Technocratie et risque d’expertocratie, par Germain Philippe.
Table des matières
La technocrature, maladie sénile de la démocratie : (11/14)
Stratégie de substitution
Notre analyse de physique sociale du XXI° siècle nous à amené à un tournant clé de la république française. Devant l’énorme niveau de discrédit atteint par de l’élite politique sous Sarkozy et Hollande, l’Etablissement n’a pas d’autre choix que de la « dégager ». Décision majeure qui rompt la vieille harmonie oligarchique du Pays légal.
Pour réussir ce « dégagisme », l’Etablissement a élaboré une stratégie de substitution au profit de l’élite technocratique. Une fois le pouvoir politique entre ses mains, celle-ci pourra préserver l’Etat providence républicain permettant de juteux profits pour l’élite financière, ces « très riches », ces « dynasties républicaines » de la nouvelle classe mise en place par Bonaparte. Le scénario stratégique repose sur un clivage idéologique novateur opposant progressistes et conservateurs. Le terme conservateurs étant un mot valise englobant, en fonction des circonstances, les populistes et les réactionnaires. Le véritable but est de positionner Marine Le Pen comme ennemi unique, vu son incapacité à fédérer les extrêmes, malgré sa rhétorique de la « démocratie directe » face à la « démocratie apaisée » regroupant centre-gauche et centre-droit.
Avant d’aller plus loin sur les modalités de constitution un « bloc élitaire », orienté par la Technocratie et la haute finance, il est nécessaire d’évoquer l’Etat providence et ensuite d’identifier les risques majeurs portés par l’élite technocratique en cas de succès du scénario dégagiste.
L’Etat providence
Cessons de ruser. L’objectif de l’Etat providence fut de donner au capitalisme une nouvelle vigueur basée sur la « Croissance ». Il est né ni d’un brutal accès de philanthropie du grand capital, ni d’une « conquête sociale » des travailleurs. Il fut I’unique réponse qu’une société libérale pouvait apporter à la grande dépression de 1929.
Entrons plus en avant avec Pierre Debray : « Lord Beveridge, quand il publia en 1944 Full employement in the free society qui préconisait le « Welfare State », l’État Providence prétendait ne se soucier que du bonheur du peuple. Il s’agissait de libérer les individus des « trois craintes », crainte de la maladie, grâce à la sécurité sociale, crainte de la misère, grâce au salaire minimum garanti, crainte du chômage grâce à des interventions de l’État, destinées à stimuler la demande.
« Les pieuses dissertations du philanthrope dissimulaient un raisonnement cynique. Il convenait de pousser les gens à consommer des biens produits en grande série. Pour cela, on retirerait de l’argent aux riches afin de donner aux pauvres, sous prétexte de réduire les inégalités sociales. Les riches sont, en effet, de mauvais consommateurs, dans la mesure où ils recherchent le luxe. Ils détournent ainsi une fraction importante des revenus disponibles qu’il importe de redistribuer, au moins partiellement, afin qu’elle serve à l’achat de biens fabriqués en grande série. De plus, l’individu qui craint pour son avenir met de l’argent de côté. Il thésaurise. Keynes a exposé de façon irréfutable que l’épargne qui n’est pas investie, l’or qui se cache dans le bas de laine devient un facteur de déséquilibre. Il ne « travaille pas » et quand il réapparaît dans le secteur économique, il devient un facteur d’inflation puisqu’il correspond à une création de monnaie ex nihilo. On encouragera donc « l’épargne logement » et d’autres systèmes du même genre afin que les ménages financent leur endettement.
« La production de masse supposant des investissements à long terme, il faut surtout qu’elle soit assurée que la consommation ne fléchira pas et même continuera de croître. Le salaire minimum garanti, la sécurité sociale, les allocations chômage fournissent la garantie que les crises conjoncturelles n’auront désormais qu’une incidence limitée sur les revenus des ménages d’autant que l’État va se munir d’un certain nombre d’indicateurs : comptabilité nationale, budget économique prévisionnel…
« Ces « conquêtes sociales » que les syndicats ouvriers se flattent d’avoir arrachées ou patronat, servirent au développement de la société de consommation et fournirent au capitalisme financier de fructueuses occasions de profit.1 » Grace aux interventions pour stimuler l’économie, l’Etat Providence constitue le fond de commerce du pillage permanent de la nation par le Pays légal. Sans compter les grandes opérations comme la décolonisation, les nationalisations et les privatisations. D’une certaine façon l’Etat Providence est le cœur de chauffe financier de l’exploitation du pays réel par le pays légal.
Parce que I’A.F. a pour premier souci la reconstitution des libertés, qui n’ont cessé de s’amenuiser depuis 1789, elle est hostile à I ‘Etat providence. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’autorité de l’Etat, et Maurras précise, « Cette autorité, nous n’y sommes pas hostiles. Nous lui vouons même un respect passionné, à la condition qu’elle ne s’exerce que dans son ordre et qu’elle se mette au service de la sureté et de la vitalité de la nation : sur ce plan, l’Etat nous parait utile, nécessaire et même sacré.
« Mais quand l’autorité de l’Etat est substitué à celle du foyer, à l’autorité domestique, quand elle usurpe sur les autorités qui président naturellement à la vie locale, quand elle envahit les régulateurs autonomes de la vie des métiers et des professions, quand l’Etat tue ou blesse, ou paralyse les fonctions provinciales indispensables à la vie et au bon ordre des pays, quand il se mele des affaires de la conscience religieuse, alors ce débordement d’un Etat centralisé et centralisateur nous inspire une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi.2 » Simple rappel de Maurras sur l’étatisme du nationalisme germain, mis en œuvre en 1938 par les technocrates du doctor Schach au travers leurs grands travaux financés par l’Etat, le troisième Reich.
L’Action française ne trouve pas pour autant qu’il y a trop de justice sociale en France et contrairement aux libéraux, elle pense qu’il n’y en a pas assez. Ainsi sous Mitterand, fut-elle hostile à la politique de réduction des prestations sociales, en matière de santé, d’assurance vieillesse, d’allocations familiales ou de chômage. Ces mesures antiéconomiques et injustes permirent de mesurer la lâcheté des démocrates n’osant pas s’attaquer aux causes structurelles du déficit croissant du budget social de la nation.
Au système des prestations sociales, l’Action française reproche de transformer le citoyen en enfant assisté et irresponsable. Pour elle, « Il est évident qu’un système qui infantilise ses usagers doit nécessairement tomber en faillite. D’où la nécessité de restituer ses responsabilités donc ses libertés, les deux sont liées au citoyen prestataire. Il est significatif que les fonctionnaires de la Sécurité sociale utilisent, pour parler de nous, le terme d’assujettis. Nous sommes donc bien en présence d’un système qui asservit les Français3 ».
Le double risque saint-simonien
Ce rappel fait, venons en aux risques portés par la Technocratie. Attachons nous surtout à ses deux tendances utopiques lourdes.
Les racines de la Technocratie étant saint-simoniennes, sa religion est celle d’une politique de la disparition du politique, comme l’a bien démontrée Frédéric Rouvillois dans un article majeur de Politique Magazine4.
Cette religion d’origine saint-simonienne est adaptée au progrès de la mondialisation mais également à la stratégie de substitution des experts aux « apparatchik » républicains. Dans son ouvrage sur L’effacement de l’avenir, Pierre-André Taguieff permet de comprendre pourquoi : « Dans la société transnationale de réseaux, le pouvoir se dissémine et devient de moins en moins visible » et « dans le « technocosme » en cours de formation, les spécialistes et/ou les experts tendent à prendre le pouvoir, en se substituant aux anciennes élites dirigeantes.5 »
Sont ainsi synthétisés par le meilleur politologue républicain, les deux risques majeurs qu’induirait une victoire d’Emmanuel Macron et les technocrates à la présidentielle de 2017.
L’Utopie expertocratiste
Le premier risque porte sur le socle même de la République, sur la pérennité du principe de démocratie représentative. La tendance utopiste lourde de l’expertocratisme pourrait diluer la croyance dans le principe de souveraineté populaire. Cette croyance obtenue par le long travail de l’école républicaine et la propagande douce mais permanente et insidieuse réalisée par l’élite médiatique. Car il faut le reconnaitre, la démocratie donne l’illusion aux citoyens de décider alors qu’ils sont manipulés.
La Technocratie se substituant à l’élite politique du « Vieux Parti Républicain » va pouvoir accentuer la professionnalisation du politique. Elle pourra ainsi achever le processus déjà enclenché de dessaisissement politique du citoyen. Car telle est bien la folle chimère qui hante les tètes technocrates, la conception élitiste de la démocratie. Sur le sujet, Taguieff prévient depuis l’année 2000 : « La professionnalisation croissante de la vie politique est le processus institutionnel par lequel, d’une part, I‘action politique est désidéologisée, étant monopolisée par les politiciens professionnels, et, d’autre part, les citoyens sont peu à peu dessaisis de leur pouvoir de contrôle sur les gouvernants. La vie politique, en ce qu’elle implique des prises de décisions, est ainsi réservée à des élites spécialisées qui se contentent de faire leur travail, selon les normes de la compétence fonctionnelle. Pour les théoriciens de la vision élitiste de la démocratie, I ‘apathie civique et la non-participation politique de là plupart des citoyens constituent le prix à payer pour le passage de la société politique « ingouvernable », traversée par des conflits à la société différenciée fondée sur le consensus – un passage imaginé comme celui de l’irrationnel au rationnel. L’idéal des théoriciens élitistes de la démocratie « faible » est de réduire la participation des citoyens, jugés incompétents, à I ‘acte rituel minimal du vote, mode de légitimation d’un système de pouvoir qui se présente comme démocratique tout en annulant subrepticement la souveraineté populaire. Et l ‘abstentionnisme électoral ne constitue nullement un obstacle au bon fonctionnement d’une telle « démocratie » minimaliste des élites, car il est plutôt le fait de catégories sociales faiblement éduquées ou de groupes marginalisés, jugés non seulement incompétents mais aussi et souvent « dangereux ». Tenir les « classes dangereuses » loin du centre du système politique occupé par des experts, les tenir à l’écart des lieux ou se prennent les décisions, telle est l’une des principales préoccupations des défenseur de la théorie élitiste et procédurale de la démocratie. Le démocratique se réduit dès lors au respect des règles du jeu électoral, parfaitement maîtrisées par les seuls experts. L’idéal explicite est ici que le peuple : participe le moins possible, qu’il s’indiffère à la question politique, qu’il se dépossède de fait de sa souveraineté, qu’il laisse les experts gouverner et administrer.6 »
On a peine à imaginer le spectacle d’une telle démocratie faible mais c’est bien là le risque où la tendance lourde de l’utopie expertocratique pourrait entrainer le Pays légal.
On comprend mieux à partir de là, qu’après l’échec de la double tentative de démocratie forte de Sarkozi et Hollande, le scénario de démocratie apaisée « droite et gauche en même temps », pourrait muter en démocratie faible sous la poussée d’une Technocratie allant jusqu’au bout de son utopie expertocratique. Dans ce cas la Technocrature ne serait plus le remède pour sauver la démocratie de son vieillissement accéléré mais bel et bien sa maladie sénile.
Car si on y regarde d’un peu plus près on comprend qu’une démocratie faible, poussée par la Technocrature, conduirait à la révolte sociale. Le pays réel se tournerait vers la rhétorique populiste de la démocratie directe. Disons le, depuis 1789 le peuple doit avoir des ennemis et il convient de les lui désigner. La technocrature serait alors dénoncée par les partisans du « toujours plus de démocratie » au travers trois modalités7. D’abord les élites sont coupées du peuple, ensuite elles l’exploitent et enfin elles le trahissent. Les révoltés réclameraient la démocratie directe en accusant les technocrates de gouverner dans l’ombre, au profit d’élites restreintes.
Plus que se tourner vers l’ultra-gauche ou le national populisme ce type de révolte sociale s’irriguerait plus de l’autonomisme proudhonien, celui d’une « société décapitée, proprement acéphale, sans tète ni chef, et arasée de toute éminence, de toute saillie d’autorité8 » Une telle révolte sociale, a tendance anarchique, commencerait à s’approcher de cette « idéologie française » qui inquiète tant Bernard Henry Lévy depuis 1981, année ou il a compris que le schéma « hiérarchique » maurrassien est susceptible d’harmoniser les solutions autonomistes et de démocratie directe.
La seule riposte du Pays légal consistera alors à rapprocher la dénonciation de la technocratie, du sulfureux mythe de la puissance « judéo-maçonnique » occulte. Les révoltés sociaux deviendraient alors des antimodernes diabolisant « une « mondialisation » orchestrée par une oligarchie financière prédatrice, conspirant contre « les peuples » dans des réseaux invisibles9. » Seconde manette de la technocrature, la riposte policière et judiciaire avec à sa disposition tous les moyens légaux et technologique possibles. L’éventail est large et prometteur. Soyons en persuadé, la Technocrature oserait TOUT !
Germain Philippe ( à suivre)
1 Pierre Debray, Une politique pour le XXI° siècle – Une action française au service de l’avenir, Editions de Flore, 2019, Paris, p.56-59.