Refaire le monde ?, par Gérard Leclerc.
Blaise Pascal (1623-1672)
Château de Versailles
Paradoxe de la situation de confinement. Les individus vivent dans quelques mètres carrés et imaginent reconstruire le monde. C’est une tentation permanente souvent sanctionnée par la désillusion.
Que nous soyons des êtres paradoxaux est de l’ordre de l’évidence. Blaise Pascal l’a, pour sa part, pleinement souligné allant jusqu’à parler de chaos. Faut-il le citer : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel sujet de contradiction, quel prodige, juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitudes et d’erreurs, gloire et rebut de l’univers ! » La période actuelle permet de vérifier une fois de plus ce constat de nos étonnantes contradictions. Exemple : le confinement nous réduit à l’espace restreint, trop pour beaucoup où il nous faut nous supporter, et c’est ce même confinement qui incite certains, notamment les plus littéraires à s’évader jusqu’à reconstruire le monde. On saisit le danger : alors même qu’il est bridé dans sa sociabilité naturelle, l’individu tente d’imaginer un monde fraternel. À moins qu’il ne se fasse procureur de ce monde qui nous a conduit à un tel désastre.
Ce peut être l’occasion d’une réflexion, d’ailleurs facilitée par la presse écrite et les autres médias (mais il y a des vertus particulières à l’expression écrite). Nos quotidiens publient ainsi des pages entières d’auteurs de qualité pour nous permettre de penser notre condition actuelle. Beaucoup nous incitent à opérer le bilan des dernières décennies dont la chute du mur de Berlin marque le point de départ avec l’élaboration du concept de mondialisation.
Une mondialisation qui, pour quelques intellectuels notables, ne pouvait qu’être heureuse, en joignant les avantages d’un libéralisme économique généralisé et d’un régime démocratique lui aussi étendu à la planète. On est plutôt enclin à faire le procès de l’optimisme qui prévalait. Mais ce n’est pas une tendance inédite. Périodiquement, une sorte de grand rêve s’empare de l’intelligentsia, et il ne tarde pas à être fracassé. Pour lire en ce moment, avec quelque attention, Stephan Zweig, je puis le vérifier. Les leçons de l’histoire sont souvent oubliées. Mais Zweig ne renonce pas à son idéal d’une humanité qui se comprendrait « par la confiance et par l’amour ». Encore faut-il en établir les conditions concrètes, car ainsi que l’écrit Jean-Pierre Le Goff : « Les principes qui se proclament aisément ne prennent sens qu’incarnés et en situation. »
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 30 avril 2020.