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  • Une société en pleine décadence, par Michel Maf­fe­so­li (Pro­fes­seur émé­rite à la Sorbonne).

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    Michel Maf­fe­so­li , bien connu par le public d’AF, nous livre un texte direct et pano­ra­mique sur la déca­dence de notre socié­té que sus­citent nos élites. A force d’être obsé­dées par la morale et par une éti­quette de cour, ces élites se sont détour­nées de flux du vivant et entre­tiennent une vision arti­fi­cielle de la socié­té dont le seul des­tin est de disparaître.

    S’accorder au cycle même du monde, voi­là ce qui est la pro­fonde sagesse des socié­tés équi­li­brées. Tout comme, d’ailleurs, de tout un cha­cun. C’est cela même qui fonde le sens de la mesure. Le « bon sens » qui, selon Des­cartes, est la chose du monde la mieux par­ta­gée. Bon sens qui semble per­du de nos jours. Tout sim­ple­ment parce que l’opinion publiée est tota­le­ment décon­nec­tée de l’opinion publique.

    Mais pour un temps, sera-t-il long ? cette décon­nexion est quelque peu mas­quée. C’est la consé­quence d’une struc­ture anthro­po­lo­gique fort ancienne : la stra­té­gie de la peur.

    La stra­té­gie de la peur pour se main­te­nir au pouvoir

    D’antique mémoire, c’est en mena­çant des sup­plices éter­nels de l’enfer que le pou­voir clé­ri­cal s’est impo­sé tout au long du Moyen-Âge. Le pro­tes­tan­tisme a, par après, fait repo­ser « l’esprit du capi­ta­lisme » (Max Weber) sur la théo­lo­gie de la « pré­des­ti­na­tion ». Véri­fier le choix de dieu : être élu ou dam­né abou­tit à consa­crer la « valeur tra­vail ». L’économie du salut abou­tit ain­si à l’économie stric­to sen­su !

    Dans la déca­dence en cours des valeurs modernes, dont celle du tra­vail et d’une concep­tion sim­ple­ment quan­ti­ta­ti­viste de la vie, c’est en sur­jouant la peur de la mala­die que l’oligarchie média­ti­co-poli­tique entend se main­te­nir au pou­voir. La peur de la pan­dé­mie abou­tis­sant à une psy­cho-pan­dé­mie d’inquiétante allure.

    Comme ceux étant cen­sés gérer l’Enfer ou le Salut, la mise en place d’un « Haut com­mis­sa­riat au Bon­heur » n’a, de fait, pour seul but que l’asservissement du peuple. C’est cela la « vio­lence tota­li­taire » du pou­voir : la pro­tec­tion demande la sou­mis­sion ; la san­té de l’âme ou du corps n’étant dès lors qu’un simple prétexte.

    Le spectre eugé­niste, l’asepsie de la socié­té, le risque zéro sont des bons moyens pour empê­cher de ris­quer sa vie. C’est-à-dire tout sim­ple­ment de vivre ! Mais vivre, n’est-ce pas accep­ter la fini­tude ? Voi­là bien ce que ne veulent pas admettre ceux qui sont atteints par le « virus du bien ». Pour uti­li­ser une judi­cieuse méta­phore de Nietzsche, leur « mora­line » est dès lors on ne peut plus dan­ge­reuse pour la vie sociale, pour la vie tout court !

    La morale comme ins­tru­ment de domination

    Étant enten­du, mais cela on le savait de longue date, que la morale est de pure forme. C’est un ins­tru­ment de domi­na­tion. Quelques faits divers contem­po­rains, ani­mant le Lan­der­neau ger­ma­no­pra­tin montrent, à loi­sir que tout comme le disait le vieux Marx, à pro­pos de la bour­geoi­sie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».

    Le mora­lisme fonc­tionne tou­jours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la socié­té, l’individu et non selon ce que ces enti­tés sont en réa­li­té, dans leur vie quo­ti­dienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites dépha­sées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect arché­ty­pal de la fini­tude humaine. Fini­tude que les socié­tés équi­li­brées ont su gérer.

    C’est cela le « cycle du monde ». Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire, sinon que la beau­té du monde naît, jus­te­ment, de l’humus ; du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Règle uni­ver­selle fai­sant de la souf­france et de la mort des gages d’avenir.

    En bref, les pen­sées et les actions de la vie vivante sont celles sachant inté­grer la fini­tude consub­stan­tielle à l’humaine nature. À la nature tout court, mais cela nous oblige à admettre qu’à l’opposé d’une his­toire « pro­gres­siste » dépas­sant, dia­lec­ti­que­ment, le mal, la dys­fonc­tion et pour­quoi pas la mort, il faut s’accommoder d’un des­tin autre­ment tra­gique, où l’aléa, l’aventure le risque occupent une place de choix.

    Pour une phi­lo­so­phie progressive

    Et au-delà du ratio­na­lisme pro­gres­siste, c’est bien de cette phi­lo­so­phie pro­gres­sive dont est pétrie la sagesse popu­laire. Sagesse que la stra­té­gie de la peur du micro­cosme ne cesse de s’employer à dénier. Et ce en met­tant en œuvre ce que Berg­son nom­mait « l’intelligence cor­rom­pue », c’est-à-dire pure­ment et sim­ple­ment rationaliste.

    Ain­si le funam­bu­lisme du micro­cosme s’emploie-t-il pour per­du­rer à créer une masse infi­nie de zom­bies. Des morts-vivants, per­dant, peu à peu, le goût doux et âcre à la fois de l’existence . Par la mas­ca­rade géné­ra­li­sée, le fait de se per­ce­voir comme un fan­tôme devient réel. Dès lors, c’est le réel qui, à son tour, devient fantomatique.

    Monde fan­to­ma­tique que l’on va s’employer à ana­ly­ser d’une manière non moins fan­to­ma­tique. Ain­si, à défaut de savoir « déchif­frer » le sens pro­fond d’une époque, la moder­ni­té, qui s’achève, et à défaut de com­prendre la post­mo­der­ni­té en ges­ta­tion, l’on com­pose des dis­cours on ne peut plus fri­voles. Fri­vo­li­tés far­cies de chiffres ano­dins  et abstraits

    Il est, à cet égard, frap­pant de voir fleu­rir une quan­to­phré­nie ayant l’indubitabilité de la Véri­té ! Carl Schmidt ou Karl Löwith ont, cha­cun à leur manière, rap­pe­lé que les concepts dont se servent les ana­lyses poli­tiques ne sont que des concepts théo­lo­giques sécularisés.

    La dog­ma­tique théo­lo­gique propre à la ges­tion de l’Enfer ou la dog­ma­tique pro­gres­siste théo­ri­sant la « valeur tra­vail » s’inversent en « scien­tisme » pré­ten­dant dire ce qu’est la véri­té d’une crise civi­li­sa­tion­nelle réduite en crise sani­taire. « Scien­tisme » car le culte de la science est omni­pré­sent dans les divers dis­cours propres à la bien-pensance.

    Cet étrange culte de la science

    Il est frap­pant d’observer que les mots ou expres­sions, science, scien­ti­fique, comi­té scien­ti­fique, faire confiance à la Science et autres de la même eau sont comme autant de sésames ouvrant au savoir uni­ver­sel. La Science est la for­mule magique par laquelle les pou­voirs bureau­cra­tiques et média­tiques sont garants de l’organisation posi­tive de l’ordre social. Il n’est jusqu’aux réseaux sociaux, Face­book, Twee­ter, Lin­ke­dIn, qui cen­surent les inter­nautes qui « ne res­pectent pas les règles scien­ti­fiques », c’est-à-dire qui ont une inter­pré­ta­tion dif­fé­rente de la réa­li­té. Doute et ori­gi­na­li­té qui sont les racines de tout « pro­grès » scientifique !

    Oubliant, comme l’avait bien mon­tré Gas­ton Bache­lard que les para­doxes d’aujourd’hui deviennent les para­digmes de demain, ce qui est le propre d’une science authen­tique alliant l’intuition et l’argumentation, le sen­sible et la rai­son, le micro­cosme se contente d’un « décor » scien­tiste propre à l’affairement désor­don­né qui est le sien.

    Démo­crates, peut-être, mais démo­philes, cer­tai­ne­ment pas

    Poli­tiques, jour­na­listes, experts péro­rant jusqu’à plus soif sont en effet, à leur « affaire » : ins­truire et diri­ger le peuple, fût-ce contre le peuple lui-même. Tant il est vrai que les démo­crates auto-pro­cla­més sont très peu démo­philes. Au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de popu­listes, ras­su­ristes voire de com­plo­tistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.

    On peut d’ailleurs leur retour­ner le com­pli­ment. Il suf­fit d’entendre, pour ceux qui en ont encore le cou­rage, leur lan­ci­nante logor­rhée, pour se deman­der si ce ne sont pas eux, les chas­seurs de fake news, qui sont les pro­ta­go­nistes essen­tiels d’une authen­tique « com­plo­sphère »[1]. Très pré­ci­sé­ment parce qu’ils se contentent de mettre le monde en spectacle.

    Pour reprendre le mot de Pla­ton, décri­vant la dégé­né­res­cence de la démo­cra­tie, la « Théâ­tro­cra­tie » est leur lot com­mun. Poli­tique spec­tacle des divers poli­ti­ciens, simu­lacre intel­lec­tuel des experts de paco­tille et innom­brables bana­li­tés des jour­na­listes ser­vant la soupe aux pre­miers, tels sont les élé­ments majeurs consti­tuant le tin­ta­marre propre à ce que l’on peut nom­mer la médio­cri­té de la médiacratie.

    Face à l’inquisition de l’infosphère

    J’ai qua­li­fié ce tin­ta­marre « d’infosphère ». Nou­velle inqui­si­tion, celle d’une élite dépha­sée regar­dant « de tra­vers » tout à la fois le peuple mal­séant et tous ceux n’adhérant pas au caté­chisme de la bien­pen­sance. « Regar­der de tra­vers », c’est consi­dé­rer ceux et ce que l’on regarde en coin comme étant par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reux. Et, en effet, le peuple est dan­ge­reux. Ils ne sont pas moins dan­ge­reux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sani­taire mise en scène par les théâ­tro­crates au pouvoir.

    Il fau­drait la plume d’un Molière pour décrire, avec finesse, leurs arro­gantes tar­tuf­fe­ries. Leur pha­ri­sia­nisme visant à confor­ter la peur, peut aller jusqu’à sus­ci­ter la déla­tion, la dénon­cia­tion de ceux ne res­pec­tant pas la mise à dis­tance de l’autre, ou de ceux refu­sant de par­ti­ci­per au bal mas­qué domi­nant. Leur jésui­tisme peut éga­le­ment favo­ri­ser la conspi­ra­tion du silence vis-à-vis du mécréant. (celui qui met en doute La Science). Et par­fois même aller jusqu’à leur évic­tion pure et simple des réseaux sociaux.

    Dans tous ces cas, il s’agit bien de la revi­vis­cence inqui­si­to­riale. La mise à l’Index : Index libro­rum pro­hi­bi­to­rum. Déla­tion et inter­dic­tion selon l’habituelle manière de l’inquisition : au moyen de pro­cé­dures secrètes. L’entre-soi est l’élément déter­mi­nant de la tar­tuf­fe­rie média­ti­co-poli­tique. L’omerta mafieuse : loi du silence, faux témoi­gnages, infor­ma­tions tron­quées, demi-véri­tés, sour­noi­se­ries etc. Voi­là bien le modus ope­ran­di de la four­be­rie en cours. Et tout un cha­cun peut com­plé­ter la liste de ces parades théâtrales.

    Voi­là les carac­té­ris­tiques essen­tielles de « l’infosphère », véri­table com­plo­sphère domi­nante. Mafia, selon la défi­ni­tion que j’ai pro­po­sée des élites, ras­sem­blant « ceux qui ont le pou­voir de dire et de faire ». Puis-je ici rap­pe­ler,  à nou­veau,  une rude expres­sion de Joseph de Maistre pour décrire ceux qui sont abs­traits de la vie réelle : « la canaille mon­daine ».

    Peut-être fau­drait-il même dire « demi-mon­daine ». Ce qui désigne, selon Alexandre Dumas, une « cocotte » riche­ment entre­te­nue et se mani­fes­tant bruyam­ment dans la sphère média­tique, le théâtre et la vie publique ou poli­tique. Demi-monde on ne peut plus nébu­leux dont les prin­ci­pales actions sont de défor­mer la réa­li­té afin de la faire ren­trer en congruence avec leur propre dis­cours. Demi-mon­daines entre­te­nues par l’État ou les puis­sances finan­cières de la démo­cra­tie afin de faire per­du­rer un état de choses désuet et rétrograde.

    Mais cette défor­ma­tion de la réa­li­té a, peu à peu, conta­mi­né l’espace public.

    C’est cela le cœur bat­tant du com­plo­tisme de « l’infosphère » : entre­te­nir « mon­dai­ne­ment » la peur de l’enfer contem­po­rain. Anxié­té, res­tric­tion des liber­tés accep­tée, couar­dise, angoisse dif­fuse et tout à l’avenant au nom du « tout sani­taire ». Forme contem­po­raine du « tout à l’égout » !

    Une vraie psycho-pandémie

    Sans nier la réa­li­té et l’importance du virus stric­to sen­su, sans négli­ger le fait qu’il ait pu pro­vo­quer un nombre non négli­geable de décès, ce qui n’est pas de ma com­pé­tence, il faut noter que le « virus » s’est intro­duit de manière essen­tielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduite à par­ler d’une « psy­cho-pan­dé­mie » sus­ci­tée et entre­te­nue par l’oligarchie médiatico-politique.

    Psy­cho-pan­dé­mie comme étant la consé­quence logique de ce que Hei­deg­ger nomme la « pen­sée cal­cu­lante » qui, obnu­bi­lée par le chiffre et le quan­ti­ta­tif et fas­ci­née par une  logique abs­traite du « devoir être », oublie la longue rumi­na­tion de la « pen­sée médi­tante » qui, elle, sait s’accorder, tant bien que mal à la néces­si­té de la finitude.

    Voi­là ce qui, pour l’immédiat sus­cite une sorte d’auto-anéantissement ou d’auto-aliénation condui­sant à ce que ce bel esprit qu’était La Boé­tie nom­mait la « ser­vi­tude volon­taire ». Ce qui est, sur la longue durée des his­toires humaines, un phé­no­mène récur­rent. Cause et effet de la stra­té­gie de la peur qui est l’instrument pri­vi­lé­gié de tout pou­voir, quel qu’il soit.

    Stra­té­g

  • Rod Dreher : « Si nous ne sommes pas prêts à souffrir, nous sommes perdus », par BENJAMIN BOIVIN pour le maga­zine : « L

    Rod Dre­her est par­mi les commen­ta­teurs chré­tiens de ten­dance conser­va­trice les plus connus en Occi­dent, du moins aux États-Unis. Il s’est sur­tout fait connaitre outre-mer avec son livre Le pari béné­dic­tin, qui pro­pose une réflexion sur l’avenir des chré­tiens en Occi­dent. Il a accep­té de répondre à nos ques­tions sur son der­nier ouvrage, Résis­ter au men­songe : vivre en chré­tiens dis­si­dents, paru chez Artège en avril dernier. 

    9.pngDepuis le début de la crise sani­taire les com­men­ta­teurs poli­tiques s’indignent dès que l’on parle de l’évolution de notre socié­té vers un sys­tème tota­li­taire, on nous rap­pelle inlas­sa­ble­ment que les lois sont votées au par­le­ment (crou­pion) et que le conseil consti­tu­tion­nel, tota­le­ment insoup­çon­nable d’une moindre allé­geance au pou­voir, valide les déci­sions, nous sommes donc en démo­cra­tie, fer­mez le ban. Rod Dre­her, d’outre Atlan­tique nous rap­pelle que le livre pro­phé­tique d’Aldous Hux­ley « le meilleur des mondes » nous explique que le par­fait tota­li­ta­risme est celui du condi­tion­ne­ment habile qui nous fait dési­rer nos fers. Dans ce docu­ment il n’est pas ques­tion de COVID, mais de cette notion à laquelle il fau­dra doré­na­vant nous habi­tuer : Le tota­li­ta­risme mou, qui s’applique ici à la révo­lu­tion socié­tale anti-chré­tienne et qui ins­tru­men­ta­lise l’être humain. (AF)

    L’un des traits dis­tinc­tifs de votre nou­veau livre est la place accor­dée aux témoi­gnages de chré­tiens dis­si­dents de l’ancien bloc sovié­tique. Pou­vez-vous com­men­cer par nous dire ce qui vous a ins­pi­ré l’écriture de ce livre ? S’agit-il en quelque sorte d’un pro­lon­ge­ment de votre « pari bénédictin » ? 

    Oui, c’est une conti­nua­tion du pari béné­dic­tin, même si je ne l’avais pas pré­vu ain­si. Le pari béné­dic­tin est un livre pour les chré­tiens qui vivent dans un monde où le chris­tia­nisme s’effondre. Un monde qui devient moins chré­tien. Il s’agit de savoir com­ment résis­ter à la déca­dence de l’Église. Résis­ter au men­songe est un livre sur la manière de résis­ter à l’hostilité venant de l’extérieur de l’Église, d’une socié­té qui nous per­sé­cute de plus en plus. C’est quelque chose qui pro­gresse à un rythme cho­quant, cer­tai­ne­ment aux États-Unis ; et je pense qu’au Cana­da, cela va encore plus vite et plus loin. 

    J’ai eu l’idée de ce livre, il y a envi­ron cinq ou six ans. Un jour, j’ai reçu un appel télé­pho­nique d’un méde­cin amé­ri­cain, un catho­lique, qui m’a dit : « Écou­tez, vous ne me connais­sez pas, mais je dois racon­ter cette his­toire à un jour­na­liste. Je pense que c’est important. » 

    Il m’a par­lé de sa mère, qui est assez âgée et qui vit avec lui et sa femme. Au début de sa vie, elle avait pas­sé plu­sieurs années dans un camp de pri­son­niers dans sa Tché­co­slo­va­quie natale, où elle était accu­sée d’être une espionne du Vati­can. Pour­quoi ? Parce qu’elle conti­nuait d’aller aux réunions de prière de sa paroisse catho­lique. Les com­mu­nistes l’ont donc mise en pri­son. Après sa sor­tie, elle a émi­gré en Amé­rique, a ren­con­tré son père et a pas­sé le reste de sa vie aux États-Unis. Mais ici, vers la fin de sa vie, la vieille femme a dit : « Mon fils, les choses que je vois se pas­ser en Amé­rique aujourd’hui me rap­pellent ce qui se pas­sait quand le com­mu­nisme est arri­vé dans mon pays ». 

    Quand le doc­teur m’a dit cela, j’ai pen­sé : « Ma mère est vieille, elle regarde beau­coup les infor­ma­tions à la télé­vi­sion, elle est très alar­mée par les choses qu’elle y voit. Peut-être que c’est ce qui se passe avec cette vieille femme. » Mais je me suis pro­mis que chaque fois que je ren­con­tre­rais quelqu’un du bloc sovié­tique, je lui deman­de­rais : « Alors, est-ce que les choses que vous voyez aujourd’hui vous rap­pellent ce que vous avez lais­sé der­rière vous ? » Cha­cun d’entre eux répon­dait : « Oui. » Si vous par­lez avec eux assez long­temps, vous décou­vri­rez qu’ils sont très en colère parce qu’aucun Amé­ri­cain ne les prend au sérieux, parce que nous, en Amé­rique du Nord, pen­sons que cela ne peut pas arri­ver ici. 

    Mais ces gens savent ce qu’ils voient et ils ont aus­si du mal à l’accepter, car cela ne res­semble pas exac­te­ment à ce qu’ils ont lais­sé der­rière eux. Dans la plu­part des cas, ils ont lais­sé der­rière eux des États poli­ciers, où les gens allaient en pri­son pour leurs convic­tions, où la police secrète les espion­nait en per­ma­nence, où l’on ne pou­vait faire confiance à per­sonne, etc. Ce n’est pas ce qui se passe ici. Du moins, pas encore. 

    Mais ce qu’ils constatent, c’est que les gens ont peur de dire ce qu’ils pensent vrai­ment par crainte non pas d’aller en pri­son, mais par crainte de perdre leur emploi, de voir leur répu­ta­tion pro­fes­sion­nelle rui­née, de perdre des membres de leur famille et des amis. Ils voient cer­tains livres être trai­tés comme s’ils étaient toxiques, être effec­ti­ve­ment inter­dits, même si aucune loi n’a été adop­tée pour inter­dire des livres. Et ils voient des gens être sépa­rés sur la base de leur race, de leur iden­ti­té sexuelle, etc. 

    Cela leur rap­pelle ce qui se pas­sait dans le vieux pays : si le gou­ver­ne­ment qua­li­fiait quelqu’un de « bour­geois » ou d’un autre nom indi­quant qu’il était oppo­sé à la révo­lu­tion, alors vous ne deviez rien dire d’autre à son sujet, il était consi­dé­ré comme un enne­mi du peuple. On voit ce qui se passe aujourd’hui quand on traite les gens de racistes, d’homophobes ou de trans­phobes. C’est la même chose. Et c’est pour­quoi j’ai appe­lé ça du tota­li­ta­risme mou. Il n’est pas dur au sens de la per­sé­cu­tion, comme c’était le cas dans le bloc sovié­tique, mais c’est tout de même un tota­li­ta­risme parce qu’il insiste sur le fait qu’il n’y a qu’une seule façon de com­prendre le monde, et que les gens doivent être punis s’ils ne la par­tagent pas. 

    Vous par­lez sou­vent de tota­li­ta­risme mou. Com­ment le défi­nis­sez-vous ? Dans quelle mesure se dis­tingue-t-il du tota­li­ta­risme au sens clas­sique, notam­ment par rap­port à l’expérience sovié­tique ? Parle-t-on de tota­li­ta­risme au sens fort ou plu­tôt au sens analogique ?

    Je pense qu’il est plus proche de la réa­li­té, mais il y a plu­sieurs rai­sons pour les­quelles je le qua­li­fie de mou. 

    Tout d’abord, il n’y a pas de gou­lags, il n’y a pas de police secrète, donc on ne peut pas vrai­ment dire que ce soit proche du tota­li­ta­risme dur du bloc sovié­tique. Néan­moins, les gens ont tou­jours peur pour leur emploi, ils ont tou­jours peur de dire ce qu’ils pensent. Toutes ces carac­té­ris­tiques qui étaient pré­sentes dans la socié­té sovié­tique sont de plus en plus pré­sentes dans nos démo­cra­ties libérales. 

    Si vous regar­dez la défi­ni­tion du tota­li­ta­risme, il n’est pas stric­te­ment néces­saire qu’il y ait un gou­ver­ne­ment auto­ri­taire der­rière. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’une socié­té dans laquelle une seule idéo­lo­gie est auto­ri­sée, et où chaque aspect de la vie est idéo­lo­gique. C’est pour­quoi nous pou­vons l’avoir dans une démo­cra­tie libérale. 

    Le gou­ver­ne­ment des États-Unis — et le gou­ver­ne­ment du Cana­da, pour autant que je sache — ne vous pour­sui­vra pas pour avoir cru ou dit des choses cho­quantes, mais vous pou­vez quand même payer un lourd tri­but, parce que les grandes entre­prises vous pour­sui­vront, les uni­ver­si­tés vous pour­sui­vront, la foule de Twit­ter vous atta­que­ra, votre Église pour­rait vous atta­quer, etc. Vous n’avez pas besoin d’aller en pri­son pour perdre beau­coup en offen­sant l’idéologie domi­nante, que nous appe­lons « woke ».

    Un deuxième aspect de la mol­lesse est le fait que tout est fait au nom de la com­pas­sion. Nous n’avons pas le droit de dire quoi que ce soit qui puisse être consi­dé­ré comme une cri­tique des per­sonnes trans, par exemple, car si nous le fai­sons, nous pour­rions les pous­ser au sui­cide. C’est ce qu’on nous dit. Nous n’avons pas le droit de cri­ti­quer Black Lives Mat­ter parce que nous devons être com­pa­tis­sants envers les Afro-Amé­ri­cains qui ont souf­fert de discrimination. 

    Il défi­nit la com­pas­sion comme le fait d’être d’accord sans dévia­tion avec un pro­gramme idéo­lo­gique par­ti­cu­lier. Par consé­quent, les per­sonnes qui n’affirment pas l’idéologie du genre, par exemple, ne peuvent pas faire preuve de com­pas­sion, quelle que soit leur dou­ceur envers les per­sonnes trans. C’est une forme de contrôle poli­tique. Lorsque vous voyez à quel point les gens sont ter­ri­fiés au sein des uni­ver­si­tés, des entre­prises, de tant d’institutions de notre socié­té, que vous voyez à quel point ils sont ter­ri­fiés à l’idée de s’opposer à ce pro­gramme idéo­lo­gique, cela vous indique qu’il se passe quelque chose de totalitaire. 

    Il est beau­coup plus dif­fi­cile de résis­ter à ce type de tota­li­ta­risme, car si vous l’acceptez, vous vous sen­tez bien. 

    Notre idée du tota­li­ta­risme est for­te­ment ins­pi­rée de celle de 1984 de George Orwell. Ce à quoi nous avons affaire main­te­nant, ce tota­li­ta­risme mou, res­semble beau­coup plus au Meilleur des mondes d’Aldous Hux­ley. Dans Orwell, l’État oblige les gens à se confor­mer en leur fai­sant craindre de souf­frir. Dans la dys­to­pie d’Huxley, l’État oblige les gens à se confor­mer en contrô­lant leurs plai­sirs. Il leur donne des diver­tis­se­ments constants, des drogues constantes, du sexe. Tout ce que vous vou­lez pour vous rendre heu­reux, l’État vous le donnera. 

    Mus­ta­pha Menier, une figure majeure du roman, appelle cela le chris­tia­nisme sans larmes. C’est beau­coup plus ce à quoi nous sommes confron­tés aujourd’hui, l’idée que la pire chose à laquelle nous pou­vons faire face est l’anxiété, que la souf­france est la pire chose au monde. Tout ce qui sou­lage la souf­france est donc jus­ti­fié. Il est beau­coup plus dif­fi­cile de résis­ter à ce type de tota­li­ta­risme, car si vous l’acceptez, vous vous sen­tez bien. 

    Dans votre livre, vous expri­mez un cer­tain nombre d’inquiétudes à l’égard des grandes entre­prises. Est-elle au pro­gres­sisme contem­po­rain ce que l’État était aux tota­li­ta­rismes du pas­sé, notam­ment sovié­tique ? Com­ment cela fonctionne-t-il ?

    En par­tie, oui. Ce qui rend le tota­li­ta­risme mou si inté­res­sant pour moi en tant que phé­no­mène par rap­port au tota­li­ta­risme pas­sé, c’est que, pour l’instant du moins, il n’implique pas vrai­ment l’État. Il implique plu­tôt la plu­part des ins­ti­tu­tions de la socié­té civile. 

    Nous avons vu cette idéo­lo­gie tra­ver­ser les ins­ti­tu­tions de la socié­té civile en Amé­rique du Nord, les uni­ver­si­tés, les médias, le droit, la méde­cine et ain­si de suite, mais la plus grande chose qu’elle a conquise, ce sont les grandes entre­prises, parce que les entre­prises sont si puis­santes dans notre culture consu­mé­riste que si elles décident de pro­mou­voir une idéo­lo­gie, elles dis­posent d’immenses res­sources pour le faire. 

    Dans le tota­li­ta­risme mou, les entre­prises jouent le rôle joué par l’État dans le tota­li­ta­risme dur.

    Pen­dant la majeure par­tie de ma vie, le monde des affaires s’est tenu à l’écart de tout ce qui était contro­ver­sé parce qu’il sup­po­sait que c’était mau­vais pour les affaires. Mais vers 2010, les entre­prises ont com­men­cé à deve­nir vrai­ment progressistes. 

    En 2015, juste avant la déci­sion Ober­ge­fell — la déci­sion de la Cour suprême des États-Unis léga­li­sant le mariage homo­sexuel — l’État de l’Indiana a adop­té une loi qui aurait don­né aux per­sonnes reli­gieuses une cer­taine pro­tec­tion s’ils étaient pour­sui­vis pour dis­cri­mi­na­tion. Cela n’aurait pas garan­ti qu’ils gagnent, mais cela leur aurait don­né un argu­ment pour défendre leur liber­té reli­gieuse. Les grandes entre­prises ont atta­qué mas­si­ve­ment l’État de l’Indiana. Une coa­li­tion de socié­tés comme AppleSales­force — de grandes socié­tés — a dit à l’État de l’Indiana : « Si vous n’abrogez pas cette loi, vous serez sévè­re­ment sanc­tion­nés ». L’État a abro­gé la loi et aucun autre État n’a essayé d’adopter ce type de loi depuis lors, même si la loi de l’État était cal­quée sur une loi fédé­rale amé­ri­caine exis­tante qui avait été adop­tée en 1993. 

    Ce fut le Water­loo du conser­va­tisme social en Amé­rique, car pour la pre­mière fois, les entre­prises se sont oppo­sées de manière très dure à cet acte d’une légis­la­ture démo­cra­ti­que­ment élue, l’obligeant à se rétrac­ter pour des rai­sons socia­le­ment pro­gres­sistes. Depuis lors, le monde des affaires est deve­nu encore plus « woke », non seule­ment en ce qui concerne les per­sonnes LGBTQ+ mais aus­si, bien sûr, en ce qui concerne l’identité raciale. En ce sens, dans le tota­li­ta­risme mou, les entre­prises jouent le rôle joué par l’État dans le tota­li­ta­risme dur.

    Dans la pre­mière par­tie de votre livre, vous vou­lez infor­mer vos lec­teurs des dan­gers d’un tota­li­ta­risme mou. Dans la seconde par­tie, vous cher­chez à les y pré­pa­rer. Quels sont les prin­cipes à suivre pour se défendre contre la menace d’un tota­li­ta­risme mou tel que décrit dans votre livre ? 

    Comme vous le dites, la deuxième moi­tié du livre porte sur ce sujet. Il s’agit d’histoires racon­tées par des dis­si­dents catho­liques, pro­tes­tants et ortho­doxes qui l’ont vécu et qui ont des conseils à nous don­ner. La chose la plus impor­tante que nous puis­sions faire est de com­prendre que nous devons défendre la véri­té, quoi qu’il nous en coute. Si nous ne croyons pas que la véri­té est la chose la plus impor­tante, alors nous nous per­sua­de­rons de n’importe quoi, nous accep­te­rons de capi­tu­ler devant n’importe quoi. 

    Le titre du livre Résis­ter au men­songe pro­vient d’un essai que Sol­je­nit­syne a écrit à ses par­ti­sans en Rus­sie en 1974, juste avant que les Sovié­tiques ne l’expulsent. Il leur disait : « Écou­tez, nous n’avons pas le pou­voir de faire quoi que ce soit contre ce gou­ver­ne­ment tota­li­taire, mais la seule chose que nous pou­vons faire est de refu­ser de dire des choses aux­quelles nous ne croyons pas ». Et il leur a don­né

  • Après le Nigeria, la Côte d'Ivoire dépasse l'Angola en richesse par habitant, par Ilyes Zouari.

    Après avoir récem­ment dépas­sé le Nige­ria, pre­mier pro­duc­teur afri­cain de pétrole, la Côte d’I­voire vient de réa­li­ser l’ex­ploit de dépas­ser en richesse par habi­tant l’An­go­la, second pro­duc­teur conti­nen­tal de pétrole, avec une pro­duc­tion envi­ron trente fois supé­rieure, et second pro­duc­teur afri­cain de dia­mants. Cette per­for­mance est le résul­tat des nom­breuses réformes accom­plies au cours de la der­nière décen­nie, ain­si que d’une poli­tique active de diversification.

    3.jpgSelon les don­nées récem­ment publiées par la Banque mon­diale, la Côte d’I­voire affi­chait un PIB par habi­tant de 2 326 dol­lars début 2021, dépas­sant ain­si désor­mais l’An­go­la dont la richesse par habi­tant, en baisse depuis quelques années, s’é­ta­blis­sait à 1 896 dol­lars. Par ailleurs, la Côte d’i­voire conti­nue à creu­ser l’é­cart avec le Nige­ria (2 097 dol­lars) ou encore avec le Kenya (1 838 dollars).

    Une grande per­for­mance due à une crois­sance record

    Cette évo­lu­tion consti­tue un véri­table exploit pour la Côte d’I­voire, dont les acti­vi­tés extrac­tives (hydro­car­bures et indus­tries minières) demeurent encore assez modestes, notam­ment par rap­port à l’An­go­la. Ce pays, à la popu­la­tion com­pa­rable (33 mil­lions d’ha­bi­tants contre 27 mil­lions pour la Côte d’I­voire), est en effet le deuxième pro­duc­teur afri­cain de dia­mants, après le Bots­wa­na (et le qua­trième mon­dial), ain­si que le deuxième pro­duc­teur de pétrole avec une pro­duc­tion qui se situe encore, et mal­gré une baisse régu­lière ces der­nières années, à envi­ron 1,2 mil­lion de barils par jour, contre envi­ron 35 mille seule­ment pour la Côte d’I­voire. Une faible pro­duc­tion ivoi­rienne qui est éga­le­ment très loin der­rière celle du Nige­ria (près de 2 mil­lions de barils/jour, soit envi­ron 50 fois plus), qu’elle avait aus­si et récem­ment dépas­sé, et qui devrait éga­le­ment, tout comme l’An­go­la, être bien­tôt devan­cé par le Séné­gal et le Came­roun, qui affichent sou­vent des taux de crois­sance deux ou trois fois plus élevés.

    L’im­por­tante pro­gres­sion de la Côte d’I­voire résulte de la très forte crois­sance que connaît le pays depuis plu­sieurs années. Sur la période de neuf années allant de 2012 à 2020, période suf­fi­sam­ment longue pour pou­voir éta­blir des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales, la Côte d’I­voire a réa­li­sé la plus forte crois­sance au monde dans la caté­go­rie des pays ayant un PIB par habi­tant supé­rieur ou égal à 1 000 dol­lars, avec une crois­sance annuelle de 7,4 % en moyenne. Plus impres­sion­nant encore, elle se classe deuxième toutes caté­go­ries confon­dues, pays très pauvres inclus, fai­sant ain­si mieux que 30 des 31 pays au monde qui avaient un PIB par habi­tant infé­rieur à 1 000 dol­lars début 2012. La Côte d’I­voire n’est alors dépas­sée que par l’É­thio­pie, qui a connu une crois­sance annuelle de 8,9 % en moyenne. Une per­for­mance qui résulte essen­tiel­le­ment du très faible niveau de déve­lop­pe­ment de ce pays d’A­frique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012, et qui en demeure un des plus pauvres avec un PIB par habi­tant de seule­ment 936 dol­lars début 2021 (soit au début de l’ac­tuelle guerre civile).

    De son côté, et sur cette même période de neuf années, l’An­go­la a enre­gis­tré une crois­sance de seule­ment 0,9 % en moyenne annuelle, tan­dis que le Nige­ria a affi­ché une pro­gres­sion annuelle de 2,3 %. De même, il est à noter que la crois­sance ivoi­rienne a éga­le­ment été lar­ge­ment supé­rieure à celle de l’A­frique du Sud, géant minier du conti­nent (pre­mier pro­duc­teur afri­cain de char­bon, de fer, de man­ga­nèse ou encore de nickel, deuxième pro­duc­teur d’or…), et dont la hausse annuelle moyenne du PIB s’est éta­blie à seule­ment 0,4 % sur la période.

    Par ailleurs, il est à signa­ler que la Côte d’I­voire est récem­ment deve­nue le pre­mier pays afri­cain de l’his­toire (et le seul encore aujourd’­hui) dis­po­sant d’une pro­duc­tion glo­ba­le­ment assez modeste en matières pre­mières non renou­ve­lables, du moins jus­qu’à pré­sent, à dépas­ser en richesse un pays d’A­mé­rique his­pa­nique, à savoir le Nica­ra­gua dont le PIB par habi­tant attei­gnait 1 905 dol­lars début 2021 (hors très petits pays afri­cains de moins de 1,5 mil­lion d’ha­bi­tants, majo­ri­tai­re­ment insu­laires). La Côte d’I­voire est d’ailleurs sur le point de devan­cer éga­le­ment le Hon­du­ras, dont le PIB par habi­tant se situait à 2 406 dollars.

    Dans un autre registre, il est à noter que les per­for­mances éco­no­miques de la Côte d’I­voire se sont accom­pa­gnées d’une maî­trise de l’en­det­te­ment, avec un niveau de dette publique qui s’é­ta­blis­sait à seule­ment 45,7 % du PIB début 2021, selon le FMI, contre non moins de 127,1 % pour l’An­go­la, qua­trième pays le plus endet­té d’A­frique mal­gré ses énormes richesses. Le niveau d’en­det­te­ment de la Côte d’I­voire demeure éga­le­ment lar­ge­ment infé­rieur à celui de pays comme l’A­frique du Sud (77,1 %), le Gha­na (78,0 %) ou encore le Kenya (68,7 %). 

    Enfin, la forte crois­sance de l’é­co­no­mie ivoi­rienne s’est éga­le­ment accom­pa­gnée d’un bon contrôle de l’in­fla­tion, qui s’est située à seule­ment 0,8 % en moyenne annuelle sur la période 2012 – 2019 (8 années), contre non moins de 16,3 % et 11,6 % pour l’An­go­la et le Nige­ria, res­pec­ti­ve­ment. Deux pays dont les popu­la­tions les plus fra­giles ont été gran­de­ment péna­li­sées par la forte hausse du prix des pro­duits de base. Les graves dif­fi­cul­tés éco­no­miques de l’An­go­la et du Nige­ria se sont notam­ment tra­duites par une impor­tante dépré­cia­tion de leur mon­naie natio­nale, qui ont res­pec­ti­ve­ment per­du envi­ron 85 % et 60 % de leur valeur face au dol­lar depuis 2014 (et, depuis sa créa­tion, plus de 99 % de sa valeur pour la mon­naie nigé­riane). Une situa­tion qui a notam­ment pour consé­quence une forte dol­la­ri­sa­tion de l’é­co­no­mie de ces deux pays, c’est-à-dire une large uti­li­sa­tion du dol­lar pour les tran­sac­tions éco­no­miques au détri­ment de la mon­naie natio­nale, consi­dé­rée comme risquée.

    Réformes et diver­si­fi­ca­tion active

    Les résul­tats de la Côte d’I­voire s’ex­pliquent par les pro­fondes réformes réa­li­sées par le pays afin d’a­mé­lio­rer le cli­mat des affaires et d’at­ti­rer les inves­tis­seurs, ain­si que par une poli­tique de diver­si­fi­ca­tion des sources de reve­nus et de grands tra­vaux d’infrastructure. 

    Suite à de nom­breuses réformes admi­nis­tra­tives, juri­diques et fis­cales, la Côte d’I­voire a réus­si à ins­tau­rer un cadre pro­pice à l’en­tre­pre­na­riat local et aux inves­tis­se­ments étran­gers. Le pays a ain­si fait un bond consi­dé­rable dans le clas­se­ment inter­na­tio­nal rela­tif au cli­mat des affaires, publié chaque année par la Banque mon­diale, en pas­sant de la 167e place en 2012 à la 110e pour l’an­née 2020. Même si elle demeure moins bien clas­sée que des pays comme le Maroc (53e) ou l’A­frique du Sud (84e), la Côte d’I­voire fait tou­te­fois désor­mais lar­ge­ment mieux que le Nige­ria (131e), l’An­go­la (177e) ou encore l’É­thio­pie (clas­sée 159e, avant le début de la guerre civile). Au pas­sage, il convient de rap­pe­ler que la maî­trise de l’in­fla­tion, élé­ment ayant une inci­dence cer­taine sur l’en­vi­ron­ne­ment des affaires, n’est hélas pas prise en compte dans l’é­la­bo­ra­tion du clas­se­ment annuel de la Banque mon­diale, ce qui n’est pas à l’a­van­tage de la Côte d’I­voire où l’in­fla­tion est bien plus faible que dans les pays pré­cé­dem­ment cités.

    Ces réformes se sont accom­pa­gnées de la réa­li­sa­tion de grands tra­vaux à tra­vers le pays (routes, ponts, trans­ports publics – comme le futur tram­way d’A­bid­jan, cen­trales élec­triques, réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, loge­ments sociaux…), ain­si que d’une poli­tique active de diver­si­fi­ca­tion des sources de reve­nus, en s’ap­puyant notam­ment sur le déve­lop­pe­ment du sec­teur agri­cole, des indus­tries de trans­for­ma­tion, ou encore de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té. Déjà pre­mier pro­duc­teur mon­dial de cacao depuis long­temps, la Côte d’I­voire s’est ain­si éga­le­ment his­sée au cours de la der­nière décen­nie au pre­mier rang mon­dial pour la pro­duc­tion de noix de cajou, et au pre­mier rang afri­cain (et qua­trième mon­dial) pour le caou­tchouc natu­rel, dont elle assure désor­mais près de 80 % de la pro­duc­tion conti­nen­tale, suite à un quin­tu­ple­ment de la pro­duc­tion natio­nale. Le pays est éga­le­ment le second pro­duc­teur afri­cain d’huile de palme (der­rière le Nige­ria), et est récem­ment deve­nu le deuxième pro­duc­teur conti­nen­tal de coton (après le Bénin). Par ailleurs, le pays dis­pose d’un sec­teur halieu­tique assez impor­tant, étant notam­ment le pre­mier pro­duc­teur afri­cain de thon. 

    Paral­lè­le­ment à la hausse de la pro­duc­tion agri­cole, le pays a éga­le­ment por­té une atten­tion par­ti­cu­lière à la trans­for­ma­tion locale de la pro­duc­tion, source d’une valeur ajou­tée bien plus impor­tante pour le pays, dont elle contri­bue éga­le­ment à l’in­dus­tria­li­sa­tion. Ain­si, et grâce à la mul­ti­pli­ca­tion des usines de trans­for­ma­tion, encou­ra­gées par un cadre pro­pice à l’in­ves­tis­se­ment, la Côte d’I­voire trans­forme aujourd’­hui loca­le­ment (tous stades de trans­for­ma­tion confon­dus) les deux tiers de sa pro­duc­tion de caou­tchouc natu­rel et de thon, près du quart de sa pro­duc­tion de cacao et envi­ron 12 % sa pro­duc­tion de noix de cajou. Le pays a d’ailleurs pour objec­tif d’aug­men­ter encore ces niveaux de trans­for­ma­tion locale, et notam­ment dans les filières cacao et noix de cajou, pour les­quelles il espère atteindre un niveau de 50 % d’i­ci 2025. Très récem­ment, en juin der­nier, la plus grande des usines de trans­for­ma­tion de noix de cajou du pays vient jus­te­ment d’en­trer en pro­duc­tion. Une usine qui se dis­tingue comme étant la plus moderne du monde dans son domaine, avec un taux d’au­to­ma­ti­sa­tion de plus de 90 %, et qui devrait même deve­nir la plus grande usine de trans­for­ma­tion au monde après la construc­tion d’une uni­té de valo­ri­sa­tion des coques pour la pro­duc­tion d’électricité.

    La pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té est d’ailleurs un des domaines dans les­quels le pays a for­te­ment inves­ti au cours de la der­nière décen­nie, avec pour résul­tat une hausse de deux tiers de la pro­duc­tion natio­nale (assor­tie d’une part gran­dis­sante pour les éner­gies renou­ve­lables : solaire, bio­masse, hydro­élec­tri­ci­té…). Dis­po­sant désor­mais du troi­sième plus grand sys­tème de pro­duc­tion élec­trique du conti­nent, selon la Banque mon­diale, le pays est même deve­nu un des prin­ci­paux expor­ta­teurs en la matière à l’é­chelle conti­nen­tale, ache­mi­nant envi­ron 11 % de sa pro­duc­tion vers six pays d’A­frique de l’Ouest. Au niveau natio­nal, le taux de cou­ver­ture est pas­sé de 33 % des loca­li­tés ivoi­riennes début 2012 à plus de 75 % aujourd’­hui, cou­vrant ain­si plus de 90 % de la popu­la­tion (même si une par­tie mino­ri­taire de la popu­la­tion de ces loca­li­tés ne béné­fi­cie pas encore de l’élec­tri­ci­té à domicile).

    L’élec­tri­fi­ca­tion du pays consti­tue en effet un élé­ment de grande impor­tance pour la réus­site de toute poli­tique de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social. Outre les acti­vi­tés pré­cé­dem­ment citées, elle est aus­si cru­ciale pour le déve­lop­pe­ment du sec­teur des nou­velles tech­no­lo­gies, ou encore pour la mise en place d’un réseau sco­laire éten­du et per­for­mant à tra­vers le pays, soit deux domaines eux aus­si en forte pro­gres­sion. À titre d’exemple, les pre­miers ordi­na­teur et télé­phone por­table (intel­li­gent) assem­blés loca­le­ment ont été pré­sen­tés aux médias en juin der­nier, ce qui consti­tue un cas encore assez rare en Afrique sub­sa­ha­rienne. Quant à l’é­du­ca­tion, les cinq der­nières années ont vu l’ou­ver­ture d’au­tant de classes à tra­vers le pays qu’au cours des vingt années pré­cé­dentes. Une accé­lé­ra­tion qui s’ex­plique, notam­ment, par la sco­la­ri­sa­tion ren­due obli­ga­toire à par­tir de la ren­trée 2015 pour les enfants âgés de 6 à 16 ans.

    Grâce à la diver­si­fi­ca­tion des sources de reve­nus, les acti­vi­tés direc­te­ment liées aux indus­tries extrac­tives (hydro­car­bures et indus­tries minières), et mal­gré l’aug­men­ta­tion de leur pro­duc­tion au cours des der­nières années, ne repré­sentent aujourd’­hui qu’en­vi­ron 30 % des expor­ta­tions de biens du pays, dont l’é­co­no­mie est ain­si plus robuste et rési­liente face aux crises inter­na­tio­nales que celles de l’An­go­la, du Nige­ria ou encore de l’A­frique du Sud. En effet, ces acti­vi­tés pèsent pour envi­ron 98 % des expor­ta­tions ango­laises de biens et 93 % de celles du Nige­ria, ou encore pour près de 60 % des expor­ta­tions sud-afri­caines. En d’autres termes, les acti­vi­tés non direc­te­ment liées aux indus­tries extrac­tives repré­sentent envi­ron 70 % des expor­ta­tions ivoi­riennes de biens, alors qu’elles ne sont à l’o­ri­gine que d’en­vi­ron 40 % des expor­ta­tions de l’A­frique du Sud, et d’en­vi­ron 7 % et 2 % seule­ment de celles du Nige­ria et de l’An­go­la, res­pec­ti­ve­ment. Grâce à sa plus grande soli­di­té, l’é­co­no­mie ivoi­rienne a ain­si enre­gis­tré une crois­sance éco­no­mique de 6,4 % en moyenne sur la période de six années 2015 – 2020, mar­quée notam­ment par la baisse consi­dé­rable – et pro­ba­ble­ment durable – du cours des hydro­car­bures, tan­dis que le Nige­ria, l’An­go­la et l’A­frique du Sud ont affi­ché res­pec­ti­ve­ment des taux de 0,7 %, ‑1,6 % et ‑0,5 % (la crois­sance néga­tive de ces deux der­niers s’ex­pli­quant éga­le­ment par l’é­pui­se­ment de cer­tains gisements).

    Par ailleurs, il est à noter que la diver­si­fi­ca­tion de l’é­co­no­mie ivoi­rienne s’est éga­le­ment accom­pa­gnée d’une diver­si­fi­ca­tion des par­te­naires éco­no­miques du pays, dont la Chine est désor­mais le pre­mier par­te­naire com­mer­cial avec une part de 9,4 % du com­merce exté­rieur en 2019 (devant la France, deuxième, avec une part de 8,1 %). La pré­sence chi­noise se mani­feste sur­tout au niveau des impor­ta­tions du pays, dont elle a four­ni 17,2 % des besoins cette même année, devant le Nige­ria (13,5 %, essen­tiel­le­ment des hydro­car­bures), et loin devant la France, qui arrive troi­sième (10,7 %). La Chine demeure tou­te­fois un très modeste client de la Côte d’I­voire, dont elle n’a absor­bé que 2,9 % des expor­ta­tions en 2019, se clas­sant ain­si à la 14e posi­tion, loin der­rière les Pays-Bas qui se placent en pre­mière posi­tion, devant les États-Unis et la France. 

    Enfin, la diver­si­fi­ca­tion de l’é­co­no­mie ivoi­rienne devrait éga­le­ment se ren­for­cer avec le déve­lop­pe­ment atten­du du sec­teur tou­ris­tique, encore embryon­naire. En effet, et contrai­re­ment aux pays fran­co­phones que sont le Maroc et la Tuni­sie, deux des des­ti­na­tions phares du tou­risme sur le conti­nent, la Côte d’I­voire et plus glo­ba­le­ment l’A­frique fran­co­phone sub­sa­ha­rienne ont lar­ge­ment et lon­gue­ment délais­sé ce sec­teur à fort poten­tiel, fai­sant ain­si presque igno­rer au reste du monde l’exis­tence d’une faune, d’une flore et de pay­sages excep­tion­nels et com­pa­rables à ce qui peut être obser­vé dans cer­tains pays anglo­phones du conti­nent. Une situa­tion fort regret­table pour un pays qui ne manque pour­tant pas d’a­touts en la matière, notam­ment grâce à ses plages, ses parcs natio­naux ou encore sa basi­lique Notre-Dame de la Paix de Yamous­sou­kro (plus grand édi­fice chré­tien au monde, qua­si-réplique de la basi­lique Saint-Pierre de Rome, et dont l’exis­tence même est igno­rée par la qua­si-tota­li­té des chré­tiens des pays du Nord, y com­

  • L’Ukraine et le coup de bluff de Wladimir Poutine. Yves-Marie Laulan

    Poutine joue avec le sort de l’Ukraine comme un gros matou s’amuse avec une minuscule  souris. Il joue aussi avec les nerfs du monde occidental qui voudrait tant que ce cauchemar s’en aille de lui-même pour qu’il puisse enfin  retourner tranquillement à ses petites occupations  quotidiennes. Hélas, le problème ukrainien a la tête dure.

    Cette affaire a eu au moins de mérite de révéler au monde le vrai visage de Wladimir Poutine que l’on avait presque oublié après les fastes somptueux des Jeux de Sochi. Panem et circences disaient les anciens Romains. Nous avons eu les jeux du Cirque blanc et maintenant il nous faut avaler le pain noir de la géopolitique. Tout a son prix.

    1. On connait l’enchainement des faits. C’est au départ le refus, en novembre 2013, du président Yanoukovitch de signer l’accord commercial laborieusement négocié avec l’Union européenne pour tenter de sauver le pays de la faillite. Cette reculade, opérée sous la pression de Moscou, provoque alors l’embrasement de la place Maidan à Kiev. C’est la réaction  de colère de tout un peuple excédé devant l’incurie d’un potentat corrompu, incapable, mais fidèlement inféodé à la Russie. Les Ukrainiens voient, la mort dans l’âme, s’échapper l’espoir d’un rapprochement avec l’Europe avec la perspective d’une vie meilleure dans un environnement de liberté. Ces  manifestations provoquent la mort d’environ 80 personnes et des centaines de manifestants sont blessés par des tirs à balles réelles.  

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     Poutine lors de sa conférence de presse, juste après l'intervention Russe en Crimée...

    La destitution du président et l’installation d’un nouveau responsable à Kiev va à son tour provoquer l’entrée en scène de la Russie de Wladimir Poutine. Ce dernier craint de voir s’évaporer sous ses yeux le rêve d’une reconstitution, ne serait-ce que partielle, de l’ancien empire soviétique enfoui sous les décombres de la Perestroïka dans les années 90. Il caresse, en effet,  la vision d’une nouvelle Union eurasiatique, dont l’Ukraine serait évidemment la pièce maîtresse, aux côtés de la Biélorussie et peut-être , si tout se passe selon ses vœux, d’autres pays encore qui ont échappé à l’orbite russe (1).

    Et il faudrait renoncer à ce rêve grandiose pour une poignée de manifestants, évidemment des « bandits » et des « terroristes », qui avaient la prétention de vivre mieux dans la liberté.  Il fallait réagir. Et Poutine a réagi à sa façon en prenant la Crimée en otage et en faisant peser une pesante menace sur toutes les régions ukrainiennes plus ou moins peuplées de russophones.Car pour compliquer encore davantage le problème, l’Ukraine est loin d’être homogène. C’est un pays divisé par la langue et le sentiment d’appartenance à la nation ukrainienne ou à la Russie.

    2. C’est à cette occasion que  l’ancien officier du KGB qu’est Poutine a révélé sa personnalité profonde, jusqu’alors dissimulée sous les travestis d’un président autoritaire certes, mais « convenable », voire fréquentable, car encore soucieux, semblait-il, de respecter les apparences de la démocratie. On découvre aujourd’hui les traits d’un aventurier sans trop de scrupules, ou plutôt d’un joueur de poker menteur qui mise sans pudeur sur la faiblesse supposée de ses adversaires. Qui sera capot en premier ? Jusqu’à présent, c’est lui qui a raflé la mise. Mais pour combien de temps ?

    Car une partie de ce genre se joue toujours en deux temps. La deuxième manche pourrait bien avoir lieu dans deux ans, avec l’élection d’un nouveau président américain, vraisemblablement républicain, par une Amérique humiliée de son impuissance. Et à ce moment-là, le renard Poutine risque fort de devoir rentrer dans son trou, la queue entre ses jambes. Car le nouveau président américain risque fort de siffler la fin de la récréation. Mais, pour le moment, Poutine a le champ libre...

    Les pays de l’Union européenne s’agitent éperdument comme des poules gloussant après leurs poussins perdus et l’Amérique brandit piteusement des menaces en carton-pâte : un vrai « tigre de papier » comme  diraient les Chinois qui observent avec narquois la partie en se gardant bien d’intervenir.

    3. Poutine est-il l’héritier d’Hitler ou de Staline ? On peut espérer que non. Mais il emprunte sans doute aucun certains traits à l’un et à l’autre. Car il a le goût du bluff du premier et le machiavélisme du second. Comment ne pas voir, en effet, que le comportement du président russe évoque irrésistiblement celui d’Hitler volant au secours des Allemands des Sudètes en 1938.

    Le scénario  est bien connu. Rappelons-nous.

    La puissance dominante de l’époque, en l’occurrence l’Allemagne du IIIème Reich, agite la menace de protéger ses ressortissants installés en pays étranger, lesquels seraient molestés, ou menacés de l’être, par des « bandits » ou des « terroristes », que les autorités du pays d’accueil seraient bien incapables de contrôler, pour autant qu’ils le veuillent (2).

    Des manifestations spontanées se produisent alors, ou mieux, sont provoquées, ou même tout simplement organisées par des éléments infiltrés (3). Dès lors, il est du devoir national  d’intervenir par la diplomatie d’abord, par les armes ensuite si nécessaire, pour sauver la vie, ou le bien être, des populations opprimées. Et le tour est joué.

    Et c’est très exactement la mise en scène que la Russie de Poutine est en train d’organiser en Crimée et demain peut-être ailleurs, sous les yeux des Européens pusillanimes stupéfaits de tant d’audace et de cynisme. Tout cela se passe naturellement sous le blanc manteau des droits de l’homme, ou du devoir d’ingérence mis à la mode par ce grand naïf de Bernard Kouchner (qui n’avait évidemment pas prévu le mauvais usage que l’on pouvait en faire entre les mains d’un responsable malveillant) .

    4. Comme tous les grands joueurs de poker, Wladimir Poutine a eu de la chance. Il a pratiquement toutes les cartes en mains. Car en face de lui il n’a guère qu’une Europe invertébrée, pusillanime et divisée, qui se soucie de stratégie géopolitique de long terme comme un poisson d’une pomme. Une Europe qui, en 60 ans, n’a pas été capable de créer une défense commune digne de ce nom. Elle est en passe de payer cette carence aujourd’hui au prix fort quand le poids des armes pourrait peser plus lourd que celui de l’euro.

    Ainsi Angela Merkel, qui disposait jusqu’ici d’un parcours sans faute dans le domaine économique, montre ici les limites de ses capacités de chef d’Etat. Est-ce l’éternel féminin qui reprend le dessus devant le risque de violence résultant d’une confrontation militaire ? Ou alors est-elle à ce point aveuglée par les avantages du marché russe si riche de potentialités commerciales au détriment de toute autre considération géopolitique ?

    Il est vrai que de son côté François Hollande ne donne pas l’impression d’une plus grande fermeté, comme si l’action de son gouvernement devait se borner  à protéger les Musulmans en Centre-Afrique.

    Quant à l’Angleterre, naguère si sourcilleuse des équilibres européens et si prompte à défendre le droit international, la voilà aussi quasiment réduite au silence. 

    5. En réalité, tout se passe comme si l’Europe se préparait à revivre les accords de Munich de septembre 1938 signés, on s’en souvient, entre deux personnages bien falots, Edouard Daladier et Neville Chamberlain d’une part, et, d’autre part, Adolph Hitler.

    Ce dernier, devant la lâcheté de ses interlocuteurs, s’était cru tout permis et avait mis la main sans barguigner sur la malheureuse Tchécoslovaquie promptement dépecée. Mais, quelques mois plus tard, c’était la guerre. L’Europe avait négligé d’écouter l’avertissement prophétique de Winston Churchill : « Vous avez accepté la honte pour ne pas avoir la guerre. Vous avez la honte et vous aurez la guerre ». L’histoire, dit-on ne se répète pas mais parfois elle bégaie. Wladimir Poutine va-t-il commettre la même erreur de jugement ou saura-t-il s’arrêter à temps et savoir jusqu’où ne pas aller trop loin ?

    Par ailleurs, et c’est bien là le drame, l’Europe n’a guère envie de payer pour une Ukraine qui serait lourdement à sa charge. Et tant pis pour les  morts de la place Maidan. Morts pour rien ? Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire.

    6. En tout état de cause,  les Occidentaux, Etats-Unis inclus, n’ont toujours pas compris que l’URSS - pardon, je voulais dire la Russie de Poutine - n’a pas les mêmes règles de jeux qu’eux-mêmes. L’Occident se plait à échanger des balles avec grâce en respectant les règles comme au  tennis; les Russes sont enclins à considérer que  seul compte le résultat,  quels que soient les moyens employés. 

    On l’a vu, l’objectif de Poutine, après des Jeux d’hiver réussis (4),  au cours desquels il a eu le loisir de  contempler tous les sportifs neigeux de la planète évoluer à ses pieds, est de rétablir une zone d’influence  russe, sous le vocable commode d’Union eurasiatique. Cet ensemble regrouperait sous la domination russe tous  les pays qui ont cru pouvoir se soustraire à l’influence russe, à la faveur de l’indépendance, et cela pour un prix raisonnable.

    Vu sous cet angle, la Crimée n’est qu’un commencement, un banc d’essai en quelque sorte. Pour atteindre ses objectifs, tous les moyens lui seront bons, mensonges éhontés, faits travestis, informations tronquées, mutilées, perverties pour les besoins de la cause, arguments et justifications fallacieux.

    Le président russe ne parle-t-il pas, sans rire, d’un « coup d’Etat » pour dénoncer le renversement de son protégé Yanoukovitch ? N’évoque-t-il pas la levée spontanée de groupes d’autodéfense pour désigner sous ce vocable trompeur les troupes russes en tenue camouflée envoyées pour  patrouiller  en Crimée ? La Russie n’a pas connu près d’un siècle de régime communiste totalitaire sans avoir appris un certain langage, la novlangue soviétique, et retenu certaines leçons de comportement. Communisme ou non, ces reflexes sont toujours là. On les voit déjà à l’œuvre à l’occasion de la crise en Ukraine.

    C’est la raison pour laquelle les menaces de sanctions brandies, gel des avoirs des oligarques dans les banques, refus de visas pour les Etats-Unis, sont tout simplement  dérisoires. La Russie ne cèdera qu’à la force ou si le prix à payer devait dépasser excessivement les enjeux.

    7. Certes, sur le papier  le rapport des forces en présence est de façon écrasante en faveur de l’Amérique. La Russie a conservé sous les drapeaux près d’un million d’hommes en armes assortis d’équipements obsolètes, certes, pour la plupart, mais surabondants, pour un budget  de défense d’environ 61 milliard de dollars. Mais cela ne représente que le dixième de celui des Etats-Unis. Car l’Amérique,  de son côté, dispose d’effectifs militaires de plus d’un million et demi de personnes pour un budget littéralement colossal : 663 milliards de dollars.

    Mais le maillon faible du dispositif occidental est l’Europe. Cette dernière, entre la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne, n’est guère en mesure d’aligner qu’entre 50 à 100 000 soldats tout au plus, en état de combattre. Cela n’est pas fait pour surprendre. Car cela fait 60 ans que les budgets militaires des membres européens de l’Alliance Atlantique, dévorés par les crédits sociaux, se réduisent d’année en année comme une peau de chagrin. L’Europe ne rêve que retraites, soins de santé ou avantages sociaux. La sécurité extérieure n’entre pas dans ses catégories mentales. Ce n’est pas avec des dispositions  de ce genre que l’on gagne une guerre psychologique.

    Ce n’est pas non plus avec des moyens  militaires aussi étriqués que l’on peut songer à impressionner la Russie le moins du monde. Et Poutine le sait pertinemment. Le malheur veut que ses interlocuteurs européens le savent aussi. Les Etats-Unis et l’Europe peuvent donc s’attendre à une longue guerre d’usure, à laquelle ils ne sont nullement préparés, une nouvelle Guerre Froide. Ils ont de bonnes chances de la perdre. Dans l’état actuel des choses en tous cas.

    Certes, l’Otan existe encore là où le Pacte de Varsovie a disparu. Mais qu’importe. Il y a belle lurette que l’Otan n’existe plus qu’à l’état de squelette dépourvu de substance, plus préoccupé d’écologie et de la protection du pollen pour le miel des abeilles que du maintien de forces opérationnelles en état d’alerte. La crise, le laisser aller, la conviction que l’état de la paix éternelle était enfin advenu sur terre, combiné à la lâcheté, à l’inertie, tout cela a fait son œuvre.

    La conséquence est que, sans le soutien américain, l’Europe est totalement désarmée face à un adversaire potentiel plus de dix fois plus puissant. Les quelques pays européens qui ont conservé un appareil militaire de quelque conséquence, comme la France et l’Angleterre,  l’ont épuisé sur des théâtres d’opération totalement dépourvus d’intérêt stratégique, Libye, les Iles Falkland ou l’Afghanistan.

    Quant à la fameuse dissuasion nucléaire, encore faudrait-il avoir encore la force morale de s’en servir. Un de Gaulle ou une Margueritte Thatcher l’auraient fait sans troubles excessif de conscience. Mais un Cameron en fin de parcours ? Ayons la charité de ne pas nous poser la même question pour François Hollande. Il faut des âmes d’airain pour affronter sans faiblir des épisodes à hauts risques. Mais les héros se sont faits rares de nos jours.

    Car, répétons-le, c’est une guerre psychologique, un conflit de volontés qui s’engagent. Et à ce jeu-là, l’Europe n’est pas la mieux armée. L’Amérique non plus, qui regarde de plus en plus vers le Pacifique et la Chine, quand ce n’est pas le Moyen-Orient. Elle ne considère plus l’Europe comme un théâtre d’opération d’importance majeure comme au temps de la Guerre Froide. Peut-être est-ce à tort. Quoiqu’il en soit, Poutine est mieux loti car il sait clairement ce qu’il veut et comment y parvenir.

    Une affaire à suivre en tous cas. Car les dés n’ont pas fini encore de rouler sur la table. 



    (1) On songe évidemment à la Moldavie et à la Géorgie.

    (2) On observera non sans quelque gêne que  c’est un peu le même enchainement qui a servi de justificatif à l’intervention de la France en Libye contre le régime Kadhafi. Je l’avais vivement condamnée à l’époque (voir la Lettre de l’IGP n° 14)

    (3) Au besoin transportés comme c’est le cas, en bus, de nos jours en Crimée.

    (4) Entendons par là sans attentats terroristes

  • Histoire du Pétrole, l'or noir, par Champsaur (III/III).

    REZA SHAH PAHLAVI.jpgLe nouveau centre de gravité

    Il ne faut pas croire que l’installation de ce nouveau centre de gravité, Iran, Golfe, Arabie Séoudite est perçu comme un succès plein d’espoir. C’est même exactement l’inverse qui se produit, l’importation massive de l’huile du Moyen Orient étant vu comme une mortelle concurrence de la production intérieure américaine, Texas en particulier. Il faut de longs mois avant que la population américaine ne comprenne qu’il est de son intérêt de garder ses réserves et d’importer l’huile du dehors. ARAMCO pour Arabian American Oil Company, association de Standard Oil of California et de Texaco est créée en Arabie, entité toujours active, devenue totalement séoudienne relativement tard, en 1980.

     

    Le contrôle de l’Iran

    L’Iran d’après 1945 était écartelé. Entre des Britanniques omniprésents, un parti communiste, le tudeh aux ordres des soviétiques, des religieux fondamentalistes chiites, et la dynastie royale des Palahvi.

    Le seul sentiment créant une véritable unité nationale était le rejet des britanniques jusqu’à la haine, et leurs représentants du monde moderne, en tête de liste l’Anglo-Iranian Oil Company. Les iraniens connaissaient un chiffre simple : entre 1945 et 1950, la société pétrolière fit 250 millions £ de profits, et le pays reçut 90 millions £ de royalties. L’animosité contre les Britanniques devint une obsession nationale. La guerre froide était déclarée, faisant de l’Iran, entre autres, une proie facile pour les Soviétiques. En Avril 1951 le parlement iranien choisit Mohamed Mossadegh comme premier ministre, opposant déclaré aux Britanniques. Churchill parvint à entrainer les Américains dans une opération pour le débarquer (opération Ajax). Avec la réinstallation de la dynastie Pahlavi.

    (Illustration : Reza Shah Pahlavi, fondateur de la dynastie...)

    La crise de Suez

    Le canal de Suez était la voie stratégique pour permettre à l’Angleterre de raccourcir le temps d’accès au joyau de la couronne, Bombay et l’Inde. Avec l’indépendance du sous continent en 1948, on pouvait penser que l’importance stratégique du canal avait été réduite. Alors qu’au même moment il trouve une nouvelle fonction : l’autoroute pour l’accès à l’huile du Golfe et de l’Iran. En 1955 le passage des tankers chargés du précieux liquide représente les deux tiers du trafic du canal et les deux tiers du pétrole arrivant en Europe. En 1952 un groupe d’officiers dépose le roi Farouk et en 1954 le colonel Nasser reste seul au pouvoir. Sa radio nationale s’appelle « la voix des arabes », donnant le programme de son ambition, reçue dans tout le monde musulman : rejet de l’Ouest, nationalisme exacerbé, élimination d’Israel accusé de diviser le monde arabe, et dont la création était qualifiée de plus grand des crimes internationaux. Les pilotes qui guident les navires dans le canal sont tous anglais ou français, reliquat évident du colonialisme du 19ème siècle. Et le droit de passage tombe dans l’escarcelle des Britanniques essentiellement. Dans le contexte de 1955 les jours de cette concession sont comptés. Pour un pays d’une dramatique pauvreté, cette rentrée régulière d’argent est une manne potentielle qui ne peut plus être ignorée. Le traité de 1936 entre Londres et l’Egypte allait jusqu’en 1968. Mais au commencement des années cinquante les égyptiens ne se voient pas attendre si longtemps et des actions violentes contre les Anglais voient le jour. Sans oublier que Washington vit au diapason de la magnifique formule de Woodrov Wilson en 1919 « le droit des peuples à disposer d’eux même ».

    Nasser1956-sm.jpgDans cette situation tendue les Soviétiques jouent leur carte, et à l’automne 1955, l’Ouest découvre que Nasser se fournit en armes dans le bloc de l’Est. Le déclencheur de l’action sur le canal est cependant ailleurs. Les Américains et les Britanniques avaient décidé fin 1955 d’aider l’Égypte avec un prêt conséquent pour construire le barrage d’Assouan. Nasser commence à se pavaner avec cette idée, quand pour des raisons internes aux États Unis, Dulles annule le prêt, prenant Nasser à contrepied. Humilié devant les opinions arabes il ne pense plus qu’à se venger. En Juillet 1956, nom de code « De Lesseps », les armées égyptiennes prennent le contrôle du canal et de ses infrastructures. Et pendant les trois mois suivant autant les Britanniques et les Français sont clairs sur la nécessité de reprendre le contrôle, autant les Américains n’affichent qu’une suite de positions ambigües, illisibles. Et ce qui n’arrange rien, anglais et américains s’opposent sur d’autres sujets diplomatiques (comme la guerre des Français en Indochine). En l’espèce Eisenhower n’est pas en faveur de la force. Et il insiste pour les USA ne soient pas considérés comme les manipulateurs d’une action de style colonial. Et alors que différentes approches diplomatiques sont tentées (visite officielle des Soviétiques à Londres, visite secrète des Américains à Riyadh), ni les Français (cabinet Guy Mollet), ni les Britanniques, ni les Isréliens ne voient plus d’autre issue que celle les armes. Décision prise au cours d’une réunion secrète à Sèvres. La délégation britannique traite les Israéliens avec dédain (MacMillan  lui-même ne cachait pas son mépris pour les Juifs et Israel). Et pendant ces préparatifs, Egyptiens et Syriens font alliance, incluant le lendemain la Jordanie. Et la tension internationale monte d’un cran avec l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars de l’Armée Rouge le 24 Octobre 1956.

    Après quelques jours de tergiversations, les Isréliens passent à l’attaque le 29 Octobre, le lendemain Londres et Paris envoient leur ultimatum indiquant l’intention de reprendre le canal. Le même jour les Soviétiques se retirent de Budapest. Le 31 les Britanniques bombardent les aéroports égyptiens, et la totalité de l’opération surprend amèrement les Américains. Eisenhover furieux accuse Anthony Eden de l’avoir trompé, obnubilé par une réaction soviétique potentielle et sa propre réélection. Pendant quatre jours la coalition resta l’arme au pied, délai mis à profit par Nasser pour bloquer le canal avec des vieux bateaux chargés de ciment, de rochers, de bouteilles vides … Là où les Britanniques SUEZ 56.jpgespérent que les Américains évalueront le danger de voir le canal fermé, Eisenhover réplique en laissant cyniquement les intervenants « bouillir dans leur huile ».Seule comptait sa campagne électorale. Le 5 Novembre les Israéliens contrôlent le Sinaï, et les franco-britanniques sautent sur Suez, et Port Saïd. La réaction soviétique est une série de propos violents à la Kroutchev, menaces suffisantes pour sérieusement inquiéter Washington. Le 6 Novembre Eisenhover remporte les élections, et demande sans discussion aux franco-britanniques de cesser leur opération. Ike s’ouvre à ses conseillers « sinon nous allons vers un embargo total du pétrole des pays arabes ». S’en suit un cesser le feu sur place. Les propos du conseiller économique britannique à Washington donnent la tonalité et commencent à être connus « les Américains nous traitent comme des polissons, à qui il faut donner une leçon, car ils ne doivent pas prendre des initiatives sans demander d’abord la permission de leur Nanny ». Ce nouveau contexte international est reçu sans ambiguité par les pays en voie de décolonisation, mettant en exergue que la France et Londres n’ont plus aucun pouvoir. Le FLN algérien reçoit parfaitement le message. Nasser sort de la crise, seul gagnant.

     

    Les chocs pétroliers

    1 - Le premier choc pétrolier 1973

    Les 16 et 17 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l'OPEP, alors réunis au Koweït, annoncent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël ». Car le 6 octobre précédent, la majorité des habitants de l’État hébreu célèbre Yom Kippour, le jour le plus sacré du calendrier juif. C’est le moment choisi par une coalition arabe menée par l'Égypte et la Syrie pour lancer une attaque militaire surprise en réponse à la défaite de la guerre des Six Jours. L’aide militaire américaine, a permis à l’État hébreu de débloquer une situation critique. La réaction arabe face à l'intervention américaine ne se fait pas attendre. Réunis le 16 octobre à Koweït City, les principaux producteurs du Golfe décident d’augmenter unilatéralement de 70 % le prix du baril de brut. Ils imposeront quelques jours plus tard une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière et un embargo sur les livraisons de pétrole à destination des États-Unis et de l’Europe occidentale. L’embargo ne sera levé que 5 mois plus tard mais la sanction est là. En un an, le prix du baril passe d’environ 3 dollars à 12 dollars.

    Leurs revendications portent sur :

    • l'augmentation spectaculaire du prix du brut et plus précisément la quote-part de ce prix revenant aux « États producteurs » ;
    • le contrôle absolu des niveaux de la production afin de maintenir un prix « artificiellement » élevé du brut ;
    • la participation croissante, de la part de ces pays, aux opérations de production entraînant la disparition progressive du brut revenant aux sociétés concessionnaires (dit « brut de concession ») au profit du brut qui revient à l'« État hôte » (dit « brut de participation »).

    Ce brutal déséquilibre va forcer les économies à se remettre en question, et les effets se feront sentir jusqu’en 1978.

    De fait, l'OPEP ne retrouvera plus avant longtemps, un tel niveau de puissance sur le plan économique et politique et les objectifs affichés de l'embargo ne seront pas atteints. Les politiques d'amélioration du rendement énergétique se mettent en place à partir de ce moment ainsi que la diversification des sources d'énergie, la France, par exemple développant un programme massif de constructions de centrales nucléaires. Le nucléaire ne modifiera pas la dépendance au pétrole, mais permettra une alternative énergétique à cette dépendance qui trouvera un écho dans le monde entier. 

    2 - Le second choc pétrolier printemps 1979

    Sous les effets conjugués de la révolution iranienne, de la guerre Iran-Irak et du redémarrage de la demande mondiale suite au premier choc pétrolier, le prix du pétrole est multiplié par 2,7 entre la mi-1978 et 1981.

    En raison de ces bouleversements politiques dans un des principaux pays producteurs de pétrole, la production mondiale diminue, provoquant une hausse du prix du pétrole. Le prix de l’Arabe Léger qui est de moins de 13$/baril en septembre 1978 atteint 35$/baril en mai 1979 et culmine à plus de 40$ à l’automne de la même année. À Rotterdam, les prix des produits finis flambent.

    Le 22 septembre 1980 la guerre Iran-Irak débute. L’arrêt des exportations iraniennes provoque de nouvelles hausses de prix. Le prix officiel de l’Arabe Léger, redescendu à 26$ au début de l’année 1980, remonte à 32$/bbl le 1er novembre de la même année, après l’ouverture des hostilités entre l’Iran et l’Irak, pour atteindre finalement 39 dollars au début de l'année 1981. L’augmentation de la production saoudienne ne suffit pas à empêcher cette hausse. La tension du marché et le bouleversement des habitudes ne se traduisent pas seulement par une hausse du prix des bruts, ils étirent également l’échelle de prix basée sur la qualité de chacun des bruts.  

    iran irak guerre.JPG

     

    Les pays consommateurs cherchent tout d’abord à faire des économies d’énergie. Les États-Unis contingentent ainsi les consommations. Par la suite, d’autres sources d’énergie sont recherchées par ces pays, ce qui entraîne un ralentissement de la consommation de l’or noir. Face à cette baisse de la demande, les prix repartent à la baisse au printemps 1981. En juin 1981, les producteurs de la mer du Nord abaissaient leurs prix. Le Mexique et le Nigeria procèdent à leur tour, à l'été 1981, à des baisses de prix significatives afin de réaligner leurs prix sur le brut de référence qu’est l’Arabe Léger.

    Cette crise pétrolière a provoqué pour les pays industrialisés:

    • un renchérissement du coût de l’énergie qui les oblige à investir prématurément dans certaines énergies de substitution;
    • une baisse générale des investissements.

    Ces développements affectent particulièrement le Japon, dont l'Iran était la source traditionnelle d’approvisionnement en pétrole. Pour les pays en voie de développement, aux handicaps déjà difficiles à franchir, s’ajoute l’absence de ressource énergétique bon marché.

    Une nouvelle répartition des revenus entre pays producteurs et pays consommateurs s'esquisse également. Les pays producteurs bénéficient d’une rente de situation. Cette manne financière est en partie injectée dans leur économie locale sous forme d’investissements ou plus ou moins redistribuée à leurs habitants. Mais les responsables saoudiens investissent surtout en Occident en y achetant des pans entiers des secteurs du tourisme, de la finance et l’industrie lourde.

     

    Les forages au large

    Ce serait injuste et incomplet de ne pas s’arrêter sur la technique de l’off-shore. Et surtout les exploits auxquels on est parvenu. Mer du Nord, golfe du Mexique, golfe de Guinée avec Nigeria, Congo Brazza, Angola, Gabon.

    C’est TOTAL qui a lancé l’investissement de la plus grande plate forme pétrolière du monde, Pazflor.

    Construite et assemblée en Corée, elle fut tractée vers sa zone de stationnement définitive, à 100 Kms des côtes de l’Angola ! Inaugurée en novembre 2011. Réalise-t-on que les têtes de forage (49 puits) sont entièrement automatisées, à 1.200 m sous la surface de l’eau, pour exploiter un bloc pendant 20 ans.

    Question très insolente : une plateforme se compose de sidérurgie lourde, de tuyaux, d’informatique, de télécoms. N’aurions nous pas tous ces sous ensembles en France ? Pourquoi la Corée ? Quand on demande à TOTAL on nous répond que l’ensemble a coûté 20% de moins que construit dans l’hexagone. Mais c’est un autre sujet … 

    total pazflor.jpg

    http://www.usinenouvelle.com/article/a-bord-de-pazflor-la-nouvelle-barge-petroliere-de-total.N163489

     

     

    Une lutte sans fin …

    Un observateur extérieur ne voit pas aisément que nombre de conflits récents (depuis une trentaine d’années) eurent le pétrole comme préoccupation réelle. Avec ces deux caractéristiques, que les buts sont puissamment camouflés (résolution de l’ONU, intoxication de masse et propagande), et la puissance qui tire les ficelles, toujours la même. Dans ses mémoires, Alan Greenspan, ex patron de la FED pendant dix neuf ans, dévoile abruptement que les agressions contre l’Irak ne visaient qu’à prendre le contrôle des puits. Un grand diplomate indien, qui fut ambassadeur en Irak le confirme dans son livre «The ultimate prize ; par Ranjit Singh Kalha », celui-ci ajoutant que Saddam Hussein s’est condamné à mort le jour où il a souhaité découplé son pétrole du dollar. Il en fut de même pour Gaddafi, et c’est aujourd’hui l’Iran qui est dans le viseur. 

     

    Histoire du baril

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  • Indépendance de la Catalogne ? Une autre Espagne devrait être possible

    Par Jorge Soley Climent, 26.09.2012 - Fundacion Burke

    Que se passe-t-il actuellement en Espagne ? En Catalogne ? Que se passe-t-il dans ce royaume - restauré en 1975 - qui a été, dans les siècles passés, si souvent et si longtemps en proie à l'instabilité, aux luttes et aux guerres civiles - dont la dernière fut la plus radicale, la plus terrible et la plus meurtrière - mais qui vit en paix depuis 73 ans ?

    Est-il à craindre que cet équilibre vienne à se rompre sous l'action conjuguée des durs effets de la crise économique et corrélativement des différents séparatismes ? Les récents évènements de Catalogne (manifestation monstre de Barcelone, projet de référendum pour ou contre l'indépendance, organisé par le gouvernement catalan) donnent à cette interrogation toute son actualité. Catalan, vivant à Barcelone, Jorge Soley Climent a donné son analyse de la situation dans une note parue sur le site de la Fundacion Burke, note dont nous trouvons intéressant de publier une traduction française, comme première contribution à notre commune information sur les évènements qui affectent le royaume espagnol. A divers titres, ils nous intéressent, nous, royalistes français, tout particulièrement. Nous y reviendrons rapidement car, avant les échéances électorales catalanes, le Pays Basque et la Galice votent ce dimanche...

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    Permettez-moi de commencer en disant qu’il ne m’est ni facile ni agréable d’écrire au sujet de la manifestation indépendantiste du 11 septembre dernier, dans ma ville, Barcelone. Trop de sentiment, trop de douleur de voir mon pays et mon peuple prendre un chemin qui va à l'encontre de notre histoire et des réalisations exemplaires des Catalans, ce que la dissolution du Parlement, hier, vient seulement confirmer. Mais je comprends que c'est mon devoir de surmonter mon amertume et de tenter de faire partager ma vision de la question avec ceux qui veulent mieux comprendre ce qui se passe en Catalogne... et, par voie de  conséquence, en Espagne. La première et importante question est de savoir comment nous en sommes arrivés là. Parce qu'il est tout à fait hors de doute que le sentiment séparatiste n'était pas seulement marginal au cours des trois dernières décennies, mais, même, ces deux dernières années. Qu’est-ce qui a changé pour que des centaines de milliers de personnes (je ne vais pas entrer la guerre des chiffres) sortent dans la rue convoquées au nom d’un slogan proposant de nous séparer de l'Espagne ? Il est évident que les causes sont multiples et complexes et que, pour simplifier, l’on risque de laisser des éléments pertinents en dehors du cadre explicatif, mais je crois que nous assistons à la cristallisation de deux phénomènes différents (bien que concurrents et se nourrissant les uns des autres) dans un moment historique particulier.

    Tout d'abord, il y a un séparatisme nationaliste doctrinal avec sa propre histoire et son développement en Catalogne. Ce séparatisme a toujours été minoritaire, non seulement au sein de la société catalane, mais aussi au sein même du catalanisme politique. Il a néanmoins été hégémonique tout particulièrement dans le milieu de l'éducation (les « madrasas » nationalistes, selon l'expression de Miquel Porta Perales1), endoctrinant depuis longtemps les nouvelles générations de Catalans, leur enseignant le rejet de l'Espagne et, par conséquent, de l'histoire et des traditions de la Catalogne. Ce que Francisco Canals2 a désigné comme nationalisme catalan de teinture extrinsèquement révolutionnaire a été le menu habituel dans nos salles de classe depuis bien longtemps. Je me souviens maintenant de l'anecdote d'un ancien ministre de Pujol3, qui l’avait averti qu'on était en train de dispenser un enseignement indépendantiste des plus révolutionnaire et que cela finirait par leur faire perdre le pouvoir (comme cela s’est passé avec l'arrivée du Tripartito4). Le Président a répondu : tu as raison, mais nous ne sommes pas au temps des nuances, mais au temps où il s’agit de bâtir un pays. C'est le pays qui fait surface maintenant.

    Mais, s’il est incontestable que ce séparatisme doctrinal connaît une forte croissance, (n'oubliez pas ici l’exemple Weaver : les idées ont des conséquences), cela n'explique pas entièrement la multitude des gens qui sont descendus dans les rues (l'an dernier une annonce similaire n’avait pu mobiliser que 10 000 manifestants à la même période et au même lieu). Nous avons affaire, ici, à une nouvelle composante du séparatisme - que nous pourrions appeler « l'indépendantisme opportuniste » - liée à la crise économique, politique et institutionnelle qui a embrasé Espagne. Nous sommes face à un environnement radicalement différent de notre passé récent, avec un nombre croissant de personnes qui vivent très mal ce contexte, avec une érosion très réelle de leur aisance matérielle et un nombre toujours plus grand de familles à la limite de situations qui ne peuvent être qualifiées que de tragiques, ou qui y sont déjà installées. De plus en plus étouffées par un fardeau fiscal qui, depuis déjà longtemps, a dépassé les limites du raisonnable, elles observent, stupéfaites, comment les dépenses publiques, surtout les plus clientélistes, ne subissent que des ajustements de surface, sans que soit abordée l'inévitable réforme structurelle de l'Etat. L’évocation des « signes de reprise » convainc de moins en moins de gens et l’espoir que nos élites politiques abordent, enfin, la profonde réforme dont tout le monde, ouvertement ou à voix basse, reconnaît que l'Espagne a besoin, s'est de plus en plus éloigné.

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    C'est dans ce contexte que s’est installé le mouvement indépendantiste, qui s’est configuré comme une sorte de version particulière et locale du mouvement des indignés, rameuté par ceux qui détiennent le pouvoir politique en Catalogne. Oui, tout va très mal et vous le vivez de plus en plus mal, nous disent nos dirigeants ; pourtant la faute n’est pas nôtre, mais celle de Madrid qui nous prend notre argent et ne nous en rend qu’une part minime. Sans cette spoliation fiscale, nous nagerions dans l’abondance, on n’aurait pas diminué nos salaires, nous pourrions payer pour nos hôpitaux et nos maisons de retraite, nous pourrions récupérer le niveau de vie auquel nous étions habitués. Le jeu, il est vrai, est habile ; irresponsable, mais habile. Plus question, déjà, du 3 %5 (dans le meilleur des cas), ou du cas Palau6, ou de comment Montilla7 a manipulé les comptes publics pour masquer un déficit insensé... Ces mêmes hommes politiques, qui étaient assiégés, dans le Parlement il y a tout juste un an, sont devenus maintenant les libérateurs acclamés, d'une réalité dont, pourtant, ils ont été nécessairement partie prenante.

     

    Ainsi, nous arrivons à ce que nous pouvons baptiser le « moment de Weimar » de la Catalogne. La fin de la République de Weimar s’est caractérisée par une faillite politique, une dure crise économique et une crise institutionnelle qui a conduit l'Allemagne des années vingt du siècle dernier dans une situation chaotique. Au milieu de ce chaos, une population appauvrie et sans espoir d'avenir, a prêté l’oreille à un message simpliste mais efficace : Tu es pauvre, parce que les Juifs nous ont arraché notre argent, nous pourrons récupérer notre prospérité si nous nous débarrassons d'eux. Maintenant, dans une autre situation de grave détérioration économique et sociale, le bouc émissaire qui nous exempte de nos responsabilités est Madrid : libérez-vous de l'Espagne et nous nagerons à nouveau dans l’abondance. Peu importe que l'argument ne supporte pas une sérieuse analyse critique (Arturo Mas8, lui-même, peut-être par peur d’une accélération des choses qui, probablement, n'entrait pas du tout dans ses plans, a averti que, y compris dans l'hypothèse de l’'indépendance, les défis que la Catalogne aurait devant elle, demanderaient un grand effort), la force de l'argument réside dans sa simplicité. C’est en vain que l’on met en garde contre les faux calculs des bilans fiscaux, de la balance commerciale, qui est l'autre face du déficit budgétaire, contre les déficits irresponsables générées par les gouvernements de la Généralité9, que l’on alerte sur la part du déficit espagnol que devrait assumer une hypothétique Catalogne indépendante, ou mille autres arguments économiques. Le message indépendantiste est simple et promet un paradis terrestre, à portée de main, à une population appauvrie et désespérée qui s'accroche aux seuls qui lui offrent un moyen de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous sommes mis. Quand on a le sentiment de n'avoir rien à perdre, toute autre solution, si infondée soit-elle, est digne d’être essayée.

     

    Malgré tout, cet « indépendantisme opportuniste » serait difficilement parvenu à réussir à convaincre tant de Catalans si ce n'avait été l’immense campagne de propagande déployée par l’immense majorité de la presse catalane. Pour comprendre comment cela a été possible, il faut s’arrêter un instant sur la conformation particulière du paysage médiatique catalan, dans lequel le pouvoir politique autonome régional et local possède de nombreuses chaînes de télévision et stations de radio (sept de chaque pour la seule Corporació Catalana10), et où la presse est bénéficiaire des subventions ultra-généreuses fournies par la Généralité : il est difficile de n’établir aucune relation entre les 9 millions de subventions accordées par Màs au groupe Godó11 (là, il n'y a pas de coupures), et la promotion ouverte de la marche pour l'indépendance menée par La Vanguardia12. Cette campagne de propagande écrasante et persistante, qui nous assaille, partout, nous autres Catalans, est également un symptôme de quelque chose qui a peu attiré l'attention : la disparition quasi-totale de l'Espagne, déjà, de facto, du territoire catalan. L'Etat en Catalogne, avec tous les ressorts puissants de l'Etat moderne, se tourne activement vers l'accession à l'indépendance, de ses moyens de communication jusqu’aux autocars gratuits pour assister à la marche pour l'indépendance. Le « Pays légal » est déjà indépendantiste et fait pression avec toutes ses forces pour que le « Pays réel », jusqu'ici assez réticent, le soit aussi. Nous ne sommes pas devant une poignée de rêveurs romantiques et sans moyens appelant à l'indépendance face à un État espagnol puissant et inflexible. En Catalogne, les seuls romantiques, et rêveurs sans moyens, sont ceux qui élèvent la voix contre le séparatisme, et qui, en conséquence, deviennent des parias devant qui se fait le vide, en particulier dans tout ce qui a trait à la sphère publique et aux relations avec l'administration.

     

    Après avoir observé ce panorama, une interrogation s’impose : est-il possible que se dégage un moyen sensé de sortir de cette pagaille ?

    Afin que chacun puisse répondre à cette question, je crois qu'il faut tout d'abord faire l'effort de voir ce qui est vrai dans le discours indépendantiste. Parce qu'il faut l'admettre, la trame institutionnelle de l'Espagne actuelle, de l'Espagne de la Constitution de 78, de l'Espagne des autonomies13, est insoutenable et injuste et est arrivée à un stade d'épuisement terminal. Lorsque l’on dit qu'il n'est pas acceptable que l’on applique des réductions drastiques en Catalogne, tandis qu’on maintient le PER14 en Andalousie, que nous continuons à subventionner des mines économiquement non viables dans les Asturies, que nous continuons à avoir plus de 20 000 voitures officielles (ce qui fait de nous des leaders mondiaux en la matière) ou tout autre gaspillage de nos administrations (mettez-y tout ce que vous voulez; la liste, malheureusement, est interminable), il est vrai que, pour dire et penser tout cela, l’on a toutes les raisons du monde. Ne sont pas acceptables, non plus, les ambassades catalanes, l’inutile aéroport de Lérida ou, comme déjà indiqué, les subventions, comme outil de contrôle, distribuées aux groupes médiatiques, parce que le gouvernement catalan et les municipalités catalanes ont le même comportement gaspilleur et irresponsable qui est répandu dans toute l'Espagne, ce qui, toutefois, n'invalide pas la critique, mais l'amplifie.

     

    À ce stade, toutes les mesures pour éviter que la haine de l’Espagne continue à s’instiller (et pas seulement à partir de la Catalogne ; nous pourrions commencer, par exemple, par corriger le mépris de notre histoire commune qui a caractérisé la plupart des productions récentes de la RTVE15), toutes les mesures visant à empêcher qu'un gouvernement puisse contrôler les médias qui l’entourent, seraient des mesures positives, non seulement pour empêcher les aventures sécessionnistes, mais aussi comme mesures minimales de sens commun pour un pays qui aspire à perdurer et non à glisser sur le chemin qui mène aux scénarios de la corruption et de l'arbitraire.

     

    Mais tout cela, et bien plus encore, sera insuffisant si nous ne prenons pas acte de l'échec d’un modèle d'organisation de l'Etat qui s’avère de plus en plus insoutenable, qui, loin de son objectif de réaliser l'harmonie entre les différentes régions, a démontré qu'il exacerbe les tensions et est un élément de blocage pour surmonter la crise dans laquelle nous sommes pris au piège. Nous ne pouvons pas continuer à faire appel à la solidarité territoriale pour perpétuer des situations injustes et les gaspillages qui profitent toujours aux mêmes. Si tout ce que nous nous avons à offrir c’est davantage encore de la même recette que celle qui nous a amenés où nous en sommes, plus d'étatisme, plus d’administrations gigantesques et régies davantage par des critères partisans que par ceux du service dû aux citoyens, plus de clientélisme, plus de déficits sans limite et, par conséquent, plus d’impôts confiscatoires, il n'est pas étrange qu'il y ait beaucoup de gens réceptifs au message séparatiste. C’est seulement à partir d'une Espagne profondément transformée, construite sur la base de la subsidiarité, de bas en haut, y compris dans le domaine fiscal, avec une stricte limitation du champ d’action du pouvoir politique et la transparence dans les processus décisionnels, avec des circuits de représentation politique plus réalistes et plus proches, respectueux des libertés locales (les fueros16 n’étaient rien d’autre), libérés de l'étatisme et de la machine politique, qu’il sera possible de surmonter le défi posé par le mouvement d'indépendance de la Catalogne. L’immobilité n'est pas le bon chemin : ou nous abordons le changement dont l'Espagne a besoin ou nous serons coupables d'avoir conduit l'Espagne jusqu’à un point de non-retour.

     

    NOTES 

    1. Miquel Porta Perales : philosophe et écrivain, collabore à ABC, La Vanguardia, etc.

    2. Francisco Canals: philosophe, théologien thomiste, traditionaliste espagnol & catalan.

    3. Jordi Pujol Soley: président nationaliste de la Généralité de 1980 à 2003.

    4. Tripartito: coalition de gauche catalane (PSC, Gauche Républicaine, communistes..). 

  • Mieux connaître, pour mieux comprendre et mieux évaluer... : Regards croisés sur l'Islam (VIII)

                Membre de l'Institut, Professeur de philosophie médiévale et historien des religions, Rémy Brague a publié dans Le Spectacle du Monde (mai 2010) les réflexions que l'on va lire ici (texte intégral).

                Il s’y inscrit en faux contre l'œcuménisme prôné par certains chrétiens, et revient sur l'affaire de la burka, ou celle de Sylvain Guggenheim......

                Avec cette contribution, nous cloturons -du moins momentanément...- cette série de Regards croisés sur l'Islam, qui se compose donc -pour l'instant- des huit notes publiées les 29 avril, 6, 12 et 27 mai, 4, 10, 17 et 24 juin (aujourd'hui). Vous trouverez ces sept notes réunies en un seul PDF dans notre Catégorie "Pdf à télécharger", sur la colonne de gauche de la page d'accueil, en dessous des rubriques "Contactez-nous", "Liens" et "Catégories".

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    ASSEZ D'ILLUSIONS SUR L'ISLAM...

    Vous vous occupez de la pensée arabo-musulmane. Quel regard portez-vous sur le débat concernant la burka ? Ce type de voile est il recommandé par le Coran ?
                Dans le Coran, il est par deux fois recommandé aux croyantes de "rabattre leur voile". L'injonction peut se réaliser de différentes façons, selon les interprétations données aux mots. Cela va de la mantille transparente de Benazir Bhutto à l'autre extrême, cette armure qu'est la burka. Plus toutes sortes d'intermédiaires, des voiles plus ou moins longs, plus ou moins opaques.
                Mais ce qu’il faut se mettre dans la tête, c’est que, pour un musulman, Le Coran est ce que Dieu a dit, littéralement, Dieu qui est hors de l'espace et du temps. S'il dit aux femmes "voilez-vous !", cela veut dire "voilez-vous !", point. Quand St Paul recommande aux femmes de se couvrir la tête quand elles prient, on peut remonter de sa parole à son intention (s’habiller décemment) et la remettre dans son contexte historique. Ce n'est pas Dieu qui parle. On peut interpréter un interprète. C'est plus difficile avec le Coran.
                Mais mettons nous aussi dans la peau de quelqu'un qui vient d'une société traditionnelle, musulmane ou non. Il voit des femmes dénudées sur tous les murs d’Europe, et des femmes réelles qui ont peu d’enfants. Il se dit que cette civilisation est en train de se suicider. Il suffit de patienter et de s'en protéger en attendant. Le voile est donc une forme de préservatif.

    L'Eglise catholique française a pris position contre la prohibition de la burka. Faut il parler de pusillanimité de la part d'une institution qui semble vouloir ménager l'Islam ?
                Ne pas stigmatiser les personnes musulmanes relève du bon sens. Il faut évidemment se prémunir de tout amalgame et ne pas parler des Musulmans comme si ceux-ci formaient un groupe homogène. Cela peut avoir un résultat désastreux : transformer des gens d'origine musulmane qui ne sont pas particulièrement religieux en militants. Si tel est le souci de l'Eglise, il est amplement justifié. Mais il y aussi chez certains catholiques l'idée qu’il faut "préserver" le dialogue avec l'Islam. Or j'ai montré dans un de mes livres, Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres que ce dialogue, tant qu’on le situe au niveau des théologies, était une illusion. Les musulmans convaincus ne s'intéressent pas au christianisme, qu'ils considèrent comme une religion révolue et falsifiée.

     

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    Dès qu'il est question de l'Islam on ne sait plus quel mot employer. Entre rigoristes, littéralistes, fondamentalistes, intégristes, on s'y perd. Comment qualifier les musulmans "radicaux" et quelle est la frontière avec les modérés" ?
                Ce n'est pas commode parce que notre vocabulaire est souvent d'origine chrétienne. "Fondamentaliste" est la manière dont se sont désignés certains protestants américains qui voulaient retrouver les fondamentaux du christianisme. Pour l'Islam ce mot de fondamentaliste est un vêtement trop large. Toute religion est fondamentaliste si on prend au sérieux ses dogmes. Quant au mot "intégriste" c'est plutôt un concept d'origine catholique. Enfin, parler de "littéraliste" relève de la tautologie. Etre musulman, c’est croire que la lettre même du Coran est d'origine divine. Aux yeux du croyant le Coran est la dictée surnaturelle faite par Dieu et transmise par l'ange Gabriel au prophète Mahomet, dont le mérite essentiel est de n'y avoir rien ajouté, ni retranché. L'islam ne peut pas ne pas être littéraliste. La vraie question est de savoir s'il est intrinsèquement violent.

    Existe t-il une violence spécifique à cette religion ?
                Il y a de la violence dans l’Ancien Testament comme dans le Coran. Mais dans la Bible la violence est racontée. Par exemple lors de l'invasion du pays de Canaan par le peuple d'Israël dans le Livre des Juges on vous raconte des massacres, dont on pense d’ailleurs qu'ils n'ont jamais eu lieu. C'est du sang d'encre. Dans le pire des cas, Dieu a donné à Israël l'ordre d'éliminer les habitants du pays. Mais ces récits appartiennent au passé. C’est un rêve rétrospectif de prêtres qui rêvaient d'un monopole du culte, qu'ils ont d’ailleurs fini par obtenir avec le Temple de Jérusalem.
                Ce que vous trouvez aussi, c'est de la violence rêvée, par exemple le fameux psaume dans lequel les exilés souhaitent que l'on tue les bébés de leurs maîtres Babyloniens en les jetant contre les murs. C'est une horreur. Les victimes ne sont pas toujours très polies envers les bourreaux… En revanche, il n'y a pas dans la Bible de commandement de tuer qui serait encore actuel.
                Le Coran, en revanche, contient des injonctions qui valent sans limitation de temps. Par exemple le fameux verset du sabre qui ordonne de soumettre non seulement les païens, mais également les Juifs et les Chrétiens, afin de leur faire payer l'impôt de capitation dans une situation d'humiliation. L'arabe dit : "et ils se feront petits".

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    Le drapeau de l'Arabie saoudite... et les deux "versets du sabre" :

     Sourate 9, versets 5 et 29: - "Les mois sacrés expirés, tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière, s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est indulgent et miséricordieux."     - "Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu ni au jour dernier, qui ne regardent point comme défendu ce que Dieu et son apôtre ont défendu, et à ceux entre les hommes des Écritures qui ne professent pas la vraie religion. Faites-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils paient le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis.


    Est ce que le pari de moderniser l'islam pour en faire surgir un "Islam des Lumières" est crédible ?
                La formule est belle. Est-elle juste ? Ne faisons pas de nos Lumières une vache sacrée, ayons le courage d’en voir les côtés sombres. En tout cas, si cet Islam des Lumières advient, ce sera l'oeuvre des Musulmans eux-mêmes. Nous pouvons les y aider en leur fournissant l'outillage intellectuel que l’Occident a élaboré pour établir l’autonomie du domaine moral et politique par rapport au religieux, et pour interpréter ses propres textes sacrés.
                Je me demande s'il est possible d'aboutir à une réforme de l'Islam si l'on garde intact le dogme de la parole incréée que le prophète aurait reçue. Ou encore tant qu’on verra dans Mahomet le "bel exemple" que l’on peut imiter dans toutes ses actions. Tant que les musulmans n'auront pas réussi à faire sauter ces verrous, ils trouveront toujours un "barbu" qui leur rappellera le texte littéral.

     

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    Selon vous le clivage entre un islam rigoriste et un islam soufi "libéral" ne tient pas ?
                Il y aurait d’un côté un islam juridique et rigoriste et de l’autre un islam "cool" et "sympa", celui du soufisme. C'est bien plus compliqué. D'abord le soufisme est, en islam, un phénomène marginal. Les Européens s’y intéressent plus que les Musulmans. Le soufisme réel a produit des merveilles poétiques et mystiques. Mais il existe aussi un "soufisme" à l’usage d’Occidentaux en quête de supplément d’âme qui est un miroir aux alouettes.
                Ensuite ce clivage relève du fantasme car le soufisme ne met en cause la Charia que de façon exceptionnelle. Les Soufis historiques ne sont pas plus tolérants que les autres. Prenez le grand Ibn Arabi. On cite sans cesse ses vers : peu importe que l’on adore à la Mecque ou à Jérusalem, ou dans un temple d’idoles, l’amour seul compte, etc. Mais ailleurs, il demande que l’on applique dans toute leur rigueur les lois destinées à humilier les Juifs et les Chrétiens. Ou encore al-Ghazali, qui a intégré le soufisme dans l'édifice islamique en approfondissant le respect de la Loi pour le faire sourdre de l’intention du cœur. C'est à partir de lui que les confréries soufies se sont développées. Mais pour lui, un Juif ou un Chrétien n’ont même pas le droit de rappeler un musulman au respect de la morale commune. Ce serait en effet lui faire honte. Et si un pécheur mérite d’être humilié, à combien plus forte raison un mécréant ! Autrement dit, il ne peut y avoir égalité, ni réciprocité. Il n'y a pas de morale commune entre celui qui professe une religion juste et celui qui en professe une fausse.

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                                 Né en 1165, à Murcie, en Andalousie, et mort en 1240, à Damas,

                                            ami d'Averroes, Ibn Arabi, maître du soufisme

    Vous avez soutenu l’historien Sylvain Gouguenheim dont le livre  Aristote au mont St Michel  a défrayé la chronique, ce qui vous vaut d'être régulièrement pris à parti…
                J'ai bien des réserves sur le livre, mais j’ai refusé de me joindre au lynchage de l’auteur. Personne n'a jamais nié que la culture arabe ait apporté sa pierre à la civilisation européenne, et Gouguenheim non plus. Il arrête son enquête au XIIème siècle. Il montre qu’il y a eu aussi une transmission directe de la pensée grecque entre le monde byzantin et l'Occident. En quoi est-ce un crime ? En outre il a raison de rappeler l’apologie de l’islam par l’intellectuelle nazie Sigrid Hunke. La sympathie envers l’islam n’est pas le privilège de la gauche. Une certaine extrême-droite préfère cette religion des maîtres, "virile", au christianisme, religion d’esclaves, efféminée…

     

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    Dans un livre paru récemment aux Etats-Unis  La révolution européenne  le journaliste Christopher Caldwell affirme plausible l'hégémonie religieuse de la religion musulmane en Europe d’ici quelques décennies. Qu’en pensez-vous ?
                L'Europe va-t-elle devenir musulmane ? Certains américains se le demandent, qui s’inquiètent d'un découplage croissant entre l'Europe et leur pays. Caldwell pose la question crûment et propose une vue synoptique de l'Europe. Il examine la situation démographique de tous les pays, de l’Espagne à la Suède. Il se demande en outre si son pays à lui n'a pas fait un pari très dangereux en s'alliant avec l'Arabie saoudite. Un pays dont le pétrole finance le terrorisme mais aussi les mosquées en Europe, et dont l’islam n’est pas modéré du tout. Son livre est très sérieusement documenté.
                Par ailleurs sur un plan psychologique j'ai tendance à dire que tout le monde en Europe fait déjà le jeu de l’islam. Nous sommes tous islamistes. Il y a les islamophiles conscients et organisés. Mais il y a aussi les idiots utiles qui s'imaginent que c'est en prônant un libertarisme à tout crin dans le domaine des moeurs que l’on va convaincre les musulmans des bienfaits de la société libérale. Si l'Europe continue de détruire sa colonne vertébrale et à nier qu’elle ait une identité spécifique, notamment chrétienne, le scénario de Caldwell n'est malheureusement pas invraisemblable. Nous passerions alors d’une sorte de liberté à la chute "libre".

     

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  • Autour du prince Jean ! : A mi parcours, faisons une pause à Versailles, où les deux branches de la famille des Bourbons

    Copie de Timbre bis RVB.png            Nous voici arrivés au terme de la première étape de notre préparation à la Fête de Senlis et de Chantilly. Nous donnerons, lundi, le programme de la deuxième étape, qui sera différente mais complémentaire de la première. Mais il n'est peut-être pas inutile de s'arrêter un moment, à ce stade de notre préparation, et de récapituler notre démarche déjà effectuée, avant de préciser celle qui va l'être.

                Depuis le 2 mars, la première question à laquelle nous avons essayé de répondre a été celle-ci : Pourquoi s’intéresser et croire en cette famille, et pas en une autre ? Pourquoi Jean et pas X, Y ou Z ? Et nous avons vu qu'on ne peut répondre à cette question qu’en remontant aux racines, à la source : nous ne sommes pas comme ces révolutionnaires qui veulent du passé faire table rase, mais bien au contraire, pour nous, la France ne peut se concevoir et se comprendre sans ses racines, fussent-elles lointaines. Pas plus qu’une maison n’existe sans ses fondations, par définition invisibles, mais qui sont pourtant la base et la condition de tout l’ouvrage.

                 Et c’est, fort logiquement, dans notre Histoire que nous avons découvert les sources de la légitimité de la Famille de France…; et, comme le disait Chateaubriand, "la necessité de se rallier à nos princes légitimes, pour le bonheur de la France et celui de l'Europe". 

                Ensuite, nous nous sommes rendus à Senlis puis à Chantilly. Et nous avons essayé d’expliquer et de montrer en quoi ces deux lieux sont hautement symboliques, d’un point de vue historique et politique, mais aussi comment ils renferment des trésors d’Art et de Culture qui font honneur au nom français. Les divers membres de la famille royale y sont évidemment pour quelque chose, illustrant par là que cette monarchie pour laquelle nous luttons est bien plus qu’une simple forme, une simple technique de gouvernement : elle s’est toujours fixé comme objectif de mener une authentique politique de civilisation, c’est-à-dire de guider le peuple à travers ses élites vers la Beauté. Le roi n'est pas seulement là pour gérer et administrer des populations, il est là aussi, il est là surtout, pour guider ce peuple vers le Vrai, le Beau et le Bien.....

                Justement : après avoir conclu notre première étape, et avant d'entamer, lundi, la seconde, il nous a paru opportun de nous arrêter quelques instants sur un exemple éloquent de cette politique de civilisation et, dans une sorte de pause entre ces deux moments, de considérer ce qu'il y a de grandiose dans l'un des plus parfaits monuments que les rois nous ont légués.

                 Et de le faire dans l'état d'esprit du Prince Jean. Lors de son déplacement dans le Maine, il a livré ce qu'il appelle lui-même cette "confidence" à ses amis : "Et voici maintenant une deuxième confidence : oui, j’ai été très ému de visiter le musée Jean Chouan. Quel héroïsme, quelle fidélité !… ..Il m’est arrivé de faire avec mon frère, au temps de notre adolescence, des pèlerinages dans la Vendée militaire.... sur le tombeau de Bonchamp à Saint Florent-le-Vieil.... C’était par hasard et pourtant ce n’était pas un hasard. C’est vous dire à quel point j’ai compris - mieux : j’ai senti - la secrète force de la vieille France. Eh bien donc, la voici, ma confidence : c’est qu’il relève de ma mission, j’allais dire de ma vocation, de projeter cette force secrète du passé en force vive d’avenir."

                L'expression est heureuse: projeter la force secrète du passé en force vive d'avenir !

                Il ne sera donc surprenant qu'en apparence de faire cette halte aujourd'hui. Comme on l'a dit souvent, les arbres qui montent le plus haut dans le ciel sont ceux qui poussent leurs racines le plus profondément dans le sol. Et, pour nous, l'exaltation constante de nos Racines n'est jamais un passéisme, mais au contraire un ressourcement permanent dans tout ce qui nous a fait ce que nous sommes, afin d'y puiser l'inspiration nécessaire pour affronter les défis d'aujourd'hui et de demain.

                Allons à Versailles, où nous trouverons réunies les ombres des deux branches de la famille des Bourbons, car, si Louis XIV l'a construit, Louis-Philippe, on le sait, l'a sauvé. Et considérons cet extra-ordinaire poème qu'y a composé Louis XIV, que la fureur révolutionnaire n'a pas réussi à détruire, et que Louis-Philippe a voulu consacrer, en le sauvant, "A toutes les gloires de la France"....

                On le sait, dans nos Ephémérides nous essayons, jour après jour, de montrer la France. C'est-à-dire d'évoquer quotidiennement les personnes et les faits qui l'ont façonnée et qui, en en faisant ce qu'elle est devenue, ont fait qu'elle a "etonné le monde" pour reprendre le propos de Jean Dutourd. Ce qui fait que nous évoquons, évidemment, Bayard, Richelieu ou la Guerre de Cent ans, mais aussi la création d'Arianespace, le Viaduc de Millau, les Parcs nationaux, les découvertes scientifiques ou les Prix Nobel de toutes disciplines... et tant d'autres choses !...

                Le 28 avril prochain, nous avions prévu d'expliquer, dans ces Ephémérides, ce qu'avait voulu faire Louis XIV à Versailles. Là aussi, non pas pour ressasser perpétuellement d'anciennes gloires passées, mais pour maintenir et poursuivre un esprit, une idée, une attitude qui, étant celles de nos ancêtres, sont le mieux à même de continuer, demain, à nous guider dans un monde où nous assaillent de plus en plus les dangers de l'uniformisation et de l'indifférenciation.

                Voici donc, en avant-première si l'on peut dire, à travers cet Ephéméride que vous retrouverez le 28 avril, cet exemple de politique de civilisation qu'est Versailles. Une visite qui nous permettra par ailleurs, comme nous l'avons dit plus haut, de mesurer l'action de Louis XIV, qui l'a construit, et celle de Louis-Philippe, qui l'a sauvé, les deux branches de la famille étant ainsi réunies pour le meilleur service possible rendu non seulement à la France mais au monde entier et à la Civilisation, Versailles faisant évidemment partie du Patrimoine mondial de l'Humanité.....

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    Ephéméride du 28 Avril : Quand Louis XIV a fait de Versailles un triple poème : humaniste, politique et chrétien …

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    1660 : Louis XIV emmène sa jeune épouse, Marie-Thérèse, a Versailles.

     

              Il s'en faut de beaucoup que le château ressemble à ce qu'il devait devenir, ni même qu'il soit simplement habitable. Pourtant, le jeune Roi sait très bien ce qu'il va édifier là : le palais du soleil, un triple poème, humaniste, politique et chrétien.

              Tâchons d'entrer dans les pensées du Roi, de suivre son idée conductrice, et nous verrons alors tout l'ensemble, palais et jardins confondus parcequ'indissociables, obéir à une pensée profonde, en même temps qu'ils nous la révèleront.....

              Versailles n'obéit pas seulement à un plan architectural, mais se rattache à toute une tradition symbolique. C'est un hymne à la lumière ordonnatrice. Ici, plus qu'ailleurs, l'orientation donne tout son sens au monument. Voilà pourquoi à Versailles il faut, en tout, se reporter constamment au grand axe royal Est -Ouest.

              Perdons cela de vue, et l'on ne verra qu'un palais de plus, peut-être un peu plus grand, un peu plus beau, un peu plus richement décoré que les autres; mais pas vraiment différent d'eux.

             Au contraire, suivons et comprenons ce grand axe, et tout deviendra clair et lumineux; et nous verrons alors pourquoi Versailles est fondamentalement et essentiellement différent de tous les autres châtaux et palais royaux.....

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               Les Métamorphoses d'Ovide et la mythologie étaient familières à nos ancêtres : il nous faut fréquenter l'une et les autres, et nous les ré-approprier, si nous voulons comprendre Versailles. Ainsi, comme le soleil est la devise du roi, et que les poètes confondent le soleil et Apollon, il n'y a rien à Versailles qui n'ait rapport à cette divinité.

               Versailles reprend la leçon de Phidias, apprise de Périclès, qui la tenait lui-même d'Anaxagore : L'Esprit organise la confusion et donne forme au chaos.

               L'esprit est personnifié par l'action ou la journée d'Apollon qui, dans sa course quotidienne, apporte au monde les bienfaits de la chaleur et de la lumière, de la vie; dissipe les ténèbres; fait fructifier la nature. Ce rôle poétique, tenu dans la mythologie par Apollon, est assuré par le Roi soleil dans son action politique quotidienne, qui apporte au peuple français les bienfaits de l'ordre, par la Monarchie. Mais la lumière et la vie que le roi, moderne Apollon, est chargé d'apporter au peuple, est aussi celle du seul vrai Soleil : Dieu, dont Louis XIV n'est que le lieu-tenant sur terre.

               Détaillons cet axe Est - Ouest dans ses trois éléments principaux :

               1) Tout en bas du Tapis Vert, Apollon sortant de l'eau avec son char (ci dessus et ci dessous) débute sa journée : il regarde vers sa mère, Latone, et, par une gradation subtile, vers la chambre du Roi (au dessus de Latone, car le Roi est plus important que la mythologie...) et vers la chapelle ( encore au dessus de la chambre du Roi, car Dieu est plus important que le Roi....). Au cours de sa journée, il va recommencer à dispenser ses bienfaits et dissiper les ténèbres.

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               2) On sait qu'Apollon est le fils de Jupiter et de Latone (ou Létho). Injuriée par des manants, Latone demanda vengeance à Jupiter, qui les transforma en grenouilles (ci dessous, le Bassin de Latone). Ici, à Versailles, les grenouilles représentent aussi les Hollandais vaincus dans leurs marais....  

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               3) La chambre du Roi, centre et coeur du château, d'où tout part et vers où tout converge. Il restait aux artistes et à Louis XIV à repenser en chrétiens cette légende et ce mythe d'Apollon, reçu de l'Antiquité; et, après le passage du Dieu mythologique au Roi très Chrétien, à matérialiser le passage du Roi très Chrétien au seul vrai Roi, celui du Ciel. Le symbole retenu a été celui de la chapelle, qui est le seul édifice à casser l'horizontalité des toits et qui, en émergeant de la masse imposante du château (ci dessous), manifeste bien que Dieu est plus haut.....

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               Dans sa course quotidienne, Apollon a rejeté à sa gauche tout ce qui était mauvais : la guerre, le chaos, le désordre...; et il a permis, à sa droite, que prospère et s'étende tout ce qui était bon : la paix, les fleurs et les fruits.....

              Considérons donc maintenant l'axe secondaire Nord-Sud, créé par la course d'Apollon, et donc totalement tributaire de l'axe Est - Ouest, dépendant entièrement de lui.

              1)  A l'extrême Nord, on a le Bassin de Neptune, qui symbolise la mer, l'élément indompté, toujours en mouvement et rebéllion. Et aussi le Bassin du Dragon, animal terrible symbolisant les puissances maléfiques que doit vaincre le soleil, lui qui dissipe les ténèbres. C'est une représentation du chaos primitif, du chaos des origines, avant que ne paraisse le soleil (Apollon, le roi).

               Il faut noter aussi que le dragon symbolise la Fronde et les désordres politiques graves qu'a connu le roi lorsqu'il était enfant : or le roi a vaincu la Fronde, imitant en cela le dieu Apollon qui a vaincu le dragon Python (ci dessous).

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              De même, au nord, les arbres sont tout proches du château : symbole d'une Nature très dense, voire hostile et non encore transformée par le travail d'Apollon. Alors qu'au sud on a au contraire des fontaines, une nature aimable, maitrisée et domptées; et les arbres sont repoussés au loin. Les bienfaits du soleil ont été répandus partout.....

              En se rapprochant de la chambre du Roi, on a -dans les jardins- la statue du Rhin (fleuve théatre de nombreuses guerres), avec le Vase de la Guerre dans le parterre Nord. Et, à l'intérieur du château, le Salon de la Guerre. Le Nord marque donc bien toujours les dangers et les obstacles qu'Apollon / Louis XIV doit vaincre....

              2) C'est tout le contraire du côté Sud. Là ne sont que les bienfaits apportés par le soleil. D'abord, dans les jardins, la statue de la Loire (fleuve de douceur et de paix) avec le Vase de la paix. Et, à l'intérieur du château, le salon de la Paix. Puis l'extraordinaire Orangerie (ci dessous).

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              Le Sud marque donc bien toujours les bienfaits qu'ont apporté le dieu Apollon et la monarchie de Louis XIV : l'ordre, au Sud, s'oppose au désordre et au chaos du Nord; les fleurs et les fruits d'une nature harmonieuse parce que fécondée par le soleil (par le roi) s'opposent à la nature primitive, sauvage et indomptée..... 

              On remarquera enfin la subtile hiérarchisation des rôles et des pouvoirs. En arrivant à la Galerie des Glaces, qui se trouve exactement entre le  Nord et le Sud et qui précède la chambre du Roi, l'avant corps central est le seul précédé d'une terrasse de sept marches. Tout est hierarchisé à Versailles...

              Le dernier symbole, on l'a vu, n'étant plus le fait de marches, mais du toit de la chapelle (où sont représenté les Apôtres, car ils ont été les propagateurs de la Lumière): jaillissant par dessus la longue ligne horizontale de l'attique, il brise cette horizontalité pour s'élancer perpendiculairement vers le Ciel.....

  • POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE ”MARIAGE POUR TOUS” (7) - LE POINT DE VUE DE DANIEL GODARD*: ”Une supercherie linguist

    defence_de_la_langue_francaise_j_du_bellay_1549_page_08.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion de Daniel Godard* dont l'originalité est de se placer d'un point de vue linguistique : il fait entendre, dans ce débat sur le "mariage pour tous", "la voix de la langue française".

    D'autres contributions suivront et constitueront notre dossier, désormais à la disposition de tous : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

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    Dans le concert des arguments développés par les « pour » et les « anti » mariage gay, il est une voix qu’on n’a jamais entendue : celle de la langue française.

    Au cours de mes 40 années d’enseignement (collège et lycée) en qualité de professeur de Lettres Classiques, j’ai toujours attaché une grande importance à la valeur des mots. Choisir le mot exact, le « polir sans cesse » comme disait Boileau, c’est à la fois s’assurer qu’il exprime parfaitement ce que l’on veut dire mais c’est aussi s’assurer que l’on sera bien compris de son auditoire.

    La polémique que suscite le projet de loi sur le mariage gay offre un bel exemple de cette dilution de la pensée dans le brouillard d’une terminologie approximative. A force de triturer les mots dans tous les sens, les mots n’ont plus de sens et l’opinion déboussolée y perd son latin. Les slogans réducteurs répercutés par les médias ne font qu’entretenir la confusion au point qu’on a parfois l’impression d’avoir perdu le sens commun.

    Prenons quelques exemples :

    Premier exemple : La notion de « couple » homosexuel est-elle adaptée ? La réponse est non.

    Si l’on se réfère à la terminologie du « Bon Usage », l’assemblage de deux éléments de même nature ne constitue pas un « couple » mais une « paire ». Ainsi, on dira une paire de ciseaux, une paire de lunettes et non un couple de ciseaux ou un couple de lunettes. Il en est de même pour les êtres vivants. Deux boeufs assemblés sous le même joug forment une paire de boeufs et non un couple de boeufs. Deux jumeaux de même sexe constituent une paire de jumeaux et non un couple de jumeaux. On pourrait multiplier les exemples.

    La langue française nous indique clairement que la notion de « couple » repose sur un principe de différenciation et d’altérité. Le couple, c’est « un homme et une femme unis par des relations affectives, physiques » (Robert 2012). La prise en compte de la fin de la définition ne doit pas faire oublier le début. La distorsion sémantique à laquelle on s’adonne chaque fois qu’on évoque un « couple » homosexuel crée une confusion dommageable que rien ne peut justifier, pas même une évolution des moeurs. Il s’agit bien ici d’appeler un chat « un chat »

    2ème exemple : qu’est-ce qu’un parent ?

    La reconnaissance officielle du « couple » homosexuel entraîne nécessairement – tout le monde le sait - une modification du Code Civil. La disparition des mots « père » et « mère » au profit de la notion de « parent 1 » et « parent 2 » n’est en fait qu’une supercherie linguistique doublée d’un mensonge puisque le mot désigne étymologiquement les deux personnes (père et mère) qui conjointement sont à l’origine de toute naissance. En latin, le verbe parere veut dire « engendrer » pour le père, et « enfanter » pour la mère. Comment peut-on expliquer à un enfant que ce mot de « parent » (quel que soit son numéro) s’applique à une personne qui est totalement étrangère à sa naissance, un clandestin en quelque sorte ? La loi peut-elle cautionner ce mensonge ?

    Ces deux exemples suffisent à démontrer que la terminologie avancée par les partisans de la loi n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer une stratégie plus sournoise que les récentes manifestations viennent d’ailleurs de confirmer. Il semble en effet que les partisans du « mariage pour tous » se soient déjà engouffrés dans une brèche : l’incohérence du projet de loi :

    Une incohérence interne à la loi : un « couple » homosexuel est par définition stérile. Il est donc logique que les homosexuels aient recours à des artifices s’ils veulent avoir des enfants. C’est le sens de leur revendication première : le droit à l’adoption, baptisé outrageusement « droit à l’enfant ». Le projet de loi prévoit cette disposition mais interdit la PMA (procréation médicalement assistée pour les femmes) et la GPA (gestation pour autrui pour les hommes c’est-à-dire le recours possible à une mère porteuse). Comment justifier cette contradiction alors que la loi du « mariage pour tous » est présentée comme une extension des droits ? Les récentes manifestations des partisans du mariage ont clairement démontré que les homosexuels entendaient s’appuyer sur cette contradiction pour pousser plus loin leurs exigences. Sur cette question, on note les premiers signes d’un fléchissement de la part des promoteurs de la loi. Le recours à la PMA, exclue dans un premier temps, pourrait faire l’objet d’un amendement présenté par les députés de la majorité. Cette concession, logique en elle-même, met à nu la vraie nature du débat. Le « mariage pour tous », présenté au départ comme

    l’objectif essentiel, apparaît de plus en plus clairement comme un simple point de passage, une étape transitoire pour obtenir « in fine » une égalité de droit pleine et entière avec les couples hétérosexuels stériles.

    Comme le droit à l’adoption ne changera pas grand-chose à la situation des homosexuels, vu les réticences de la plupart des états à confier des enfants à des homosexuels, c’est bien sur la PMA et la GPA que se concentre toute la pression. Une fois acquis le droit à la PMA pour les femmes homosexuelles, comment interdire aux hommes, au nom de ce même principe d’égalité, d’avoir recours à la GPA ? Si c’était le cas, il y aurait là une discrimination incompréhensible, voire une injustice, tout à fait contraire à l’esprit même du projet de loi.

    Le piège des slogans

    Il est une autre supercherie linguistique qu’il convient de dénoncer et qui tient au discours même des homosexuels. Pendant longtemps, leur combat a été placé sous le signe du « droit à la différence », droit qui leur a été reconnu par l’ensemble de la communauté nationale avec la création du PACS. Aujourd’hui, le thème du « droit à la différence » a totalement disparu du glossaire homosexuel. Bizarre ! Ce virage à 180 degrés a quelque chose de surprenant et pourtant personne ne s’en étonne. Il est vrai que le slogan « le mariage pour tous » est plus rassurant et plus rassembleur que « le droit à la différence » jugé sans doute trop « clivant » pour employer un terme à la mode, un concept dépassé en tout cas que l’on range sans complexe au rayon des accessoires. Au contraire, « le mariage pour tous » sonne comme un appel à la fête, à la fusion universelle de toute l’humanité, un remake d’ « Embrassons-nous, Folleville », en somme une préfiguration du « paradis pour tous ». Qui peut résister à un tel programme ?

    Malheureusement, cette vision édénique du mariage est en décalage complet avec la réalité des faits. Il est d’abord étrange que le PACS ait eu si peu de succès auprès de la communauté homosexuelle alors que cet aménagement de la législation était notamment prévu pour elle. Et si le mariage présente tant d’attraits, comment expliquer que tant d’hommes et de femmes, de la base jusqu’au sommet de l’Etat, choisissent l’union libre c’est-à-dire le non-mariage ?

    Il est notable également que nombre d’homosexuels vivent leur vie le plus naturellement du monde sans réclamer nécessairement le passage devant Monsieur le Maire. Certains même s’étonnent de ce déchaînement médiatique sur une question qui leur est totalement étrangère.

    Alors, au bout du compte, que penser de tout ce tapage, de tout ce galimatias ?

    Pas grand chose, sinon que derrière ces acrobaties sémantiques ou stylistiques, il y a la volonté de nier une évidence.

    La négation d’une évidence :

    Quel que soit le mode de procréation choisi, la naissance d’un enfant est nécessairement le résultat de la rencontre de deux cellules, masculine et féminine. La différenciation sexuelle est constitutive de l’être humain, même si les choix de vie peuvent ensuite amener certains individus à la vivre différemment. De ce fait, on ne peut admettre qu’une simple évolution des moeurs soit un argument suffisant pour modifier le statut du couple et celui de la famille, tels qu’ils nous ont été transmis depuis les origines de notre civilisation. Les Romains eux-mêmes, qui pratiquaient librement et indifféremment les deux formes de sexualité, n’ont jamais songé à remettre en question ce mode d’organisation de la famille pour une raison très simple mais essentielle : cette structure de la cellule familiale est la seule à garantir la filiation. Grands législateurs (ne pas oublier au passage que notre Code Civil découle directement du Droit Romain), ils ont toujours tenu à préserver ce socle de l’organisation sociale. Quant à l’adoption, très courante à Rome, elle a toujours été soigneusement encadrée par tout un arsenal juridique de manière à préserver l’intégrité des liens du sang. De ce fait, l’adoption n’était juridiquement admise que dans le cadre d’une famille déjà constituée et sur le modèle du couple hétérosexuel.

    Jamais deux sans trois :

    Mais il y a plus grave : la stérilité naturelle du « couple homosexuel » induit nécessairement l’intervention d’un tiers de l’autre sexe pour le rendre fécond. Dès lors, l’accès à la PMA ou à la GPA (quelle que soit la procédure adoptée, c’est-à-dire avec ou sans rapport sexuel) conduit à s’interroger sur la nature de ce prétendu « couple » qui ne peut assurer à lui seul son désir d’enfant. Ce qui revient à dire que le contrat de mariage que signeraient deux personnes de même sexe inclut nécessairement l’intervention prévisible d’une troisième personne. Il ne s’agit donc plus d’un « couple » mais d’une « triade », une forme d’adultère biologique accepté et reconnu par la loi. Sans parler des inévitables dérives financières qu’entraînera nécessairement la recherche effrénée de donneurs et de mères porteuses. Dans certains pays, on assiste déjà à des combinaisons multiples où les homosexuels s’adjoignent - pour un temps ou pour longtemps et moyennant finances –

    le concours d’une ou plusieurs personnes pour mener à bien leur projet. Nous sommes là devant le risque majeur d’une marchandisation de l’enfant et par extension de la vie humaine. L’embryon devient un objet de convoitise assimilable à n’importe quel produit de consommation. Dans un proche avenir, on peut même imaginer l’achat en pharmacie de paillettes de sperme ou d’ovules congelées qu’on pourrait se procurer aussi facilement que la pilule contraceptive ou le Viagra, le tout remboursé par la Sécurité Sociale, au nom de ce « droit à l’enfant » brandi comme un dogme par les partisans de la loi.

    Au terme de cet argumentaire, une conclusion s’impose :

    Le « mariage » pour quelques-uns est en fait une menace « pour tous » :

    A l’évidence, l’adoption de ce projet de loi fait courir à notre société un danger d’autant plus grand qu’il est paré de toutes les vertus aux yeux du plus grand nombre. Pour employer le langage des internautes, c’est un dangereux « cheval de Troie » qu’on introduit dans la législation française. « Malheureux citoyens, quelle folie est la vôtre ! » s’écriait Laocon en voyant les Troyens disposés à introduire ce cheval maudit dans les murs de leur ville (Enéide, II, 42).

    Abandonné sur la plage, ce cheval imaginé par Homère avait tous les attraits d’un cadeau des dieux. Les Troyens sont restés sourds à l’avertissement de Laocoon. Ils ont fait mieux. Pour faciliter l’entrée du cheval dans la ville, ils n’ont pas hésité à abattre une partie de leurs murailles.

    On connaît la suite ! …

    Il est vain d’imaginer qu’on puisse contenir toutes les dérives inhérentes au projet de loi tel qu’il est présenté aujourd’hui. C’est bien sur la notion même de « mariage pour tous » qu’il faut se battre et résister. Si cette digue saute, le risque de submersion est hors de tout contrôle.

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    Dans le cortège des partisans de la loi « le mariage pour tous », il y avait un slogan intéressant :

    « UNE PAIRE DE MERES VAUT MIEUX QU’UN PERE DE MERDE »

    Si l’on accepte de faire l’impasse sur le caractère outrancier et injurieux du propos, ce slogan est une aubaine !

    Pour la première fois, l’union de deux femmes est reconnue comme une « paire » et non comme « un couple »

    J’y vois la confirmation (involontaire) de mon analyse du mot « couple »

    Les arguments en faveur du mariage homo s’effondrent d’un coup devant cette évidence.

    Merci à celui ou à celle qui est à l’origine de ce slogan lumineux et providentiel !

     

    * Professeur de Lettres Classiques

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    Au lendemain de la grande manifestation du 13 janvier et de son indéniable succès par delà la ridicule guerre des chiffres à laquelle il est vain de trop s'attarder, nous écrivions ceci :"Reste la question de fond. Elle dépasse largement la seule affaire du mal nommé mariage pour tous. Nous aurions tort de nous y enfermer. Car, très en amont, c’est la famille dite traditionnelle elle-même, qui est, depuis bien longtemps déjà, en crise (cf. l’inexorable montée des divorces : aujourd’hui plus de 50% des ménages sont concernés !). C’est donc une réflexion de fond sur la famille, minée par l’individualisme, par l’égoïsme contemporains et, en un sens, c’est une contre-idéologie qu’il faut opposer à l'idéologie radicalisée qui sous-tend le projet de loi gouvernemental. C'est ce qu'il faut lancer, ce qu'il faut être capable d'entreprendre maintenant. Car c'est à cette condition que la grande campagne en cours trouvera un prolongement, durera, s'amplifiera et aura, en définitive, été efficace." En d'autres termes : les manifs, les slogans, les pancartes, c'est très bien, surtout lorsque le succès est au rendez-vous, mais un substrat idéologique sérieux est indispensable !

    Dans cet ordre d'idées, nous avons ouvert un dossier des contributions au débat, de différentes personnalités et intellectuels.

    ** Précédentes mises en ligne :

    > 14.01.2013 : Jean-François Mattéi article du Figaro : "Mariage pour tous et homoparentalité".  

    > 22.01.2013 : Chantal Delsol, entretien avec Jean Sévillia (Figaro Magazine).

    > 29.01.2013 : Thibaud Collin

  • POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE ”MARIAGE POUR TOUS” (8) - LE POINT DE VUE DE BERTRAND VERGELY*

    photo-B_-Vergely-610x225.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion de Bertrand Vergely*, philosophe et théologien

    D'autres contributions suivront et constitueront notre dossier, désormais à la disposition de tous : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

    La question du mariage gay appelle dix remarques.

     I) Il importe d’abord de distinguer la question de l’homosexualité de celle du mariage gay. L’homosexualité appartient à la sphère privée et renvoie à une histoire singulière. C’est ainsi, il y a des personnes dans la société dont la manière d’aimer consiste à aimer une personne du même sexe. Pourquoi en est-il ainsi ? Nous n’en savons rien et nous ne le saurons sans doute jamais, tant il y a de raisons possibles à cela. Toujours est-il qu’il s’agit là d’une réalité que la société se doit de respecter en offrant aux couples homosexuels une protection de leur vie privée au même titre que celle dont peut jouir chaque citoyen. 

    II) Le mariage gay relève en revanche d’une question qui regarde tout le monde, celui-ci étant appelé à bouleverser de manière irréversible la norme en vigueur en établissant une nouvelle norme en matière de famille, de filiation et de transmission, s’il vient à être adopté. 

    III) À l’origine, le mariage est une donnée naturelle. C’est ainsi, pour faire naître la vie un homme et une femme s’unissent et procréent un enfant. En établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle afin de la protéger. 

    IV) Il s’avère qu’aujourd’hui le mariage, la filiation et la transmission ont changé de sens. La procréation n’est plus l’unique sens du mariage, le mariage-sentiment ayant tendance à l’emporter sur le mariage-procréation. De même, l’enfant n’a plus pour unique sens d’être le fruit de l’union d’un couple, le désir d’enfant introduisant des demandes d’enfants de la part de personnes seules ou des demandes d’adoption ou de procréation assistée de la part de couples stériles. 

    V) La question qui se pose dès lors et qui concerne tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, est celle de savoir si le sentiment doit devenir l’unique sens du mariage et si le désir d’enfant d’où qu’il vienne doit devenir la raison d’être de ce dernier. Elle est également le fait de savoir si ce qui se fait doit devenir la norme de ce qui est.

    Si tel est le cas, il faut savoir que rien ne va pouvoir s’opposer formellement à ce qu’on lève désormais l’interdit de l’inceste au nom du droit de s’aimer pour tous. Le sentiment en dehors de toute donnée naturelle devenant la norme, au nom de l’amour un père pourra réclamer d’épouser sa fille voire son fils, une mère son fils voire sa fille, une soeur son frère ou sa soeur, un frère sa soeur ou son frère.

    Si tel est le cas, tout étant noyé dans l’amour érigé en droit au-dessus de toute réalité, plus personne ne sachant qui est qui, il y aura fatalement une crise d’identité et avec elle un problème psychique majeur. Les tendances psychotiques générées par l’individualisme hédoniste pour qui le réel n’existe pas et ne doit pas exister vont se renforcer.

    Un père étant aussi un amant et une mère une amante, il va devenir impossible de parler de père et de mère et donc de savoir qui a autorité pour élever des enfants. En ce sens, la famille va littéralement exploser.

    Enfin, l’interdit de l’inceste étant levé, c’est le sens même du devenir de l’être humain qui va être atteint, le sens de cet interdit étant de rappeler aux êtres humains qu’ils sont faits pour devenir, en épousant, non seulement un autre hors de sa famille mais aussi de son sexe et non pour demeurer dans la même famille et le même sexe.

    En ce sens, le législateur qui va devoir se prononcer sur le mariage homosexuel a de lourdes responsabilités. S’il décide de faire du mariage une affaire de droit et de sentiment en dehors de toute donnée naturelle, il introduira dans la cité la ruine possible de l’identité psychique, de la famille ainsi que du devenir symbolique de l’être humain. 

    VI) Au-delà de cette question qui concerne tout le monde, les hétérosexuels comme les homosexuels, la question du mariage gay pose un certain nombre de questions qu’il importe d’examiner avec attention, la principale d’entre elle étant celle du même. Au nom de l’égalité et du refus d’établir des discriminations, est-il possible d’établir une équivalence entre tous les couples ?

    Trois éléments s’y opposent : 

    VII) En premier lieu, pour une simple question de réalité et de donnée objective, on ne peut pas mettre sur le même plan hétérosexualité et homosexualité, un homme et une femme n’étant pas la même chose que deux hommes et deux femmes. Les couples hétérosexuels ne sont pas des couples homosexuels ni les couples homosexuels des couples hétérosexuels. Établir une équivalence entre les deux revient à nier la réalité en opérant une grave confusion entre genre et pratique.

    Avant d’être une pratique, l’hétérosexualité est un genre et pas une pratique, alors que l’homosexualité est une pratique et non un genre. La preuve : pour être homosexuel, il faut d’abord être homme ou femme. Si demain, au nom de l’égalité, tout est mis sur le même plan, la pratique particulière dictant ses lois au genre, un processus dangereux va s’engager à savoir celui de la disparition à plus ou moins long terme de la différence sexuée. On va alors assister à un effet dictatorial. Pour que les homosexuels puissent exercer leur droit à l’égalité, l’humanité va être interdite de faire une différence entre homme et femme, voir dans l’hétérosexualité un fondement et non une pratique étant considéré comme une pratique discriminatoire. Une nouvelle humanité va voir alors le jour. Nous vivions jusqu’à présent dans un monde marqué par la différence. Nous allons connaître un monde nouveau fondé sur l’indifférenciation. Quand on sait que la différence est le propre du vivant et l’indifférencié le propre de la mort, un principe de mort va désormais servir de principe pour guider l’humanité. 

    VIII) La difficulté soulevée par l’équivalence décrétée entre tous les couples se retrouve au niveau des enfants. Comme il semble qu’on l’ait oublié, il importe de rappeler qu’un couple homosexuel ne peut pas avoir d’enfants. On peut le déplorer, mais c’est ainsi, deux hommes et deux femmes ne peuvent pas procréer. Ceci veut dire que, pour qu’il y ait procréation l’homme a besoin de la femme et la femme de l’homme.

    Les homosexuels réclament de pouvoir avoir un enfant. Ils se fondent pour cela sur le droit qui est accordé aux couples hétérosexuels d’adopter ou de procéder à une procréation médicalement assistée. Ils oublient ou font semblant d’oublier que ce n’est pas le droit qui les empêche d’avoir un enfant mais la Nature.

    Certes, un couple hétérosexuel peut adopter ou passer par la procréation assistée afin d’avoir un enfant. Il importe de souligner toutefois qu’un enfant adopté par un couple hétérosexuel n’a pas et n’aura jamais le même sens qu’un enfant adopté par un couple homosexuel. Lorsqu’un couple hétérosexuel adopte un enfant, il le fait pour pallier un problème de stérilité. Lorsqu’un couple homosexuel veut adopter un enfant, il le fait pour contourner une impossibilité. Le registre symbolique n’est pas le même, vouloir contourner une impossibilité à l’aide d’une loi nous situant dans le domaine de la fiction prométhéenne et non plus dans celui de la réalité humaine.

    Jusqu’à présent, la rationalité de la société repose sur la notion de limite et avec elle sur l’idée que tout n’est pas possible. Tout ne se décrète pas. Tout ne se fabrique pas. Limite positive autant que protectrice, l’idée que tout ne se décrète pas nous préservant de la dictature du Droit et l’idée que tout ne se fabrique pas nous préservant de la dictature de la Science. Avec le mariage gay et l’ouverture à la possibilité pour couples gays de recourir à l’adoption ainsi qu’à la procréation médicalement assistée, il va en être autrement. L’idée que rien n’est impossible va voir le jour en enterrant la notion de limite. Voyant le jour, plus rien ne va nous protéger de la dictature du Droit et de l’idée que tout peut se décréter. Plus rien ne va nous protéger de la dictature de la Science et de l’idée que tout peut se fabriquer. On obéissait la Nature qui, comme le dit Montaigne, est « un doux guide ». Nous allons désormais obéir à la Science et au Droit. La Nature évitait que l’Homme n’obéisse à l’Homme. Désormais, l’Homme va obéir à l’Homme sans que l’Homme n’obéisse à quoi que ce soit. Dostoïevski au 19e siècle comme Léo Strauss au 20e siècle voyaient dans le « Tout est possible » l’essence du nihilisme. Ils redoutaient comme Nietzsche que celui-ci n’envahisse l’Europe en ne se faisant aucune illusion cependant à ce sujet. Avec le mariage gay, l’adoption et la procréation assistée pour couples gays, le « Tout est possible » va devenir une réalité et, avec lui, le nihilisme sous la forme du triomphe sans partage de la Science, du Droit et de l’Homme. 

    IX) Dans le même ordre d’idées, il importe de distinguer un enfant que l’on fait d’un enfant que l’on fait faire. Quand un couple fait un enfant, l’enfant est une personne. Le fait de faire un enfant se passant entre des personnes qui s’aiment et pour qui l’enfant n’est pas une marchandise ni l’objet d’un trafic. Quand on fait faire un enfant par un tiers, l’enfant n’est plus une personne, mais un objet voire une marchandise dans un trafic. Témoin le fait de louer le ventre d’une mère porteuse ou les services d’un géniteur.

    Lionel Jospin faisait remarquer qu’il n’y a pas un droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant. Si le mariage gay avec procréation assistée est adopté, le droit de l’enfant va être sacrifié au profit du droit à l’enfant. Sous prétexte de donner un droit à l’enfant aux homosexuels, l’enfant considéré comme objet n’aura plus droit symboliquement au statut de personne. Alors que le monde des droits de l’homme s’efforce de lutter contre la réification de ce dernier, au nom du droit à l’enfant, on va réifier ce dernier.

    Il va y avoir en outre des questions pratiques à gérer. D’abord le coût. Pour qu’un couple d’hommes puisse avoir un enfant, il va falloir louer le ventre d’une mère porteuse. Ce qui n’est pas donné, le prix moyen se situant entre 80.000 et 100.000 euros. Comme les couples gays vont réclamer que la facture soit réglée par la Sécurité Sociale au nom du droit à l’enfant pour tous et de l’égalité, comment celle-ci va-t-elle faire pour faire face à cet afflux de dépenses au moment où son déficit se creuse ? Qui va payer et comment ?

    Par ailleurs, l’État prenant en charge les mères porteuses, il va falloir aller chercher celles-ci ou bien créer un service spécial. L’État se refuse à devenir un État proxénète en autorisant et en organisant le trafic du sexe de la femme. Pour que la procréation médicalement assistée puisse exister, il va falloir qu’il devienne quelque peu trafiquant et qu’il organise le trafic des ventres. Ce qui ne va pas être une mince affaire. Quand un couple ne sera pas content du bébé d’une mère porteuse et qu’il décidera de le rendre, que va-t-on faire ? Obliger le couple à garder l’enfant ? En faire un orphelin ? Payer la mère porteuse pour qu’elle le garde ? Et qui payera le psychiatre qui devra soigner l’enfant ainsi ballotté et quelque peu perturbé ? 

    X) Ce problème rencontré dans le fait de faire faire un enfant va se retrouver avec celui de l’éduquer. Une chose est d’avoir un père et une mère, une autre d’avoir deux pères et deux mères.

    Obliger un enfant à naître et à grandir dans un couple homosexuel va se confondre avec le fait d’interdire à un enfant de savoir ce qu’est le fait d’avoir un père et une mère. A-t-on le droit d’enlever ce droit à un enfant ? Si tel est le cas, cela voudra dire que pour que les homosexuels aient droit à l’égalité les enfants des couples homosexuels seront condamnés à ne pas être des enfants comme les autres.

    Certes, les orphelins n’ont pas leur père ou leur mère. Mais, il s’agit là d’un accident et non d’une décision. Avec le droit pour couples gays d’avoir un enfant, les orphelins ne seront pas le produit d’un accident de la vie mais d’une institutionnalisation délibérée. Ils seront obligés par la société de n’avoir soit pas de père, soit pas de mère.

    À cette situation qui ne manquera pas de produire à un moment ou à un autre des mouvements de révolte s’adjoindra une autre difficulté. L’enfant de couples gays n’aura pas droit à une origine réelle, mais à une origine absente. À la case père ou mère il y aura un blanc. Ce qui n’est pas simple à porter. Qu’on le veuille ou non, l’enfant ne pourra pas ne pas se sentir coupable, la propension naturelle des enfants étant de se culpabiliser quand l’équilibre familial n’est plus respecté. 

    En conclusion, les partisans du mariage gay, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée pour couples gays rêvent quand ils voient dans ce projet un progrès démocratique sans précédent. Ils croient que tout va bien se passer. Cela ne va pas bien se passer. Cela ne peut pas bien se passer pour la bonne raison que tout a un prix.

    Ne croyons pas que l’on va remettre la différence sexuée en voyant en elle une pratique parmi d’autres sans que cela ait des conséquences. N’imaginons pas que des enfants fabriqués, à qui l’on aura volé leur origine, seront sans réactions. Ne pensons pas que la disparition des notions de père et de mère au profit de termes comme parent I ou parent II permettront l’existence d’une humanité plus équilibrée et mieux dans sa peau.

    On prétend résoudre des problèmes par ce projet de loi. On ne va pas en résoudre. On va en créer. Le 20e siècle a connu la tragédie du totalitarisme et notamment du projet insensé de créer un homme nouveau à travers une race ou une classe. Ne cédons pas à la tentation de fabriquer un homme nouveau grâce à la Science et au Droit. Tout ne se décrète pas. Tout ne s’invente pas.

    Il existe des données naturelles de la famille. N’y touchons pas. Ne jouons pas avec le feu. Ne jouons pas à être des apprentis sorciers. Le Tao voit dans la complémentarité entre le féminin et le masculin une loi d’équilibre dynamique fondamentale de l’univers. Ne touchons pas à cette loi d’équilibre.

    Nous avons tous des amis homosexuels que nous respectons, que nous estimons et que nous aimons. Qu’ils soient d’une profonde moralité, nous n’en doutons pas. Qu’ils soient capables d’élever un enfant, nous n’en doutons pas non plus. Qu’un enfant puisse être plus heureux dans un couple homosexuel que dans certains couples hétérosexuels, nous n’en doutons pas une fois encore. Que cela soit une raison pour légaliser le mariage gay et permettre l’adoption ou la procréation médicalement assistée pour couples gays, c’est là une erreur.

    Une chose est une loi, une autre est un cas particulier. On ne fait pas une loi avec des cas particuliers, mais à partir d’une règle tenant compte de tout ce qu’il y a derrière. S’agissant du mariage gay avec adoption et procréation médicalement assistée, il y a derrière une telle règle trop de choses dangereuses et graves pour que celle-ci puisse devenir une loi a

  • SOCIETE • Robert Redeker : le « gérontocide » sera-t-il le génocide du XXIe siècle ?

     

    A l'occasion de la sortie de son dernier livre Bienheureuse vieillesse, Robert Redeker a accordé un grand entretien à FigaroVox. Pour lui, il faut sauver la vieillesse de l'élimination : car sans elle, c'est notre civilisation qui est menacée de s'éteindre. Bien d'autres dangers la menacent aussi. Y compris une proportion trop faible de jeunes-gens. Mais Robert Redeker nous paraît voir juste lorsqu'il dénonce une société qui bloque la fluidité des âges. Et une idéologie qui refuse le passé comme elle ignore l'avenir. LFAR    

    Redeker.jpgVotre dernier livre Bienheureuse vieillesse est un éloge de l'âge. Faut-il se réjouir de de vieillir ?

    La vieillesse nous libère de bien des fardeaux, dictés par la biologie et l'imaginaire, qui pèsent sur la jeunesse et l'âge mûr. Cicéron et Sénèque le savaient, notre société l'ignore : la vieillesse est libération. Elle débarrasse l'être humain de certains obstacles à sa liberté. La vieillesse est l'âge du bonheur, de la sagesse.

    L'habitude n'existe pas de présenter la vieillesse comme une libération. Il est vrai qu'elle peut, à l'extrémité de la vie, enchaîner au corps, servitude qui peut rendre enviable l'euthanasie. Pourtant la vieillesse, ce que les Stoïciens avaient remarqué, libère les êtres humains des fardeaux liés aux désirs qui rendent intempérants, qui soulèvent des tempêtes de chair, en particulier les désirs sexuels. Ces désirs rendent esclaves, c'est un fait. Mais souvent aussi ils se transforment en passions dévastatrices empêchant toute forme de bonheur. Ils partent en guerre contre le bonheur, que souvent ils détruisent. Livré à eux-mêmes, les désirs de cette farine empêchent, contrairement à ce qu'ils veulent nous faire croire, un bonheur durable et serein (dont l'éternité en paradis, une éternité, j'insiste sur ce point, du corps et de l'âme, de la personne ressuscitée avec son corps, est la figure métaphorique) de s'installer. Cette idée-là de l'éternité laisse entendre la possibilité d'un corps non enchaîné aux désirs. La vieillesse rend plus facile l'exercice des aspirants à la sagesse et des mystiques, auquel la plupart des humains échouent quand ils veulent s'y essayer : le renoncement.

    Libération, la vieillesse est surtout une chance. Celle de redécouvrir le temps et la consistance des choses.

    Selon vous, la société contemporaine serait obsédée par la jeunesse. Pourquoi ?

    Alain Finkielkraut en a établi le constat bien avant moi, et l'a bien mieux dit. C'est parce qu'elle refuse le temps et sa caducité que notre société ontologise la jeunesse. Rappelons-nous de l'opposition entre Parménide, le philosophe de l'Etre, et Héraclite, le philosophe du Devenir. Tout est, affirmait Parménide. Rien n'est, tout passe, on ne se rebaigne jamais dans le même fleuve, prétendait Héraclite. Ontologie est le nom du discours sur l'Etre, celui de Parménide. Depuis les années 60, en lien avec le triomphe planétaire de la société de consommation, la jeunesse a été ontologisée. Elle a été figée en Être excluant le Devenir. De cette ontologisation découle l'impératif collectif de rester jeune jusqu'aux bords du tombeau. Pour nos contemporains, ne plus être jeune, c'est ne plus être. Nous avons refusé de voir dans la jeunesse un devenir sans retour, une transition, un passage, une étape sur le chemin de la vie, un moment dans son écoulement. Disciples de Parménide sans le savoir, nous avons figé la vie dans un seul de ses âges, la jeunesse, déclassant tous les autres, favorisant la honte de ne plus être jeune. Le Tartuffe contemporain, au temps où les corps s'exposent volontiers dans tous leurs charmes, dira plutôt: cachez votre vieillesse que nous ne saurions voir. Oui, nous avons arrêté la jeunesse dans une trompeuse éternité.

    Vous abordez assez peu la question du jeunisme sous l'angle économique. Mais l'autre nom de cette idéologie n'est-il pas tout simplement le capitalisme ?

    Le fanatisme de la jeunesse est lié à la modernité bien plus largement qu'au seul capitalisme. Dans « Notre avant-guerre », lorsqu'il conte son périple dans l'Italie mussolinienne, Brasillach observe que « jeunesse » est « le mot de passe » du fascisme. En même temps, l'U.R.S.S. exaltait la jeunesse comme jamais. Sous toutes ses formes - fascistes, communistes ou consuméristes - le jeunisme est surtout anti-bourgeois, il est un anti-bourgeoisisme systématique.

    Par-delà leurs abyssales différences, en particulier l'opposition entre l'hédonisme et l'héroïsme, l'ontologisation de la jeunesse hissée au rang de valeur suprême couplée à la haine du bourgeois, rassemble les contestataires de Mai 68 et les jeunes fascistes des années 30.

    Derrière la question de la vieillesse, il y a aussi la question du passé. Le jeunisme est-il aussi un moyen de faire table rase de celui-ci ?

    Le jeunisme est l'idéologie d'un temps qui veut faire table rase du passé. « Du passé faisons table rase », était l'hymne du progressisme - à tout le moins du progressisme mal compris, éradicateur. Mais l'époque actuelle veut aussi supprimer l'avenir. Elle ne veut de racines ni dans le passé ni dans l'avenir. Elle ne veut être ni redevable ni responsable. Ni redevable au passé ni responsable devant l'avenir - d'où la crise de l'éducation. La destruction irréversible de l'école par Mme Valaud-Belkacem est une suite logique de ce double refus. Comment éduquer quand il n'y plus rien à transmettre et plus rien à promettre ? Voilà pourquoi les vieux inquiètent : au sein de ce vide temporel qu'est devenu notre société, ils sont la présence du passé, la présence et le présent des racines, leur présence témoigne en faveur de l'exigence de transmettre, pour que ce qui fut par le passé soit dans l'avenir (les œuvres, la langue, les bonnes meurs). Parallèlement à son « du passé faisons table rase », l'hymne de notre époque pourrait aussi être la chanson des Sex Pistols, le groupe punk des années 80, « No future ». Or, les vieux et la vieillesse représentent une promesse d'avenir. L'impératif que nous impose le jeunisme, « rester jeune », ce n'est pas seulement arracher les racines, c'est aussi, c'est surtout, refuser qu'on ait un avenir. C'est refuser l'avenir, tout simplement parce que l'idée d'avenir suppose celle de passage. Que la vieillesse soit une promesse d'avenir est, tout en restant incompréhensible à nos contemporains, l'une des plus fortes suggestions de l'idée chrétienne de résurrection.

    On a le sentiment que la génération 68, obsédée par son éternelle jeunesse, a refusé l'idée même de transmission. Finalement, les jeunes ne sont-ils pas les premières victimes du jeunisme ?

    Il est manifeste que les plus âgés détiennent les pouvoirs, tous les pouvoirs, qu'ils n'ouvrent pas la porte aux plus jeunes, qu'ils ne s'effacent pas. Cette vérité touche la politique, l'industrie, la culture, la presse, les professions prestigieuses et valorisantes. Il y a une gérontocratie - rien de plus exact ! - mais qui exerce son pouvoir selon une idéologie qui dit l'inverse, une idéologie anti-vieux, une gérontophobie, autrement dit une peur et haine de la vieillesse, le jeunisme. Gérontocratie et gérontophobie sont les deux faces de la même médaille. Les vieux sont les plus nombreux, la pyramide des âges est renversée, mais la jeunesse est tellement adulée que tout le monde veut rester jeune. Pourtant, cet amour déraisonnable, inhumain dans la mesure où il est un mépris pour les périodes ultérieures de la vie, bloque la fluidité des âges, contrairement à ce qui s'est toujours passé. Un seul âge, dans notre société, demeure légitime: la jeunesse. Du coup, personne ne veut la quitter. Un inquiétant paradoxe en résulte: les jeunes sont empêchés d'entrer dans la vie parce que la jeunesse est trop aimée (les vieux gardent le plus longtemps possible les postes et les pouvoirs, les places et privilèges, s'il le faut en étant, pour parler comme Philippe Muray, des rebellocrates). La domination de l'idéologie jeuniste est néfaste aux vieux et aux jeunes, bref à l'ensemble de la société.

    Selon vous, le « gérontocide » peut devenir le génocide du XXI siècle. Vous exagérez...

    L'histoire, a dit Hegel, est celle du malheur des peuples, les pages de bonheur restant des pages blanches. L'humanité a toujours fait preuve d'une grande inventivité dans l'art de massacrer. Devant les problèmes démographiques et de confort, l'infanticide est dans les sociétés humaines, comme l'a montré Gaston Bouthoul, la norme. Tantôt, il l'est directement à la naissance, tantôt différé sous la forme des guerres, ou encore, comme aujourd'hui, sous la forme de l'avortement qui est pour nous l'infanticide moralement acceptable. Dans mon livre Bienheureuse vieillesse, l'idée de gérontocide est méthodologique: raisonnons comme si ce massacre correspondait à une certitude afin de pouvoir l'empêcher. Le modèle logique de ce type de raisonnement réside dans l'état de nature chez Rousseau: il n'a jamais existé, il n'existe pas, il n'existera probablement jamais, mais il faut pour comprendre l'homme raisonner comme s'il existait. L'état de nature est une fiction théorique qui permet de découvrir la vérité. Ainsi aussi fonctionne le gérontocide dans mon livre.

    Que répondez-vous à ceux qui estime que l'euthanasie est un moyen de combattre, non pas la vieillesse ou la faiblesse, mais la souffrance ?

    Le mot d'euthanasie, qui signifie bonne mort, mort douce voire heureuse, est un mensonge, un mot totalitaire qui contient une contradiction: camoufler une mise-à-mort en opération humanitaire. On peut bien sûr en comprendre les raisons, l'approcher avec empathie, mais on ne peut accepter le mensonge. Il y a une grande différence entre laisser mourir et mettre à mort. Il est vrai aussi que, d'une part, la mort et la souffrance sont devenues dans nos sociétés insupportables, et que, d'autre part nous sommes devenus incapables de les penser. Généraliser l'euthanasie signe la fin d'une civilisation, celle dans laquelle le « Tu ne tueras point » est un principe fondamental. C'est entrer dans une civilisation dans laquelle « tuer pour le bien-être » devient la norme. Serons-nous en état d'en fixer les limites? C'est, quoi qu'il en soir, banaliser ce geste de tuer, au nom même du bien de celui qui est tué. Comme il y a l'avortement de confort, il y a aura les euthanasies de confort, comme il y a l'avortement-contraception, il y aura l'euthanasie-tranquillisation. Nous nous apprêtons à ouvrir une terrifiante boîte de Pandore.

    A l'inverse, vous dénoncez également l'idéologie « immortaliste ». De quoi s'agit-il ?

    L'immortalisme est l'opposé de la résurrection. Notre société est la société du refus de la vieillesse - donc du passé et de l'avenir - qui est aussi la société de l'immortalisme. Ce refus de la vieillesse est partout signifié, dans le sport, la publicité, le show business, le cinéma, et aussi dans notre vie quotidienne. Partout il s'agit de cacher l'âge, de le nier. Ainsi, lorsqu'on évoque les performances de la championne cycliste Jeannie Longo, c'est pour bien préciser que ses exploits ne sont pas de son âge, qu'à 50 ans largement passés elle en a toujours 25 biologiquement, sportivement, bref qu'elle est toujours jeune, que le temps ne passe pas sur elle, sur ses muscles, son cœur, ses cuisses et ses mollets, qu'elle n'est pas de son âge. Elle fait son âge, car elle a l'aspect d'une quinquagénaire, mais elle n'est pas de son âge. Il est bien évident qu'à travers une pareille présentation de cette championne, le fait de ne pas être de son âge lorsqu'on n'a plus 25 ans est proposé à tous comme un modèle et comme un idéal, éventuellement comme un impératif. Un immortalisme implicite perce à travers de pareils propos, un pareil idéal comme il perce chez la dame de plus de 50 ans qui se vêt encore comme une poupée Barbie. Les poupées sont immortelles n'est-ce pas, comme les déesses de l'Antiquité? L'immortalisme a deux aspects: vivre comme si on était immortel, et le transhumanisme (fabrique artificielle de l'humain par emplacement des pièces obsolètes). L'immortalisme est inhumain parce qu'il repose sur la négation de la mort. L'immortalité inhumaine qu'il propose se différencie de la résurrection, laquelle exige le passage par la mort.

    Avec les progrès technologiques, ce fantasme prométhéen n'est-il pas en train de devenir réalité ?

    Il l'essaie. Mais on peut résister, par exemple en sauvant la vieillesse.

    La condition humaine est-elle en train de disparaître ?

    La condition humaine est bien décrite par Pascal. L'idée de péché originel - le plus puissant garde-fou contre l'inhumain que la sagesse ait pu inventer - exprime à merveille à la fois la persistance de cette condition et la finitude à laquelle l'homme est vouée par essence. Le péché originel pose une limite, un mur, laissant entendre que passer de l'autre côté de ce mur revient à sortir de l'humain, à verser dans l'inhumanité, à transformer l'homme en autre chose, ni un ange ni une bête mais un monstre. Dans la mesure où notre modernité tardive cherche à construire un homme nouveau, hors-sol et hors-nature (ce dont témoigne la faveur de la théorie du genre), régénérable à volonté, interminablement réparable, la réponse est oui. Effacer les limitations - dont, également la vieillesse et la mort, sur lesquelles le péché originel insiste - équivaut à travailler à l'effacement de la condition humaine.

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    Professeur agrégé de philosophie, Robert Redeker est écrivain. Son dernier livre, Bienheureuse vieillesse vient de paraître aux éditions du Rocher.

    Entretien par Alexandre Devecchio

     

  • LITTERATURE • Pierre-Guillaume de Roux : « Contrairement à ce que disent les pessimistes, il y a de grands écrivains

     

    Pierre-Guillaume de Roux a dirigé de nombreuses maisons d’édition (éditions de la Table Ronde, éditions du Rocher) avant de créer la sienne en 2010, qui porte son nom. Il est le fils de l’écrivain et éditeur Dominique de Roux, fondateur des Cahiers de l’Herne et défenseur d’une conception de la littérature en voie de disparition.

    PHILITT : Pouvez-vous nous parler de la fondation des éditions et des Cahiers de L’Herne ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Les Cahiers de L’Herne ont été créés en 1961, avec un premier cahier René Guy Cadou. Mais l’histoire commence en 1956 avec une revue un peu potache tirée à 300 exemplaires qui s’appelait L’Herne, dans laquelle mon père et ses amis vont publier leurs premiers textes. Cette période va réunir autour de lui des gens aussi différents que Jean Ricardou, qui passera ensuite à Tel Quel, Jean Thibaudeau, Georges Londeix et quelques autres. C’est la première cellule.

    L’Herne représente pour mon père une forme de littérature comparée : on coupe une tête, elle repousse toujours. À Lerne de la mythologie, il a ajouté sa lettre fétiche, le H, qu’on retrouve dans les Dossiers H ou dans la revue Exil(H). Cette lettre va l’accompagner toute sa vie. Cette première période va se terminer en 1958. Il va y avoir un moment de rupture, de réflexion. Entre 1958 et 1960 va mûrir l’idée de cahiers livrés deux fois par an dans le but de réévaluer la littérature, c’est-à-dire de changer la bibliothèque. Les surréalistes l’avaient fait quelques décennies plus tôt.

    Cadou était un coup d’essai, un pur fruit du hasard. C’est grâce au peintre Jean Jégoudez qu’on a pu accéder à des archives et constituer ce premier cahier. Cadou est un poète marginal qu’on ne lit pas à Paris : c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père s’y est intéressé. Mais c’est Bernanos qui donnera le coup d’envoi effectif aux Cahiers. Mon père avait une forte passion pour Bernanos. Il l’avait découvert adolescent. Et par ma mère, nous avons des liens forts avec Bernanos car mon arrière-grand-père, Robert Vallery-Radot, qui fut l’un de ses intimes, est à l’origine de la publication de Sous le soleil de Satan chez Plon. Le livre lui est d’ailleurs dédié. C’est ainsi que mon père aura accès aux archives de l’écrivain et se liera d’amitié avec l’un de ses fils : Michel Bernanos. Ce cahier, plus volumineux que le précédent, constitue un titre emblématique de ce que va devenir L’Herne.

    Ce qui impose L’Herne, ce sont les deux cahiers Céline en 1963 et 1965 — et, entre les deux, un cahier Borgès. Il y avait une volonté de casser les formes et une façon très neuve d’aborder un auteur : par le biais de l’œuvre et celui de sa vie. Une volonté non hagiographique. Il ne faut pas aborder l’auteur avec frilosité mais de manière transversale, éclatée et sans hésiter à être critique. L’Herne aujourd’hui a été rattrapée par l’académisme. L’Herne n’a plus rien à voir avec la conception qu’en avait mon père. La maison d’édition a été depuis longtemps trahie à tous les niveaux. On y débusque trop souvent de gros pavés qui ressemblent à d’insipides et assommantes thèses universitaires lancées à la poursuite de gloires établies.

    PHILITT : Quelle était la conception de la littérature de Dominique de Roux ? Voulait-il réhabiliter les auteurs dits « maudits » ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Il suffit de voir les auteurs qui surgissent dans les années 60. Céline est encore un proscrit qu’on lit sous le manteau. Il n’est pas encore le classique qu’il est devenu aujourd’hui. Parler de Céline est plus que suspect. Ce qui explique que mon père sera traité de fasciste dès qu’il lancera des publications à propos de l’écrivain. C’est la preuve qu’il avait raison : qu’il y avait un vrai travail à accomplir autour de Céline pour lui donner une place à part entière dans la littérature. C’est de la même manière qu’il va s’intéresser à Pound. Pound, un des plus grands poètes du XXe siècle. Il a totalement révolutionné la poésie américaine mais, pour des raisons politiques, il est complètement marginalisé. Mon père va procéder à la réévaluation de son œuvre et à sa complète réhabilitation. Pound est avant tout un très grand écrivain qu’il faut reconnaître comme tel. Tous ces auteurs sont tenus dans une forme d’illégitimité politique mais pas seulement. Pour Gombrowicz c’est différent : c’est l’exil, c’est une œuvre difficile que l’on a pas su acclimater en France. Il va tout faire pour qu’elle le soit.

    Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles, de rompre avec une forme d’académisme qui était très prégnante dans cette France des années 60. D’où son intérêt pour Céline, pour Pound, pour Wyndham Lewis qui sont tous des révolutionnaires, en tout cas de prodigieux rénovateurs des formes existantes.

    PHILITT : Quelle relation entretenait-il avec les Hussards ?

    Pierre-Guillaume de Roux : C’est compliqué. Dans un livre que j’ai publié il y a deux ans avec Philippe Barthelet, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, il y a un extrait du journal de mon père de l’année 1962 où il se montre très critique à leur égard. Il est injuste, n’oublions pas l’âge qu’il a à ce moment-là (26 ans).  Il rencontre néanmoins Nimier à propos du Cahier Céline. Malheureusement, la relation n’a pu s’épanouir avec Nimier puisqu’il est mort trop tôt. Pourtant, je pense qu’ils avaient beaucoup de choses en commun : ce goût impeccable en littérature, cette manière de reconnaître immédiatement un véritable écrivain, cette curiosité d’esprit panoramique, ce goût pour la littérature comparée… 

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    PHILITT : Dominique de Roux dénonçait le conformisme et le règne de l’argent. Était-il animé par une esthétique antimoderne ?

    Pierre-Guillaume de Roux : À cet égard, je pense que oui. N’oubliez pas que mon père est nourri de Léon Bloy et de sa critique de l’usure. Mais aussi de Pound qui s’est penché sur toutes ces questions économiques. C’est à la fois quelqu’un qui a su sentir la modernité littéraire – d’où son adoration pour Burroughs, Ginsberg, Kerouac – et qui a une approche antimoderne vis-à-vis de la société. Il était aussi lecteur de Péguy. Le Cahier dirigé par Jean Bastaire a beaucoup compté pour mon père.

    PHILITT : Quelles sont les rencontres qui l’ont le plus marqué ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pound, Gombrowicz, Abellio, Pierre Jean Jouve font partie des rencontres les plus importantes de sa vie. Avec Abellio, il y a eu une amitié très forte. Abellio m’a écrit un jour que mon père était son meilleur ami. Ils se rencontrent en 1962 et ils vont se voir jusqu’à la mort de mon père en 1977 sans discontinuité. Il lui a évidemment consacré un Cahier de L’Herne.

    PHILITT : Pound et Borgés, ce sont plutôt des rencontres…

    Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Pound est déjà un homme très âgé mais il va quand même beaucoup le voir. Entre 1962 et sa mort, il le voit très régulièrement. La rencontre avec Gombrowicz se fait entre 1967 et 1969 et pendant cette courte période ils se voient très souvent. Mon père passe son temps à Vence où vit aussi le grand traducteur Maurice-Edgar Coindreau qu’il fréquente beaucoup à cette époque. Je détiens d’ailleurs leur superbe correspondance.

    PHILITT : Il n’a jamais rencontré Céline ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Ils n’ont fait que se croiser. Au moment où mon père initie les Cahiers Céline en 1960, tout va très vite et Céline meurt en juillet 1961. Il n’a pas eu le temps de le rencontrer.

    PHILITT : Quelle est sa relation avec Jean-Edern Hallier ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Très compliquée. Ils ont été très amis. Ils se sont beaucoup vus au début des années 1960. C’est une relation passionnelle avec beaucoup de brouilles plus ou moins longues jusqu’à une rupture décisive après mai 68. Jean-Edern le traîne dans la boue, le calomnie, en fait un agent de la CIA. On retrouve là toutes les affabulations habituelles de Jean-Edern qui était tout sauf un être fiable, tout sauf un ami fidèle. C’est un personnage qui ne pensait qu’à lui, une espèce d’ogre qui voulait tout ramener à sa personne. Rien ne pouvait être durable avec un être comme ça.

    PHILITT : Pouvez-nous parler de ses engagements politiques, de son rôle lors de la révolution des Œillets au Portugal et de son soutien à Jonas Savimbi en Angola ? La philosophie de Dominique de Roux était-elle une philosophie de l’action ? Peut-on le rapprocher des écrivains aventuriers que furent Conrad ou Rimbaud ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pour ce qui est de son engagement au Portugal, il se fait un peu par le fruit du hasard, sous le coup d’une double rupture dans sa vie. Il y a d’abord son éviction des Presses de la Cité. Il dirigeait avec Christian Bourgois la maison d’édition éponyme ainsi que la collection de poche 10/18. En 1972, mon père publie Immédiatement, un livre qui tient à la fois du recueil d’aphorismes et du journal. L’ouvrage provoque un énorme scandale puisque Barthes, Pompidou et Genevoix sont mis en cause. La page 186-187 du livre est censurée. On voit débarquer en librairie des représentants du groupe des Presses de la Cité pour couper la page en question. Mon père a perdu du jour au lendemain toutes ses fonctions éditoriales. Un an et demi plus tard, il est dépossédé de sa propre maison d’édition à la suite de basses manœuvres d’actionnaires qui le trahissent. C’est un moment très difficile dans sa vie. Il se trouve qu’il connaît bien Pierre-André Boutang – grand homme de télévision, fils du philosophe Pierre Boutang – et le producteur et journaliste Jean-François Chauvel qui anime Magazine 52, une émission pour la troisième chaîne. Fort de ces appuis, il part tourner un reportage au Portugal. Il se passe alors quelque chose.

    Cette découverte du Portugal est un coup de foudre. Il est ensuite amené à poursuivre son travail de journaliste en se rendant dans l’empire colonial portugais (Mozambique, Guinée, Angola). Il va y rencontrer les principaux protagonistes de ce qui va devenir bientôt la révolution des Œillets avec des figures comme le général Spinola ou Othello de Carvalho. Lors de ses voyages, il entend parler de Jonas Savimbi. Il est très intrigué par cet homme. Il atterrit à Luanda et n’a de cesse de vouloir le rencontrer. Cela finit par se faire. Se noue ensuite une amitié qui va décider d’un engagement capital, puisqu’il sera jusqu’à sa mort le proche conseiller de Savimbi et aussi, en quelque sorte, son ambassadeur. Savimbi me dira plus tard que grâce à ces informations très sûres et à ses nombreux appuis, mon père a littéralement sauvé son mouvement l’Unita au moins sur le plan politique quand a éclaté la révolution du 25 avril 1974 à Lisbonne. Mon père consacre la plus grande partie de son temps à ses nouvelles fonctions. Elles le dévorent. N’oubliez pas que nous sommes en pleine Guerre Froide. L’Union Soviétique est extrêmement puissante et l’Afrique est un enjeu important, l’Angola tout particulièrement. Les enjeux géopolitiques sont considérables. Mon père est un anticommuniste de toujours et il y a pour lui un combat essentiel à mener. Cela va nourrir sa vie d’écrivain, son œuvre. Son roman Le Cinquième empire est là pour en témoigner. Il avait une trilogie africaine en tête. Concernant son côté aventurier, je rappelle qu’il était fasciné par Malraux même s’il pouvait se montrer également très critique à son égard. Il rêvait de le faire venir à Lisbonne pour en faire le « Borodine de la révolution portugaise ». Il a été le voir plusieurs fois à Verrières. Il dresse un beau portrait de lui dans son ouvrage posthume Le Livre nègre. L’engagement littéraire de Malraux est quelque chose qui l’a profondément marqué.

    PHILITT : Vous éditez vous aussi des écrivains controversés (Richard Millet, Alain de Benoist…). Quel regard jetez-vous sur le milieu de l’édition d’aujourd’hui ? Êtes-vous plus ou moins sévère que ne l’était votre père vis-à-vis des éditeurs de son temps ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pas moins. Si j’ai décidé d’ouvrir cette maison d’édition, c’est parce que je pense que pour faire des choix significatifs, il faut être complètement indépendant. Un certain travail n’est plus envisageable dans les grandes maisons où règne un conformisme qui déteint sur tout. En faisant peser sur nous comme une chape de plomb idéologique. Cependant, nous sommes parvenus à un tournant… Il se passe quelque chose. Ceux qui détiennent le pouvoir médiatique – pour aller vite la gauche idéologique – sentent qu’ils sont en train de le perdre. Ils s’accrochent à la rampe de manière d’autant plus agressive. C’est un virage extrêmement délicat et dangereux à négocier. L’édition aujourd’hui se caractérise par une forme de conformisme où, au fond, tout le monde pense la même chose, tout le monde publie la même chose. Il y a bien sûr quelques exceptions : L’Âge d’homme, Le Bruit du temps par exemple font un travail formidable. Tout se joue dans les petites maisons parfaitement indépendantes. Ailleurs, il y a une absence de risque qui me frappe. L’argent a déteint sur tout, on est dans une approche purement quantitative. On parle de tirage, de best-seller mais plus de texte. C’est tout de même un paradoxe quand on fait ce métier. Le cœur du métier d’éditeur consiste à aller à la découverte et à imposer de nouveaux auteurs avec une exigence qu’il faut maintenir à tout prix.

    PHILITT : Pensez-vous que Houellebecq fasse exception ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Je pense que c’est un écrivain important. Je l’avais repéré à la sortie de L’Extension du domaine de la lutte. J’avais été frappé par ce ton neuf. On le tolère parce qu’il est devenu un best-seller international et qu’il rapporte beaucoup d’argent. Ce qui n’est pas le cas de Richard Millet. S’il avait été un best-seller, on ne l’aurait certainement pas ostracisé comme on l’a fait honteusement.

    PHILITT : La prestigieuse maison d’édition Gallimard a manqué les deux grands écrivains français du XXe siècle (Proust et Céline). Qu’est-ce que cela nous dit du milieu de l’édition ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Gallimard est, comme le dit Philippe Sollers, le laboratoire central. Quand on voit ce que cette maison a publié en cent ans, il y a de quoi être admiratif. Il y a eu en effet le raté de Proust mais ils se sont rattrapés d’une certaine manière. Gide a raté Proust mais Jacques Rivière et Gaston Gallimard finissent par le récupérer. Pour Céline, c’est un peu le même topo. Mais à côté de ça…

  • La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe ?

    (Crédits : REUTERS/Stringer/Pool)

    Notre analyse de la crise grecque, nous l'avons donnée mardi dernier 7 juillet. L'on peut s'y reporter. Sur ce sujet brûlant, nous ne voulons pas d'une réflexion qui se fonderait sur un sentiment d'antipathie ou au contraire d'empathie à l'égard du peuple grec. Nous traitons des intérêts de la France, de sa politique étrangère, de sa position au sein de l'Europe et des menaces que fait peser sur son existence même, non pas une concertation européenne réaliste des Etats et des nations, mais une certaine idéologie européiste, en réalité libéralo-mondialiste, aujourd'hui dominante. Un commentaire pertinent et raisonnablement mais très profondément critique de l'accord du 13 juillet a été donné par la Tribune. Il s'agit d'une analyse qui va beaucoup plus loin que le seul terrain économique. Pour, le cas échéant, en débattre, nous versons cet article au dossier déjà fort volumineux de l'affaire grecque. Il s'agit en réalité de la remise en cause de l'idéologie libéralo-européiste.  LFAR

     

    Les dirigeants de la zone euro ont imposé un accord aux conditions encore plus dures, presque punitif, aux Grecs. Mais la défaite d'Alexis Tsipras résonne comme une défaite pour toute la zone euro.

    Jamais, dans le jargon européen, le terme de « compromis » n'aura semblé si peu adapté. « L'accord » atteint au petit matin du 13 juillet entre la Grèce et le reste de la zone euro a désormais des allures de déroute pour le gouvernement grec. Une déroute qui a un sens pour le reste de l'avenir de la zone euro.

    Erreur stratégique

    Avant d'en venir aux conséquences, il faut expliquer cette défaite d'Athènes. Le gouvernement grec avait accepté jeudi soir le plan des créanciers présenté le 26 juin. Un plan déjà extrêmement difficile à accepter pour la majorité parlementaire grecque. Cette dernière s'était d'ailleurs fissurée vendredi soir dans le vote à la Vouli, le parlement grec. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pouvait cependant alors prétendre pouvoir arracher un accord sur la dette comme « compensation. » Malheureusement pour lui, les créanciers ont alors immédiatement compris le message : l'exécutif grec craignait davantage la sortie du pays de la zone euro que l'abandon de son propre programme. On aurait pu s'en douter dès le 22 juin lorsqu'Athènes avait déjà présenté un plan d'austérité. Mais le « non » au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au premier ministre pour réaliser le Grexit. Il n'en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu'il a commis l'erreur de ne pas le préparer.

    La curée

    Dès lors, la position grecque était extrêmement fragile. En effet, pour un petit pays aussi affaibli et endetté que la Grèce, la seule force dans les négociations était la menace de la sortie de la zone euro. Menace que, sans doute, il fallait éviter de mettre en oeuvre si c'était possible, mais qu'il fallait brandir assez sérieusement pour faire douter le camp d'en face. Dès lors que cette menace était levée, Athènes n'avait aucun moyen de pression. La position grecque s'était alors entièrement découverte. Et les créanciers ont pu, sans crainte d'une rupture, augmenter leurs exigences. Pour cela, le moyen était fort simple : il suffisait de menacer la Grèce d'une sortie de la zone euro. Comme cette dernière n'en voulait à aucun prix, il était simple de lui faire accepter d'autres conditions et d'annuler ainsi une partie des succès obtenus durant six mois de négociations, notamment le retour des « revues » de la troïka, l'instauration du travail du dimanche et la mise en place d'un fonds de 50 milliards d'euros issus des privatisations pour recapitaliser les banques, rembourser la dette et faire des investissements productifs. Et pour bien faire comprendre à la Grèce qu'elle devait filer droit cette semaine et voter les « réformes » souhaitées, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a prévenu que le « Grexit n'était pas encore exclu. »

    Quelques succès ?

    Les créanciers ont donc tellement tourmenté Alexis Tsipras que ce dernier a pu présenter quelques concessions sur les exigences nouvelles de ce week-end comme des succès : l'absence de Grexit, le maintien du Fonds en Grèce (et non son transfert au Luxembourg comme l'Eurogroupe l'avait demandé) ainsi que le report d'un quart de son montant sur des investissements productifs (autant que la part réservée aux créanciers et moitié moins que celle réservée pour les banques). Mais son seul vrai succès est d'avoir obtenu l'ouverture d'une discussion sur un « reprofilage » de la dette, autrement dit sur un nouvel échéancier. Mais il faut se souvenir que ce plan va encore augmenter la dette et qu'un rééchelonnement risque simplement de « lisser » les effets de cette augmentation. Et, comme on a pu le constater, Athènes est tout sauf en position de force pour bien négocier ce rééchelonnement. Encore une fois, les créanciers - et Angela Merkel l'a confirmé explicitement - restent attachés au mythe de la viabilité de la dette publique grecque. Un mythe qui va continuer de coûter cher à la Grèce qui va ployer pendant des décennies sous le poids absurde de cette dette, la condamnant à une austérité sans fin et à la méfiance des investisseurs.

    Prélude à la chute d'Alexis Tsipras ?

    Alexis Tsipras va devoir désormais faire accepter ce plan à son parlement. Or, ce plan n'est rien d'autre qu'une négation explicite des deux votes grecs du 25 janvier et du 5 juillet. Les créanciers avaient pour but, d'emblée, d'obtenir l'annulation de fait de ces votes. Ils sont en passe de l'obtenir. Les parlementaires de Syriza ont désormais le choix entre provoquer une crise politique en désavouant Alexis Tsipras et adoptant un programme basé sur la sortie de la zone euro ou devenir un nouveau Pasok, un parti qui tente de « réduire l'impact » des mesures des créanciers sans avoir aucune certitude d'y parvenir. Face à un tel choix, Syriza pourrait se scinder, comblant les vœux des créanciers et de Jean-Claude Juncker qui souhaitait, en janvier, « revoir des têtes connues. » Car, avec de nouvelles élections, qui semblent désormais inévitables, les perdants des 25 janvier et 5 juillet pourraient profiter de cette division pour remporter le scrutin. Quoi qu'il en soit, si le Syriza « modéré » d'Alexis Tsipras l'emporte, sa capacité de résistance est désormais très faible. Le « danger politique » est écarté, comme le voulaient les dirigeants de la zone euro.

    La victoire de Tsipras : un révélateur de la nature de la zone euro

    Il est cependant un point sur lequel Alexis Tsipras a clairement gagné : il a mis à jour par ses six mois de résistance et ce déchaînement de « vengeance » comme le note ce lundi matin le quotidien britannique The Guardian en une, la nature de la zone euro. Ce lundi 13 juillet, on y voit plus clair sur ce qu'est la zone euro. A l'évidence, les gouvernants européens ont agi comme aucun Eurosceptique n'aurait pu l'espérer.

    L'imposition de la logique allemande

    D'abord, on a appris que l'euro n'était pas qu'une monnaie, mais aussi une politique économique particulière, fondée sur l'austérité. Le premier ministre grec avait fait le pari que l'on pouvait modifier la zone euro de l'intérieur et réaliser en son sein une autre politique économique. Preuve est désormais faite de l'impossibilité d'une telle ambition. Les créanciers ont clairement refusé une réorientation de la politique d'austérité budgétaire qui, pour un pays comme la Grèce, n'a réellement plus aucun sens aujourd'hui et l'empêche de se redresser. On a continué à imposer cette logique qui fonde la pensée économique conservatrice allemande : la réduction de la dette et la consolidation budgétaire ont la priorité sur une croissance économique qui ne peut être le fruit que « d'efforts douloureux » appelés « réformes. » Même dans un pays économiquement en ruine  comme la Grèce qui a démontré empiriquement l'échec de cette logique. Si Alexis Tsipras a perdu son pari, il n'est pas le seul fautif. Les Etats européens comme la France et l'Italie le sont aussi, qui en validant les réformes engagées depuis 2011 dans la zone euro (Two-Pack, Six-Pack, MES, semestre européen, pacte budgétaire) ont assuré la prééminence de cette logique.

    Français et Italiens ne peuvent donc pas s'étonner de la radicalisation de l'Allemagne et de ses alliés. Ils l'ont préparée par leur stratégie de concessions à Berlin, se trompant eux-mêmes sur leur capacité future de pouvoir ainsi « infléchir » la position allemande dans le futur.

    Gouvernance économique aveugle

    La gouvernance économique de la zone euro - jadis tant souhaitée par les gouvernements français - existe donc bel et bien, et ne souffre aucune exception, fût-elle la plus modérée. Aussi, qui veut la remettre en cause devient un adversaire de l'euro. La diabolisation de Syriza pendant six mois l'a prouvé. Ce parti n'a jamais voulu renverser l'ordre européen, le gouvernement grec a rapidement fait de larges concessions (que l'on songe à l'accord du 20 février). Mais sa demande d'une approche plus pragmatique dans le traitement du cas grec conduisait à une remise en cause de la vérité absolue de la logique "austéritaire" décrite plus haut. Il fallait donc frapper fort pour faire cesser à l'avenir toute velléité de remise en cause de l'ordre européen établi. Il y a dans cette Europe un air de « Sainte Alliance » de 1815, révélé désormais au grand jour. Comment autrement expliquer cet acharnement face à Athènes ce week-end, cette volonté de « vengeance » ? Alexis Tsipras avait cédé sur presque tout, mais ce n'était pas assez, il fallait frapper les esprits par une humiliation supplémentaire.

    Identification entre euro et austérité

    Le problème, c'est que, désormais, l'identification entre l'euro et l'austérité est totale. Le comportement des dirigeants de la zone euro avant et après le référendum pour faire du « non » aux mesures proposées un « non » à l'euro le prouvent aisément. La volonté explicite de durcir les conditions imposées à la Grèce pour rester dans la zone euro ce week-end enfonce le clou. Aujourd'hui, c'est bien la question de la « réforme de la zone euro » et de sa gouvernance qui est posée. C'est un cadeau magnifique fait en réalité aux Eurosceptiques qui auront beau jeu désormais de fustiger la faiblesse d'Alexis Tsipras et de faire de la sortie de la zone euro la condition sine qua non d'un changement, même modéré, de politique économique. Cette fin de semaine, une certaine idée, optimiste et positive, de la zone euro a perdu beaucoup de crédibilité.

    Grexit ou pas, le précédent existe désormais

    Du reste, ceux qui se réjouissent d'avoir sauvé l'intégrité de la zone euro se mentent à eux-mêmes. Pour la première fois, l'impensable a été pensé. L'irréversibilité de l'euro est morte au cours des deux dernières semaines. Grexit ou pas, la possibilité d'une sortie de la zone euro est désormais établie. La BCE l'a reconnue par la voix de deux membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio, et l'Eurogroupe en a explicitement menacé la Grèce. Dès lors, la zone euro n'est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous ses Etats membres par des compromis équilibrés. Elle est un lieu de domination des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien. Et ceux qui ne se soumettent pas à la doctrine officielle sont sommés de rendre les armes ou de sortir. On accuse Alexis Tsipras d'avoir « menti » à son peuple en prétendant vouloir rééquilibrer la zone euro. C'est faux, car il ne connaissait pas alors la nature de la zone euro. Maintenant il sait, et les Européens aussi.

    C'est la réalisation du projet « fédéral » de Wolfgang Schäuble : créer une zone euro plus centralisée autour d'un projet économique accepté par tous, ce qui suppose l'exclusion de ceux qui le remettent en cause. Angela Merkel s'est ralliée à ce projet parce qu'elle a compris qu'Alexis Tsipras ne sortirait pas de lui-même. Elle a donc pensé pouvoir obtenir la discipline et l'intégrité de la zone euro. Mais elle se trompe, elle a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l'avenir au projet européen. De ce point de vue, peu importe que le Grexit n'ait pas eu lieu  : sa menace suffit à modifier la nature de la zone euro.

    La nature de l'euro

    L'euro devait être une monnaie qui rapprochait les peuples. Ce devait être la monnaie de tous les Européens. Or, cette crise a prouvé qu'il n'en est rien. On sait que, désormais, on peut priver certains habitants de la zone euro de l'accès à leur propre monnaie. Et que cette privation est un moyen de pression sur eux. Il sera donc bien difficile de dire encore « l'euro, notre monnaie » : l'euro est la monnaie de la BCE qui la distribue sur des critères qui ne prennent pas en compte le bien-être des populations, mais sur des critères financiers dissimulant mal des objectifs politiques. L'euro est, ce matin, tout sauf un instrument d 'intégration en Europe. En réalité, on le savait depuis la gestion de la crise de Chypre en 2013, qui, on le comprend maintenant, n'était pas un « accident. »

    Le choc des démocraties réglé par le protectorat

    La résistance d'Alexis Tsipras et l'accord obtenu mettent également à jour le déséquilibre des légitimités démocratiques. Longtemps, l'argument a été que les Grecs ne pouvaient pas imposer leurs choix démocratiques aux autres démocraties. Ceci était juste, à condition que ce soit réciproque.

    Or, ce lundi 13 juillet, la démocratie grecque a été fragilisée et niée par ses « partenaires » européens. On a ouvertement rejeté le choix des Grecs et imposé à la place celui des autres gouvernements démocratiques. Le débat ne se tenait pas entre démocraties mais entre créanciers et débiteurs. Jamais la zone euro n'a voulu prendre au sérieux les choix grecs. Et toujours on a cherché à se débarrasser de ceux qui étaient issus de ces choix. Il est donc possible de faire d'un pays de la zone euro une forme moderne de protectorat financier. C'est là encore un dangereux cadeau fait aux Eurosceptiques qui auront beau jeu de venir se présenter en défenseurs de la souveraineté populaire et de la démocratie.

    Plus d'intégration ?

    François Hollande a promis « plus d'intégration » dans la zone euro les mois prochains. Ceci ressemble dangereusement à une fuite en avant. Angela Merkel a prouvé qu'elle avait choisi le camp de Wolfgang Schäuble, de concert avec la SPD. On ne peut donc que s'inquiéter de cette promesse de l'hôte de l'Elysée qui ne peut aller que dans le sens des erreurs commises. Enivrée par leurs victoires sur un peuple déjà à genoux, les dirigeants de la zone euro doivent prendre garde de ne pas aggraver encore un bilan qui, au final, est aussi négatif pour les vainqueurs que pour les vai

  • Un débat sur la légitimité

    Les légitimistes espagnols que sont les carlistes (Saint-Priest)

     

    Débat qui a suivi la Lettre sur la légitimité de Pierre de Meuse [Du 1 au 22 juin 2015 - 31 commentaires].

    Nous n'allongerons pas ce débat déjà fort long et fort riche en lui-même. La conclusion pourrait être celle qu'en donne l'un des commentaires de Saint-Priest : « Lorsqu'on va chercher ses princes en Espagne, il vaut mieux s'intéresser aussi à leur histoire. Elle est passionnante. Elle est éclairante. Elle est la leur. Elle n'est pas la nôtre.» A cet égard, les contributions de Saint-Priest, parfait connaisseur de ce vaste sujet, sont de toute évidence à signaler. Elles sont, sur certains points, déterminantes. Elles ont aussi le mérite de rappeler que l'Espagne des XIXe et XXe siècles a eu, en quelque sorte, avec le carlisme, son authentique légitimisme et d'en retracer l'histoire. Restent les points de vue qui consistent à trancher la question dynastique par recours à la nouveauté : un fondateur de dynastie, un nouveau paradigme. Mais lesquels ? En attendant leur hypothétique surgissement - tout reste toujours possible - devrions-nous proposer - contre son principe fondateur - un royalisme sans visage ? Nous ne le croyons pas. Les princes d'Orléans sont aujourd'hui les héritiers de la légitimité historique.

     

    Les lois d'exil se sont si peu appliquées à la famille de Louis de Bourbon qu'après avoir été chassée d'Espagne en 1868 et avoir abdiqué en 1870, la reine Isabelle II s'était réfugiée à Paris avec les siens, dont le futur roi Alphonse XII, et y vécut le reste de ses ses jours (36 ans). Elle y est morte en 1904.  Gérard POL lundi 01 juin 2015 

    Ce qui est hilarant c'est que vous passiez du temps à cela . Ça occupe j' imagine. Moine mardi 02 juin 2015 

    C'est toujours tordant et désopilant de voir de tristes illégitimes donner des leçons de légitimité ! Ne vous en déplaise et en dépit d'affirmations mensongères, oui la légitimité existe Non nous accepterons jamais la fusion avec la branche orléaniste . Trop de mensonges , de crimes, de veuleries , de turpitudes et de laideur !!!!! Pauline lundi 01 juin 2015  

    Refuser toute fusion ? Décidément, les partisans de Louis-Alphonse et de ses prédécesseurs tras los montes méconnaissent complètement l'histoire de leurs propres champions ! Le supposé passage de témoin, en 1936, entre la branche carliste (Don Alfonso-Carlos, duc de San Jaime) et la branche réputée libérale d'Alphonse XIII est le pur produit d'une... fusion ! Saint-Priest jeudi 18 juin 2015 

    Les actuels Bourbons d'Espagne sont les descendants d'Isabelle II et de son ministre Puig Molto. Aucun de ses 8 enfants n'est le descendant de Francisco de Asis, son mari, et pour cause !! Elle l'a reconnu et chaque enfant savait qui était son père. Il existe au Ministère des Affaires étrangères de Madrid une grande table ronde sur laquelle a été conçu un petit bâtard royal. Ces "légitimés" sont devenus légitimistes. Belle carrière. Catherine Salvisberg samedi 20 juin 2015 

    Il est probable en effet qu'Alphonse XII fût le fils d'Enrique Puigmolto, favori et amant de la reine Isabelle II. Il n'en demeure pas moins qu'au regard du droit il est le fils (présumé) de Francisco de Asis de Borbon, duc de Cadix et roi consort d'Espagne (1822-1902). A ce titre, Alphonse XII n'était pas un bâtard et n'avait pas à être légitimé. Disons que, probablement, Alphonse XII et sa descendance (avec notamment Alphonse XIII, Juan-Carlos Ier ou Louis-Alphonse) sont, en ligne paternelle, aussi Bourbon que la descendance de la Grande Catherine est Romanov. Au passage, rappelons que la querelle dynastique a existé en Espagne avant d'exister en France. A la mort du roi Ferdinand VII en 1833, il n'était pas du tout évident que sa très jeune fille Isabelle II fût légitimement appelée à ceindre la couronne d'Espagne... notamment parce que la loi de succession avait été changée - pour permettre aux infantes de succéder - sans l'aval des Cortès dûment mandatées à cet effet. C'est pourquoi, à la mort de Ferdinand VII, l'Espagne traditionnelle et traditionaliste reconnut pour roi le frère du défunt souverain : Don Carlos, comte de Molina (1788-1855), et se souleva contre le gouvernement d'Isabelle II et de sa mère la reine-régente Maria Cristina. S'en suivit une terrible guerre civile entre carlistes et cristinistes. Ces derniers étaient d'ailleurs soutenus par les puissances européennes libérales : l'Angleterre et la France de Louis-Philippe. Cette guerre connut plusieurs répliques, notamment après la révolution de 1868 qui chassa Isabelle II et déboucha laborieusement sur l'instauration de la première République espagnole (1873-1874). Entretemps, Don Carlos, duc de Madrid (petit-fils du comte de Molina et neveu par alliance d'Henri V, comte de Chambord) avait relevé l'étendard du carlisme et s'était solidement établi en Navarre. Ce furent les armées d'Alphonse XII, auxquels les notables libéraux s'étaient ralliés (Canovas del Castillo et Sagasta) qui délogèrent les carlistes et leur prince de la Vendée navarraise. Où l'on voit que les ancêtres de Louis-Alphonse n'ont rien à envier à notre Louis-Philippe national en terme de libéralisme (réel ou supposé) ou en terme de rébellion contre la légitimité. C'est la raison pour laquelle les légitimistes espagnols que sont les carlistes furent placés dans un dilemme tout à fait semblable au nôtre lorsque la branche carliste vint à s'éteindre avec la mort de Don Alfonso-Carlos, duc de San Jaime (et frère du duc de Madrid) en 1936.  D'aucuns se rallièrent à Alphonse XIII, chef de l'ex branche cadette devenue aînée à la mort de leur prince. D'autres reconnurent comme régent puis comme roi de droit le prince Xavier de Bourbon-Parme. D'autres allèrent chercher un descendant du duc de Madrid par les femmes. Evidemment, on avança le libéralisme des princes "isabello-alphonsins" et l'on fit valoir l'hypothèse (ou l'hypothèque ?) Puigmolto.  Certains Blancs d'Espagne aiment également à oublier que, de notre côté des Pyrénées, leurs peu nombreux devanciers, sincèrement attachés aux princes carlistes, furent loin d'être unanimes pour se rallier à Alphonse XIII en 1936... Certains barons d'Empire préfèrent passer outre... ou insulter les princes de Bourbon-Parme qui apparurent à certains comme leurs nouveaux champions.  L'affaire était loin d'être anecdotique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le "prince d'Espagne" désigné successeur du général Franco en 1969 changea de prénom. Juan (surnommé "Juanito" pour le distinguer de son père Don Juan, comte de Barcelone et prétendant au trône) devint Juan-Carlos Ier. Etant donné qu'il s'agissait de rallier et de réconcilier carlistes et alphonsistes sous la bannière du régime franquiste, il ne pouvait y avoir de roi Jean, puisqu'il en aurait résulté un épineux problème de numérotation (il y avait eu un prétendant carliste sous le nom de Jean III : le père du duc de Madrid).  Il semble d'ailleurs que très peu de carlistes avaient reporté leur fidélité sur Don Jaime, duc de Ségovie (et grand père de Louis-Alphonse). Don Jaime avait en effet renoncé à ses droits à la couronne d'Espagne en 1933. Et ce au profit de son frère Don Juan, comte de Barcelone. Certes, c'était sous la pression de son père Alphonse XIII. Certes, c'était en exil, puisque la deuxième République espagnole avait été instaurée en 1931. C'est la raison pour laquelle Don Jaime, plus ou moins bien conseillé par un entourage assez discutable, revint plusieurs fois sur ses renonciations. Il n'en demeure pas moins qu'entretemps le même duc de Ségovie avait contracté un mariage non dynaste - puisque la loi de succession espagnole exigeait une épouse issue d'une famille royale. C'est la raison pour laquelle les deux fils de Don Jaime : Alfonso (le père de Louis-Alphonse) et Gonzalo ne pouvaient pas, sérieusement, griller la priorité à un prince qui était lui incontestablement dynaste (si l'on ramène l'hypothèque Puigmolto à ses justes proportions), à savoir Juan-Carlos, fils du comte de Barcelone et de son épouse Maria de las Mercedes de Borbon y Orléans (dont le grand-père maternel était Philippe VII, comte de Paris). Certes, on trouva des partisans de Don Alfonso au sein de la Phalange, et au sein de la famille du Caudillo : son épouse et son gendre... puisque Don Alfonso avait épousé la petite-fille du généralissime (en 1972). Il semble bien que Franco n'a jamais envisagé l'hypothèse Don Alfonso : ni avant la désignation de Juan-Carlos en 1969, ni a fortiori après. On pourrait conclure comme suit : lorsqu'on va chercher ses princes en Espagne, il vaut mieux s'intéresser aussi à leur histoire. Elle est passionnante. Elle est éclairante. Elle est la leur. Elle n'est pas la nôtre. Saint-Priest lundi 22 juin 2015 

    Brillante démonstration. Félicitations à Pierre de Meuse. Mais il est à craindre que les blancs d'Espagne , qui ignorent les fondements du politique et ont tendance à arranger l'histoire à leur convenance restent prisonniers de leurs rancoeurs cultivées dans certaines vieilles familles qui mettent un point d'honneur à ressembler aux caricatures que l'on fait d'elles.  Olivier Perceval 01 juin 2015 

    Bravo, Pierre de Meuse : voici résumées en quelques lignes brillantes et claires, l'évidence des ridicules prétentions de l'espagnolade... Pierre Builly lundi 01 juin 2015 

    Merci à Mr Pierre de Meuse pour ce rappel de faits historiques éclairants. Le marketing "people" soudain autour de Louis de Bourbon, à l'occasion de l'une de ses visites ponctuelles est en effet assez déplaisant. Il y a en France une famille royale et un prince, Jean, duc de Vendôme. Qu'ajouter ? renaud  lundi 01 juin 2015 

    Une famille royale " française " qui a voté la mort du roi Louis XVI (et Qui avait pris le nom de Philippe EGALITE °..... en effet.... jf mardi 02 juin 2015  

    Ce n'est pas la famille d'Orléans qui a voté la mort du roi Louis XVI. C'est Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans (dit "Philippe-Egalité") et lui seul. Ses trois fils, au premier rang desquels le futur Louis-Philippe Ier, n'ont été en rien associés au vote de leur père. En décembre 1792, ils tentèrent de le dissuader de participer au procès du roi. En vain. Saint-Priest jeudi 18 juin 2015  

    Tant qu'il restera des descendants dans la branche ainée de la derniere famille régnante ce ceux la qui sont appelés a régner en France, les cadets passent apres. Vous n'y pouvez rien à moins de contester les lois fondamentales qui reglent la dévolution de la couronne. sequane mardi 02 juin 2015  

    Sans doute ni le Comte de Chambord, ni Louis XV n'étaient au courant. Antiquus mercredi 03 juin 2015  

    Et dans les "lois fondamentales du Royaume", le caractère "étranger" du prétendu prétendant ne l'emporte-t-il pas sur de prétendues priorités dynastiques douteuses et archaïques ? Si nous voulons un Roi, ce n'est pas parce qu'il sera, ou serait, "légitime" : c'est pour qu'il mette fin à la République ! La prétendue légitimité des Bourbons d'Espagne n'a commencé à se faire une petite, ô toute petite place (on n'a jamais vu des pseudos-légitimistes distribuer des tracts, vendre des journaux, coller des affiches, affronter les marxistes) dans le monde royco parce que le Comte de paris Henri VI, par ses prises de position, avait mécontenté quelques extrêmistes. Et de ces fait, ces gandins providentialistes ont "choisi" leur prétendant et rejoint quelques débris moisis qui survivaient incompréhensiblement... De toute façon, avant de se qureller sur l'évidence, faudrait déjà prendre le Pouvoir. Et ça, c'est pas demain !  Pierre Builly mercredi 03 juin 2015 

    Alors comment expliquer que le prédicat officiel de premier prince du sang, passé des Condé aux Orléans, n'ait jamais échu aux Bourbons d'Espagne ? Comment expliquer que, sous Louis XV, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, chacun des ducs d'Orléans, du fils du Régent jusqu'à Louis-Philippe, ait été reconnu officiellement premier prince du sang ?  Je rappelle que le premier prince du sang est le premier prince dynaste après les fils et petits-fils de France.  Si, de Louis XV à Charles X, les Bourbons d'Espagne avaient été regardés comme dynastes dans notre pays, l'infant Philippe-Antoine, duc de Calabre (1747-1777) aurait succédé à Louis Ier duc d'Orléans (1703-1752) comme premier prince du sang. Et après le duc de Calabre, son frère le futur roi Charles IV d'Espagne. Or il n'en a rien été.  Nos derniers rois et les institutions de l'Ancienne France puis de la Restauration ont sauté à pieds joints par-dessus la prolifique descendance de Philippe V : les membres de cette dernière n'étaient plus dynastes en France. Du moins pour la jurisprudence de nos derniers rois et de notre Monarchie ancienne puis restaurée. Excusez du peu !  Saint-Priest vendredi 19 juin 2015   

    La Querelle dynastique est le cancer de la cause royaliste française. Il est navrant de voir avec quelle gourmandise certains en propagent les métastases.  Catoneo 3 juin 2015  

    Il n'a été opposé à l'analyse de Pierre de Meuse ni arguments sérieux, ni démonstrations. Seulement des affirmations sans preuves et des imprécations. Il est certain que ce qui reste de la querelle dynastique affaiblit la cause monarchique. Certain aussi que les partisans de Louis de Bourbon - qui n'est fondé ni à prétendre ni à agir politiquement en France, si ce n'est, éventuellement, dans le cadre de commémorations historiques - nuisent à la crédibilité du royalisme français. Néanmoins, ils sont là, avec leur prince d'ailleurs, et, pour parler trivialement, il faut bien "faire avec". Inutile de geindre sur ce cancer et ses métastases. Il y a toujours eu quelques cercles dits "légitimistes" en France. Mais ce sont les maurrassiens, l'Action française et les princes d'Orléans, tantôt ensemble, tantôt séparés, qui ont véritablement réfléchi, agi, milité, parfois tenté , en faveur de la monarchie. Les "espagnols" n'ont jamais compté autrement que par leur effet de nuisance. Sur ce que peut être l'avenir du royalisme français, nous ne savons rien, si ce n'est l'extrême décrépitude, le profond discrédit, le ridicule même, dont est frappé aujourd'hui le régime en place. Personne ne pensait aux alentours de 1790, et même au delà, que la vieille monarchie s'effondrerait sous très peu de temps, encore moins que quinze ans plus tard, après une horrible Révolution, elle se donnerait un empereur corse. Et ma génération n'aurait pas cru dans les années 80 (1980 !) celui qui lui aurait annoncé que l'Union Soviétique imploserait, elle et ses satellites, dix ans plus tard. Qu'est-ce qui pourrait bien succéder à l'actuel régime s'il venait à s'écrouler ? C'est une autre inconnue. Il me semble que c'est une raison suffisante pour maintenir et diffuser aussi largement que possible les idées qui nous rassemblent. Par exemple et entre autres, ici, sur ce site bien utile ... Anatole - mercredi 03 juin 2015 

    Mille mercis à Pierre de Meuse pour la clarté et la pénétration de sa mise au point. En effet, les prétentions espagnoles-toutes émotionnelles et infondées qu'elles soient, sont occasionnelles tout autant qu'imaginatives, et ne datent que de 1940,après que le malheureux sourd-muet qu'était le fils aîné du roi Alphonse XIII,aient renoncé pour lui et sa descendance à ses droits sur la couronne d'Espagne. En dépit de la sympathie que l'on puisse éventuellement nourrir à l'endroit de tel ou tel membre de cette descendance bourbonienne,il faut posément reconnaître que leur imaginaire dynastique nuit beaucoup à l'unité, à la cohérence et à l'efficacité du royalisme français,- qui n'appartient qu'aux Français eux-mêmes,et non à des

  • Patrimoine • À Martigues, par Charles Maurras

     

    Il faut être reconnaissants au site Maurras.net d'avoir remis à jour cet écrit de Charles Maurras, un petit article touristico-sociologique intitulé À Martigues et publié en 1926 par le magazine L’Illustration (numéro 4361 du 12 octobre.). Version agrémentée de six aquarelles de l’artiste avignonnais Louis Montagné.

    S’il refuse le pessimisme automatique des anciens, Maurras ne peut cacher ici une certaine inquiétude : l’âme de Martigues est liée depuis des siècles à l’activité des pêcheries, et, si celles-ci en viennent à péricliter, que restera-t-il de cette âme ?

    Amis lecteurs, imprimez-donc ce texte et prenez-le avec vous pour aller visiter Martigues ! Vos avis seront sans doute divers, mais vous ne pourrez contester que les vues dépeintes par les six aquarelles se retrouvent peu ou prou dans la réalité d’aujourd’hui, et sans doute penserez-vous comme nous que, moyennant l’achèvement de la restauration de la maison du Chemin de Paradis qui fut la propriété de Charles Maurras, et l’éradication de quelques horreurs datant des décennies de l’après-guerre, la « Venise provençale » possède tous les atouts pour charmer le visiteur et poursuivre sa longue histoire, quel que soit le nombre de ses pêcheurs, de grand comme de petit Art.

     

    2736404638.jpgLe clair pinceau et les couleurs brillantes de M. Louis Montagné 1 se rient de l'encre grise et du langage abstrait dont il faut bien qu'un simple écrivain se contente. N'essayant pas de rivaliser avec l'aquarelle, je lui laisse le soin de louer les beautés visibles de ma petite ville natale. L'invisible me reste. Je tenterai de l'indiquer.

    Cette église, cathédrale ou plutôt primatiale, vous plaît ? Vous êtes sensible aux lueurs changeantes de ce petit port ? Vous riez de plaisir devant ce quai oblique où les barques légères attendent tristement ? Le rythme de la lumière et de la vie vous a obscurément intéressé et même conquis ? Les plus minutieuses descriptions littéraires ne pourraient rien ajouter à ce sentiment. Mais peut-être la curiosité qui est née vous fait-elle songer à vous demander quel est le peuple qui travaille dans cet air doré et sous ce ciel en fleur, ce qu'il a dans le cœur, ce qu'il a dans la tête, d'où il vient, ce qu'il fait, en un mot comment ce petit monde a vécu depuis qu'il est là.

    Il est là depuis très longtemps. C'est un peuple pauvre de gloire, mais non d'ancienneté. Son origine a donné lieu à quelques disputes entre amateurs de chartes et producteurs de diplômes. Il paraît que les plus anciens certificats de vie de la ville de Martigues ne remontent guère au-delà du treizième siècle et d'un certain papier qui a été signé et scellé par un archevêque d'Arles entre 1200 et 1300. C'est possible. Ce n'est pas sûr. Et qu'est ce que cela prouve ? Tout ce qui est écrit a été, du moins grosso modo. Mais tout ce qui a été n'a pas été écrit.

    Par exemple, l'Ordre religieux et militaire des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem fait remonter son origine à Gérard de Martigues 2, qui a été béatifié, s'il vous plaît. Ce bienheureux Gérard Tenque, né vers 1040 et que la première croisade a trouvé établi à Jérusalem, a-t-il eu l'originale fantaisie de placer son berceau dans une localité qui lui serait postérieure de deux bons siècles ? Naturellement la critique peut dire que Gérard, simple mythe solaire, n'a jamais existé ou qu'il ne s'appelait point Tenque, un chroniqueur disant Gerardus tunc, « Gérard alors » qui aura été traduit Gérard Tunc, ou Thunc, ou Tonc, ou Tenque, ce qui est bien dans l'ordre des choses mortelles 3.

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    Mais, si le nom de son Gérard fut sujet de telles transformations, le nom de Martigues et de son étang, Marticum stagnum, reste tout de même l'un des plus vieux de notre Provence. Il se réfère au cycle de Marius. Quand ce général démagogue passa en Gaule pour y barrer la route à la première grande invasion germanique, cent quatre ans avant Jésus-Christ, il menait dans ses camps, au dire de Plutarque, une prophétesse syrienne du nom de Marthe, revêtue d'un manteau de pourpre et mitrée à l'orientale, qui inspira une confiance invincible à ses soldats et à leur chef. Le nom de Marius remplit la contrée. La montagne de sa Victoire, que les pêcheurs appellent Dalubre (delubrum, le Temple), est la reine de l'étang de Marthe (ou de Berre). Les collines qui bordent l'étang de Caronte (stagnum currens, l'étang qui court) abritent des vallons où les débris gréco-romains affleurent sans cesse. 4

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    En août 1925, un jeune artiste voyageur, errant par l'île de Martigues, qui est notre quartier central, aperçut, au fond d'une remise où jouait le soleil, un chapiteau de marbre d'une rare beauté. Il supposa d'abord que cela provenait de quelque chapelle bâtie au dix-septième ou au dix-huitième siècle. En regardant mieux, il dut se rendre à l'évidence. Le chapiteau corinthien était un pur antique. On a eu la bonté de m'en faire présent. Peut-être, en le voyant de près, les critiques aboutiront-ils avec moi à cette conclusion, provisoirement énorme, qu'après tout c'est peut-être dans ces parages qu'abordèrent les premiers fugitifs phocéens.

    Évidemment, la première Marseille que nous imaginons riveraine du Coenus 5 et de l'étang de Marthe aura vite et souvent changé de place. Mais tout a changé de place ici, et il faut comprendre pourquoi.

    Le rivage méditerranéen est un territoire essentiellement envahi. Les premiers colonisateurs s'en doutèrent. Furent-ils Ligures ou Ibères, avant d'être Grecs ? En ce cas, ils craignaient les Phéniciens, qui craignirent les Grecs, qui craignirent les Carthaginois, qui craignirent les Romains, qui finirent par craindre les Goths, qui craignirent eux-mêmes les Normands, qui craignirent les Maures, que l'on n'a pas cessé de craindre jusque vers notre année 1830, date de la prise d'Alger par la flotte de Charles X. Mais l'Islam se réveille, et il n'est pas dit que ces craintes millénaires ne recommencent pas d'ici peu, sans avoir à changer d'objet. Dès lors, tout aussitôt, ce qui a été recommence. L'éternel exode reprend dans toutes les agglomérations où l'on ne se sent pas en nombre suffisant pour résister et pour tenir. Les habitants des petits bourgs quittent leurs maisons, ils se réfugient sur les collines où ils se fortifient et s'arrangent pour vivre tant que subsiste le péril. Dès qu'il s'éloigne, le pêcheur accourt repeupler les cabanes ou les bâtiments du rivage jugés les plus propices aux travaux de son industrie. Bref, les chartes du treizième ou quatorzième siècle, dont nos archivistes font si grand état, ne les induisent pas absolument en erreur, mais leur font appeler naissance une renaissance. Ils prennent pour la ville fondée ce qui n'est que la ville rebâtie et restituée.

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    Où ? Au même endroit ? Peut-être bien, à cinq ou six cents mètres près. Il n'y avait d'ailleurs pas une ville, mais trois. Elles fusionnèrent par un acte d'union que dicta le roi Charles IX et que symbolisa une bannière tricolore, où le blanc de l'Île, le rouge de Jonquières et le bleu de Ferrières se retrouvaient par parties égales. Les quartiers réunis eurent du mal à vivre en paix, l'antagonisme antique ne s'est pas éteint : « Monsieur, disait au dix-neuvième siècle un marguillier 6 de l'Île, comme un étranger le félicitait de l'érection du clocher de Jonquières, j'aimerais mieux voir mon clocher de l'Île par terre que le clocher de Jonquières debout. »

    Telle est la stabilité de ces fureurs locales, dans le plus instable pays du monde et dont les aspects familiers n'ont cessé de changer à vue d'œil, bien avant que les « travaux » dont on se plaint tant aujourd'hui puissent être accusés de le déshonorer.

    Chacune de nos générations aime à dire que Martigues n'est plus Martigues, pour l'avoir ouï dire à ses anciens qui l'ont toujours dit, et leurs pères, et les pères de leurs pères, dans tous les siècles. La cité provençale, que l'on baptisait un peu ridiculeusement de Petite Venise, n'aura bientôt plus que deux îlots et trois ponts. J'ai connu trois îlots, quatre ponts. Ceux qui m'ont précédé parlaient de quatre ou cinq îlots et de je ne sais plus combien de ponts fixes et de ponts-levis. Ce qu'on appelle le pittoresque a donc perdu, mais l'essentiel a-t-il bougé ? Un certain jeu de l'eau et de la lumière, une certaine dégradation du soleil dans une atmosphère de subtiles vapeurs, la courbe des rivages, le profil des hauteurs, les mouvements du sol, son harmonieuse composition ne dépendent en rien de ce que le pic et la pelle de l'homme, sa drague même si l'on veut, peuvent déplacer de sable ou de boue, et les rapports qui règlent la beauté de la terre ne sont guère liés à ce que change la vertu de notre effort.

    Rassuré quant au paysage, faut-il l'être un peu moins sur la population ? Elle est sans doute composée d'alluvions très variés. Le territoire de Provence est ouvert du côté des montagnes, béant vers l'Italie et l'Espagne, l'Afrique et l'Orient. Il me souvient bien que, dans mon enfance, vers 1875, certaine famille dite des Mansourah, venue d'Égypte, paraît-il avec Bonaparte, n'était pas tout à fait assimilée. On n'en parle plus aujourd'hui. L'œuvre est faite ; les sangs sont réunis.

    Voici plus singulier : vers la même époque, dans une maison qui n'avait pas changé de propriétaire depuis 1550, mon quai natal portait certains débris très nets des bandes scandinaves de Robert Guiscard, que l'on eût beaucoup étonné en leur disant leurs origines, car ils parlaient provençal, sentaient français, jugeaient à la romaine ; néanmoins, les fortes carrures, le teint blond transparent, les yeux vert glauque en disaient long sur l'antécédent séculaire. Sur le quai voisin, l'apport punique et Tyrien se manifestait par d'autres silhouettes géantes de brachycéphales très bruns. À la génération suivante, ces derniers ont perdu de leur taille et leur teint s'est éclairci, tandis que les premiers ont bruni à fond. Dans tous ces cas et beaucoup d'autres, on voit les survivances d'invasions lointaines résorbées, pour un temps, par les forces unies d'un noyau plus ancien encore, dont les caractères changent très peu. Il semblait fait pour résister en proportion du nombre des assauts endurés. 7

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    L'élément principal de ce fonds primitif, celui qui tient solidement au pays, est formé des pêcheurs. Ils sont là deux mille environ, actifs et paresseux, rieurs et graves, anarchistes et traditionnels, dépensiers et âpres gagneurs. Autrefois, leur corporation comprenait un grand Art et un petit Art. Le premier montait des tartanes pontées et allait travailler en Méditerranée. On raconte qu'il y a un quart de siècle environ, les pêcheurs du grand Art gagnèrent beaucoup d'argent. La mer avait été propice, le thon, le mulet et le loup avaient bien donné. Ils crurent que cela continuerait toujours. La confiance orgueilleuse les égara. Se pliant à la vieille passion séculaire qui leur fit inventer la martingale, les patrons de tartanes se mirent à jouer comme on n'avait jamais joué jusque là. En un hiver, ils eurent tout perdu et, comme on dit là-bas, ils furent « rôtis » (les Italiens, en pareil cas, ne sont que « frits »). Bateaux, agrès, tout fut perdu, vendu, bientôt dilapidé. Cet hiver vit la fin du grand Art de la pêche, qui n'est plus représenté à Martigues que par quelques couples de chalutiers appartenant à des Compagnies.

    Le petit Art subsiste. Ceux qui l'exercent sur des barques non pontées, appelées en général des bettes, ne laissent pas de constituer encore la plus importante de nos pêcheries sur ce front maritime, soit que l'on considère le produit du travail, le nombre des marins que la flotte enrôle annuellement, la connaissance du métier, les coutumes anciennes. Il serait difficile de sous-estimer ce trésor.

    Quelles belles prières étaient récitées avant de jeter les filets : Notre Père, donnez-nous du poisson, assez pour en donner, en manger, en vendre et nous en laisser dérober ! Le matin, lorsque le soleil se levait, le mousse enlevait son bonnet et disait gravement sur un rythme de psaume : Saint Soleil, bon lever ! Et nous autres bon jour, santé, liberté, longue vie ! Lorsque le soleil se couchait, le même mousse officiait : Bonsoir, patron et mariniers, toute la compagnie ! Que le bon Dieu conserve la barque et les gens ! Et celui qui ne dit pas « Ainsi soit-il », le cul de la bouteille lui échappe ! Dure malédiction ! Chacun, se hâtant de la détourner, criait : Amen ! Cette vieille population était donc religieuse, tous les témoignages concordent, et c'est ce qui explique son reliquat d'extrême bonhomie et tout ce qu'il comporte de loyauté, de générosité, d'amitié sociale profonde.

    L'ancien régime du mariage peut le faire comprendre. S'il a un peu évolué, il n'a pas disparu. Les fiançailles se célèbrent habituellement à l'époque dite de la seconde communion. Le fiancé a treize ans et la fiancée douze ; les accords ont lieu dans les familles avec une solennité qui rappelle un peu le distique d'Aubanel 8 :

    Alor, fier e sage, li paire,
    An pacheja coume de rei.

    Alors, fiers et sages, les pères
    Ont pactisé comme des rois.

    Le pacte dûment conclu, les enfants peuvent se parler. Ils se parlent longtemps. Cela tenait bien une douzaine d'années, car, vers dix-huit ans, le garçon partait pour le service, qui durait quelque quarante-quatre mois ; il avait donc vingt-deux ou vingt-trois ans à l'heure des justes noces !

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    La ville pose sur les eaux, elle est née du produit des eaux, mais l'ancienne marine de commerce, disparue, ne renaîtra pas. Le canal de Marseille au Rhône ne peut pas la faire renaître. Ce point du trajet est trop proche de Marseille et de Saint-Louis du Rhône pour qu'un arrêt utile y soit indiqué.