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  • L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (65), Les invasions normandes (I/III)...

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    Le fait marquant du règne de Charles le Chauve et de ses successeurs, jusqu’aux premières années du Xème siècle, fut les invasions des Northmen (les hommes du Nord) : les Normands.
    En outre, comme on peut le constater en regardant la carte du chapitre suivant, les vikings n'attaquèrent pas uniquement les côtes de France, mais s'en prirent à l'Europe entière, progressant jusqu'à Constantinople.

    Ces invasions n’eurent pas que des conséquences économiques (pillages, etc...) : en dévoilant la faiblesse des dirigeants carolingiens, elles précipitèrent la chute de cette dynastie, préparant l’avènement d’une nouvelle famille : les Capétiens.
    Elles achevèrent aussi la formation, depuis longtemps commencée, de la féodalité.

    I : Origine et caractère des Normands :


    Les Northmen étaient originaire de la Scandinavie, nom vague sous lequel l’on désignait à l’époque la Norvège, le Danemark et la Suède.
    D’humeur guerrière et aventureuse, ils sillonnaient la mer du Nord sur leurs drakkars, des barques plates et longues, ne possédant pas de pont.
    Ils débarquaient ensuite sur les côtes, s’aventurant intrépidement dans l’intérieur des terres, pillant tout sur leur passage.
    Il leur arrivait aussi de remonter les fleuves sur des bateaux plats, allant jusqu’au cœur de la France rançonner les plus riches villes du royaume.
    Les Normands n’avaient pas été convertis au christianisme, vénérant encore les dieux scandinaves, comme les Saxons le firent avant d’abjurer leur foi. Ces derniers n’hésitaient donc pas à incendier et piller les églises, tuer les représentants du culte, en l’honneur de leur dieu, Odin.

    II : Premières incursions des Normands :

    Les Normands avaient pénétré une première fois en méditerranée sous le règne de Charlemagne, mais ce dernier avait établi des flottes sur la manche et sur la côte de l’Océan Atlantique pour se protéger contre leurs excursions.
    Leurs excursions se firent plus fréquentes à la mort de Louis le Pieux, alors que la guerre civile faisait rage, laissant l’Empire sans défense contre les ennemis extérieurs.

    III : Les incursions des Normands sous Charles le Chauve (843 – 877) :


    Le traité de Verdun, en mettant fin aux rivalités des fils de Louis le Pieux, permettait d’espérer la répression des brigandages.
    Mais Charles le Chauve n’était pas maître chez lui, et au lieu de livrer bataille aux Normands, il dut réprimer des soulèvements qui eurent lieu en Bretagne, en Aquitaine et en Septimanie.
    La Bretagne résista aux assauts menés par Charles et conserva son indépendance.
    Pépin II résista pendant cinq ans avant de fuir.
    En 848, il fut livré par un traître et enfermé dans un monastère.
    La Septimanie opposa aussi une vive résistance : Bernard, qui en était le marquis, fut saisi dans Toulouse et mis à mort. Mais son fils Guillaume prit les armes à son tour et souleva le pays. Il résista jusqu’en 849, date à laquelle il fut capturé et décapité.

    Les Normands profitaient de ces désordres pour renouveler leurs ravages.
    Ils s’étaient établis aux embouchures de tous les grands fleuves de France (Escaut, Seine, Loire, Charente, Garonne, etc.). De leurs camps retranchés où ils mettaient le fruit de leurs rapines en sécurité, ils s’élançaient au loin à l’intérieur.
    Les riches monastères, les villes se trouvant sur les fleuves étaient pillés, incendiés ou soumis à de fortes rançons.
    Quatre chefs Normands commirent des actes qui retiennent notre attention :
    - Asgeir, s’empara de Nantes, et remonta la Loire, pillant ferme et abbayes. Il couronna son raid en s’emparant du trésor de Saint Martin de Tours.
    - Weland, un autre chef, obligea Charles le Chauve à négocier. Il accepta de quitter les lieux en échange d’un tribu de 3.000 livres d’argent. Et comme Charles retardait son paiement, Weland ajouta 5.000 livres à son exigence première.
    - Ragnar, en l’an 845, remonta la Seine, à la tête d’une flotte de 120 navires. Les parisiens s’apprêtaient à fêter Pâques, quand ils virent arriver les drakkars. Ragnar et ses hommes se jetèrent sur l’Abbaye de Saint Germain des Près et la vidèrent de ses richesses. Charles le Chauve fut appelé en toute hâte. Paris était l’ancienne capitale des rois Francs, mais le roi n’y résidait pas. Ce dernier se contenta de négocier le départ des Normands contre un tribu de 7.000 livres d’argent. Les parisiens s’indignèrent de ce procédé.
    D’ailleurs, les Normands revinrent en 856, pillant Saint Denis et Saint Germain des Près.
    - Hastings quant à lui, ne se contenta pas de piller les bords de la Loire et ses opulentes villes (Nantes, Tours, etc.). Il pénétra en Charente, pillant Saintes; en Garonne, où il saccagea Bordeaux; puis il contourna l’Espagne jusqu’aux côtes d’Italie. Il pilla le monastère de Mont Cassin, puis repassa une nouvelle fois en Espagne.
    Rentrant dans la Loire, il allait se trouver confronté à un adversaire de taille : Robert le Fort.

    IV : Robert le Fort :

    La France était en mauvais état, livrée aux pillages des Normands et ensanglantée par les mouvements de rébellion contre le roi.
    La paix qui régnait sous Charlemagne ne semblait plus être qu’un lointain souvenir… Robert le Fort, qui avait prouvé sa vaillance lors de combats contre les Normands, fut récompensé par Charles le Chauve, qui le fit d’abord duc de France, en 861, puis comte d’Angers, de Tours et de Bois, en 864.
    Robert le Fort allait donner naissance à un nouvelle dynastie, au cours des décennies suivantes : les Capétiens.

    Robert veillait à la sécurité des rives de la Seine et de la Loire, menant une guerre impitoyable aux pirates. Il fit sur les rives de ses fleuves menacés de nombreux travaux de défense. C’est alors que Hastings revint de son expédition en Italie. Robert leva une armée et courut à l’ennemi. Ces derniers, encerclés, se réfugièrent en septembre 866 dans un église, près du village de Brissarthe. Les pillards, à la nuit tombante, décidèrent de faire une sortie désespérée. Robert se lança à l’assaut, oubliant son casque, son haubert délacé. Il fut percé d’une flèche et mourut là.

    En 869, Charles le Chauve dut céder le comté de Chartres aux Normands, afin de stopper les dévastations de Hastings, qui était remonté de la Loire jusqu’à Clermont Ferrand.

    V : Charles le Chauve, Empereur (875) :

    Lothaire était mort en 855, et son fils Louis II avait hérité du titre impérial et de la couronne d’Italie. Mais ce dernier mourut à son tour en 875, sans enfants. Le pape Jean VIII offrit alors la couronne impériale et l’Italie à Charles le Chauve, qui accepta aussitôt (sans réfléchir ni à la lourde charge qu’il assumerait en tant qu’Empereur, ni aux réclamations qui ne manqueraient pas de s’élever dans la famille carolingienne d’Allemagne.). Charles franchit les Alpes et se fit couronner Empereur. Puis il rentra en France afin de faire confirmer son élection par une assemblée de prélats et de seigneurs.
    Il parut devant eux à Pontyon, vêtu de la dalmatique impériale, un diadème posé sur le front. Il demanda aussi à ce qu’on l’appelât Auguste.

    L’année d’après, en 876, son frère, Louis le Germanique, mourut. Charles le Chauve réclama une partie de son héritage, et voulut s’emparer de la Lorraine, mais il fut battu par son neveu Louis de Saxe à Andernach, sur le Rhin.

    Empereur et roi d’Italie, Charles le Chauve devait à la fois protéger l’Italie, la papauté, mais aussi la France : lourde tâche pour un roi aussi peu puissant…
    Jean VIII, le pape, implora le secours de Charles, les Sarrasins étant parvenus à remonter jusqu’aux murs de Rome. Charles, après avoir tenu en 877 une réunion avec ses seigneurs à Kiersy sur Oise, partit au secours du pape.
    Son voyage en Italie fut un échec, et il prit le chemin du retour, constatant qu’il avait été aussi impuissant contre les Sarrasins qu’il l’avait été contre les Normands… il fut pris de fièvres à la descente du mont Cenis et mourut.

    VI : Nouvelles incursions des Normands (880) :

    Si les Northmen s’étaient tenus tranquilles pendant les dernières années du règne de Charles le Chauve, ces derniers s’agitèrent presque aussitôt après sa mort. Le nouveau roi, Louis II le Bègue (877 – 879.), ne fit que passer sur le trône et n’eut pas le temps de les combattre.

    Ses deux fils, Louis III et Carloman, montrèrent de l’activité et une certaine valeur au combat.

    Le premier marcha contre les Normands qui avaient pillé Tournai, Cambrai, Arras et Amiens. Il les surprit à Saucourt, près de la Somme, et les mit en déroute, tuant plusieurs milliers des leurs.
    Carloman, quant à lui, était en conflit avec Boson, un seigneur révolté, qui venait de se faire couronner roi de Bourgogne à Mantailles, près de Valence. Voyant Carloman engager la lutte contre lui, Boson courut se réfugier dans Vienne, que le Carolingien assiégea en 88.

    Cependant, les deux frères moururent sans postérité, Louis III en 882, Carloman en 884.

    Il restait de Louis II le Bègue un fils posthume, Charles le Simple. Le royaume étant en mauvais état, l’on ne pouvait se permettre de placer un enfant sur le trône, et l’on fit appel à Charles le Gros, dernier fils vivant des enfants de Louis le Germanique.

    VII : Siège de Paris par les Normands (885) :

    Charles le Gros était Empereur, roi d’Italie, de Lorraine, de Germanie et de France. Après tant d’années de guerres civiles et de troubles, l’Empire de Charlemagne se trouvait reconstitué une dernière fois. L’on attendait beaucoup de Charles le Gros, mais au final, il ne sut rien faire.

    Le chef des Normands de l’Escaut, Godefried, avait ravagé tout le bassin inférieur de la Meuse et du Rhin, où il avait pillé de nombreuses villes : Maëstricht, Lièges, Bonn, Cologne, Trèves, etc.
    Pour se débarrasser de lui, Charles le Gros traita d’abord à des conditions déshonorantes. Puis, ayant attiré le Normand à une conférence, il le fit assassiner.
    Le frère du défunt, Siegfried, résolut de le venger. En 885, à la tête de 700 barques, portant 40.000 hommes, il remonta la Seine et vint mettre le siège devant Paris. Siegfried avait sous ses ordres de nombreux chefs, dont un certain Hrolf, surnommé "Marche à Pieds", en raison de son poids et de sa taille : l’on racontait qu’il était si grand qu’il ne pouvait trouver de cheval à sa taille.
    Paris, à l’époque, n’occupait guère que l’île de la cité. En voyant les navires ennemis approcher, les habitants des rives vinrent se réfugier à l’abri des murs de la ville. La défense de la cité fut assurée par l’évêque Gozlin, Abbé de Saint Germain, et le comte Eudes, fils de Robert le Fort.
    Les Normands livrèrent de nombreux assauts contre la ville, à chaque fois repoussés par les Parisiens qui faisaient pleuvoir pierres, poutres, poix fondue, etc. La ville tenait les Northmen en échec. Siegfried comprit que le siège serait long, et décida d’établir un camp sur chaque rive, à Saint Germain des Près et Saint Germain l’Auxerrois, qu’il entoura de fossés. De là, il fit divers razzias sur les campagnes environnant, pour la vengeance, le massacre et le pillage.
    Le siège se transformait en blocus. Chaque jour, pour maintenir la combativité de leurs hommes, les chefs normands lançaient des assauts, mais en vain, contre les murs de la ville. Le 6 février 886, après plus de deux mois de siège, une crue emporta le pont reliant une tour aux murs de la ville. Douze défenseur se retrouvèrent isolés, entourés par les Normands. Pendant toute la journée, ils tentèrent de faire face aux assauts répétés de leurs assaillants. Au crépuscule, alors que la tour était la proie des flammes, les survivants tentèrent une sortie. Ils furent massacrés jusqu’au dernier par les Normands qui se jetèrent sur eux. L’Histoire a conservé le nom de ces douze parisiens : Aimard, Arnaud, Gui, Hardre, Herland, Hermanfroi, Hervé, Hervi, Jobert, Jossouin, Ouacre, Seuil.
    Le blocus durait depuis des mois, la peste et la famine sévissait dans les deux camps. Siegfried et ses hommes n’en démordaient pas, lançant toutes leurs forces dans la bataille. L’évêque Gozlin fut percé d’une flèche, et mourut peu après.
    L’on attendait avec anxiété l’arrivée de Charles le Gros. Le comte Eudes décida d’aller quérir son aide, l’Empereur résidant à cette époque à Metz. Il ne fut pas difficile de sortir de Paris, les Normands ayant dédaigné les travaux d’encerclement. Le siège durait depuis sept mois, et les chaleurs de l’été aggravèrent la pestilence. C’est alors qu’Eudes rentra dans la ville, sa mission accomplie. Mais il fallut attendre le mois d’octobre pour que Charles le Gros arrive enfin.
    Les Parisiens, pensant que l’armée de Charles de Gros allait tailler les Normands en pièces, laissèrent éclater leur joie. Hélas pour eux elle fut de courte durée : l’Empereur, plutôt que de se battre, préféra négocier la levée du siège contre une rançon de 700 livres d’argent, avec permission pour les pirates d’aller piller la Bourgogne. Les Parisiens furent indignés par cette décision honteuse.
    Deux ans plus tard, en 887, Charles le Gros, déconsidéré, fut déposé par la diète de Tribur (l’on dit qu’il était affaibli de corps et d’esprit…). Il fut enfermé dans un monastère, où il mourut deux ans après.

    VIII : Eudes roi de France (887 – 898) :

    Le nouveau roi de France était tout désigné : les suffrages se portèrent unanimement sur le vaillant défenseur de Paris. Eudes justifia cette confiance publique par de nouveaux succès : dans les premiers jours de son règne, il remporta une brillante victoire à Montfaucon, en Argonne, où avec une poignée d’hommes il mit en déroute une bande de pillards. Il combattit contre une autre bande en 892 dans les plaines de la Limagne, près de Montpensier.

    Pourtant, les brillants services rendus par Eudes ne faisaient pas oublier qu’il détenait la couronne de France au détriment du légitime héritier, Charles le Simple.
    En 893, un parti se forma en faveur de ce prince. Dans un premier temps, Eudes voulut résister, puis il se résigna et accepta un compromis. En 896, l’on accorda à Charles le Simple un apanage en Champagne, et il fut décidé qu’il serait seul héritier de tout le royaume à la mort d’Eudes.

    Cette mort arriva deux

  • POUR CHARLES MAURRAS, IN MEMORIAM Par Yves Morel 

    POUR CHARLES MAURRAS, IN MEMORIAM

     

    Il y a 70 ans de cela, le 16 novembre 1952, Charles Maurras s’éteignait à la clinique Saint-Grégoire de Saint-Symphorien-lès-Tours, dans le département d’Indre-et-Loire, âgé de 84 ans.

    Une grâce arrachée de haute lutte, tardive et conditionnelle

    Il avait été admis dans cet établissement hospitalier à la suite d’une grâce médicale que le président de la République, Vincent Auriol, lui avait enfin accordée le 21 mars de la même année. Enfin accordée, oui, car, depuis cinq ans, de nombreux intellectuels éminents avaient fait le siège de l’Élysée, individuellement ou à plusieurs, pour tenter d’obtenir une telle grâce. Le chef de l’État, socialiste de toujours, ministre de Léon Blum (éreinté à coups d’articles par le maître de L’Action française), « résistant » (de Londres), s’était jusqu ‘alors montré inflexible : Maurras devait expier sa « trahison » et mourir en prison. Il fallut que l’état de santé du condamné se dégradât au point d’exiger son transfert à l’Hôtel-Dieu de Troyes (tout près de la prison de Clairvaux, où il était détenu) pour que Vincent Auriol consentît enfin à lui accorder sa grâce. Encore s’agît-il d’une grâce médicale, et non plénière. Maurras ne recouvrait pas la liberté ; il se voyait placé en résidence surveillée à la clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours pour y être soigné, et ne pouvait pas en sortir ; son état l’en aurait empêché de toute façon. Il mourut d’ailleurs dix mois après son transfert.

    Charles Maurras avait été condamné à la réclusion perpétuelle pour intelligence avec l’ennemi par la cour de justice (défense de rire) de Lyon le 27 janvier 1945. Il est dit généralement que le maître de l’Action française fut condamné pour « intelligence avec l’ennemi ». Lorsqu’on songe à la foncière, implacable et définitive germanophobie de Maurras, un tel chef d’accusation donne à sourire, voire, carrément, à rire, et aux éclats.

    Plus exactement, l’auteur de l’Enquête sur la monarchie fut inculpé au titre de deux articles du Code pénal : l’article 75 alinéa 5, et l’article 76 alinéa 3. Le premier vise les personnes (ou les groupes) susceptibles d’avoir, en temps de guerre, entretenu avec une puissance étrangère, des « intelligences » en vue de favoriser les entreprises de celle-ci contre la France. Or, répétons-le, Maurras se montra, toute sa vie durant, un ennemi absolu de l’Allemagne, et n’entretint jamais quelque commerce intellectuel ou politique avec ses écrivains et/ou ses dirigeants, quels qu’ils fussent ; et, il observa la même attitude sous l’Occupation (à la différence d’un Sartre ou d’un Malraux), même s’il dut alors, pour ne pas s’exposer à la répression de l’Occupant, éviter d’exprimer ouvertement sa haine du Reich. Rappelons, en outre, que Maurras et son équipe choisirent, après la conclusion de l’armistice de juin  1940, de se replier à Lyon, donc en zone libre, pour éviter de se trouver sous la férule des Allemands, et qu’en août de la même année, ces derniers saccagèrent les locaux parisiens de L’Action française. Rappelons également que Maurice Pujo, en 1944, fut arrêté par la Gestapo et passa plusieurs semaines en prison.

    L’article 76, alinéa 3, lui, vise les personnes (ou les groupes) accusé(e)s d’avoir participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale. Là encore, l’accusation se révèle plus que discutable : on ne trouve rien, dans les articles, les déclarations verbales et les démarches de Maurras qui soit de nature à démoraliser l’armée ou la population et nuise à l’effort de guerre et à la défense de la France en 1940. Mais les faits ne prouvant rien,  les accusateurs les interprètent. Ainsi, ils présentent, de manière partisane, les articles de Maurras parus au moment de la défaite de 1940 comme des actes de démoralisation et de trahison au motif que leur auteur ne manifeste aucune compassion évidente pour sa patrie vaincue et insiste sur la fatalité du désastre, conséquence naturelle d’un régime républicain gangrené par son incurie foncière. D’autres, comme l’historien américain Eugen Weber cherchent à pallier l’impuissance de la Justice et du Droit à établir la culpabilité juridique de Maurras en chargeant celui-ci d’une culpabilité morale supérieure à cette dernière.

    « Objectivement, sinon intentionnellement, Maurras avait trahi son pays, il avait travaillé du côté de ce qui devait devenir celui de l’ennemi ; il était coupable dans un sens plus élevé que celui de la Loi », écrit notre historien. Belle conception de la justice et de la morale que celle qui les subordonne à un parti pris politique ! À l’évidence, le procès de Maurras est un exemple éclatant d’iniquité, et cela, de nos jours, ne fait pas de doute.

    Les enseignements fondamentaux et pérennes de Charles Maurras

    Cela étant rappelé, il convient  de résumer ce que nous pouvons retenir de la pensée et de l’œuvre de l’illustre martégal. On pourrait dire que la raison essentielle de l’acharnement dont a été victime Maurras, jusqu’à nos jours, est que, plus qu’aucun autre « pestiféré », il est inassimilable par le système__  entendons par là la République et son substrat idéologique et pseudo-éthique, à savoir son aspiration  à une démocratie universelle égalitaire et indifférenciée sous toutes les latitudes, annihilant toutes les identités nationales, née dans les loges et les société de pensée du XVIIIe siècle, et annoncée par notre grande Révolution. A la différence de Barrès, Rochefort, Déroulède, ou même Drumont, pour ne citer que quelques noms, Maurras n’a jamais reconnu la moindre légitimité ni la moindre grandeur à la France contemporaine, issue des « Lumières » et de la Révolution. Il n’a jamais célébré l’héroïsme des soldats de l’An II, entonné le péan en l’honneur de Napoléon, admiré l’essor économique de la grande industrie et de la haute banque sous le Second Empire, loué l’œuvre coloniale de la IIIe République, et n’a jamais succombé à l’envoûtement romantique, baudelairien ou symboliste, à l’ivresse germanique, au culte débridé, déliquescent et mortifère du moi, n’a jamais dit que Zola, Proust, Romain Rolland, Gide, étaient des romanciers de génie nonobstant leur orientation morale et politique. Maurras, c’est l’opposition sans concession à la France contemporaine, sa négation, sa condamnation ; voilà ce qui explique le formidable retour de bâton que celle-ci lui inflige.

    Maurras, c’est le refus de l’abdication de la raison, devant le Sturm un Drang, le cyclone, le maëlstrom, le chaos des sentiments, des passions, des états d’âme, des pulsions préconscientes et inconscientes, des folies de l’âme individuelle ou collective, au motif que toutes ces réalités existent, et que formant le fond de la nature humaine, il convient de leur accorder la prééminence, dans la vie individuelle, la société, les institutions, l’art, la littérature, ou, à tout le moins, de leur accorder une place de choix.

    Le courage puisé dans la raison

    On le sait, Maurras connut les tourments d’une âme blessée, les déchirements et les revendications du moi, la déréliction, la révolte, la tentation nihiliste ou suicidaire, les tendances égocentriques, égoïstes et égotistes, les séductions libertaires, anarchistes, non-conformistes, décadentes et avant-gardistes. Et sa condition physique et psychologique personnelle ne pouvait que l’inciter à y donner libre cours. Il n’en fit rien. Jamais il ne cessa de penser que si les émotions, les sentiments, les pulsions sont l’humus de la création, seule le sens rationnel et supérieur de l’ordre et de l’harmonie opérée par la raison, peut produire de la beauté et élever ainsi l’âme de l’artiste lui-même et de son public, et que l’œuvre d’art, l’œuvre littéraire, s’avilit et avilit celui qui la contemple ou la lit lorsqu’elle est seulement l’expression crue d’un moi chaotique, laid et torturé. Sans doute eût-il pu penser, comme Musset, que « rien ne nous rend grand comme une grande douleur », mais, de là, il ne conclut jamais que l’œuvre d’art dût être le cri strident d’une âme tourmentée.

    Et il eut le même type d’exigence en politique. Constatant, étudiant, analysant, critiquant la décadence de la France contemporaine, il refusa toujours de s’y résigner comme à une fatalité, et, plus encore, de s’y complaire, de la célébrer, de s’en délecter avec cynisme ou masochisme. Et il ne cessa de vouloir la conjurer.

    La première condition, pour cela, fondamentale, était le courage, la force de ne pas céder au pessimisme. « Le désespoir, en politique, est une sottise absolue », écrit-il, dès 1905, dans L’Avenir de l’Intelligence. Et la raison, là encore, est l’attribut le plus précieux de l’homme, celui qui lui permet d’élever une digue salvatrice contre la crue mortelle de l’affectivité, de penser, d’analyser, de comprendre les causes du marasme, et de les abolir, et, par suite, de construire (ou de reconstruire) un ordre politique et social sain et bienfaisant pour l’individu comme pour la communauté.

    La vérité de la Monarchie et le mensonge de la République

    Tout ordre politique et social sain est une construction rationnelle, point sur lequel Maurras s’accorde avec Comte. Mais, à la différence de Comte, il ne récuse pas la notion de cause, et juge même indispensable de découvrir les causes de la situation présente pour édifier un ordre durable. Il prend donc appui sur l’histoire, dont, contrairement à Sieyès, il estime les leçons utiles. Si l’ordre politique est une construction de l’esprit, la communauté qu’il régit ne l’est pas et procède d’une évolution multiséculaire opérée par la mémoire collective, le sentiment  d’un destin commun et la succession des nombreux événements et états qui l’ont marquée. Une nation est une réalité historique qui excède la raison, même si cette dernière est indispensable à l’édification (ou au maintien) de l’ordre politique, de la société. Et tout l’art de la politique consiste à ordonner cette réalité historique afin de faire d’elle une totalité harmonieuse, grâce à l’œuvre civilisatrice de la raison. C’est ce qu’avaient compris nos rois, qui, au fil des siècles avaient graduellement rassemblé le royaume de France et l’avaient gouverné avec fermeté sans le mutiler ou l’étioler en l’étouffant sous une administration centralisatrice, et en laissant vivre les communautés naturelles et historiques, et les corps de métiers, issus du très haut Moyen Age. Ces rois avaient judicieusement, et comme par instinct, autant que par raison, combiné l’autorité de l’Etat pour les questions engageant le destin de la nation, et les libertés fondamentales naturelles pour la vie de leurs sujets, évoluant dans leurs communautés d’appartenance. Et ainsi, la France, riche de ses différences, mais unie pour un destin commun, avançait sans que sa diversité devînt une source de contradictions paralysantes, au contraire.

    Voilà pourquoi Maurras opta de bonne heure pour la restauration de la monarchie. Et voilà pourquoi il devînt l’adversaire irréconciliable de la République. Cette dernière laissa les individus isolés et désarmés face à un Etat jacobin centralisateur, animé par une idéologie égalitaire et matérialiste, et osa se présenter – par, notamment, le vecteur de son école ferryste et de son Université rationaliste et libre-penseuse – comme la continuatrice de l’œuvre d’une monarchie dont le rôle historique aurait consisté, à l’en croire, à préparer – certes inconsciemment – son propre avènement.

    Maurras refusa constamment  cette fallacieuse reconstruction téléologique de notre passé, imposée depuis la fin du XIXe siècle par nos institutions d’enseignement, nos élites et nos médias. A ses yeux, il n’existe, il ne peut exister, de bonne République, dans la mesure même où ce régime est, in essentia, destructeur de tout ce constitue l’être même d’une nation : la foi, le sentiment de son identité, la culture, la famille, l’ancrage dans son contexte géographique, son ère de civilisation, sa langue, ses communautés organiques naturelles. En conséquence, il n’a cessé de combattre pour la restauration d’une monarchie héréditaire et décentralisée forte, vouée à ses tâches régaliennes desquelles dépendent la vie et la prospérité de la nation (administration de l’intérieur, économie générale et finances publiques, diplomatie, défense), cependant que les administrations de proximité et  le social incomberaient, les premières à des institutions régionales, le second à des organismes partenariaux  et professionnels forts, certes encadrés et contrôlés par le législateur, mais autonomes. Au lieu que la République nous condamne in aeternum à dépendre d’un Etat aussi impuissant qu’omnipotent, omniprésent, et constamment sollicité et contesté.

    Il convient de souligner sans relâche l’actualité brûlante de la pensée du maître de l’Action française,  de défendre sa pensée contre toutes les mésinterprétations qu’en ont donné non seulement des adversaires ou des « spécialistes », mais également nombre d’intellectuels de  droite qui prétendent faire l’inventaire de l’œuvre de Maurras – critiquant, notamment ses prétendues tendances antichrétiennes, païennes et nietzschéennes – et procéder à un aggiornamento du mouvement monarchiste.

    (Article paru dans Politique magazine)

  • Représailles au sabotage des gazoducs par l’Amérique : les câbles sous-marins internet ! par Marc Rousset

     

    Vladimir Poutine, lors de son discours au Kremlin, qui fera date, d’unification à la Fédération de Russie, du vendredi 30 septembre, a accusé l’Amérique d’avoir provoqué l’explosion des gazoducs : « La dictature des États-Unis repose sur la force brute, c’est la loi du plus fort ». Poutine a imputé ce sabotage aux États-Unis qui « font pression » sur les pays européens pour qu’ils coupent complètement leur approvisionnement en gaz russe « afin de s’emparer (eux-mêmes) du marché européen ».

    Et Poutine accusateur encore plus direct et formel contre les États-Unis d’ajouter dans son discours afin d’ouvrir les yeux aux Européens lobotomisés, des traîtres que sont Macron, Scholz, von der Leyen :

    MARC ROUSSET.jpg« Les sanctions ne suffisent pas aux Anglo-Saxons ; ils sont passés au sabotage incroyable, mais vrai : après avoir organisé des explosions sur les gazoducs internationaux Nord Stream, qui longent le fond de la mer Baltique, ils ont commencé à détruire les infrastructures énergétiques paneuropéennes. C’est clair pour tous ceux qui en bénéficient. C’est celui qui en profite qui l’a fait, bien sûr ». Le saboteur, c’est donc bien les États-Unis et personne d’autre ! À qui profite le crime ? Aux seuls États-Unis !

    Le sabotage est énorme et n’a pu être réalisé que par une puissance étatique puisqu’il y a eu deux explosions de 500 kg et 700 kg de TNT (magnitudes 2,1 et 2,3 sur l’échelle de Richter) dans les eaux internationales à l’est de l’île danoise de Bornholm, selon l’institut norvégien de sismologie « Norsar ». Les fuites de gaz sont énormes avec des bouillonnements allant de 200 à 900 mètres de diamètre, jusqu’à ce que les deux gazoducs Nord Stream 1 et 2 se vident complètement en plusieurs jours. Il semble que les deux gazoducs soient inutilisables car l’eau est rentrée dans les gazoducs pour les remplir complètement avec des dommages irréparables.

    L’Allemagne, caniche de l’OTAN, capitule honteusement face à la destruction de sa puissance économique par l’Amérique, reste totalement passive face à la catastrophe que représente pour son industrie la perte de compétitivité en matière d’approvisionnement énergétique, ne dit rien et se jette par lâcheté encore davantage dans les bras et les filets de l’Amérique. Déjà le 7 février 2022, l’incapable Olaf Scholz, un duplicata de Macron, n’avait pas bronché ni fait la moindre remarque lorsque, lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, Joe Biden avait dit publiquement, en sa présence puisqu’il était debout derrière le pupitre d’à côté, « que les États-Unis ne se priveraient pas d’arrêter Nord Stream 2, en cas de guerre avec la Russie ». L’Allemagne dirigée par les incapables SPD, style Renaissance en France, ne proteste pas et capitule donc une seconde fois dans son histoire depuis 1945. L’ennemi de la France, de l’Union européenne et de l’Allemagne, ce n’est pas la Russie, mais bel et bien les États-Unis qui nous saoulent de belles paroles utopiques, moralistes, kantiennes, démocratiques, droit-de-l’hommistes, mais sont en fait de vrais gangsters égoïstes ne croyant, comme le philosophe Hervé Gusdorf, qu’au seul rapport de forces (« Tout n’est que force et rapport de forces »). Il est clair, comme le démontre ce sabotage machiavélique, que les États-Unis veulent supprimer tous les liens entre l’Allemagne, l’Europe et la Russie ! « Divide ut regnes ! » disaient les Romains.

    Pourquoi n’y a-t-il aucun doute possible que c’est l’Amérique, notre pseudo-alliée depuis Lafayette, qui a bel et bien fait exploser les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, ce que confirme l’expert genevois Jacques Baud, ancien haut responsable de l’OTAN ? D’une façon non exhaustive, les principales raisons nous semblent être les suivantes :
    – Les gazoducs appartiennent à la Russie. Si Poutine voulait supprimer le gaz aux Allemands, il lui suffisait de fermer le robinet. Pourquoi donc se serait-il embarrassé à faire exploser ses propres gazoducs, d’autant plus que c’était une opportunité pour lui de les rouvrir, après des négociations avec l’Allemagne, ce qui n’est plus possible aujourd’hui !
    – En fait c’est parce que le bon sens, qui manque aux Macron, Scholz et Cie vendus à l’Amérique, commençait à s’emparer des Allemands avec des manifestations de masse dans la rue, en demandant purement et simplement sur leurs pancartes de protestation la réouverture des gazoducs Nord Stream 1 et 2. L’Amérique a alors pris peur que le vent tourne prochainement en Allemagne et a voulu commettre un acte irréversible en détruisant pratiquement les deux gazoducs ;
    – De nombreux hommes politiques allemands commençaient aussi à demander la réouverture des gazoducs Nord Stream, et plus particulièrement les dirigeants de l’AfD, à l’origine de nombreuses déclarations et manifestations de foules ;
    – L’île danoise de Bornholm, où ont eu lieu les explosions, est géographiquement très stratégique car elle est située en plein milieu d’un rétrécissement de la mer Baltique et donc très surveillée par l’OTAN. Il était donc très difficile aux navires russes de passer inaperçus ;
    – Et c’est justement vers cette île de Bornholm qu’ont eu lieu tout récemment des soi-disant exercices de la marine américaine avec de nombreux vols d’hélicoptères de l’US Navy, ce qui a été confirmé officiellement par le magazine spécialisé américain « Sea Power » ;
    – Biden, comme déjà mentionné ci-dessus, a déclaré explicitement devant Scholz, début février, que le gazoduc Nord Stream 2 devait être détruit en cas de guerre avec la Russie ;
    – Biden, l’inconscient « Sleepy Joe », a décidé cette mesure préventive et punitive de sabotage, craignant aussi que cet hiver, les Européens finissent par craquer et recommencent à importer massivement du gaz russe écologique bon marché, en se passant de l’abominable gaz de schiste américain ;
    – L’Amérique, comme le remarque également l’expert genevois Jacques Baud, a déjà saboté et détruit en 1982, pendant la guerre froide, un gazoduc soviétique qui devait passer par l’Ukraine pour alimenter l’Europe ;
    – N’oublions pas que si des gens meurent aujourd’hui en Ukraine, c’est à cause de la seule Amérique qui a empêché Zelensky de négocier, en mars 2022, avec la Russie, contrairement ce qu’il souhaitait spontanément ! L’Amérique va-t-en-guerre a convaincu Zelensky qu’elle allait détruire la Russie avec des sanctions économiques très dures, jamais vues et jamais pratiquées jusqu’à ce jour, tout en lui fournissant des armes modernes, ce qu’elle fait effectivement, tout comme le valet Macron avec les canons Caesar prélevés sur les stocks peu garnis de l’armée française. L’Amérique emploie l’arme des sanctions économiques et « fournit le matériel de guerre tandis que les Ukrainiens fournissent les cadavres », comme l’a très bien explicité le président du Mexique !
    – C’est une trop belle occasion pour l’Amérique de détruire l’industrie lourde européenne et allemande qui disparaîtra par manque de compétitivité (disparition d’un « peer competitor ») ou qui cherchera à délocaliser dans le sud des États-Unis pour survivre, en augmentant le PIB américain et le nombre des chômeurs en Europe !
    – L’Amérique pourra aussi prendre une partie du marché européen avec un gaz de schiste non écologique et deux fois plus cher, nécessitant le transport par des méthaniers polluants sur l’Atlantique et la création d’usines de liquéfaction dans les ports européens, autre source de pollution. Il faudra 700 méthaniers pour traverser l’Atlantique et remplacer les 55 milliards de m3 de gaz qui arrivaient par Nord Stream 1 ! Bravo Madame von der Leyen, déjà vendue à l’Amérique en raison des nombreux contrats de l’UE signés avec Pfizer, afin de faciliter l’embauche de votre mari dans une filiale du Groupe, pour nous conduire tout droit à une Europe désindustrialisée, ruinée, non écologique et asservie à l’Amérique !
    – L’obsession de l’Amérique, comme l’a très bien formulé Brzezinski dans « le Grand Échiquier », c’est de mettre fin à toute idée gaullienne de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, de couper les relations naturelles et complémentaires entre la Russie et l’Europe !

    Biden, par cet acte odieux et stupide vis-à-vis de ses alliés européens, vient de commettre une faute cardinale, susceptible de donner la victoire finale à la Russie ! Trop, c’est trop ! Et les médias politiquement corrects ne pourront pas cacher indéfiniment les vérités énoncées ci-dessus. L’Occident, l’Amérique , l’OTAN et l’UE ont décidé et cru mettre à genoux la Russie, à coups de sanctions économiques astronomiques, d’aide financière démesurée et de matériel militaire à l’Ukraine qui a déjà perdu tout son matériel de guerre d’origine détruit par les Russes, en lui gelant les réserves en euros et dollars de sa banque centrale avec des méthodes de gangsters, pour la déclarer très vite en cessation de paiement, en l’excluant du système de transfert Swift très répandu dans le monde, en n’hésitant pas à assassiner la fille de Douguine, et même, comme nous le vivons actuellement, à faire exploser des gazoducs vitaux !

    C’est cette même Amérique odieuse qui a cru devoir bombarder Hiroshima et Nagasaki avec l’arme nucléaire, qui a détruit Caen et Le Havre en France, qui a, comme le remarque Poutine dans son discours, détruit aussi Dresde, Hambourg, Cologne et de nombreuses autres villes allemandes, sans aucune nécessité militaire, qui a déclenché la guerre du Vietnam avec le prétexte de fausses attaques de navires américains par la marine vietnamienne, qui a déclenché une guerre horrible en Irak avec les soi-disant armes de destruction massive de Saddam Hussein et les petites fioles « bidon » en guise de preuves déposées sur sa table aux Nations unies par le général Powell, qui a fait stupidement bombarder la Libye du colonel Kadhafi par les caniches Sarkozy et Blair, avec la bénédiction d’Obama.
    C’est aussi cette même sainte nitouche Amérique qui, malgré la chute du Mur de Berlin, a déclenché les hostilités envers la Russie avec l’extension sans fin de l’OTAN à l’Est, qui a organisé le coup d’État de Maïdan à Kiev en 2014, afin de renverser le Premier ministre ukrainien pro-russe, démocratiquement élu, avec l’aide des mouvements nazis ukrainiens et des services secrets polonais.

    La grande frousse de l’Amérique, c’est l’Europe de Brest à Vladivostok, l’axe Paris-Berlin-Rome-Moscou, le projet de Confédération européenne présenté par François Mitterrand qui incluait la Russie et excluait l’Amérique, en 1991, comme réponse politique française à la demande par Gorbatchev de la paix, de la coopération pacifique avec la Russie, de la mise en place d’une « Maison commune européenne ».

    Les médias français et occidentaux mentent donc comme des arracheurs de dents en niant l’évidence, que c’est donc bel et bien l’Amérique qui a bombardé les gazoducs Nord Stream 1 et 2 ! Trump, qui sait parfaitement que Biden est l’auteur de la « bourde », est d’ailleurs sorti pour la première fois de de son silence ; il a insisté sur la gravité du sabotage qui peut conduire « à des événements graves à terme, à une escalade majeure et à la guerre ». Son cri du cœur « N’aggravez pas les choses avec l’explosion du gazoduc » est un appel direct à Biden !

    La Russie a donc le droit légitime de rendre la monnaie de la pièce à l’Amérique en s’en prenant aux câbles internet sous-marins stratégiques d’importance vitale pour Wall Street, contrairement à l’économie russe. Les autoroutes de fibre optique reposant au fond des mers sont des artères vitales. On en compte plus de 420 dans le monde, totalisant 1,3 million de kilomètres, soit 32 fois le tour de la Terre, soit 3 fois la distance de la Terre à la lune. N’en déplaise aux satellites, 99,7 % des échanges de données entre les continents passent par des câbles sous-marins constitués de fibres optiques. Ce sont tous les jours 10 000 milliards de dollars de transactions financières qui passent par ces câbles ! Wall Street et les Bourses européennes pourraient s’effondrer du jour au lendemain si ces câbles étaient coupés ! Swift, le fameux réseau de messagerie bancaire pour les virements internationaux, d’un montant de 77 000 milliards de dollars en 2019, dont a été exclu la Russie par les Occidentaux, afin de mieux la détruire, passe par ces câbles sous-marins !

    Ce plus d’un million de kilomètres de câbles internet reliant les continents est très vulnérable ! Les câbles sont enterrés entre 1 et 3 mètres lorsqu’ils sont proches des côtes et simplement posés sur le fond lorsque la profondeur de l’eau augmente, donc très faciles à sectionner si un État dispose du matériel adéquat. Il se trouve que la Russie et les États-Unis entraînent leurs sous-mariniers à poser des mouchards pour espionner ou pour détruire discrètement les câbles ! Leurs armées disposent toutes deux de submersibles spécialement adaptés, des sous-marins nucléaires d’attaque équipés de sas et de sous-marins de poche, pour intervenir en profondeur et en toute discrétion. Au début des années 2000, l’US Navy avait consenti une rallonge de 1 milliard de dollars pour transformer un SNA tout juste entré en service, l’USS Jimmy Carter, en spécialiste des opérations sous-marines spéciales (ce qui a été le cas pour le sabotage de Nord Stream par l’Amérique à Bornholm).

    En 2021, un navire océanographique russe a été repéré au large de l’Irlande ! Il aurait suivi les câbles Celtic Norse et AEConnect-1 qui relient l’île aux États-Unis. À son bord se trouvait un mini sous-marin capable de plonger à 6 000 mètres de profondeur ! L’Europe pourrait donc se retrouver totalement coupée d’internet contrôlée par les géants américains, sans réseaux sociaux et sans moyen de communiquer. La prochaine cible prioritaire pour la Russie, afin de calmer Biden, Macron, Scholz et von der Leyen, dans le contexte actuel, pourrait donc être les câbles de communication sous-marins qui relient l’Europe aux États-Unis, plutôt qu’une bombe tactique nucléaire en Ukraine, comme le réclame le guerrier tchétchène Kadyrov !

    Dans l’un de ses rares jours de sincérité, à la veille de sa mort, l’ordure socialiste, décadente, hypocrite, mais très intelligente François Mitterrand a pu confier à Georges-Marc Benamou, auteur du livre « Le dernier Mitterrand » :     « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort ».

    Marc Rousset
    Auteur de « Comment sauver la France/Pour une Europe des nations avec la Russie »

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  • Feuilleton ”Vendée, Guerre de Géants...” (21)

     

    (retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

     

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    Le soulèvement général du gand Ouest, dans son ensemble, et de la Vendée, en particulier, sont évidemment uniques en leur genre.

    Pourtant, à leur image, partout en France on s'est levé contre cette démence sanguinaire des terroristes révolutionnaires, sauvant ainsi également, en tous points du pays,  l'honneur du nom Français.

    Aussi avons-nous choisi de prendre trois exemples de ces soulèvements "pour Dieu et pour le Roi", pour la liberté de l'homme intérieur, et que l'on peut qualifier, sans porter nullement atteinte à la Geste vendéenne, "d'autres Vendées". Soljénitsyne ne dira-t-il pas, d'ailleurs, que les Russes aussi ont eu "leur Vendée" (à Tanbow, comme on le verra plus bas) ?

    On évoquera donc ici :

    • une Vendée dans les Flandres;

    • une Vendée créole, en Martinique;

    • et la "Vendée provençale", d'où surgiront, plus tard, un Maurras, un Daudet...

     

     

    Aujourd'hui : Une Vendée dans les Flandres : Louis Fruchart...

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    "Une Vendée flamande" (1813-1814), par L'abbé Harrau :

    L'année 1813, marquée dans l'histoire du Premier Empire, par de lâches et perfides trahisons, s'achevait sous les plus sinistres présages. Napoléon, après avoir repassé le Rhin avec les débris de son armée, refusait de s'avouer vaincu et un Senatus-consulte avait décrété une nouvelle levée de trois cent mille hommes ; mais la France était dépeuplée, les campagnes étaient épuisées, et nos populations du Nord maudissaient en secret l'humeur guerrière du grand faucheur d'hommes.

    Après avoir fermentée sourdement dans les chaumières, la révolte éclata, terrible, menaçante, le 22 novembre 1813. À Hazebrouck, chef-lieu d'arrondissement, où le sous-préfet De Ghesquières négligea de prendre les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité publique, on eut l'imprudence d'appeler toutes les recrues, près de 3.000 hommes, le même jour et l'on prépara ainsi une journée d'émotions restée célèbre sous le nom de "Stokken maendag". Ce lundi-là, 22 novembre, les conscrits devaient se présenter à la revue. Vers neuf heures du matin, ils firent leur entrée en ville par bandes plus ou moins nombreuses, jurant, vociférant mille insultes contre les autorités et frappant le pavé de leurs bâtons noueux. À dix heures, le nombre des recrues était à peu près complet. On les vit alors parcourir les rues dans un état d'exaspération indicible. Les uns se dirigèrent vers la Petite Place; d'autres suivirent la rue de l'Église et rencontrèrent par hasard la musique communale qui venait d'assister, en uniforme, à la messe Sainte-Cécile; ils voulurent tout d'abord se ruer sur cette troupe paisible et sans armes et s'attaquèrent surtout à Macquart, propriétaire, qu'ils prenaient pour le sous-préfet, quant on parvint heureusement à les calmer et à leur faire comprendre raison. L'hôtel de la Sous-Préfecture était désigné à leur fureur. De grosses pierres lancées d'un bras vigoureux, enfoncèrent la porte-cochère et les cinq employés des bureaux se hâtèrent de se sauver par les croisées. Papiers, glaces, meubles, cristaux voire même le cabriolet, tout fut brisé, mis en pièces et traîné dans la boue. Les salles inférieures sont saccagées et l'on arrive enfin dans une chambre où se tenaient cachés le sous-Préfet et un gendarme nommé Loutres. Le gendarme a compris qu'il faut, pour assurer leur salut, un acte de vigueur, et le voilà qu'il dégaine et s'élance en avant, le sabre au poing; il frappe de droite et de gauche et se fraye un passage à travers la foule qui recule. De Guesquières qui le suivait est reconnu; il est accablé de coups de bâton et il allait périr dans la bagarre sans le dévouement du vitrier Hanicot, son voisin, qui lui ouvrit la porte d'entrée de sa maison. L'infortuné sous-préfet était sauvé. Cependant le sac de l'hôtel continua et les conscrits songeaient même à mettre le feu aux bureaux, mais ils craignirent pour la vie de leurs camarades descendus dans les caves et le cellier. L'intervention de la gendarmerie et de la cohorte municipale mit fin à cette scène lugubre. À peine la nouvelle de ces désordres transmise par l'estafette fut-elle parvenue à Lille, que les autorités civiles et militaires se concertèrent pour envoyer à Hazebrouck le peu de forces disponibles en ce moment dans les dépôts. Des canonniers lillois, réunis aux troupes qui les avaient devancés, apparurent en ville, mirent leurs pièces en batterie sur la Grand'Place, pendant six jours, et rétablirent l'ordre. Ils furent relevés par un détachement d'artillerie de ligne envoyé de Douai.

    Les insurgés, comme on les appelait, pour se soustraire à tout danger, se retirèrent dans la forêt de Nieppe et dans les terrains marécageux des environs, entrecoupés de fossés profonds, et de fortes haies d'épines vives. À la tête des réfractaires et des mécontents qui s'étaient organisés aux abords de Bailleul et de Merville, se distinguait un certain Fruchart, qui fut comme le chef des Vendéens de la Flandre.

    Louis-Célestin-Joseph Fruchart, l'aîné de sa famille, était un brave paysan de l'Alleu ; ses traits expressifs et son visage reflétait un air de dignité supérieure à sa condition. Il était d'une haute stature, d'une force athlétique et d'une intrépidité qui défiait tout péril. On raconte qu'il domptait de quelques coups de main les chevaux les plus fougueux. Un jour, à la fête de La Gorgue, il aperçoit un militaire terrassé et foulé aux pieds par cinq ou six individus. Fruchart ne connaît pas cet homme mais la lâcheté des agresseurs l'indigne; soudain, il fond sur eux, assomme à demi l'un des assaillants et adossé à un mur il soutient, pendant un quart d'heure, une lutte héroïque qui ne prit fin qu'à l'arrivée de la police. Louis Fruchart était un chrétien convaincu autant qu'un royaliste ardent. Dieu et le Roi étaient dans son coeur plein de droiture l'objet de la plus profonde vénération. Que de fois, sous le manteau de la cheminée, Louis avait senti bondir sa jeune âme des plus vives émotions au récit des horreurs de la Révolution; ère de fraternité sanglante, une fraternité de Caïn qui n'était scellée que par le meurtre et le pillage; l'échafaud en permanence; les nobles proscrits ou expirants dans les cachots; les églises saccagées; les prêtres fidèles jetés sur tous les chemins de l'exil ou traqués comme des bêtes fauves.
    Pouvait-il oublier les avanies dont sa famille avait été abreuvée aux jours de la Terreur et les dangers qu'avait courus sa mère, sauvée, comme par miracle, par un généreux voisin : "Oui, mes enfants, racontait la mère, les Bleus m'avaient entraînée sur la place de La Gorgue, et là me présentant la cocarde tricolore, ils voulurent me la faire porter. Je la foulai aux pieds. Ils me menacèrent de me lier à l'arbre de la Liberté : je refuse, répondis-je; et devant l'échafaud je refuserai encore. Rien au monde ne serait capable de me faire changer !"

    Et maintenant qu'il ne suffit plus d'avoir déjà payé la dette du sang ou de s'être fait remplacer, au prix de l'or, deux ou trois fois, maintenant que l'empereur, pour faire face à toutes les puissances coalisées de l'Europe, réclame tous les célibataires valides et veut plonger dans les dix classes libérées (de 1803 à 1813) pour en tirer tout ce qui peut porter le fusil, n'est-ce pas le moment propice pour rallier sous un même étendard les mille et mille réfractaires du pays ? N'est-ce pas l'heure providentielle de servir la patrie en la délivrant du joug cruel qui l'accable et en rendant aux princes légitimes le trône qui leur appartient ? Ainsi pensait Louis Fruchart. Avant de prendre une résolution définitive le jeune homme consulte son père qui le félicite de son projet. "Mon fils, dit le paysan attendri et ému de fierté, je t'approuve ; va et si tu succombes, que ton dernier cri soit : Vivent les Bourbons !" Sa vieille mère, celle-là qui n'avait pas tremblé devant la guillotine, ajoute, les larmes aux yeux : "Louis, la cause que tu soutiens est juste; le ciel sera ta sauvegarde, mon coeur me le dit; nos princes légitimes reviendront sur ce trône qui n'a jamais cessé de leur appartenir. Pars, et ne crains rien; chaque nuit, je serai à genoux à prier. Dieu et ta mère veilleront sur toi."

    Et voici que ce nouveau Jean Chouan, vêtu de la blouse des campagnards, fixe à son chapeau de paille une cocarde blanche avec cette inscription : "Je combats pour Louis XVII." Il s'élance sur un cheval de labour et convoque les villageois insurgés qui veulent partager sa fortune. Ils arrivèrent nombreux et ce capitaine improvisé, après avoir organisé son armée par compagnies et tracé son plan de campagne, adressa à ses compagnons un mot d'ordre que l'on a retrouvé dans ses notes autographes et qui retracent énergiquement ses convictions patriotiques. "Mes amis, leur dit-il, de cette voix forte et accentuée dont il était doué, les puissances coalisées ne se battent contre la France que pour la délivrer de Bonaparte et rétablir les Bourbons, nos seuls souverains légitimes; ne rejoignons plus les armées du tyran; ne lui payons plus aucune espèce de contributions; armons-nous, unissons-nous pour chasser les troupes envoyées contre nous ! Pour se soustraire à la tyrannie, il suffit de vouloir hardiment; Bonaparte est aux prises avec l'Europe; il a contre lui l'opinion publique; il sera bientôt contraint de renoncer au trône usurpé. Un meilleur avenir nous attend ; mais pour l'obtenir, prenons les armes contre celui qui nous gouverne injustement et qui nous prouve, tous les jours, qu'il est capable de sacrifier à son ambition le dernier des Français..."

    Est-ce là le langage d'un chef de bandits et de pillards comme certains voulaient le faire croire ?... Parmi tous ces jeunes gens, conscrits, réfractaires, adversaires politiques, que l'on a évalués au chiffre de vingt mille; dans cette milice de volontaires qui avaient pris les armes pour défendre leurs familles appauvries et ruinées par des guerres incessantes, règne une discipline exacte et soutenue. Toute vexation injuste envers les particuliers est expressément défendue; le vol et le dévergondage sont menacés des punitions les plus sévères; aucune paie ne peut être réclamée et les plus riches fourniront aux vivres et aux besoins de la vie. Pour abréger la lutte on empêchera les fonds publics d'arriver à leur destination. On distribuera aux indigents le produit des captures et les convois de blé et de subsistances destinés à l'armée impériale. Que jamais un juron ne se fasse entendre... Chacun invoquera Dieu pour la cause commune.

    Forts de leurs droits, Louis Fruchart et ses partisans attendirent de pied ferme à Estaires un détachement de 800 soldats envoyés contre eux, par le commandant du Département. On était au 27 décembre 1813. Le tocsin sonne dans tous les villages soulevés; et tous les hommes en état de faire le coup de feu se réunissent au nord, à l'est et à l'ouest d'Estaires. À dix heures, toutes les compagnies sont en ligne et à midi sonnant, elles sont sur la place de la bourgade. Ce qui dépasse 1.500 hommes doit former la réserve. Le père Fruchart, à la tête des conscrits du Pas-de-Calais, se porte à l'est.

    Cependant le chef du détachement venu de Lille et qui s'imaginait que ses troupes allaient disperser ses adversaires au premier choc, eut l'imprudence de sectionner ses soldats en deux corps qui marchèrent l'un sur Merville, l'autre sur Estaires. C'est de ce côté qu'eut lieu la principale attaque. Débordées, à leur grande surprise, par des forces supérieures les troupes impériales cherchent un refuge dans l'Hôtel-de-Ville. Les conscrits pouvaient les en déloger facilement en incendiant l'édifice, mais cette mesure extrême répugnait à Fruchart qui préféra poster ses hommes dans les maisons avoisinantes. De part et d'autre une fusillade nourrie se poursuivit jusqu'au soir. Les réfractaires comptèrent sept hommes tués et vingt blessés. Quant aux assiégés, il firent dans cette rencontre de nombreuses pertes et ils profitèrent des ténèbres de la nuit pour emporter leurs morts et leurs blessés dans un bateau couvert et pour battre en retraite.

    Plusieurs autres escarmouches furent livrées, mais dans ces régions dépourvues alors de grandes routes, et où ne pouvaient pénétrer que de faibles détachements armés, le succès final resta toujours aux rebelles. À la tête de ses francs-tireurs apparaissait sans cesse Fruchart; il semblait se multiplier sur tous les points, aussi son nom et sa personne inspiraient de l'effroi à ses ennemis qui mirent en jeu tous les artifices pour le faire prisonnier. On rapporte qu'un jour, vêtu en paysan, mais armé sous sa blouse, il est accosté par deux gendarmes chargés de l'arrêter. Ces gendarmes qui ne le connaissaient pas, après un échange de quelques mots, lui demandèrent s'il ne pouvait leur indiquer la retraite de Fruchart connu sous le sobriquet de Louis XVII. "Je puis vous le faire voir, répondit-il, venez avec moi." Il les attire près d'une embuscade des siens et leur dit : "Ce Louis XVII que j'ai promis de vous montrer, le voici. En garde !" À ces mots il tire son pistolet de dessous son habit, les charge, les met hors de combat et puis regagne paisiblement ses compagnons.

    Cependant les alliés, Russes, Polonais, Saxons, partis de Courtrai, leur quartier général, pénétraient en Flandre du côté de Bailleul. Le 16 février 1814, le baron de Geismar, colonel aux gardes de l'empereur de Russie et commandant un corps de cavalerie légère de six à sept cents hommes vint prêter son appui aux conscrits insurgés. Il adresse aux habitants du pays de Lalleu et cantons voisins cette proclamation en français : "On fait savoir que tout conscrit et tous autres, qui voudront se battre pour la cause des Bourbons, seront commandés par Louis Fruchart surnommé Louis XVII, qui marche avec un corps de troupes alliées. Ils seront bien nourris, habillés et payés."

    Fruchart profita de ce nouveau concours pour faire triompher dans la vallée du Lys et dans toute la région d'alentour la cause monarchique et pour adoucir les rigueurs de l'invasion. Quand le baron de Geismar arriva à Hazebrouck le 17 février avec ses Cosaques et ses Saxons, Fruchart qui avait toujours traité avec humanité les prisonniers faits par les insurgés, lui qui distribuait aux indigents les produits des prises de guerre, osa lui parler avec autant de courage que d'indépendance et lui déclara qu'il ne souffrirait pas le pillage dont la ville semblait menacée... et les Cosaques ne regardèrent pas sans étonnement ce capitaine paysan coiffé d'un chapeau rond et caracolant fièrement sur sa grosse jument pommelée, au milieu de la Grand'Place d'Hazebrouck, où bivouaquaient leurs chevaux légers tartares.

    Après la première Restauration et au retour de Napoléon de l'île d'Elbe, les volontaires du pays de Lalleu coururent de nouveau aux armes et rejoignirent, à Gand, le monarque fugitif. Dans la suite ils composèrent deux régiments sous les ordres de Bourmont et du Prince Croï-Solre.

    Louis XVIII, rétabli sur le trône de ses aïeux, n'oublia pas la famille Fruchart. Pour récompenser Louis, le chef des Vendéens flamands, il le nomma capitaine de ses gardes. Un de ses frères fut incorporé dans la compagnie de Noailles, un autre fut lieutenant au 28ème de ligne. Quant aux vieux parents, le roi, plein de reconnaissance, leur alloua sur sa liste civile une honorable pension.

    Le 8 jan

  • Éphéméride du 7 décembre

    1676 : Dans "Le Journal des Sçavans", Römer publie ses calculs sur la vitesse de la lumière 

     

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    Un astronome Danois, appelé par un savant Italien qui dirigeait l'Observatoire de Paris : heureuse époque que celle de Colbert et Louis XIV, durant laquelle une monarchie éclairée subventionnait les savants et artistes de l'Europe entière...

    L'Europe, la vraie, la bonne, oui, bien sûr : mais, n'est-elle pas derrière nous ? En tout cas, les Rois de France y ont contribué... 

     

    Ole Christensen Roëmer (25 septembre 1644/19 septembre 1710) est un astronome danois, qui a travaillé à l'Observatoire de Paris dès 1671, appelé par Jean-Dominique Cassini (sur la "dynastie des Cassini", voir l'Éphéméride du 4 septembre).

    En 1676, travaillant sur les éclipses du satellite Io de Jupiter, il remarqua que ces événements se produisaient tantôt "à l'heure prévue", tantôt 10 minutes en avance et d'autres fois 10 minutes en retard. Il sut trouver l'explication de ce mystère, en considérant les positions respectives de la Terre et de Jupiter par rapport au Soleil. En septembre 1676, il annonça que l'éclipse d'Io prévue le 9 novembre se ferait avec 10 minutes de retard. Ce fut le cas, ce qui démontra la justesse de ses calculs ainsi que la qualité de ses travaux, et un compte-rendu fut publié dans Le journal des savants le 7 décembre suivant.

    Cela lui permit de calculer la vitesse de la lumière, arrivant au résultat de c = 212.000 km/s, au lieu de la valeur retenue actuellement de 299.792,458 km/s, soit une erreur (relativement faible) de 29 %.

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    De James Lequeux (in Encyclopedia universalis, extrait) :

    Invité en 1671 par Jean-Dominique Cassini à séjourner à l'Observatoire de Paris, l'astronome danois Ole Christensen Römer (1644-1710) y étudie notamment le mouvement des satellites galiléens de Jupiter, découverts en 1610 par Galilée. Il constate que les occultations de ces satellites par la planète sont en retard par rapport aux prédictions des éphémérides lorsque la Terre est loin de Jupiter, et qu'ils sont en avance lorsque la Terre en est plus proche. Il en déduit en septembre 1676 que c'est le temps que met la lumière à nous parvenir de Jupiter qui cause ce retard ou cette avance : la lumière n'a donc pas, comme on le pensait auparavant, une vitesse infinie. Römer estime à 11 minutes son temps de propagation depuis le Soleil (il est en fait de 8 minutes et 19 secondes) mais, comme la distance de la Terre au Soleil est alors très mal connue, il ne cherche pas à déterminer la vitesse de la lumière.

    Les premières mesures directes de cette vitesse sont dues à Hippolyte Fizeau et à Léon Foucault, au milieu du XIXème siècle. La vitesse de la lumière dans le vide sert aujourd'hui à définir le mètre : elle est très précisément égale à 299.792.458 mètres par seconde. 

     

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    1678 : Première représentation dessinée des Chutes du Niagara 

     

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    C'est Louis Hennepin, prêtre et missionnaire wallon (Récollet), qui en est l'auteur.

    Il sera également le premier à reconnaître le cours supérieur du Mississippi. Cet explorateur de l'Amérique du Nord est devenu français en 1659, quand Béthune, sa ville, a été prise par l'armée de Louis XIV.

    Sur ordre de Louis XIV, les Récollets ont envoyé quatre missionnaires en Nouvelle-France en mai 1675, dont Hennepin, accompagné de René Robert Cavelier de La Salle. En 1678, chargé par Louis XIV de coloniser de nouvelles terres, celui-ci reçoit le monopole du commerce des fourrures dans les régions à découvrir, et emmène Hennepin avec lui.

    L’expédition quitte Fort Frontenac le 18 septembre 1678. 21 jours plus tard, elle atteint les Chutes du Niagara, déjà visitées par Paul Ragueneau trente-cinq ans auparavant.         

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    "Grand et prodigieux Saut, dont la chute d'eau est tout-à-fait surprenante. Il n'a pas son pareil dans tout l'Univers... La chute de cet incomparable Saut est composée de deux grandes nappes d'eau, et de deux cascades avec une Isle au milieu. Les eaux, qui tombent de cette grande hauteur, écument et boüillonnent de la manière du monde la plus épouvantable. Elles font un bruit terrible, plus fort que le tonnerre. Quand le vent souffle au Sud, on entend cet effroyable mugissement à plus de quinze lieües..."

     

    http://www.ecoles.cfwb.be/marbaix/PDF/elocution%20sur%20les%20chutes%20niagara.pdf

     

    Il faut se souvenir qu'à un moment, un bon tiers de l'Amérique du Nord fut - même si elle l'était parfois de façon purement nominale - placée sous la juridiction du roi de France :
     
     
     
     

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     1815 : Ney fusillé

     

    7 décembre,mermoz,la croix du sud,sacha guitry,arletty,houphouët-boigny,tristan bernard,ferdinand de lesseps,gabriel marcelSurnommé "le Brave des braves", Ney fut, sans conteste, l'un des meilleurs soldats de son temps : il se distingua encore plus particulièrement lors de la désastreuse retraite de Russie, en sauvant ce qui pouvait l'être de l'armée, lors du passage de la Bérésina...

    "...Mais, depuis longtemps lassé de la guerre, il pressa Napoléon d'abdiquer et se rallia à Louis XVIII. Celui-ci l'accueillit chaleureusement, le nomma pair de France, et, au retour de l'île d'Elbe, en mars 1815, c'est à Ney qu'il confia le principal corps chargé d'arrêter l'ex-empereur. Ney jura de ramener Napoléon prisonnier "dans une cage de fer", mais il se laissa entraîner par le mouvement populaire, et, à Auxerre, le 18 mars, il tomba dans les bras de l'empereur..." (Michel Mourre).

    Toujours selon Michel Mourre, à Waterloo, "...il se montra imprudent... ne semblant plus chercher que la mort sur le champ de bataille. Après avoir eu cinq chevaux tués sous lui, il fut proscrit (24 juillet) et contraint de se cacher. Découvert près d'Aurillac, il fut traduit devant une cour martiale, qui refusa de le juger. Il comparut alors devant la Chambre des pairs qui le condamna à mort malgré les plaidoiries de ses défenseurs Berryer et Dupin (6 décembre), et il fut fusillé le lendemain, près de l'Observatoire..."

    Malgré sa bravoure, sa valeur et ses incontestables talents militaires - et, peut-être, même, à cause d'eux... - Ney est donc bien le principal responsable de ce coup d'État militaire que fut la folle équipée, insensée, des Cent jours. Jusqu'à sa rencontre avec lui, Napoléon n'était toujours qu'un évadé hors-la-loi, commandant à peine à quelques centaines de soldats perdus, nostalgiques d'une vaine gloire qui avait coûté si cher à la France, et ne représentant qu'une fraction ultra minoritaire de l'opinion, qui n'aspirait plus qu'à jouir des bienfaits de la paix retrouvée. Mais, à partir du moment où Ney, avec toute l'autorité et le prestige moral qu'il avait, se replaçait sous les ordres de Napoléon, au lieu de l'arrêter, il cautionnait, pire, il accomplissait ce coup d'État militaire.

    Alors que, au même moment, Chateaubriand présentait un plan réaliste et crédible de défense de Paris, pour fermer la capitale au revenant (voir l'Éphéméride du 17 mars), la trahison de Ney rendait plus que probable des affrontements fratricides entre Français, si le roi envoyait de nouveau des troupes pour arrêter Napoléon.

    Ne voulant pas ajouter des affrontements entre Français à la guerre étrangère, Louis XVIII, qui savait pertinemment, comme toute personne raisonnable, que l'entreprise insensée de Napoléon ne pouvait ni réussir ni, même, durer, préféra se retirer à Gand (voir l'Ephéméride du 30 mars) et laisser passer l'orage...

    Mais Ney, du coup, est ainsi devenu le soldat type dont parle Chateaubriand (voir l'Ephéméride du 15 juillet) :

    "...Mais les vrais coupables n'étaient-ils pas ceux qui favorisaient ses desseins ? Si, en 1815, au lieu de lui refaire des armées, après l'avoir délaissé une première fois pour le délaisser encore, ils lui avaient dit, lorsqu'il vint coucher aux Tuileries : "Votre génie vous a trompé; l'opinion n'est plus à vous; prenez pitié de la France. Retirez-vous après cette dernière visite à la terre; allez vivre dans la patrie de Washington. Qui sait si les Bourbons ne commettront point de fautes ? Qui sait si un jour la France ne tournera pas les yeux vers vous, lorsque, à l'école de la liberté, vous aurez appris le respect des lois ? Vous reviendrez alors, non en ravisseur qui fond sur sa proie, mais en grand pacificateur de son pays." Ils ne lui tinrent pas ce langage : ils se prêtèrent aux passions de leur chef revenu; ils contribuèrent à l'aveugler, sûrs qu'ils étaient de profiter de sa victoire ou de sa défaite. Le soldat seul mourut pour Napoléon avec une sincérité admirable; le reste ne fut qu'un troupeau paissant, s'engraissant à droite et à gauche...

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    Sarrelouis, ville natale du maréchal Ney, fondée par Louis XIV en 1681, s'appelle aujourd'hui Saarluis, et se trouve dans le land de Sarre, en Allemagne, tout comme Sarrebruck (Landau, ville française depuis 1681, se trouvant, elle, dans le land du Palatinat)...

    La folie des Cent Jours coûte cher à la France, et Ney en est l'un des "coupables" : si le premier Traité de Paris, en 1814, s'était contenté de la ramener à ses frontières d'avant la révolution, le second traité, en 1815, va l'amputer de territoires et de populations (environ 500.000 personnes...) :

    • Philippeville et Marienbourg (cédées toutes deux à Louis XIV en 1659) ainsi que Bouillon (la ville de Godefroy !...), actuellement en Belgique;

    • Versoix, sur la rive nord du Léman, et une partie du pays de Gex, français depuis Henri IV, aujourd'hui en Suisse ( les six communes de Versoix, Pregny-Chambésy, Collex-Bossy, Grand-Saconnex, Meyrin et Vernier, cédées à Genève );

    • sans compter les Jurassiens français, qui demandaient leur intégration à la France, les Cent Jours étant un excellent prétexte pour le leur refuser : pour les humilier davantage, on les intégra dans le canton germanophone de Berne...

    Et, en prime, une occupation de trois ans et une "amende" de 700 millions de francs !

     

    • De Jacques Bainville (Journal, Tome I (1901-1918), pages 106/107, note du 26 septembre 1912) :

    "Nous ne voyons plus les choses, nous ne jugeons plus notre histoire comme le faisaient nos ancêtres. Et en voici un bon exemple.

    Lorsque le maréchal Ney comparut devant ses juges, son procès fut conduit de telle sorte que sa condamnation ne fut pas comprise. Ney avait cédé à un entraînement sentimental. Devant le chef avec lequel il avait connu tous les enthousiasmes de la guerre, il n'avait pu résister à un mouvement du coeur. Ney fut accusé d'avoir manqué à sa parole. C'était vrai, mais s'il n'y eût eu que cela, n'avait-il pas droit à des circonstances atténuantes ? Qui songea à dire alors que le trop bon coeur de Ney avait causé un désastre à la France ? Car enfin, la défection de Ney avait eu pour conséquence, avec Waterloo, des milliers de victimes, une seconde invasion, des conditions de paix plus dures qu'en 1814, la perte de Philippeville, de Marienbourg, de Sarrelouis, de Sarrebruck et de Landau. Nous estimons aujourd'hui que la crise d'attendrissement de Ney à Lons-le-Saunier nous a coûté un peu cher. Fit-on bien, fit-on mal de le fusiller ? Ce n'est pas la question. La question vraie, c'était celle des responsabilités du désastre, et il y en avait de lourdes qui remontaient, historiquement, jusqu'au maréchal.

    Pour Ney, comme pour Napoléon, nous aurons été longs avant de les juger d'un pareil point de vue : celui du bien et du mal que même le génie et le dévouement au génie ont faits à la France. Pas de discours, pas de statues sur la "morne plaine" ! Assez de lyrisme et de mélodrame ! Quand on prononce devant lui le nom de Waterloo, le Français de 1812 ne murmure pas "Rendez-vous de la fatalité". Il ne voit pas planer le destin. Il compte sur ses cinq doigts ce que nous y avons perdu : Philippeville, Marienbourg, Sarrelouis, Sarrebruck et Landau."

     

     

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    1882 : Naissance du Père Jacques Sevin

     

    Pour le jésuite André Manaranche, auteur de  Jacques Sevin, une identité, le père Sevin est comme l'autre père du scoutisme, et en tout cas le vÃ

  • GRANDS TEXTES (34) : Raymond Poincaré célèbre le cinquième centenaire de Jeanne d'Arc.....

    Certes, il y a cette phrase, que nous rejetons absolument : "la Révolution a achevé cette oeuvre séculaire en faisant du peuple Français une association libre de citoyens solidaires". Nous ne croyons évidemment pas un seul instant une chose pareille, et nous tenons au contraire la Révolution pour le pire évènement de notre Histoire, et même de celle du monde, vu les Totalitarismes qu'elle a engendrés, et les monstruosités inédites jusqu'alors qui en ont découlé. Mais, d'une part, un Président de la République pouvait-il prononcer un discours entier sans prononcer, au minimum, une phrase malheureuse ? Et, d'autre part, pour cette courte phrase malheureuse, devrait-on se priver de la très belle envolée lyrique et politique qui clôt ce très beau texte, et dont l'inspiration, qu'on le veuille ou non, est tout sauf "révolutionnaire" ? Faisons donc preuve de largeur d'esprit, et montrons que nous rejetons tout sectarisme en acceptant tout ce qui est bon dans ce texte, c'est-à-dire, l'essentiel...

     

     

     DISCOURS PRONONCÉ à ROUEN PAR MONSIEUR RAYMOND POINCARÉ 

    PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES

     A L’OCCASION DE LA FÊTE DE JEANNE D’ARC

    POUR LE CINQUIEME CENTENAIRE (1412-1912)

     

    poincare jeanne d'arc.JPGC’est moins, sans doute, le Président du Conseil des Ministres que le représentant de Vaucouleurs au Sénat que vous avez bien voulu convier à cette pieuse et émouvante cérémonie. Il y a sept ans déjà, la ville de Rouen a fait un chaleureux accueil au regretté général de Maudhuy, gouverneur de Metz, qu’accompagnaient ici, à l’occasion des fêtes de Jeanne d’Arc, les élus des provinces recouvrées. Vous les receviez aux accents de la « Marche Lorraine » éxécutée par votre musique municipale et, dans le discours qu’il prononçait, mon ami, M. Bignon, me rangeait aimablement parmi les bons chevaliers de la Pucelle.

    Voilà longtemps, en effet, que je suis un de ses fidèles. C’est moi, qui en 1893 , ai eu, comme ministre de l’Instruction Publique, l’honneur de classer au nombre des monuments historiques  la chapelle castrale de Vaucouleurs, où Jeanne d’Arc, au témoignage de Jean le Fumeux, avait passé des heures si longues en méditations solitaires. La population de la petite ville Meusienne venait, pour la troisième fois déjà, de me réélire député, lorsqu’au nom du Gouvernement d’alors, j’allais officiellement célébrer, dans la crypte restaurée, l’immortalité de Jeanne.

    C’est à Vaucouleurs, en effet, qu’à commencé vraiment la mission de la Pucelle. C’est là qu’elle s’est fait conduire dès le 13 mai 1428, par son cousin Durand Laxart, ce brave cultivateur qui s’était laissé subjuguer par l’enthousiasme de la jeune fille et dont l’affection complaisante la protégeait en secret contre l’opposition du reste de sa famille.

    C’est là que le Sire de Baudricourt a d’abord accueilli d’un sourire ironique les explications candides de Durand Laxart et lui a conseillé de ramené Jeanne à Domremy « bien souffletée ». C’est là que, par un terrible froid d’hiver, en Janvier ou Février 1429, Jeanne, qui ne s’était pas rebutée, est venue s’installer chez le charron Henri Le Roger, résolue a écouter docilement ses voix et a triompher de toutes les résistances. C’est là, dans la chapelle souterraine, qu’elle a fait ce que M. Siméon Luce a appelé sa veillée des larmes. C’est là que sa conviction débordante a peu à peu entraîné les gens de guerre, tels que Jean de Metz et Bertrand de Boulengy. C’est là que, malgré la défiance du Capitaine de Baudricourt, les habitants, les femmes surtout, eurent le vague pressentiment que cette jeune villageoise était destinée à sauver la France. Vous comprendrez, Messieurs, que la population Meusienne soit fière de ces grands souvenirs. Avoir deviné Jeanne à l’heure où elle était encore inconnue des uns et méconnue des autres ! Avoir eu foi dans cette fille du peuple, avoir été des premiers à sentir auprès d’elle, avec elle, par elle, la « grande pitié qu’il y avait alors au royaume de France », n’est-ce pas avoir collaboré à l’oeuvre héroïque de Jeanne d’Arc ?

     

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    Et notez que les habitants de Vaucouleurs ne se sont pas contentés d’admirer la Pucelle. Ils l’ont encouragée, ils ne se sont pas contentés de l’encourager : ils l’ont aidée, reconnue, équipée. Ils se sont cotisés pour lui procurer des vêtements. C’est grâce à eux qu’elle a pu partir pour Chinon et, pendant que le Sire de Baudricourt, demeuré incrédule, lui adressait cet adieu indifférent et banal : « Va, et advienne que pourra ». Ce sont eux, hommes et femmes de la petite ville Lorraine qui, se pressant en foule sur les pas de son cheval, l’ont entourée jusqu’à la porte de France d’un cortège de sympathies spontanées.

    Leur coeur était vraiment à l’unisson de celui de Jeanne, et elle avait su échauffer en eux toutes les ardeurs du sentiment national. Dans aucune région de France, les âmes ne pouvaient être mieux préparées à vibrer avec la sienne. La marche de Lorraine et de Champagne était restée une sorte de carrefour où se rencontraient sans cesse les partisans de Charles VII et les Bourguignons, dont le Duc avait reconnu les droits de la dynastie anglaise à la couronne de France.

    La vallée de la Meuse était le théâtre d’escarmouches et de pillages audacieux. Les populations connaissaient la guerre par une expérience quotidienne et demeuraient sur un perpétuel qui-vive. Elles avaient appris à aimer la France à la Grande École de la Douleur !

    En ces temps de brigandage et de misère, la Normandie était, du reste, aussi malheureuse que la Lorraine. Le 13 Août 1415, le roi Henri V d’Angleterre avait débarqué aux environs de Harfleur, avec un petit nombre de chevaliers, d’archers, de mineurs et de canonniers. Mettant à profit les divisions des Armagnacs et des Bourguignons, ces faibles troupes avaient rapidement envahi le pays. Les bailliages normands étaient partagés entre les partisans de Jean-sans-Peur et ceux de la Cour de France. La discorde ouvrait partout les voies aux Anglais, et ils devenaient bientôt maîtres de toute la Normandie. Néanmoins, dans la profondeur des bois, se cachaient encore d’intrépides défenseurs de l’Indépendance Nationale : nobles bourgeois, prêtres ou paysans. L’inquiétude régnait dans toutes les campagnes, la France vendue, déchirée, semblait expirante. En 1420, un traité conclu à Troyes, au nom de Charles VI, avait prétendu la livrer à la maison de Lancastre (Lancaster)

     

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    On avait abusé de la folie d’un roi pour trafiquer d’un peuple. En 1422, à la mort de Charles VI, le héraut d’armes de France prononçait à Saint-Denis, ces paroles sinistres : « Dieu accorde bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d’Angleterre, notre souverain seigneur ». Le dauphin se trouvait, par la volonté du Parlement, déshérité et déchu. Paris était aux Bourguignons et aux Anglais ; la moitié de la France était captive, le reste s’abandonnait. Tout conspirait contre l’unité de la Nation ; les subtilités  des juristes, les intrigues féodales, la lassitude et les souffrances des populations épuisées. C’est à ces heures d’infortune et de découragement que Jeanne était apparue et avait dressé, au-dessus de toutes ces obscurités et de toutes ces tristesses, l’image radieuse et immaculée de la Patrie. Rien n’est plus juste et plus vrai que le mot de Michelet : « Souvenons-nous que la Patrie, chez nous, est née du coeur de Jeanne d’Arc, de sa tendresse, de ses larmes et du sang qu’elle a donné pour nous ».

    Mais pour que Jeanne achevât sa mission, il ne suffisait pas qu’elle fît lever le siège d’Orléans, ni qu’elle gagnât la bataille de Patay, ni qu’elle conduisit le gentil Dauphin à la cathédrale de Reims et l’assistât à la cérémonie du sacre ; il fallait qu’à l’auréole de la victoire elle ajoutât l’auréole du martyre, et qu’après avoir combattu pour la France elle lui donnât sa vie.

    Et voilà qu’après avoir été prise par les Bourguignons, le 23 Mai 1430, sous les murs de Compiègne, elle devient l’otage du Sire Jean de Luxembourg ; voilà que l’Université de Paris adresse au Duc Philippe de Bourgogne, sommation de la remettre au Vicaire général du grand Inquisiteur de France ; voilà qu’elle est traitée de relapse et d’hérétique, revendiquée par l’Evêque de Beauvais dans le diocèse duquel elle a été faite prisonnière, transportée de Compiègne à Beaulieu, de Beaulieu à Beaurevoir, de Beaurevoir à Arras, livrée aux Anglais et transférée de nouveau d’Arras au château de Drugy, de Drugy au Crotoy, du Crotoy à Saint-Valéry, de Saint-Valéry à Dieppe et de Dieppe à Rouen.

     

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    Elle est enfermée dans une tour du vieux château sur la pente de la colline de Bouvreuil, gardée par cinq hommes d’armes anglais, et mise aux fers. Elle répète à ses geoliers : « Quand ils seraient cent mille godons de plus qu’ils sont à présent, ils n’auront pas le royaume ». C’est seulement après de long mois que, le 3 Janvier 1431, des lettres royales, signées du timide enfant qui s’appelait Henri VI, ordonnaient de céder la Pucelle à l’Evêque et comte de Beauvais, l’Angleterre se réservant de la reprendre au cas où elle serait mise hors de cause par la juridiction ecclésiastique.

    Et le procès commence.

    Après une instruction sommaire, Jeanne est citée à comparaître devant toute une Assemblée de conseillers et d’assesseurs. Aux questions qui lui sont posées, elle répond avec une franchise qui n’exclut  pas la finesse et qui déconcerte quelques-uns de ses juges. Deux clercs normands, Maître Jean Lothier et Maître Nicolas de Houpeville, quittent Rouen pour ne pas être appelés à l’audience. D’autres : Jean Pigache, Pierre Minior, Richard de Grouchet, avouent plus tard qu’ils ont été également tentés de s’enfuir. Il n’importe. Le procès préparatoire se poursuit, puis le procès qualifié d’ordinaire. Les juges résument en douze articles les propositions qu’ils prétendent avoir tirées des réponses de Jeanne aux interrogatoires et qu’ils déclarent condamnables. Ils soumettent ces articles de l’Université de Paris, qui donne son approbation solennelle au jugement et Jeanne est menée en charrette dans les aîtres Saint-Ouen. Là, deux estrades ont été dressées contre le beau vaisseau de l’Eglise abbatiale, à l’ouest du portail des Marmousets. Sur l’une, s’installent les juges et d’importants personnages ; sur l’autre, monte Maître Guillaume Erard pour admonester Jeanne devant la foule des spectateurs. Pendant que le Seigneur Evêque de Beauvais commence à lire la sentence de condamnation, Jeanne est pressée par l’huissier, Messire Jean Massieu, de signer une cédule d’abjuration. Sans savoir exactement sans doute ce que les bourreaux veulent d’elle, elle appose une croix sur le papier qu’on lui tend et, au milieu des insultes d’une soldatesque en délire, elle est ramenée à la tour du château.

     

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    Deux jours après, sous prétexte qu’elle a remis des vêtements d’homme, l’évêque et les docteurs viennent la voir dans sa prison, constatent qu’elle est de nouveau en état de damnation et la traduisent derechef devant ses juges, qui la déclarent relapse et hérétique.

    C’était le 29 Mai 1431 ; il y a, jour pour jour, quatre cent quatre-vingt-seize ans. Le lendemain mercredi 30, dans la matinée, dominicain Martin Ladvenu et frère Isambert de la Pierre se rendaient auprès de Jeanne et lui annonçaient qu’elle allait être brûlée. « J’en appelle, dit-elle, devant Dieu, le grand Juge, des grands torts et ingravances qu’on me fait ».

    Vers neuf heures du matin, elle est extraite de la prison où elle est enchaînée depuis soixante-dix-huit jours ; on la hisse sur une charrette et on la mène, escortée de quatre-vingts hommes d’armes, à la place du Vieux-Marché. Elle est vêtue d’une chemise longue et coiffée d’un chaperon. Sur le parcours, des centaines de soldats contiennent la foule. Jeanne s’écrie : « Rouen, Rouen, mourrai-je ici ? Seras-tu ma maison dernière ? ».

    Sur la place, resserrée entre la halle de la boucherie et les aîtres Saint-Sauveur, s’élèvent trois échafauds, l’un sur lequel Jeanne doit être exposée et prêchée, un autre sur lequel vont siéger les juges, un troisième qui est chargé de bois et qui servira de bûcher. A l’estache qui surmonte ce dernier est fixé un écriteau portant ces mots : « Jehanne qui s’est fait nommer la pucelle, menteresse, pernicieuse, abuseresse du peuple, divineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, présomptueuse, maicréant de la foy de Jésuchrist, vanteresse, ydolâtre, cruelle, dissolue, invocateresse du diable, apostate, schismatique et hérétique ». 

    Maître Nicolas Midy, docteur en théologie, prêche Jeanne qui l’écoute en pleurant. Puis, Cauchon se lève et lit la sentence qui la livre au bras séculier. Le bailli royal, qui est présent, reçoit Jeanne des mains des juges ecclésiastiques, lui fait enlever son chaperon, ordonne qu’on la coiffe d’une grande mitre de papier portant les mots : « hérétique, relapse, apostate, idolâtre » et qu’on la conduise au bûcher. C’en est fait, le crime est consommé. 

    Mais pourquoi ont-ils tous les larmes aux yeux, ces juges qui ont quitté la place avant que fut allumé le feu de l’échafaud ? Pourquoi ces pleurs que l’Evêque de Thérouanne, chancelier d’Angleterre, et de Maître Pierre Maurice, et du Cardinal de Winchester, et de ce Jean d’Alespéo qui s’éloigne en disant : « Je voudrais que mon âme fût où je crois qu’est l’âme de cette femme. » Pourquoi ce soldat anglais, qui entend Jeanne réclamer une croix, s’empresse-t-il d’en faire une petite avec deux morceaux de bois et de la lui donner ? Pourquoi frère Isambart court-il à l’église de Saint-Sauveur pour en chercher une plus grande et la lui offrir ? Pourquoi, en voyant Jeanne enveloppée par les flammes, en l’entendant invoquer Saint-Michel et Sainte-Catherine, demander de l’eau bénite et répéter le nom de Jésus, pourquoi la multitude qui se presse sur la place du Vieux-Marché sent-elle courir en elle un frisson d’inquiétude et d’horreur ? Et pourquoi, dès 1450, la grande cité normande qui a été « la maison dernière » de Jeanne la Lorraine, va-t-elle prendre spontanément l’initiative de provoquer la révision de l’inique sentence et la réhabilitation de la condamnée ?

     

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    C’est que la douceur de Jeanne, sa résignation, son courage devant la mort, sa foi inébranlable dans les destinées de son pays, ont fini par imposer à tous l’admiration et le respect. C’est que, déjà, elle n’est plus seulement le chef de guerre qui a voulu bouter les Anglais hors de France. C’est que, même à des yeux momentanément aveuglés, elle apparaît peu à peu, dans le lointain, comme l’image vivante de la Patrie. Or, voyez ce qui est advenu depuis qu’elle a rendu l’âme : Armagnacs et Bourguignons se sont réconciliés; le pays entier a pris de plus en plus conscience de son individualité ; le fils de Charles VII, Louis XI, et après lui tous les rois ont travaillé à fortifier l’unité de la France; la Révolution a achevé cette oeuvre séculaire en faisant du peuple Français une association libre de citoyens solidaires. Comment Jeanne, qui a personnifié, dès le début du XVème siècle la France compatissante et brave, généreuse et enthousiaste, ne serait-elle pas aujourd’hui par excellence, l’Héroïne nationale ? Elle a trouvé autour d’elle la guerre civile, la guerre étrangère, le désordre et l’anarchie. Elle n’a cependant pas désespéré. Elle a eu confiance, elle a cru, elle a osé; et, lorsqu’elle est morte, elle a laissé à la France une impérissable leçon de volonté et d’action.

    En même temps, comme elle était bonne, charitable, et que jusque dans les combats, elle donnait des conseils de modération et obéissait toujours instinctivement aux lois de l’humanité, comme elle n’a jamais été animée de l’esprit de conquête, mais seulement de l’esprit d’indépendance, elle a présenté au Monde la vraie figure de la France et elle a ainsi gagné, à travers les âges, d’abord l’estime, et finalement l’affection même de ceux qui avaient été ses ennemis. Quoi de plus significatif et de plus touchant que les multiples témoignages d’admiration donnés à Jeanne d’Arc par nos amis Anglais ? C’est Shakespeare qu

  • GRANDS TEXTES (8) : Le discours d'Harvard, d'Alexandre Soljenitsyne.....

    Le 8 juin 1978, à Harvard, Alexandre Soljenitsyne prononçait ce discours prophétique.

    Plaie d'argent n'est pas mortelle, comme le disait Otto de Habsbourg, et il est bien certain que la crise que nous connaissons non seulement n'est pas d'abord et avant tout économique, essentiellement économique mais qu'elle est avant tout une crise qui touche à l'essentiel, une crise de la société, et même au delà, une crise de l'Homme.

    Elle est bien plutôt anthropologique et ontologique. Elle résulte d'une maladie profonde de l'Homme et de l'Etre.

    D'ailleurs ill est bien remarquable que les deux héros spirituels qui ont ébranlé le communisme - Alexandre Soljénitsyne et le Pape Jean-Paul II - se soient lancés aussi bien l'un que l'autre dans une critique immédiate de la société consumériste des pays dits occidentaux sitôt que le bloc communiste se fut écroulé...

     

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    Le discours d'Harvard

                

     

    Je suis très sincèrement heureux de me trouver ici parmi vous, à l'occasion du 327e anniversaire de la fondation de cette université si ancienne et si illustre. La devise de Harvard est  VERITAS. La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère. Mon discours d'aujourd'hui contient une part de vérité ; je vous l'apporte en ami, non en adversaire.
     
    Il y a trois ans, aux Etats-Unis, j'ai été amené à dire des choses que l'on a rejetées, qui ont paru inacceptables. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui acquiescent à mes propos d'alors...

     

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    "La devise de Harvard est  VERITAS. La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère..."



     

    La chute des "élites"

                

    Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens-là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un État sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu'on se place. Ce déclin du courage, qui semble aller ici ou là jusqu'à la perte de toute trace de virilité, se trouve souligné avec une ironie toute particulière dans les cas où les mêmes fonctionnaires sont pris d'un accès subit de vaillance et d'intransigeance, à l'égard de gouvernements sans force, de pays faibles que personne ne soutient ou de courants condamnés par tous et manifestement incapables de rendre un seul coup. Alors que leurs langues sèchent et que leurs mains se paralysent face aux gouvernements puissants et aux forces menaçantes, face aux agresseurs et à l'Internationale de la terreur. Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ?
     
    Quand les États occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l'homme, et que la vie de l'homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d'Indépendance). Aujourd'hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un État assurant le bien-être général. Chaque citoyen s'est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu'il a cours depuis ces mêmes décennies.



     Une société dépressive

     

    Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : le désir permanent de posséder toujours plus et d'avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l'Ouest les marques de l'inquiétude et même de la dépression, bien qu'il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n'ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel.
     
    L'indépendance de l'individu à l'égard de nombreuses formes de pression étatique a été garantie ; la majorité des gens ont bénéficié du bien-être, à un niveau que leurs pères et leurs grands-pères n'auraient même pas imaginé ; il est devenu possible d'élever les jeunes gens selon ces idéaux, de les préparer et de les appeler à l'épanouissement physique, au bonheur, au loisir, à la possession de biens matériels, l'argent, les loisirs, vers une liberté quasi illimitée dans le choix des plaisirs. Pourquoi devrions-nous renoncer à tout cela ? Au nom de quoi devrait-on risquer sa précieuse existence pour défendre le bien commun, et tout spécialement dans le cas douteux où la sécurité de la nation aurait à être défendue dans un pays lointain ?

    Même la biologie nous enseigne qu'un haut degré de confort n'est pas bon pour l'organisme. Aujourd'hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux.
     
    La société occidentale s'est choisie l'organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j'appellerais légaliste. Les limites des droits de l'homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois ; ces limites sont très lâches. Les hommes à l'Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l'aide d'un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu'un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n'en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n'entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu'aux extrêmes limites des cadres légaux.

     

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    Comment ne pas entendre, ici, comme un écho de ce qu'écrit Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (Grand Texte n° III) : "..nous reconnaissons en eux les Français (et les diverses nations d'Europe selon une modalité particulière), en tant qu'hommes empêchés de vivre naturellement..."

     

     

     

     

    " Médiocrité spirituelle "

                

    J'ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu'une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n'allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s'en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l'homme.
     
    Et il sera tout simplement impossible de relever les défis de notre siècle menaçant armés des seules armes d'une structure sociale légaliste.
     
    Aujourd'hui la société occidentale nous révèle qu'il règne une inégalité entre la liberté d'accomplir de bonnes actions et la liberté d'en accomplir de mauvaises. Un homme d'Etat qui veut accomplir quelque chose d'éminemment constructif pour son pays doit agir avec beaucoup de précautions, avec timidité pourrait-on dire. Des milliers de critiques hâtives et irresponsables le heurtent de plein fouet à chaque instant. Il se trouve constamment exposé aux traits du Parlement, de la presse. Il doit justifier pas à pas ses décisions, comme étant bien fondées et absolument sans défauts. Et un homme exceptionnel, de grande valeur, qui aurait en tête des projets inhabituels et inattendus, n'a aucune chance de s'imposer : d'emblée on lui tendra mille pièges. De ce fait, la médiocrité triomphe sous le masque des limitations démocratiques.
     
    Il est aisé en tout lieu de saper le pouvoir administratif, et il a en fait été considérablement amoindri dans tous les pays occidentaux. La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l'Ouest, de défendre non pas tant les droits de l'homme que ses devoirs.
     
    D'un autre côté, une liberté destructrice et irresponsable s'est vue accorder un espace sans limite. Il s'avère que la société n'a plus que des défenses infimes à opposer à l'abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faite aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d'horreur. On considère que tout cela fait partie de la liberté, et peut être contrebalancé, en théorie, par le droit qu'ont ces mêmes enfants de ne pas regarder er de refuser ces spectacles. L'organisation légaliste de la vie a prouvé ainsi son incapacité à se défendre contre la corrosion du mal...
     
    L'évolution s'est faite progressivement, mais il semble qu'elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l'homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu'il importe d'amender. Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n'a pas disparu à l'Ouest, alors même que les meilleures conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi...

     

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    "L'homme est naturellement bon et c'est la société qui le déprave."
    (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes)
    "L'évolution s'est faite progressivement, mais il semble qu'elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l'homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu'il importe d'amender."

     

     

     

     

    Les médias fabriquent un " esprit du temps "

                

    La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? Quelle responsabilité s'exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l'encontre de son lectorat, ou de l'histoire ? S'ils ont trompé l'opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l'Etat, avons-nous le souvenir d'un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s'en tirera toujours. Étant donné que l'on a besoin d'une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d'avoir recours aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s'installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d'opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d'Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l'intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c'est un slogan faux, fruit d'une époque fausse ; d'une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n'a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d'information. Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l'Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d'idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d'esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d'intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d'une compétition mais d'une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant.
     
    Sans qu'il y ait besoin de censure, les courants de pensée, d'idées à la mode sont séparés avec soin de ceux qui ne le sont pas, et ces derniers, sans être à proprement parler interdits, n'ont que peu de chances de percer au milieu des autres ouvrages et périodiques, ou d'être relayés dans le supérieur. Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. Sans qu'il y ait, comme à l'Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d'apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l'apparition d'un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. Aux États-Unis, il m'est arrivé de recevoir des lettres de personnes éminemment intelligentes ... peut-être un professeur d'un petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de son pays, mais le pays ne pouvait l'entendre, car les média n'allaient pas lui donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à un

  • Éphéméride du 29 février

    Le pavillon de la reine Jeanne, aux Baux de Provence, qui a servi de modèle au tombeau de Mistral à Maillane

     

     

     

    1904 : Frédéric Mistral reçoit son Prix Nobel de Littérature 

     

    mistral mireio.jpgLe premier prix Nobel avait été remis en 1901, et Mistral était alors en compétition avec Sully Prudhomme, qui lui fut finalement préféré (voir l'Éphéméride du 6 septembre).

    Le jury du Prix Nobel ne souhaitant pas distinguer deux fois de suite un même pays, Mistral ne fut pas retenu en 1902. En 1903, de nouveau candidat, Mistral arriva deuxième, et dut laisser la place à un auteur scandinave.

    Ce fut donc en 1904 que - Miréio étant enfin disponible en langue suédoise - Mistral reçut la distinction prestigieuse, qu'il partagea cependant avec le poète espagnol José Echegaray : de nombreuses coquilles dans le texte, des maladresses ou erreurs de traduction avaient joué contre lui...

    Les Nobel sont attribués en décembre (généralement vers le 10, voir notre Éphéméride du 1O Décembre), mais Mistral était trop fatigué pour faire le voyage de Stockholm (il devait mourir dix ans après, juste avant le début de la Grande Guerre...) : il reçut donc son prix en différé, en quelque sorte, le 29 février 1904...

    Frederic-Mistral.jpgÀ ce moment-là, il reste donc dix ans à vivre au poète provençal, qui a écrit la quasi totalité de son œuvre :

    Mirèio (Mireille), en 1851;

      Calendau (Calendal), en 1866;
     
      Lis Isclo d'Or (Les Îles d'Or), en 1875;
     
      Memòri e raconte (Mémoires et récits), en 1906; 
     
     Lou Tresor dòu Felibrige (Le Trésor du Félibrige), de 1878 à 1886. 
     
    Son dernier recueil, Lis Oulivado (Les Olivades, 1912) commence par ces vers :  
    "Lou tèms que se refrejo, e la mar que salivo / Tout me dis que l'ivèr es arriba per ièu / E que fau, lèu e lèu, acampa mis òulivo / E n'òufri l'òli vierge à l'autar dou bon Diéu."
     
    (Le temps qui fraichît et la mer qui gronde / Tout me dit que l'hiver est arrivé pour moi / Et qu'il faut, vite, vite, ramasser mes olives /Et en offrir l'huile vierge sur l'autel du Bon Dieu).  
     
    Mistral consacrera l'intégralité de son Prix à réaliser le projet qui lui tenait à coeur : agrandir et re-créer le Muséon Arlaten, l'un des tous premiers musées d'ethnographie créé en France... (achat du Palais Laval-Castellane, acquisition des collections...) 

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    Le Muséon arlaten, déjà créé en 1896 par Mistral, fut donc installé dans l’hôtel Laval-Castellane du XVème siècle; il présente costumes, mobilier, outils de travail, objets de culte... et illustre la vie des provençaux du XIXème siècle  
     

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    À partir d'aujourd'hui, nous allons évoquer Frédéric Mistral, à travers sa poésie, et nous déclinerons cette évocation en trois temps :

    • aujourd'hui, 29 février (réception du Prix Nobel de Littérature);

    • puis, le 25 mars, jour anniversaire de sa mort;

    • et, enfin, le 8 septembre, date anniversaire de sa naissance;

     

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    Et nous évoquerons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations :

    1. Aujourd'hui, 29 février, nous allons lire un poème que l'on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d'inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l'enracinement dans l'Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L'amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral : "...Se quauque rèi, pèr escasènço..." (Si Clémence était reine..., Mireille, Chant II);

    2. Le 25 mars, nous lirons un extrait d'un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ôde à la race latine) de 1878.

    3. Enfin, le 8 septembre, nous lirons le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l'Invocation de Mirèio (Mireille). Et le Mistral épique et historique, avec l'Invocation de Calendau (Calendal).

     

     

    I : Un poème chrétien, La coumunioun di sant (La communion des saints)

     
    Ci dessous, le portail de la Cathédrale Saint Trophime d'Arles, puis deux vues du cimetière antique des Alyscamps (Elysii Campi, les Champs Élysées des Grecs et des Romains) : des tombeaux, et l'église Saint Honnorat...
     

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    Davalavo, en beissant lis iue,                 Elle descendait, en baissant les yeux,
    Dis escalié de Sant-Trefume;                  L'escalier de Saint-Trophime.
    Ero a l'intrado de la niue,                       C'était à l'entrée de la nuit
    Di Vèspro amoussavon li lume.               On éteignait les cierges des Vêpres.
    Li Sant de pèiro dou pourtau,                 Les Saints de pierre du portail,
    Coume passavo, la signèron,                  Comme elle passait, la bénirent
    E de la glèiso a soun oustau                   Et de l'église à sa maison
    Emé lis iue l'acoumpagnèron.                 Avec les yeux l'accompagnèrent.
     
    Car èro bravo que-noun-sai,                   Car elle était sage, vraiment,
    E jouino e bello, se pou dire;                  Et jeune, et belle, on peut le dire;
    E dins la glèiso res bessai                       Et dans l'église nul peut-être
    L'avié visto parla, vo rire;                       Ne l'avait vu parler ou rire.    
    Mai quand l'ourgueno restountis,            Mais quand l'orgue retentissait,       
    E que li saume se cantavon,                   Pendant que l'on chantait les psaumes,
    Se cresiè d'èstre en paradis                    Elle croyait être en Paradis
    E que lis Ange la pourtavon !                  Et que les anges la portaient ! 
     
    Li Sant de pèiro, en la vesènt                 Les Saints de pierre, la voyant
    Sourti de-longo la darriero                     Sortir tous les jours la dernière
    Souto lou porge trelusènt                      Sous le porche resplendissant
    E se gaudi dins la carriero,                     Et s'acheminer dans la rue,
    Li sant de pèire amistadous                   Les Saints de pierre bienveillants
    Avien pres la chatouno en gràci;            Avaient pris en grâce la fillette;
    E quand, la niue, lou tèms es dous,        Et quand, la nuit, le temps est doux,
    Parlavon d'èlo dins l'espàci :                  Ils parlaient d 'elle dans l'espace :
     
    - La vourriéu vèire deveni,                     "Je voudrais la voir devenir
    Disié sant Jan, moungeto blanco,           - Disait Saint Jean- nonette blanche,
    Car lou mounde es achavani,                 Car le monde est orageux,
    E li couvènt soun de calanco.                 Et les couvents sont des asiles.
    - Sant Trefume diguè : - Segur !            - Saint Trophime dit : "Oui, sans doute !
    Mai n'ai besoun, iéu, dins moun tèmple, Mais j'en ai besoin, moi, dans mon temple,
    Car fau de lume dins l'escur,                  Car dans l'obscur il faut de la lumière,
    E dins lou mounde, fau d'eisèmple.        Et dans le monde il faut des exemples."
     

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    - Fraire, diguè sant Ounourat,                "Ô frères - dit Saint Honnorat -
    Aniue, se'n-cop la luno douno                Cette nuit, dès que luira la lune
    Subre li lono e dins li prat,                     Sur les lagunes et dans les prés,
    Descendren de nosti coulouno,               Nous descendrons de nos colonnes,
    Car es Toussant : en noste ounour          Car c'est la Toussaint: en notre honneur
    La santo taulo sara messo...                   La sainte table sera mise....
    A miejo-niue Noste Segnour                   A la mi-nuit Notre-Seigneur
    Is Aliscamp dira la messo.                      Aux Alyscamps dira la messe."
     
    - Se me cresès, diguè sant Lu,                "Si vous m'en croyez - dit Saint Luc -
    Iè menaren la vierginello;                       Nous y emmènerons la jeune vierge;
    Ié pourgiren un mantèu blu                     Nous lui donnerons un manteau bleu
    Em'uno raubo blanquinello.                     Avec une robe blanche."
    E coume an di, li quatre Sant                  Et cela dit, les quatre Saints
    Tau que l'aureto s'enanèron;                   Tels que la brise s'en allèrent;
    E de la chatouno, en passant,                  Et de la fillette en passant,
    Prenguèron l'amo e la menèron.              Ils prirent l'âme et l'emmenèrent.
     
    Mai l'endeman, de bon matin,                 Mais le lendemain, de bon matin,
    La bello fiho s'es levado...                       La belle fille s'est levée...
    E parlo en touti d'un festin                      Elle parle à tous d'un festin
  • Mai 68...

              C'est bien connu, et nous en avons tous fait l'expérience: il y a des jours où l'on se dit qu'on aurait mieux fait de rester couchés ! A l'inverse, et nous en avons aussi tous fait l'expérience, il y a des jours, comme çà, où sans que l'on s'y attende le moins du monde, on a une bonne surprise. C'est ce qui arrive aujourd'hui avec ce texte puissant, publié par Patrice de Plunkett sur son blog: http://plunkett.hautetfort.com

              Nul n'a pu, aussi distrait soit-il, ne pas se rendre compte que les différents médias nous bombardaient depuis longtemps déjà de commémorations sur Mai 68, et pas toujours d'un grand intérêt...: or voilà une réflexion qui, pour le coup, fera date. Nous la publions donc dans son intégralité car, son auteur nous pardonnera notre familiarité, ce texte "vaut vraiment le coup".

              Et c'est peu de le dire....

           LA REPENTANCE N'EST PAS DANS L'AIR

    Liquider Mai 1968 : vaste programme, eût dit de Gaulle.  Il faut voir où l’on met les pieds.

    Peut-on regarder 68 comme un drame politique dont on pourrait dresser le bilan, à la façon des Livres noirs du communisme et du colonialisme ? 

    Ce serait une erreur.

    J’en témoigne. J’avais vingt ans cette année-là et j’étais sur le terrain. Etudiants « réacs » [1]  de Nanterre et du Quartier latin, nous nous sommes bien amusés –  mais sans y croire une seconde ! Nous ne sommes pas allés sur les Champs-Elysées le 30 mai. Pas un instant nous n’avons gobé que « les rouges » voulaient « prendre le pouvoir ». Ni que la « révolte étudiante » était « dirigée et exploitée par des meneurs au service d’une puissance sans visage qui agit partout à la fois dans le monde », comme l’écrivait alors Mauriac dans son bloc-notes... La panique bourgeoise nous faisait rire. La droite jouait à la contre-révolution, mais il n’y avait pas de révolution ; les cris de guerre des gauchistes sonnaient faux, leurs slogans avaient l’air d’un décor. La société qu’ils dénonçaient n’existait pas. Le danger qu’ils proclamaient (la « fascisation du capitalisme ») était imaginaire et absurde.

    Mais nous qui étions dans le bain, contrairement à la droite, nous sentions qu’il y avait tout de même un esprit du mouvement de Mai : et que cet esprit était autre chose que son apparence.

    On devinait un volcan qui n’était pas politique [2].

    Sous les gesticulations pseudo-marxistes courait en réalité une fièvre irrésistible d’individualisme, vouée à brûler tout ce qui paraissait freiner encore un peu  le règne de l’ego.

    Mai 68 allait aider – sans le vouloir –  à installer une société consumériste, fondée sur l’exploitation commerciale des pulsions du Moi les plus déshumanisantes : une société où le travail allait devenir aussi flexible que la morale,  comme  dans  le  film  de  Ken  Loach It’s a free world [3]. Cette société allait fusionner la gauche et la droite comme des gérantes du même hypermarché. Pierre Legendre l’écrira en 2001 : « Notre société prétend réduire la demande humaine aux paramètres du développement, et notamment à la consommation »[4] .

    Pour que la société puisse devenir ce terrain vague, il fallait raser les ultimes valeurs supérieures à l’individu, les dernières « haies », les vestiges d’un art de vivre plus ancien que la bourgeoisie moderne.

    Cette destruction fut l’œuvre de l’esprit de 68.  Il a agi comme un incendie. Ce n’était pas difficile : les « haies » étaient desséchées par le néant moral des Trente Glorieuses...  « Notre mode de vie focalisé sur le confort et l’utilitaire ne satisfait pas la jeune génération », affirmait en 1967 le journaliste italien Giorgio Bocca. Son diagnostic surestimait le mobile des jeunes, mais il était presque exact sur un point : la faillite éthique des vieux.

     

    La prophétie de Boutang

     

    Quelqu’un avait vu cette faillite plus nettement, en France, deux ans avant 1968. C’était le philosophe Pierre Boutang, et sa vision [5] a l’air d’une prophétie lorsqu’on la relit en 2008 :

    « Une part de la réalité de l’homme est en train de s’évanouir, ou changer de sens ; subissant à la fois les techniques de massification (perdant de plus en plus son visage, la ressemblance avec Dieu) et la rhétorique de l’humanisme le plus vague et dégoulinant, le citoyen des démocraties modernes et développées a laissé tomber […] sa réalité d’homme, vivante et en acte. Il a cessé d’agir comme père, d’exercer comme un père une autorité familiale (or nul n’est homme s’il n’est père, dit Proudhon). […] Pour cela, les fils s’éloignent (même en restant là) et haïssent ou méprisent  à la fois le fils que fut leur père, et le père qu’il n’est pas. Leur ‘‘protéïsme’’, leur capacité de désir de prendre toutes les formes animales, jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle, n’est que le constat d’absence, mais d’absence molle et pesante, d’un être de l’homme, à l’image de Dieu, chez l’adulte. »

    Ce texte de 1966 était une prémonition du processus de Mai 68 :

    - d’abord la nullité morale des pères, bourgeoisie « traditionnelle » déboussolée qui s’attirait le mépris des enfants ;

    - puis la dislocation psychologique des enfants, « jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle ».

    En mai 2008 ces enfants ont la soixantaine. Leur refus de naguère est devenu l’esprit d’une néo-bourgeoisie : l’âme d’un monde sans âme, où la droite et la gauche desservent par roulement  – à des heures différentes – le rayon des « nouvelles mœurs » à l’enseigne du Grand N’importe Quoi.  Le philosophe Bernard Stiegler conclut [6] à leurs torts partagés : 

    « On a souligné un paradoxe à propos de Mai 68 : on a pensé que le capitalisme était porté par la droite, qui défend les ‘‘valeurs traditionnelles’’, et que c’est un mouvement de gauche (Mai 68) qui a voulu symboliquement détruire ces valeurs. Mais en réalité, ce qui a réellement organisé cette destruction des valeurs, c’est le capitalisme… Le capitalisme est contradictoire avec le maintien d’un surmoi… Une société sans surmoi s’autodétruit. Le surmoi, c’est ce qui donne la loi comme civilité. Un récent rapport du préfet de la Seine-Saint-Denis expliquait la violence dans les cités par cette absence de surmoi, qui se traduit alors par le passage à l’acte… »

    Selon la formule d’un autre philosophe de 2008, Jean-Claude Michéa, il est « impossible de dépasser le capitalisme sur sa gauche ». Ainsi les postures dominantes aujourd’hui sont libérales-libertaires : elles cultivent les transgressions « qui servent à la bonne marche des affaires » ; « elles rompent les solidarités effectives, en isolant plus encore l’individu dans une monade où se perd ‘‘le goût des autres’’, où il n’est plus qu’un rouage. [7] »

    En détruisant le français et l’histoire à l’école, par exemple, les pédagogues post-68 ont fait table rase au profit de l’idéologie marchande  – qui exploite l’amnésie et parle en basic english.

     

    Mai 68, portier du matérialisme mercantile

     

    Mai 68 n’est donc pas l’antithèse de 2008.

    Il n’est pas l’inverse de notre société libérale-libertaire (ou ultralibérale, c’est la même chose).

    Il n’est pas l’opposé de « notre monde postmoderne avec sa politique cacophonique et vide, et sa contre-culture devenue marché de masse » [8]… 

    Au contraire : 68 en fut le point de départ ! Fausse révolution, vraie pulvérisation. Transformation de la société en une dissociété : le tout-à-l’ego. Mutation de l’homme « familial enraciné » en « individu dans la foule », sans attaches ni foyer stable... Mai 68 a lancé l’idée que toute stabilité était « fasciste », et cette diabolisation du durable [9] a fleuri en tous domaines. L’économique y a vu son intérêt.  Le capitalisme s’y est reconnu.  Ayant  succédé  aux pères  bourgeois, les fils bourgeois ont séparé la bourgeoisie et les « valeurs traditionnelles ». Ils ont transposé 68 dans le business, comme le pubard ex-trotskiste incarné par Maurice Bénichou dans une merveille de film passée inaperçue en 1997 :  La Petite Apocalypse de Costa Gavras.  Ce fut l’époque où l’ex-mao François Ewald devenait le philosophe du Medef, sous la houlette d’un autre soixante-huitard passé au néocapitalisme : Denis Kessler.

    Ainsi a surgi  ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello, dans leur enquête parue à la fin de la dernière année du XXe siècle, ont appelé Le nouvel esprit du capitalisme [10]:

    « Nous avons voulu comprendre plus en détail […] pourquoi la critique […] s’éteignit brutalement vers la fin des années 70, laissant le champ libre à la réorganisation du capitalisme pendant presque deux décennies […], et pour finir, pourquoi de nombreux soixante-huitards se sentirent à l’aise dans la nouvelle société qui advenait, au point de s’en faire les porte-parole et de pousser à cette transformation. »

    Quelle physionomie a cette nouvelle société ? Stiegler l’indique : « Puisque le désir est le moteur qui nous fait vivre et nous meut (ce qui détermine en profondeur notre comportement), le capitalisme de consommation cherche par tous les moyens à en prendre le contrôle pour l’exploiter comme il exploite les gisements pétrolifères : jusqu’à épuisement de la ressource… » 

    Mais d’abord, cette forme de capitalisme devait « détourner la libido des individus de ses objets socialement construits par une tradition, par les structures prémodernes comme l’amour de Dieu, de la patrie, de la famille. »

    Boltanski et Chiapello (1999) confirmeront ainsi la vision de Boutang  (1966)  sur  l’absence inéluctable du « père » et du familial  – matrice de toute société –  dans la société nouvelle :

    « La famille est devenue une institution beaucoup plus mouvante et fragile, ajoutant une précarité supplémentaire à celle de l’emploi et au sentiment d’insécurité. Cette évolution est sans doute en partie indépendante de celle du capitalisme, bien que la recherche d’une flexibilité maximale dans les entreprises soit en harmonie avec une dévalorisation de la famille en tant que facteur de rigidité temporelle et géographique, en sorte que […] des schèmes similaires sont mobilisés pour justifier l’adaptabilité dans les relations de travail et la mobilité dans la vie affective… [11] » 

     

    Alors que son idéologie prétendait « contester la société de consommation », 68 a préparé le terrain au triomphe absolu de cette société. Car le centre nerveux de l’esprit de 68 n’était pas idéologique, mais psychologique, sous la forme d’un double rejet :

    - le rejet du familial  (avec une virulence dont se souviennent les lecteurs du Charlie Hebdo  des grandes années) ;

    - le rejet du spirituel (avec la même virulence, n’en déplaise à feu Maurice Clavel qui fut seul à voir le Saint-Esprit sur les barricades du 3 mai).

    Rejeter le familial et le spirituel, c’était rejeter l’essentiel de la condition humaine et nous soumettre à un sort injuste : « nous forcer à passer nous-mêmes à côté de notre propre vie, et ainsi laisser la promesse de vie s’enfuir dans la banalité  pour finir dans le vide [12] ».   Une telle mutilation révoltait Patrick Giros, qui allait mourir à la tâche au service des SDF : « Rendez-vous compte, cette logique soixante-huitarde, que je connais parce que je suis un des fils de 68, eh bien les premières victimes qu’elle fait ce sont les petits, les jeunes, les fragiles, ceux qui ont une famille explosée, ou des fragilités psychologiques… [13] »

    Or ce rejet soixante-huitard du spirituel et du familial, est aussi le centre nerveux de la société consumériste. Celle-ci réduit le monde humain à la consommation matérielle individualiste  (une fuite en avant égocentrique : une vie réduite à l’insatisfaction acheteuse). Elle ampute l’existence de dimensions qui sont les clés de la condition humaine.

    Là est l’imposture de Mai 1968 : s’être présenté comme l’ennemi de la société de consommation, alors qu’il anéantissait tout ce qui freinait le triomphe de celle-ci.

    L’esprit de 68 a vomi tout ce qui n’était pas le caprice individuel (d’où le célèbre slogan : « il est interdit d’interdire »). Il ouvrait ainsi la voie au matérialisme mercantile. Celui-ci allait se substituer à tout, en  installant :  1. le caprice individuel comme ressort du marketing ; 2. le marketing comme seul lien du vivre-ensemble...  Ainsi les slogans de 68 furent récupérés en bloc par le marketing, et ce fut la naissance de la sous-culture des années 1980-2000 : plus besoin de chercher le sens de la vie, il suffisait d’être « soi-même », de « penser avec son corps », de se contenter d’exister, de « bouger »  – et finalement, d’acheter.  Le marketing ne demandait rien de mieux aux consommateurs : ne plus se poser de questions, devenir dociles et ductiles. 

    Ces noces de Mai et du Marché auraient horrifié, dix ans plus tôt, les soixante-huitards extrêmes : ceux qui rêvaient d’abolir l’argent, d’en revenir au troc et de proclamer « l’An 01 » avec le dessinateur Gébé. Pourtant c’est ce qui est advenu... Cela n’aurait pas étonné le vieux Marx, qui félicitait le capitalisme (cent trente ans plus  tôt) de son pouvoir de destruction-innovation :   

    « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. […] Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux […] se dissolvent […] Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée. [14] »

     

    Les sociaux et les mondains

     

    Alors, critiquer Mai ?  Oui. Mais n’en faisons pas un prétexte.  Ne disons pas que tout va bien aujourd’hui ; ou qu’il suffirait, pour que tout aille mieux, de liquider l’esprit de 68.

    Je préfère être avec Benoît XVI, lorsqu’il demande que l’on change le modèle économique  global [15].

    Et avec les évêques de la planète catholique, lorsqu’ils appellent à lutter contre « des injustices qui crient vers le ciel » [16].

    Et avec les anciens soixante-huitards qui ont lancé en France l’économie solidaire… Ceux-là ont su ne pas suivre l’esprit de 68 dans son transfert ultralibéral.  En se faisant entrepreneurs sociaux, ils ont à la fois pris le contrepied du matérialisme mercantile et de 1968 (la « déconstruction » ravageuse).

    La fusion de 1968 et du consumérisme ne légitime pas le consumérisme ; le triomphe actuel du consumérisme ne nous dispense pas de chercher des solutions pour en sortir.

    À gauche de la gauche, quelques-uns  commencent à voir le rôle de l’esprit de 1968 dans l’hypermarché qu’est la société présente. Ainsi le journal La Décroissance  [17] donnant la parole au maire de Grigny (Rhône), René Balme, qui accuse le slogan « interdit d’interdire » d’avoir ouvert un boulevard à la marchandisation de tout : en effet, dit-il, la libre concurrence « ne doit être bridée par rien »… Le psychiatre Jean-Pierre Lebrun ajoute : « Beaucoup de gens sont aujourd’hui dans une grande confusion, car ils croient être débarrassés des interdits. Si plus rien n’est interdit, plus rien ne veut rien dire. » Selon Lebrun, spécialiste des comportements,  la « stratégie néolibérale » disloque la condition humaine en niant que les limites soient « utiles et fondatrices » ; elle fait ainsi « sauter les verrous les uns après les autres » : « Le néolibéralisme […] dans son versant consumériste donne l’illusion que l’on peut avoir accès facilement à la satisfaction de  nos prétendus besoins, et cela sans aucun renoncement. Mais la vie humaine ne se résume ni à cette satisfaction, ni à ces prétendus besoins. »

    Beaucoup de gens trouvent que la société de consommation ne pose aucun problème. Ce n’est pas mon avis, mais ce que vous venez de lire n’est qu’un regard personnel.

    Il y a d’autres regards...

    Leur diversité et leur confrontation sont un service que rend ce livre. Car l’heure vient de réparer l’un des pires dégâts collatéraux de Mai : avoir pollué l’exercice du débat dans ce pays.  L’esprit de 68 ajoute en effet à ses caractéristiques celle d’être futile et manichéen en même temps. Il brandit la dérision, mais il voit le monde en noir et blanc. Camp du Bien contre camp du Mal ! Dans ce climat, les nuances disparaissent et l’échange d’idées devient impossible : il n’y a que des imprécations, des anathèmes contre les horreurs ultimes et les abominables relents dont on affuble l’adversaire. Personne n’est plus en mesure d’analyser les données, de faire la part des choses. Quarante ans après 68 on est toujours dans cette ornière : quand le professeur Alain Badiou proclame, en chaire, que  « Sarkozy est le nouveau nom du pétainisme » [18], c’est 1968 qui continue ; toujours la manie de l’exorcisme (« CRS - SS ») substitué au raisonnement...   Et quand Jean-François Kahn fait rire tout le monde en 2007 avec cette entrée de son Abécédaire mal pensant [19]: 

    «  – ‘‘Abject’’ : équivalent à ‘‘contestable’’ dans les livres de Bernard-Henri Lévy »…

    …les lecteurs songent-ils que la démesure dans l’invective est un legs de Mai 68 ? 

    En 2006, je dînais dans une grande ville française avec le patron d’un quotidien régional et sa femme. Lui et moi avions presque le même âge. L’épouse était plus jeune.  Après nous avoir écoutés évoquer le joli mois de mai, elle nous a coupé la parole :

    –  Au fond, la génération de 1968, vous emme

  • Phillip Blond : « Jamais la mondialisation n'avait connu un tel rejet dans les urnes »

     

    Par Alexandre Devecchio 

    Après le Brexit, le penseur britannique, Philipp Blond, a accordé un long entretien à FigaroVox [1.07]. Selon le « Michéa anglo-saxon », cette victoire est l'expression du divorce entre les bobos et les classes populaires à l'œuvre dans l'ensemble du monde occidental. Les lecteurs de Lafautearousseau rapprocheront cet entretien de celui donné précédemment au même Figarovox par le grand philosophe britannique Roger Scruton*. On y trouvera une analyse instructive des réalités politiques internes en Grande-Bretagne et des réflexions de fond sur le libéralisme, l'UE, le délitement des sociétés européennes qui, souvent, rejoignent les nôtres.  LFAR   

    Encore méconnu en France, Phillip Blond est l'un des intellectuels britanniques contemporains les plus influents. Il a été conseiller de David Cameron en 2010, lors de sa première campagne législative victorieuse, avant de prendre ses distances avec l'ex-Premier ministre. Théoricien du Red Torysm ou « conservatisme pour les pauvres », il renvoie dos à dos libéralisme économique et culturel, et prône au contraire l'alliance du meilleur de la tradition de droite et de gauche. Bien qu'il se soit positionné en faveur du « Remain », il juge que la campagne pour le maintien dans l'UE, fondée uniquement sur l'intimidation, a été « désastreuse ». Selon lui, le vote en faveur du Brexit est l'expression logique d'une révolte des peuples à l'égard de la globalisation : « tous ceux qui culturellement comme financièrement se trouvent en phase avec le nouvel ordre du monde, sont désormais minoritaires dans la société. », explique-t-il.

    XVMf3256ffa-3f96-11e6-a7e0-f7d1706dab9d.jpgÊtes-vous surpris par la victoire du Brexit ? Que révèle-t-elle selon vous ?

    Cette victoire n'a pour moi rien d'inattendu ; elle est le résultat de tendances de fond qui affectent différentes couches du peuple britannique. En leur permettant de se fédérer, le référendum a été pour ces groupes l'occasion d'un contrecoup décisif.

    Je pense en effet que nous sommes en train de passer d'une société où les deux tiers de la population environ s'estimaient satisfaites de leur sort, à un monde dans lequel ceci n'est plus vrai que pour un tiers de la population.

    Dit autrement, le vote en faveur du Brexit exprime le plus grand rejet de la mondialisation qu'ait connu dans les urnes le monde occidental. Les bénéficiaires de la mondialisation, tous ceux qui culturellement comme financièrement se trouvent en phase avec le nouvel ordre du monde, sont désormais minoritaires dans la société.

    Cette révolte contre la mondialisation ne regroupe pas seulement les catégories sociales les plus défavorisées. On y distingue aussi une population plutôt aisée, composée pour l'essentiel de personnes âgées vivant en province et qui se sentent culturellement menacés par l'immigration. Cette même population a le sentiment que le système de valeurs qui a historiquement caractérisé l'Angleterre - sans doute l'un des plus influents et des précieux dans le monde - est aujourd'hui remis en cause par l'arrivée d'une population qui lui est indifférente voire dans certains cas, carrément hostile, et que la Grande-Bretagne a abdiqué sa souveraineté face à une puissance étrangère en adhérant à l'Union Européenne.

    Dans toutes les enquêtes réalisées sur les déterminants en faveur du vote pour le « Leave », c'est toutefois l'immigration qui figure en tête des préoccupations. Qu'ils soient plutôt aisés ou qu'ils soient au contraire issus d'un milieu modeste, ces électeurs craignent l'islamisation progressive de la Grande-Bretagne par l'immigration. Comme cette opinion ne peut être exprimée publiquement, l'hostilité aux migrants a pris la forme d'une inquiétude plus globale. Pour les plus pauvres, l'impact de l'immigration était double, l'« ennemi » prenant tout à la fois la forme de l'islam mais aussi l'arrivée massive d'une population issue d'Europe de l'Est, plutôt qualifiée et dure à la tâche, qui constituait de de ce fait une menace pour leur emploi et leur accès au marché du travail. Si vous ajoutez à cela le fait que l'Union Européenne est identifiée avec la mondialisation, et donc avec l'insécurité économique et culturelle qui caractérise cette dernière, alors la victoire du Brexit n'est plus une surprise.

    Ce que le camp du « Leave » a cherché à mettre en avant avec son slogan « reprendre le contrôle », c'est l'idée que la résistance à tous ces formes de déstabilisation devait avoir lieu à l'échelle de la nation, l'idée que la nation pouvait reprendre le contrôle face aux forces de l'entropie internationale et protéger ses citoyens de la tempête. A contrario, la campagne pour le maintien dans l'UE, conduite par des Blairistes ou des Conservateurs dont le manuel électoral ne connaissait qu'un seul registre - taper dur et taper très fort - , a été désastreuse. Soutenue de manière imprudente par le gouvernement, cette approche avait déjà failli lui coûter une défaite au référendum sur l'indépendance de l'Ecosse ; elle lui a fait perdre ensuite la mairie de Londres et maintenant le référendum sur l'UE. Le camp du « Remain » aurait au contraire dû choisir d'adopter une vision patriotique, expliquer que la Grande-Bretagne pouvait encore rester une puissance mondiale significative à travers l'UE, souligner que dans quelques années nous serions la première puissance en Europe. En choisissant une autre approche, ils ont eu la défaite qu'ils méritaient.

    Le débat sur le référendum a semblé se limiter à un dialogue au sein de la droite britannique. Finalement, le vote de la population ouvrière en faveur du Brexit a été décisif. Comment l'expliquez-vous ?

    Loin de se confiner aux seuls électeurs de droite, la victoire du Brexit s'explique au contraire par la mobilisation décisive d'une partie de l'électorat travailliste en faveur du Leave. Pour ces derniers aussi, l'UE s'identifiait avec la mondialisation et le néolibéralisme. L'attitude de Merkel envers la Grèce et l'austérité punitive imposée par l'Allemagne ont conduit une partie de la gauche britannique à voir dans la zone euro et plus généralement dans l'Union Européenne un projet antisocial. Cela, couplé avec la menace que faisait peser sur les salaires des travailleurs autochtones la constitution d'une armée de réserve de travailleurs immigrés à bas coûts, a contribué au rejet de l'UE par une partie de la gauche. Enfin, il ne faut pas oublier que la classe ouvrière britannique est fondamentalement patriotique ; le sentiment que l'UE dissout la grandeur du Royaume-Uni plutôt qu'elle ne la magnifie a donc conduit une grande partie des classes populaires à déserter le camp du Remain.

    La tragédie du Brexit, toutefois, c'est que la plupart des dirigeants et promoteurs du camp du « Leave » sont des partisans extrêmes du libre-échange. Ces derniers haïssent une Europe qui s'identifie pour eux à la régulation et la social-démocratie et ils ont convaincu une partie de la gauche de voter la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Nous faisons face à ce paradoxe : des classes populaires en quête de protection face à la mondialisation ont suivi des libertariens qui pensent que la Grande-Bretagne devrait abolir de manière unilatérale ses tarifs douaniers !

    Pourquoi le labour de Jeremy Corbyn a-t-il été aussi timide. La gauche britannique est-elle, comme la gauche française, prise en étau ente bobos favorables au multiculturalisme et à l'ouverture des frontières et classes populaires en quête de protection ?

    Si Corbyn a été si timide dans la campagne, c'est qu'il est en réalité un partisan du Brexit - je le soupçonne d'avoir choisi le bulletin en faveur du Leave dans le secret de l'isoloir. Il ne faut pas oublier que Corbyn vient de l'extrême-gauche du parti travailliste : au delà des raisons « de gauche » de choisir le Brexit, il a pu aussi être ému par le caractère non démocratique de l'UE. Démocratique, l'UE ne l'est pas en effet - mais pour lui cela s'explique seulement par le fait que les démocraties qui la composent ne souhaitent pas laisser place à l'émergence de partis politiques transnationaux en ajoutant un échelon politique supplémentaire au delà de l'Etat ou de la nation.

    Ce divorce entre les bobos et les classes populaires se retrouve lui aussi en Grande-Bretagne - de fait, il est à l'œuvre dans l'ensemble du monde occidental. La raison tient en grande partie aux séductions comme aux échecs du libéralisme. Pour les classes moyennes, le libéralisme a plusieurs attraits : économiquement, il leur permet (ou du moins il leur permettait) d'exploiter avantageusement leur position via l'école, les réseaux ou les possibilités de carrière dans l'entreprise ; socialement, il se traduit par une licence totale en matière de choix de vie ou de comportements. Pour les classes populaires au contraire, le libéralisme est un désastre économique et culturel : économique, parce qu'il détruit leur pouvoir de négociation collective et les expose à une concurrence interne sur le marché du travail : dans une telle situation, leurs salaires ne peuvent que baisser ; sociale, parce que le libéralisme a détruit toutes les formes d'allégeance et de stabilité familiale, en laissant pour seul héritage des foyers brisés et des pères absents. En somme, le libéralisme a détruit toute notion de solidarité et c'est cela qui a le plus certainement condamné les plus pauvres à leur sort.

    En France le géographe Christophe Guilluy a développé le concept de « fractures françaises » et de « France périphérique ». Existe-t-il également des « Fracture britanniques » et une « Angleterre périphérique » ?

    Cette idée d'une fracture géographique entre le centre et la périphérie dans les cultures modernes est très certainement vraie en France, mais aussi en Grande-Bretagne et dans d'autres pays. Est-elle pour autant nouvelle ? La plupart des fractures dont on nous parle aujourd'hui trouvent leur grille de lecture dans une analyse sociologique, ce que je considère pour ma part insatisfaisant intellectuellement.

    Je crois que nous devrions nous poser des questions plus fondamentales, qui de mon point de vue seraient les suivantes : pourquoi nous séparons-nous, pourquoi cherchons-nous la solidarité seulement au sein de groupes composés de personnes qui nous sont proches ou qui nous ressemblent ? C'est parce que nous avons perdu nos universaux, nous avons oublié la leçon tant de Platon que d'Aristote pour lesquels il existe des universaux qui s'appliquent aux choses. Dans la mesure où nous avons laissé la croyance dans le monde objectif verser dans le pur subjectivisme, comment espérer un jour nous unir ? C'est pourquoi la véritable tâche politique est de retrouver ce qui nous relie, au delà de l'inepte discours contemporain sur les droits de l'homme. Le discours sur les droits est en effet toujours dérivé, il requiert un discours plus fondamental ; c'est pour cela que vous ne pouvez arbitrer entre des droits différents et pourquoi le droit ne peut vous dire ce qui est juste. Aussi, tant que nous n'aurons pas recouvert notre héritage - c'est à dire tant que nous ne serons pas revenus aux universaux - nous ne pourrons jamais aider personne, jamais réduire aucune division ni soigner aucun mal.

    Que signifie la démission de Boris Johnson, qui était pourtant donné favori pour succéder à Cameron. Quelles sont les lignes de clivages au sein des conservateurs ?

    La démission de Boris Johnson signifie un certain nombre de choses plutôt triviales - au premier rang desquelles une incapacité fondamentale à donner une quelconque consistance à ses slogans. Je le soupçonne par ailleurs d'avoir promis un certain nombre de choses contradictoires aux députés qui le soutenaient - en offrant notamment le même poste à plusieurs personnes. Enfin sa chronique dans le Telegraph montrait qu'il avait déjà pris la décision de revenir en arrière sur le Brexit et de rompre ses engagements auprès de ceux qui avaient voté « Leave  ». C'est un homme qui n'inspire plus confiance, un opportuniste sans réelle conviction - il n'y a rien d'autre à lire dans sa démission.

    Les clivages du parti conservateur s'expliquent quant à eux d'abord par l'histoire, même si de nouvelles divisions apparaissent aujourd'hui. Une minorité significative de député se revendique du Thatchérisme : ils croient au libre marché et sans doute à rien d'autre - tandis qu'une majorité des députés tient à ce que la droite défende la justice sociale ; tous toutefois pèchent sur les mesures à prendre.

    Le défi le plus important qui attend aujourd'hui les conservateurs, c'est de répondre à ce besoin de justice sociale sans passer par le marché ni par l'Etat. Ils savent qu'ils doivent s'adresser à une population en déshérence - tous se revendiquent d'un conservatisme inclusif (« One nation conservatism ») - mais personne ne dispose dans ce domaine d'un programme politique crédible. Si le marché tel qu'il a fonctionné jusqu'à présent se montre incapable de répondre aux besoins des plus pauvres et bientôt de ceux de la classe moyenne, quelle sera demain la doctrine économique du Parti Conservateur ?

    Cela traduit-il l'explosion du clivage droite/gauche des deux côté de La Manche ?

    L'affrontement droite / gauche appartient au passé : si vous regardez les mouvements qui ont émergé récemment, leur discours emprunte des éléments issus des doctrines des deux côtés de l'échiquier politique. Prenez le Front National, par exemple : son programme nationaliste le porte évidemment à l'extrême-droite, mais ses propositions sur l'Etat-providence et les services publics semblent toutefois exhumées d'un discours socialiste des années 1970. Il en est de même en Angleterre avec UKIP, qui pourrait tout à fait devenir le parti de la classe ouvrière britannique et se substituer au parti Travailliste en offrant un mélange droite/gauche similaire.

    Est-ce la victoire du « Conservatisme pour les pauvres » que vous avez théorisé ?

    Dans un certain sens, c'est à une victoire « inversée » du Red Toryism à laquelle nous avons assisté. Ce que je cherchais à promouvoir en effet, c'était l'alliance du meilleur de la tradition de droite et de celle de la gauche dans un nouveau discours positif. Ce qui est à l'œuvre ici, c'est la naissance d'un composé hybride d'une toute autre nature, au sein duquel ce serait au contraire les gènes récessifs des deux traditions qui se seraient associés dans leur mutation.

    Là où je proposais par exemple un affranchissement économique massif des plus pauvres, au moyen d'une redistribution de l'accès à la propriété, les voilà qui mettent en avant la promotion de l'Etat providence, une politique qui a échoué de manière désastreuse par le passé. Que produit l'Etat providence en effet, sinon la perte de l'autonomie des individus et l'érosion de leur sens de la propriété, ainsi que la légitimation délétère d'une culture de l'assistance. De la droite, je garde l'idÃ

  • Église : sortir de l'ambiguïté

     

    Par Hilaire de Crémiers 

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    Analyse : situation terrible de l'Eglise catholique et terrible analyse - fleuve - dont on pourra débattre.  LFAR

    Mgr Carlo Maria Vigano, ancien Nonce apostolique aux États-Unis, a cru de son devoir de publier le 25 août dernier une lettre signée du 22 août sous forme de témoignage pour mettre le pape François et la hiérarchie de l’Église devant leur responsabilité dans l’effroyable problème que révèle la découverte des innombrables crimes sexuels commis par des membres du clergé et volontairement tenus cachés. 

    “Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toutes parts. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ! C’est nous-mêmes qui te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes. Prends pitié de ton Église… Â»

    C’était en mars 2005. Jean-Paul II était mourant. Le cardinal Joseph Ratzinger présidait à la place du pape le chemin de croix qui se déroule traditionnellement au Colisée. Nul doute aujourd’hui, pour qui cerne l’histoire de cette période de l’Église, que celui qui était alors encore le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, pensait, en prononçant ces mots terribles, d’abord et surtout, aux crimes d’homosexualité, de pédophilie et d’abus sexuels de toutes sortes perpétrés dans un cadre ecclésiastique au cours des quarante précédentes années et dont s’étaient rendus coupables des membres du clergé à tous les niveaux. Les scandales commençaient à éclater un peu partout sur tous les continents et éclaboussaient jusqu’aux sommets de la hiérarchie qui se taisait.

    Le temps de Jean-Paul II

    Jean-Paul II avait exercé son charisme personnel dans sa fonction pour redynamiser une Église qui en avait bien besoin après les années dites « conciliaires Â» dont le pape Paul VI, sur la fin de son pontificat, effrayé de résultats qui n’étaient, certes, pas prévus, s’affligeait lui-même. Il en était quelques autres qui avaient joué un rôle important lors du Concile, comme théologiens ou experts, et qui, eux aussi, étaient consternés par une évolution en forme de dégradation doctrinale, morale et liturgique qui n’avait plus rien à voir avec le renouveau souhaité ou imaginé. En étaient, entre autres, le Père de Lubac, le Père Daniélou, promus cardinaux par Jean-Paul II ; Joseph Ratzinger aussi. D’où leur volonté de réformer la réforme afin de l’inscrire dans la continuité de l’Église en éliminant peu à peu les herméneutiques de la rupture.

    Jean-Paul II, en lutteur polonais qui s’était exercé avec succès contre le communisme athée, avait parcouru le monde à grandes enjambées et rassemblé les foules – et surtout les jeunes – pour leur rendre confiance et leur rappeler – pour les catholiques – les articles de la foi et les principes de la morale. De grands textes, souvent, d’ailleurs, inspirés par son cardinal théologien Ratzinger, ponctuaient ce parcours, de Veritatis splendor à Fides et ratio, ainsi que toute une série d’exhortations et d’admonestations. Ce qui ne l’avait pas empêché, en faisant fi de toutes les contradictions, de persévérer, tout autant, dans un œcuménisme sans frontière et dans une vision des droits de l’Homme qui lui servait depuis toujours de fer de lance et qu’il prétendait ramener dans une direction divine en l’incluant dans une vaste conception théologique, philosophique et éthique. Sa philosophie inspirée de la phénoménologie moderne lui permettait des synthèses surprenantes. Joseph Ratzinger ne pouvait s’empêcher sur ces points d’avoir, sinon de manifester, des réticences malgré toute l’admiration, voire la dévotion que portait à son pape le cardinal théologien : en particulier les réunions d’Assise qui, du strict point de vue de l’affirmation de la foi catholique, n’étaient pas acceptables.

    Toujours est-il que Jean-Paul II, tout donné à son lien direct avec le peuple fidèle et à sa relation personnelle avec le monde, ne se préoccupait pas du gouvernement de l’Église. Les services de la curie fonctionnaient par eux-mêmes selon les directions des cardinaux concernés et des autres prélats curiaux laissés à leur jugement… et à leurs calculs ou ambitions. Et de même les Églises locales sous la houlette de leurs conférences épiscopales, leurs bureaux, leurs commissions et on sait ce que ces mots veulent dire. Tout cela est certain et n’a pas manqué d’être noté par les historiens et les essayistes les plus sérieux. Est-il permis de le dire ? Le clergé, du bas en haut et du haut en bas, était livré à lui-même et il n’y a rien de pire. Surtout dans les exaltations malsaines de prétendus changements radicaux qui devaient tout bouleverser ! Et pourquoi pas, après la doctrine, les mœurs ? Précisons qu’il n’y a pas que ce qu’on appelle « la gauche Â» qui se livrait à ce genre de libération… théologique et éthique. D’autres qui seraient qualifiés « de droite Â», pouvaient aussi bien tomber dans le même piège de l’autosuffisance et du narcissisme doctrinal et moral. Tout est permis à qui se croit au-dessus.

    En raison de son expérience polonaise dans un régime qui tentait par tous les moyens de la calomnie de déstabiliser l’Église, Jean-Paul II refusait d’envisager la responsabilité pénale du clergé et, mis devant des accusations, les traitait de rumeurs. C’est ainsi qu’il avait soutenu et promu Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, dont il louait les œuvres, en effet, impressionnantes alors que des faits certains commençaient à être communiqués au Saint-Siège. La secrétairerie d’État opposait la plus grande inertie. Le cardinal Sodano, tout à sa politique, ne traitait pas les vrais problèmes. L’institution occultait et faisait semblant de tout ignorer. « Et ce n’est pas pécher que pécher en silence… Â» !

    C’est dans ces circonstances que, sans porter de jugement sur les personnes en responsabilité, avec la discrétion requise, Joseph Ratzinger de sa propre initiative décida d’attraire devant son dicastère les cas qui lui étaient signalés. Il savait donc. Pas tout. À cette époque, loin de là ; mais il fut atterré. La perversité des ecclésiastiques lui était intolérable. Il ne la comprenait même pas ! D’où cette prière d’épouvante lors du Chemin de Croix de mars 2005. Ce ne fut que le début d’une longue agonie. Coepit contristari et maestus esse, pavere et taedere.

    Le temps de Benoît XVI

    Le 2 avril suivant, Jean-Paul II mourait. Doyen du Sacré-Collège, Joseph Ratzinger prépara le conclave. Il en sortit pape. Des indiscrétions – qui, d’ailleurs, peinèrent Ratzinger- â€“, donnèrent à savoir le nom de son principal concurrent : Jorge Mario Bergoglio.

    Une fois sur la chaire de saint Pierre, celui qui était devenu Benoît XVI mesura peu à peu toute l’ampleur du problème. C’est lui et lui seul qui résolut la terrible affaire des Légionaires du Christ, en sauvant les âmes et en préservant les œuvres bonnes, car l’homme de foi était aussi un homme de charité. Cependant, les faits dénoncés et les plaintes émises se multipliaient de tous côtés ; c’est encore lui qui prescrivit alors les règles de la plus stricte vérité et de la plus rigoureuse justice, y compris devant les institutions civiles. Cependant il s’avéra qu’il avait dans son propre entourage de cardinaux et de prélats des hommes qui par suffisance ou insuffisance – prétention souvent doublée d’incompétence – ne voulaient pas comprendre. Inutile ici de donner des noms : tout est maintenant parfaitement connu des personnes averties. C’est comme si tout avait été fait pour écœurer, pire encore, pour faire tomber Benoît XVI ; aucun mauvais procédé ne lui aura été épargné : stupidité, immoralité, désir de vengeance ; et ce besoin de couvrir les réseaux et de se couvrir soi-même. Il ne s’agissait plus que de l’accabler.

    Toutefois, la gravité extrême des faits posait une question plus profonde. Les dérives des mœurs sont les signes des déviations de la foi. Il est toujours possible pour un catholique de se reconnaître pécheur et donc d’essayer de s’amender. Le mal est sans recours quand on s’accorde la facilité de se faire un Dieu et une religion à sa façon. Le mot « amour Â» mis à toutes les sauces suffit à justifier tout et n’importe quoi, y compris le pire, en échappant aux vérités de la nature et aux dogmes de la foi. Charles Maurras – eh oui ! – qui a tout vu, de son regard aigu, dès le début du XXe siècle, des conséquences des erreurs progressistes et modernistes dont l’Église allait pâtir pendant plus d’un siècle, écrivait en 1905 : « Dieu est tout amour, disait-on. Que serait devenu le monde si retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que tout amour est Dieu ? Â»

    C’est exactement la question. Ces messieurs ont tout simplement décidé de justifier toutes leurs amours : l’homme, le monde, leurs choix idéologiques et tout aussi bien, leurs amours irrégulières ou singulières. Or, le problème commence quand on fait la théorie de son cas, pensées, mœurs, passions, goût du pouvoir. Quand on se fait soi-même sa propre théorie du salut, quand on estime qu’on n’a pas besoin de salut ou qu’on est au-dessus, c’est fini. Le salut peut être devant soi, on ne le voit pas, on le méprise, on le dénigre, on le traite de Satan. C’est le péché contre l’Esprit.

    Benoît XVI a donc tenté un redressement de la foi pour opérer un redressement de la barque de Pierre. Et avec quel enseignement de la plus grande précision ! il en a été traité à plusieurs reprises dans ces colonnes. Ce n’est pas le lieu ici d’y revenir. Il voulait renouer tous les fils rompus. Penser juste et vrai, prier en beauté et en conscience aiderait à agir en conformité avec l’Évangile de Jésus-Christ. Eh bien, l’homme qui ne voulait pas être pape,– pour reprendre le titre du beau livre de Nicolas Diat – a pris finalement et personnellement la décision de renoncer au ministère d’évêque de Rome, successeur de saint Pierre ; il arguait de son manque de force. Après tant d’épreuves !

    Le temps de François

    C’est ainsi que le cardinal Bergoglio fut élu. Jésus, le diable et, à l’appui, citation de Léon Bloy, on crut à ses premiers propos aux cardinaux qu’il allait proposer une radicalité évangélique de bon aloi. Il s’y mêla très vite d’autres ingrédients. L’Église eut droit, en plus d’une dialectique sur les pauvres qui prit la forme d’unique spiritualité et qui tourna à la mystique des migrants et, pour parler comme Péguy, à la politique de la migration universelle, à une autre dialectique dite de « l’ouverture Â» qui devint un système de gouvernement, une méthode politique d’exercice du pouvoir. Tout ce qui s’opposait aux projets pontificaux étaient mis sur le compte d’un esprit de « fermeture Â», d’obstination dans des doctrines passées et donc dépassées.

    Tout y passa, en effet : cela alla de l’éloge incon-sidéré de Luther qui mettait à mal la foi catholique, aux subtiles transformations de la règle morale par toutes sortes de procédés prétendument démocratiques et évidemment abusifs. Les quelques jésuites sans foi ni loi, et connus comme tels, qui ont tout oublié de saint Ignace et bafouent les Exercices spirituels qui devraient être leur règle de vie, gravitant dans l’entourage du pape, menaient la danse : une casuistique invraisemblable, à faire frémir Pascal, autorisait toutes « les ouvertures Â». Cependant le pape se créa à la Maison Sainte-Marthe son propre appareil de gouvernement avec ses hommes à lui, ses cardinaux nommés par lui, en doublon de la curie qu’il se contentait d’invectiver chaque année régulièrement.

    Le dernier voyage de François à Dublin en Irlande, les samedi 25 et dimanche 26 août, fut typique de cette manière de faire. Il écrit, la semaine précédente, une Lettre au peuple de Dieu qui, devant la montée des scandales, dénonce avec une extrême vigueur les abus sexuels sur mineurs, mais ce sont des mots, car la Lettre ne vise jamais le péché en tant que tel des pratiques de l’homosexualité et de la pédérastie ; et il se rend ensuite à la 9e Rencontre mondiale des familles à Dublin dans une Irlande catholique blessée par ces horribles comportements. Là, tout est arrangé pour orienter cette rencontre qui concerne la famille dans sa sainteté, sur « l’accueil des divorcés remariés selon Amoris laetitia Â» et sur « l’accueil et le respect dans les paroisses des LGBT et leurs familles Â». Il fallait l’oser ! Alors à quoi sert de demander pardon, de se lamenter en fustigeant toute l’Église qui n’en peut mais, en dénonçant dans les crimes perpétrés, non pas le péché en lui-même que constitue l’abus sur mineurs, mais ce qui est requalifié de cléricalisme ! Ah, si ce n’est pas précisément du cléricalisme, cette manière de procéder…

    François pour ces journées s’est fait accompagner, comme par hasard, de ceux qui participent du même système : le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, Oscar Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa au Honduras, membre de son C9, Blase Cupich, créé cardinal par lui, archevêque de Chicago, des noms qui ont été cités – à tort ou à raison – dans des affaires de ce genre, comme ceux de Wuerl, archevêque de Washington, et de O’Malley, archevêque de Boston, qui aussi étaient invités et qui ne sont pas venus, car ils doivent faire face eux-mêmes à la tourmente ! Le jésuite américain, James Martin, directeur de la revue America, connu pour ses positions ouvertement LGBT, était bien là, lui aussi, chargé de faire sa propagande ignoble. Et François, là-dessus, au retour dans l’avion essaya de noyer la question en parlant de psychiatrie. Il n’y a donc aucune autorité dans l’Église pour dire : ça suffit ! Alors que tout le monde sait que le mal a ravagé des églises entières, que le procureur de l’État de Pennsylvanie, Josh Shapiro, vient de faire savoir que le Vatican et les autorités ecclésiastiques connaissaient les ignominies commises sur des enfants par près de 300 prêtres dans ce seul État, qu’il en est de même au Chili, en Australie, en Irlande, et encore, et encore…Même s’il s’agit d’une minorité, c’est bien trop ! Ne serait-ce que pour que l’Église hiérarchique et l’ensemble des prêtres qui ont donné leur vie au Christ, ne soient pas compromis dans cet affreux trafic d’influence. Car qu’est-ce d’autre ?

    Il est donc compréhensible que Mgr Carlo Maria Vigano ait cru bon d’écrire sa lettre ouverte au pape. Ancien Délégué aux représentations pontificales auprès de la secrétairerie d’État, puis nonce apostolique à Washington, il fut par ses fonctions informé de suffisamment de faits à la suite de ses prédécesseurs pour se croire obligé d’en référer aux plus hautes autorités, en particulier s’agissant des abus sexuels perpétrés par l’ancien archevêque de Washington, le cardinal McCarrick, doublés de sollicitatio ad turpia et de sacrilèges eucharistiques. Sa lettre est parfaitement documentée, précise ; et les faits monstrueux de perversion sont connus et sont si avérés qu’à la demande de François McCarrick a été obligé de présenter sa démission du collège cardinalice en juillet dernier. Mais, auparavant, qu’en était-il, s’il est vrai que, de fait, Benoît XVI avait déjà pris des décisions à son encontre ?

    Ce n’est pas tout, car Mgr Vigano dénonce tout un système de connivences, de nominations, de réseaux homosexuels qui contamine l’Église. Combien d’autorités impliquées ? Et jusqu’où…

    Le pape François ne saurait d’aucune manière et à aucun titre couvrir de son autorité de telles turpitudes : c’est une évidence. Il en va du respect de sa propre fonction que tout catholique est tenu de respecter, à commencer par lui-même. Le pape est souverain ; il a le droit de ne pas rÃ

  • La Côte d’Ivoire devient le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest, par Ilyes Soua­ri*.

    Après avoir dépas­sé le Kenya, la Côte d’Ivoire, pays fran­co­phone au sous-sol pauvre, a réus­si l’exploit de dépas­ser ses deux voi­sins regor­geant de richesses natu­relles que sont le Gha­na et le Nige­ria, pour deve­nir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest, selon les don­nées révi­sées de la Banque mon­diale.

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    Selon les sta­tis­tiques récem­ment publiées par la Banque mon­diale, le PIB par habi­tant de la Côte d’Ivoire s’établissait à 2 286 dol­lars fin 2019, soit un niveau désor­mais supé­rieur à ceux du Gha­na (2 202 dol­lars) et du Nige­ria (2 230 dol­lars). Et ce, contrai­re­ment à ce que lais­saient pré­voir les don­nées publiées ces der­nières années par l’organisme, avant que la Côte d’Ivoire ne béné­fi­cie, à son tour, d’une mise à jour de la base de cal­cul de son PIB. Un niveau qui, par ailleurs, dépasse main­te­nant lar­ge­ment celui du Kenya, qui s’élève à 1816 dol­lars.

    Un véri­table exploit, dû à une crois­sance record

    Cette grande per­for­mance consti­tue un véri­table exploit pour la Côte d’Ivoire, dont le sous-sol pauvre en matières pre­mières contraste avec ceux du Gha­na et du Nige­ria. En effet, le Gha­na est deve­nu le pre­mier pro­duc­teur d’or du conti­nent, avec une pro­duc­tion plus de quatre fois supé­rieure à celle de la Côte d’Ivoire (142,4 tonnes en 2019, contre seule­ment 32,5 tonnes, soit + 338 %). De plus, le pays fait désor­mais par­tie des pays pétro­liers du conti­nent, se clas­sant aujourd’hui à la qua­trième posi­tion en Afrique sub­sa­ha­rienne, devant le Gabon (avec une pro­duc­tion d’environ 200 000 barils par jour, contre moins de 40 000 pour le pays d’Houphouët-Boigny, soit cinq fois plus). Et ce, dans un domaine qui conti­nue à être lar­ge­ment domi­né par le Nige­ria, pre­mier pro­duc­teur d’or noir du conti­nent, avec une pro­duc­tion annuelle qui se situe, en moyenne, à envi­ron deux mil­lions de barils par jour.

    L’importante pro­gres­sion de la Côte d’Ivoire résulte de la très forte crois­sance que connaît le pays depuis plu­sieurs années. Sur la période de huit années allant de 2012 à 2019, période suf­fi­sam­ment longue pour pou­voir éta­blir des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales (et hors micro-États, et plus pré­ci­sé­ment Nau­ru, pays insu­laire du Paci­fique sud ne comp­tant que 11 mille habi­tants et pour un ter­ri­toire de seule­ment 21 km²), la Côte d’Ivoire a réa­li­sé la plus forte crois­sance au monde dans la caté­go­rie des pays ayant un PIB par habi­tant supé­rieur ou égal à 1 000 dol­lars, avec une crois­sance annuelle de 8,2 % en moyenne (6,9 % en 2019). Plus impres­sion­nant encore, elle se classe deuxième toutes caté­go­ries confon­dues, pays très pauvres inclus, fai­sant ain­si mieux que 30 des 31 pays au monde qui avaient un PIB par habi­tant infé­rieur à 1 000 dol­lars début 2012. La Côte d’Ivoire n’est alors dépas­sée que par l’Éthiopie, qui a connu une crois­sance annuelle de 9,2 % en moyenne (8,3 % en 2018). Une per­for­mance qui résulte essen­tiel­le­ment du très faible niveau de déve­lop­pe­ment de ce pays d’Afrique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012 et qui en demeure un des plus pauvres avec un PIB par habi­tant de seule­ment 857 dol­lars, fin 2019 (soit près de 2,7 fois moins que la Côte d’Ivoire). Sur cette même période de huit années, le Gha­na et le Nige­ria ont enre­gis­tré, res­pec­ti­ve­ment, une crois­sance annuelle de 5,7 % et de 2,9 % en moyenne.

    Un pays par­ti­cu­liè­re­ment dyna­mique et en chan­tier

    Les résul­tats de la Côte d’Ivoire s’expliquent par les pro­fondes réformes réa­li­sées par le pays afin d’améliorer le cli­mat des affaires, ain­si que par une poli­tique de déve­lop­pe­ment tous azi­muts et se maté­ria­li­sant notam­ment par de nom­breux chan­tiers d’envergure à tra­vers le pays. Plu­sieurs mesures ont en effet été prises afin de faci­li­ter et de sécu­ri­ser les inves­tis­se­ments, en vue d’instaurer un envi­ron­ne­ment favo­rable à ces der­niers : mise en place d’un nou­veau code des inves­tis­se­ments en 2012, d’un gui­chet unique de créa­tion d’entreprises, d’une pla­te­forme d’échanges pour cen­tra­li­ser les appuis des par­te­naires au déve­lop­pe­ment de l’environnement des affaires… Le tout, assor­ti d’une assez faible pres­sion fis­cale, de l’ordre de 14 % du PIB au total pour l’année 2019 (coti­sa­tions de sécu­ri­té sociale incluses).

    L’ensemble de ces mesures a ain­si per­mis à la Côte d’Ivoire de faire un bond consi­dé­rable dans le clas­se­ment inter­na­tio­nal Doing busi­ness, publié chaque année par la Banque mon­diale et rela­tif au cli­mat des affaires, en pas­sant de la 167e place en 2012 à la 110e pour l’année 2020. Dans ce clas­se­ment, elle fait donc désor­mais lar­ge­ment mieux que le Nige­ria (131e), ou encore que l’Éthiopie, pas­sée de la 111e à la 159e place sur la même période. Ce pays, où les répres­sions poli­cières et les ten­sions inter­eth­niques ont fait plu­sieurs cen­taines de morts ces quelques der­nières années, est d’ailleurs l’un des pays qui connaissent les plus fortes ten­sions sociales sur le conti­nent, avec l’Afrique du Sud (où l’on compte plus de 15 000 homi­cides par an).

    Cette impor­tante pro­gres­sion de la Côte d’Ivoire s’accompagne éga­le­ment d’une remar­quable maî­trise de l’inflation (comme dans l’ensemble de l’espace UEMOA), qui s’est située à seule­ment 0,8 % en moyenne annuelle sur la période de huit années allant de 2012 à 2019, selon les der­nières don­nées de la Banque mon­diale. Un taux par­ti­cu­liè­re­ment bas, notam­ment en com­pa­rai­son avec le Gha­na et Nige­ria, dont les popu­la­tions ont gran­de­ment souf­fert d’une infla­tion qui s’est éta­blie à 11,9 % et à 11,6 % par an, en moyenne et res­pec­ti­ve­ment, et ce mal­gré une crois­sance lar­ge­ment infé­rieure à celle de la Côte d’Ivoire. Ces deux pays souffrent d’ailleurs éga­le­ment d’une impor­tante dol­la­ri­sa­tion de leur éco­no­mie, la mon­naie natio­nale étant sou­vent refu­sée et sub­sti­tuée par le dol­lar dans les échanges éco­no­miques quo­ti­diens. Enfin, la Côte d’Ivoire n‘oublie pas d’investir mas­si­ve­ment dans l’éducation et la for­ma­tion, dont les dépenses avaient atteint jusqu’à 27 % du bud­get natio­nal en 2017 (un des taux les plus éle­vés du conti­nent). Sur les cinq der­nières années, autant de classes ont d’ailleurs été ouvertes à tra­vers le pays qu’au cours des vingt années pré­cé­dentes. Une accé­lé­ra­tion qui s’explique, notam­ment, par la sco­la­ri­sa­tion ren­due obli­ga­toire à par­tir de la ren­trée 2015 pour les enfants âgés de 6 à 16 ans. Au pas­sage, il convient de rap­pe­ler que la maî­trise de l’inflation et la for­ma­tion, deux élé­ments ayant une inci­dence cer­taine sur l’environnement des affaires, ne sont pas pris en compte par l’enquête annuelle Doing busi­ness de la Banque mon­diale. Ce qui consti­tue une lacune fort regret­table, et péna­li­sante pour le clas­se­ment de la Côte d’Ivoire (tout comme le sont, dans un autre registre, les don­nées ser­vant à l’ONU de base de cal­cul pour l’indice de déve­lop­pe­ment humain, mais qui sont en géné­ral rela­ti­ve­ment anciennes pour les pays en déve­lop­pe­ment, et qui ne prennent donc pas en consi­dé­ra­tion les toutes der­nières évo­lu­tions éco­no­miques et sociales).

    Cet envi­ron­ne­ment par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable aux inves­tis­se­ments que connait aujourd’hui la Côte d’Ivoire s’accompagne d’une poli­tique ambi­tieuse de déve­lop­pe­ment et de grands chan­tiers, dans tous les domaines : routes, ponts, trans­ports publics (comme le futur tram­way d’Abidjan), cen­trales élec­triques, hôpi­taux, réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, indus­tries de base… et ce, sans oublier l’agriculture qui conti­nue à se déve­lop­per, le pays étant même deve­nu récem­ment le pre­mier pro­duc­teur mon­dial de noix de cajou (en plus d’être déjà le pre­mier pro­duc­teur de cacao). Des noix de cajou qui sont d’ailleurs par­tiel­le­ment trans­for­mées par des machines de fabri­ca­tion ivoi­rienne, grâce à une entre­prise locale qui la seule du type en Afrique sub­sa­ha­rienne. Pour leur part, les sec­teurs de la tech­no­lo­gie et de l’informatique se déve­loppent eux aus­si assez rapi­de­ment, notam­ment avec la mul­ti­pli­ca­tion des jeunes pousses (ou start-up), ou encore avec la construc­tion d’une usine d’assemblage d’ordinateurs qui contri­bue à la réa­li­sa­tion du pro­jet natio­nal « un citoyen, un ordi­na­teur ». Une fabri­ca­tion locale qui consti­tue une avan­cée rare sur le conti­nent. Quant à l’électrification du pays, point d’une grande impor­tance pour la réus­site de toute poli­tique de déve­lop­pe­ment, le taux de cou­ver­ture est pas­sé de 33 % des loca­li­tés ivoi­riennes début 2012 à 73 % au mois de mai 2020. Et ce, avec une aug­men­ta­tion paral­lèle du taux d’accès à l’électricité, qui atteint désor­mais près de 90 % de la popu­la­tion du pays. Sur la même période, celui-ci a connu une pro­gres­sion d’environ 60 % de sa pro­duc­tion d’électricité, deve­nant un des prin­ci­paux expor­ta­teurs en la matière sur le conti­nent (11 % de la pro­duc­tion ivoi­rienne est actuel­le­ment expor­tée vers un total de six pays d’Afrique de l’Ouest).

    Par ailleurs, la Côte d’Ivoire com­mence enfin à s’intéresser au déve­lop­pe­ment du sec­teur tou­ris­tique, encore embryon­naire. Une situa­tion tota­le­ment anor­male pour un pays qui ne manque pas d’atouts en la matière, et que le monde doit enfin connaître et décou­vrir. À titre d’exemple, la qua­si-inté­gra­li­té de la popu­la­tion fran­çaise (et donc éga­le­ment des autres popu­la­tions occi­den­tales) ignore l’existence même de la Basi­lique Notre-Dame de la Paix de Yamous­sou­kro, qui n’est autre que le plus grand édi­fice chré­tien au monde, et qua­si-réplique de la basi­lique Saint-Pierre de Rome. Une situa­tion absurde qui résulte de la longue négli­gence dont a souf­fert le sec­teur du tou­risme, contrai­re­ment à ce que l’on observe dans des pays comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, ou encore la Tuni­sie et le Maroc, qui inves­tissent depuis long­temps dans ce domaine qui contri­bue de manière impor­tante à leur déve­lop­pe­ment. Au pas­sage, il convient de rap­pe­ler que la Côte d’Ivoire est un pays bien plus grand qu’on ne le pense, étant, par exemple, légè­re­ment plus éten­due que l’Italie et un tiers plus vaste que le Royaume-Uni, et non deux ou trois plus petite comme l’indique la majo­ri­té des cartes géo­gra­phiques en cir­cu­la­tion (y com­pris en Afrique). Des cartes qui dressent géné­ra­le­ment une repré­sen­ta­tion ter­ri­ble­ment défor­mée des conti­nents, en rédui­sant consi­dé­ra­ble­ment la taille des pays du Sud.

    La rapide pro­gres­sion de l’Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone

    Ces dif­fé­rents élé­ments font que la Côte d’Ivoire devrait conti­nuer à connaître une crois­sance robuste dans les pro­chaines années, du moins une fois que la crise mon­diale majeure liée au Covid-19 sera pas­sée (et dont les consé­quences défi­ni­tives pour l’année en cours, et pour l’ensemble du conti­nent, ne peuvent encore être cor­rec­te­ment esti­mées). Le pays devrait même, à moyen terme, dépas­ser en richesse la Tuni­sie, pour deve­nir le pre­mier pays d’Afrique sub­sa­ha­rienne au sous-sol pauvre à dépas­ser, dans l’histoire, un pays d’Afrique du Nord. La Côte d’Ivoire fait d’ailleurs par­tie de l’espace UEMOA, qui n’est autre que la plus vaste zone de forte crois­sance du conti­nent, avec une hausse annuelle du PIB de 6,4 % en moyenne sur la période de huit années allant de 2012 à 2019. Un espace fai­sant lui-même par­tie de l’Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone, qui consti­tue glo­ba­le­ment la zone la plus dyna­mique – et his­to­ri­que­ment la plus stable – du conti­nent, dont elle a enre­gis­tré en 2019 les meilleures per­for­mances éco­no­miques pour la sixième année consé­cu­tive et pour la sep­tième fois en huit ans. Sur la période 2012 – 2019, la crois­sance annuelle de cet ensemble de 22 pays s’est ain­si éta­blie à 4,4% en moyenne (5,0 % hors cas très par­ti­cu­lier de la Gui­née équa­to­riale), contre 2,8% pour le reste de l’Afrique sub­sa­ha­rienne.

    Un dyna­misme par ailleurs sou­te­nu par une assez bonne maî­trise de la dette publique, les pays fran­co­phones n’étant qu’au nombre de deux par­mi les dix pays les plus endet­tés du conti­nent (à savoir la Mau­ri­ta­nie et le Congo-Braz­za­ville, qui n’arrivent, res­pec­ti­ve­ment, qu’à la 9e et à la 10e place début 2020, selon le FMI). Une maî­trise de la dette qui fait que l’Afrique fran­co­phone sera glo­ba­le­ment mieux armée pour faire face à la pré­sente crise éco­no­mique inter­na­tio­nale. Pour la Côte d’Ivoire, cette dette s’est éta­blie à 38 % du PIB fin 2019 (après reba­sage tar­dif du PIB), soit un niveau lar­ge­ment infé­rieur à celui de la grande majo­ri­té des pays déve­lop­pés, et un des taux les plus faibles du conti­nent (par exemple, lar­ge­ment infé­rieur à ceux du Gha­na, 63,8 %, et du Kenya, 61,6 %).  

    Par ailleurs, il est à noter qu’il n’y a désor­mais plus qu’un seul pays fran­co­phone par­mi les cinq pays les plus pauvres du conti­nent, tous situés en Afrique de l’Est (en l’occurrence le Burun­di, avec quatre pays anglo­phones que sont le Sou­dan du Sud, deve­nu le pays le plus pauvre du monde, le Mala­wi, la Soma­lie et le Sou­dan). Enfin, il n’y a aujourd’hui plus aucun pays fran­co­phone dans les six der­nières places du clas­se­ment inter­na­tio­nal rela­tif au cli­mat des affaires de la Banque mon­diale, désor­mais majo­ri­tai­re­ment occu­pées par des pays anglo­phones (en 2012, cinq des six der­niers pays étaient fran­co­phones).

    Cette évo­lu­tion glo­ba­le­ment favo­rable de l’Afrique fran­co­phone n’était d’ailleurs pas aus­si faci­le­ment pré­vi­sible il y a quelques décen­nies, au moment des indé­pen­dances. En effet, il convient de rap­pe­ler que le Royaume-Uni avait pris le contrôle des terres les plus fer­tiles du conti­nent (le Gha­na, la Nige­ria – avec le del­ta du fleuve Niger et ses affluents, le Sou­dan et le Sou­dan su Sud – avec le Nil et ses affluents, la Tan­za­nie, le Zim­babwe…), ain­si que des ter­ri­toires les plus riches en matières pre­mières (les trois pre­miers pays pro­duc­teurs d’or du conti­nent, que sont le Gha­na, le Sou­dan et l’Afrique du Sud – long­temps pre­mier pro­duc­teur mon­dial en la matière, le pre­mier pro­duc­teur de pétrole qu’est le Nige­ria – devant l’Angola, ancienne colo­nie por­tu­gaise, le pre­mier pro­duc­teur de dia­mants qu’est le Bots­wa­na, ou encore le deuxième pro­duc­teur de cuivre qu’est la Zam­bie). L’Afrique fran­co­phone a donc réus­si son rat­tra­page par rap­port au reste du conti­nent, dont elle consti­tue même désor­mais la par­tie la plus pros­père, glo­ba­le­ment (ou la moins pauvre, selon la manière de voir les choses). Des pays comme le Mali et Bénin, qui ne font pour­tant pas par­tie des pays les plus riches d’Afrique de l’Ouest, ont même un PIB par habi­tant supé­rieur à des pays comme l’Éthiopie ou le Rwan­da, situés en Afrique de l’Est et béné­fi­ciant étran­ge­ment d’une cou­ver­ture média­tique exa­gé­ré­ment favo­rable.

    Le déclin éco­no­mique du Nige­ria, et son inci­dence sur une éven­tuelle mon­naie unique ouest-afri­caine

    Depuis plu­sieurs années, l’économie du Nige­ria est en déclin et le pays en voie d’appauvrissement constant. En effet, celui-ci (et comme l’Afrique du Sud, par ailleurs), affiche chaque année un taux de crois­sance éco­no­mique très faible et lar­ge­ment infé­rieur à son taux de crois­sance démo­gra­phique, contrai­re­ment aux pays fran­co­phones qui l’entourent. Ain­si, la hausse du PIB n’a été que 1,2 % en moyenne annuelle sur les cinq der­nières années (2015 – 2019), contre une crois­sance démo­gra­phique de 2,6 % en moyenne sur la même période (com­pa­rable à celle de la Côte d’Ivoire, 2,4 %). Le Séné­gal et le Came­roun devraient d’ailleurs assez rapi­de­ment dépas­ser à leur tour le Nige­ria en matière de richesse par habi­tant (chose assez mécon­nue, le Came­roun connaît régu­liè­re­ment une crois­sance éco­no­mique deux à trois fois supé­rieure à celle du Nige­ria). À cette situa­tion, s’ajoutent de graves dif­fi­cul­tés struc­tu­relles aux­quelles fait face le pays, et qui se mani­festent notam­ment par une infla­tion assez forte (11,6

  • Dix choses à savoir sur le Rwanda... afin de ne plus se faire piéger, par Ilyes Zouari.

    Nous pro­po­sons cet article paru il y a un an sur l’affaire du Rwan­da, que nous adresse ILYES ZOUARI Pré­sident et co-fon­da­teur du « Centre d’é­tude et de réflexion sur le monde fran­co­phone » (CERMF), que nos habi­tués connaissent bien.

    5.jpgPour ceux qui se perdent un peu sur les posi­tion­ne­ments géo­po­li­tiques de la France en Afrique et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur le géno­cide du Rwan­da, cet article a le mérite de rap­pe­ler des faits et les don­nées éco­no­miques qui ont conduit au désastre huma­ni­taire et au déchai­ne­ment de cruau­té que nous connais­sons. Nous invi­tons nos « inter­nautes » à prendre connais­sance de cet article, comme éclai­rage préa­lable avant la dif­fu­sion de nou­veaux élé­ments venant appuyer ces révé­la­tions, deux vidéos récentes de la très cou­ra­geuse Judi Rever au sujet du géno­cide rwan­dais, et mises en ligne suite à la publi­ca­tion du livre « Rwan­da : l’E­loge du sang » (récom­pen­sé au Cana­da, mais qui a failli être cen­su­ré en France !), qui seront mises en ligne dès demain sur ce site et qui rendent jus­tice notam­ment des accu­sa­tions por­tées contre l’armée fran­çaise (NDLR)

     

     Si tous les pays du monde, y com­pris les pays occi­den­taux, pra­tiquent la pro­pa­gande d’une manière ou d’une autre, ce qui est dif­fé­rent dans le cas du Rwan­da est que le régime à la tête de ce pays se livre à un usage exces­sif de cette arme de com­mu­ni­ca­tion. Une méthode qui nous rap­pelle celle de cer­tains pays com­mu­nistes de l’époque de la guerre froide, et un niveau de pro­pa­gande qui n’avait encore jamais été atteint par un autre pays afri­cain.

      Un an après la dési­gna­tion de l’ancien numé­ro deux du régime rwan­dais à la tête de l’Organisation inter­na­tio­nale de la Fran­co­pho­nie (OIF), lors du som­met d’Erevan des 11 et 12 octobre 2018, voi­ci donc dix points à connaitre sur le Rwan­da afin de réta­blir la véri­té :  cinq points d’ordre éco­no­mique et social, et cinq autres d’ordre poli­tique.

      1. Le Rwan­da est l’un des pays les plus pauvres du conti­nent, avec un PIB par habi­tant de seule­ment 773 dol­lars début 2019, selon les don­nées four­nies par la Banque mon­diale. Un niveau plus faible que celui de nom­breux pays d’Afrique sub­sa­ha­rienne pauvres en richesses natu­relles, comme la Séné­gal (1522 dol­lars, soit +97 %), le Mali (901 dol­lars, soit +17 %), le Bénin (902 dol­lars, soit +17%) ou encore la Côte d’Ivoire (1715 dol­lars, soit +122 %). Un écart très impor­tant avec ce der­nier pays, mais qui n’a pour­tant pas per­mis au Rwan­da de réa­li­ser une crois­sance éco­no­mique supé­rieure ou égale sur les sept der­nières années (période 2012- 2018).

      2. De 2014 à 2018, des popu­la­tions du sud et du nord-est du pays ont été frap­pées par une grave crise ali­men­taire, suite à une séche­resse ayant éga­le­ment tou­ché d’autres pays d’Afrique de l’Est. Cepen­dant, le gou­ver­ne­ment rwan­dais a été le der­nier des gou­ver­ne­ments de la région à recon­naître cette situa­tion dra­ma­tique et à deman­der, en cati­mi­ni en 2016, l’appui du Pro­gramme ali­men­taire mon­dial (PAM, une des struc­tures de l’ONU), pré­fé­rant ain­si lais­ser se dégra­der la san­té d’une par­tie de la popu­la­tion plu­tôt que de faire connaître son échec à sub­ve­nir aux besoins les plus élé­men­taires des habi­tants du pays. Une atti­tude qui rap­pelle, jus­te­ment, celle de pays tota­li­taires com­mu­nistes de l’époque de la Guerre froide.
    Le mot N’arama, qui signi­fie « que ta vie soit longue » en Kinyar­wan­da (pre­mière langue du pays), est d’ailleurs un des termes uti­li­sés par les popu­la­tions concer­nées pour dési­gner dis­crè­te­ment cette période de qua­si-famine, afin de ne pas se faire arrê­ter par la police ou par l’armée.
     Mais à cette crise ali­men­taire s’ajoute à un autre pro­blème struc­tu­rel et tou­chant, à divers degrés, toutes les régions rurales du pays : celui de la mal­nu­tri­tion chro­nique des enfants de moins de cinq ans. Selon les der­nières don­nées dis­po­nibles (offi­cielles et reprises par l’ONU), 37 % des enfants rwan­dais de cette tranche d’âge étaient frap­pés par ce pro­blème en 2017. À titre de com­pa­rai­son, ce taux n’était pas bien plus impor­tant en RDC voi­sine (43%), qui connaît pour­tant de graves dif­fi­cul­tés.

     3. Dans le « pays des mille col­lines », de nom­breux chô­meurs sont offi­ciel­le­ment consi­dé­rés comme des « agri­cul­tures », pro­fes­sion auto­ma­ti­que­ment enre­gis­trée par l’ad­mi­nis­tra­tion. De même, de nom­breuses per­sonnes se livrant, hélas, à la pros­ti­tu­tion, sont éga­le­ment « agri­cul­trices ». Cette poli­tique per­met ain­si de pré­sen­ter des sta­tis­tiques offi­cielles fort éloi­gnées de la réa­li­té, sur le niveau réel de pau­vre­té dans le pays.
    À tel point que nom­breux sont les experts, tra­vaillant au sein d’institutions inter­na­tio­nales ou pour des orga­nismes de recherche pri­vés, à ne plus accor­der le moindre cré­dit aux chiffres offi­ciels pré­sen­tés par le régime. En se basant sur dif­fé­rentes don­nées, un expert inter­na­tio­nal belge était par­ve­nu à la conclu­sion que la grande pau­vre­té aurait pro­gres­sé de six points de pour­cen­tage entre 2010 et 2014 (pas­sant de 44,9 % à près de 51 %, avant la séche­resse), alors que les auto­ri­tés annon­çaient une baisse signi­fi­ca­tive et du même ordre, à 39,1% !  Autre exemple, un ancien expert de la Banque mon­diale, Bert Inge­laere, publiait en 2017 un article inti­tu­lé « Le pré­sident pour tou­jours du Rwan­da », et dans lequel il disait que sa hié­rar­chie avait déci­dé de détruire toutes les infor­ma­tions récol­tées sur place lors d’une vaste étude sur la pau­vre­té, menée par lui-même et par d’autres spé­cia­listes de l’organisation, suite aux pres­sions exer­cées par le régime rwan­dais et avant que la moindre ana­lyse des don­nées ne soit effec­tuée. Par ailleurs, d’autres experts affirment éga­le­ment que le gou­ver­ne­ment rwan­dais a ten­dance à gon­fler les taux de crois­sance réa­li­sés par le pays, ou encore à réduire consi­dé­ra­ble­ment les taux réels d’inflation.

     De fortes cri­tiques qui, tou­te­fois, ne se font pas entendre au plus haut niveau de ces ins­ti­tu­tions, le régime rwan­dais béné­fi­ciant d’une pro­tec­tion totale et très active des États-Unis et du Royaume-Uni, qui avaient patiem­ment œuvré à ins­tal­ler Paul Kagame au pou­voir (en finan­çant et en armant le FPR – Front patrio­tique rwan­dais, qui, diri­gé par Paul Kagame, avait mul­ti­plié les attaques meur­trières au Rwan­da à par­tir de l’Ouganda au début des années 1990, sans ne jamais res­pec­ter le moindre accord de ces­sez-le-feu, et créant ain­si une cli­mat de peur et de para­noïa ayant tris­te­ment conduit au géno­cide. Un drame dont le fait déclen­cheur fut l’assassinat simul­ta­né de deux pré­si­dents, ceux du Rwan­da et du Burun­di, par le tir d’un mis­sile ayant abat­tu l’avion qui les trans­por­tait. Un double assas­si­nat unique dans l’histoire de l’humanité).

      4. Depuis plus de 20 ans, le Rwan­da est l’un des tous pre­miers pays béné­fi­ciaires de l’aide publique au déve­lop­pe­ment (APD) dans le monde. Sur la période de cinq années allant de 2013 à 2017, selon les der­nières don­nées de l’OCDE et pro­por­tion­nel­le­ment à sa popu­la­tion, le Rwan­da a été le troi­sième prin­ci­pal béné­fi­ciaire d’aides étran­gères sur l’ensemble du conti­nent afri­cain (hors pays en guerre, comme le Sou­dan du Sud, et hors très petits pays de moins d’un mil­lion d’habitants, essen­tiel­le­ment insu­laires). Avec une enve­loppe annuelle de 1,116 mil­liard de dol­lars en moyenne, il n’a été devan­cé, par habi­tant, que par le Libe­ria et la Sier­ra Leone (deux pays anglo­phones fai­sant par­tie des trois pays le plus pauvres d’Afrique de l’Ouest, avec le Niger).
    À titre de com­pa­rai­son, le Bénin et le Burun­di (pays voi­sin du Rwan­da, et un des quatre pays le plus pauvres du conti­nent, avec le Mala­wi, le Sou­dan du Sud et la Soma­lie), comptent une popu­la­tion à peu égale à celle du Rwan­da (10,6 et de 10,2 mil­lions d’habitants en moyenne sur cette période, res­pec­ti­ve­ment, contre 11,4 mil­lions, selon l’ONU), mais n’ont reçu que 572 et 522 mil­lions de dol­lars d’aide par année en moyenne, res­pec­ti­ve­ment. En d’autres termes, le Rwan­da a reçu 81 % et 91 % d’aides par habi­tant en plus que le Bénin et le Burun­di, res­pec­ti­ve­ment. Autre com­pa­rai­son pos­sible, l’Ouganda, autre pays voi­sin du Rwan­da et hui­tième pays le pauvre du conti­nent (avec un PIB de 643 dol­lars, début 2019), n’a béné­fi­cié que de moi­tié plus d’aides sur la même période (1,745 Md de dol­lars par année en moyenne), alors que le pays est 3,4 fois plus peu­plé. Ain­si, le Rwan­da a pro­por­tion­nel­le­ment reçu 116 % d’aides sup­plé­men­taires par habi­tant que son voi­sin du nord.
    Ces finan­ce­ments mas­sifs que reçoit le régime rwan­dais sont prin­ci­pa­le­ment ver­sés par les États-Unis et le Royaume-Uni, ce qui démontre bien que la Rwan­da est par­ti­cu­liè­re­ment « ciblé » par les aides amé­ri­caines et bri­tan­niques. Compte tenu de la grande pau­vre­té qui frappe encore le pays (en dehors de sa capi­tale Kiga­li), de la très petite taille du ter­ri­toire rwan­dais (12 fois plus petit que la Côte d’Ivoire, par exemple, ce qui rend faci­le­ment acces­sible l’intégralité du ter­ri­toire, et bien plus facile la mise en œuvre d’une poli­tique natio­nale de déve­lop­pe­ment), et compte tenu des élé­ments se trou­vant dans le point n°5 (ci-des­sous), la ques­tion qu’il convient de se poser légi­ti­me­ment est donc la sui­vante : où va l’argent ?

     5. Depuis 2013, le Rwan­da est le pre­mier pro­duc­teur et expor­ta­teur mon­dial de tan­tale, un élé­ment stra­té­gique extrait à par­tir d’un mine­rai appe­lé col­tan. Pour­tant, le sous-sol rwan­dais est très pauvre en col­tan, dont le Congo-Kin­sha­sa (ou RDC) détient, à lui seul, plus de 60 % des réserves mon­diales (pour­tant dis­per­sées sur plu­sieurs conti­nents). Ce para­doxe s’explique, sim­ple­ment et tris­te­ment, par le pillage mas­sif et sys­té­ma­tique des riches natu­relles de l’est de la RDC voi­sine.
    Un pillage de type « colo­nial » (et même plus grave encore, la RDC n’en reti­rant aucun béné­fi­cie), qui n’existe plus ailleurs sur le contient, qui se fait au vu et au su de tous, et ce, sans la moindre sanc­tion inter­na­tio­nale. Il est d’ailleurs regret­table de consta­ter une cer­taine indif­fé­rence des pays afri­cains eux-mêmes, qui s’honoreraient à se mon­trer plus soli­daires du peuple congo­lais frère, véri­table vic­time du régime rwan­dais depuis de nom­breuses années. Un régime dont le pré­sident est par­fois sur­nom­mé le « Hit­ler afri­cain » par les Congo­lais, étant res­pon­sable de la mort de mil­lions de per­sonnes dans l’est du pays, sur les 25 der­nières années (la plus grande catas­trophe humaine depuis la seconde guerre mon­diale). Une res­pon­sa­bi­li­té qui a encore été récem­ment rap­pe­lée par le très res­pec­table et res­pec­té M. Faus­tin Twa­gi­ra­mun­gu, homme de paix et de dia­logue ayant per­du 36 membres de sa famille lors du géno­cide, et qui avait occu­pé la fonc­tion de Pre­mier ministre du Rwan­da au len­de­main de ce drame (et non avant, point impor­tant à sou­li­gner). Une per­son­na­li­té aujourd’hui en exil, et en dan­ger.
    Ce géno­cide rwan­dais qui est « à 100 % de la res­pon­sa­bi­li­té amé­ri­caine… Il est de la res­pon­sa­bi­li­té de l’Amérique, aidée par l’Angleterre, mais il y a aus­si la pas­si­vi­té des autres États », selon les propres termes de l’ancien secré­taire géné­ral de l’ONU, M. Bou­tros-Gha­li, en 1998, près de deux années après avoir quit­té ses fonc­tions à la tête de l’organisation. Une affir­ma­tion bien sûr exa­gé­rée (ceux ayant com­mis les mas­sacres étant les pre­miers res­pon­sables), mais fort révé­la­trice du niveau d’implication amé­ri­caine dans ce ter­rible drame. Les États-Unis qui avaient long­temps inter­dit à l’ONU d’utiliser – et donc de recon­naître – le terme « géno­cide » afin d’empêcher toute inter­ven­tion visant à arrê­ter les mas­sacres, et ce, jusqu’au 08 juin 1994, soit 23 jours après la France (qui avait été la pre­mière grande puis­sance à par­ler ouver­te­ment de géno­cide, dès le 16 mai 1994) et des cen­taines de mil­liers de morts plus tard.
    Un blo­cage volon­taire des États-Unis, pour qui il fal­lait abso­lu­ment que le FPR du Paul Kagame prenne d’abord le contrôle de la majeure par­tie du pays, avant de recon­naître le géno­cide et de per­mettre ain­si à l’ONU de deman­der une inter­ven­tion mili­taire huma­ni­taire. Quitte à lais­ser se faire mas­sa­crer presque tous les Tut­sis du pays et les Hutus qui leur étaient proches (et aux­quelles s’ajoutent les dizaines de mil­liers de civils hutus mas­sa­crés par les forces du FPR). Et une fois le feu vert de l’ONU obte­nu, et même si elle aurait pu faire davan­tage, la France fut tout de même la seule puis­sance à accep­ter d’intervenir, sau­vant ain­si la grande majo­ri­té des sur­vi­vants tut­sis du sud-ouest du pays. Dans un monde « juste et par­fait », Bill Clin­ton com­pa­rai­trait devant un tri­bu­nal pénal inter­na­tio­nal, de pré­fé­rence situé en Afrique, afin d’être jugé pour com­pli­ci­té de géno­cide.

     6. Le Rwan­da est l’un des quatre régimes les plus tota­li­taires du conti­nent afri­cain, qui sont au « degré zéro » de liber­té d’expression (avec l’Égypte, l’Érythrée et le Eswa­ti­ni, ancien­ne­ment Swa­zi­land et der­nière monar­chie abso­lue du conti­nent). Tous les oppo­sants poli­tiques qui ne quittent pas le pays sont soit exé­cu­tés, d’une manière ou d’une autre, soit jetés en pri­son.

     7. Le régime rwan­dais est celui ayant com­mis le plus grand nombre d’assassinats d’opposants poli­tiques en dehors de ses propres fron­tières (au Kenya, en Afrique du Sud, en Ougan­da, en RDC, et aux­quels s’ajoutent des ten­ta­tives d’assassinat en Bel­gique et au Royaume-Uni, empê­chés in extre­mis par les auto­ri­tés locales, qui se refusent tou­te­fois et étran­ge­ment de pro­tes­ter). Chose qui est pour­tant extrê­me­ment rare dans le monde, mais qui est habi­tuelle pour ce régime.

     8. Paul Kagame, offi­ciel­le­ment au pou­voir depuis l’an 2000, mais de fac­to depuis 1994, a modi­fié la consti­tu­tion de son pays en 2015 afin d’être en mesure de se main­te­nir au pou­voir jusqu’en 2034, soit 40 années de règne. Kagame est d’ailleurs le seul dic­ta­teur afri­cain à oser encore « se faire élire » avec des taux de 99 % (98,6 % lors de la der­nière élec­tion pré­si­den­tielle de 2017).

     9. Le régime tota­li­taire du Rwan­da, et l’impunité la plus totale dont il jouit, est hélas en train d’inspirer d’autres pou­voirs afri­cains qui s’appuient sur cet exemple afin d’interrompre un pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion en cours. Et notam­ment dans la région de Grands lacs, et en par­ti­cu­lier en Ougan­da et au Burun­di (dont le pré­sident a récem­ment pro­cé­dé à un véri­table « copier-col­ler » de la nou­velle consti­tu­tion rwan­daise).
    Plus loin sur le conti­nent, il est éga­le­ment regret­table d’observer la dérive auto­ri­taire que connaît aujourd’hui le Bénin, qui fut pour­tant le deuxième pays d’Afrique conti­nen­tale à deve­nir une démo­cra­tie, après le Bots­wa­na et dès 1990 (au Séné­gal, Léo­pold Sédar Sen­ghor avait été le pre­mier pré­sident, hors Afrique du Sud – non encore véri­ta­ble­ment démo­cra­tique pour cause d’apartheid, à quit­ter le pou­voir de lui-même, fin 1980. Mais la démo­cra­tie ne fut ins­tau­rée que bien plus tard). Le Bénin, un pays dont le pré­sident est bien connu pour être un ami proche de Kagame…

     10. Louise Mushi­ki­wa­bo, ancienne numé­ro deux de régime rwan­dais, avait invi­té en 2017 le direc­teur géné­ral d’Human rights watch, une impor­tante ONG inter­

  • Le gouvernement des fantômes, par Édouard SCHAELCHLI.

    « La plus brillante étude sociale et poli­tique que j’ai lue sur la crise de la Covid19 » (Michel Michel)

    « … comme un évè­ne­ment pré­vu depuis tou­jours et cepen­dant comme une sur­prise, un per­son­nage inquié­tant qui pou­vait tout lais­ser en place, qui pou­vait tout chan­ger, le sens de l’ac­tion, la trame des mobiles, qui avait sur le texte éta­bli de tou­jours l’as­cen­dant pro­di­gieux, étrange du vivant… »

    Ben­ja­min Fon­dane, 1942

    Une science fan­tôme, au ser­vice d’un gou­ver­ne­ment fan­tôme, pour gou­ver­ner des fan­tômes, dans une socié­té fan­tôme, en temps de démo­cra­tie fan­tôme ? Pour qui ne croit plus en rien (ou en tout), la situa­tion pré­sente (en France sûre­ment et pro­ba­ble­ment par­tout dans le monde) aurait quelque chose d’é­mi­nem­ment comique si, en même temps, ne se des­si­nait pas, par trans­pa­rence, une forme de réa­li­té pro­pre­ment ter­ri­fiante. Le pro­blème, avec les fan­tômes, c’est qu’on a beau ne pas y croire, ils font peur, ils font réel­le­ment peur. Ils sont en effet le retour du même quand pré­ci­sé­ment le même est deve­nu tout autre.

    Il y a, nous dit-on, un virus extrê­me­ment viru­lent qui cir­cule à grande vitesse par­mi nous. Invi­sible, évi­dem­ment, il ne se mani­feste nulle part direc­te­ment, mais tou­jours indi­rec­te­ment, par les chiffres inquié­tants qui signalent à notre atten­tion, après-coup, sa ter­rible capa­ci­té à se répandre dans nos rangs quand nous avons l’im­pru­dente insou­ciance d’ou­blier sa pré­sence, en sorte qu’il faut à tout ins­tant nous rap­pe­ler qu’il est là, pour que nous ne deve­nions pas, à notre insu, les com­plices incons­cients et irres­pon­sables de son action. Car le dan­ger, pré­ci­sé­ment, n’est pas en lui. Il est en nous. En lui-même, le virus ne fait pas grand-mal, pas beau­coup plus en tout cas que les dizaines de grippes très ordi­naires qui, en même temps que lui, sans doute (mais ces chiffres, jus­te­ment, nous ne les avons pas), font autant ou plus de vic­times que lui. Qui sait en effet, chaque jour, com­bien de gens ne meurent pas du virus, mais d’autre chose ? Cela n’a aucune espèce d’im­por­tance : ce qui compte seul, c’est le taux d’in­ci­dence de ce virus, parce que ce virus, contrai­re­ment aux autres (contre les­quels nous savons nous défendre, contre les­quels nous avons le réflexe de nous défendre), tra­vaille sour­de­ment avec nous. Sub­ti­le­ment, comme une sorte de per­vers nar­cis­sique étran­ge­ment doué de socia­bi­li­té, il se sert de nous, de notre appa­rente bonne san­té, de l’ab­sence en nous du moindre symp­tôme sus­cep­tible de nous aver­tir du dan­ger que nous pour­rions consti­tuer pour les autres. Il fait de nous, secrè­te­ment, les agents de sa viru­lence. Il fait de tout ce qui consti­tue notre être social le véhi­cule d’une mala­die qui ne nous touche pas indi­vi­duel­le­ment, mais collectivement.

    Voi­là pour­quoi il faut abso­lu­ment que nous por­tions tous, par­tout, à tout ins­tant, non pas un, mais le masque. En soi, un masque ne pro­tège per­sonne en par­ti­cu­lier. Aucune sta­tis­tique au monde ne per­met de savoir si chaque indi­vi­du por­teur du virus a réel­le­ment, à un moment don­né, com­mis l’im­pru­dence de tom­ber le masque ou enfreint les dis­tances de sécu­ri­té. Le masque ne pro­tège per­sonne – il nous pro­tège tous, non de ce virus ou d’un autre, mais bien de la dou­lou­reuse néces­si­té d’a­voir à répondre per­son­nel­le­ment de nous-mêmes. Il est le signe que nous nous sen­tons tous ensemble res­pon­sables de la cir­cu­la­tion du virus et que nous nous sen­tons col­lec­ti­ve­ment concer­nés par lui. En ce sens, il témoigne de notre être social, quand notre être social, pré­ci­sé­ment, est en train de dis­pa­raître. Il nous fait dire « Je suis le virus », quand pré­ci­sé­ment le virus se confond à nos yeux avec notre socia­li­té, tout comme, naguère, il nous fal­lait à tous dire « Je suis Char­lie » pour nous iden­ti­fier à une forme de liber­té d’ex­pres­sion qui n’est que la cari­ca­ture mor­ti­fère d’une liber­té plus haute – elle défi­ni­ti­ve­ment per­due. Pas ques­tion d’al­ler, tel Dio­gène avec son ton­neau, se moquer d’une agi­ta­tion for­cée qui vient à point nom­mé jus­ti­fier tous les abus d’un pou­voir déjà lour­de­ment enclin à réduire toute liber­té au nom d’une sacro-sainte sécurité.

    On pour­rait assu­ré­ment se conten­ter de rire, sous cape, d’une telle mas­ca­rade. L’en­nui, c’est qu’il y a, der­rière l’é­cran sur lequel défilent les images de notre psy­cho­drame col­lec­tif, une réa­li­té qui se construit, len­te­ment, inexo­ra­ble­ment : celle d’un monde où cha­cun sera, à tout moment, som­mé de répondre du moindre de ses gestes devant le miroir d’une science qui ne sera à pro­pre­ment par­ler celle de per­sonne, mais qui s’im­po­se­ra à tous avec une telle évi­dence que nul ne pour­ra invo­quer contre elle le témoi­gnage de sa conscience.

    Aujourd’­hui, bien sûr, on ne nous demande que de res­pec­ter des règles qui peuvent paraître, dans la mesure où elles ne sont que tem­po­raires, ano­dines : por­ter un léger masque, évi­ter de nous regrou­per, nous laver régu­liè­re­ment les mains. N’est-il pas évident qu’aus­si­tôt que la menace poli­cière se sera relâ­chée, nous retrou­ve­rons nos habi­tudes natu­relles et que notre rap­port à autrui n’y aura rien per­du ? Rien n’est moins sûr, pour­tant. D’a­bord parce qu’en réa­li­té, même si nous ne nous plions à ces règles pro­fon­dé­ment anti-sociales que par crainte d’être ver­ba­li­sés, ces règles n’en répondent pas moins à un besoin de sécu­ri­té lar­ge­ment répan­du, comme le prouve le nombre de per­sonnes qui, alors même que rien ne les y oblige, se font tes­ter et se prêtent au jeu mal­sain de la dénon­cia­tion des cas-contacts, comme pour se prou­ver à eux-mêmes qu’ils ne sont cou­pables d’au­cune com­pli­ci­té avec l’en­ne­mi com­mun. Que pen­se­ront-ils demain de leur voi­sin s’ils apprennent que, non content de refu­ser tout test et tout vac­cin, il ouvre volon­tiers sa porte à n’im­porte qui et n’hé­site pas à fré­quen­ter des SDF ? Non seule­ment ils l’é­vi­te­ront et s’abs­tien­dront de tout contact avec lui, mais au moindre bruit d’une pos­sible recru­des­cence de l’é­pi­dé­mie, ils le signa­le­ront à la police (ou aux ins­tances sani­taires) et se trou­ve­ront fon­dés à le consi­dé­rer comme un dan­ge­reux irres­pon­sable, si ce n’est comme un ter­ro­riste poten­tiel. Quelque chose, là, est en train de se pas­ser qui nous ren­voie aux temps les plus obs­curs de notre his­toire, ceux où il fal­lait tout de même un étrange cou­rage pour résis­ter aux sug­ges­tions de la col­la­bo­ra­tion. Qu’est-ce qui peut nous rendre cer­tains que cette épreuve de notre capa­ci­té à obéir à la peur ne nous a pas ren­dus défi­ni­ti­ve­ment inca­pables de résis­ter à la ten­ta­tion totalitaire ?

    Car la ques­tion demeure de savoir si toute cette mise en scène de l’ur­gence sani­taire ne fait pas par­tie d’une stra­té­gie glo­bale de trans­for­ma­tion de nos socié­tés. Peu importe, en ce sens, que ce virus soit effec­ti­ve­ment ce qu’on nous dit qu’il est ou qu’il relève d’une fan­tas­ma­go­rie plus ou moins scien­ti­fique. Il consti­tue de toutes façons un puis­sant levier pour agir sur des popu­la­tions qu’on sait de plus en plus réti­centes à se lais­ser gou­ver­ner par des classes poli­tiques soup­çon­nées à très juste titre de ser­vir des inté­rêts étran­gers à la vie des peuples. En France comme dans toute l’Eu­rope, la ten­dance au repli natio­nal, régio­nal, voire local tra­duit d’a­bord un refus de voir les jeux d’in­té­rêts trans­na­tio­naux prendre le pas sur les inté­rêts col­lec­tifs héri­tés de l’his­toire. De plus en plus net­te­ment, l’in­gé­rence d’ins­tances ano­nymes comme le « Mar­ché » ou « la Crois­sance » se heurte à un sen­ti­ment très pro­fond d’at­ta­che­ment à des valeurs iden­ti­taires qui ne se laissent pas négo­cier en termes éco­no­miques. C’est ce qui a don­né à la révolte des Gilets jaunes toute sa force, à un moment où la com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale, confron­tée à l’ur­gence cli­ma­tique, com­men­çait à s’embrouiller trop visi­ble­ment. On a vu alors la vio­lence poli­cière se déchaî­ner, non pas tant contre les élé­ments pré­ten­du­ment per­tur­ba­teurs que contre une masse de braves gens qui, de toute évi­dence, n’a­vaient pas une très grande expé­rience de l’a­gi­ta­tion urbaine mais avaient en revanche le tort d’ex­pri­mer très sim­ple­ment le malaise de toute une socié­té. Il fal­lait d’ur­gence arrê­ter un mou­ve­ment à la fois mul­ti­forme et mal enca­dré, capable dans sa logique non concer­tée de rup­ture, d’en­traî­ner après elle dans une forme de révolte inédite (parce que non pen­sée) tout ce qui, dans le pays, souffre de ne plus très bien savoir où nous allons.

    Il le fal­lait d’au­tant plus que, sur ce malaise géné­ra­li­sé de la socié­té, qui, sur le plan poli­tique, a fait la for­tune d’un Macron venu à point nom­mé sau­ver le monde libé­ral de la conta­gion popu­liste, se déve­loppe une ten­dance à inter­pré­ter sys­té­ma­ti­que­ment tous les actes gou­ver­ne­men­taux comme une pan­to­mime des­ti­née à mas­quer un des­sein de grande ampleur, d’en­ver­gure mon­diale, visant à faire des ins­ti­tu­tions éta­tiques de simples cour­roies de trans­mis­sion d’un ordre dans lequel les dif­fé­rences natio­nales ont à se dis­soudre pure­ment et sim­ple­ment en ver­tu d’une logique essen­tiel­le­ment mer­can­tile qui se sou­cie aus­si peu de l’in­té­rêt com­mun que de l’é­qui­libre pla­né­taire. Qu’on pense ou non expli­ci­te­ment à un com­plot au sens strict du terme (impli­quant médias, classes poli­tiques, show-busi­ness et milieux finan­ciers), le sen­ti­ment n’en a pas moins pour effet de ras­sem­bler objec­ti­ve­ment tous ceux qui défendent des inté­rêts col­lec­tifs locaux ou une vision sou­ve­rai­niste des choses contre une menace glo­bale de déré­gu­la­tion des sys­tèmes natu­rels et sociaux.

    C’est dans ce contexte qu’il faut inter­pré­ter l’heu­reuse coïn­ci­dence qui a per­mis de sub­sti­tuer à l’ur­gence poli­ti­cienne d’ar­rê­ter un mou­ve­ment social incon­trô­lable une forme d’ur­gence dési­déo­lo­gi­sée, sus­cep­tible de trans­cen­der les contra­dic­tions natio­nales et inter­na­tio­nales, d’une manière encore plus effi­cace que la lutte contre le ter­ro­risme, laquelle avait pour incon­vé­nient d’exa­cer­ber cer­tains sen­ti­ments d’o­ri­gine eth­nique ou cultu­relle : l’ur­gence sani­taire, qui se situe au niveau le plus élé­men­taire où l’être social s’i­den­ti­fie à la pure ani­ma­li­té. La peur de mou­rir, en effet, exerce sur l’in­cons­cient col­lec­tif et indi­vi­duel une puis­sance capable d’a­néan­tir tous les impé­ra­tifs moraux qui, ordi­nai­re­ment, rap­pellent cha­cun à sa digni­té fon­da­men­tale. En temps de peste ou de cho­lé­ra, tout est per­mis, et le seul moyen de ras­sem­bler les foules est alors de dési­gner des res­pon­sables sur les­quels exer­cer une légi­time violence.

    Mais quand la mala­die, loin d’être le sur­gis­se­ment, dans la vie sociale, d’un prin­cipe étran­ger de désordre qui échappe à tout contrôle (et qui, donc, peut ouvrir une brèche dans l’ordre impo­sé des rela­tions humaines par où le regard d’une trans­cen­dance supra-humaine peut conduire à ren­ver­ser les rôles, comme à l’oc­ca­sion d’un gigan­tesque car­na­val), se pré­sente comme un phé­no­mène bien déter­mi­né, tech­ni­que­ment mani­pu­lable et sus­cep­tible d’en­gen­drer des rap­ports de cause à effet dont on peut maî­tri­ser l’en­chaî­ne­ment et auquel cor­res­pondent des pro­to­coles bien pré­cis, alors, les choses changent, et même si les pou­voirs ins­ti­tués se révèlent çà et là défaillants dans la ges­tion des choses rela­tives au mal, ils n’en perdent pas pour autant, glo­ba­le­ment, le contrôle, bien au contraire. On l’a si bien vu, en l’oc­cur­rence, que la Chine, pour­tant d’emblée accu­sée d’a­voir, en ver­tu de ses vices spé­ci­fiques d’é­tat archaï­que­ment tota­li­taire, contri­bué, en faus­sant l’in­for­ma­tion, à la dif­fu­sion si rapide du virus, est vite deve­nue le modèle d’une effi­ca­ci­té essen­tiel­le­ment fon­dée sur l’u­ti­li­sa­tion à grande échelle des moyens de communication.

    Il est frap­pant en effet de voir qu’a­lors même que la méde­cine se révèle par­fai­te­ment inca­pable de lut­ter contre le mal, la cer­ti­tude scien­ti­fique n’en acquiert pas moins une auto­ri­té pra­ti­que­ment sans limite pour impo­ser des normes de com­por­te­ment qui contrastent si bru­ta­le­ment avec les modes de vie habi­tuel­le­ment carac­té­ris­tiques du monde moderne qu’on est en droit de se deman­der si on n’as­siste pas à une véri­table révo­lu­tion cultu­relle, infi­ni­ment plus pro­fonde et irré­ver­sible que celle qu’a­vait ten­té d’im­pul­ser Mao. Peut-être est-ce là d’ailleurs ce qui explique l’é­trange apa­thie des intel­lec­tuels de gauche, type Badiou, par rap­port à ce qu’ils n’ar­rivent pas encore à inter­pré­ter autre­ment que comme une crise de crois­sance du capi­ta­lisme mori­bond. L’am­pleur de la trans­for­ma­tion qui se pro­file est telle qu’ils ne peuvent faire autre­ment que d’y sous­crire, de tout leur être spi­ri­tuel, évi­dem­ment fas­ci­nés qu’en­fin se pro­duise la grande liqui­da­tion de toutes les super­struc­tures à laquelle ils n’ont jamais ces­sé de rêver depuis mai 68.

    Quel rêve, en effet ! Tout n’est-il pas per­mis, désor­mais ? Oui, « tout est per­mis », selon le mot d’I­van Kara­ma­zoff emprun­té à saint Paul, puisque, toute loi étant abo­lie, il appar­tient à des pou­voirs libé­rés de toute entrave, de tout pré­ju­gé et de toute consi­dé­ra­tion juri­di­co-reli­gieuse ou éthi­co-poli­tique de prendre en main le des­tin d’une huma­ni­té enfin rame­née à son rang d’es­pèce domi­nante de la pla­nète pour lui apprendre enfin à se com­por­ter comme il faut : non comme des ani­maux, certes, au sens où on pou­vait l’en­tendre quand l’a­ni­ma­li­té ren­voyait à la sau­va­ge­rie d’une nature encore indomp­tée, mais comme des êtres réel­le­ment domes­ti­qués, gui­dés non par leur ins­tinct de conser­va­tion, mais par un pur sou­ci de res­ter pré­ser­vés de ce qui, en eux, pour­rait souf­frir d’être ain­si trai­tés, cette part à la fois divine et ani­male qui fait de la liber­té, pré­ci­sé­ment, un bien supé­rieur à la vie. Gui­dés ? Pas même : télé­gui­dés, sans même avoir besoin d’être tou­chés par des mains impures – en ce sens, très sem­blables, dans ce délire sani­taire, à ces fana­tiques qu’un ordre occulte pousse vers nos Églises pour y égor­ger de simples bre­bis, cou­pables, sans doute, de res­ter fidèles à une com­mu­nion dans laquelle âmes et corps mêlés font une seule chair, pour l’ins­tant livrée au pou­voir de la mort et du péché, mais pro­mise au même salut, à la même déli­vrance, par l’u­nique Esprit qui vivi­fie quand la lettre tue. Il y a, entre le ter­ro­risme et l’ordre sani­taire, d’é­tranges affi­ni­tés. Si l’un tue, aveu­glé­ment, n’im­porte qui, pour sus­ci­ter l’an­gois­sante sen­sa­tion que le dan­ger est par­tout, l’autre fait de cha­cun d’entre nous le poten­tiel por­teur d’un mal qui se confond avec le bien. Ter­ro­riste asymp­to­ma­tique, le por­teur sain a toutes les rai­sons de s’a­van­cer masqué.

    Égle­tons, le 12 novembre 2020.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • PEGASUS : Une manœuvre anti-marocaine et anti-française ?, par André BENOIST (Actus news).

    Le Maroc est accu­sé d’avoir infil­tré les télé­phones de per­son­na­li­tés publiques maro­caines et étran­gères, via un logi­ciel infor­ma­tique. Tout d’abord l’affaire dite Pega­sus et les accu­sa­tions pro­fé­rées dès le 18 juillet 2021, notam­ment par le site Inter­net d’extrême-gauche For­bid­den sto­ries (qui comme son nom ne l’indique pas est un site fran­çais signi­fiant « His­toires inter­dites ») et de vieux enne­mis du Maroc comme Amnes­ty Inter­na­tio­nal ou Media­part, appellent une pre­mière réflexion.

    2.gifÀ savoir que l’espionnage est aus­si vieux que le monde et que plus récem­ment on n’a pas fait un tel bat­tage média­tique lorsque les États-Unis, les Israé­liens, les Chi­nois, les Alle­mands ou les Russes se sont livrés à des acti­vi­tés d’espionnage contre des diri­geants fran­çais ou autres. Par exemple, les ser­vices des États-Unis (en par­ti­cu­lier, la Natio­nal Secu­ri­ty Agen­cy) se sont récem­ment appuyés sur les câbles de télé­com­mu­ni­ca­tions danois pour espion­ner des diri­geants euro­péens (France Info, 31 mai 2021). L’affaire Jona­than Pol­lard a révé­lé qu’Israël avait uti­li­sé un espion pour espion­ner des diri­geants des États-Unis…

    On serait donc ten­té de dire « beau­coup de bruit pour rien ». D’autant qu’en l’espèce, il ne s’agit bien de rien puisque, à en croire de nom­breux experts, nous serions en pré­sence d’une manœuvre anti-maro­caine, visant à désta­bi­li­ser ce pays et à nuire à l’excellence des rela­tions fran­co-maro­caines. Car on peut se deman­der si la France n’est pas aus­si vic­time de cette cam­pagne qui ne pro­fite qu’aux adver­saires, concur­rents et enne­mis de nos deux pays. En tout cas, le Maroc a réagi en condam­nant vigou­reu­se­ment la per­sis­tance d’une cam­pagne média­tique men­son­gère, mas­sive et mal­veillante à son encontre et en por­tant plainte.

    Une manœuvre anti-marocaine ?

    En effet, des res­pon­sables poli­tiques comme le pré­sident de la Com­mis­sion des affaires étran­gères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, Chris­tian Cam­bon, a dénon­cé le 21 juillet 2021, une « cam­pagnes de presse de déni­gre­ment visant à désta­bi­li­ser le Royaume du Maroc ».

    Le pré­sident Cam­bon ajoute : « quand on porte des accu­sa­tions, il faut en assu­mer les preuves… jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont que des his­toires qui traînent régu­liè­re­ment et « on est dans l’absurde. En effet, on voit bien que ces accu­sa­tions sont des mon­tages, et donc nous n’avons aucune preuve, et jusqu’à pré­sent nous n’avions jamais eu aucune ».

    Pour sa part la séna­trice de Paris, Cathe­rine Dumas, a mis en cause, le même jour, une cer­taine dés­in­for­ma­tion qui cir­cule : « On sait très bien que tout ceci n’arrive pas par hasard ».

    Madame Cathe­rine Morin-Desailly, vice-pré­si­dente du groupe d’amitié France-Maroc, et ancienne pré­si­dente de la com­mis­sion de la Culture et de la com­mu­ni­ca­tion du Sénat, sou­ligne qu’Internet est deve­nu un « nou­veau ter­rain d’affrontement mon­dial où des forces obs­cures, des pays qui ne veulent pas que du bien aux rela­tions d’excellence entre le Maroc et la France peuvent s’immiscer pour véhi­cu­ler des accu­sa­tions. Selon la séna­trice, il « faut être extrê­me­ment méfiant face aux mani­pu­la­tions de forces externes ».

    Ber­nard Squar­ci­ni, ancien chef du ren­sei­gne­ment inté­rieur fran­çais (DCRI, aujourd’hui DGSI) a affir­mé sur la radio Europe 1 ne pas « trop croire » aux allé­ga­tions contre le Maroc. Selon Squar­ci­ni, « c’est (une accu­sa­tion) trop facile. Le Maroc est un par­te­naire de la France ».

    Les auto­ri­tés maro­caines n’ont eu de cesse de récla­mer des preuves concer­nant les accu­sa­tions por­tées à l’encontre du Royaume ; c’est éga­le­ment la posi­tion de plu­sieurs experts inter­na­tio­naux qui exigent que For­bid­den Sto­ries et les accu­sa­teurs du Maroc four­nissent des preuves à l’appui de leurs accusations.

    Ain­si, la jour­na­liste d’investigation amé­ri­caine, Kim Zet­ter, s’étonne sur son compte Twit­ter (@kimZetter) du manque de sources de For­bid­den Sto­ries. Elle dénonce éga­le­ment le trai­te­ment à charge de cer­tains médias. Le cher­cheur en cryp­to­gra­phie Nadim Kobeis­si constate que les preuves d’Amnes­ty inter­na­tio­nalet de For­did­den Sto­ries sont « qua­si-inexis­tantes » (@Kaepora). L’experte nor­vé­gienne en sécu­ri­té infor­ma­tique, Runa Sand­vik, res­pon­sable de la sécu­ri­té infor­ma­tique du New York Times, relève « l’incohérence » des accu­sa­tions rap­por­tées par les médias et For­bi­den Sto­ries. Elle note sur son compte twit­ter (@runasand) que « Per­sonne ne sait donc, jusqu’à pré­sent, d’où vient la liste par laquelle le scan­dale Pega­sus Pro­ject a été fabri­qué de toutes pièces pour s’attaquer au Maroc, en particulier ».

    Comme le pro­clame l’avocat fran­çais du Maroc qui a por­té plainte en France contre les deux asso­cia­tions à l’origine de l’affaire, « d’accusateurs, les meneurs de ce pro­jet et les médias de For­bid­den Sto­ries deviennent eux-mêmes des accu­sés. S’il per­sis­tait, leur silence sur les preuves de ce qu’ils avancent confir­me­rait leur culpa­bi­li­té ». Me Oli­vier Bara­tel­li a donc déli­vré deux cita­tions directes en dif­fa­ma­tion contre Amnes­ty Inter­na­tio­nal et For­bid­den Sto­ries.L’avocat a pré­ci­sé que l’Etat maro­cain« sou­haite que toute la lumière soit faite sur les allé­ga­tions men­son­gères de ces deux orga­ni­sa­tions qui avancent des élé­ments sans la moindre preuve concrète et démontrée ».

    Il suf­fit de voir qui est mon­té en ligne contre le Maroc pour com­prendre qu’il y a un com­plot. Les groupes d’extrême-gauche (trots­kystes, com­mu­nistes) qui sont bien orga­ni­sés et qui contrôlent en par­tie des asso­cia­tions de pro­pa­gande comme Amnes­ty Inter­na­tio­nal ou For­bid­den Sto­ries détestent tout par­ti­cu­liè­re­ment le Maroc qui, pen­dant la guerre froide, prit clai­re­ment le par­ti du Monde libre, est une monar­chie et mène, sous la direc­tion du roi Moha­med VI, une dyna­mique poli­tique africaine.

    Il est éga­le­ment clair que la déci­sion des États-Unis de recon­naitre la sou­ve­rai­ne­té du Maroc sur son Saha­ra a créé des ten­sions avec les enne­mis du Royaume, en pre­mier lieu le régime algérien.

    Tout cela explique l’acharnement ciblé de cer­tains médias et grou­pus­cules poli­tiques fran­çais à l’égard du Maroc. De fait, ces agi­ta­teurs bien connus agissent contre la France et selon un agen­da étran­ger même si une cer­taine presse enga­gée peut relayer des com­mé­rages et des allé­ga­tions qui ne sont pas prou­vées alors que le Maroc et la France font face à de nom­breux défis, notam­ment sur le plan sécu­ri­taire et la lutte anti-ter­ro­riste qui sont plus impor­tants que des bruits de cou­loir nauséabonds.

    Comme le dit encore le pré­sident de la Com­mis­sion des affaires étran­gères, de la défense et des forces armées du Sénat : « Le Maroc est un par­te­naire stra­té­gique, et nous sommes recon­nais­sants à ce que l’action, sous la conduite de Sa Majes­té le Roi, nous apporte au Sahel, où la France est très enga­gée et essaie de lut­ter contre le ter­ro­risme et le dji­ha­disme qui ont fait tant de dégâts. Nous appré­cions vive­ment l’appui très effi­cace que nous apporte le Maroc ».

    Ce qui disent beau­coup d’experts et obser­va­teurs impar­tiaux est que la France est visée par rico­chet. On connaît les liens entre les ser­vices alle­mands et cer­tains milieux gau­chi­sants, recon­ver­tis en éco­lo­gistes, qui mènent un com­bat achar­né contre le nucléaire fran­çais et ne perdent jamais une occa­sion de nous poi­gnar­der dans le dos. Mais ils ne sont pas les seuls. Cette affaire inter­vient alors que le Maroc est en train de négo­cier d’importants achats d’armements et bien enten­du cela ne ser­vi­ra pas les inté­rêts français.

    Nous savons bien que le Maroc est un par­te­naire indis­pen­sable de la France qui sait que c’est un État sérieux et com­pé­tent dans la lutte anti-terroriste.

    Is fecit cui prodest

    On connait le vieil adage juri­dique selon lequel le cri­mi­nel est celui à qui le crime pro­fite (Is fecit cui pro­dest). Il convient donc de recher­cher à qui le crime pro­fite pour trou­ver le cou­pable En la matière plu­sieurs grou­pus­cules mili­tants et des États ont inté­rêt à ten­ter d’envenimer les rela­tions fran­co-maro­caines, et s’en prendre soit au Maroc, soit à la France, soit aux deux.

    Par­mi les grou­pus­cules, il y a évi­dem­ment ceux d’extrême-gauche qui nour­rissent une véri­table haine à l’égard du Royaume du Maroc. Il ne fait donc pas s’étonner que l’affaire soit lan­cée par des mou­vances proches de ces milieux et abon­dam­ment reprise par cer­tains médias qui sont tou­jours prêts à jouer un mau­vais coup contre Rabat.

    Les indus­triels ven­deurs d’armes des États-Unis, d’Israël ou de pays moins impor­tants comme l’Italie ont éga­le­ment inté­rêt à jeter de l’huile sur le feu pour ten­ter de mettre à mal la coopé­ra­tion fran­co-maro­caine. Les Etats-Unis de Biden ont démon­tré le peu de cas qu’ils font de la France lors de la récente tour­née de Biden en Europe, en juin 2021, au cours de laquelle il a ren­con­tré tous ceux qui comptent (Vla­di­mir Pou­tine, Boris John­son, la Reine d’Angleterre, Ange­la Mer­kel) mais pas le pré­sident fran­çais Emma­nuel Macron. On sait aus­si que les États-Unis sont un impor­tant ven­deur d’armes au Maroc et qu’ils ne voient pas d’un bon œil la pré­sence fran­çaise dans ce pays et, plus géné­ra­le­ment, en Afrique.

    L’Italie quant à elle ambi­tionne de vendre des fré­gates FREMM de lutte anti-sous-marine au Maroc et Fin­can­tie­ri (sou­te­nu par le gou­ver­ne­ment ita­lien) ne serait pas fâché de voir son concur­rent fran­çais de Naval Group écar­té du mar­ché comme ce fut le cas récem­ment en Indo­né­sie et en Egypte.

    Si l’Espagne socia­lo-gau­chiste (le PS local est allié aux radi­caux de PODEMOS) de San­chez n’a évi­dem­ment pas les moyens d’ennuyer pro­fon­dé­ment ses voi­sins maro­cain et fran­çais, ce n’est pas le cas de l’Allemagne qui est en déli­ca­tesse avec le Maroc et qui ne perd aucune occa­sion de nuire à une France qu’elle consi­dère, depuis le Brexit bri­tan­nique, comme son seul concur­rent dans l’Union euro­péenne. En tout cas cette affaire démontre que la France est aus­si vic­time que le Maroc de ces allé­ga­tions sans fon­de­ments. Si, comme le sou­ligne Pierre Razoux dans Les Échos du 23 juillet : « Il y a une inquié­tude des Maro­cains envers une par­tie de l’élite fran­çaise sus­pec­tée de bien­veillance vis à vis des frères musul­mans et de l’Islam poli­tique et de ceux jugés trop proches des milieux algé­riens », il doit être dit que ni le gou­ver­ne­ment fran­çais ni le gou­ver­ne­ment maro­cain ne veulent que les choses se dégradent entre les deux pays.

    Bien enten­du, le régime algé­rien n’a pas man­qué d’exploiter les allé­ga­tions de ses amis d’extrême-gauche contre le Maroc. Alger a même eu le culot de « condam­ner cette atteinte sys­té­ma­tique inad­mis­sible contre les liber­tés fon­da­men­tales ». Comme par hasard, cette affaire inter­vient alors que les rela­tions entre les deux pays se sont par­ti­cu­liè­re­ment ten­dues ces der­nières semaines en rai­son de l’aide accrue du régime algé­rien aux sépa­ra­tistes du Poli­sa­rio, des innom­brables pro­vo­ca­tions anti-maro­caines et alors qu’Alger a rap­pe­lé son ambas­sa­deur à Rabat  en rai­son du conten­tieux sur le Saha­ra maro­cain. Bien sûr, Alger — dont la poli­tique est fort ambi­guë — voit d’un mau­vais œil la soli­di­té des liens entre les ser­vices de ren­sei­gne­ments fran­çais et maro­cains, en par­ti­cu­lier dans la lutte contre le dji­ha­disme au Sahel.

    En tout cas, le Maroc est une nou­velle une fois au cœur d’un feuille­ton qui relève de « la science-fic­tion ». Il faut en effet rap­pe­ler que ce même consor­tiumde jour­naux avait repris, en juillet 2020, une infor­ma­tion d’Amnes­ty Inter­na­tio­nalselon laquelle le télé­phone por­table d’un jour­na­liste — condam­né le 19 juillet à six ans de pri­son pour atteinte à la sécu­ri­té inté­rieure de l’État — avait été infec­té par Pega­sus. Mais cette fausse infor­ma­tion n’a été cor­ro­bo­ré par aucune preuve…

    On ris­que­rait d’atte