Les aveux et les excuses de M. Cahuzac (tout autant, d’ailleurs, que les réactions outrancières de l’opposition) révèlent une progression inquiétante de l’américanisation de la société française. Quand l’ex-ministre « demande pardon », il rappelle étrangement M. Clinton, contrit et piteux. Mais, après tout, le puritanisme est du même tonneau anglo-saxon que le libéralisme marchand.
L’« affaire Cahuzac » souligne aussi, et une fois de plus, le côté minable des factions : psychodrame ridicule et pleurnichard au P.S., opportunisme débridé des autres. Elle n’est sans doute pas terminée mais il est impossible de dire aujourd’hui si on en restera au stade d’un énième scandale (il paraît que M. Plenel en a encore sous le coude) ou si les conséquences politiques seront plus sérieuses – et donc graves pour le pays. MM. Ayrault et Hollande ne sont peut-être ainsi que de piètres tartuffes bientôt découverts. A défaut, ils sont de dangereux naïfs qui, « les yeux dans les yeux », ont cru « à la parole de cet homme ». Et toujours très au-dessous de leurs tâches : M. Hollande, plus Premier ministre que jamais, propose quelques mesures législatives ; M. Ayrault, sorte de D.R.H., demande à M. Cahuzac de renoncer à ses indemnités d’ex-ministre.
En fait, les socialistes sont pris à leur propre piège de l’ultra-moralisation. Pourtant, ce sont d’impénitents récidivistes. Malgré des antécédents récents et fâcheux (bref florilège : les petits secrets de M. Mitterrand, la folle jeunesse de M. Jospin, les frasques de M. Strauss-Kahn), ils n’ont de cesse, comme M. Hollande, d’exiger une « république exemplaire » fondée sur la « vertu » - ce qui n’est pas sans rappeler le grand ancêtre et grand guillotineur, Robespierre dit « l’incorruptible ». C’est beaucoup - c’est trop - en demander. C’est oublier que la corruption est de toutes les époques. C’est oublier surtout que les régimes parlementaires y échappent moins que les autres et qu’on peut même se demander si ce n’est pas le propre de ces régimes d’être corrompus.
Le rêve d’une impossible pureté n’est d’ailleurs pas sans danger. A la poursuite de cette utopie, M. Hollande prétend « renforcer l’indépendance de la justice ». Ce qui signifie, en clair, un pas de plus vers une plus grande judiciarisation (toujours le rêve américain…) de la société. Plus sérieux que leurs prétendus représentants, les Français – comme l’indique le dernier sondage BVA – mettent la compétence très au-dessus de l’honnêteté pour un homme politique. Les analystes y voient du cynisme. C’est plutôt du bon sens, l’homme étant ce qu’il est. Et cela signifie à coup sûr que seuls les résultats confèrent une sorte de légitimité, le reste relevant trop souvent du verbiage et de la gesticulation, lesquels sont presque toujours destinés à enfumer l’opinion.
C’est ainsi que le très vertueux M. Désir, ne craignant aucun ridicule et les yeux dans les yeux des Français, prône un « choc de moralisation » (encore un choc et encore de la morale !). Droit dans le mur mais droit dans le mur en toute moralité.