Alors que la France est en train d’honorer la commande par la Russie de deux porte-hélicoptères « Mistral », les sanctions américaines tombent sur la B.N.P. Aucun rapport, paraît-il. Bizarre, tout de même. M. Poutine a beau jeu de souligner que cela ressemble fort à une punition. Et de faire remarquer, devant un parterre composé des Ambassadeurs russes, que la Russie n’est pas, pour sa part, disposée à accepter les diktats étatsuniens et qu’elle continuera à passer accord sur accord avec de nombreux pays d’Asie (la Chine, notamment) et d’Amérique latine (du Brésil à Cuba), faisant fi des préventions ou interdits. Au point qu’on peut considérer que, ce faisant, M. Poutine reprend à son compte la stratégie gaullienne consistant à assurer un maximum d’indépendance nationale en refusant toute inféodation.
Ce qui se passe en Ukraine, et au delà, en Europe orientale, est à ce sujet révélateur. Deux démarches géopolitiques s’affrontent. L’Union européenne semble avoir comme objectif de s’étendre, de façon inconsidérée, le plus loin possible, de façon à bâtir une grande Europe démo-libérale. D’où les gesticulations franco-allemandes et la signature récente de divers accords (avec la Moldavie, la Géorgie ou… l’Ukraine). En réalité, tout le monde a compris que l’Union est, consciemment ou pas, téléguidée par les Etats-Unis d’Amérique qui, depuis, la fin de l’Union Soviétique, n’ont de cesse de pratiquer ce que M. Poutine dénonce comme une « politique de confinement […] à l’égard de la Russie ». Celle-ci, justement, vient d’officialiser une Union eurasienne (avec d’ores et déjà la Biélorussie et le Kazakhstan, en attendant l’Arménie et le Kirghizistan) qui correspond non seulement à une incontestable volonté de puissance mais aussi à une vision plus transcendante fondée sur la civilisation orthodoxe. La riche Ukraine est donc forcément une pomme de discorde.
Si l’on devait en rester là, nous aurions, de facto et de jure, la résurgence de deux « Europe », de l’Ouest et de l’Est. Car, qu’on le veuille ou pas, la Russie, même lestée de ses immenses territoires sibériens, est une puissance européenne – comme l’est la Grande-Bretagne, même atlantisée à outrance. D’ailleurs, M. Poutine parle en termes plutôt chaleureux de ses « collègues européens ». M. Guetta dit ainsi avec une certaine justesse qu’il « ne veut pas rompre avec l’Europe mais garder avec elle un lien privilégié […] » Plus sûrement encore, M. Poutine nous rappelle à nous-mêmes. Il ne s’agit pas de choisir la Russie contre les Etats-Unis mais, en accord et alliance avec les quelques puissances d’Europe occidentale avec lesquelles des convergences et affinités existent, de refuser de suivre aveuglément « ceux qui continuent de prétendre à un rôle exceptionnel », ou, mieux, de manœuvrer pour survivre dans un monde forcément hostile et redevenu multipolaire.