité soit inexacte, il est que l’unité de mesure choisie pour prendre nos décisions n’est pas la bonne.

    Si nous raisonnons en termes de nombre de vies « sauvées » ou « perdues » – c’est-à-dire le nombre de personne qui mourront parce qu’elles n’auront pas pu être prises en charge par les services hospitaliers – alors c’est l’inénarrable Jean-François Delfraissy qui a raison : il faut enfermer les Français chez eux (et pas seulement les vieux) tant qu’un remède au Covid19 n’aura pas été découvert, pendant des mois, des années peut-être. A supposer même qu’un remède soit découvert un jour, ce qui n’est pas certain. Si nous acceptons deux mois de confinement au motif que cela permettra de sauver – mettons – 20 000 personnes, pourquoi ne pas accepter un mois de plus pour sauver 10 000 vies supplémentaires ? Et pourquoi pas encore un mois pour en sauver encore 10 000 ? Quel sera le terme de ce raisonnement ? A partir de quand dirons-nous : « cela n’en vaut pas la peine », et pourquoi ?

    Le problème est identique à celui des mesures de sécurité routière. Si abaisser la vitesse maximale autorisée de 90 à 80km/h permet de sauver des centaines ou même des milliers de vies chaque année, pourquoi ne pas l’abaisser à 70km/h ? Et pourquoi pas 60km/h ? Ce serait encore plus de vies sauvées et qu’est-ce que des trajets plus longs contre des vies sauvées ? Et ainsi de suite. Le terme logique de notre raisonnement est l’interdiction pure et simple de la circulation automobile.

    Nous nous trouvons confrontés à ce genre d’absurdité parce que nous raisonnons de manière agrégée, au niveau de la société tout entière, au lieu d’essayer d’estimer l’effet de la mesure pour chacun des individus qui y sont soumis. Par ailleurs parler de « vies sauvées » est trompeur car elle induit l’idée que la mort est un évènement qui pourrait simplement être évité. Or la mort finit toujours par survenir et celui dont la vie a été « sauvée » aujourd’hui par le confinement (ou par la baisse de la vitesse maximale autorisée) mourra peut-être demain d’une autre maladie ou d’une chute stupide (en 2016, environ 11000 personnes sont mortes en France d’une chute ou d’un accident de transport). Plutôt que de parler de « vies sauvées » il faudrait plutôt parler de vies prolongées, et dire de combien de temps ces vies sont prolongées. Il faudrait aussi essayer de déterminer quel est le bénéfice d’une mesure pour chacun de ceux qui doivent en supporter le coût ou les inconvénients.

    La vie est un bien individuel, et nous ne sommes pas immortels, par conséquent, ce que nous devrions chercher à estimer c’est la diminution du risque de mourir de telle ou telle cause pour chaque personne. En l’occurrence, quelle diminution du risque de mourir du Covid19 procure le confinement à chacun de ceux qui y sont soumis ? Bien entendu, étant donné que la mortalité de cette infection est très fortement corrélée à l’âge, cette diminution du risque devrait être estimée par tranche d’âge (et de la même manière : quelle diminution du risque de mourir d’un accident de la circulation la baisse de la vitesse maximale autorisée procure-t-elle à chaque automobiliste ?).

    Un tel calcul peut-il être effectué ? Je l’ignore et je laisse à des gens plus forts que moi dans ce genre d’exercice le soin d’essayer. Mais, étant donné les chiffres de mortalité que j’ai rappelés en commençant, d’une part, et d’autre part le fait que le confinement touche des dizaines de millions de personnes, il est évident que cette diminution du risque doit être extrêmement faible, infinitésimale même, sauf peut-être pour les tranches d’âge les plus élevées. A titre de comparaison, Charles Murray s’est essayé à calculer le bénéfice procuré à chaque automobiliste par une baisse de 10km/h de la vitesse maximale autorisée. Pour un trajet de New-York à Washington (environ 350 km), le risque d’être tué passe de 0,0000006 à 0,0000004.

    Toutes ces considérations convergent vers une même conclusion : le confinement général de la population n’est pas une réponse appropriée au Covid19.

    Mais en ce cas, qu’aurait-il fallu faire, dira-t-on ?

    Il aurait probablement fallu faire ce vers quoi nous sommes aujourd’hui en train de nous orienter, pour l’après 11 mai : inciter fortement les populations les plus à risques à rester chez elles le plus possible, en mettant en place les mesures d’accompagnement nécessaires pour leur permettre de le faire, comme la possibilité de se mettre en chômage partiel par exemple, produire massivement des masques et des tests, interdire temporairement les grands rassemblements. Bref, informer, responsabiliser, et interdire seulement à la marge, au lieu d’enfermer autoritairement tout le monde. Comme le dit aujourd’hui fort justement l’Académie de médecine à propos des « seniors » : « Vaut-il mieux prendre un risque contrôlé en respectant les gestes barrières pour vivre avec les autres, ou s’étioler dans une solitude sans espoir ? Un tel choix appartient à chacun. » En effet, face au Covid19 un tel choix devrait appartenir à chacun, et pas seulement aux personnes âgées.

    Si, comme je le pense, le confinement généralisé était une erreur – une erreur qui deviendrait une faute s’il était avéré que cette mesure a été dictée par l’impéritie de nos gouvernants, et non par un affolement somme toute pardonnable – tâchons de nous en souvenir pour une prochaine fois, car il y aura des prochaines fois. Errare humanum est, sed perseverare diabolicum.

  • Un climat de guerre civile règne sur l’Amérique, par Antoine de Lacoste

    Un climat de guerre civile règne sur l’Amérique

    La démocratie américaine connaît une crise majeure. Un climat de guerre civile y règne sur fond de vague woke terrorisant ses adversaires. Le système électoral, totalement archaïque et opaque, autorise toutes les suspicions. Les électeurs trumpistes, des « gens déplorables », refusent de voir mourir leur Amérique tandis que les élites ont adopté une nouvelle religion qui doit remplacer le vieux socle protestant.

    antoine de lacoste.jpgDepuis l’élection de Donald Trump en 2016, l’Amérique s’est divisée en deux camps qui s’invectivent, se haïssent et ne se côtoient plus. D’un côté, il y a le parti du bien : les intellectuels, les journalistes, les universités, les libéraux et libertaires des « côtes », est et ouest. De l’autre, le petit peuple blanc du centre complété par des bastions conservateurs comme le Texas, moins blanc celui-là. Clairement, l’appartenance à un camp a remplacé l’appartenance à un pays, ce qui est l’exact contraire de toute l’histoire américaine.

    Les médias, presque totalement acquis au premier camp, ont fait de Trump le responsable de cette situation qui fracture l’Amérique comme elle ne l’a jamais été. Chacun sait qu’il n’en n’est rien : l’élection de Donald Trump n’a été que le révélateur d’une situation qui couvait depuis bien longtemps. La désindustrialisation, la crise financière de 2008, l’invasion fulgurante du wokisme et des théories du genre ont mis de côté une Amérique qui, en 2016, a trouvé son champion, celui qui la défendait et la comprenait.

    Ce phénomène fondamental n’a pas été perçu par les élites, trop occupées à s’enrichir grâce à la marche triomphale de la mondialisation et à la suprématie totale de l’Empire américain. La rancœur couvait pourtant. Obama et son administration ont déployé une énergie considérable pour sauver Wall Street en 2008 mais ont laissé des millions d’Américains se faire saisir leurs maisons et entrer dans l’ère de la pauvreté. L’immigration massive venant d’Amérique centrale ou latine a engendré une inquiétude grandissante chez ceux qui sont le socle historique de l’Amérique. Marqués par un protestantisme souvent rigoureux, persuadés de « la destinée manifeste » dont ils sont les héritiers, ces petits blancs exècrent ces vents nouveaux qui leur semblent diaboliqueset ne veulent pas disparaître dans les poubelles de l’histoire.

    Assommés par l’élection surprise de Trump, les élites ont déclenché pendant quatre ans une guerre qui n’a laissé aucune place au compromis, y compris parlementaire ce qui est tout à fait nouveau. Elles étaient encouragées par le mépris abyssal dont les dirigeants démocrates faisaient preuve à l’égard de leurs adversaires : les gens qui soutiennent Trump sont « déplorables » n’a pas craint d’affirmer la délicieuse Hillary Clinton.

    Les médias ont été les chefs de file de cette croisade du bien : « Certains jours, le Washington Post publia plus de douze articles sur Trump contre seulement un ou deux sur le reste du pays » (Le Monde Diplomatique, mars 2021). Une sorte de « fureur idéologique » s’est emparée de l’Amérique (Le Figaro, 25/09/2020).

    FUREUR IDEOLOGIQUE ET WOKISME TRIOMPHANT

    Cette fureur s’est, aussitôt après l’élection de Trump, traduite par la non-reconnaissance de la légitimité de sa victoire. Trop prudents pour remettre en cause le décompte des votes (il ne faut surtout pas ouvrir la boîte de Pandore), les démocrates se sont activement lancés dans des tentatives de procédures d’impeachment qui n’ont jamais eu l’ombre d’une chance d’aboutir. Le principal grief était la supposée interférence de Moscou dans la campagne électorale, le « Russiegate ». Pendant des années les médias ont alimenté le feuilleton et la montagne a finalement accouché d’une souris : le Rapport Mueller a conclu qu’il n’y avait rien. Cela n’a pas empêché certains journalistes de décrocher le Prix Pullitzer pour des enquêtes finalement erronées : comme le Goncourt ou le Nobel, le Pullitzer est depuis longtemps la marque du néant accaparée par la bien-pensance.

    Dans ce contexte, la vague woke a pris une ampleur incroyable et a submergé la plupart des universités américaines. Des professeurs ont été renvoyés (Evergreen, Georgetown) pour des motifs surréalistes, d’autres ont été harcelés et ont préféré démissionner, tous doivent suivre des cours de remise à niveau idéologique. Les injonctions les plus baroques se sont multipliées, l’auto-censure bride toute parole publique. Un parlementaire a même conclu une prière publique par Amen et Awomen. Il fallait y penser…

    Tout cela a évidemment été accompagnée de violences multiples, surtout après l’affaire George Floyd, ce noir tué par un policier blanc, et le développement du mouvement Black Lives Mater. Des groupes de militants ont chassé des étudiants coupables de ne pas baisser la tête ou de ne pas plier le genou, d’autres ont envahi des restaurants (comme à Washington) obligeant les clients blancs à lever le poing. Le paroxysme a été atteint à Portland, dont le centre-ville a été occupé pendant des semaines par des militants anti-racistes et wokistes. La terreur a régné sur la ville en toute impunité.

    Cette « polarisation de l’opinion » est telle que des Américains quittent leur région pour s’installer sur des terres plus hospitalières. De nombreux électeurs trumpistes quittent la Californie, devenue étouffante, pour s’installer en Idaho ou plus loin au Texas. Changer de vie pour changer de voisins, cela en dit long sur la volonté de ne plus vivre ensemble.

    Pour accompagner tout cela, les médias se sont mis en ordre de marche comme jamais. Ce n’est pas une surprise : 95% de la presse et de la télévision ont soutenu Clinton puis Biden contre Trump. Mais ils sont allés très loin, la palme revenant au New-York Times qui a publié en 2019 un manifeste (le projet 1619) dans lequel il affirme que l’histoire américaine est fondée sur la racisme et l’esclavagisme. Cette vision est aujourd’hui enseignée dans de très nombreuses écoles à travers tout le pays.

    L’élection de Biden, censée apaiser l’ambiance selon les médias américains et européens, n’a rien changé, bien au contraire. Le doux Biden, dans une de ses phases de lucidité, a déclaré en janvier 2022 : « Choisissons-nous la démocratie plutôt que l’autocratie, la lumière plutôt que les ombres, , la justice plutôt que l’injustice ? ». Nous sommes bien loin d’un Président « de tous les Américains ». Il est vrai que pour le camp du bien, ceux d’en face sont « déplorables ».

    LE VOTE SOUS LE SIGNE DU DESORDRE ET DE L’OPACITE

    Bien évidemment, les doutes autour de la véracité des comptages du scrutin de 2020 qui a vu la victoire de Biden d’une courte tête, ont terriblement envenimé les choses. La fameuse invasion du Capitole le 6 janvier 2021, loin d’être une tentative de coup d’Etat, n’est autre que le symbole de l’exaspération d’un peuple (la moitié de l’Amérique), persuadé de s’être fait voler la victoire.

    Les arguments ne manquent certes pas pour mettre en cause le résultat du vote. Le système électoral américain est en effet d’un invraisemblable archaïsme désordonné, sans parler de son opacité. Chaque Etat a sa propre procédure, voire plusieurs car cela peut changer d’un comté à l’autre. On peut voter par anticipation ou non, plusieurs jours après, le nombre de jours étant extrêmement variable, par correspondance avec autorisation pour des militants de parcourir les immeubles à la recherche de bulletins (qui les remplit ?). Les machines électroniques ne sont pas toujours les mêmes et, dans bien des cas, l’électeur ne peut lire le résultat de son vote après avoir appuyé sur le bouton. Certains ont affirmé avoir lu Biden après avoir appuyé sur le bouton Trump. Et que dire de ces bulletins perforés, plus ou moins bien, autorisant toutes les interprétations . La cerise sur le gâteau étant l’absence de contrôle d’identité dans bien des votes par correspondance.

    Lorsqu’on sait que Trump avait partie gagnée avant le décompte des votes par correspondance qui ont , dans certains bureaux, donné 90% des voix à Biden, la suspicion est bien légitime.

    Tout cela n’est pas nouveau certes. Certains spécialistes de l’Amérique affirment que Kennedy avait déjà volé son élection en 1960… Dans son livre Un homme, un vote ? (Edition du Rocher, 2007), Jacques Heers raconte l’élection de 2000 : « On a compté et recompté. Pendant des jours, les journaux ont publié des photos où l’on voyait un scrutateur, perplexe et circonspect, occupé à examiner très soigneusement un bulletin, tenu délicatement entre ses doigts, face à la lumière, pour dire si un confetti à demi-détaché devait compter ou non pour une perforation. On n’en sortait pas. Chaque jour les chiffres changeaient. Les juges de la Cour suprême eurent le dernier mot et, par cinq voix contre quatre, déclarèrent que Bush l’emportait en Floride. »

    La différence avec l’époque actuelle, c’est que personne ne contesta ensuite la légitimité de Kennedy ou de Bush. Ce ne fut pas le cas pour Donald Trump, et c’est la grande nouveauté. Biden est aujourd’hui dans le même sac pour l’électeur trumpiste.

    Aujourd’hui les Américains n’ont plus confiance et ils ne sont plus que 50% à être fiers de la façon dont fonctionne leur démocratie contre 90% en 2002.

    Les réseaux sociaux de leur côté ont joué leur partition guerrière avec Twitter comme symbole qui expulsa Trump. Son rachat par Elon Musk et le renvoi de la moitié de ses employés marque un tournant important et les théories du genre ont perdu un fidèle relais.

    Malgré la victoire des progressistes, la haine est toujours là. La revue Forbes par exemple a demandé aux entreprises, sous peine de dénonciation, de ne pas embaucher d’anciens membres de l’administration Trump après leur éviction conforme au spoil system.

    UNE NOUVELLE RELIGION

    Mais d’où vient ce vent de folie qui a fait d’une grande partie de la jeunesse américaine des propagandistes acharnés du wokisme ou du Black Lives Mater ?

    Interrogé par le Figaro(25/09/2020) Joseph Bottum, professeur d’université, avance une grille d’analyse intéressante. Pour lui l’effondrement du protestantisme, notamment dans les zones urbaines, a laissé la place à un post-protestantisme dont les adeptes sont des nouveaux puritains sans Dieu qui pratiquent la religion de la culture woke. Une partie des fidèles de ces églises protestantes qui furent le socle de l’Amérique ont rejoint les évangéliques ou les catholiques, mais la plupart sont devenus des post-protestants qui ont inventé des nouveaux péchés : le racisme, l’intolérance, les atteintes à l’environnement, l’oppression. Et de conclure joliment : « Nous avons maintenant une église du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. » D’où cette ambiance de guerre civile « à feux doux ».

    Dans leur aveuglement idéologique, presque religieux donc, les progressistes veulent réduire leurs adversaires à de petits blancs racistes et aigris. La réalité est toute autre : en 2020, Trump a perdu des électeurs blancs mais en a gagné dans les communautés noires et surtout hispaniques. Ainsi, Juan Ciscomani, fils d’immigrés mexicains et candidat républicain victorieux en Arizona a bâti sa campagne sur la destruction du rêve américain par Biden et Pelosi, coupables de laisser entrer une immigration excessive et de permettre aux écoles de ne plus enseigner « les bons côtés de l’Amérique ».

    Cette crise identitaire et religieuse se conjugue toujours avec une crise sociale. Certes, elle a commencé il y a bien longtemps mais elle prend une tournure inattendue depuis le covid. Ce n’est pas un hasard si les Américains ont eu un nombre important de morts, et Trump n’y est pour rien même si cela lui a sans doute coûté l’élection.

    Les Américains sont en mauvaise santé. De 2014 à2022, ils ont perdu trois ans d’espérance de vie : les overdoses d’opioïdes et l’obésité font des ravages. On estime que 40% des adultes américains sont obèses et beaucoup, affaiblis, sont morts du covid. Mais le débat est impossible : la peur d’être taxé de grossophobe empêche la parole. La situation est si grave que l’armée a averti que 2021 avait été l’année la plus difficile de son histoire pour le recrutement des marines : les jeunes ne réussissent plus les tests physiques.

    Ainsi, comme dit le New York Times, qui y a largement contribué, les Américains « vivent dans une nation cassée ». Le consensus, provisoire, sur l’Ukraine n’y change rien : c’est à l’intérieur que le ver est dans le fruit.

    L’Amérique vit un climat de guerre civile, « à feu doux » certes, mais la haine est palpable.

  • Éphéméride du 5 mai

    De 1492 à aujourd'hui, le Golfe d'Ajaccio

     

     

    1492 : Fondation d'Ajaccio, achèvement de la construction du "bastion fortifié"... 

     

    (Source : Corse Matin)

    "La citadelle est une silhouette familière aux Ajacciens.

    À l'heure, où elle semble n'être qu'une coquille quasiment vide, il n'est pas inutile de rappeler son histoire.

    La fondation de cette fortification, qui n'était à l'origine qu'un modeste château, fut l'élément déterminant qui, à partir de 1492, permit à la jeune cité d'Ajaccio de s'imposer comme la principale ville du Delà des Monts.

    De nombreux documents d'époque, pour la plupart édités par Jean Cancellieri, Noël Pinzuti et Antoine-Marie Graziani, permettent de reconstituer le contexte historique. 

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    Tout commence en 1483. à cette date, l'Office de Saint-Georges reprend le contrôle de la Corse. L'office est une puissante institution financière, composée d'hommes d'affaires génois, à qui Gênes avait confié, dès 1453, l'administration de l'île. Soucieux de faire fructifier sa possession, il doit soumettre les contre-pouvoirs locaux et disposer de points d'appui sûrs. D'où l'idée d'installer un site fortifié portuaire. Après quelques hésitations entre les golfes de Sagone et d'Ajaccio, le choix se porte sur ce dernier site.

    5 mai,états généraux,louis xv,louis xvi,versailles,parlements,napoléon,bonaparte,bainville,sainte héléne,chateaubriand,rousseauEntre 1491 et 1492, une commission d'experts visite les lieux. Elle est dirigée par le lieutenant du Delà des Monts et bientôt "Surintendant à la construction d'Ajaccio", Domenico de Negrone, assisté d'un architecte lombard, Cristofaro de Gandino. Les hommes hésitent entre deux options : la base du Castel Vecchio ou construire un nouvel édifice, sur un cap dénommé par les Génois "Punta della leccia" (ci contre). C'est ce dernier, plus sain, disposant d'un mouillage capable d'accueillir de gros navires et facile à fortifier, puisque la mer l'entoure sur trois côtés, qui est choisi.

    Le 15 avril 1492, les ouvriers génois débarquent pour dégager le site et entreposer les matériaux de construction. Le 30 avril, la première pierre du château est posée. Le bastion est achevé le 5 mai. En novembre, elle est dotée de pièces d'artillerie. Ajaccio se résume alors à une tour carrée d'une dizaine de mètres de haut, entourée de baraques où sont cantonnées les troupes, le tout protégé par un système de fossés et une enceinte bastionnée. Dès 1494, la place joue son rôle et accueille les troupes envoyées pour mater les féodaux. Le site semble attractif puisque le lieutenant du Delà le préfère souvent à sa résidence habituelle de Vico, pendant que plusieurs soldats de la garnison et même des principali corses fidèles de Gênes comme les Ornano ou les Pozzo di Borgo, achètent des concessions près du château pour y bâtir des maisons.

    Ces modestes édifices, entourés d'un jardin potager ou même d'écuries, s'organisent progressivement autour d'un axe principal qui deviendra plus tard le Carrughju drittu (actuelle rue Bonaparte). En 1502, l'agglomération est suffisamment développée pour que l'office la fasse entourer de murailles qui courent depuis le château jusqu'à l'actuelle place du Diamant, délimitant ainsi l'espace à urbaniser."

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     Ajaccio aujourd'hui, et la citadelle toujours en pointe...

    www.ajaccio.fr/Histoire-de-la-ville-d-Ajaccio_a12.html  

     

     

     

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    1789 : Ouverture à Versailles des États Généraux

     

    Il faudrait tout citer du lumineux chapitre XV de l'Histoire de France de Jacques Bainville, Louis XVI et la naissance de la révolution, chapitre particulièrement remarquable d'un ensemble où tout est, justement, remarquable...

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    I : Commençons par un court extrait de ce qui a rendu obligatoire cette convocation des États Généraux : le funeste rappel des Parlements...

               

    "...Sous Louis XV, la grande affaire avait été celle des Parlements. Choiseul avait gouverné avec eux, Maupeou sans eux. Le coup d'État de Maupeou (ou "renvoi des Parlements", voir l'Éphéméride du 19 janvier, ndlr) - on disait même sa révolution - était encore tout frais en 1774 et les avis restaient partagés. Mais la suppression des Parlements avait été un acte autoritaire et Louis XVI, comme le montre toute la suite de son règne, n'avait ni le sens ni le goût de l'autorité. Le nouveau roi donna tort à son grand-père. "Il trouva, dit Michelet, que le Parlement avait des titres, après tout, aussi bien que la royauté; que Louis XV, en y touchant, avait fait une chose dangereuse, révolutionnaire. Le rétablir, c'était réparer une brèche que le roi même avait faite dans l'édifice monarchique. Turgot, en vain, lutta et réclama... Le Parlement rentra (novembre 1774) hautain, tel qu'il était parti, hargneux, et résistant aux réformes les plus utiles."

    Ainsi, pour l'école de la tradition, la suppression des Parlements avait été une altération de la monarchie, l'indépendance de la magistrature étant une des lois fondamentales du royaume. Mais le recours aux États généraux en était une aussi. Il y avait plus d'un siècle et demi que la monarchie avait cessé de convoquer les États généraux, parce qu'ils avaient presque toujours été une occasion de désordre. L'indépendance des Parlements avait été supprimée à son tour, parce que l'opposition des parlementaires redevenait aussi dangereuse qu'au temps de la Fronde et paralysait le gouvernement.

    Le conflit, qui n'allait pas tarder à renaître entre la couronne et le Parlement, rendrait inévitable le recours aux États généraux. Bien qu'on ne l'ait pas vu sur le moment, il est donc clair que le retour à la tradition, qui était au fond de la pensée de Louis XVI et qui s'unissait dans son esprit à un programme de réformes, sans moyen de les réaliser, ramenait la monarchie aux difficultés dont elle avait voulu sortir sous Louis XIV et sous Louis XV..."

    d'epremesnil-Jean-Baptiste_Lefebre_mg_8461.jpg
    Parlementaire, Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil finira lui-même sur l'échafaud; il symbolise bien cette caste de privilégiés qui, par inconscience, par égoïsme et par sordide intérêt, personnel et de caste, s'opposèrent à toutes les réformes indispensables, rendant ainsi la Révolution inéluctable...
     
      
     

    II : Ensuite, tout découle, logiquement, et fatalement, de cette folle erreur initiale du rappel des Parlements.

     

    "...La fin de l'année 1787 eut ceci de particulièrement funeste pour la monarchie qu'elle mit Louis XVI en contradiction avec lui-même : il fut obligé d'entrer en lutte ouverte avec les Parlements qu'il avait rétablis. Refus d'enregistrer les Édits qui créaient les nouvelles taxes, refus de reconnaître les nouvelles assemblées provinciales : sur tous les points, les Cours souveraines se montraient intraitables.

    Elles invoquaient, elles aussi, ces lois fondamentales, ces antiques traditions du royaume en vertu desquelles le roi les avait restaurées : respect des anciennes coutumes provinciales, indépendance et inamovibilité des magistrats, vote des subsides par les États généraux.

    Devant cette opposition opiniâtre, il fallut revenir aux Lits de justice, à l'exil des Parlements, aux arrestations de parlementaires : le gouvernement était ramené aux procédés du règne de Louis XV sans pouvoir les appliquer avec la même énergie et en ayant, cette fois, l'opinion publique contre lui. La résistance des Parlements, désormais liée à la convocation des États généraux, était populaire. L'idée de consulter la nation était lancée dans la circulation et s'associait à l'idée de liberté : l'école philosophique du despotisme éclairé, celle qui avait soutenu Choiseul et Maupeou, avait disparu; le libéralisme mis en vogue par la littérature et propagé par l'exemple américain la remplaçait..."

     

     

    III : Mais rien ne se passa comme prévu... 

     

    "...La vieille outre des États généraux, remise en honneur par les amateurs d'anciennetés, allait s'emplir de vin nouveau. Chose curieuse, qui n'étonne plus après ce que nous avons vu déjà : des retardataires comptaient sur les États pour y faire de la politique, y défendre habilement leurs intérêts, comme à ceux de 1614.

    Certains "cahiers" montrent que la noblesse espérait rejeter le poids des impôts sur le clergé et réciproquement. Il n'y aura qu'un grand balayage, où disparaîtront privilèges, exemptions, vieilles franchises provinciales, Parlements eux-mêmes, gouvernement et monarchie, tout ce qui avait cru, par le retour à l'antique institution, se conserver ou se rajeunir...

    Le langage du temps, particulièrement déclamatoire, les mots célèbres, parfois arrangés, ont donné à ces évènements un caractère héroïque et fabuleux.

    À la vérité, ils surprirent tout le monde et il arriva ce que personne n'avait voulu..." 

     

     

     5 mai,états généraux,louis xv,louis xvi,versailles,parlements,napoléon,bonaparte,bainville,sainte héléne,chateaubriand,rousseau

     

     

    1821 : Mort de Napoléon

    5 mai,états généraux,louis xv,louis xvi,versailles,parlements,napoléon,bonaparte,bainville,sainte héléne,chateaubriand,rousseau     Dans notre Album Maîtres et témoins(II) : Jacques Bainville. , voir la photo "15 octobre 1931 : parution du "Napoléon" (I/III)" et les deux suivantes

     

    Dans ce qu'il appelait lui-même sa "brochure", publiée le 31 mars 1815, "De Buonaparte et des Bourbons", Chateaubriand écrit, entre autres :

    "...L'avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu'il a fait que par le bien qu'il eût pu faire et qu'il n'a pas fait....Il a plus corrompu les hommes, plus fait de mal au genre humain dans le court espace de dix années que tous les tyrans de Rome ensemble, depuis Néron jusqu'au dernier persécuteur des chrétiens... Né surtout pour détruire, Bonaparte porte le mal dans son sein..."

     

    Il y dénonce les "rêves d'un fou et d'un furieux", qui osait affirmer, devant un Metternich sidéré, cette monstruosité : "J'ai trois cent mille hommes de revenu !"

    Lorsqu'on lit ou relit ce texte, près de deux siècles après sa publication, on comprend mieux le sens des mots pamphlet et polémique, et l'on est saisi par sa force et sa puissance, en constatant qu'il n'a rien perdu ni de l'une ni de l'autre, après tant de temps. On n'a rien écrit de mieux depuis sur le sujet, à part le Napoléon de Jacques Bainville, dans lequel celui-ci prononce ce jugement définitif :

    "Sauf pour la gloire, sauf pour l'Art, il eut probablement mieux valu que cet homme n'eût jamais existé."

    Napoleon_L25.jpg

    On se rappellera - comme en écho de cette phrase de Bainville - que Napoléon lui-même, en visite sur la tombe de Rousseau, à Ermenonville, s'était laissé aller à cette confidence :

    "L'Histoire dira s'il n'eût pas mieux valu pour l'humanité que ni lui ni moi n'eussions jamais existé..." (voir l'Éphéméride du 28 août)

     

  • DECES • René Girard : En attendant l’Apocalypse

     

    par Jean-Baptiste d'Albaret

    Décédé avant-hier à l’âge de 91 ans, l’académicien René Girard était l’un des plus brillants intellectuels français. En 2007, il avait accordé un long entretien à Politique magazine, à l’occasion de la sortie d’Achever Clausewitz. Nous le republions ci-dessous.

    2890857040.jpgDans son dernier livre, un recueil d’entretiens avec son éditeur Benoît Chantre, intitulé Achevez Clausewitz, René Girard, plus que jamais fidèle à sa théorie de la rivalité mimétique, propose une analyse neuve de l’histoire moderne. À la lueur du fameux traité du stratège prussien, témoin privilégié de la modernité en marche, il décortique avec une rare érudition le ressort des rapports conflictuels entre la France et l’Allemagne. Avec, en point de mire, les enjeux contemporains : quand la politique n’a plus les moyens de réguler la violence, il en appelle à une radicale conversion au christianisme. Professeur émérite de l’Université de Stanford, vivant aux États-Unis, l’académicien français était de passage à Paris où il a reçu Politique magazine.

    Vous avez trouvé dans l’œuvre de Clausewitz des résonances avec la vôtre. Lesquelles ?
    Lorsqu’il meurt en 1831, après une brillante carrière d’officier supérieur dans l’armée prussienne, Clausewitz laisse une œuvre de stratégie militaire : De la guerre, dont il considère que seul le premier chapitre est achevé. Ce premier chapitre décrit les mécanismes de la guerre moderne considérée comme un « duel ». « Duel » qui est une « montée aux extrêmes » d’« actions réciproques ». À mon avis, plus que de simples processus guerriers, Clausewitz donne une définition de la violence qui concerne les rapports humains en général.

    De la guerre donne donc prise à votre théorie du mimétisme ?
    Oui, car Clausewitz a compris que la violence ne réside pas dans l’agression, mais dans la rivalité. Si les hommes s’inscrivent dans cette rivalité c’est parce qu’ils désirent les mêmes choses par imitation. Et l’homme désire par-dessus tout le désir de l’autre. C’est ce que j’appelle le « désir mimétique » qui fait de l’autre un modèle mais aussi un obstacle. Or, si l’objet du désir est unique et non partageable, la rivalité engendre la violence. Autrement dit, la violence humaine se définit par son objet – enjeu de la rivalité – et non par l’agression qui est la manière facile d’évacuer la violence puisque l’agresseur est toujours l’autre. La violence est fondamentalement réciproque.

    Achever Clausevitz… il est inachevé ?
    Oui, et sur plusieurs points, ce qui le rend d’autant plus passionnant. Cet officier prussien, acteur des terribles guerres qui déchirèrent l’Europe à l’orée du XIXe siècle, prophétise, mais sans le dire, les deux siècles à venir. L’idée d’une revanche de la Prusse sur la France est l’essentiel de son livre. De ce point de vue, le mélange de passion fervente et de haine farouche qu’il nourrit à l’égard de Napoléon est tout à fait extraordinaire. Quel exemple de mimétisme ! Mais il a beau se faire l’apôtre de la guerre, il n’a pas, contrairement à Hegel, une vision métaphysique et glorieuse de celle-ci comme préface à l’achèvement de l’Histoire. Clausewitz était un homme étonnant. Il aimait la guerre et pensait que le XVIIIe siècle l’avait affaiblie. Sa crainte était que, passées les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, on en revienne à la « guerre en dentelle », cette guerre selon lui corrompue du XVIIIe siècle. Ce qui en fait un mauvais prophète même si, dans le même temps, il pressent ce que nous appelons la guerre totale ou la guerre moderne, celle qui ne met plus aux prises des armées conventionnelles, mais des sociétés entières. En somme, une « montée aux extrêmes » qui ne connaîtrait plus de frein.

    Vous insistez beaucoup sur cette notion de « montée aux extrêmes »…
    Ce que Clausewitz appelle « montée aux extrêmes », je l’appelle rivalité, concurrence, donc mimétisme. Notion fondamentale et perçue comme telle car tous ses commentateurs en font état. C’est le cas de Raymond Aron.Mais, comme les autres, Aron pense que, pour des raisons très concrètes comme la fatigue des adversaires, elle ne peut exister dans la pratique. C’était refuser de voir la nouveauté du traité. Clausewitz est le témoin d’une accélération de l’histoire, d’un emballement de violences mimétiques. Il laisse ainsi entendre l’idée que si la guerre n’a jamais cessé depuis les origines, se produit une inéluctable « montée aux extrêmes » qui va en s’intensifiant. Mais il s’empresse de cacher cet aspect terrifiant pour affirmer que la guerre absolue n’aura jamais lieu. « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », dit-il. Mais ces moyens sont autrement puissants que la politique ! En réalité, de nos jours, la politique est rongée par la violence. Regardez le terrorisme : la guerre est potentiellement partout et échappe progressivement à toute institution, militaire ou politique.

    Il nous faut donc comprendre l’origine de la violence pour la dépasser. Nous en revenons à votre pensée qui place le Christ au centre de toute explication raisonnable du monde…
    Ce que d’aucuns me reprochent, m’accusant d’un a priori religieux. C’est faux. Ma théorie est positiviste et même matérialiste. Elle porte sur le fait religieux en général et sur la violence qui fonde la culture. Lorsque, dans une communauté, une masse de désirs mimétiques se croisent, les rivalités qui en découlent se propagent à l’ensemble du groupe. Au paroxysme de la crise, le conflit finit par se polariser sur un adversaire. Et, plus l’adversaire fait l’unanimité, plus il y a de chances pour que le groupe se purge unanimement sur lui. Cette « crise mimétique » – « crise », car la communauté risque l’autodestruction – s’apaise finalement par le sacrifice de cette victime qui réconcilie la communauté avec elle-même. La réitération rituelle, progressivement symbolique, de ce meurtre fondateur, garantie la paix sociale.

    Vous dites que la culture se fonde sur un meurtre originel ?
    Oui, et la communauté, ayant sacrifié cette victime sur qui elle a porté la responsabilité de ses malheurs, s’en trouvant mieux, en fait le symbole de sa délivrance : elle est le dieu primitif, à l’origine de toutes les cultures et de toutes les civilisations. Autrement dit, le religieux est une protection offerte à la communauté contre l’imitation et donc contre la violence. C’est aussi ce que décrivent les mythes qui offrent tous la même structure :Œdipe est d’abord coupable de parricide et d’inceste, puis bienfaisant puisque son expulsion de Thèbes rétablit la tranquillité. C’est donc un mythe classique, religieux par excellence, puisqu’il célèbre et condamne à la fois la victime.

    Victime en réalité innocente même si ses persécuteurs, unanimes, l’imaginent coupable…
    Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les persécuteurs ne se savent responsables ni de leur rivalité mimétique, ni du phénomène collectif qui les en délivre jusqu’à la prochaine crise. Ce phénomène nous lui donnons aujourd’hui un nom: celui de bouc émissaire. Sans savoir pourquoi d’ailleurs, car nous n’en voyons pas le caractère religieux. Or, il nous faut l’interpréter religieusement pour comprendre l’essence de ce que j’appelle le religieux archaïque par opposition au religieux moderne qui est le christianisme. Car l’ethnologie et l’anthropologie ont découvert – et les chrétiens ont eu tort de nier cette découverte – que les Évangiles sont le récit de ce phénomène. Mais la science moderne se trompe quand elle en déduit que la religion chrétienne est encore une forme de religion archaïque.

    Votre idée est que, précisément, elles sont antinomiques…
    C’est l’évidence. Les ethnologues devraient penser à l’interprétation du phénomène. Tous les textes évangéliques s’appliquent à inverser le rapport au bouc émissaire. Ils nous disent que la victime est innocente et que la foule a tort. C’est le sens de la parole du Christ : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice ». Jésus nous invite à exercer de façon positive notre désir mimétique en suivant son modèle : le pardon et la réconciliation. Même si ses textes n’ont pas la précision des récits de la Passion, l’Ancien Testament inverse déjà le primitif. Le message est le même. Job et Joseph, victimes d’un lynchage collectif, affirment leur innocence. Ils sont indubitablement prophétiques du Christ… Je crois que le judaïsme aurait tout à gagner d’une réconciliation avec le christianisme.

    L’originalité de votre thèse, c’est qu’elle rétablit la réalité complète de la personne du Christ qui intervient dans l’Histoire qui est nécessairement différente avant et après.
    Le christianisme, parce qu’il ne s’est pas défini par rapport aux religions archaïques, n’est pas arrivé à préciser sa propre originalité. Il n’existe d’ailleurs aucune théorie officielle de la passion du Christ. Elle est salvatrice, mais pourquoi ? C’est un mystère… Mais nous devons voir que la Rédemption, sur le plan terrestre, met fin aux religions archaïques et au règne de la violence aveugle. Ce renversement fondamental, le monde moderne ne le comprend pas. Pour lui, le christianisme est une religion comme les autres. Voilà qui confronte la modernité et le relativisme qui la caractérise a un paradoxe car le scepticisme, sans le savoir, n’existe dans ce qu’il a de vrai, que parce qu’il est chrétien.

    Le monde moderne a compris le mécanisme du bouc émissaire –même s’il n’en voit pas la dimension religieuse – ce qui n’a pas apaisé la violence. Au contraire, on a l’impression que la violence domine le monde au moment précis où la guerre en tant que telle, y compris dans les discours, semble s’effacer.
    Oui, car la pensée humaniste fausse notre jugement : sans la révélation évangélique, c’est-à-dire sans la compréhension réelle du mécanisme de la violence, la non-violence ne produit, en fin de compte, que plus de violence. C’est que nous sommes de plus en plus privés de ressources sacrificielles. Tendre à la non-violence comme notre époque le prétend, c’est renoncer à ces ressources. Or, il est évident que la violence apaise la violence. Nous en sommes tous plus ou moins conscients. Au fond, tous les gestes d’impatience sont des gestes sacrificiels. En fait, il y a confusion : depuis les Lumières, nous faisons porter la responsabilité de la violence sur le religieux et nous pensons que l’homme, naturellement, est non-violent. Mais c’est de l’inverse qu’il s’agit. Le religieux, au moins, contient la violence. De même, nous prétendons nous libérer de tous les interdits, considérés, à juste titre d’ailleurs, comme religieux. Mais ceux-ci ont une fonction primordiale : ils réservent, au cœur des communautés, une zone protégée, comme la famille par exemple, essentielle à sa survie.

    Vous dites que « l’Apocalypse a commencé ». C’est à partir de l’oeuvre de Clausewitz la thèse de votre livre. Pourquoi ?
    Clausewitz a perçu que la « montée aux extrêmes » qui caractérise les rapports humains, et pas seulement la guerre, est la tendance de l’humanité. Et cette « montée aux extrêmes » provoque inéluctablement un épuisement général. Les ressources naturelles sont frappées de rareté par une consommation de plus en plus intense. Qu’en sera-t-il demain ? Aussi pouvons-nous dire que si la concurrence est le progrès de l’homme, elle est aussi ce qui peut le détruire.

    Vous citez abondamment les textes apocalyptiques…
    On se fait une idée extraordinaire des textes apocalyptiques. On les dit irrationnels, farfelus. Ils ont pourtant une particularité qui saute aux yeux : ils mélangent le naturel et le culturel. Ils décrivent des guerres « ville contre ville » – toujours cette idée de mimétisme violent, cette lutte des doubles –mais aussi des tremblements de terre, des raz-de-marée, etc. Autrement dit, guerres et révoltes de la nature sont concomitantes. Voilà qui nous ramène à des préoccupations contemporaines car nous ne savons plus, aujourd’hui, ce qui relève de la culture et ce qui relève de la nature. Quel est l’impact de l’homme sur ce que nous appelons le « dérèglement climatique » ? De même, nous savons tous, plus ou moins consciemment, qu’avec les armes technologiques nous avons les moyens de nous détruire nous-mêmes avec la planète entière. La confusion, décrite dans les textes apocalyptiques, réapparaît aujourd’hui au niveau scientifique. C’est colossal !

    Il y a toutes sortes de textes apocalyptiques : en particulier le chapitre 24 de Matthieu ou le chapitre 9 de Marc qui sont la description d’une crise sacrificielle. C’est-à-dire qu’un phénomène de bouc émissaire fondateur d’une nouvelle religion devrait apparaître. Mais nous ne sommes plus dans le monde archaïque et il est donc suggéré que cette crise va continuer en s’aggravant. Cette crise, c’est le progrès. Autrement dit, c’est l’Histoire qui devrait nous enseigner qu’elle va vers sa fin. Chez Paul, il est très net que c’est l’ordre culturel, l’ordre romain en l’occurrence, qui garantit la paix. Mais aujourd’hui l’ordre culturel fiche le camp : privé de bouc émissaire, il n’a plus les moyens d’évacuer la violence. La dimension apocalyptique de la Bible, c’est cette révélation de la violence humaine débarrassée des protections symboliques que procurait le bouc émissaire. Vous voyez, ces textes sont d’une rationalité extraordinaire.

    Tout ce qui est sur terre va vers sa fin : c’est le sens de l’Apocalypse. Mais, en même temps, c’est une révélation…
    Voilà ce qui est suggéré, à mon avis, tout au long des Évangiles. Le sens de la Croix, c’est ce retournement du sacrifice contre nous-mêmes, contre notre propre désir destructeur d’imitation. C’est l’offre du royaume de Dieu. Offre qui implique un choix : se sauver ou se perdre.Quand j’étais enfant, le dernier dimanche de la Pentecôte et le premier dimanche de l’Avant étaient consacrés à l’Apocalypse. À la messe, les sermons portaient sur le sujet. Pourquoi l’Église a-t-elle supprimé cette tradition, au moment même où, avec l’invention de la bombe atomique, ces textes étaient redevenus d’une actualité brûlante. Elle a pensé qu’il fallait rassurer les gens. Mais les gens ont besoin de sens.

    Longtemps, le discours officiel du clergé – en particulier français – était à la disparition des fins dernières noyées dans une sorte de religiosité même plus archaïque car l’archaïque, au moins, était tragique.
    Vous avez raison. En retirant le drame, il a retiré l’intérêt. Mais je me réjouis de voir les choses changer. Les jeunes prêtres réagissent très nettement contre le progressisme ecclésiastique, je le vois notamment aux États-Unis. Ce qui m’étonne c’est que l’Église, disons certaines personnes à l’intérieur de l’Église conciliaire, aient pu s’imaginer que ce message édulcoré du christianisme, si éloigné de sa vérité profonde, allait s’imposer. Quelle drôle d’idée… Je crois que le christianisme va réapparaître dans toute sa force grâce aux textes apocalyptiques car leur aspect dramatique correspond au climat de notre

  • L'Islam est-il une hérésie, par Annie Laurent

    Annie_Laurent.jpgUne étude sérieuse du Coran permet d’y découvrir la présence d’un nombre substantiel de passages semblant relever de doctrines jugées hérétiques par le Magistère de l’Église. Or, une prise en considération de ces hérésies chrétiennes dans le livre sacré des musulmans est nécessaire pour connaître réellement l’islam et entreprendre un dialogue en vérité avec les musulmans.

    La complexité de cette question mérite donc une clarification. Telle est la tâche entreprise par Annie Laurent dans cette Petite Feuille Verte n° 94. Elle se présente comme une introduction générale au sujet (définitions, contexte historique, etc.); les suivantes exposeront les différentes hérésies les unes après les autres (millénarisme, arianisme, nestorianisme, pélagianisme, iconoclasme, etc.), avec leur contenu et leur application dans le Coran...

    Mahomet prêchant, de Grigori Gagarine (1845, Musée Russe, à Saint-Petersbourg)

    QU’EST-CE QU’UNE HÉRÉSIE ?

    Une définition claire du mot « hérésie » (du grec Haireo, « j’emporte », « je saisis »), dans son acception chrétienne, est donnée par le Code de droit canonique : « On appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité » (can. 751).

    Le Dictionnaire d’histoire de l’Église, récemment publié sous la direction de Mgr Bernard Ardura, président du Comité pontifical des sciences historiques (Éd. du Cerf, 2022), apporte cette précision : « Le terme d’“hérésie” se développa à l’intérieur de la chrétienté. Il désigne le fait de dévier de ce que les chrétiens considèrent comme le vrai credo » (p. 450).

    Historiquement, il fut admis très tôt que le contrôle doctrinal de ces déviations incombait à la hiérarchie de l’Église, ce qui reste le cas dans le catholicisme. À partir du IVème siècle, des conciles œcuméniques ont été convoqués pour examiner ces doctrines déviantes et se prononcer à leur sujet, le plus souvent au moyen de précisions théologiques, d’anathèmes et/ou de condamnations de leurs instigateurs.

    En théorie, la généralisation du concept d’hérésie pourrait entraîner son application hors du domaine catholique, donc dans les autres religions, y compris l’islam. Pour ce dernier, l’hérésie concernerait alors ceux qui, en son sein, nient ou déforment les croyances de base affirmées dans son livre sacré (p. ex. le Coran « incréé », l’unicité divine, le rôle « prophétique » de Mahomet, etc.). Rien ne permet cependant d’envisager une telle hypothèse puisque l’islam ne dispose d’aucune autorité magistérielle, l’institution d’El-Azhar étant trop souvent perçue à tort comme l’équivalent de la papauté (sur El-Azhar, cf. PFV n° 87 et n°88). Certains juristes sunnites considèrent cependant le chiisme et ses dissidences (druze, alaouite, alévie, ismaélienne) comme des hérésies.

    L’ISLAM EST-IL UNE HÉRÉSIE ?

    La qualification d’hérésie appliquée à l’islam en tant que tel et dans son intégralité ne peut donc pas être retenue comme le montrent plusieurs spécialistes.

    Michel Younès, professeur de théologie à l’Université catholique de Lyon : « À la différence d’une approche qui perçoit l’islam comme une hérésie venant d’une dérive chrétienne ou judéo-chrétienne, plusieurs études cherchent à analyser la complexité islamique autrement. Il ne s’agit plus de revenir à un proto-islam, mais de constater les traces d’une diversité constitutive, relative aux multiples influences intégrées dans cet islam naissant » (Les approches chrétiennes de l’islam, Éd. du Cerf, coll. Patrimoines, 2020, p. 42).

    M. Younès cite Jan Van Reeth, enseignant à la Faculté des sciences religieuses comparées d’Anvers (Belgique) : « Ce serait une erreur de vouloir réduire les origines de l’islam à une seule communauté ou un seul mouvement religieux […]. Les recherches actuelles montrent plutôt que l’islam naissant a subi un grand nombre d’influences très diverses et venant de plusieurs horizons » (ibid., p. 43).

    En 1938, Hilaire Belloc, écrivain catholique britannique (1870-1953), publiait un livre intitulé The Great Heresies, qui vient d’être traduit en français (Les grandes hérésies, Artège, 2022). À partir d’une approche généraliste : « Une hérésie est l’entreprise de déconstruction d’un corps de doctrine unifié et homogène par la négation d’un élément inséparable de l’ensemble » (ibid., p. 46), cet auteur consacre un chapitre entier à « La grande et durable hérésie de Mahomet » (ibid., p. 95-152). Pour lui, le « mahométisme débuta comme une hérésie, et non comme une nouvelle religion » malgré l’apparence que lui donnaient « sa vitalité et son endurance » (ibid., p. 98).

    Il se fait ensuite plus précis, rappelant que la doctrine islamique a émergé « en dehors du giron de l’Église » et soulignant que Mahomet, « né païen », « jamais baptisé », « s’appropria les doctrines chrétiennes et fit le tri entre elles dans un pur élan hérétique […]. Mais il ne procéda nullement de l’intérieur ; son action fut externe » (ibid., p. 116-117)
    [selon les connaissances historiques de l’époque de Belloc ; on pourra juger de leurs avancées à la lecture du dossier « Le Coran des historiens » publié par La Nef n°325, NDLR]

    Ainsi, en considérant l’islam comme il se présente, il paraît difficile de qualifier d’hérésie une religion qui n’affirme aucun lien avec la foi chrétienne ou la tradition biblique, et ce malgré sa revendication de porter l’enseignement du « vrai Jésus de l’islam ».

    Opinions catholiques sur l’islam

    Néanmoins, il est vrai que des saints ont qualifié la religion musulmane d’hérétique, certains d’entre eux variant cependant dans leur approche.

    Saint Jean Damascène (v. 675- v. 750), Père et docteur de l’Église, qui assista aux débuts de l’islam en Syrie, son pays natal, le désignait comme la « Religion des Ismaélites ». Il signifiait par là qu’il ne s’agissait pas d’une « simple hérésie chrétienne ». Cela ne l’empêcha pas d’intituler « Hérésie 100 – L’islam » l’un de ses exposés sur la doctrine coranique (Écrits sur l’Islam, Éd. du Cerf, Sources chrétiennes, 1992, p. 90 ; p. 211-227).

    Le bienheureux Pierre le Vénérable (1092-1156), dans une lettre à saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) : L’islam est « la lie de toutes les hérésies, dans laquelle se sont comme réfugiés les débris de toutes les sectes diaboliques qui se sont élevées depuis la venue du Sauveur » (Antoine Régis, Les saints catholiques face à l’islam, DMM, 2019, p. 10 et 63).

    Saint Alphonse-Marie de Liguori (1696-1787): « Le mahométisme n’est autre chose qu’un mélange d’hébraïsme et d’hérésie propagé par Mahomet » (ibid., p. 229).

    D’autres bienheureux et saints ont, au cours de l’histoire chrétienne, porté sur l’islam des jugements sévères voire des condamnations pour sa fausseté et son danger, mais sans présenter cette religion comme une hérésie (cf. A. Régis, ibid.).

    Saint Thomas d’Aquin (1225-1274), auquel l’Eglise a attribué le titre de « Docteur commun », mérite une attention particulière. Voici ce qu’il écrivait dans La somme contre les gentils : « Aucune prophétie divine ne témoigne en sa faveur [de Mahomet] ; bien au contraire, il déforme les enseignements de l’Ancien et du Nouveau Testament par des récits légendaires, comme c’est évident pour qui étudie sa loi » (Éd. du Cerf, 1993, p. 27).

    Regard de l’Église sur l’islam

    Il ne semble pas que, tout au long de son histoire et à notre époque, l’Église catholique ait jamais déclaré l’islam en tant que tel comme une hérésie et l’ait condamné sur ce motif. En fait, elle ne donne implicitement aucun crédit d’authenticité à cette religion, comme cela résulte de deux textes majeurs de son magistère récent.

    • Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum (Concile Vatican II) : « L’économie chrétienne, étant l’Alliance nouvelle et définitive, ne passera donc jamais et aucune nouvelle révélation publique n’est à attendre avant la manifestation glorieuse de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (§ 4) ;
    • Catéchisme de l’Église catholique : « La foi chrétienne ne peut pas accepter des “révélations” qui prétendent dépasser ou corriger la Révélation dont le Christ est l’achèvement. C’est le cas de certaines religions non chrétiennes et aussi de certaines sectes récentes qui se fondent sur de telles “révélations” » (§ 67).

    Des influences hérétiques dans le Coran

    Toutefois, l’islam s’est en quelque sorte emparé de plusieurs hérésies chrétiennes, sensées correspondre à sa propre perspective religieuse, ou formé à partir d’elles – perspective qui diffère largement de la perspective biblique. Ces « emprunts » ont été reconnus par plusieurs experts.

    Roger Arnaldez, académicien (1911-2006) : « Persuadé de la vérité du monothéisme, le Prophète se trouvait plongé dans un milieu d’une complexité extraordinaire. Il est peut-être vain de chercher à déterminer quelles sectes il a connues, comme s’il avait été à l’école de l’une d’elles. En réalité, il a dû entendre, et sans doute écouter, un ensemble de doctrines qui lui parvenaient pêle-mêle, au hasard des rencontres » (À la croisée des trois monothéismes, Albin Michel, 1993, p. 55).
    [toujours selon les connaissances historiques disponibles à ce moment ; on pourra juger de leurs avancées à la lecture du dossier « Le Coran des historiens » publié par La Nef n°325, NDLR]

    Maurice Borrmans (1925-2017), prêtre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) et islamologue, enseignant à l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (Rome) : « L’islam prétend bien nier avec le Coran, les trois mystères essentiels du christianisme : la trinité du Dieu unique, l’incarnation de son Verbe, la rédemption assumée par celui-ci » (B. Ardura, op. cit., p. 483).

    Jan M.F. Van Reeth, professeur d’histoire des religions du Moyen-Orient à l’Université d’Anvers (Belgique) : « Le Coran porte les traces de toute une série d’hérésies christologiques datant des premiers siècles du christianisme, de sorte qu’on peut se poser la question : le ou les sources du Coran ne devraient-elles pas être situées dans une telle communauté chrétienne hétérodoxe ? » (« La christologie du Coran », Communio, n° XXXII, 5-6, septembre-décembre 2007).

    L’ORIENT CHRÉTIEN, BERCEAU D’HÉRÉSIES

    Au VIIème siècle, lors de l’avènement de l’islam, le Proche-Orient était très largement christianisé, même si le judaïsme y était encore très présent. Des recherches savantes publiées par des historiens et des archéologues contemporains décrivent cette réalité, prenant la suite des auteurs de l’Antiquité comme Sozomène. En voici une sélection.

    Camille HechaiméLouis Cheikho et son livre “Le christianisme et la littérature chrétienne en Arabie avant l’Islam”, éd. Dar El-Machreq, Beyrouth, 1986.

    Alfred HavenithLes Arabes chrétiens nomades au temps de Mohammed, Centre d’histoire des religions, Louvain-la-Neuve, 1988. 

    Edmond RabbathL’Orient chrétien à la veille de l’islam, Publication de l’Université Libanaise, Beyrouth, 1989.

    Vincent DérocheEntre Rome et l’islam. Les chrétientés d’Orient 610-1054, éd. Sedes, 1996.

    Anne-Marie EddéFrançoise Micheau et Christophe PicardCommunautés chrétiennes en pays d’islam, du début du VIIème siècle au milieu du XIème siècle, éd. Sedes, 1997.

    Michel Younès, « L’islam, hérésie chrétienne ou religion abrahamique ? », Perspectives et Réflexions, éd. L’Œuvre d’Orient, n° 7 – 2019.