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  • Panthéonisation : « canonisation laïque » ? Chantal Delsol a raison d'affirmer que le Pouvoir agit dans la continuité de 1793

     

    Chantal Delsol est philosophe, membre de l’Institut. Pour elle, « parce qu'on n'évince jamais le sacré, nos hommages aux grands hommes ont un aspect religieux ». Mais ils ont aussi un aspect totalitaire, dans la continuité de 1793. Ce que Chantal Delsol souligne en conclusion. A juste raison. LFAR

     

    Chantal_Delsol.jpgLà où l’on veut honorer les grands hommes, par exemple au Royaume-Uni ou en Pologne, on les enterre dans une église symbolique — Westminster ou la cathédrale du Wawel. On les place ainsi plus près de Dieu. Mais dans un pays sans dieu, il faut bien désigner des dieux. Ce sont les grands hommes du Panthéon français, qui rappelle tant la Rome païenne. Il faut dire que le XIXe siècle, si hésitant quant à la conduite à tenir vis-à-vis de la religion, a tenu le bâtiment tantôt pour église catholique tantôt comme temple païen. Pour terminer, il s’agit bien d’un temple païen, nanti de tous les frémissements du sacré (« Entre ici, Jean Moulin… »), et sacralisant des humains extraordinaires. Avec tout ce que cela suppose de volte-face qui enlèvent du sérieux à la chose. Car les panthéonisations suivent les modes idéologiques – on fait entrer Marat ou Mirabeau puis on les fait sortir, à une époque où, comme le dit Michelet, la France « ayant tué les vivants, se mit à tuer les morts ».

    La panthéonisation officielle qui a cours en France marque la spécificité du pays et ses caractéristiques sociopolitiques. D’une manière générale, la démocratie est égalitaire et n’aime pas trop les modèles. La démocratie est fondée sur l’envie et non sur l’admiration. Pourtant, la France, pays dans lequel l’envie vaut pour vertu, admire certains modèles avec affectation : ceux que l’État lui désigne.

    Il faut préciser qu’il ne s’agit pas de héros, mais de grands hommes. Nous n’acceptons plus les héros de la conquête. Bien sûr, Pierre Brossolette et Geneviève de Gaulle-Anthonioz sont des héros, mais au sens moral : ils se sacrifient pour des idéaux et pour une communauté, sans chercher par là aucune gloire personnelle ni aucune récompense mondaine. Ils agissent pour la seule éthique de conviction. Et c’est l’unique grandeur qui nous intéresse désormais. Nous voulons des saints laïques. Panthéoniser ressemble de plus en plus à canoniser.

    Que cette élévation soit rendue si officielle et entourée de tant de pompe et de parades… c’est la France. Non seulement parce qu’elle aime les fastes et les dorures (nos gouvernants se comportent comme les élites d’une dictature bananière), mais surtout parce que la France est bien davantage République que démocratie (elle parle sans arrêt d’égalité mais elle adore les privilèges et le sport national consiste à les arracher ; il nous faudrait une nuit du 4 Août deux fois par siècle). Aussi parce que dans un pays athée, les manifestations de la grandeur humaine prennent aussitôt un aspect religieux — on n’évince jamais le sacré, on le remplace et on le singe.

    Il faut observer ce que ces quatre dernières panthéonisations traduisent en termes idéologiques. La Seconde Guerre mondiale demeure l’unique événement porteur de sens. La lutte contre le nazisme, l’unique combat réellement légitime (on dirait toujours que rien ne s’est passé depuis). Les seuls résistants réellement valeureux, ceux que menaçait la Gestapo (les dissidents du communisme, qui ont risqué tout autant, ne récoltent pas d’auréoles). C’est que dans la situation où nous sommes, où en même temps seule la morale compte à nos yeux tandis que le bien s’est évanoui, le nazisme est, en tant que mal absolu, le seul référent moral commun à tous et indiscutable. Il est donc logique que les seuls vrais saints soient les résistants au nazisme.

    Et il est par ailleurs assez réconfortant de constater que la République, après des périodes assez noires à cet égard, reconnaît à des femmes, aussi, de grands mérites portés au service du bien commun. Même si cette parité voulue a quelque chose de ridicule, comme toute action affirmative. Depuis les commencements, le christianisme reconnaît des saintes tout autant que des saints, elle ne pratique pas la parité ni la comptabilité des vertus, c’est plus raisonnable et plus authentique.

    On ne peut que se féliciter de voir des exempla montrés aux regards. Pourtant, l’habitude qui consiste à honorer des modèles désignés par l’État nous ramène par trop à ces religions antiques, où l’accomplissement des rites sacrés était aussi un devoir civique. Aujourd’hui, cette collision est moins innocente. Il faut vraiment se trouver dans la continuité de 1793 pour penser que c’est le gouvernement qui désigne les saints. 

    Valeurs actuelles

  • Bainville chroniqueur : les commentaires de Causeur sous la plume de Bernard Quiriny

     

    Retour sur Jacques Bainville et sur la réédition de Doit-on le dire*. (Voir aussi Peut-on être Jacques Bainville aujourd'hui ? L'analyse de Stéphane Ratti : notre note du mardi 2 juin). 

    En 1924, l’éditeur Arthème Fayard (deuxième du nom) lance Candide, hebdomadaire d’actualité politique et littéraire, plutôt à droite, dirigé par Pierre Gaxotte. Y collaborent des plumes comme Albert Thibaudet, Benjamin Crémieux, Léon Daudet ou le caricaturiste Sennep, pilier de la rubrique humoristique. Avec un tirage de 80 000 exemplaires dès l’année du lancement, Candide est l’un des premiers hebdomadaires français ; sa diffusion passe 400 000 exemplaires au milieu des années 1930, presque autant que Gringoire et plus que Marianne ou Vendredi. Jacques Bainville, 45 ans à l’époque, célèbre pour ses livres d’histoire (Histoire de deux peuples, Histoire de France) et ses essais (Les conséquences politiques de la paix, fameuse dénonciation du Traité de Versailles), est invité à écrire par Fayard. Aguerri au journalisme (il écrira durant sa vie pour plus de trente titres), il se voit confier un billet de deux colonnes à la une, sous le titre « Doit-on le dire ? », pour parler de ce qu’il veut, vie politique et parlementaire, actualité diplomatique, mœurs, arts, littérature. La forme étant libre, Bainville s’en donne à cœur joie, testant tout : dialogue, saynète futuriste (un débat à la chambre en… 1975), commentaire, etc. Très lue, cette chronique donne lieu en 1939 à un recueil de 250 papiers chez Fayard, avec une préface d’André Chaumeix. C’est ce volume qu’exhume aujourd’hui Jean-Claude Zylberstein dans sa collection « Le goût des idées », avec un avant-propos de Christophe Parry.

    Y a-t-il un sens à relire aujourd’hui ces chroniques de l’entre-deux-guerres ? Beaucoup d’événements dont elles parlent sont sortis des mémoires, on n’en saisit pas toujours les subtilités. Deux ou trois mots de contextualisation n’auraient pas été de trop. Mais quand même, quel plaisir ! Plaisir de voyager dans le temps, déjà : on respire dans ces billets l’atmosphère de la Troisième République, avec les grands députés, les inquiétudes devant le franc trop faible et l’Allemagne trop forte, la démission de Millerand, les polémiques, les scandales. Il n’y a pas que la politique qui passionne Bainville : tout lui est bon pour réfléchir et plaisanter, du dernier prix littéraire aux vacances des Français en passant par les séances de l’Académie (il y sera élu en 1935) et le politiquement correct qui, déjà, fait ses ravages. Ainsi Bainville ironiste-t-il en 1928 sur le remplacement du Ministère de la guerre par un Ministère de la Défense nationale, tellement plus rassurant… Quant à ses opinions, elles n’étonnent pas, pour qui connaît son parcours : Bainville défend le capitalisme, critique les dérives du du parlementarisme, et réserve ses meilleures flèches aux socialistes, adorateurs du fisc et de l’égalité, ainsi qu’à tous les opportunistes et à tous les utopismes, qu’il estime toujours trompeurs et dangereux.

    Ses armes sont l’ironie, la fausse candeur, la banderille plantée l’air de rien. Les chutes de ses papiers, souvent, sont excellentes. « Je ne vois qu’une difficulté à la défense des écrivains contre le fisc, dit-il. L’organisation de leur grève se conçoit assez mal. Il y aurait bien celle des chefs-d’œuvre. Malheureusement elle est déjà commencée ». On glane dans ces pages beaucoup de petits aphorismes malicieux, toujours applicables aujourd’hui. « A condition de ne donner ni chiffres ni dates, vous pouvez conjecturer tout ce que vous voudrez » : ne dirait-on pas qu’il parle de la courbe du chômage dans nos années 2015 ? De même, voyez ce papier de 1934 où il cloue au pilori deux députés radicaux qui ont fait campagne contre « les congrégations économiques et l’oligarchie financière » : « Jamais on ne s’est moqué du peuple à ce point-là ». Toute ressemblance avec un certain discours au Bourget, etc. Comme on voit, il y a de quoi rire dans ce volume. On y voit un Bainville, léger, caustique, différent du Bainville des grands livres, le Napoléon, les Histoires, le Bismarck. C’est sa facette voltairienne, si l’on veut, lui qui si souvent fut comparé à Voltaire, et qui ne pouvait mieux exprimer cet aspect de sa personnalité que dans un journal intitulé Candide. La façon de Voltaire, il la résume d’ailleurs dans une chronique : tout oser et, pour cela, « joindre beaucoup de style à beaucoup d’esprit ». 

    Doit-on-le dire ?, Jacques Bainville, Les Belles, Lettres, 2015.

    Bernard Quiriny - Causeur

     

  • Predator, par Philippe Delelis * Faut-il choisir entre étatisme et pouvoir de l'Argent ?

    On reproche quelquefois aux hedge funds leur opportunisme, leur âpreté au gain et une utilisation astucieuse de toutes les règles des marchés financiers. Il n’est pas de jour où syndicats et politiques ne se plaignent de leur activisme, leur reprochant notamment d’obliger les entreprises dont ils sont actionnaires à distribuer l’essentiel du bénéfice annuel plutôt qu’à le réinvestir dans de nouvelles capacités de production. On leur reproche de privilégier l’économie financière par rapport à l’économie réelle et d’accroître le patrimoine de leurs souscripteurs plutôt que veiller à l’emploi et aux rémunérations des salariés de leurs entreprises. On les accuse enfin de créer des majorités artificielles et de circonstance lors des assemblées générales stratégiques en recourant à des prêts de titres leur permettant seulement de bénéficier de droits de vote suffisants à l’instant « T ». A entendre les critiques, ce sont les bad guys du capitalisme.

    Dans l’économie française, un actionnaire se distingue tout particulièrement par sa dureté envers les entreprises au capital duquel il est présent, exigeant d’elles en 2014 le versement d’un milliard de dividendes supplémentaires par rapport à ce qu’il avait prévu (4,2 Mds contre 3,1). Il a même forcé certaines sociétés déficitaires à procéder à des distributions (Air France, SNCF, Engie…) : après tout, les dépréciations d’actifs n’ont pas d’impact sur la liquidité… Sa soif inextinguible de cash l’a conduit à exiger davantage que la plupart des actionnaires du CAC 40 : dans la plupart des cas, le taux de distribution qu’il a imposé était supérieur au taux médian de 48%. Ce taux de distribution a même été porté dans certains cas à des sommets : 66% pour EDF, 113% pour Orange, 87% pour ADP…

    Soucieux d’avoir les mains libres, il a changé les statuts d’une holding, la Sogepa, pour lui permettre d’agir indirectement et massivement (500 M€ d’achat de titres PSA en 2014), loin des contraintes l’obligeant en principe à une gestion patrimoniale prudente au sein d’un compte d’affectation spéciale sous le contrôle du parlement.

    Enfin, cet actionnaire intransigeant, a eu recours à des prêts de titres pour faire plier des majorités aux AG. Officiellement, c’était pour faire prévaloir l’actionnariat de long terme mais compte tenu de ce que l’on sait de sa passion court-termiste pour les dividendes, cet argument n’est guère crédible : c’était plutôt pour garder des droits de vote gratuits malgré des cessions opportunistes sur le marché (Renault, Air France).

    Drapé avec dignité dans le manteau troué de l’intérêt général, il toise les autres acteurs économiques et leur donne des leçons qui peuvent se résumer à : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! »

    Faut-il nommer ce grand prédateur ?

    Please to meet you
    Hope you guess my name
    But what’s puzzling you
    Is the nature of my game
    (M. Jagger / K. Richards)

     - Politique magazine

  • Ce soir, Paris : Rencontre autour du livre d'hommage à Jen-François Mattéi (en librairie)

    3846064604.pngL'association Les Amis de Jean-François Mattéi a le plaisir d'annoncer que le livre d'hommage à Jean-François Mattéi intitulé De Platon à Matrix, l'Âme du Monde, aux éditions Manucius, est en librairie depuis le 4 juin.

    A cette occasion vous êtes invités à l'une des trois tables rondes rencontres organisées autour de l'ouvrage :

     Ce jeudi 11 juin au Collège des Bernardins à Paris à 18H30, en présence de Chantal Delsol et Jean-Pierre Dupuy,

     Le 16 juin à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence à 18H, avec Hervé Casini, Bernard Martocq et Jean-Yves Naudet,

     Le 17 juin à la bibliothèque de l'Alcazar à Marseille à 17H30, avec Hervé Casini, Philippe Granarolo et Bernard Martocq.

    Venez nombreux.

  • Eric Zemmour à Marseille ce soir : Débat organisé par le Centre Cormier à l’Hôtel Dieu – InterContinental

     

    Les événements de Charlie Hebdo ont suscité un débat sur la liberté d’expression qui a amené à de nombreuses interrogations sur la notion de la liberté en général : a-t-on le droit de tout se permettre au nom de la liberté individuelle au risque d’offenser ou de faire souffrir l’autre ? Certaines libertés individuelles suscitent des tensions et remettent en question l’ordre public. Les incivilités, les conflits sociaux et familiaux sont-ils liés à l’absence d’une conception commune de la liberté ? Est-il possible de dire : « à chacun sa liberté » ? La loi, les valeurs culturelles et religieuses permettent-elles de faire coexister les libertés de chacun ? Au final, existe-t’il un fondement universel de la liberté ?

    Durant ce débat, Éric Zemmour sera entouré par Sœur Marie-Madeleine Barrère, Prieure de la Fraternité dominicaine N.-D. des Prêcheurs, et Frère Albert-Henri Kühlem, Directeur du Centre Cormier. 

     

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    Programme

     19h30 : Apéritif.

     20h00 : Débat.

    • 22h00 : Séance de dédicace des ouvrages de M. E. Zemmour.

    Entrée : 5 € – réservation par internet ou payement sur place (sous réserve de places disponibles)

     

    Vous pouvez réservez vos places en cliquant ici

    Renseignements : www.centre-cormier.com  - centre.cormier@gmail.com

     

  • Un « monumental pas en avant » pour l’Afrique, selon Bernard Guetta ... Oui, mais vers quoi ?

     

    Nous écoutons régulièrement la matinale de France Inter primo parce qu'elle est la radio la plus écoutée de France, une sorte de voix officieuse du Système, secundo parce que s'y trouve exprimé avec professionnalisme et de façon souvent intelligente, tout ce qu'en toutes matières il est illusoire et/ou dangereux de penser. Condensé de bien-pensance et de sectarisme, liturgie du politiquement correct conduite par ses clercs, tel est France Inter chaque matin. On y trouve son miel.   

    Ainsi de Bernard Guetta, chargé de traiter de géopolitique, qui mêle adroitement des réflexions parfois sages et réalistes, à un système idéologique, qui est, bien-sûr, l'élément largement dominant. Quelle est-il ? Il est qu'à l'exemple français, à travers soubresauts et révolutions qui ne doivent en rien entamer notre optimisme, les peuples, les continents, le monde, dans le sillage des Lumières, sont inexorablement en marche vers la démocratie partout et, par surcroît, vers leur unité. Lorsque que l'on part de principes aussi faux, l'on a les plus grandes chances d'être démenti par les faits : c'est ce qui arrive à Bernard Guetta, dont l'aveuglement est parfois - souvent - désarmant. Mais l'optimisme demeure; il suffit d'attendre ...

    Sa chronique d'hier matin, sur France Inter est un modèle du genre. Vous pouvez l'écouter ou la lire, juger par vous-même. Inutile de trop en rajouter. Mais lorsqu'on songe à ce qu'est l'Afrique réelle, à la fuite de ses populations et de ses élites, à la corruption de ses « dirigeants », à leur inconsistance, si ce n'est leur voracité, à la faiblesse voire à l'inexistence de leurs « Etats », aux conflits ethno-religieux qui la déchirent, aux pillages auxquels ses richesses sont livrées au profit du reste du monde, à l'insécurité qui ronge les sociétés africaines, aux risques auxquels sa propre démographie pourrait fort bien l'exposer demain, comme, d'ailleurs le Maghreb et l'Europe, l'on peut se demander si Bernard Guetta, tout simplement, ne se moque pas du monde. Y compris lorsqu'il conclut de façon parfaitement dérisoire que « ce siècle sera dominé par des ensembles continentaux qui, partout, se cherchent sur le modèle de l’Europe. » Ah ! Alors là oui, on a frappé à la bonne porte, pas de souci ! Lafautearousseau  •

     

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    Mardi 9 juin 2015 (Ré)écouter cette émission (disponible jusqu'au 04/03/2018)

     

    Peut-être est-ce en effet un « monumental pas en avant » pour l’Afrique, comme on le dit au Caire. Ce n’est pas une certitude puisque bien des alea politiques pourraient vite doucher cet enthousiasme mais le fait est que la moitié orientale du plus pauvre des continents, 26 Etats en tout s’étendant de la Méditerranée au Cap de Bonne Espérance, vont signer demain à Charm el-Cheikh un traité de libre-échange qui pourrait ouvrir, un jour, la voie d’un marché unique de l’ensemble du continent africain.

    C’est en tout cas un grand moment pour l’Afrique dont les échanges intérieurs sont aujourd’hui considérablement limités par la lourdeur des formalités douanières imposées par chacun de ses pays et leurs délais de dédouanement. A force de vouloir se protéger les uns des autres et de nourrir des bureaucraties qui sont autant de moyens, pour les pouvoirs politiques, de se créer des clientèles en distribuant des emplois artificiels, ces pays sont parvenus à ce que les échanges interafricains ne représentent que 12% de la totalité de leurs échanges commerciaux alors que les échanges intereuropéens et inter asiatiques comptent pour 70% et 55%  des commerces de l’Europe et de l’Asie.

    Cela ne freine pas seulement les échanges. Cela freine aussi, et beaucoup plus gravement, le développement d’industries africaines car elles sont ainsi privées de débouchés naturels et d’un marché suffisamment important pour justifier des investissements lourds.

    La levée de ses barrières douanière intérieures est un enjeu si capital pour l’Afrique qu’elle se l’était donné pour objectif à l’horizon de 2025 depuis le traité d’Abuja en 1991 et la moitié du chemin aura donc été faite demain avec la naissance de la « Tripartite » - la Zone tripartite de libre-échange dont seront parties prenantes, d'où son nom, trois organisations régionales déjà existantes.

    Il faudra encore en passer par les ratifications parlementaires mais ce rendez-vous de Charm el-Cheikh renforce d'ores et déjà « l’Afroptismisme » des milieux d’affaires internationaux et des jeunes entrepreneurs africains qui constatent que la croissance est de 5% par an depuis le début du siècle en Afrique alors qu’elle se traîne à beaucoup moins que cela en Europe et commence à s’essouffler en Asie.

    Après « l’Afropessimisme » de la seconde moitié du XX° siècle, il y a aujourd’hui tout un monde d’investisseurs et de chercheurs s'acharnant à convaincre la terre entière que l'Afrique est le prochain Eldorado et que l’avenir de l’Europe ne se conçoit plus sans l’organisation d’une « coopération verticale » - c’est leur expression - entre les deux rives de la Méditerranée. Particulièrement actifs en France, ces visionnaires n’ont sans doute pas tort.  Tout leur donne en fait raison et la certitude est que ce siècle sera dominé par des ensembles continentaux qui, partout, se cherchent sur le modèle de l’Europe. 

  • HUMEUR • Qu'est-ce qu'un « anti-raciste de souche » ? C'est ce que Christian Combaz se demande

    David Assouline au congrès de Poitiers (Capture d'écran Twitter)

     

    Durant le congrès du PS, certains participants dont Laurent Fabius et Jean-Vincent Placé arboraient un pin's « antiraciste de souche ». Christian Combaz* remarque que l'expression « de souche » plaît décidément beaucoup aux communicants de gauche. Son billet est brillant; comme on dit aujourd'hui, il est « écrit » (bien écrit), spirituel et les ridicules y sont bien notés, bien vus. De bonnes raisons de l'apprécier. LFAR 

     

    S'il est un domaine de la pensée où les avantages sont aujourd'hui acquis de naissance, où vos voisins, amis, collègues, beaux-frères, etc sont invités à s'en réclamer lors de grandes réunions qui excluent ceux qui ne sont pas nés du bon côté de la morale, où vous pouvez les transmettre par mariage puis les culquer à vos enfants dès l'âge des premiers émois, c'est ce qu'on appelle la « sensibilité de gauche ».

    Quand une poignée d'élus trouve amusant de parler d'«anti-racisme de souche» au milieu d'un congrès politique, leur humour se retourne rapidement contre leur camp parce que l'on songe assez vite: «Tiens, c'est exactement ça, avec leur tradition républicaine à toutes les sauces, leur ancrage à gauche qui est devenu une obsession dans le discours, leur engagement immémorial en faveur des valeurs humanistes etc, ils sont devenus les habitants d'un territoire mental qui considère la moitié des autres comme des allogènes.»

    Dans les débuts l'anti-raciste était actif, il en faisait certes toujours un peu trop, mais cela lui valait au moins quelques ennuis. Désormais il relève plutôt du passif. La loi est de son côté, les juges aussi, la presse continue à le traiter en héros alors qu'il ne risque plus rien, il tire profit d'une rente de situation commode, il l'est parce que papa l'était, parce que tonton aussi, et parce qu'il a compris, depuis longtemps, que c'était le meilleur moyen de faire des affaires sans qu'on s'occupe des siennes. De temps à autre il jettera l'opprobre sur quelqu'un d'isolé dans le genre Zemmour ou Camus pour faire un exemple devant la foule, un peu comme on brûlait les sodomites au XVIIème siècle.

    Finalement au bout d'une génération, celle de 68 (et même deux désormais), on s'aperçoit que l'abus de position dominante, la certitude de camper du côté du bon droit, les dividendes qu'on en tire -en dépit d'une valeur personnelle assez médiocre deviennent non seulement exorbitants mais sont transmissibles- jusqu'à l'abolition des privilèges.

    Pour les Socialistes, si friands d'anniversaires didactiques en ce moment, je déconseille formellement la nuit du 4 août.

    * Christian Combaz est écrivain et essayiste. Son dernier livre, «Votre serviteur», vient de paraître chez Flammarion. Lire également ses chroniques sur son blog. (Figarovox)

     

  • « La loi sur le renseignement est intrusive » : entretien avec J-C Fromantin, par Jean-Baptiste d'Albaret*

     

    Pour le député-maire de Neuilly, le projet de loi sur le renseignement en préparation  touche au principe des libertés publiques…

    Donnez-nous deux bonnes raisons de s’opposer à la loi sur le renseignement…

    - En ouvrant très largement le spectre des contrôles possibles avant de définir le ciblage des investigations, elle touche directement le principe même des libertés publiques.
    - Elle dégrade très fortement l’adhésion qu’elle aurait pu susciter si elle avait été réellement élaborée pour contrer le risque terroriste de plus en plus prégnant dans notre pays.

    Sur votre blog, vous écrivez qu’elle n’est pas une loi contre le terrorisme. Qu’est-ce qu’elle est alors ?

    C’est une loi potentiellement intrusive : son champ de surveillance met chacun d’entre nous en situation d’être mis sur écoute et nous expose au risque que soient analysées nos requêtes sur Internet en dehors de toute procédure judiciaire. La frontière et les articulations possibles entre les champs administratifs et judiciaires sont extrêmement flous et permettront d’investiguer en dehors de tout contrôle. La Commission nationale des techniques de renseignement n’aura ni les moyens de suivre l’activité des services de renseignements, ni celui d’apprécier le cas échéant la pertinence des moyens déployés à l’égard de tel ou tel, ni même le pouvoir de remettre en cause des procédures abusives.

    Selon vous, faut-il réécrire entièrement la loi, ou est-elle amendable ?

    Une véritable loi contre le terrorisme aurait dû aller bien au-delà : en ciblant directement et prioritairement l’action terroriste, en déployant des moyens d’observation dans les prisons, en prenant des mesures de non-retour à l’égard de ceux qui participent aux entraînements terroristes à l’étranger, en mettant en place des procédures d’alerte ou en donnant aux autorités judiciaires et policières des ressources supplémentaires et les moyens d’enquête qui lui font aujourd’hui cruellement défaut. 

    * Politique magazine

  • DEBATS • Abdennour Bidar et Fabrice Hadjadj : le christianisme, l'islam et la laïcité française

     

    Tous deux philosophes et écrivains, Abdennour Bidar et Fabrice Hadjadj nourrissent une réflexion approfondie sur les rapports entre les deux principales religions en France. Un échange vigoureux et profond pour Figarovox. Les religions se sont largement invitées sur tous les terrains politiques en France et dans le monde. Ainsi, le débat Abdennour Bidar - Fabrice Hadjadj peut ouvrir une discussion parmi les lecteurs de Lafautearousseau. On ne manquera pas d'y relever les passages qui constituent une remise en cause somme toute radicale des valeurs de la République.   

    Abdennour Bidar* a appris l'islam par sa mère, auvergnate convertie au soufisme, tandis que Fabrice Hadjadj se présente comme « Juif de nom arabe et de confession catholique ». Le premier veut croire à l'émergence d'un islam éclairé compatible avec les sociétés occidentales. Le second considère qu'une laïcité qui ne serait que le paravent d'un relativisme absolu débouchera forcément sur le choc des civilisations.

     

    Le vrai problème de la France, est-ce l'islam radical ou l'islamophobie ?

    Abdennour BIDAR. - On peut parler en France d'un islam radical qui revêt plusieurs formes, dont la plus inquiétante ces derniers temps est celle du djihado-terrorisme, et celle, plus répandue, d'un néo-conservatisme. Ce dernier revendique un certain nombre de pratiques religieuses qui, sans être interdites ni toujours contradictoires avec la laïcité, deviennent problématiques quand elles s'exercent sur un mode provocateur, agressif, intransigeant.

    Sans hystériser le sujet, reconnaissons qu'il y a bien en France une question de l'islam, faute d'une démonstration convaincante, à travers une évolution suffisante de la culture islamique, de sa compatibilité avec les valeurs de la République.

    Quant à l'islamophobie, je ne crois pas à un rejet généralisé de l'islam. Mais le développement de l'islam radical en France crée un climat d'inquiétude qui engendre ou attise chez certains la suspicion, l'inquiétude, voire le rejet et des actes antimusulmans. On est alors face à deux radicalités qui s'alimentent.

    Fabrice HADJADJ. - Comme vous, je reconnais le danger de l'islamisme et de l'islamophobie, qui s'excitent l'un l'autre. Mais mon alignement s'arrête là. Je crois qu'il faut cesser de se polariser sur l'islam. Le vrai problème de la France, aujourd'hui, c'est la France. Qu'y a-t-il à défendre derrière cette bannière ?

    Vous voulez parler des fameuses valeurs de la République ?

    F. H. - La République s'est développée sur le refus, en grande partie, de son passé tant royal que catholique. Elle a inventé un récit national fondé sur un progressisme qui désormais, fort de la technologie, devrait conduire vers l'avenir radieux des cyborgs… Persuadée de porter les valeurs de la civilisation, la République s'est aussi autorisée à coloniser certains pays. Le problème, c'est qu'aujourd'hui tout ce modèle s'est effondré: on est sorti du progressisme, de l'humanisme, et, Dieu merci, de la logique coloniale. Ce qui reste, c'est l'autoflagellation de notre passé impérial, un laïcisme démesuré et, du fait du règne de l'expertise et de la consommation, notre incapacité à porter une espérance nationale. Le signe de cette incapacité, c'est la dénatalité. Aussi bien Raymond Aron que Michel Rocard insistaient sur le «suicide démographique» de la France.

    Pour parer à cela, on fait appel à l'immigration. Le danger n'est pas dans l'immigration en tant que telle mais dans ce que nous proposons aux nouveaux venus pour les intégrer. Le supermarché techno-libéral ne suffit pas pour insuffler l'élan d'une aventure historique. Or c'est cela que les jeunes attendent. Non pas de devenir «modérés», mais d'entrer dans une vraie radicalité (ce mot renvoie aux racines, lesquelles ne sont pas pour elles-mêmes, mais pour les fleurs, les fruits et les oiseaux). Ils ont envie d'héroïsme. Mais les actuelles «valeurs d'échange» de la République ne proposent rien de cela, et ce vide nourrit le terrorisme aussi bien que la xénophobie. Aujourd'hui, nous devons repenser à la France et à l'essence de la République en les mettant en perspective dans une histoire et un héritage qui portent sa radicalité judéo-chrétienne, de sainte Geneviève à de Gaulle, ou de Jeanne d'Arc à Bernard Lazare.

    A. B. - Une remarque: attention au terme de «radicalité» dont il est très hasardeux de vouloir se servir «positivement». Dans mon dernier livre, je vous rejoins en soulignant que l'islam agit comme un puissant révélateur de notre propre désarroi de civilisation, ici en Occident. Mais je maintiens que nous avons deux systèmes de valeurs profondément en crise. En face de la sacralité essoufflée des idéaux républicains français et des idéaux de la modernité occidentale, il y a, du côté de certains musulmans, trop nombreux, un sacré fossilisé pour lequel la religion est un totem intouchable. Cette représentation anhistorique, inadaptable, de l'islam va à l'encontre du sens historique de la modernité. L'islam n'a pas actuellement le moteur culturel nécessaire pour être une fabrique de civilisation. Aussi, dire, comme certains le disent, que les musulmans ont «déjà gagné» me paraît faux. Pour gagner, il faut un système de valeurs en bon état, sinon prêt à l'emploi.

    Pour se moderniser, l'islam doit-il prendre des distances par rapport à son passé ?

    A. B. - Face aux épisodes passés de la colonisation et de l'impérialisme occidental, l'islam en est trop longtemps resté à une posture de réaction et de repli sur soi. Nous devons lui demander bien plus aujourd'hui, en matière d'autocritique, pour qu'il entre dans une période de transition.

    F. H. - Je ne peux pas laisser dire cela. C'est l'islam qui dès le départ s'est propagé à travers l'expansion guerrière en Afrique du Nord, en Espagne… Mahomet fait des guerres, des razzias, le Christ n'en fait pas. C'est pour cela d'ailleurs que les guerres faites au nom de la Croix sont bien plus graves que celles faites au nom du Croissant.

    A. B.- Ne faisons pas de l'objet historique de l'islam une entité métaphysique. L'islam n'est pas par essence conquérant, guerrier ou incompatible avec ceci ou cela. Certes, le mot «islam» est réputé signifier soumission à Dieu, mais il est aussi de même racine que le mot arabe qui veut dire paix. Une religion peut évoluer, en enfantant par exemple, à l'image du christianisme, une civilisation de la sécularisation, de la liberté de conscience compatible avec la vie spirituelle. Certains pays musulmans ont tenté de se transformer ainsi lors des printemps arabes.

    F. H. - Vous voyez l'histoire comme une nécessaire sortie de la religion. Quitte à me répéter, le sens de l'histoire est, selon moi, à l'opposé du modernisme qui croit pouvoir faire «du passé table rase». L'invention de l'histoire se fait dans la tradition, la nouveauté prenant corps à partir d'un héritage. L'islam ne doit pas refuser son historicité. Or, dans son principe, il s'oppose à un aspect très profond du judéo-christianisme qui est la notion de révélation progressive. Le génie juif est de dire que la révélation de Dieu s'opère à travers des événements historiques, non en se détachant de la chair et du temps, mais en y descendant profondément. Ainsi insiste-t-on dans la Bible et les Évangiles sur les événements, les généalogies, les noms propres. Cela n'existe pas dans le Coran, qui tend à court-circuiter l'histoire de la Révélation. Pour preuve: Marie, mère de Jésus, y est confondue avec la sœur d'Aaron et de Moïse.

    Mohammed ne prétend pas venir après et assumer tout l'héritage précédent. Il affirme restaurer la religion adamique, et donc sauter par-dessus les siècles vers une origine anhistorique. C'est pourquoi le Coran rejette les Écritures juives et chrétiennes comme étant falsifiées (aussi la Bible est-elle interdite dans la plupart des pays musulmans). C'est un rapport pour le moins curieux à l'histoire.

    Dans les religions juive et chrétienne, il y a dès le départ un rapport critique à l'observance religieuse. Chez les juifs, comme vous le savez, il y a une primauté de l'interprétation. Et, chez les chrétiens, à partir d'une critique des docteurs de la Loi, une primauté de la charité. L'Église catholique affirme en conséquence le développement du dogme, la multiplicité des sens de l'Écriture, le travail de la raison, d'où viennent les très catholiques Rabelais, Montaigne, Descartes, Pascal…

    La seule manière de restaurer le sens de l'histoire en France est d'admettre l'origine de notre foi en l'histoire, et donc d'affirmer la primauté culturelle du judéo-christianisme. Ou plus précisément que la France s'est constituée à travers des racines gréco-latines et des ailes juives et chrétiennes.

    Abdennour Bidar, vous voulez sans doute répondre à ces attaques…

    A. B. - Hors du judéo-christianisme, point de salut donc! Quel impérialisme absolument inaudible! Au moment où toutes les civilisations du monde se rencontrent, et cherchent de l'universel partageable, construit ensemble, je vous souhaite bon courage pour aller convaincre les musulmans mais aussi les Chinois et les Indiens que seuls le judaïsme et le christianisme ont un sens de l'histoire !

    Sur le fond, je ne peux que réagir. Certes, le Coran contient, et je le déplore, des versets extrêmement violents et problématiques qui continuent aujourd'hui à nous empoisonner. Mais il existe des musulmans capables de prendre leurs distances vis-à-vis de ces versets, de refuser qu'ils servent de prétexte à la violence ou à une prétendue «guerre sainte» et de réclamer plus généralement un droit d'interprétation des textes.

    F. H. - Ils sont très minoritaires.

    A. B. - Je vous rassure, ils sont plus nombreux que vous semblez le penser. Et l'islam a une histoire. J'en veux pour preuve le schisme entre les chiites et les sunnites, la diversité des écoles et les batailles ou échanges continuels avec les différents bassins de civilisation. Il existe aussi dans l'islam un certain nombre de grands noms, comme Ibn Khaldoun, qui ont posé de façon très précoce les fondements de la science historique et qui ont influencé un grand nombre de penseurs d'autres civilisations.

    Un mot, enfin, sur la généalogie. Étant des trois monothéismes la dernière religion révélée, l'islam reconnaît que nous sommes tous les fils d'Abraham.

    Comment articuler laïcité, racines chrétiennes de la France et fraternité ?

    F. H. - Vous ne pouvez ignorer que ce truc des «fils d'Abraham» est un passe-passe nominal, puisque l'Abraham dont parle le Coran n'a pas la même histoire que celui de la Bible, et qu'on y substitue Ismaël à Israël… Mais soit. Revenons sur les conditions d'un vrai dialogue. Sans entrer dans la logique du choc des civilisations, je mets en garde contre les risques du relativisme. Soit chacun rentre dans sa bulle, soit, puisqu'il n'y a plus de vérité, ce n'est pas le plus sage, mais le plus séduisant, le plus habile, le plus menaçant ou le plus argenté qui l'emporte. L'enjeu n'est pas la modération mais la reconnaissance envers cette vérité de l'histoire apportée par l'héritage chrétien de la laïcité. Aussi, la France, dans le rapport aux religions, ne peut pas traiter avec équivalence ce qui relève de sa propre ascendance - et de la production de la laïcité même - et ce qui n'est pas du même lieu de civilisation. Vous savez très bien qu'une fleur coupée de ses racines et mise dans un vase est très jolie, mais, lorsqu'elle fane, elle commence à sentir mauvais. C'est le sort actuellement en France d'une laïcité coupée de ses racines.

    Quant à la notion de fraternité mise à la fin de la devise républicaine, je dirais comme Régis Debray qu'elle a été largement occultée. Après avoir reproché au roi son paternalisme, la République a cherché à inventer une société de frères sans père, et elle n'a réussi qu'à fabriquer des individus sans patrie.

    Les religions chrétienne et musulmane en France sont-elles alors vouées à s'ignorer ?

    A. B. - Je suis d'accord pour reconnaître l'héritage judéo-chrétien, évidemment, mais il faut aller plus loin en intégrant l'islam. Certes, l'islam vient d'une autre civilisation, mais il convient de reconnaître la valeur de l'altérité.

    Or notre différence, semble-t-il, est que j'ai confiance en vous, en nous tous, avec votre culture et avec la mienne. Je voudrais qu'il en soit de même pour vous à l'égard des musulmans. L'importance de la population musulmane en France nous fait un devoir de nous entendre.

    C'est pour cela que je plaide pour la fraternité. La laïcité, qui à la base avait le génie de rassembler, est devenue un facteur de division, et je le déplore. Par contre, j'estime que la fraternité a encore, elle, une virginité qui pourrait conduire au ressaisissement collectif dont la France a bien besoin.

    Nous y travaillons au ministère de l'Éducation nationale, avec la mise en place d'un nouvel enseignement moral et civique qui remettra dans la culture commune un certain nombre d'héritages humanistes - comme la fraternité - qui se retrouvent tant dans le judaïsme, le christianisme que dans l'islam.

    Cette responsabilisation de la société civile ne relève évidemment pas seulement de l'État. Elle doit se faire dans toutes les sphères, et en priorité familiales. Que dit-on dans les familles musulmanes du petit juif? Et vice versa ?

    En outre, j'ai déjà exprimé mon jugement très sévère à l'égard du Conseil français du culte musulman (CFCM), dont l'appellation elle-même invite à s'interroger. Pourquoi considérer que la population musulmane en France est obligatoirement liée à l'islam par le culte? C'est nier, aujourd'hui, la diversité profonde de la culture musulmane, qui regroupe à la fois des personnes attachées aux cultes, d'autres moins et des non-croyants.

    Je sais que mes propos, comme les vôtres, peuvent être un peu durs à entendre, mais il est de notre devoir de se solidariser tous pour que la balance penche du bon côté. La grâce et le génie de la situation actuelle, c'est que nous sommes tous dans la même galère, de réinventer ensemble un humanisme partageable, avec tous nos héritages sacrés et profanes.   

    * Dernier ouvrage  d'Abdennour Bidar: Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015 ; de Fabrice Hadjadj: Puisque tout est en voie de destruction. Réflexions sur la fin de la culture et de la modernité, Le Passeur, 2014.

    Entretien par Marie-Laetitia Bonavita et Alexandre Devecchio

     

  • L'idéologie du Progrès : définition et déclinaisons, par Frédéric Rouvillois *

    Fréderic Rouvillois a donné ce fort intéressant entretien sur l'idéologie du progrès, au Cercle Henri Lagrange. Il y expose, en dernière partie, comment le clivage n'est plus aujourd'hui entre droite et gauche parlementaires - que presque plus rien ne différencie - mais, si l'on veut, entre « progressistes » et « traditionnalistes », ou mieux, entre modernes et antimodernes. Et de toute évidence, comme beaucoup d'intellectuels de sa génération, Frédéric Rouvillois ne se range pas parmi les modernes. Cela signifie-t-il ne pas être de son temps ? Lorsqu'il définissait cette monarchie qu'il voulait pour la France d'aujourd'hui, Pierre Boutang parlait d'« une monarchie moderne, ou affrontée au monde moderne ». Cette apparente opposition ou pour mieux dire cet affrontement, lui paraissait sans-doute, comme à nous-mêmes, la façon la plus haute d'être de ce temps.    

     

     

    Source : CHL.TV - Cercle Henri Lagrange 

    * Frédéric Rouvillois est professeur de droit public et écrivain. Il a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire des idées, notamment L'Invention du progrès, aux origines de la pensée totalitaire (CNRS Éditions, 2010), ainsi que des essais sur la politesse, le snobisme et les institutions, et plus récemment Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011). Son dernier livre Crime et utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme, a été publié chez Flammarion.

     

  • Rencontres autour du livre d'hommage à Jen-François Mattéi, en librairie depuis le 4 juin

     

    LogoJFM ;;;;;.pngL'association Les Amis de Jean-François Mattéi a le plaisir d'annoncer que le livre d'hommage à Jean-François Mattéi intitulé De Platon à Matrix, l'Âme du Monde, aux éditions Manucius, est en librairie depuis le 4 juin.

    A cette occasion vous êtes invités à l'une des trois tables rondes rencontres organisées autour de l'ouvrage :

    le 11 juin au Collège des Bernardins à Paris à 18H30, en présence de Chantal Delsol et Jean-Pierre Dupuy,

    Le 16 juin à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence à 18H, avec Hervé Casini, Bernard Martocq et Jean-Yves Naudet,

    Le 17 juin à la bibliothèque de l'Alcazar à Marseille à 17H30, avec Hervé Casini, Philippe Granarolo et Bernard Martocq.

    Venez nombreux.

  • Idéologie mortifère, par Louis-Joseph Delanglade

     

    En géographie, rien ne vaut une bonne carte. Celle de lactuel Proche-Orient  est explicite : lEtat Islamique contrôle désormais un vaste territoire à cheval sur Syrie et Irak. Sa progression est si rapide que certains le voient déjà aux portes de Damas et de Bagdad. M. Lévy propose maintenant darmer les Kurdes « pour casser les reins de Daesh ». Du fait même quil est tout à fait improbable, car on voit mal la Turquie laccepter, ce scénario illustre bien lirréalisme et par conséquent l’éventuel pouvoir de nuisance des idéologues qui gravitent autour du pouvoir. 

    Sur le terrain, lEtat islamique profite au mieux des contradictions dans lesquelles sont empêtrés ses ennemis coalisés. Le fiasco de la toute récente Conférence de Paris ne peut que les conforter : incapables de se mettre daccord sur quoi que ce soit, hormis sur lacceptation du fait sunnite (Turquie, Qatar, Arabie Séoudite), les membres de la coalition - dont la France - ont acté le statu quo, cest-à-dire lacceptation pure et simple de lavancée pour linstant irrésistible des troupes de lEtat islamique et de linstauration sur les territoires quil contrôle dun début dadministration en bonne et due forme. Non seulement aucune décision sérieuse naura été prise mais, comble du ridicule et de limpuissance assumée, les membres de la « coalition » sinterdisent lusage des armes chimiques dites « incapacitantes » pour ne pas contrevenir à une recommandation de lONU.

     

    Existe pourtant bien la possibilité de contrebalancer le poids dangereux de lalliance sunnite par celui de lIran et de ses « clients » chiites, seule force capable, à ce jour, de sopposer au sol aux troupes de « Daesh ». Mais, au vu de ses ambitions nucléaires, lIran constitue, paraît-il, une grande menace. Pis : il est de fait allié de MM. Assad et Poutine, chacun étant persona non grata - et aucun des deux présent à Paris. Voilà bien la véritable faute du pouvoir socialiste, digne continuateur en cela de son prédécesseur : que lapocalypse sabatte sur la région plutôt que de « reconnaître » un quelconque rôle à M. Assad car le faire serait renier les idéaux démocratiques du feu printemps arabe. 

     

    Lincendie géopolitique qui a pris naissance avec la déstabilisation de la région en Irak puis en Syrie risque fort, à terme, de déboucher sur la reconfiguration complète dune région aux frontières jusque là héritées de la période des mandats. Si les choses continuent, il ny a dailleurs pas de raison que Le Liban et la Jordanie échappent au cataclysme. Ce que constate M. Zemmour quand il dit qu’« un nouveau Moyen-Orient est en train de naître dans le sang et la fureur » ( R.T.L., 21 mai). Sil devait advenir que lEtat islamique sinstallât pour durer, il faudrait alors bien en tenir compte et « reconnaître » le fait accompli. 

     

    Cest à cela que conduit lidéologie mortifère de MM. Fabius et Lévy. Il nest cependant pas interdit de penser que rien nest encore définitif. 

     

  • Valls, l’ambianceur de Poitiers, vu par Dominique Jamet*

     

    Dominique Jamet raille à bon droit le rôle et le discours de Manuel Valls au semblant de congrès socialiste de Poitiers. Nous n'avons plus en effet qu'un semble-Etat, selon l'expression que Pierre Boutang utilisait naguère. Et de même des semblants d'Institutions ou de partis. Le Système, même s'il perdure, largement par inertie, est réduit à l'état gazeux, comme on dit en Espagne. Le clivage n'est plus aujourd'hui entre droite et gauche parlementaires que presque plus rien ne différencie, mais, si l'on veut, entre « progressistes » et « traditionnalistes », ou mieux, entre modernes et antimodernes. C'est ce que Frédéric Rouvillois vient, entre autres choses, d'exposer au cours d'un intéressant entretien donné récemment au Cercle Henri Lagrange. Et c'est autrement fondamental que les propos de Manuel Vals. Une vidéo en a été réalisée. Nous la diffuserons dans les jours qui viennent.  LFAR

     

    3312863504.jpgÀ congrès sans enjeux, ennui sans limites. Quand les jeux sont faits et que rien ne va fort, difficile de se passionner pour la partie en cours. Les frondeurs rentrés dans le rang, Martine Aubry ayant fait le déplacement pour montrer qu’elle peut bouder ailleurs que dans son coin, la motion A largement votée, les postes répartis entre les courants au prorata de leur influence, le premier secrétaire reconduit dans ses fonctions à sa satisfaction générale, l’hypothèse d’une primaire écartée, celle d’un changement de cap refusée, celle d’un débat de fond, par exemple sur le socialisme, son passé, son présent, son avenir, ou sur le bilan de trois années au pouvoir, n’étant pas inscrite à l’ordre du jour, que restait-il aux délégués d’un parti dont l’image nous parvient encore du fond de la galaxie politique alors qu’il n’est plus qu’un astre mort, une fois épuisés les plaisirs de la buvette et de la visite rituelle à l’admirable Notre-Dame-la-Grande ? Poitiers morne butte…

    Il revenait au Premier ministre, en l’absence du président virtuel candidat réel qui ne se mêle jamais, comme on sait et comme il s’y est engagé, à la petite cuisine que font les grands partis sur leurs petits réchauds, de chauffer la salle et de donner à ses camarades l’illusion qu’ils n’étaient pas venus pour rien. Manuel Valls a donc joué les ambianceurs avec sa fougue habituelle – sa furia espagnole.

    Que faire quand on n’a rien à dire ? Chez les vrais gens, dans le monde réel, on n’en dit rien. Dans l’univers de la politique, ce théâtre d’ombres chinoises et de polichinelles bien de chez nous, on parle. Manuel Valls a parlé plus d’une heure.

    Le chef du gouvernement a énuméré les réformes considérables qu’il a déjà réalisées et affirmé qu’il n’allait pas s’arrêter en aussi bon chemin. Ainsi le prélèvement à la source est-il inscrit sur son agenda, pour une date qui sera précisée ultérieurement. Manuel Valls s’est dit fier de l’équipe qu’il dirige, de son action, de ses résultats, où il allait de soi qu’il n’était pas pour rien. Il a fait acclamer le nom de son chef hiérarchique, « un grand président », a-t-il déclaré sans rire et sans faire rire. Une telle performance, en France, en 2015, n’est évidemment possible que devant un public très choisi.

    En vieux routier de la politique, le Premier ministre, qui se voulait rassembleur, sait que le meilleur moyen d’unir un auditoire sceptique, démoralisé et divisé, est de lui désigner un ennemi commun. Il s’en est donc pris avec virulence au bouc émissaire tout trouvé qu’était cette semaine l’ancien président de la République aujourd’hui président des Républicains. « Un homme qui, par ses pratiques dans l’opposition, était déjà un problème pour le pays », a dit celui dont la pratique du gouvernement pose tous les jours problème. La République du chef des soi-disant Républicains est « une duperie », a poursuivi le chef d’une majorité socialiste dont les rapports avec le socialisme sont une énigme en forme de farce. Il n’a pas eu de mots assez durs, enfin, pour le positionnement politique du numéro 1 des « Républicains », « synthèse entre les fausses promesses de 2007 et le discours halluciné de Grenoble », lui dont le patron tente vainement de faire le lien entre le discours incantatoire du Bourget et les fausses promesses de 2013, 2014 et 2015.

    Valls faisant le procès de Sarkozy, c’est le lutteur de fête foraine attaquant le batteur d’estrade, l’énervé dénonçant l’agité, la charité qui se moque de l’hôpital. Un régal pour les connaisseurs.

     

     

    Journaliste et écrivain - Boulevard Voltaire