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  • Refaire le monde ?, par Gérard Leclerc.

    Blaise Pascal (1623-1672)

    Château de Versailles

    Paradoxe de la situation de confinement. Les individus vivent dans quelques mètres carrés et imaginent reconstruire le monde. C’est une tentation permanente souvent sanctionnée par la désillusion.

    gerard leclerc.jpgQue nous soyons des êtres paradoxaux est de l’ordre de l’évidence. Blaise Pascal l’a, pour sa part, pleinement souligné allant jusqu’à parler de chaos. Faut-il le citer : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel sujet de contradiction, quel prodige, juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitudes et d’erreurs, gloire et rebut de l’univers ! » La période actuelle permet de vérifier une fois de plus ce constat de nos étonnantes contradictions. Exemple : le confinement nous réduit à l’espace restreint, trop pour beaucoup où il nous faut nous supporter, et c’est ce même confinement qui incite certains, notamment les plus littéraires à s’évader jusqu’à reconstruire le monde. On saisit le danger : alors même qu’il est bridé dans sa sociabilité naturelle, l’individu tente d’imaginer un monde fraternel. À moins qu’il ne se fasse procureur de ce monde qui nous a conduit à un tel désastre.

    Ce peut être l’occasion d’une réflexion, d’ailleurs facilitée par la presse écrite et les autres médias (mais il y a des vertus particulières à l’expression écrite). Nos quotidiens publient ainsi des pages entières d’auteurs de qualité pour nous permettre de penser notre condition actuelle. Beaucoup nous incitent à opérer le bilan des dernières décennies dont la chute du mur de Berlin marque le point de départ avec l’élaboration du concept de mondialisation.

    Une mondialisation qui, pour quelques intellectuels notables, ne pouvait qu’être heureuse, en joignant les avantages d’un libéralisme économique généralisé et d’un régime démocratique lui aussi étendu à la planète. On est plutôt enclin à faire le procès de l’optimisme qui prévalait. Mais ce n’est pas une tendance inédite. Périodiquement, une sorte de grand rêve s’empare de l’intelligentsia, et il ne tarde pas à être fracassé. Pour lire en ce moment, avec quelque attention, Stephan Zweig, je puis le vérifier. Les leçons de l’histoire sont souvent oubliées. Mais Zweig ne renonce pas à son idéal d’une humanité qui se comprendrait « par la confiance et par l’amour ». Encore faut-il en établir les conditions concrètes, car ainsi que l’écrit Jean-Pierre Le Goff : « Les principes qui se proclament aisément ne prennent sens qu’incarnés et en situation. »

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 30 avril 2020.

  • Le savant et le politique, par Gérard Leclerc.

    © Konstantin Kolosov / Pixabay

    Le politique ne peut décider des mesures à prendre face à l’épidémie sans l’expertise des médecins et des spécialistes. Mais en dernier ressort c’est lui seul qui décide. Max Weber parlait déjà du savant et du politique. Mais n’y a-t-il pas un troisième partenaire ?

    gerard leclerc.jpgDernièrement, interrogé par Apolline de Malherbe sur BFMTV, le professeur Didier Raoult s’est prévalu de son unique discipline scientifique pour répondre aux questions qui lui étaient posées. Il prenait soin également de faire le partage entre sa compétence professionnelle et la tâche propre au politique. Une telle distinction s’impose, de façon frappante en ce moment. Incontestablement, le politique a besoin de l’expertise scientifique qui concerne le domaine de la santé, et plus précisément des épidémies. Mais tout l’éclairage possible de la science ne l’empêchera pas d’avoir à décider en dernière instance, et lui seul. Ainsi que le déclare Régis Debray au Journal du dimanche : « Le savant dit le fait, le politique ce qu’il faut faire, et l’un ne se déduit pas de l’autre. »

    Oui, le politique relève d’un ordre spécifique, celui qui concerne le gouvernement de la cité, et donc de ceux et celles qui la composent. Au XIXe siècle, le comte de Saint-Simon proposa de substituer à ce gouvernement « l’administration des choses », selon quoi il se trompait gravement. Le politique n’est pas le technocrate, car il joue sur une multiplicité de facteurs, et surtout il s’adresse à des personnes que l’on ne saurait traiter comme des automates. Sans doute, a-t-il besoin des informations les plus précises de la part de ceux qui s’attachent à ce que le professeur Raoult appelle « les données ». On s’aperçoit que ces données donnent parfois lieu à des désaccords entre spécialistes, ne serait-ce que sur l’efficacité des médicaments et celle des confinements. Mais in fine, c’est à l’Élysée et à Matignon que l’on tranchera.

    Cependant, Régis Debray associe un troisième partenaire au scientifique et au politique, le philosophe, qu’il définit d’ailleurs comme un gêneur, celui qui cherche la raison des choses, qui n’est jamais celle qu’on croit. Oui, il y a un ordre de rationalité qui n’est pas celui de la science et qui se rapporte à une intelligence de l’être et de l’être humain. Il est arrivé au philosophe Martin Heidegger de prononcer cette formule provocante : « La science ne pense pas », non qu’elle soit étrangère à la pensée, mais parce qu’elle ne peut penser l’essence de son objet. Mais voilà qui demanderait quelques explications. Le philosophe a sa mission aujourd’hui. On pourrait lui associer le théologien…

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 4 mai 2020.

  • Le regard du romancier philosophe, par Gérard Leclerc.

    Michel Houellebecq

    CC by-sa : Fronteiras do Pensamento | Luiz

    Munhoz

    Hier, je notais la complémentarité nécessaire entre le savant et le politique, le savant disposant de données précieuses dans le domaine de la pandémie actuelle, et le politique ayant le pouvoir de décision à partir de l’information qui lui est fournie. Mais avec Régis Debray, j’associais ces deux personnages à un troisième, le philosophe, celui qui garde la distance nécessaire pour comprendre à quel point et en quel sens une société peut être modifiée par l’événement surprenant qui est venu, en quelque sorte, la prendre à la gorge. Nous avons absolument besoin de ce troisième personnage, parce que nous sommes des êtres de culture qui avons à interpréter des phénomènes de civilisation.

    gerard leclerc.jpgLa physionomie morale et physique d’un peuple est forcément affectée par les événements qui modifient ses modes de vie et de pensée. Les générations qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale ne sont pas tout à fait les mêmes que celle qui a vécu la reconstruction, a fortiori celle qui est entrée dans l’ère de la consommation avec les années soixante.

    Qu’en est-il donc pour nous de cette expérience jamais connue à cette échelle d’une pandémie qui a brusquement stoppé l’activité économique, conduit au confinement et bousculé tous les repères habituels, notamment en économie. Les avis diffèrent, d’évidence, d’une personnalité à l’autre. Suivant les divers tropismes intellectuels. Mais j’ai envie, pour aujourd’hui, de me limiter au diagnostic de Michel Houellebecq, dont l’expertise sociologique en tant que romancier est toujours intéressante à suivre. Houellebecq n’est pas un philosophe au sens rigoureux du terme, mais le regard qu’il projette sur les choses est toujours aigu et ce qu’il a de plus provoquant n’est pas pour me déplaire.

    Il est très souvent pessimiste, mais le pessimisme est parfois plus salubre qu’un optimisme idéologique, trompeur par essence. Relevons simplement un mot du romancier pour en apprécier la saveur : « Jamais la mort n’aura aussi été discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpitaux ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt… sans aucune personne, en secret… » Cela s’inscrit dans une tendance lourde, bien comprise par l’historien Philippe Ariès. Cela veut-il dire que nous n’allons pas vers le nouveau monde espéré, mais « le même en pire » ? J’espère bien que non, mais justement il s’agit d’espérer !

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 5 mai 2020.

  • Plaidoyer pour l’unité, par Gérard Leclerc.

    L’Église, dans l’épreuve de la pandémie tient sa place propre d’instance spirituelle. Elle participe à l’élan de solidarité et d’unité. Mais il n’est pas toujours facile de garder son calme lorsque, par ailleurs, la polémique fait rage. Est-elle toujours illégitime ? Sans doute pas, à condition que le climat général n’en soit pas empoisonné.

    gerard leclerc.jpgL’archevêque de Paris, dans son homélie d’hier soir à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, a invité les fidèles à se saisir de cette période étrange et éprouvante que nous vivons en ce moment, pour une révision intérieure, un examen qui nous permette de faire le point et de changer notre regard sur le monde. Je traduis avec mes propres mots ce que j’ai pu retenir de cette homélie, qui rejoint d’ailleurs la tonalité générale des responsables de l’Église. Une Église qui tente de trouver les moyens adaptés pour rejoindre un peuple chrétien privé de l’eucharistie. Mercredi prochain, en la fête de l’Annonciation, les évêques de France feront sonner toutes les cloches de nos sanctuaires, tous, les plus illustres et les plus humbles, et nous sommes conviés à célébrer l’événement en allumant des bougies à nos fenêtres.

    Tout cela nous éloigne du climat de règlement de compte qui sévit un peu trop, à mon goût, dans le pays. Certes, il est légitime de réfléchir sérieusement à l’aptitude de nos dirigeants à gérer la crise actuelle. Il est normal de s’interroger sur la chaîne des responsabilités qui a abouti à notre situation de dénuement en fait de masques de protection, surtout pour le personnel soignant. De même, certaines polémiques sont justifiées, comme celle qui concerne la valeur thérapeutique de la chloroquine, ce médicament créé par le professeur Didier Raoult, à Marseille.

    En tout état de cause, ce qu’il y a de défectueux dans notre dispositif sanitaire mérite un examen très sérieux. Cependant, un climat d’affrontement risque d’affaiblir ce qui devrait faire une bonne part de notre faculté de résistance, c’est-à-dire notre unité et notre fraternité. Je préfère, personnellement, qu’on ajourne, jusqu’à la fin de la crise du coronavirus, ce qui risque de déchirer le corps social. En revanche, je soutiens de toutes mes forces, en y participant, cette belle initiative, qui consiste, chaque soir, à applaudir de tout cœur la générosité héroïque de tous ceux qui se dévouent sans relâche au service des malades. Oui, nous avons tous besoin de nous retrouver dans ce climat de fraternité.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 23 mars 2020.

  • On arrête tout et on réfléchit, par Gérard Leclerc.

    En dépit de la gravité de l’heure, si nous renoncions un instant à être sérieux ! Entendons-nous… il y a différentes façons de décliner ce terme de sérieux et l’on pourrait recourir à la philosophie pour mieux cerner le concept. Contentons-nous d’évoquer, pour le rejeter, cet esprit de sérieux qui enferme dans un morne immobilisme, par refus de se remettre en question et de remettre en question le monde tel qu’il va. Mais justement, le monde tel qu’il va vient de s’arrêter brusquement. La fébrilité a quitté nos rues en même temps que toute agitation, comme pour défier ce qui est le moteur de notre civilisation technique.

    gerard leclerc.jpgPour qualifier la supériorité des États-unis, c’est à cette image de la fébrilité des rues que l’on a eu parfois recours. L’Américain ce n’est pas l’homme tranquille, c’est l’homme pressé. Mais voilà que l’homme pressé est contraint de s’arrêter, de s’immobiliser. Ce n’est pas drôle, ça ne donne pas envie de rire. Pas seulement parce qu’il y a cette affreuse pandémie mais parce que toute l’activité économique s’est arrêtée.

    Justement, et si nous prenions le parti des gens pas sérieux, c’est-à-dire des personnes qui trouvent quelque avantage à cet arrêt de l’activité, parce qu’il donne l’occasion de réfléchir à frais nouveau. Cela rappelle des souvenirs, pour qui a connu les folies qui ont entouré Mai 68. Gébé, un dessinateur satirique publiait L’an 01, qui va devenir un film au succès étonnant, fondé sur la pure imagination utopique. Et si on arrêtait tout, et si l’on recommençait à zéro. « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste. » Cela ne va pas durer longtemps. L’esprit de sérieux ne tardera pas à reprendre le dessus et les militants utopistes des années soixante ne tarderont pas à rejoindre l’appareil de production dont ils seront les agents très efficaces.

    Mais aujourd’hui que l’utopie de Gébé se trouve momentanément réalisée, que l’on a tout arrêté, ne pourrait-on pas réfléchir à la possibilité d’un redémarrage qui tiendrait compte de ce qui ne marchait pas dans notre système avec la ferme résolution d’y porter remède. Quelqu’un d’aussi sensé qu’Hubert Védrine, notre ancien ministre des Affaires étrangères, rentre tout à fait dans ce pari : « Il faut procéder à une évaluation implacable de tout ce qui doit être corrigé ou abandonné au niveau international, européen, national, scientifique, administratif, collectif et personnel » Le Figaro, 23 mars). Concrètement, il faudra écologiser complètement notre système de production et cela nous mènera à une mutation totale en dix ou quinze ans. Ne pas être sérieux aujourd’hui, ne serait-ce pas la seule façon d’être sérieux ?

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 mars 2020.

  • Le diagnostic de Gaël Giraud, par Gérard Leclerc.

    Salle des marchés, Salzbourg, 2006.

    CC by : Raiffeisenverband Salzburg reg. Gen. m. b.

    H., Schwarzstr. 13-15, 5024 Salzburg

    La crise pandémique mondiale que nous vivons ne révèle pas seulement les graves défauts de nos dispositifs sanitaires. C’est tout le système mondialisé de notre économie qui se trouve incriminé avec la toute puissance des marchés financiers.

    gerard leclerc.jpgAinsi que je le relevais il y a deux jours, la crise que nous vivons en ce moment remet en cause bien des certitudes. Elle interroge sur les ressorts de notre civilisation, en coupant court à ce qu’on pourrait appeler un progressisme naïf. Je ne veux pas rentrer ici dans une querelle de vocabulaire à forte connotation idéologique. Il est plus que probable qu’au-delà de cette crise continueront de s’opposer des sensibilités diverses, en continuité avec des courants de pensée anciens. Mais ces courants ne pourront pas ne pas tenir compte de tout ce qui s’est révélé au grand jour comme faiblesses d’un système mondial d’évidence déstabilisé. Ce ne sont pas les seuls responsables de la santé, nationaux et internationaux, qui constatent douloureusement qu’il y a quelque chose de malade dans une mondialisation que certains annonçaient forcément heureuse dans les années 90. Ce sont aussi les économistes, pour peu qu’ils sortent de leur paradigme chancelant.

    Ainsi Gaël Giraud, qui par ailleurs appartient à la Compagnie de Jésus, est connu comme analyste sagace des flux économiques et financiers, peut dénoncer dans L’Obs l’aveuglement de nos dirigeants. Les marchés financiers n’avaient en rien anticipé la pandémie. Pourtant, celle-ci n’était nullement imprévisible. « L’Organisation mondiale de la Santé avait prévenu que les marchés d’animaux sauvages en Chine présentaient des risques épidémiologiques majeurs. » Or ces marchés financiers se veulent et sont considérés comme « la boussole suprême de nos sociétés ».

    Mais pour envisager une alternative à notre système mondial, il faudra rompre résolument avec lui, en consentant à des conversions radicales. Gaël Giraud indique en quels sens il conviendra de porter les efforts : « Relocaliser la production, réguler la sphère financière, repenser les normes comptables pour valoriser la résilience de nos systèmes productifs, instaurer une taxe carbone et sanitaire aux frontières, lancer un plan de relance français et européen pour la réindustrialisation écologique… » J’ai le sentiment qu’un François Lenglet n’est pas loin de partager ces choix. Mais les économistes ne sont pas seuls à devoir entrer dans ce processus de réflexion. Il y a tout ceux qui devraient se soucier du bien commun. Pourquoi pas les religieux, à l’exemple de Gaël Giraud ?

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 26 mars 2020.

  • Rêver avec Stefan Zweig, par Gérard Leclerc.

    Stefan Zweig à Vienne, autour de 1900.

    Kunst Salon Pictzner

    On prétend que la littérature peut être d’un grand secours dans une période si difficile, permettre au moins de s’évader. Et si elle permettait aussi de mieux éclairer nos sentiments ou de mieux percevoir la complexité de ce que nous vivons…

    Est-il permis de rêver en ce moment ? Est-il permis de s’évader grâce à la littérature, dont on prétend que nos loisirs forcés devraient favoriser la lecture ? Pourquoi pas ? Un simple texte peut vous propulser hors de votre confinement, ne serait-ce que pour anticiper ce qui devrait se passer demain. Comment imaginer, par exemple, notre sortie de la crise ?

    gerard leclerc.jpgSelon son tempérament, on pensera diverses hypothèses. Les plus optimistes songeront à une grande fête, où on pourra enfin se tenir par les mains et s’embrasser sans courir de péril. On peut se montrer aussi plus prudent. Je lis, ces jours-ci, un recueil d’article d’un grand écrivain d’origine autrichienne, Stefan Zweig, et ne puis m’empêcher de trouver une analogie directe avec notre éventuelle sortie de crise et ce qu’il décrit de ses dispositions intérieures, lorsqu’il apprend que la Première Guerre mondiale va, enfin, prendre fin.

    « Pourquoi n’es-tu pas plus joyeux encore ? Comment peux-tu rester si pondéré, si calme, si posé, si maître de toi – n’as-tu pas lu ce mot, n’en as-tu pas saisi le sens : “la paix arrive” ? Je me concentre de plus en plus profondément, prêtant l’oreille pour capter cette certitude nouvelle, guetter l’instant où elle surgirait dans un sanglot de bonheur, où elle se précipiterait, ardente, à la rencontre de ce mot : la paix. » La transposition peut se faire aisément, en remplaçant ce mot de paix par celui de sortie de crise sanitaire. Éprouverons-nous les mêmes sentiments lorsqu’on saura que l’épidémie s’en est allée, que tant d’êtres chers ont, malgré tout, été épargnés et qu’une nouvelle page blanche s’ouvre, surtout pour nos enfants et nos petits-enfants ?

    Oui, mais il est bien possible aussi que notre joie n’apparaisse que sur un mode mineur, nous laissant sur la perplexité de Stefan Zweig : « Mais la flamme du plaisir, la grande joie, la félicité, où était-elle ? » La mélancolie guette alors : « Le monde est fatigué d’avoir connu trop de tourments, nous le sommes aussi, nous aussi, d’avoir trop attendu, nos sentiments sont pesants, sont inertes, telle de la paille humide que la tempête aurait jetée à terre. » Sans doute, la littérature nous ouvre bien des portes de sorties. Mais la réflexion d’un grand écrivain a ce mérite de nous avertir de la complexité de notre approche des événements. Sans oublier qu’au sein de notre mélancolie une joie très pure peut naître, parce que la vie a été la plus forte.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 28 avril 2020.

  • La liberté de l’homme intérieur par Gérard Leclerc

    L’Église catholique est mise sévèrement en procès, en ce moment. Livres, films, documents pleuvent, accusant prêtres et communautés d’abus de toutes sortes. Malheureusement, les faits allégués sont souvent réels et imposent de sérieuses révisions de la part de l’institution. Pourtant la plupart des chrétiens ont vécu de toutes autres réalités et sont tributaires de la liberté de l’homme intérieur.

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgL’époque ne nous est guère agréable, à nous autres catholiques. Les coups pleuvent d’un peu partout. Des livres, des films, des documents mettent en accusation non seulement les abus sexuels sur les enfants, mais des abus spirituels dont ont été victimes des jeunes gens de la part de prêtres qui ont usurpé leur autorité pour brimer les consciences, en produisant de sérieux dégâts psychologiques. Les communautés charismatiques sont particulièrement visées. Un ouvrage ouvre le procès « des officines et des groupuscules » s’attachant à guérir les homosexuels au prix de conversion forcées. Personnellement, je me suis toujours méfié de ce type de thérapies, craignant qu’elles ne créent plus de drames que de délivrances. En tout état de cause, la conversion ne saurait résulter de manipulations ou d’emprises extérieures. Elle n’est du ressort que de la personne accédant librement à son évolution intérieure.

    Par ailleurs, les abus psychologiques ne sont pas que du ressort de l’institution ecclésiale. L’intelligentsia révère des figures, célébrées comme initiatrices de liberté, et qui ont profité de leur magistère intellectuel pour abuser leurs élèves. Mais elles sont indemnes de tout procès, même lorsque des témoignages ont mis en évidence leurs procédés de captation. Ce n’est d’évidence pas une excuse pour ce qui s’est déroulé dans certains structures d’Église, où la responsabilité des ministres est d’un ordre supérieur. Mais la question qui nous est posée dans le cadre ecclésial est de savoir s’il s’agit d’abus structurels, c’est-à-dire inhérents à la direction spirituelle et aux habitus mentaux et dogmatiques du catholicisme.

    Je n’en crois rien pour ma part, non à cause d’une foi aveugle dans les vertus de l’Église, mais du fait d’une longue expérience personnelle. C’est exactement le contraire que j’ai vécu, n’ayant jamais subi l’emprise des gourous et une quelconque dictature intellectuelle. Et puisque l’on parle beaucoup de films à charge contre l’Église, j’en distinguerai un autre qui plaide en faveur de la liberté supérieure des enfants de Dieu et la constitution de ce que saint Paul appelait « l’homme intérieur ». Allez voir le merveilleux film Une vie cachée de Terrence Malick et vous verrez ce qu’est cette liberté incarnée par le héros, le bienheureux Franz Jägerstätter, dressé seul contre le nazisme, à cause de sa stature spirituelle.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 décembre 2019

  • SOS chrétiens du Nigeria par Gérard Leclerc

    En dépit de l’actualité du mouvement social qui paralyse le pays, on ne sait encore pour combien de temps, je me permets aujourd’hui de sortir de France pour donner écho à une actualité tragique, qui devrait retenir notre attention et provoquer notre compassion, faute que nous puissions y porter remède. Bernard-Henri Lévy m’a recommandé le reportage qu’il vient de publier dans Paris Match sur la situation du Nigeria, qui est épouvantable, avec des islamistes qui tuent des chrétiens, précise-t-il, « sur une échelle que même les chrétiens d’Orient n’ont pas connue ». Son récit est proprement hallucinant. Il faut le lire intégralement pour prendre conscience du drame.

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgNous connaissions déjà l’existence de Boko Haram, cette « secte de fous de Dieu qui s’est retranchée dans le nord-est du pays », mais nous n’avons guère entendu parler des Fulanis. Il s’agit de bergers peuls, dont on connaît la traditionnelle hostilité aux paysans sédentaires. Eux sont nomades. Mais cette hostilité a pris un caractère nouveau, puisqu’elle s’est transformée en guerre religieuse, où au nom d’Allah, on se croit permis de massacrer tous ceux qui n’acceptent pas de participer à leur fanatisme.

    Et parmi ceux-là, il y a aussi des musulmans. Bernard-Henri Lévy résume en deux phrases la terrible réalité : « Les Fulanis, c’est Boko Haram qui ne serait plus retranché dans un bastion équivalent à 4 ou 5 % du territoire. Les Fulanis, c’est la sauvagerie de Boko Haram étendue à tous les mécréants – chrétiens et musulmans – du Nigeria et au-delà, du Tchad, du Niger et du Cameroun. » Le philosophe est allé sur le terrain interroger les témoins et ce qu’ils ont raconté dépasse l’imagination. Ainsi cette jeune femme à qui on a coupé un bras, après qu’on ait tué ses quatre enfants sous ses yeux. Si elle a eu la vie sauve, c’est qu’elle était enceinte et que certains des tueurs ne voulaient pas voir son éventration… Ce qu’on reproche à ces victimes, c’est que chrétiennes, elles ont adopté « la religion des Blancs ». Le reportage de Bernard-Henri Lévy dans Paris Match se termine par un avertissement. Ce qui se prépare au Nigeria, c’est ce qui s’est accompli au Darfour et peut-être au Rwanda. « Attendra-t-on, dit-il, comme d’habitude, que le désastre soit consommé pour s’émouvoir ? » C’est dire la lourde responsabilité qui repose sur la communauté internationale.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 9 décembre 2019.

  • Noël : retour à l’essentiel par Gérard Leclerc

    Si au delà de la grande fête de la consommation, on s’avisait de revenir au sens de Noël, ne serait-ce qu’en méditant devant la crèche ? Que nous propose comme réponse à l’énigme de la vie la société post-moderne, sinon un néant qui ne veut pas dire son nom ? Et s’il n’y avait pas d’alternative au christianisme dont les agnostiques et les athées demeurent les débiteurs ?

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgÀ l’approche de Noël, il n’est pas interdit de revenir aux questions essentielles, celles qui touchent au sens de la vie, et plus particulièrement à ce que le christianisme est venu nous apporter. Je sais bien qu’on s’acharne, de toutes les façons, à recouvrir du voile de l’oubli l’événement de Noël, jusqu’à parfois effacer son nom, qui ne serait ni consensuel, ni conforme à ce qu’exige une société laïque. À la fin de sa vie, Jean Guitton s’indignait du silence sur l’essentiel, et dès le début de son pontificat, le pape François implorait pour qu’on ne transforme pas l’Église en simple ONG. Mais, dira-t-on, on ne peut pas grand-chose contre les mouvements profonds de la société, qui vont infailliblement vers l’agnosticisme et l’athéisme. N’est-ce pas la dynamique même de la société post-moderne ?

    En est-on si sûr ? L’agnosticisme c’est simplement l’incertitude, la situation de qui est dans l’incapacité de se déterminer par rapport à l’absolu. L’athéisme, c’est tout autre chose, puisque l’athée c’est celui qui a posé comme une certitude l’absence ou plus encore la non-existence de Dieu. C’est d’ailleurs, philosophiquement, une posture plutôt incertaine. Paul Ricœur avait qualifié Marx, Freud et Nietzsche de penseurs du soupçon. Mais le soupçon n’implique pas une construction rationnelle décisive. Ces philosophes athées nous donnent de quoi soupçonner, et non pas établir sur le roc la certitude de leur athéisme. Et puis nous avons changé d’époque. Nous sommes même loin de Sartre, qui brandissait notre liberté comme antithétique de la toute-puissance divine.

    Mais alors, que reste-t-il comme horizon intellectuel et spirituel ? Le nihilisme comme incertitude définitive ? On ne peut mieux dire que le christianisme n’a pas été remplacé sur nos terres chrétiennes, parce qu’il est irremplaçable. C’est la thèse d’un historien anglais très sérieux, Tom Holland, qui publie un gros ouvrage sur la façon dont les chrétiens des origines ont changé le monde. Et sa conclusion actuelle est que « nous sommes les éternels débiteurs du christianisme », parce que le bouleversement accompli par un Dieu crucifié ne peut en aucune manière être surpassé.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 17 décembre 2019

     

  • « Un grand procès pour le droit » par Gérard Leclerc

    « Le premier procès Barbarin fut un grand procès pour les victimes du Père Preynat. Celui en appel pourrait être un grand procès pour le droit. » C’est Pascale Robert-Diard, de la rédaction du Monde, qui émet cette appréciation fondée sur une analyse précise de l’intervention de Joël Sollier, représentant du ministère public au Palais de justice de Lyon. Pour l’avocat général, l’archevêque de Lyon ne saurait être condamné pour non dénonciation d’agressions sexuelles, comme le voulait un certain nombre de victimes du Père Preynat. Ainsi dément-il le verdict du précédent procès, où le cardinal Barbarin avait été condamné à six mois de prison avec sursis. Pascale Robert-Diard affirme même que Joël Sollier s’est montré sévère à l’adresse des juges de première instance. N’a-t-il pas parlé d’une « chimère » juridique « qui ne répondrait qu’à un impératif idéologique dont les conséquences dévastatrices n’ont, à l’évidence, pas été suffisamment pesées » ?

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgReconnaissons-le, les membres de La Parole libérée sont aussi durement frappés par cette déconstruction d’un premier verdict. De quoi s’agissait-il pour eux, sinon d’obtenir une condamnation dont la nature symbolique frapperait l’opinion ? Il est extrêmement dangereux d’étendre outre mesure la notion de délit de non-dénonciation dans le but de faire un exemple, est-il répondu. Dès lors la condamnation du cardinal Barbarin devient des plus improbables. Nous sommes ici dans le domaine du droit dans toute sa rigueur, et l’on s’éloigne du climat du premier procès Barbarin.

    Ce premier procès avait bel et bien été ce qu’écrit Pascale Robert-Diard, un grand procès pour les victimes. Mais n’était-ce pas plutôt un procès Preynat, où Philippe Barbarin tenait le rôle d’un présumé coupable à la place de l’intéressé ? En choisissant l’archevêque de Lyon comme principale cible de leur colère, les victimes avaient pris un sérieux risque. La justice ne pouvait les suivre, en termes de droit. Cependant, la logique inhérente à la désignation d’un bouc émissaire, sur lequel on fait peser toutes les responsabilités, va continuer ses ravages, avec le déferlement d’une haine dans les médias et les réseaux sociaux, qui ne fera rien pour apaiser les souffrances des victimes.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 2 décembre 2019

     

  • Que faire avec le déconfinement ?, par Gérard Leclerc.

    © Pascal Deloche / Godong

    La discussion à propos du confinement fait rage. Beaucoup d’économistes tirent le signal d’alarme sur le désastre économique qui résulte de l’arrêt de l’activité. Le projet d’un modèle alternatif au libéralisme leur est étranger. Tandis que d’autres affirment qu’un changement profond est indispensable.

    gerard leclerc.jpgC’est sans doute par goût et par penchant intellectuel que je privilégie souvent dans ces chroniques un certain angle de vue, plus axé sur les relations sociales que sur les rapports économiques. On est fondé à me le reprocher, comme si j’adoptais une sorte d’idéalisme qui fait fi d’un certain nombre de dures réalités. Ainsi hier, je me retrouvais d’emblée en accord avec Edgar Morin, dont je suis avec la plus grande sympathie les travaux depuis longtemps, notamment dans l’ordre de l’anthropologie sociale. Mais pas plus tard qu’hier, je me suis trouvé rappelé à l’ordre par un certain nombre d’articles de journaux. Gare à la catastrophe économique qui nous guette ! Le confinement constitue un danger absolu. Les chiffres s’alignent, implacables. Je me félicite, avec Edgar Morin, d’un bel élan de solidarité ? Mais demain des milliers d’entreprises vont faire faillite, et le nombre des chômeurs va s’accroître de façon considérable.

    La polémique s’enflamme d’ailleurs entre ceux qui annoncent une mutation de civilisation et ceux qui dénoncent l’illusion de la fin du libéralisme économique et de la mondialisation. Il serait insensé de ne pas prêter attention aux « réalistes », même si je prétends que leurs contradicteurs ne sont pas forcément de doux rêveurs. Faut-il préciser que cette polémique ne date pas d’aujourd’hui ? J’ai tiré de ma bibliothèque un ouvrage de Raymond Aron intitulé Les désillusions du progrès. Sa première édition en anglais date de 1965, donc d’avant 1968 et de ses utopies libertaires. Déjà, les mêmes problèmes se trouvent posés, avec la remise en cause de la société industrielle et le procès fait à la technique. La question écologique se profile déjà, même s’il faudra attendre dix années encore pour qu’elle se traduise politiquement. Mais ce grand esprit qu’est Aron ne parvient pas à trancher. Il ne se résout pas à abandonner totalement l’esprit saint-simonien. Il oppose deux ouvrages-manifestes Le Grand espoir du XXe siècle de l’économiste Jean Fourastié et La technique ou l’enjeu du siècle du sociologue-théologien Jacques Ellul. Il ne s’accorde, dit-il, ni avec la sérénité du premier, ni avec la rage froide du second. Peut-on trancher aujourd’hui ? Ce qui est certain, c’est que les enjeux sont devenus bien plus graves.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 21 avril 2020.

  • Un coup de torchon nécessaire ? par Gérard Leclerc

    Hier, je m’interrogeais à propos du procès Weinstein à New York et de la vague que le scandale d’un comportement insupportable avait provoquée. Doit-on se féliciter de cette houle de haine déclenchée contre les hommes définis comme prédateurs ? Peut-être est-ce la rançon d’un passé plus que glauque. Un énorme coup de torchon était nécessaire pour dissiper tant d’ignominies et plus encore pour venger tant de souffrances secrètes et de vies gâchées.

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgJ’aurais quand même quelques objections à formuler contre tous ces réquisitoires, parfois gâtés par l’idéologie. Le féminisme est-il une cause si uniformément pure qu’on le prétend. Ses icônes sont-elles des modèles de vertu, indemnes de toute attitude de domination et d’agression, y compris à l’égard des femmes ? Sûrement pas, et l’auteur du Deuxième sexe, le manifeste féministe du siècle dernier, a pu être mise en accusation par une de ses anciennes élèves sans que cela émeuve grand monde.

    Par ailleurs, j’en suis désolé, mais mon expérience personnelle contredit amplement le discours ambiant. Depuis l’enfance, j’ai appris le respect absolu des femmes et je n’avais aucune difficulté à les respecter, ayant tout reçu d’elle. La misogynie m’a toujours été étrangère, tout simplement parce que les exemples que j’avais autour de moi m’inspiraient amour et reconnaissance. Et comme le disait un philosophe ami, elle nous sont bien supérieures à tous égards ! Sans doute, de tels propos sont-ils suspects de sexisme ou de machisme refoulés, ces marques de reconnaissance étant simplement l’aveu d’un refus de l’égalité. J’avoue être un peu désarmé par ce type d’argument. Qu’est-ce que ce féminisme étranger à la symbolique positive de la femme ?

    Enfin, il y a un réel problème que je n’ai pas le temps d’examiner sérieusement ce matin. Pourquoi les publications, qui furent les plus en pointe dans la revendication des libertés sexuelles, notamment en matière de pédophilie, sont-elles aujourd’hui les plus véhémentes dans leur condamnation ? Sans doute est-ce l’effet de leurs excès passés, qui les rend désormais si vertueuses et si vindicatives à l’égard des délinquants qu’ils protégeaient, valorisaient et hébergeaient hier. L’histoire a déjà connu pareils retournements. Elle en connaîtra d’autres qui nous surprendront.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 7 janvier 2020

     

  • Passage d’une année à l’autre par Gérard Leclerc

    Qu’est-ce qu’un changement d’année ? Le fait d’un phénomène cyclique lié aux rythmes cosmiques ? Pas seulement ! Car il s’agit d’abord de l’histoire humaine dont la notion été inventée par le christianisme avant que la pensée moderne ne s’en empare…

    13584804_1050497325039319_7100176010205014433_o.jpgLe passage d’une année à l’autre n’est pas seulement, pour l’humanité, lié à son insertion dans les cycles cosmiques, aussi importants soient-ils. L’actuel vogue de l’écologie nous l’assène suffisamment. Elle se rapporte aussi à la temporalité spécifique que l’on ne saurait mieux définir que par l’histoire. L’histoire, un mot qui résonne familièrement dans nos têtes à nous modernes. La philosophie depuis Hegel n’a cessé d’en explorer le concept, et le marxisme lui a donné un contenu qui a longtemps structuré l’analyse des événements et de la dynamique des évolutions sociales. Mais il y avait d’autres manières aussi modernes de considérer la genèse génératrice de notre devenir, aussi bien du côté de Tocqueville, d’Auguste Comte ou de Max Weber. Ce fut la tâche d’un Raymond Aron que de mettre en évidence ce qu’était la philosophique critique de l’histoire.

    Mais ce qu’on a un peu oublié, c’est qu’il s’agissait d’un phénomène de laïcisation d’une donnée essentielle de la Révélation chrétienne. Oui, l’histoire au sens moderne du mot est une pure invention chrétienne ou judéo-chrétienne, puisqu’on ne saurait comprendre l’avènement du Christ sans ce qui l’a préparé. Mais il fallait cet avènement pour que l’on saisisse l’enchaînement providentiel qui conduit à la réalisation de la Promesse.

    Le cardinal de Lubac a écrit sur le sujet un livre absolument essentiel à propos de cet immense penseur chrétien que fut Origène. Un livre qui s’intitule Histoire et Esprit, car c’est l’Esprit qui confère au devenir son intelligibilité. Les Grecs étaient fermés à celle-ci. Et un Philon d’Alexandrie, pourtant héritier du peuple de la Bible, ne percevait pas en quoi il y avait transcendance de l’événement par rapport aux régularités cycliques. Il en va tout autrement d’Origène qui perçoit l’Esprit dont l’histoire est porteuse.

    On me pardonnera ce développement un peu intellectuel pour saluer l’aube de la nouvelle année. Il ne voudrait que nous sensibiliser au sens d’une histoire qui n’est pas un vain ressassement mais une perpétuelle ouverture à ce qu’il faut bien appeler l’espérance. Espérance parce qu’elle a été définitivement rendue possible par le Salut qui a resplendi à Noël.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 1er janvier 2020

  • Le terrible évangile de dimanche, par Gérard Leclerc.

    Je n’aurais certes pas l’audace de rapporter notre actualité politique parisienne à l’Évangile qui était proclamé hier dans notre liturgie dominicale. Je n’ai aucune autorité pour cela, détestant par ailleurs faire la morale à mes contemporains. Mais tout de même, le chrétien confronté à la radicalité évangélique, tel que Jésus nous l’assène dans ce passage de saint Matthieu (5,17-37) est bien obligé de s’interroger.

    gerard leclerc.jpgFaut-il renoncer à cette radicalité par impossibilité, difficulté extrême de refuser ce qu’on appelle l’évolution des mœurs ou plutôt leur libération ? Alors, autant rejeter l’évangile, soit comme caduc, soit comme expression d’un idéal inatteignable : « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. »

    On nous explique qu’il faut faire la différence entre ce qui relève de la loi et ce qui relève de l’intimité. Bien sûr, mais ce qui est légal est-il bon forcément ? Non, ce qui est toléré par la loi n’est pas nécessairement conforme à la morale, encore moins à la perfection évangélique. Saint Thomas d’Aquin expliquait en son temps qu’il était impossible au législateur d’imposer à tous un idéal de vie trop élevé qu’il serait impossible de suivre. Il faut reconnaître que les choses sont aujourd’hui encore plus compliquées. Le discours contemporain, explique l’excellent sociologue qu’est Jean-Pierre Le Goff dans Le Figaro, « prétend s’être libéré de tous les tabous, en même temps qu’il prône un nouveau moralisme qui fait fi ou prétend éradiquer l’ambivalence des sentiments et des pulsions. C’est une conception puriste de l’être humain qui tend à nier publiquement sa “part sauvage”, tout en continuant à vivre avec et de l’exprimer avec plus ou moins de discrétion. »

    Au moins, le christianisme ne nous raconte pas d’histoires à ce propos. Il n’a jamais nié cette part obscure de notre humanité. Au contraire, il la rapporte à un péché originel qui a blessé notre nature. Voilà pourquoi Jésus ne s’est pas contenté des propos radicaux que nous avons entendus hier. Il a tendu la main aux pécheurs, pour les relever. Encore faut-il avoir l’humilité de se reconnaître pécheur et faillible. L’époque ne nous y aide guère. C’est le moins qu’on puisse dire.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 17 février 2020.